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dimanche 19 février

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Itiiumti LE <strong>19</strong> FÉVRIER <strong>19</strong>28 iniinnîinùiiraiiiiiiiiiiiiiiiiuiiiîiiliiniiiiiiniiî tiinitiiiiiiiiiilj ■••mu 7 lTuiiiii'iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiHHiHiiiHiitiMiirti»MiMiiiiMiiiii DIMANCHE-ILLUSTRÉ ""«'«r<br />

L'homme était SUT un genou, le dos vers l'angle du mur, les épaules élevées au niveau des oreilles, les mains sur la face, les paumes à l'extérieur, les doigts allongés et recourbés cojnme des griffes.<br />

soudain, plongeant tout dans une profonde<br />

obscurité. Cela pouvait venir d'un courant<br />

d'air de la porte ouverte ; quelle qu'en fût la<br />

cause, l'effet fut surprenant.<br />

— Messieurs, dit une voix qui semblacurieusement<br />

étrangère dans ce nouvel état de choses<br />

affectant le rapport des sens entre eux, messieurs,<br />

vous ne bougerez pas avant d'avoir<br />

entendu se fermer la porte de l'extérieur.<br />

Un bruit de pas suivit, puis la porte intérieure<br />

se ferma. Finalement, celle de l'extérieur<br />

retomba âvêc une secousse qui ébranla<br />

l'édifice entier.<br />

Quelques minutes plus tard, le petit garçon<br />

d'un fermier, attardé sur la route, rencontra<br />

une charrette menée à une allure vertigineuse<br />

vers la ville de Marshall. Il déclara que. derrière<br />

les deux formes assises sur le devant se<br />

tenait une troisième, debout, les mains sur les<br />

épaules courbées des autres. Ces derniers<br />

paraissaient faire de vains efforts pour se libérer<br />

de cette étreinte. Cette troisième silhouette,<br />

différente des autres, était vêtue de blanc, et<br />

avait dû, à coup sûr, faire irruption dans la<br />

charrette quand elle était passée devant la<br />

maison hantée. Comme le gamin pouvait se<br />

flatter d'avoir déjà subi une épreuve considérable<br />

en matière de questions surnaturelles, ses<br />

dires obtinrent la créance qui est légitimement<br />

due au témoignage d un expert. L histoire<br />

(avec les événements qui survinrent le lendemain)<br />

parut dans l'Advance, avec quelques<br />

légers embellissements littéraires et une allusion<br />

finale au fait que les messieurs en question<br />

auraient le loisir de se servir des colonnes du<br />

journal, pour y donner la version de leur aventure<br />

nocturne. Mais cette faveur ne fut revendiquée<br />

par personne.<br />

L<br />

' * * *<br />

ES circonstances qui avaient causé ce duel<br />

dans l'obscurité étaient assez simples.<br />

Un soir, trois jeunes hommes de la ville<br />

de Marshall étaient assis dans un coin tranquille<br />

du vestibule de l'hôtel, fumant et tenant<br />

des propos susceptibles d'intéresser trois<br />

jeunes gens instruits d'un village du'Sud. Ils<br />

s'appelaient : King, Sancher et Rosser. Non<br />

loin d'eux, à portée de leurs voix, mais sans se<br />

mêler à la conversation, un quatrième individu<br />

était assis. Il était inconnu des autres, qui<br />

savaient seulement qu'en arrivant par diligence,<br />

cet après-midi-là, il avait inscrit sur le<br />

registre de l'hôtel ce nom : Robert Grossmith.<br />

On ne l'avait vu parler à personne, sauf au<br />

comptable de l'hôtel. Il semblait vraiment se<br />

complaire en sa propre compagnie ou, ainsi que<br />

la rédaction de l'Advance l'exprima dans la<br />

suite, " s'adonner grossièrement à de mauvaises<br />

fréquentations ".Il faut dire, cependant,<br />

pour la défense de l'étranger, que la rédaction<br />

était, elle, d'une disposition par trop joviale<br />

pour juger, équitablement un homme d'un<br />

.tempérâmes» différent, et qu'elle avait, de plus,<br />

essuyé une légère rebuffade en tentant de<br />

1' interviewer ".<br />

— Je déteste toute espèce de difformité chez<br />

une femme, dit King, qu'elle soit naturelle ou<br />

accidentelle. Ma théorie est que toute tare physique<br />

correspond à une tare morale.<br />

— J'en déduis donc, dit'Rosser gravement,<br />

qu'une dame à qui l'avantage moral d'un nez<br />

ferait défaut, trouverait pour devenir Mrs King<br />

la partie difficile.<br />

—• On peut évidemment l'interpréter ainsi,<br />

fut-il répondu ; mais, sérieusement, j'ai, une<br />

fois, jeté par-dessus bord une charmante fille<br />

parce que j'avais appris, tout à fait par hasard,<br />

qu'elle avait subi l'amputation d'un orteil. Ma<br />

conduite fut brutale, si vous voulez, mais si<br />

j'avais épousé cette fille, nous aurions été<br />

malheureux, tous les deux, toute notre vie.<br />

— Tandis que, dit Sancher avec un léger<br />

rire, en épousant un homme avec des vues plus<br />

larges,elle s'est envolée, la gorge coupée en deux.<br />

— Ah ! vous avez à qui je fais allusion. Oui,<br />

elle épousa Manton, mais, quant à sa largeur de<br />

vue, je ne suis pas du tout sûr qu'il lui ait<br />

coupé la gorge parce qu'il avait découvert qu'il<br />

lui manquait cette chose précieuse chez une<br />

femme : le troisième orteil du pied droit.<br />

— Regardez donc cet homme ! dit Rosser<br />

à voix basse, les yeux fixés sur l'étranger.<br />

Celui-ci écoutait manifestement la conversation<br />

avec la plus vive attention.<br />

— Sacré toupet ! murmura King. Que<br />

faut-il faire ?<br />

— C'est bien simple, répliqua Rosser en se<br />

levant. Monsieur, reprit-il, en s'adressant à<br />

l'étranger, je crois qu'il vaudrait mieux que<br />

vous emportiez votre chaise à l'autre bout de<br />

la véranda. La présence d'hommes bien élevés<br />

est évidemment pour vous quelque chose de<br />

nouveau.<br />

L'homme bondit sur ses pieds et s'avança,<br />

les poings crispés, le visage pâle de rage. Tous<br />

étaient maintenant debout. Sancher se plaça<br />

entre les adversaires.<br />

— Vous êtes emporté et injuste, dit-il à<br />

Rosser ; ce monsieur n'a rien fait pour mériter<br />

ce langage.<br />

Mais Rosser ne voulut pas retirer un seul<br />

mot. Suivant la coutume du pays et l'époque,<br />

il ne pouvait y avoir qu'une seule issue à la<br />

querelle.<br />

—• Je réclame la satisfaction due à un<br />

homme du monde, dit l'étranger qur s'était<br />

calmé. Je ne connais personne dans cet endroit<br />

— et s'inclinant vers Sancher—peut-être, vous,<br />

monsieur, serez-vous assez aimable pour me<br />

seconder dans cette affaire.<br />

Sancher accepta cette mission quelque peu<br />

à contre-cœur, il faut l'avouer, car ni l'aspect<br />

ni les manières de l'homme ne lui revenaient.<br />

King qui, durant la conversait»*, «'avait<br />

pas quitté l'étranger des yeux et n'avait pas<br />

ouvert la bouche, consentit, d'un signe de tête,<br />

à seconder Rosser ; la conclusion à tout cela<br />

fut que, les intéressés s'étant retirés, une rencontre<br />

fut décidée pour le soir suivant. Les<br />

conditions de la rencontre ont déjà été exposées.<br />

Le duel au poignard dans l'obscurité a été, à<br />

une époque, une caractéristique de la vie du<br />

Sud-Ouest, plus courante qu'elle n'a chance<br />

de le redevenir. Le vernis de chevalerie recouvrant<br />

la brutalité fondamentale qui présidait<br />

à ces rencontres était bien mince : nous allons<br />

voir comment.<br />

D<br />

-o "Jo -&'<br />

ANS le feu d'un midi estival, la vieille maison<br />

des Manton manquait quelque peu<br />

à ses traditions. Elle était alors bien de cé<br />

monde bien terrestre. Lè soleil la flattait chaudement,<br />

affectueusement, avec un évident<br />

mépris pour sa.réputation. Le gazon qui vernissait<br />

l'étendue de sa façade, semblait pousser<br />

non pas régulièrement, mais avec une joyeuse<br />

et naturelle exubérance.<br />

Tel était l'aspect sous lequel l'endroit se présenta<br />

au shénff Adams et à deux autres<br />

hommes venus de Marshall pour instrumenter.<br />

Un de ces hommes étaient M. King, shériff -<br />

adjoint. L'autre, qui se nommait Brower, était<br />

le frère de feu Mrs Manton. En vertu d'une<br />

loi bienfaisante de l'Etat, relative à toute propriété<br />

qui a été, pendant une certaine période,<br />

abandonnée par le propriétaire dont la résidence<br />

actuelle ne peut être précisée, c'était au<br />

shérifPqu'incombait la garde légale de la maison<br />

Manton et de ses dépendances. La présente<br />

visite était la simple conséquence d'un arrêt<br />

de tribunal autorisant M. Brower à revendiquer<br />

la propriété entant qu'héritier de sa'sœur.Par<br />

une simple coïncidence, là visite eut lieu le<br />

jour qui suivit' la nuit où M. King, l'adjoint,<br />

avait ouvert la porte et fait jouer la serrure<br />

pour un motif très différent.<br />

Après avoir ouvert négligemment la porte de<br />

la façade et avoir constaté, à sa grande surprise,<br />

qu'elle n'était pas fermée à clef, le shériff eut<br />

la stupéfaction de voir, pêle-mêle, sur le plancher<br />

du couloir, un tas de vêtements d'hommes.<br />

A l'examen, il se composait de deux chapeaux et<br />

du même nombre d'habits, de gilets et de foulards,<br />

le tout en excellent état, mais seulement<br />

un peu souillé, par la poussière qui les entourait.<br />

M. Brower fut tout aussi étonné, mais<br />

l'agitation de M. King fut indicible. Prenant<br />

un vif et nouvel intérêt dans ses propres gestes,<br />

le shériff tourna une poignée et poussa une<br />

porte sur la droite. Ils entrèrent tous les trois.<br />

La pièce était apparemment vide. Non. Leurs<br />

yeux s'habituèrent à la pénombre et finirent<br />

par distinguer- quelque chose dans l'angle le<br />

plus éloigné. C'était un corps humain, celui<br />

d'un' homme accroupi contre le coin du mur.<br />

Quelque chose dans son attitude cloua les visiteurs<br />

sur le seuil de la porte. La silhouette se<br />

précisa peu à peu. L'homme était sur un<br />

genou, le dos vers l'angle du mur, les épaules<br />

élevées au niveau des oreilles, les mains sur la<br />

face, les paumes à l'extérieur, les doigts allongés<br />

et recourbés comme des griffes ; la tête livide,<br />

renversée en arrière sur le cou contracté, portait<br />

une- expression de frayeur indicible, là<br />

bouche entr'ouverte, les yeux incroyablement<br />

dilatés. Il était mort, déjà rigide. Pourtant,<br />

à l'exception d'un poignard qui était de toute<br />

évidence tombé de sa propre main, il n'y avait<br />

pas d'autre objet dans la pièce. Dans la poussière<br />

épaisse qui couvrait le plancher, il y avait<br />

des traces confuses de pas, auprès de la porte et<br />

le l«ng du mur contre lequel elle s'ouvrait. Au<br />

long des autres murs, passant devant les fenêtres<br />

masquées de planches, on retrouvait la trace<br />

laissée par l'homme pour atteindre son coin.<br />

Brower, blême d'agitation, plongea fixement<br />

son regard dans le visage décomposé :<br />

— Grand Dieu, s'écria-t-il tout à coup,<br />

c'est Manton !<br />

L'homme n'avait pas bougé une seule fois<br />

du coin où il avait pris position. Son attitude<br />

n'était m celle de l'attaque ni celle de la défense.<br />

Il-avait laissé tomber son arme ; il avait sans<br />

aucun doute succombé de frayeur à la simple<br />

vue de quelque chose : toutes ces circonstances,<br />

l'esprit troublé de M. King ne pouvait<br />

entièrement les saisir.<br />

- Dans la poussière des ans dont l'épais tapis<br />

recouvrait le sol, allant de la porte par où ils<br />

étaient entrés en droite ligne à travers la pièce,<br />

jusqu'à une distance d'un mètre du cadavre<br />

recroquevillé de Manton, on voyait des empreintes<br />

de pieds sur trois lignes parallèles,<br />

des marques légères, mais précises, de pieds<br />

nus : à l'extérieur, celles de petits enfants ; au<br />

milieu, celles d'u- e femme. Arrivées au point<br />

où elles s'arrêtaLnt, elles ne revenaient pas en<br />

arrière ; elles étaient toutes dirigées dans une<br />

seule direction.Brower.qui les avait remarquées<br />

au même moment, s'était penché en avant dans<br />

une attitude d'hébétement, horriblement pâle.<br />

—■ Regardez donc, dit-il, pointant des deux<br />

mains vers la marque du pied droit de la<br />

femme, à l'endroit où elle s'était apparemment<br />

arrêtée. Le troisième orteil manque ! C'est<br />

Gertrude !<br />

Gertrude était feu Mrs Manton, la sœur de<br />

M. Brower. .<br />

AMBROSE BIERCE.<br />

| Traduit de l'anglais par M.Llona et J.Porel.

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