point noir découvrit mille merveilles qu’il ne connaissait pas : des reflets argentés, des sons toujours plus nombreux jouant des mélodies qui s’entrechoquaient, des odeurs qui assaillaient. Un monde infini s’était ouvert <strong>à</strong> lui. couleur « Peut-on rêver mieux ? — Toi seul en décideras. » Le point noir quitta son hôte, des souvenirs enchanteurs en mémoire. Les étapes qui suivirent ne le marquèrent pas autant. La Voix multiplia les propositions : un instant carie ou point de coccinelle, excrément de mouche ou bien pixel d’écran, le point noir ne cessait pourtant de penser aux peupliers, <strong>à</strong> ce jardin d’enfants. Il se voyait encore, vagabonder un moment, embaumé par l’effluve des fleurs. Puis, allongé sur un banc, plonger le nez dans le ciel et admirer les nuages, le soleil. Après avoir connu maints états, le point noir arrêta définitivement son choix : « Je souhaite revoir le parc, sentir le vent, découvrir de nouveaux espaces. — Ce choix, je te le répète, t’appartient. Tu ne pourras revenir en arrière. Es-tu sûr de désirer cet état que tu connais <strong>à</strong> peine ? » Un instant, le doute s’insinua. Sur une gamme ou sur une page, son avenir demeurait incertain. Sur le dos d’une coccinelle, le point noir avait croisé les élytres de prédateurs voraces. Peu enclin <strong>à</strong> finir dans l’estomac d’une mante religieuse. Collé sur un mur, que ce soit au passage d’une mouche ou <strong>à</strong> la pose d’une prise de courant, le point noir restait figé, sans espoir de se mouvoir. Enfin, torturé par des outils de pointes, le point noir ne souhaitait pas se retrouver vivant dans une dent négligée. Car, tôt ou tard, les outils de pointes auraient raison de lui. Non, plus d’hésitations : le point noir retournerait sur son hôte, l<strong>à</strong>-haut sur son perchoir. « Ainsi soit-il... » La voix était murmurée. La lame effilée montée sur un manche élimé s’évanouit <strong>à</strong> jamais... ..:::.. Le temps avait passé, des heures comme une éternité pour le point noir. Un matin, dans le reflet du miroir, il s’était vu : au coin de l’œil de l’adolescente, le grain de beauté qu’il était jouissait d’une vue imprenable sur le monde. À vélo ou en voiture, <strong>à</strong> pied ou sous un casque de moto, l’adolescente l’emmenait avec elle, prenant soin de l’enduire de temps en temps d’une crème hydratante. Ainsi emporté, le point noir découvrit le lycée, Lola et d’autres amis, la fumée des bars environnants, la neige, le froid, la langue baveuse d’un amant, le piercing tout prêt, d’autres boutons et points noirs d’adolescents, la violence d’une gifle, la tendresse d’une caresse, Bertrand le cheval, Etyle la jument. Il savoura les instants passés dans le parc, frémit lors des plongeons en piscine, pleura dans une salle obscure de cinéma, demeura coi <strong>à</strong> la lecture du livre de chevet l’ordre et la parole. « Tu seras ma Bénédicte, je serai ton Carl. » Enfin, il vivait en étant vu. Il vivrait aussi en étant trop connu... Avant de succomber. Car survint la visite qui le plaça au centre de l’histoire, celle d’un point qui voulait être star. Mathilde, l’adolescente du miroir, verse encore tant de larmes, assise l<strong>à</strong> au milieu de sa chambre noire. 34
© 2010, Lazylad Comment n’a-t-elle pas remarqué les signes avant-coureurs de la maladie ? De grain de beauté, il ne s’agit : son dermatologue le lui a dit. Le point noir, doucement, avait évolué, insidieusement, s’était répandu <strong>à</strong> l’extérieur des tissus cutanés. Un nom lui fut vite trouvé : mélanome. Un nom <strong>à</strong> en pleurer. Pleurer sa vie d’avant. Pleurer sa vie de point blanc. Pleurer pour cette enfant qui pleure sans cesse <strong>à</strong> présent. Mathilde, sur son lit d’hôpital, ne survivra pas <strong>à</strong> ce mal. Le mélanome aura raison d’elle. Il est devenu la star déchue, l’ennemi mortel. 35