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COULEUR - Vers à Lyre

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manières sont indélicates, brutales, leurs débauches proverbiales, ils concentrent tous les vices, continuent<br />

pourtant <strong>à</strong> sillonner Gorgsang et imposer leurs lois arbitraires. Prudent, je me place donc <strong>à</strong> distance<br />

respectueuse ; ils n’oseront pas frapper les curieux déj<strong>à</strong> attroupés, mais s’ils repèrent une jeune échine <strong>à</strong><br />

tancer, ils ne tergiverseront guère. Entouré par ces hommes, le héraut se hisse enfin sur sa tribune, se racle<br />

la gorge, autant pour se donner un effet qu’attirer l’attention, puis déclame sans s’interrompre :<br />

— Message de Son Altesse Alessar, roi d’Alghast !<br />

« Suite au décès tragique de mon père au cours d’une joute équestre, je désire façonner une nouvelle capitale,<br />

où nos citoyens ne s’abaisseront plus <strong>à</strong> des activités infamantes pour vivoter. Alghast est redouté,<br />

solide, garroté cependant par des années d’attentisme, qui ont sclérosé nos armées et rendu friables nos<br />

frontières. Aujourd’hui, nos ennemis désirent soumettre notre fier pays. Sommes-nous couards ? Sommesnous<br />

si impavides que nous ne réagirons pas quand des forces extérieures se presseront <strong>à</strong> nos remparts,<br />

égorgeront nos enfants, brûleront nos demeures et abattront une dynastie vieille de six siècles ? »<br />

Des exclamations haineuses commencent <strong>à</strong> s’élever. Une flamme vindicative embrase désormais l’assistance<br />

et, si je perçois la tournure démagogique du discours, je suis moi aussi emporté par cette vague<br />

furieuse, prête <strong>à</strong> dévaster nos voisins expansionnistes <strong>à</strong> la moindre provocation.<br />

— À mort ! À mort ! rugit-on.<br />

Près de moi, un noble tire son épée et la dresse vers le ciel avec un cri sanguinaire :<br />

— Qu’ils viennent, ces chiens, nous saurons les accueillir !<br />

Plus pâle, le héraut tente de ramener le calme par des gestes apaisants, puis continue sa déclaration :<br />

« Dès demain, nos armées démantelées par mon père retrouveront leur vigueur. Dès demain, chaque sujet<br />

pourra participer <strong>à</strong> la gloire du royaume. Inscrivez votre nom au panthéon des triomphes, posez sur vos<br />

crânes une couronne de victoires militaires, serrez contre vos cœurs des armures de renom et d’honneur ! »<br />

Cette fois, je crains que le monde vacille tant tous, femmes, hommes, enfants, applaudissent ces ambitions<br />

conquérantes. Voil<strong>à</strong> qui est parlé ! Nous les réduirons en pulses, ces barbares ! Les miliciens ont beau<br />

molester les citadins trop impétueux, une fièvre incontrôlable s’empare des rangs et secoue nos corps. Je<br />

sens ma respiration accélérer, mes membres trembler d’excitation et, galvanisé par la fougue des jeunes<br />

gens, je me serais engagé sur l’instant, si une voix intérieure ne m’avait sermonné. Je résiste <strong>à</strong> la tentation<br />

de verser mon sang, néanmoins, je partage la liesse populaire et ajoute volontiers mes louanges <strong>à</strong> celles<br />

qui honorent déj<strong>à</strong> Alessar.<br />

— Longue vie <strong>à</strong> Son Altesse ! Il apportera de la lumière et des couleurs <strong>à</strong> Gorgsang, il redorera notre<br />

blason souillé par des années d’attentisme et de corruption !<br />

« Oui,<br />

des couleurs »<br />

— Qu’on dresse nos oriflammes ! Qu’on hisse nos drapeaux ! Le nouveau roi<br />

sera l’artiste de maintes fresques glorieuses, et les pigments de ses victoires<br />

diapreront notre pays !<br />

Oui, des couleurs. Heureux, je laisse un sourire naître <strong>à</strong> la commissure de mes<br />

lèvres. La joie qui étreint chaque homme, ces teintes si différentes de celles du<br />

Boyau finissent par me ravir ; je réalise enfin mon rêve. Je pénètre un univers où le rouge, brun, doré sont<br />

synonymes de monarchie nourricière et attentive, de terres fertiles et de richesses honnêtement gagnées,<br />

l<strong>à</strong> où je ne connaissais que sang, ecchymoses, cadavres et la lueur, jaunâtre, de l’avidité. Je vis un rêve.<br />

— Regardez ! Regardez ! Le monarque ! Avec <strong>à</strong> peine quelques gardes, toujours aussi téméraire !<br />

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vers <strong>à</strong> lyre

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