Je me livre ... Eric Vincent

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ALEXA CUISINE LES CHEFS
gilets pare-balles, de doudounes épaisses, craignant de remplacer leurs sorbets au fond d'un
anonyme congélateur, évitaient Rungis et ses abords comme la peste, préférant pour un
temps les petits marchés locaux.
Ces crétins n'avaient qu'à bien se tenir, ils n'avaient qu'à se réfugier près de leurs fourneaux,
au chaud, nouveaux symboles illusoires d'une sécurité retrouvée.
- Cherche, Alexa ! Cherche bien partout ! Si tu me trouves, tu auras mérité ta victoire. Si tu ne
me trouves pas, j'aurai prouvé que tu ne peux pas me voir. Je pourrai me livrer au meurtre, à
la destruction de mes ennemis. Ils agoniseront lentement, payant leurs crimes au centuple. Je
te garderai pour la bonne bouche, chère tête blonde ! Tu paieras pour avoir osé te mettre en
travers de ma route !
D'un geste rageur, il déchiqueta le quotidien en mille morceaux, n'épargnant que l'article
accompagnant la photographie d'Alexa Sarbacane. Avec un luxe de précautions et de minutie,
tranchant radicalement avec la folie qui s'était emparée de lui lorsqu'il avait saccagé la feuille
de chou, il épingla la coupure de presse sur le mur humide et gorgé de salpêtre de la cave où
il vivait reclus. Il recula lentement, contemplant peu à peu l'ensemble obtenu, comme un
sculpteur ou un peintre agissant de même pour juger son œuvre. Désormais, quelques
dizaines de feuilles jaunies, flétries, ornaient un pan de la cave. Toute l'histoire d'Alexa
Sarbacane, du début à la fin (Note de l'auteur : les futurs épisodes en moins, quand même !).
Sur le côté, sur une vieille table en chêne rongée par les termites, il avait soigneusement
empilé tous les bouquins consacrés à la détective. La bibliographie complète, l'analyse de
policiers, de romanciers, de publicitaires, de psychiatres (!), de voyants et de politiques (Un
épais volume, signé par Romain Latin, jeune député européen relatait l'extraordinaire
sauvetage d'un avion présidentiel par miss Sarbacane). D'un autre côté, remplissant les
rayonnages d'un antique vaisselier, le merchandising naissant, consacré à la détective,
témoignait de sa popularité grandissante. Des poupées Alexa avaient fait leur apparition chez
Mattel, le spécialiste du jouet. Les tenues sortaient à un rythme effréné, l'attirail de la parfaite
détective était fourni en supplément moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes et on
trouvait même un faux Vidal de quelques pages où apparaissaient des fausses visions plus
vraies que nature grâce à l'énergie fournie par quatre piles électriques !
Le salon de l'automobile de Francfort approchait à grands pas et il se murmurait, dans les
milieux autorisés (Note de l'auteur : réécouter le sketch de Coluche pour savoir ce que sont
les milieux autorisés ! Vous n'y êtes pas et moi non plus !), que Volkswagen préparait la New
Beetle décapotable série limitée "Alexa Sarbacane", en livrée rouge exclusivement, avec un
moteur deux litres épaulé par un turbo pour la circonstance, pour jouer les tornades blondes.
L'autoradio serait de style rétro, forcément. Par contre, l'injection électronique empêcherait
les démarrages capricieux ; il serait donc inutile de mettre les bougies à l'abri dès que le temps
serait incertain.
Tout était là. Rien ne manquait à la plus fabuleuse collection sur la détective. Rien. Ou
presque. Il ne manquait que la détective en personne.
- Bientôt, chère Alexa ! Nous nous reverrons bientôt !