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Quel talent rhétorique ! On prononce ces formules archétypales avant de délester un homme, désormais ?<br />
De nos jours, même les crétins soignent leur annonce ! J’adresse toutefois un remerciement aux divinités,<br />
Till a évité le proverbial « La bourse ou la vie ! ».<br />
— Je n’ai pas de temps <strong>à</strong> perdre, disparaissez.<br />
Les joues du voleur prennent une teinte rubescente, et je me poste <strong>à</strong> sa gauche avec une mine farouche,<br />
histoire de lui apporter un soutien visuel.<br />
— La ferme ! Obéis et…<br />
Le sourire amusé du noble coupe Till. Je vois <strong>à</strong> son froncement de sourcils qu’il ne compte pas lanterner,<br />
et s’apprête <strong>à</strong> frapper.<br />
Il amorce déj<strong>à</strong> une feinte quand un détail écorche ma rétine. Une arme ! Ce maudit seigneur porte une<br />
épée sous sa redingote ! En une fraction de seconde, je comprends que nous avons commis une erreur en<br />
pensant nous attaquer <strong>à</strong> un nobliau, dont les mains saignotent <strong>à</strong> la seule idée de se défendre.<br />
— On insiste pas ! C’est pas pour nous !<br />
Till se dégage violemment de mon étreinte quand je tente de le faire reculer.<br />
— Ta gueule, Jeb ! On est deux ! Tu vas pas te laisser entuber par ce riche, hein ? On a besoin de cet argent<br />
!<br />
Il m’adresse un sourire confiant avant de menacer notre proie. Mais est-ce du gibier ? À la façon dont il<br />
hume notre peur, il ressemble plutôt <strong>à</strong> un prédateur sur le point de faire bombance. Or sa pitance, de qui<br />
s’agit-il ?<br />
— Je ne le sens pas, je…<br />
Un éclair lacère soudain ma vue.<br />
Une pluie rouge clapote, éclabousse mon visage.<br />
Calme, le noble rengaine son arme. Till s’écroule dans un spasme d’agonie, une main sur sa gorge d’où<br />
jaillissent des flots de sang. Ses yeux exorbités se tournent vers moi, l’air de dire : « Tu as compris ce qu’il<br />
vient de se passer, toi ? »<br />
J’aurais dû hurler, me ruer sur cet assassin et réclamer vengeance, j’aurais dû porter secours <strong>à</strong> mon camarade,<br />
puis tenter de juguler l’hémorragie, coûte que coûte, même si les artères ont été lacérées, même si le<br />
tranchant a sectionné sa gorge d’une oreille <strong>à</strong> l’autre. Mais je ne fais rien. Terrifié, je tombe en arrière et<br />
chois misérablement dans la fange.<br />
Le meurtrier fixe mes chausses imbibées d’urine. Son rictus cauchemardesque dévoile des dents blanches.<br />
Puis il se coule au milieu des ombres.<br />
17<br />
..:::..<br />
Ç a fait des heures maintenant.<br />
Je ne peux détacher mon regard du cadavre. Oh dieux ! Si je croyais en vous, je vendrais mon<br />
âme pour réparer mes erreurs et ramener Till ! Un chien miteux s’approche puis renifle les braies de mon<br />
ancien binôme, un éclat malsain éclaire son regard borgne, et je devine qu’il vient de trouver son repas.<br />
Au moment où sa mâchoire bubonneuse s’ouvre sur une gueule garnie de crocs, mes entrailles se nouent<br />
vers <strong>à</strong> lyre