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texte - Le Porche

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pour payer sa gloire, je veux dire pour justifier les frais de mise en scène qu’elle devait nécessairement<br />

entraîner. 6<br />

<strong>Le</strong> con<strong>texte</strong> favorable, après le désastre de la guerre franco-prussienne de 1870, remet<br />

l’héroïne à l’honneur, puisqu’elle incarne encore les valeurs de la résistante face à l’envahisseur,<br />

valeurs déjà mises en avant par un Schiller et un Verdi. En 1871, c’est un poème du même auteur,<br />

Jules Barbier, qui est choisi comme motif pour la cantate au concours du célèbre Prix de Rome,<br />

remporté cette année là par Gaston Serpette. Deux extraits sont d’ailleurs édités l’année suivante<br />

chez Heugel : la Romance de Raymond et la Scène de Jeanne d’Arc. Voici quelques vers de cette Scène de<br />

Jeanne d’Arc, très bucolique, où Jeanne à Domremy entend ses voix et se sent condamnée à quitter<br />

son village :<br />

Ô toits de chaume où l’hirondelle vient suspendre son nid à la saison nouvelle […] ! Terre<br />

promise, parfums et souvenirs si doux ! Ce Dieu voudra-t-il donc me séparer de vous ? Qui<br />

m’appelle ? Jeanne ! Jeanne ! Ah ! Oui, je vous entends ! 7<br />

Cantate qui ne passe pas inaperçue, notamment lors du concert qui est donné le<br />

24 novembre 1871 à l’Opéra, puisque le critique Arthur Pougin salue l’ouvrage deux ans après,<br />

reliant la cantate aux circonstances d’élaboration :<br />

C’était évidemment une heureuse idée que d’avoir choisi ce sujet à une époque où les récents<br />

malheurs de la patrie, en remplissant nos cœurs d’amertume, nous imposaient le devoir de rentrer<br />

sévèrement en nous-mêmes, et par les souvenirs les plus poignants et les plus glorieux de notre<br />

histoire, de retrouver le courage, l’espoir et l’énergie nécessaires au relèvement de notre cher et<br />

infortuné pays. 8<br />

Plus généralement, l’époque est au nationalisme, même en musique. En 1871 est créée la<br />

Société Nationale de Musique qui adopte la devise « Ars Gallica », n’hésitant pas à promouvoir<br />

une musique française. Dans un tel con<strong>texte</strong>, Charles Gounod, l’exilé, compose un oratorio,<br />

Gallia, pour l’exposition universelle qui se tient cette année-là à Londres : une lamentation qui<br />

rapproche Paris de Jérusalem assiégée… En ce début des années 1870, tous les poètes et<br />

musiciens chantent donc la France vaincue, dans l’espoir de son « relèvement ». <strong>Le</strong>s statuaires<br />

participent également : Henri Chapu et Emmanuel Frémiet donnent à voir deux attitudes de<br />

Jeanne, l’une recueillie et simple de la bergère, l’autre héroïque et martiale de la guerrière à cheval.<br />

La première est présentée avec succès au Salon de 1872, la seconde érigée fièrement place des<br />

Pyramides en 1874, alors que le grand opéra d’Auguste Mermet destiné à l’Opéra de Paris, pour<br />

1873, grand rival de la production de Gounod et de Barbier, est repoussé à 1876 après l’incendie<br />

de la salle Ventadour. Jeanne d’Arc est une figure à la mode.<br />

Un simple coup de pouce suffit donc à promouvoir le drame de Jules Barbier. En 1873, le<br />

retrait des troupes prussiennes du sol français (l’indemnité de guerre venant d’être soldée),<br />

provoque justement un regain de patriotisme. <strong>Le</strong> directeur du Théâtre de la Gaîté,<br />

Jacques Offenbach, sent le vent tourner, anticipe les vœux du spectateur et propose à Barbier de<br />

jouer sa pièce, pour mieux attirer le public. C’est lui également qui a l’idée de demander à<br />

Gounod de s’occuper de la musique 9 , parce qu’il sait qu’elle peut attirer un public plus nombreux<br />

dans son théâtre, curieux de spectaculaire. Il pense aussi à Gounod parce que ce dernier connaît<br />

la célébrité depuis plusieurs années, grâce à Faust, créé au Théâtre-Lyrique le 19 mars 1859 et à<br />

Mireille en 1864. Offenbach sait que sa notoriété placera le théâtre au rang des premiers théâtres<br />

lyriques français. En outre, Barbier ne saurait refuser un tel collaborateur, puisqu’ils ont travaillé<br />

6 Jules Barbier, Jeanne Darc, Michel <strong>Le</strong>vy, 1869, p. 1<br />

7 Jules Barbier et Gaston Serpette, Romance de Jeanne d’Arc, Heugel et Cie, 1872.<br />

8 Arthur Pougin, « Semaine théâtrale », <strong>Le</strong> Ménestrel, 39 e année, n° 50, 9 novembre 1873.<br />

9 Voir J. Deramond, « Jeanne d’Arc tout contre la vie parisienne », La Vie Parisienne. Une langue, un mythe, un style,<br />

Actes du III e congrès international de la Société des Études Romantiques et Dix-neuviémistes (à paraître).<br />

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