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RENCONTRES 2010<br />
1 ères RENCONTRES D’ARCHÉOLOGIE DE L’<strong>IFEA</strong><br />
ARCHÉOLOGIES ET<br />
ESPACES PARCOURUS<br />
O. HENRY (éd.)<br />
Institut Français d’Études Anatoliennes Georges Dumézil
ARCHÉOLOGIES ET ESPACES PARCOURUS<br />
Actes des<br />
‘Premières Rencontres d’Archéologie de l’<strong>IFEA</strong>’,<br />
Istanbul, 11-13 Novembre 2010
ARCHÉOLOGIES ET ESPACES PARCOURUS<br />
Actes des ‘Premières Rencontres d’Archéologie de l’<strong>IFEA</strong>’,<br />
Istanbul, 11-13 Novembre 2010<br />
édités par<br />
Olivier Henry<br />
Institut Français d’Études Anatoliennes (USR 3131)<br />
Istanbul, 2012
Illustration de couverture : L'épave de Kızılburun transportant huit tambours et un chapiteau destinés à la<br />
colonnade périphérique du temp<strong>le</strong> d'Apollon à Claros (© Don Frey, Institute of Nautical Archaeology)<br />
Ce <strong>volume</strong> a été composé par <strong>le</strong>s soins de l'Institut Français d'Études Anatoliennes Georges Dumézil<br />
©2012, Institut Français d'Études Anatoliennes Georges Dumézil (USR 3131) – Istanbul<br />
ISBN 978-‐2-‐36245-‐006-‐8<br />
Cette œuvre est sous licence Creative Commons. Vous êtes libre de reproduire, de modifier, de<br />
distribuer et de communiquer cette création au public selon <strong>le</strong>s conditions suivantes :<br />
− paternité (BY) : vous devez citer <strong>le</strong> nom de l'auteur original de la manière indiquée par l'auteur<br />
de l'œuvre ou <strong>le</strong> titulaire des droits qui vous confère cette autorisation (mais pas d'une manière qui<br />
suggérerait qu'ils vous soutiennent ou approuvent votre utilisation de l'œuvre) ;<br />
− pas d'utilisation commercia<strong>le</strong> (NC) : vous n'avez pas <strong>le</strong> droit d'utiliser cette création à des fins<br />
commercia<strong>le</strong>s ;<br />
− partage des conditions initia<strong>le</strong>s à l'identique (SA) : si vous modifiez, transformez ou adaptez cette<br />
création, vous n'avez <strong>le</strong> droit de distribuer la création qui en résulte que sous un contrat identique<br />
à celui-ci.<br />
À chaque réutilisation ou distribution de cette création, vous devez faire apparaitre clairement au<br />
public <strong>le</strong>s conditions contractuel<strong>le</strong>s de sa mise à disposition. Chacune de ces conditions peut être<br />
<strong>le</strong>vée si vous obtenez l'autorisation du titulaire des droits sur cette œuvre. Rien dans ce contrat ne<br />
diminue ou ne restreint <strong>le</strong> droit moral de l'auteur
ARCHÉOLOGIES ET ESPACES PARCOURUS<br />
Actes des ‘Premières Rencontres d’Archéologie de l’<strong>IFEA</strong>’,<br />
Istanbul, 11-13 Novembre 2010<br />
édités par<br />
Olivier Henry<br />
Institut Français d’Études Anatoliennes<br />
Istanbul, 2012
SOMMAIRE<br />
Préface 3<br />
N. Seni<br />
Introduction 7<br />
O. Henry<br />
Obsidatabase : Col<strong>le</strong>cter et organiser <strong>le</strong>s données relatives à<br />
l’obsidienne préhistorique au Proche-‐Orient et en Transcaucasie 11<br />
B. Varoutsikos / C. Chataigner<br />
De l’usage de l’architecture domestique dans l’approche<br />
des sociétés protohistoriques : l’exemp<strong>le</strong> de l’Anatolie au Bronze Ancien 23<br />
B. Perello<br />
Tilbeshar, au carrefour d’échanges<br />
entre la vallée de l’Euphrate et la côte méditerranéenne à l’âge du Bronze 35<br />
C. Kepinski<br />
Zeyve höyük-‐Porsuk : Bilan des recherches sur <strong>le</strong>s niveaux du Bronze et du Fer 45<br />
D. Beyer<br />
Du Bronze au Fer : la transition entre deux métallurgies dans<br />
<strong>le</strong>s civilisations antiques d'Anatolie, l’expérimentation comme moyen d’acquisition 58<br />
N. Gailhard<br />
Le théâtre d’Aphrodisias, espace civique et identitaire 73<br />
N. de Chaisemartin<br />
Fouil<strong>le</strong>s et projets de recherche à Sinope 85<br />
D. Kassab Tezgör<br />
Sulusaray / Sebastopolis’te ziyaretçi<strong>le</strong>r için<br />
bir gezi güzergahi oluşturulmasinda ilk adimlar 101<br />
M. Kohl
Le temp<strong>le</strong> de l'orac<strong>le</strong> d'Apollon à Claros 111<br />
J.-Ch. Moretti<br />
Archéologie et histoire en Asie Mineure Méridiona<strong>le</strong> : <strong>le</strong> cas des rues<br />
à colonnades dans <strong>le</strong>s cités grecques et hellénisées de Pamphylie et de Pisidie 129<br />
A.-‐S. Rivalland<br />
Epigraphie et histoire de la Cilicie Trachée 161<br />
E. Goussé<br />
8
PREFACE<br />
Allocution inaugura<strong>le</strong> de Nora Şeni<br />
Directrice de l’<strong>IFEA</strong>,<br />
aux Premières Rencontres d’Archéologie de l’<strong>IFEA</strong><br />
11 novembre 2010<br />
Monsieur l’Ambassadeur,<br />
Monsieur <strong>le</strong> Consul Général,<br />
Chers collègues, chers amis,<br />
Je suis extrêmement heureuse de vous accueillir pour ces premières rencontres de<br />
l’archéologie en Turquie.<br />
Pourquoi premières rencontres ? Non pas parce qu’il n’y aurait pas eu de rencontres<br />
archéologiques auparavant entre chercheurs français en Turquie ou entre chercheurs<br />
turcs et français, mais bien parce que j’ai souhaité que ces rencontres soient organisées<br />
annuel<strong>le</strong>ment afin d'offrir une tribune en Turquie à l'archéologie française et à ses<br />
partenaires turcs. Ces rencontres annuel<strong>le</strong>s ont pour ambition de permettre aux uns et<br />
aux autres de suivre la progression des travaux de <strong>le</strong>urs collègues, de donner à vos<br />
activités la visibilité qu’ils méritent, de favoriser <strong>le</strong> vivier de jeunes chercheurs orientant<br />
<strong>le</strong>urs recherches vers <strong>le</strong> territoire turc. Cette initiative s’inscrit au cœur de la<br />
restructuration des activités de l’<strong>IFEA</strong> autour de trois pô<strong>le</strong>s (archéologie, histoire, études<br />
contemporaines) et j’ai voulu que chaque pô<strong>le</strong> organise désormais des rencontres<br />
annuel<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s mêmes objectifs.<br />
En remettant au centre de ses préoccupations l’archéologie, c’est à dire vos activités, vos<br />
efforts, vos avancées, vos découvertes, l’<strong>IFEA</strong> qui fut fondé en tant qu'institut<br />
d'archéologie voici 80 ans, retrouve une place et un rô<strong>le</strong> centra<strong>le</strong> qui lui sont familiers,<br />
qui lui sont naturels, et je dirai essentiels. Cela consiste certes à animer des recherches<br />
au sein de l’Institut mais aussi à accompagner, à soutenir et à promouvoir vos projets.<br />
Ainsi, je vous demande de ne pas hésiter à prendre contact avec nous (par<br />
l'intermédiaire d'O. Henry) afin que nous puissions voir ensemb<strong>le</strong> comment l’<strong>IFEA</strong> peut<br />
aider, par ses réseaux, son expérience, à faciliter vos travaux actuels et à faire émerger<br />
de nouveaux projets.<br />
Le potentiel, <strong>le</strong>s ressources de l’<strong>IFEA</strong> en archéologie et en histoire de l’art se sont<br />
considérab<strong>le</strong>ment renforcées depuis 2009 : 6 chercheurs travail<strong>le</strong>nt actuel<strong>le</strong>ment à<br />
l’institut dans votre domaine, dont une doctorante et un post-‐doc de l’Université<br />
d’Istanbul. Un programme ANR domicilié à l’<strong>IFEA</strong> est en cours, mené en collaboration<br />
toujours avec l’Université d’Istanbul. Et je suis particulièrement fière d’annoncer, pour<br />
l’année 2010, en plus du numéro annuel de la revue Anatolia Antiqua, cinq publications
4<br />
PRÉFACE<br />
dans la série Varia anatolica, et un ouvrage coédité avec <strong>le</strong>s éditions Kitapyayinevi qui<br />
réunit <strong>le</strong>s traductions en turc des conférences byzantines organisées il y a quelques<br />
années par l’<strong>IFEA</strong>.<br />
Une autre façon pour l’<strong>IFEA</strong> d’accompagner votre travail, d’en accroître la visibilité, de<br />
l’ouvrir aux débats est de <strong>le</strong>s rendre accessib<strong>le</strong>s en publiant sur des archives ouvertes<br />
(ca<strong>le</strong>nda, revues org etc) et/ou sur <strong>le</strong> site de l’<strong>IFEA</strong> vos résultats d’étape, votre work in<br />
progress. Je vous demanderai pour cela de déposer vos rapports et documents d’étape à<br />
l’<strong>IFEA</strong> qui bénéficie, à partir de décembre 2010, des compétences d’une documentaliste<br />
à p<strong>le</strong>in temps. J’ajouterai que l’<strong>IFEA</strong> organise <strong>le</strong> mois prochain pour ses chercheurs une<br />
formation audiovisuel<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>ur permettra de filmer et éventuel<strong>le</strong>ment de réaliser des<br />
documentaires sur <strong>le</strong>urs activités de terrain. Voyez là une compétence supplémentaire<br />
dont vos collègues de l’<strong>IFEA</strong> pourront vous faire bénéficier.<br />
Pour que l'<strong>IFEA</strong> préserve la mémoire de votre travail passé et futur, pour que vous<br />
participiez à la construction matériel<strong>le</strong> de cette mémoire il est aussi important que vous<br />
déposiez à la bibliothèque de l’Institut copies de vos archives passées et à venir<br />
(rapports d'activité, photos de terrain, etc.). Ces archives, qui seront bien entendu<br />
protégées, permettront aux générations futures de prendre connaissance, en détail, des<br />
travaux menés par <strong>le</strong>urs aînés.<br />
Ces générations futures nous devons, nous tous, <strong>le</strong>s aider à voir <strong>le</strong> jour en essayant de<br />
redynamiser <strong>le</strong> vivier des jeunes chercheurs, archéologues, historiens, historiens de l'art,<br />
en Turquie. C'est, je crois, en associant nos forces, nos expériences et nos ressources que<br />
nous arriverons à développer ce vivier qui est absolument vital à la recherche française.<br />
Ces questions nous <strong>le</strong>s aborderons ensemb<strong>le</strong> et je viendrai <strong>le</strong> faire avec vous ce samedi à<br />
partir de 14:30h au cours des rencontres institutionnel<strong>le</strong>s qui se tiendront dans <strong>le</strong>s<br />
locaux de l'<strong>IFEA</strong>.<br />
Je dirai pour conclure, nous <strong>le</strong> savons tous, <strong>le</strong>s conditions de la recherche sont en p<strong>le</strong>ine<br />
mutation, el<strong>le</strong>s n’en finissent pas de se transformer. Nous <strong>le</strong>s percevons à travers <strong>le</strong>s<br />
coupes budgétaires qui nous affligent, <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s méthodes d’évaluation, <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s<br />
rég<strong>le</strong>mentations qui encadrent nos activités. Mais il n’y a pas que ces aspects qui<br />
changent. L’époque est révolue où l’on faisait ses recherches dit de « terrain à<br />
l’étranger » (à l’international) – que ce soit en histoire, en sociologie ou en archéologie –<br />
comme on fait son marché, comme on remplit son panier et s’en revient, en toute<br />
indifférence pour l’environnement local et sans rien lui devoir. Cette époque là est<br />
derrière nous. Cela tient aussi à l’histoire et à la façon qu’a eu l’archéologie de se<br />
développer. Quant à « l’indifférence » dont je parlais je voudrais, pour illustrer mon<br />
propos, vous faire part d’une découverte qui m’a surprise cette année. Je consultais <strong>le</strong>s<br />
notices des membres de l’Académie des Inscriptions et Bel<strong>le</strong>s-Lettres et j’ai remarqué que<br />
cel<strong>le</strong> rédigée pour Louis Robert, grande figure, « icône » comme vous <strong>le</strong> savez de<br />
l’érudition en histoire de l’antiquité, qui a fondé sa gigantesque œuvre sur ses travaux en<br />
Anatolie et directeur de l’<strong>IFEA</strong> pendant huit ans, j’ai remarqué donc que cette notice ne<br />
mentionnait à aucun moment <strong>le</strong>s vocab<strong>le</strong>s Turquie, Istanbul ou Institut français<br />
d’archéologie d’Istanbul (ancêtre de l’<strong>IFEA</strong>). Certes Louis Robert avait fouillé en « Asie
ŞENI<br />
mineure »… Un peu comme si l’on disait que tel archéologue contemporain travail<strong>le</strong> sur<br />
Lutèce et vit non pas à Paris, non pas en France mais en Gau<strong>le</strong>.<br />
Pour revenir à la mutation des conditions de la recherche, autant dans <strong>le</strong>s sciences<br />
humaines qu’en archéologie, il faut bien comprendre que la figure du chercheur qui<br />
vient travail<strong>le</strong>r en Turquie, année après année, pendant des décennies, sans élargir ses<br />
réseaux de partenaires, sans échanges scientifiques avec <strong>le</strong>s universitaires et<br />
conservateurs des musées turcs, sans collaborations éditoria<strong>le</strong>s avec eux, et sans<br />
apprendre un mot de turc cette figure là appartient au passé. J’ai une phrase, une espèce<br />
de motto pour exprimer ma position en ce domaine et je demande pardon à ceux qui<br />
m’ont déjà entendu l’énoncer : Nous ne travaillons pas SUR la Turquie nous travaillons<br />
AVEC la Turquie.<br />
Je vous souhaite de très féconds travaux pour ces Rencontres.<br />
5
6<br />
PRÉFACE
INTRODUCTION<br />
Olivier Henry<br />
Pensionnaire scientifique archéologue<br />
<strong>IFEA</strong> Istanbul<br />
olivierhnry@gmail.com<br />
Les ‘Rencontres d’Archéologie de l’<strong>IFEA</strong>’ ont une doub<strong>le</strong> vocation : remettre<br />
l’archéologie au cœur des préoccupations de l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes et<br />
offrir à l’archéologie française en Turquie, dont on verra <strong>le</strong> dynamisme dans <strong>le</strong>s pages<br />
qui suivent, une tribune digne de son statut. Tel est l’état d’esprit qui a présidé à<br />
l’organisation, en 2010, de la première de ces rencontres, qui ont pour ambition de<br />
devenir un rendez-‐vous annuel 1 .<br />
Mais, avant d’entamer un cyc<strong>le</strong> de colloques internationaux destinés à mettre en va<strong>le</strong>ur<br />
l’archéologie française, il nous a semblé nécessaire de procéder à un état des lieux. C’est<br />
pourquoi nous avons choisi de réunir, dans <strong>le</strong> cadre des premières Rencontres, qui se<br />
tinrent à Istanbul du 11 au 13 novembre 2010, sinon l’ensemb<strong>le</strong>, du moins une grande<br />
partie des acteurs français de cette archéologie ‘turque’ autour du thème :<br />
Archéologies et espaces parcourus. Le pluriel est important, car il témoigne des chemins<br />
empruntés et de l’étendue territoria<strong>le</strong> couverte depuis <strong>le</strong>s premières fouil<strong>le</strong>s françaises<br />
menées sur <strong>le</strong> sol turc. Le programme et <strong>le</strong>s contributions qui suivent révè<strong>le</strong>nt une<br />
archéologie anatolienne qui s’entend dans l’acception la plus large du terme, une<br />
archéologie qui s’étend du monde égéen aux hauts plateaux centraux et orientaux et qui<br />
couvre <strong>le</strong>s périodes de la préhistoire à Byzance. Une archéologie riche, ou plutôt des<br />
archéologies, car ce domaine qui ne cesse de se transformer et d’évoluer est exigeant.<br />
Non seu<strong>le</strong>ment la spécialisation est aujourd’hui un pré-‐requis pour qui veut intervenir<br />
sur <strong>le</strong> terrain, mais nos chercheurs se montrent, ici encore, à l’avant-‐garde des derniers<br />
développements techniques, sans pour autant abandonner <strong>le</strong>s matières traditionnel<strong>le</strong>s<br />
que sont l’épigraphie, la numismatique ou encore l’architecture, qui ont fait la réputation<br />
de l’archéologie française.<br />
C’est sans doute cette large pa<strong>le</strong>tte de compétences qui vaut à nos spécialistes d’être<br />
invités à participer à de nombreux projets internationaux. Cet esprit de collaboration est<br />
du reste éga<strong>le</strong>ment une des spécificités de l’archéologie française. Certes, des esprits<br />
chagrins y verront une dilution de nos compétences, au détriment notamment du<br />
développement de grandes fouil<strong>le</strong>s nationa<strong>le</strong>s et d’une certaine visibilité. Mais il est clair<br />
que l’archéologie actuel<strong>le</strong> n’a plus rien à voir avec cel<strong>le</strong> que nos aînés faisaient il y encore<br />
vingt ans. La mondialisation n’épargne pas nos disciplines ; il s’agit aujourd’hui de<br />
travail<strong>le</strong>r dans un esprit d’échanges et d’enrichissements mutuels, qu’ils soient humains<br />
ou scientifiques. Quels que soient <strong>le</strong>s paramètres que l’on invoque, l’archéologie actuel<strong>le</strong><br />
se doit d’être aussi une archéologie de l’intégration, scientifique, économique, politique<br />
et culturel<strong>le</strong>.<br />
Ces notions, la plupart des archéologues français <strong>le</strong>s ont intégrées depuis bien<br />
1 Les ‘Rencontres 2011’ se sont tenues du 14 au 15 novembre 2011 et portaient sur <strong>le</strong>s Pratiques, contextes et<br />
impacts des inhumations intra-muros en Anatolie, du début de l’Age du Bronze à l’époque romaine.
8<br />
INTRODUCTION<br />
longtemps. À preuve, <strong>le</strong> succès de ces premières rencontres, qu’il nous a fallu prolonger<br />
d’une journée pour répondre à l’afflux des propositions qui ont suivi notre appel à<br />
contributions, afflux qui nous a surpris et ravis. De Harvard à Ankara, en passant par<br />
Uppsala, Paris, et Istanbul, nombreux sont <strong>le</strong>s archéologues, français ou associés à des<br />
Français, qui ont répondu présents à ces premières rencontres.<br />
Le nombre des contributions publiées ici peut paraître relativement réduit en regard des<br />
trente-‐trois communications qui furent présentées lors des ‘Rencontres’. Ce déséquilibre<br />
est dû au principe même de ces dernières, qui visaient à faire connaître des travaux en<br />
cours et n’avaient donc pas forcément vocation à être publiées en l’état. Par gratitude<br />
envers ceux qui y ont participé et afin de faire connaître l’ensemb<strong>le</strong> des intervenants, je<br />
me permets néanmoins de reproduire ci-‐dessous la liste des communications tel<strong>le</strong><br />
qu’el<strong>le</strong> apparaissait dans <strong>le</strong> programme :<br />
Mehmet Korhan Erturaç (Univ. technique d’Istanbul), Catherine Kuzucuoğlu (CNRS<br />
UMR 8591), Damase Mouralis (Univ. de Rouen)<br />
Le Göllüdağ : Histoire d’un volcan et de ses rapports avec <strong>le</strong>s sociétés préhistoriques<br />
de Cappadoce.<br />
Christine Chataigner (CNRS UMR 5133) et Bastien Varoutsikos (Univ. de Harvard)<br />
Col<strong>le</strong>cting and organizing data on Prehistoric Near Eastern Obsidian.<br />
Elizabeth Hea<strong>le</strong>y (Univ. de Manchester), Laurence Astruc (<strong>IFEA</strong>, CNRS), Roberto<br />
Vargiolu (LTDS, Eco<strong>le</strong> Centra<strong>le</strong> de Lyon), Mohamed Ben Tkaya (LTDS, Eco<strong>le</strong><br />
Centra<strong>le</strong> de Lyon), Athina Bo<strong>le</strong>ti (ArScan, UMR 7041, Nanterre), Stuart Campbell<br />
(Univ. de Manchester)<br />
Shiny, colorful and valuab<strong>le</strong> Obsidian non-utilitarian objects: technical inputs and<br />
social implications.<br />
Marie Le Mière (CNRS UMR 5133)<br />
Circulation des premières céramiques d'Anatolie orienta<strong>le</strong>.<br />
Martin Godon (TÜBITAK, <strong>IFEA</strong>), Erhan Bıçakçı (Univ. d'Istanbul)<br />
Les fouil<strong>le</strong>s de Tepecik-Çiftlik. Vers une redéfinition du Néolithique centro-anatolien.<br />
Rozalia Christidou (American School of Classical Studies at Athens)<br />
Study of manufacturing and use damage on the bone artifacts from Aşıklı/Musular<br />
and Güvercinkayası in Cappadocia.<br />
Catherine Kuzucuoğlu (CNRS UMR 8591)<br />
Phases climatiques, ‘événements brutaux' et transitions culturel<strong>le</strong>s depuis 6000 ans<br />
en Anatolie centra<strong>le</strong>. Apports à haute résolution de la séquence du Lac de Tecer<br />
(Sivas).<br />
Catherine Marro (CNRS UMR 5133)<br />
Recherches archéologiques sur la mine de sel de Duzdağı.<br />
Bérengère Perello (Univ. de Paris 1 Panthéon-‐Sorbonne)<br />
De l’usage de l’architecture domestique dans l’approche des sociétés<br />
protohistoriques : l’exemp<strong>le</strong> de l’Anatolie au Bronze Ancien.
HENRY<br />
Christine Kepinski (CNRS UMR 7041)<br />
Tilbeshar au carrefour d’échanges entre la vallée de l’Euphrate et la côte<br />
méditerranéenne.<br />
Eric Jean (Univ. de Galatasaray), Isabella Caneva (Univ. de Lecce)<br />
Terre de frontières : Mersin-Yumuktepe du néolithique à l'âge du Bronze récent<br />
Dominique Beyer (Univ. de Strasbourg), Aksel Tibet (<strong>IFEA</strong>)<br />
Zeyve höyük-Porsuk : bilan des recherches sur <strong>le</strong>s niveaux du Bronze et du Fer<br />
Nicolas Gailhard (Univ. de Paris 1 Panthéon-‐Sorbonne)<br />
Du Bronze au Fer, la transition entre deux métallurgies dans <strong>le</strong>s civilisations antiques<br />
d'Anatolie, l’expérimentation comme moyen d’acquisition.<br />
Stéphane Verger (EPHE UMR 8546)<br />
Les objets métalliques de Klaros issus des fouil<strong>le</strong>s de 1988-1997<br />
Rossella Pace (Université de la Calabre, Histara-‐EPHE)<br />
À la périphérie des recherches sur la Grèce de l’Est : l’Éolide archaïque et ses<br />
nécropo<strong>le</strong>s.<br />
Olivier Henry (<strong>IFEA</strong>), Lars Karlsson (Univ. Uppsala)<br />
Espace sacré, espace funéraire : une particularité carienne.<br />
Damien Aubriet (Collège de France)<br />
Recherches sur Mylasa et ses sanctuaires extra-urbains à l’époque hellénistique.<br />
Nathalie De Chaisemartin (Univ. de Paris Sorbonne)<br />
Le théâtre d'Aphrodisias, espace civique et identitaire.<br />
Askold Ivantchik (CNRS UMR 5607), A<strong>le</strong>xander von Kienlin (Univ. de Zurich), Latife<br />
Summerer (Univ. de Munich)<br />
Kélainai – Apamée Kibôtos. Trois ans de recherches.<br />
Dominique Kassab Tezgör (Univ. de Bilkent)<br />
Les amphores de Mer Noire : fouil<strong>le</strong> d'un atelier amphorique à Sinope et constitution<br />
d'un corpus.<br />
Claire Barat (Univ. de Va<strong>le</strong>nciennes), Jean-‐Francois Pichonneau (DRAC Aquitaine)<br />
Le projet Sinope : histoire et archéologie d’une cité des rives de la mer Noire<br />
Markus Kohl (Univ. de Lil<strong>le</strong> 3)<br />
Sulusaray : Premiers éléments d’un parcours de visite.<br />
Jacques des Courtils (Univ. de Bordeaux 3)<br />
La fouil<strong>le</strong> de Xanthos : entre archéologie et patrimoine<br />
Laurence Cavalier (Univ. de Bordeaux 3)<br />
Retour au Létôon<br />
9
10<br />
INTRODUCTION<br />
Laurence Cavalier (Univ. de Bordeaux 3), Serdar Hakan Öztaner (Univ. d’Ankara)<br />
Le monument des Arruntii : nouvel<strong>le</strong>s données<br />
Raymond Descat (Univ. de Bordeaux 3, <strong>IFEA</strong>)<br />
Les parfums de Carie. Interprétation d’une énigme archéologique<br />
Didier Laroche (Univ. de Strasbourg), Jean-‐Char<strong>le</strong>s Moretti (CNRS USR 3155)<br />
Le temp<strong>le</strong> oraculaire d'Apollon à Claros.<br />
Mehmet Kürkçü (Univ. de Paris Sorbonne)<br />
Les aménagements hydrauliques de Termessos.<br />
Anne-‐Sophie Rivalland (Univ. de Nantes)<br />
L’Asie Mineure méridiona<strong>le</strong> à l’époque gréco-romaine : approche de l’histoire de la<br />
Pamphylie-Pisidie à travers l’étude urbanistique et architectura<strong>le</strong> des sites.<br />
Isabel<strong>le</strong> Pimouguet-‐Pédarros (Univ. de Nantes)<br />
Le système défensif de Myra-Andriaké en Lycie (fortifications et défense du<br />
territoire).<br />
Emmanuel<strong>le</strong> Goussé<br />
Epigraphie et histoire de la Cilicie Trachée (4 e sièc<strong>le</strong> aC - 4 e sièc<strong>le</strong> pC).<br />
Hatice Pamir (Univ. de Hatay)<br />
A Central Space of Antioch on the Orontes: the 2010 campaign results in the island.<br />
Catherine Abadie-‐Reynal (Univ. de Nancy)<br />
Zeugma et l'Italie (1 er s. aC – 3 e s. pC)<br />
Anaïs Lamesa (EPHE, <strong>IFEA</strong>)<br />
Parcourir un espace pour étudier un mode de vie : L’archéologie des techniques,<br />
instrument pour examiner <strong>le</strong> comportement troglodytique en Cappadoce rupestre.<br />
L’organisation du présent <strong>volume</strong>, qui inaugure aussi <strong>le</strong>s publications é<strong>le</strong>ctroniques de<br />
l’<strong>IFEA</strong>, suit <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment des communications tel qu’il est donné ci-‐dessus.<br />
Enfin, je me dois de remercier ici non seu<strong>le</strong>ment l’entreprise TOTAL Turquie et son<br />
directeur général, Olivier Chalvon-‐Demersay, dont <strong>le</strong> soutien financier a été décisif pour<br />
l’organisation de ces rencontres, mais aussi Isabel<strong>le</strong> Gil<strong>le</strong>s, documentaliste à l’<strong>IFEA</strong>, qui<br />
n’a pas épargné sa peine en travaillant à la mise en page de ce <strong>volume</strong>.
OBSIDATABASE : COLLECTER ET ORGANISER LES DONNEES<br />
RELATIVES A L’OBSIDIENNE PREHISTORIQUE AU PROCHE-‐<br />
ORIENT ET EN TRANSCAUCASIE<br />
Bastien Varoutsikos<br />
Harvard University<br />
bvarouts@fas.harvard.edu<br />
et<br />
Christine Chataigner<br />
Archéorient, CNRS UMR 5133<br />
christine.chataigner@mom.fr<br />
Résumé : L’étude du « phénomène obsidienne » a depuis longtemps permis d’aborder <strong>le</strong>s interactions<br />
entre groupes géographiquement et culturel<strong>le</strong>ment distants. L’accumulation des données concernant<br />
l’obsidienne préhistorique au Proche-‐Orient et en Transcaucasie et <strong>le</strong> développement de nouvel<strong>le</strong>s<br />
techniques de caractérisation physico-‐chimiques ont permis la création d’une quantité considérab<strong>le</strong><br />
d’informations de natures diverses. Obsidatabase est un projet permettant la col<strong>le</strong>cte et consultation de<br />
données géologiques, géochimiques et archéologiques liées à l’obsidienne préhistorique dans cette région,<br />
facilitant l’accès et <strong>le</strong> partage des informations, ainsi que <strong>le</strong>ur exportation vers des Systèmes d’Information<br />
Géographique.<br />
Mots clés : obsidienne ; base de données ; Proche-‐Orient ; Levant ; Transcaucasie ; SIG<br />
Abstract: The study of the phenomenon "obsidian" has long made possib<strong>le</strong> to address the interactions<br />
between geographically and culturally distant groups. The accumulations of data concerning the<br />
prehistoric obsidian in the Midd<strong>le</strong> East and Transcaucasia, as well as the development of new techniques<br />
for physicochemical characterization have created a considerab<strong>le</strong> and very diverse amount of information.<br />
Obsidatabase is a project for col<strong>le</strong>cting and consulting geological, geochemical and archaeological data<br />
related to prehistoric obsidian in this region, facilitating access and sharing of information, and their<br />
export to Geographic Information Systems.<br />
Keywords: obsidian, database, Midd<strong>le</strong> East, Levant, Transcaucasia, GIS<br />
La participation à cette conférence a été rendue possib<strong>le</strong> par l’obtention de bourses attribuées par <strong>le</strong><br />
Graduate Student Council ainsi que <strong>le</strong> Harvard University Anthropology Department.<br />
11
12<br />
VAROUTSIKOS -‐ CHATAIGNER
ela fait maintenant plus de 150 ans<br />
que <strong>le</strong>s premiers travaux sur <strong>le</strong>s<br />
sites de la vallée du Mississipi<br />
mirent en va<strong>le</strong>ur <strong>le</strong> potentiel et la<br />
capacité de l’obsidienne à nous informer<br />
sur la provenance des matériaux<br />
archéologiques1 . Dès lors, il ne s’agit<br />
plus que de développer, parallè<strong>le</strong>ment<br />
aux innovations technologiques, des<br />
cadres méthodologiques d’application et<br />
d’étude des résultats. Le succès de<br />
l’obsidienne dans l’étude archéologique<br />
des réseaux de distribution est à<br />
rattacher à plusieurs de ses<br />
caractéristiques, tel<strong>le</strong>s que ses<br />
propriétés visuel<strong>le</strong>s et clastiques, qui en<br />
font un matériau particulièrement<br />
adapté à la production d’outils, et ses<br />
propriétés géologiques qui rendent ce<br />
verre volcanique faci<strong>le</strong>ment identifiab<strong>le</strong><br />
par plusieurs techniques de<br />
caractérisation (INAA, XRF, ICP-‐MS,<br />
OED), fournissant ainsi aux<br />
archéologues un proxy commode pour<br />
l’étude et la modélisation de réseaux<br />
d’échanges de matière première.<br />
L’étude de la diffusion de l’obsidienne<br />
tel<strong>le</strong> que nous la connaissons<br />
aujourd’hui est <strong>le</strong> fait de la combinaison<br />
d’approches géologiques, géochimiques<br />
et d’une application archéologique.<br />
L’approche géologique permet de définir<br />
l’origine d’une matière première au sein<br />
d’un comp<strong>le</strong>xe géologique. Les analyses<br />
géochimiques permettent par la suite<br />
d’extraire la signature physico-‐chimique<br />
de chaque source, signature qui permet<br />
d’attribuer une origine aux obsidiennes<br />
trouvées en contexte archéologique. Ces<br />
approches nous paraissent maintenant<br />
indissociab<strong>le</strong>s et parties intégrantes<br />
d’une méthodologie pluridisciplinaire2 C<br />
.<br />
Les recherches actuel<strong>le</strong>s se poursuivent<br />
dans une dynamique similaire. Le travail<br />
effectué par Tykot, Glascock, Poupeau,<br />
1<br />
Voir Squier/Davis 1848 ; Hamilton 1842 ; Cauvin<br />
et al. 1998.<br />
2<br />
Cann/Renfrew 1964 ; Wright 1969 ; Cauvin et al.<br />
1998.<br />
OBSIDATABASE<br />
Gratuze, Blackman, Kel<strong>le</strong>r, Yellin, ou<br />
encore Pernicka 3 , parmi d’autres, est<br />
venu enrichir une col<strong>le</strong>ction de données<br />
géologiques, géo-‐chimiques et archéo-‐<br />
logiques. La systématisation de cette<br />
méthodologie a ainsi conduit à la<br />
production d’une quantité considérab<strong>le</strong><br />
de données depuis <strong>le</strong>s 50 dernières<br />
années, une masse d’informations qui<br />
n’a pas encore été organisée en entité<br />
cohérente, col<strong>le</strong>ctive et dynamique, ce<br />
que <strong>le</strong> projet Obsidatabase tente de faire.<br />
Cette présentation vise à introduire<br />
l’organisation de la base de données<br />
Obsidatabase, à en exposer <strong>le</strong>s<br />
fondements, <strong>le</strong> fonctionnement et <strong>le</strong>s<br />
applications directes. Après une courte<br />
introduction sur l’historique de la base<br />
de données en archéologie, nous<br />
présenterons l’origine d’Obsidatabase,<br />
quelques étapes de la réalisation du site,<br />
ainsi que <strong>le</strong>s principes fondamentaux<br />
qui <strong>le</strong> dirigent. Nous présenterons enfin<br />
<strong>le</strong>s différentes fonctions du site ainsi que<br />
<strong>le</strong>s résultats qui peuvent être attendus<br />
d’une tel<strong>le</strong> base de données.<br />
Archéologie et base de données<br />
Base de données archéologiques<br />
La création de Base de Données<br />
In-‐ternet (IDB) relève d’un phénomène<br />
plus général concernant <strong>le</strong> partage des<br />
données scientifiques en ligne et plus<br />
particulièrement de l’utilisation des ICT<br />
(Information and Communication<br />
Technology) 4 . Parallè<strong>le</strong>ment à la<br />
démocratisation de l’Internet à la fin des<br />
années 1980, <strong>le</strong> monde académique<br />
subit une modification de ses pratiques.<br />
Les créations des IDB et la mise en ligne<br />
des données amènent à une standar-‐<br />
3 Blackman 1984 ; Yellin 1995 ; Kel<strong>le</strong>r/Seifried<br />
1990 ; Kel<strong>le</strong>r et al. 1996 ; Pernicka et al. 1997 ;<br />
Blackman et al. 1998 ; Gratuze 1998 ; Poupeau et<br />
al.1998 ; Tykot 2004.<br />
4 Schröder 2003.<br />
13
disation nécessaire à l’élaboration d’un<br />
outil informatique performant et à la<br />
systématisation du partage. Si cette<br />
démocratisation comporte des risques,<br />
tant sur <strong>le</strong> plan épistémologique que<br />
pratique, <strong>le</strong> calcul demeure simp<strong>le</strong> :<br />
« the more data are used, the more they<br />
will produce » 5 . Ainsi, à l’heure où<br />
l’évolution des capacités des outils<br />
informatiques est exponentiel<strong>le</strong>, seul <strong>le</strong><br />
chercheur impose une limite à ce<br />
partage 6 .<br />
L’adaptation des IDB au domaine de<br />
l’archéologie est encore en cours de<br />
réalisation. De nombreux projets<br />
importants ont vu <strong>le</strong> jour, dans de<br />
nombreuses disciplines tel<strong>le</strong>s que<br />
l’archéobotanique (Archaeobotanical<br />
Data-base 7 , hébergée par l’Université de<br />
Tübingen), <strong>le</strong>s datations radiocarbones<br />
(OxCal de l’Université Oxford 8 , CaNew<br />
Project 9 , Radiocarbon Context Database<br />
de l’Université de Cologne 10 ), l’archéo-‐<br />
zoologie (Inventaire Zooarchéologique de<br />
France hébergé par <strong>le</strong> MNHN).<br />
Rassemb<strong>le</strong>ment des données sur<br />
l’obsidienne préhistorique au<br />
Proche-‐Orient<br />
Si quelques projets ont tenté de<br />
rassemb<strong>le</strong>r dans une dynamique pluri-‐<br />
disciplinaire des données sur<br />
l’obsidienne préhistorique au Proche-‐<br />
Orient, il ne s’agit très souvent que<br />
d’informations concernant <strong>le</strong><br />
positionnement approximatif des<br />
sources, ou <strong>le</strong>s résultats d’analyses<br />
physico-‐chimiques ponctuel<strong>le</strong>s. Un tel<br />
5 Schröder 2003.<br />
6 Sterling/Weinkman 1990 ; Wouters/Reddy 2003.<br />
7 http://www.cuminum.de/archaeobotany/<br />
8<br />
http://c14.arch.ox.ac.uk/embed.php?Fi<strong>le</strong>=oxcal.htm<br />
l<br />
9 http://www.canew.org/<br />
10 http://context-database.uni-koeln.de/<br />
14<br />
VAROUTSIKOS -‐ CHATAIGNER<br />
projet a été dirigé par Marie-‐Claire<br />
Cauvin et Christine Chataigner dans <strong>le</strong>s<br />
années 90 et a notamment donné lieu à<br />
une publication 11 .<br />
Le premier impératif était donc<br />
d’organiser et d’enrichir l’ensemb<strong>le</strong> des<br />
données recueillies au cours de ce<br />
projet, combinant archéologie et<br />
géologie afin d’aborder la question de<br />
l’obsidienne préhistorique au Proche-‐<br />
Orient sous tous ses ang<strong>le</strong>s. Considérant<br />
la nature des données recueillies, la base<br />
est organisée suivant deux axes<br />
principaux : d’une part, <strong>le</strong>s données<br />
géologiques, et d’autres part <strong>le</strong>s données<br />
archéologiques, nous y reviendrons<br />
ultérieurement.<br />
Transformation vers la base de<br />
données Internet (IDB)<br />
L’étape suivante consiste donc en<br />
la création d’une base de données<br />
accessib<strong>le</strong> sur internet. Au-‐delà du<br />
simp<strong>le</strong> chargement de données en ligne,<br />
la création d’une IDB requiert<br />
l’élaboration d’une organisation et une<br />
structure informatique appropriée et<br />
adaptée aux particularités de la base de<br />
données. Cette étape fut donc élaborée<br />
suivant plusieurs axes :<br />
- Consultation de données archéo-‐<br />
logiques et géologiques ;<br />
- Développement d’un moteur de<br />
recherche permettant la recherche<br />
de sites archéologiques par aire<br />
géographique, pays, période chro-‐<br />
nologique, et/ou nature de<br />
l’obsidienne qui y a été mise au<br />
jour ;<br />
- Système d’acquisition et de partage<br />
des données pour une collaboration<br />
entre chercheurs ;<br />
- Consultation de différents types<br />
d’informations (images, cartes,<br />
tab<strong>le</strong>aux).<br />
11 Cauvin et al. 1998.
C’est à partir de ces 4 axes que la<br />
structure de la base de données a été<br />
pensée, afin de permettre la col<strong>le</strong>cte<br />
systématique et <strong>le</strong> partage d’un<br />
maximum de données, ainsi que<br />
l’exploitation de ces informations à<br />
partir du site même.<br />
Création de la base de données<br />
Organisation du site<br />
Obsidatabase organise des<br />
données archéologiques et géologiques<br />
provenant d’un territoire s’étendant de<br />
la Turquie occidenta<strong>le</strong> jusqu’à l’Iran, et<br />
couvrant une période chronologique<br />
comprise entre <strong>le</strong> Paléolithique<br />
Supérieur et <strong>le</strong> Bronze ancien.<br />
Dans un premier temps, <strong>le</strong>s données<br />
col<strong>le</strong>ctées et déjà accessib<strong>le</strong>s ont été<br />
organisées. Dans la partie Geology du<br />
site, des informations concernant <strong>le</strong>s<br />
sources d’obsidienne sont présentées<br />
sous forme de fiches. Trois niveaux sont<br />
accessib<strong>le</strong>s : aires géographiques,<br />
groupes géo-‐chimiques et aff<strong>le</strong>urement<br />
(outcrops). Pour chaque groupe<br />
géochimique est présentée une carte<br />
géologique ainsi que <strong>le</strong> détail des<br />
caractérisations physico-‐chimiques qui<br />
ont été réalisées sur <strong>le</strong>s différents<br />
aff<strong>le</strong>urements, l’utilisation en contexte<br />
archéologique, et la bibliographie liée.<br />
Dans la partie Archaeological site de la<br />
base de données, une fiche est créée<br />
pour chaque site archéologique. Cette<br />
fiche est accessib<strong>le</strong> par <strong>le</strong> biais d’un<br />
moteur de recherche permettant de<br />
rechercher soit un site unique, soit une<br />
catégorie de site, catégorie basée sur la<br />
répartition géographique, chronologique<br />
et/ou l’origine de l’obsidienne qui y a été<br />
identifiée. Ce moteur de recherche a été<br />
créé de manière à pouvoir exporter ces<br />
groupes de sites archéologiques sur<br />
logiciel SIG, chaque site étant géo-‐<br />
OBSIDATABASE<br />
référencé, facilitant ainsi <strong>le</strong>s analyses de<br />
‘cheminements de moindre coût’, ou<br />
‘<strong>le</strong>ast-cost path analysis’ 12 . Ayant<br />
sé<strong>le</strong>ctionné un site archéologique<br />
particulier, une fiche apparaît. Chaque<br />
fiche compi<strong>le</strong> différents types<br />
d’information. Un tab<strong>le</strong>au précise <strong>le</strong>s<br />
différents noms du site, ses coordonnées<br />
géographiques (long., lat., alt.), la<br />
stratigraphie, la chronologie, la<br />
localisation et la quantité des<br />
obsidiennes qui y ont été mises au jour,<br />
ainsi que <strong>le</strong>urs caractérisations physico-‐<br />
chimiques, lorsqu’el<strong>le</strong>s existent.<br />
Enfin, une liste de références<br />
bibliographiques relatives au site et aux<br />
analyses d’obsidienne est éga<strong>le</strong>ment<br />
détaillée.<br />
Dans un second temps, <strong>le</strong> projet<br />
Obsidatabase vise à créer une<br />
plateforme d’échange pour <strong>le</strong>s<br />
chercheurs impliqués dans la recherche<br />
sur l’obsidienne préhistorique du<br />
Proche-‐Orient. Une section du site est<br />
ainsi consacrée au partage des données<br />
géologiques et archéologiques, sous<br />
différentes formes (tab<strong>le</strong>urs Excel,<br />
images, fichiers texte, etc.). Des comptes<br />
peuvent être créés, et la totalité des<br />
informations envoyées transiteront<br />
alors par <strong>le</strong>s administrateurs du site qui<br />
<strong>le</strong>s valideront et <strong>le</strong>s inséreront dans la<br />
base. D’autres collaborateurs peuvent,<br />
avec <strong>le</strong> temps, être ajoutés à ce<br />
processus. La pertinence de cette option<br />
ne dépend que de la volonté des<br />
chercheurs à l’utiliser et à diffuser <strong>le</strong>urs<br />
résultats.<br />
Standardisation des données<br />
Afin de présenter un groupe<br />
cohérent de données et d’améliorer <strong>le</strong>s<br />
capacités du moteur de recherche, une<br />
12 Chataigner/Barge 2005.<br />
15
standardisation des données a été<br />
effectuée.<br />
Les attributions chronologiques ont<br />
été ‘normalisées’ et basées sur <strong>le</strong><br />
système utilisé dans la base de données<br />
ASPRO de la Maison de l’Orient et de la<br />
Méditerranée (CNRS) 13 . La périodisation<br />
a été actualisée en fonction de la<br />
chronologie plus récente de Schwartz et<br />
Akkermans 14 . Le résultat basé sur une<br />
numérotation de 1 à 11 permet à<br />
l’utilisateur de cib<strong>le</strong>r plus précisément<br />
certaines périodes étudiées, et facilite<br />
considérab<strong>le</strong>ment l’organisation de la<br />
base de données et <strong>le</strong>s recherches.<br />
Sur <strong>le</strong> même modè<strong>le</strong>, une division<br />
géographique, éga<strong>le</strong>ment adaptée à<br />
partir d’ASPRO, permet de standardiser<br />
<strong>le</strong>s zones que l’utilisateur désire<br />
rechercher. La division de certains<br />
espaces, pourtant culturel<strong>le</strong>ment<br />
homogènes, est un exemp<strong>le</strong> des choix et<br />
partis pris qui ont dû être opérés tout au<br />
long de la réalisation de ce site. Ces<br />
choix trouvent <strong>le</strong>ur justification soit<br />
dans la littérature, soit dans <strong>le</strong>s<br />
impératifs techniques de la<br />
programmation informatique. La<br />
standardisation du système chrono-‐<br />
logique et des aires géographiques<br />
permet ainsi d’optimiser <strong>le</strong>s capacités<br />
du moteur de recherche.<br />
Applications et caractéristiques<br />
d’Obsidatabase<br />
Application à l’étude de la<br />
distribution de l’obsidienne<br />
La constitution d’une base de<br />
données sur l’obsidienne permet avant<br />
tout à l’utilisateur de disposer d’un<br />
référentiel de comparaison. Ainsi, la<br />
mise à disposition de la quasi-‐totalité<br />
des résultats publiés sur la<br />
13 http://www.mom.fr/-Bases-de-donnees-.html<br />
14 Akkermans/Schwartz 2003.<br />
16<br />
VAROUTSIKOS -‐ CHATAIGNER<br />
caractérisation d’échantillons géolo-‐<br />
giques d’obsidiennes du Proche-‐Orient<br />
permet à l’utilisateur, par <strong>le</strong> biais de<br />
diagrammes simp<strong>le</strong>s, d’identifier<br />
l’origine de nouveaux échantillons<br />
archéologiques. Avec la participation<br />
des chercheurs eux-‐mêmes, il sera<br />
possib<strong>le</strong> d’enrichir <strong>le</strong>s données<br />
archéologiques et géologiques de la<br />
base.<br />
Le potentiel de ce site pour <strong>le</strong>s<br />
études de distribution a été abordé<br />
antérieurement dans cet artic<strong>le</strong>. Nous<br />
présentons ici comment <strong>le</strong>s différents<br />
outils permettent de systématiser<br />
l’étude des coûts liés à la distribution de<br />
cette matière première entre sources<br />
géologiques et sites archéologiques. Une<br />
analyse de type ‘moindre coût’ permet<br />
donc de dépasser une étude considérant<br />
simp<strong>le</strong>ment une distance linéaire<br />
directe, et de regarder <strong>le</strong>s cheminements<br />
<strong>le</strong>s plus courts en prenant en compte des<br />
paramètres environnementaux et<br />
culturels. Ce type d’étude permet<br />
notamment de connaître <strong>le</strong>s trajets<br />
possib<strong>le</strong>s entre deux points (source<br />
d’obsidienne et site archéologique),<br />
ainsi que <strong>le</strong>s temps mis pour <strong>le</strong>s<br />
parcourir. Une requête effectuée dans<br />
Obsidatabase fournit une liste de sites<br />
archéologiques, sé<strong>le</strong>ctionnés par région,<br />
attribution chronologique ou origine des<br />
échantillons d’obsidienne, chaque site<br />
étant géo-‐référencé. Cette liste peut<br />
alors être directement exportée sur un<br />
logiciel tel qu’ArcGIS (ESRI).<br />
Résultats et développements<br />
Obsidatabase est un projet en<br />
cours de réalisation. Une version bêta<br />
est déjà en ligne 15 et la version fina<strong>le</strong><br />
prévue pour l’automne 2012. La version<br />
bêta propose déjà des fonctions<br />
intéressantes. El<strong>le</strong> permet de consulter<br />
15 http://www.mom.fr/obsidienne/index.php
des fiches concernant d’une part <strong>le</strong>s<br />
sources d’obsidienne, et d’autre part <strong>le</strong>s<br />
sites archéologiques où l’obsidienne a<br />
été mise au jour. L’utilisateur y trouvera<br />
<strong>le</strong>s coordonnées des sites archéo-‐<br />
logiques, la quantité d’artefacts en<br />
obsidienne et <strong>le</strong>ur provenance (lorsque<br />
des analyses ont été réalisées), la<br />
géologie des sources sous forme de<br />
cartes et de descriptions, ainsi que <strong>le</strong><br />
détail des caractérisations physico-‐<br />
chimiques qui ont été effectuées sur <strong>le</strong>s<br />
échantillons aussi bien géologiques<br />
qu’archéologiques, et enfin, une<br />
bibliographie détaillée. Il est dès<br />
maintenant possib<strong>le</strong> de télécharger ces<br />
fiches rassemblant la majorité des<br />
analyses effectuées pour chaque groupe<br />
géochimique, et nous continuons<br />
d’enrichir une base de données d’images<br />
permettant de présenter la variété des<br />
caractéristiques macroscopiques (cou-‐<br />
<strong>le</strong>ur, texture, etc.) des obsidiennes<br />
présentes sur chaque gisement.<br />
Fina<strong>le</strong>ment, comme nous l’avons<br />
mentionné précédemment, ce site offre<br />
la possibilité de créer des listes<br />
directement exploitab<strong>le</strong>s par un SIG,<br />
facilitant comme nous l’avons montré<br />
des études de type ‘chemin de moindre<br />
contrainte’.<br />
Alors qu’approchent <strong>le</strong>s dernières<br />
étapes de l’achèvement de ce projet,<br />
d’autres applications et d’autres outils<br />
sont en cours d’élaboration. Nous<br />
prévoyons par exemp<strong>le</strong> l’élargissement<br />
du contexte chrono-‐culturel, ou encore<br />
la création d’un forum permettant un<br />
échange de données plus dynamique. La<br />
base de données pourrait éga<strong>le</strong>ment<br />
être améliorée par l’intégration<br />
d’informations archéologiques plus<br />
précises sur <strong>le</strong>s échantillons<br />
d’obsidiennes analysés (contexte, etc.).<br />
Enfin, il est prévu d’intégrer un ong<strong>le</strong>t<br />
Distribution, qui rassemb<strong>le</strong>rait des<br />
cartes de distribution de l’obsidienne<br />
pour chaque source aux différentes<br />
périodes. Ces ajouts seront développés<br />
OBSIDATABASE<br />
en fonction des demandes et besoins des<br />
utilisateurs, ce qui justifie la nature<br />
collaborative de ce projet.<br />
Conclusion<br />
Le projet Obsidatabase s’inscrit<br />
dans la continuation du travail de<br />
col<strong>le</strong>cte de données sur l’obsidienne<br />
préhistorique au Proche-‐Orient et dans<br />
<strong>le</strong> Caucase initié par Marie-‐Claire Cauvin<br />
et Christine Chataigner. Les différentes<br />
sections du site permettent de recueillir<br />
<strong>le</strong>s données géologiques et<br />
archéologiques, de consulter ces<br />
informations, et de <strong>le</strong>s exporter sous<br />
différents formats en fonction de<br />
l’utilisation qui en sera faite (SIG,<br />
tab<strong>le</strong>aux, diagrammes physico-‐<br />
chimiques, etc.).<br />
S’il s’agit bien d’un projet et non pas<br />
simp<strong>le</strong>ment d’une base de données en<br />
ligne, c’est parce qu’Obsidatabase est<br />
éga<strong>le</strong>ment tributaire de la collaboration<br />
entre chercheurs et des partages de<br />
données. Notre objectif est de fournir<br />
une plateforme dynamique pour la<br />
recherche sur l’obsidienne dans un<br />
cadre pluridisciplinaire.<br />
C. Chataigner et B. Varoutsiko<br />
17
18<br />
VAROUTSIKOS -‐ CHATAIGNER
Bibliographie<br />
OBSIDATABASE<br />
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OBSIDATABASE<br />
21
22<br />
VAROUTSIKOS -‐ CHATAIGNER
DE L’USAGE DE L’ARCHITECTURE DOMESTIQUE DANS L’APPROCHE<br />
DES SOCIETES PROTOHISTORIQUES : L’EXEMPLE DE L’ANATOLIE AU<br />
BRONZE ANCIEN<br />
Bérengère Perello<br />
Archéorient, UMR 5133<br />
CNRS, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon<br />
berengere.perello@gmail.com<br />
Résumé : La maison est une « métaphore matériel<strong>le</strong>, socia<strong>le</strong> et menta<strong>le</strong> » 1 des sociétés ; en ce sens, el<strong>le</strong> est un outil<br />
de choix pour appréhender <strong>le</strong>ur identité et pour comprendre <strong>le</strong>ur fonctionnement. Mon objectif dans ce bref<br />
artic<strong>le</strong> est d’établir <strong>le</strong>s éléments qui préva<strong>le</strong>nt à la structuration de l’espace domestique des sociétés anatoliennes<br />
protohistoriques et de distinguer <strong>le</strong>s facteurs déterminants des éléments subsidiaires.<br />
Mots clés : Anatolie, Bronze Ancien, habitat, identité culturel<strong>le</strong>.<br />
Abstract: The house is a « material, social and mental metaphor » of societies; as such, it is a privi<strong>le</strong>ged tool to<br />
grasp their identity and how they operate. My aim in this short artic<strong>le</strong> is to establish e<strong>le</strong>ments that prevail in the<br />
structuring of domestic space and protohistoric Anatolian societies distinguish the determinants of subsidiary<br />
components.<br />
Keywords: Anatolia, Early Bronze Age, housing, cultural identity<br />
1 Coudart 2011, 215.
24<br />
PERELLO
es recherches sur L’architecture<br />
domestique de l’Anatolie au IIIe millénaire2 , m’ont permis de<br />
constater l’existence d’une variabilité des<br />
types d’habitat à l’échel<strong>le</strong> des sites, des ré-‐<br />
gions et de l’Anatolie dans son ensemb<strong>le</strong>.<br />
Cet artic<strong>le</strong> vise à identifier <strong>le</strong>s variab<strong>le</strong>s qui<br />
préva<strong>le</strong>nt à la structuration de l’espace<br />
domestique. Cette vaste question, qui a déjà<br />
été traitée d’un point de vue anthro-‐<br />
pologique3 M<br />
, est abordée ici spécifiquement<br />
pour <strong>le</strong> corpus de l’Anatolie au Bronze<br />
Ancien. Il va sans dire que <strong>le</strong> choix d’un type<br />
d’habitat résulte de l’interaction de mul-‐<br />
tip<strong>le</strong>s éléments dont l’impact est plus ou<br />
moins déterminant. Or, il apparaît que la<br />
préva<strong>le</strong>nce de l’une ou l’autre variab<strong>le</strong> est<br />
relative aux sociétés étudiées et à la période<br />
considérée. Ainsi, l’analyse de ces facteurs<br />
est susceptib<strong>le</strong> de livrer des informations<br />
pertinentes sur <strong>le</strong> fonctionnement de ces<br />
sociétés.<br />
Ces variab<strong>le</strong>s peuvent être classées<br />
en deux grandes catégories : environne-‐<br />
menta<strong>le</strong>s ou culturel<strong>le</strong>s et socia<strong>le</strong>s.<br />
Le climat est une variab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s<br />
constructeurs doivent prendre en compte<br />
pour élaborer une maison afin que cel<strong>le</strong>-‐ci<br />
soit à même de protéger <strong>le</strong>s occupants des<br />
variations météorologiques. Cependant, <strong>le</strong><br />
climat ne semb<strong>le</strong> affecter véritab<strong>le</strong>ment<br />
l’habitat que pour <strong>le</strong>s régions où <strong>le</strong> temps<br />
est particulièrement diffici<strong>le</strong>. En Anatolie,<br />
où <strong>le</strong>s conditions climatiques sont clé-‐<br />
mentes, ces ajustements sont souvent mi-‐<br />
neurs et ne concernent qu’un aspect de la<br />
construction à savoir <strong>le</strong> type de couvertures<br />
ou la présence de seuils renforcés.<br />
L’absence de corrélation entre <strong>le</strong> type d’ha-‐<br />
bitat et <strong>le</strong>s conditions climatiques est<br />
illustrée notamment en Anatolie occidenta<strong>le</strong><br />
par <strong>le</strong> fait que cette région aux profils<br />
climatiques variés entre la côte (Baklatepe,<br />
Troie, Beşik-‐Tepe 4 ) et l’intérieur des terres<br />
2 Perello 2011.<br />
3 Rapoport 1969.<br />
4 Erkanal 1996, res. 2 ; B<strong>le</strong>gen et al. 1951, figs. 264,<br />
269, 281, 304-307 ; Korfmann 1988, abb. 1.<br />
ARCHITECTURE DOMESTIQUE<br />
(Beycesultan, Kaklık Mevkii 5 ) possède un<br />
habitat identique. A contrario, en Anatolie<br />
orienta<strong>le</strong>, la plaine de Malatya-‐Elazığ, qui<br />
présente un climat homogène, accueil<strong>le</strong> des<br />
modes d’habitat extrêmement diversifiés<br />
(figs. 2-3) 6 . Cinq types de plans y<br />
coexistent, à savoir des plans<br />
monocellulaires de formes quadrangulaires<br />
(Arslantepe, Değirmentepe) 7 , circulaires<br />
(Arslantepe, Norşuntepe) 8 , ou carrées à<br />
ang<strong>le</strong>s arrondis (Arslantepe, Değirmentepe,<br />
Norşuntepe, Taşkun Mevkii) 9 , des plans<br />
quadrangulaires pluri-‐cellulaires et enfin<br />
des plans oblongs trapézoïdaux (Pulur-‐<br />
Sakyol) 10 . Le facteur climatique n’est donc<br />
pas déterminant dans l’élaboration du<br />
programme planimétrique et technique.<br />
En ce qui concerne <strong>le</strong>s ressources<br />
matériel<strong>le</strong>s, l’Anatolie jouit éga<strong>le</strong>ment de<br />
conditions favorab<strong>le</strong>s. Les matériaux néces-‐<br />
saires à la construction, à savoir l’argi<strong>le</strong>, la<br />
pierre et <strong>le</strong> bois, sont répartis de façon assez<br />
homogène sur <strong>le</strong> territoire. Ainsi, l’utili-‐<br />
sation de l’un ou l’autre de ces matériaux<br />
résulte d’un choix plus que d’une contrainte.<br />
Des sites contiguës et contemporains adop-‐<br />
tent des plans différents bien qu’ils aient<br />
accès à des ressources identiques (Kara-‐<br />
gündüz Höyük et Dilkaya Höyüğü, Şem-‐<br />
siyetepe et Han İbrahim Şah, Pulur-‐Sakyol<br />
et Taşkun Mevkii) 11 . En somme, <strong>le</strong>s res-‐<br />
sources disponib<strong>le</strong>s permettent seu<strong>le</strong>ment<br />
la réalisation d’un type d’habitat qui a été<br />
sé<strong>le</strong>ctionné a priori. Cette richesse en<br />
matériaux de construction offre une grande<br />
latitude aux constructeurs. Ainsi, l’analyse<br />
des techniques a révélé qu’un établissement<br />
pouvait, au cours du Bronze Ancien, avoir<br />
recours à des techniques diverses pour<br />
l’élaboration de ses constructions et éga-‐<br />
<strong>le</strong>ment qu’un type de plan pouvait être<br />
5 Lloyd/Mellaart 1962, figs. 9-10, 13, 17 ; Efe 1995, fig.<br />
4.<br />
6 Perello 2011, figs. 65-66.<br />
7 Conti/Persiani 1993, fig. 2-4 ; Duru 1979, 70.<br />
8 Hauptmann 1982, taf. 33.<br />
9 Frangipane 1995, fig. 2 ; Duru 1979, <strong>le</strong>v. 69.3 ;<br />
Hauptmann 1982, Taf. 29 ; Helms 1973, fig. 3.<br />
10 Koşay 1976.<br />
11 Perello 2011, 70.<br />
25
éalisé à l’aide de techniques différentes<br />
(soubassements en pierres avec super-‐<br />
structures en briques crues, terre modelée<br />
sur armature de bois, pisé). Le choix d’un<br />
type d’habitat n’est, par conséquent, pas<br />
assujetti à la disponibilité des ressources<br />
matériel<strong>le</strong>s.<br />
Enfin, <strong>le</strong>s périmètres des régions<br />
écologiques (fig. 1) laissent apparaître une<br />
certaine corrélation avec <strong>le</strong>s limites des cinq<br />
aires culturel<strong>le</strong>s qui ont pu être dressées<br />
grâce à l’habitat (Anatolie occidenta<strong>le</strong>,<br />
Anatolie Centra<strong>le</strong>, Région de la mer Noire,<br />
Anatolie orienta<strong>le</strong> et Anatolie du Sud-‐Est)<br />
(figs. 2-3) 12 . Cependant, <strong>le</strong>s contraintes<br />
topographiques ne doivent pas être consi-‐<br />
dérées comme des frontières infranchis-‐<br />
sab<strong>le</strong>s mais comme des ‘ra<strong>le</strong>ntisseurs’ que<br />
<strong>le</strong>s populations, pour des raisons diverses,<br />
s’efforcent ou non de dépasser. Or, <strong>le</strong>s<br />
populations du Bronze Ancien, motivées par<br />
<strong>le</strong> développement des échanges et tout<br />
particulièrement par la recherche de mine-‐<br />
rais, vont avoir à cœur de franchir ces<br />
obstac<strong>le</strong>s géomorphologiques.<br />
D’ail<strong>le</strong>urs, la délimitation des aires<br />
culturel<strong>le</strong>s définies par l’habitat est fluc-‐<br />
tuante dans l’espace et dans <strong>le</strong> temps 13 .<br />
12 Perello 2011, fig. 4, 66.<br />
13 Schachner 1999. A. Schachner a mis en évidence<br />
l’évolution de la délimitation des aires de diffusion de<br />
26<br />
PERELLO<br />
Certaines zones ‘tampon’ notamment expé-‐<br />
rimentent, suivant <strong>le</strong>s périodes, des rappro-‐<br />
chements avec des espaces culturels<br />
distincts. Il y a deux exemp<strong>le</strong>s sympto-‐<br />
matiques : la région d’Eskişehir et la Cilicie.<br />
Le secteur d’Eskişehir, qui correspond à une<br />
percée topographique entre l’Anatolie cen-‐<br />
tra<strong>le</strong> et la côte égéenne, est relié suivant <strong>le</strong>s<br />
Figure 1 : Carte de la Turquie montrant <strong>le</strong>s sept grandes régions géographiques (d’après Sagona/Zimansky 2009, fig. 1.1)<br />
périodes soit à l’Anatolie centra<strong>le</strong>, soit à l’A-‐<br />
natolie occidenta<strong>le</strong> 14 . Au 3 e millénaire, il est<br />
clairement associé à la région méditerra-‐<br />
néenne mais tend à se rapprocher de<br />
l’Anatolie centra<strong>le</strong> à la fin du Bronze Ancien.<br />
La Cilicie représente un secteur pivot entre<br />
plusieurs zones géographiques et favorise,<br />
suivant <strong>le</strong>s périodes, des rapprochements<br />
différents avec l’Anatolie occidenta<strong>le</strong>, l’Ana-‐<br />
tolie centra<strong>le</strong> ou l’Anatolie du Sud-‐Est.<br />
En résumé, <strong>le</strong>s explications détermi-‐<br />
nistes doivent être réfutées car l’incidence<br />
des variab<strong>le</strong>s environnementa<strong>le</strong>s est faib<strong>le</strong>.<br />
Les facteurs matériels, climatiques et géo-‐<br />
morphologiques apparaissent comme des<br />
éléments contraignants mais fina<strong>le</strong>ment se-‐<br />
condaires face à la prépondérance des cri-‐<br />
tères socioculturels. Au sein des critères<br />
culturels, il nous semb<strong>le</strong> qu’une sous-‐division<br />
peut être établie avec, d’une part, des<br />
facteurs que l’on pourrait qualifier de<br />
l’habitat pour l’Anatolie orienta<strong>le</strong> entre <strong>le</strong> 5 e et <strong>le</strong> 2 e<br />
millénaire.<br />
14 Efe 2007.
‘traditionnels’ et qui influencent toujours la<br />
cellu<strong>le</strong> d’habitat en ce qu’el<strong>le</strong> a d’immuab<strong>le</strong><br />
et, d’autre part, certains critères circons-‐<br />
tanciels qui ne concernent qu’une zone et<br />
une période dites, en l’occurrence l’Anatolie<br />
au Bronze Ancien. Parmi <strong>le</strong>s facteurs<br />
‘traditionnels’, on retient <strong>le</strong> fait que la<br />
maison est la réponse d’un groupe et non<br />
d’un individu ; el<strong>le</strong> résulte d’une trans-‐<br />
ARCHITECTURE DOMESTIQUE<br />
Figure 2 : Carte de dispersion des types d’habitat de l’Anatolie au 3 e millénaire.<br />
mission intergénérationnel<strong>le</strong> des savoir-‐<br />
faire et el<strong>le</strong> est un marqueur identitaire.<br />
Les solutions tant techniques que<br />
morphologiques sont adoptées par l’ensemb<strong>le</strong><br />
de la communauté. El<strong>le</strong>s ne répondent donc<br />
pas à la nature idiosyncrasique du com-‐<br />
portement individuel mais résultent soit de<br />
décisions col<strong>le</strong>ctives, soit de va<strong>le</strong>urs cultu-‐<br />
rel<strong>le</strong>s communes acceptées tacitement. La<br />
maison est « érigée et utilisée selon des<br />
normes socia<strong>le</strong>s et idéel<strong>le</strong>s qui fondent <strong>le</strong><br />
système de représentations de la col<strong>le</strong>ctivité<br />
qui la fabrique et l’utilise » 15 . Les plans sont<br />
normalisés et l’initiative des occupants ne<br />
se manifeste que de façon extrêmement<br />
limitée, par <strong>le</strong> nombre de pièces ou la<br />
superficie habitab<strong>le</strong>. Or, il ne s’agit pas à<br />
15 Coudart 2011, 216.<br />
proprement par<strong>le</strong>r d’un choix mais d’une<br />
variab<strong>le</strong> d’adaptation à la cellu<strong>le</strong> familia<strong>le</strong>,<br />
qui est el<strong>le</strong>-‐même largement tributaire<br />
d’une tradition ancrée profondément dans<br />
<strong>le</strong>s esprits et <strong>le</strong>s mœurs. Enfin, il faut garder<br />
à l’esprit que l’on est en présence d’une<br />
architecture sans architecte. Par consé-‐<br />
quent, <strong>le</strong>s occupants, sans doute aidés au<br />
moins en partie par la col<strong>le</strong>ctivité, sont à<br />
l’origine de la planification et de la cons-‐<br />
truction de <strong>le</strong>ur maison. Ainsi, l’absence de<br />
personnification et notamment de décor<br />
n’en est que plus surprenante.<br />
L’analyse diachronique a mis en<br />
évidence <strong>le</strong> fait que la majorité des types<br />
d’habitat étaient utilisés de façon pérenne<br />
tout au long du 3 e millénaire. Cette stabilité<br />
du modè<strong>le</strong> planimétrique n’est pas sans<br />
sou<strong>le</strong>ver de questions dans une société qui<br />
subit, par ail<strong>le</strong>urs, de profondes évolutions.<br />
Comment expliquer ce conservatisme ? En<br />
architecture, en particulier domestique, la<br />
tradition prime sur l’innovation et cela pour<br />
plusieurs raisons. En premier lieu, si l’on a<br />
recours à un type utilisé par <strong>le</strong>s anciens, on<br />
en maîtrise <strong>le</strong>s contraintes structurel<strong>le</strong>s, la<br />
résistante et <strong>le</strong> savoir-‐faire technique.<br />
27
Figure 3 : Types de plan représentés dans <strong>le</strong>s cinq régions<br />
définies par la dispersion des types d’habitat.<br />
Ensuite, il faut prendre en compte <strong>le</strong> poids<br />
de l’habitus, de la volonté d’une population<br />
de conserver son espace quotidien stab<strong>le</strong>,<br />
alors que la société subit par ail<strong>le</strong>urs toutes<br />
sortes de mutations, plus ou moins ‘trauma-‐<br />
tisantes’. Enfin, <strong>le</strong> recours à un type connu,<br />
hérité des générations précédentes, s’inscrit<br />
comme un acte symbolique d’appartenance<br />
à une communauté, faisant de la maison un<br />
marqueur identitaire.<br />
Au-‐delà des critères cités plus haut, il<br />
apparaît que l’habitat peut être modelé par<br />
certaines contraintes corrélées aux conditions<br />
socioculturel<strong>le</strong>s spécifiques de la période<br />
considérée. Dans <strong>le</strong> corpus de l’Anatolie au<br />
Bronze Ancien, plusieurs types illustrent<br />
cette remarque.<br />
Tout d’abord, certaines maisons<br />
découvertes en Anatolie au Bronze Ancien<br />
sont façonnéespardes contacts interrégionaux.<br />
La région de Malatya-‐Elazığ, en Anatolie<br />
orienta<strong>le</strong>, a livré des maisons monocellulaires<br />
carrées à ang<strong>le</strong>s arrondis, construites en<br />
terre modelée sur armature de bois<br />
(Arslantepe, Değirmentepe, Norşuntepe,<br />
28<br />
PERELLO<br />
Taşkun Mevkii) 16 . Ce type d’habitat est<br />
connu en Transcaucasie depuis <strong>le</strong> milieu du<br />
4 e millénaire (Kvatskhe<strong>le</strong>bi, Khizanaant-‐<br />
Gora) 17 . En revanche, il est inédit en<br />
Anatolie où il apparaît, au début du 3 e<br />
millénaire, associé à de la céramique Red<br />
Black Burnished et à des andirons qui sont<br />
des marqueurs de la culture transcaucasienne<br />
dite Kuro-‐Araxe 18 . Ces habitations apparaissent<br />
comme un élément importé de Transcaucasie<br />
et non comme l’évolution d’une forme<br />
anatolienne préexistante. Quant à l’Anatolie<br />
du Sud-‐Est, el<strong>le</strong> a livré entre autres des<br />
maisons de plans comp<strong>le</strong>xes à cour (Kurban<br />
Höyük, Tilbeşar, Titriş Höyük) (fig. 4) 19 . Or,<br />
cette organisation planimétrique est lar-‐<br />
gement inspirée de l’architecture mésopota-‐<br />
mienne traditionnel<strong>le</strong> 20 : Tell Me<strong>le</strong>biya, Tell<br />
Asmar IVA 21 . L’habitat, au même titre que<br />
<strong>le</strong>s autres éléments de la culture matériel<strong>le</strong>,<br />
illustre <strong>le</strong> fait qu’à cette période l’Anatolie<br />
du Sud-‐Est fait partie intégrante de la<br />
sphère syro-‐mésopotamienne dont el<strong>le</strong><br />
représente une des franges. Malgré son<br />
aspect traditionnaliste, l’habitat peut donc,<br />
dans une certaine mesure, illustrer l’exis-‐<br />
tence de contacts interrégionaux qu’ils<br />
soient d’ordre économique ou culturel.<br />
Figure 4 : Titriş Höyük, plan du quartier est de la Outer Town,<br />
Bronze Ancien III (d’après Algaze et al. 2001, fig. 2)<br />
16 Frangipane 1995, fig. 2 ; Duru 1979, <strong>le</strong>v. 69.3 ;<br />
Hauptmann 1982, Taf. 29 ; Helms 1973, fig. 3.<br />
17 Sagona 1993, 464-467, fig. 5b, 6a-b.<br />
18 Frangipane/Palumbi 2007.<br />
19 Algaze 1990, 62, 193, 430-431, fig. 123 ;<br />
Kepinski/Ahlan 2001, 201-213, fig. 4 ; Algaze et al.<br />
2001, fig. 2.<br />
20 Val<strong>le</strong>t, in Algaze et al. 2001, 25-30, fig. 4.<br />
21 Lebeau 1996 ; Delougaz et al. 1967, 143-181, pl. 28.
L’analyse des plans d’Anatolie orienta<strong>le</strong><br />
a éga<strong>le</strong>ment révélé que la coexistence de<br />
plusieurs types d’habitat distincts était liée<br />
en partie à des modalités différentes<br />
d’occupation du territoire. Cette zone est<br />
marquée par la cohabitation de stratégies<br />
de subsistance complémentaires à savoir<br />
des occupations nomades, semi-‐nomades et<br />
sédentaires. À chaque mode d’occupation,<br />
semb<strong>le</strong>nt correspondre un ou plusieurs types<br />
de plans. Les camps nomades (Büyüktepe,<br />
Gelinciktepe) ont livré des traces de tentes,<br />
sous la forme de trous de poteaux 22 .<br />
Certains sites, qualifiés de semi-‐nomades en<br />
raison de <strong>le</strong>urs séquences d’occupation<br />
discontinues, ont livré des huttes, cons-‐<br />
tructions légères en bois aménagées de<br />
foyers portatifs (Arslantepe VIB1) 23 . Enfin,<br />
il y a <strong>le</strong>s groupes sédentaires qui se<br />
détachent progressivement des normes de<br />
construction en lien avec <strong>le</strong> pastoralisme<br />
itinérant pour initier un nouveau type<br />
d’habitat en dur, adapté à <strong>le</strong>ur nouvel<br />
environnement (Arslantepe VIB2 et<br />
Norşuntepe VIII) 24 .<br />
Enfin, la seconde moitié du 3 e<br />
millénaire a été, en Anatolie, <strong>le</strong> théâtre de la<br />
naissance des premiers petits centres<br />
urbains. L’existence d’un habitat urbain<br />
spécifique, distinct dans sa forme et dans<br />
ses fonctions, est attestée en Syro-‐<br />
Mésopotamie 25 . Qu’en est-‐il en Anatolie ? La<br />
plupart des types identifiés sont utilisés<br />
sans distinction dans <strong>le</strong>s établissements<br />
ruraux et urbains. En Anatolie occidenta<strong>le</strong>,<br />
<strong>le</strong> plan oblong pluricellulaire et <strong>le</strong> plan<br />
oblong trapézoïdal sont utilisés<br />
indifféremment dans des établissements<br />
villageois (Karataş niveauVI 26 ) et dans <strong>le</strong>s<br />
établissements à caractère urbain (Küllüoba<br />
BA III, Troie niv II) 27 . Le plan pluricellulaire<br />
comp<strong>le</strong>xe à cour, très bien illustré à Titriş<br />
Höyük (fig. 4) 28 , est <strong>le</strong> seul qui puisse<br />
22<br />
Sagona 1994, 231-232 ; Persiani 2008.<br />
23<br />
Frangipane/Palumbi 2007.<br />
24<br />
Frangipane 2001, fig. 24. ; Hauptmann 1979, pl. 23a.<br />
25<br />
Aurenche 2009 ; Castel 1992 ; Margueron 1997 et<br />
2009 ; Val<strong>le</strong>t 1998.<br />
26<br />
Warner 1979.<br />
27<br />
Efe 2007, fig. 4 ; B<strong>le</strong>gen et al. 1951.<br />
28<br />
Algaze et al. 2001, fig. 2.<br />
ARCHITECTURE DOMESTIQUE<br />
prétendre à une appellation d’habitat<br />
urbain en raison de ses dimensions et de<br />
l’agencement comp<strong>le</strong>xe de son plan. Il est<br />
parfaitement adapté aux conditions<br />
nouvel<strong>le</strong>s imposées par la vil<strong>le</strong>. Cependant,<br />
il convient de rappe<strong>le</strong>r que ce plan est<br />
utilisé à l’extrême fin du BA III, à Kurban<br />
Höyük 29 , lorsque <strong>le</strong> site subit un<br />
rétrécissement significatif et qu’il n’est plus<br />
alors qu’un simp<strong>le</strong> village.<br />
Au terme de cette rapide présen-‐<br />
tation il apparait, qu’au-‐delà de la pérennité<br />
des contraintes architectoniques et des<br />
considérations environnementa<strong>le</strong>s, ce sont<br />
<strong>le</strong>s critères culturels qui façonnent l’espace<br />
domestique. L’organisation socia<strong>le</strong> de la<br />
communauté, ses aspirations, ses coutumes,<br />
sa conception d’un environnement idéal,<br />
son respect des traditions, ses contacts<br />
interrégionaux sont autant d’éléments<br />
déterminants dans l’élaboration d’une<br />
maison. La profusion de ces variab<strong>le</strong>s<br />
illustre la richesse de l’habitat qui apparaît<br />
comme un outil de choix dans la traduction<br />
du cadre socioculturel de la période<br />
considérée.<br />
29 Algaze 1990, 62, 193, 430-431, fig. 123.<br />
B. Perello<br />
29
30<br />
PERELLO
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33
34<br />
PERELLO
TILBESHAR, AU CARREFOUR D’ECHANGES ENTRE LA VALLEE DE<br />
L’EUPHRATE ET LA COTE MEDITERRANEENNE A L’AGE DU BRONZE<br />
Christine KEPINSKI<br />
CNRS, ArScAn UMR 7041<br />
Maison René-Ginouvès<br />
christine.kepinski@mae.u-paris10.fr<br />
Résumé : Avec une superficie maximum de 56 hectares, Tilbeshar est une vil<strong>le</strong> majeure du Sud-‐Est anatolien à l’âge<br />
du Bronze. El<strong>le</strong> est au centre d’un petit territoire et appartient au vaste réseau d’échanges, particulièrement actif<br />
au troisième puis début du second millénaire, qui relie entre el<strong>le</strong>s différentes régions d’Orient.<br />
Mots clés : vil<strong>le</strong>, âge du Bronze, échanges, Euphrate, Méditerranée, Mésopotamie du Nord<br />
Abstract: With a maximum area of 56 hectares, Tilbeshar is a major city of Southeast Anatolia in the Bronze Age. It<br />
is the center of a small territory and belongs to the vast network of exchanges, particularly active in the third and<br />
early second mil<strong>le</strong>nnium, which interconnects different parts of the East<br />
Keywords: city, Bronze Age, exchanges, Euphrates, Mediterranean sea, North Mesopotamia
36<br />
KEPINSKI
Figure 1 : carte de la région (H. David)<br />
Situé aux portes de l’Anatolie de l’est,<br />
Tilbeshar estaussiaucarrefourde voies commercia<strong>le</strong>s importantes.<br />
Au Bronze Ancien comme au Bronze Moyen,<br />
du troisième millénaire à la première moitié<br />
du second, Tilbeshar figure parmi <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s<br />
majeures d’Anatolie. El<strong>le</strong> a des contacts<br />
lointains et entretient des échanges régu-‐<br />
liers avec la Mésopotamie, différentes vil<strong>le</strong>s<br />
de la vallée de l’Euphrate, <strong>le</strong> Caucase et la<br />
côte méditerranéenne.<br />
Environnement géographique<br />
Tilbeshar se trouve dans la vallée du<br />
Sajour, affluent de rive droite de l’Euphrate<br />
(fig. 1). Il représente avec Gaziantep, à une<br />
vingtaine de km, <strong>le</strong>s deux seuls sites jamais<br />
fouillés de la vallée. Il domine une petite<br />
alvéo<strong>le</strong> entourée par des collines calcaires<br />
recouvertes par endroit de coulées basal-‐<br />
tiques. Les sources sont très nombreuses<br />
dans <strong>le</strong>s environs et alimentent différents<br />
cours d’eau dont <strong>le</strong> Qoueiq qui mène à A<strong>le</strong>p,<br />
à une centaine de kilomètres au sud. La<br />
région reçoit environ 400 mm de précipi-‐<br />
TILBESHAR<br />
tations par an. La végétation est de type mé-‐<br />
diterranéen. Plusieurs voies de commu-‐<br />
nication, suivant <strong>le</strong> plus souvent <strong>le</strong>s cours<br />
d’eau, traversent la plaine.<br />
Du point de vue géographique, Tilbeshar est<br />
très clairement un site de carrefour entre<br />
<strong>le</strong>s voies Nord-‐Sud qui longent l’Euphrate,<br />
du Caucase à la Mésopotamie et cel<strong>le</strong>s<br />
Ouest-‐Est qui la relient d’une part à la Mé-‐<br />
diterranée et d’autre part à l’Anatolie de<br />
l’Est et au-‐delà à l’Iran et l’Asie Centra<strong>le</strong>.<br />
De nos jours encore, Gaziantep est une halte<br />
pour <strong>le</strong>s touristes qui souhaitent visiter<br />
l’Anatolie de l’Est de sorte que si Istanbul a<br />
été pendant longtemps la porte d’entrée en<br />
Orient on peut considérer aujourd’hui que<br />
cette frontière se trouve dans la vallée du<br />
haut Euphrate et de ses petits affluents,<br />
dans des vil<strong>le</strong>s comme Gaziantep ou plus au<br />
nord, Malatya.<br />
Description généra<strong>le</strong> du site et des<br />
travaux entrepris<br />
Nos travaux sur ce site ont commencé<br />
en 1994 par deux missions de prospection<br />
et sondages et la première campagne de<br />
37
fouil<strong>le</strong>s remonte à 1996 1 . Depuis 2006, nos<br />
activités de terrain sont suspendues.<br />
Tilbeshar comprend une citadel<strong>le</strong> de<br />
40 m de haut et une vil<strong>le</strong> basse conservée<br />
entre 2 et 6 m au-‐dessus du sol vierge et<br />
l’ensemb<strong>le</strong> couvre environ 56 hectares (fig.<br />
2).<br />
Figure 2 : Tilbeshar, photo Nazih Bazge<strong>le</strong>n<br />
Occupée dès <strong>le</strong> Néolithique, c’est avant tout<br />
une vil<strong>le</strong> importante de l’âge du Bronze puis<br />
durant la période médiéva<strong>le</strong>. Le programme<br />
portant sur la vil<strong>le</strong> du Moyen-‐âge est placé<br />
sous la responsabilité de Marie-‐Odi<strong>le</strong><br />
Rousset.<br />
Durant sept campagnes de fouil<strong>le</strong>s,<br />
plusieurs chantiers ont été ouverts dans la<br />
vil<strong>le</strong> basse, au nord comme au sud, de même<br />
que sur la citadel<strong>le</strong>. En dehors de<br />
l’établissement d’une stratigraphie<br />
correspondant aux différentes occupations<br />
de Tilbeshar, notre programme comprend<br />
plusieurs axes de recherche placés sous la<br />
responsabilité de différents collaborateurs :<br />
l’urbanisme (programme associé à une<br />
prospection géophysique), la céramique,<br />
l’architecture domestique, <strong>le</strong>s pratiques<br />
funéraires, <strong>le</strong>s périodes de transition et<br />
principa<strong>le</strong>ment Chalcolithique / Bronze<br />
Ancien I et Bronze Ancien / Bronze Moyen, <strong>le</strong><br />
paléo-‐environnement associé à des analyses<br />
des biocénoses. D’autres programmes<br />
étaient aussi envisagés, notamment un<br />
portant sur la métallurgie.<br />
1 Nos travaux se sont toujours déroulés en collaboration<br />
avec <strong>le</strong> musée de Gaziantep et on trouvera divers<br />
rapports préliminaires cosignés dans <strong>le</strong>s revues Anatolia<br />
Antiqua et Kazı Sonuçları Toplantısı auxquels on peut<br />
ajouter Kepinski 2005a et 2007.<br />
38<br />
KEPINSKI<br />
Principa<strong>le</strong>s étapes de l’évolution de la<br />
vil<strong>le</strong> durant l’âge du Bronze<br />
Figure 3 : Plan topographique (P. Lebouteil<strong>le</strong>r) et historique de<br />
l’implantation de la vil<strong>le</strong> à l’âge du Bronze<br />
Il est possib<strong>le</strong> d’esquisser une pre-‐<br />
mière histoire du site, en particulier pour<br />
<strong>le</strong>s troisième et second millénaires (fig. 3).<br />
Au BAI, l’occupation est limitée à la<br />
citadel<strong>le</strong>. Tilbeshar est dans un premier<br />
temps un établissement fortifié suivi d’une<br />
occupation sommaire sans mur d’enceinte.<br />
Dès 2700-‐2600 Tilbeshar devient une<br />
grande vil<strong>le</strong> plus ou moins circulaire et<br />
comprend une première vil<strong>le</strong> basse au pied<br />
de la citadel<strong>le</strong>, au nord comme au sud. Les<br />
résultats du programme portant sur<br />
l’urbanisme laissent envisager un espace<br />
urbain planifié.<br />
À partir de 2300 environ, une partie de la<br />
vil<strong>le</strong> basse sud ne sert plus que de cimetière<br />
puis Tilbeshar connaît une contraction ma-‐<br />
jeure à la transition entre <strong>le</strong> Bronze Ancien<br />
et <strong>le</strong> Bronze Moyen. Ainsi au début du<br />
second millénaire, au Bronze Moyen I, la<br />
vil<strong>le</strong> sud semb<strong>le</strong> être complètement dé-‐<br />
sertée.<br />
Au Bronze Moyen II, à partir de 1800,<br />
d’énormes travaux d’aménagement de la<br />
voirie notamment sont entrepris et<br />
Tilbeshar retrouve son périmètre maximum<br />
avant d’être abandonnée après 1600<br />
pendant plusieurs sièc<strong>le</strong>s.
Figure 4 : Tesson de céramique à engobe réservé (Bronze<br />
Ancien I)<br />
Quelques témoins des échanges<br />
lointains entretenus par la vil<strong>le</strong><br />
Plusieurs éléments de la culture<br />
matériel<strong>le</strong> importés ou imités, dévoi<strong>le</strong>nt<br />
l’étendue des contacts lointains entretenus<br />
par la vil<strong>le</strong>.<br />
Tilbeshar IIIA (3100-2700)<br />
Au Bronze Ancien I, on trouve à<br />
Tilbeshar des écuel<strong>le</strong>s grossières à bord<br />
biseauté ou de la céramique à engobe réser-‐<br />
vée (fig. 4) 2 , deux catégories connues dès <strong>le</strong><br />
quatrième millénaire qui symbolisent <strong>le</strong>s<br />
contacts de cette région avec la Mésopo-‐<br />
tamie dès la période dite de l’expansion<br />
urukéenne. El<strong>le</strong>s sont bien attestées au<br />
nord, sur <strong>le</strong> haut Euphrate turc, jusqu’à<br />
Arslantepe et à l’ouest, jusqu’à l’Amuq 3 .<br />
Tilbeshar IIIB (2700-2500)<br />
La première grande vil<strong>le</strong> de Tilbeshar,<br />
cel<strong>le</strong> qui date de notre niveau IIIB et des<br />
environs de 2700-‐2600 aC, s’accompagne<br />
de vastes travaux d’aménagement dont la<br />
construction sur la citadel<strong>le</strong> d’une terrasse à<br />
degré recouvrant tous <strong>le</strong>s niveaux anté-‐<br />
rieurs (fig. 5). Des terrasses de ce type se<br />
retrouvent <strong>le</strong> long de l’Euphrate, notam-‐<br />
ment à Halawa B 4 ou tell es Sweyhat 5 mais<br />
aussi dans <strong>le</strong> Khabour, par exemp<strong>le</strong> à Tell<br />
2<br />
Dessène 2002.<br />
3<br />
Rothman 2011 ; Braidwood/Braidwood 1960, 235, fig.<br />
175.<br />
4<br />
Orthmann 1981.<br />
5<br />
Zett<strong>le</strong>r 1997, 18.<br />
TILBESHAR<br />
Mozan. Les fouil<strong>le</strong>urs de ce dernier site <strong>le</strong>s<br />
mettent en relation avec <strong>le</strong>s Hurrites 6 . On<br />
peut éga<strong>le</strong>ment citer <strong>le</strong>s terrasses d’Asie<br />
centra<strong>le</strong> dont cel<strong>le</strong> d’Altın tepe (Altyn-‐<br />
depe) 7 . Toutefois la correspondance<br />
chronologique de tous ces exemp<strong>le</strong>s<br />
demeure incertaine.<br />
On date de cette même période la<br />
construction d’une tombe monumenta<strong>le</strong> US<br />
2676, trouvée en 2006 (fig. 6) 8 .<br />
Figure 6 : Tombe monumenta<strong>le</strong> US 2676, vil<strong>le</strong> basse nord<br />
(2600-2300 av. J.-C.)<br />
Construite en gros blocs mégalithiques<br />
disposés en encorbel<strong>le</strong>ment et recouverts<br />
de dal<strong>le</strong>s plates, el<strong>le</strong> comprenait une<br />
chambre funéraire de 6m de long, 2m de<br />
large, 1,50 à 2m de haut, fermée par deux<br />
dal<strong>le</strong>s en pierre à laquel<strong>le</strong> on accédait fort<br />
probab<strong>le</strong>ment par un puits d’accès. Exemp<strong>le</strong><br />
unique de cette catégorie en Turquie, el<strong>le</strong><br />
trouve des parallè<strong>le</strong>s en Syrie, à Tell<br />
Ahmar 9 , Jerablus Tahtani 10 et Tell Hadidi 11 .<br />
Ce sont en principe des caveaux familiaux<br />
utilisés par plusieurs générations. El<strong>le</strong><br />
semb<strong>le</strong> accompagner l’émergence d’une<br />
élite capab<strong>le</strong> de monopoliser une main-‐<br />
d’œuvre importante et de construire une<br />
vil<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> illustre aussi la montée en<br />
puissance de certaines famil<strong>le</strong>s dirigeantes<br />
soucieuses de conforter <strong>le</strong>ur légitimité en<br />
fondant cette dernière sur <strong>le</strong> culte des<br />
ancêtres.<br />
6<br />
Buccellatti/Kelly-Buccellatti 1988, 59 et 1999, 12, 13<br />
abb. 4, 14.<br />
7<br />
Masson 1988, 58, fig. 18.<br />
8<br />
Kepinski et al. 2007.<br />
9<br />
Roobaert/Bunnens 1999.<br />
10<br />
Peltenburg 1999.<br />
11<br />
Dornemann 1979 et 1980.<br />
39
Figure 5 : Terrasse haute sur la citadel<strong>le</strong> (2700-2500 av. J.-C.)<br />
Figure 7 : Assemblage<br />
céramique, tombe<br />
monumenta<strong>le</strong> US 2676<br />
40<br />
Figure 8 : Tessons de la tombe<br />
monumenta<strong>le</strong> US 2676<br />
Cette tombe a été découverte la<br />
veil<strong>le</strong> du dernier jour de fouil<strong>le</strong>s de la<br />
campagne 2006, nous avons eu <strong>le</strong> temps<br />
d’en extraire une cinquantaine de pots et<br />
nous estimons qu’el<strong>le</strong> devait en<br />
comprendre près d’un millier (fig. 7).<br />
El<strong>le</strong> a été utilisée plusieurs fois entre 2600<br />
et 2300. Parmi l’assemblage <strong>le</strong> plus ancien,<br />
on note une marmite transcaucasienne<br />
(fig. 8). Cette catégorie céramique avait été<br />
reconnue sous forme de petits tessons de<br />
KEPINSKI<br />
surface mais c’est la première fois que nous<br />
en avons dégagé un exemplaire entier. La<br />
céramique transcaucasienne est bien<br />
attestée plus au nord et à l’ouest de notre<br />
région 12 . Dans l’état actuel de nos connais-‐<br />
sances, cet exemp<strong>le</strong> demeure unique pour la<br />
vallée du Sajour.<br />
Tilbeshar IIIC (2500-2300)<br />
Les échanges avec <strong>le</strong> Caucase sont éga-‐<br />
<strong>le</strong>ment perceptib<strong>le</strong>s lors d’une occupation<br />
plus récente, au niveau IIIC (2500-‐2300).<br />
Un four en forme de fer à cheval qui forme<br />
avec <strong>le</strong> foyer portatif appelé andiron de très<br />
bonnes attestations des contacts avec cette<br />
région, a été mis au jour dans une maison 13 .<br />
Il faut rappe<strong>le</strong>r que <strong>le</strong>s habitudes culinaires<br />
correspondent à des marques d’identité<br />
fortes.<br />
Par ail<strong>le</strong>urs un quartier de Tilbeshar ren-‐<br />
ferme <strong>le</strong> plan oblong d’une maison à deux<br />
pièces en enfilade tel qu’il a été défini par<br />
Bérengère Perello, plan caractéristique de<br />
12 Gopnik/Rothman 2011, 143, fig. 5.4.<br />
13 Kepinski 2001, 212.
l’Anatolie de l’Ouest au troisième millé-‐<br />
naire 14 .<br />
Il existe à Tilbeshar bien d’autres té-‐<br />
moignages d’échanges lointains dont la pré-‐<br />
sence de depas, gobe<strong>le</strong>t couvert d’un engobe<br />
rouge lissé, originaire de Troie (fig. 11). On<br />
en connait des exemp<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s environs,<br />
provenant de Titris Höyük 15 ou de Se<strong>le</strong>n-‐<br />
kayieh 16 . Les contacts de la région avec<br />
Troie et la côte égéenne sont confirmés par<br />
<strong>le</strong>s bijoux en or retrouvés dans une tombe<br />
monumenta<strong>le</strong> (Tomb 7) de Tell Banat, sur<br />
l’Euphrate syrien, juste au sud de la fron-‐<br />
tière syro-‐turque, dont <strong>le</strong>s parallè<strong>le</strong>s avec<br />
Poliochni ont été soulignés 17 .<br />
Figure 9 : Depas, vil<strong>le</strong> basse sud (2300-2100 av. J.-C.)<br />
Tilbeshar IV (2000-1600)<br />
Ainsi un peu plus tard au Bronze<br />
Moyen deux types de pots se répandent<br />
dans la vallée de l’Euphrate depuis Lidar<br />
Hoyük jusqu’en Mésopotamie 18 . Il s’agit<br />
d’une part de grandes jarres de stockage<br />
avec des lèvres moulurées et un décor de<br />
lignes incisées sur <strong>le</strong> haut de la panse et<br />
d’autre part de jarre globulaire avec des<br />
petites anses bifides, toutes fabriquées de la<br />
même façon, tournées en deux parties<br />
jointes (figs. 9-10).<br />
14 Perello 2011.<br />
15 Matney et al. 1997, 81.<br />
16 Aruz 2003, 273.<br />
17 Aruz 2003, 185.<br />
18 Kepinski 2005b.<br />
TILBESHAR<br />
On <strong>le</strong>s a mis en relation avec <strong>le</strong> transport de<br />
denrées alimentaires liquides. De tels<br />
échanges sont très bien documentés dans<br />
<strong>le</strong>s textes de Mari qui attestent l’appro-‐<br />
visionnement de cette vil<strong>le</strong> en hui<strong>le</strong> d’olive,<br />
vin et miel en provenance de la région de<br />
Carchemish et d’A<strong>le</strong>p 19 . La présence à Tilbeshar,<br />
Figure 10 : Jarre de stockage, Tilbeshar (Bronze Moyen)<br />
dès <strong>le</strong> troisième millénaire, de vigne et<br />
d’oliviers a été confirmée par des analyses<br />
anthracologiques de restes végétaux<br />
carbonisés 20 . Cette donnée est nouvel<strong>le</strong> car<br />
l’on pensait auparavant qu’au troisième<br />
millénaire, ces espèces se trouvaient<br />
uniquement sur <strong>le</strong> pourtour méditerranéen<br />
immédiat. Les textes de Mari signa<strong>le</strong>nt aussi<br />
l’importation de bois en provenance de<br />
cette région. Bois, hui<strong>le</strong> d’olive, vin et miel<br />
ont dû constituer des monnaies d’échanges<br />
à Tilbeshar et sa région.<br />
19 Michel 1996 ; Durand 1997.<br />
20 Herveux 2007.<br />
41
Figure 11 : Jarre globulaire (Bronze Moyen II)<br />
Si l’on ajoute à ces quelques exemp<strong>le</strong>s la<br />
présence de per<strong>le</strong>s en cornaline, puis dans<br />
<strong>le</strong>s environs immédiats, de lapis lazuli, deux<br />
pierres originaires d’Asie Centra<strong>le</strong>, nous<br />
voyons bien que Tilbeshar se trouve au<br />
carrefour de voies commercia<strong>le</strong>s 21 .<br />
Conclusion<br />
Tilbeshar est une vil<strong>le</strong>, lieu où<br />
s’exercent par excel<strong>le</strong>nce la complémen-‐<br />
tarité des activités et la constitution de<br />
surplus. On y note la circulation de biens<br />
mais aussi la production de denrées<br />
susceptib<strong>le</strong>s d’être échangés.<br />
21 Kepinski-Lecomte/Ergeç 2000, 218, fig. 3 ; Matthiae<br />
1985.<br />
42<br />
KEPINSKI<br />
Situé dans une dépression couverte<br />
d’alluvions, <strong>le</strong> site de Tilbeshar dispose d’un<br />
terroir ferti<strong>le</strong> mais limité et nécessitant une<br />
irrigation intensive. Les contraintes<br />
géographiques dans la région justifient une<br />
économie fondée fort probab<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong>s<br />
ressources de l’arboriculture et <strong>le</strong><br />
commerce à longue distance facilité quant à<br />
lui par la position de la vil<strong>le</strong>, au carrefour de<br />
voies menant principa<strong>le</strong>ment vers la<br />
Mésopotamie, <strong>le</strong> haut Euphrate ou la côte<br />
égéenne.<br />
C. Kepinski
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ZEYVE HÖYÜK-‐PORSUK : BILAN DES RECHERCHES SUR LES NIVEAUX<br />
DU BRONZE ET DU FER<br />
Dominique Beyer<br />
Université de Strasbourg, UMR 7044<br />
dominique.beyer@misha.fr<br />
Résumé : Ce site de Cappadoce méridiona<strong>le</strong>, au pied de la chaîne du Taurus, a fait l’objet de recherches<br />
archéologiques depuis la fin des années 60. Fondé aux environs de 1600 aC, il est occupé durant toute la période<br />
hittite, cel<strong>le</strong> de l’ancien royaume comme cel<strong>le</strong> de l’empire. L’un des intérêts du site est de présenter éga<strong>le</strong>ment,<br />
sous des niveaux hellénistiques et romains, une occupation de l’Âge du Fer, mais dont <strong>le</strong>s débuts sont encore<br />
diffici<strong>le</strong>s à fixer dans <strong>le</strong> temps de manière précise, après un hiatus consécutif à la destruction vio<strong>le</strong>nte au Bronze<br />
Récent. Les recherches <strong>le</strong>s plus récentes mettent surtout en lumière l’importance inattendue de la période hittite<br />
ancienne.<br />
Mots clés : Cappadoce méridiona<strong>le</strong>, Bas Pays hittite, Période hittite ancienne, Période hittite impéria<strong>le</strong>, Âge du Fer,<br />
Âge du Bronze, Fortifications, Tunna/Dunna, inscription louvite hiéroglyphique<br />
Abstract: This site south of Cappadocia, at the foot of the Taurus, is the subject of archaeological research since the<br />
late 60s. Founded around 1600 BC, it is a sett<strong>le</strong>ment throughout the Hittite period, the ancient kingdom as well as<br />
the empire. One of the site's advantages is the presence, under the Roman and Hel<strong>le</strong>nistic period, of an Iron Age<br />
sett<strong>le</strong>ment, whose origins are still difficult to fix in time precisely, after a hiatus resulting from the vio<strong>le</strong>nt<br />
destruction of the Late Bronze Age. The latest works show the unexpected importance of the ancient Hittite<br />
period.<br />
Keywords: Southern Cappadocia, Hittite low land, Ancient Hittite period, Imperial Hittite period, Iron Age, Bronze<br />
Age, Fortifications, Tunna/Dunna, Luwian hieroglyphic inscription
46<br />
BEYER
Figure 1<br />
C<br />
’est dans une vallée longeant <strong>le</strong> pied<br />
du Taurus, près de la petite vil<strong>le</strong><br />
d’Ulukışla (vilayet de Niğde), en Cap-‐<br />
padoce méridiona<strong>le</strong>, que se situe Porsuk,<br />
qui est éga<strong>le</strong>ment connu par l’appellation<br />
loca<strong>le</strong> de Zeyve höyük (figs. 1-2). L’un des<br />
intérêts majeurs de ce site réside précisément<br />
dans sa localisation sur l’une des grandes<br />
voies de communication qui assurent la<br />
liaison entre <strong>le</strong> plateau anatolien et <strong>le</strong><br />
monde syro-‐mésopotamien par l’intermédiaire des<br />
Portes Ciliciennes à travers la chaîne du<br />
Taurus. Cette montagne, sans doute la<br />
‘Montagne d’Argent’ des textes mésopota-‐<br />
miens, était riche en gisements de plomb et<br />
d’argent, dont <strong>le</strong>s mines étaient encore en<br />
activité dans un passé récent 1 .<br />
Figure 2<br />
C’est Ramsay, visitant <strong>le</strong> site en 1891 et en<br />
1902, qui mentionne ce site de Porsuk pour<br />
1 Cf. Pelon/Kuzucuoğlu 1999.<br />
PORSUK<br />
la première fois. Forrer en 1926 l’examine<br />
en détail, remarquant <strong>le</strong>s vestiges d’une<br />
sorte de poterne avec appareil de pierre<br />
d’allure hittite 2 . Il propose d’y voir la<br />
Tunna/Dunna des textes assyriens et hit-‐<br />
tites 3 . Vers 1960, c’est un bulldozer, lors de<br />
la réalisation de la petite route qui borde <strong>le</strong><br />
site, qui déplace une dal<strong>le</strong> de pierre à<br />
inscription louvite hiéroglyphique prove-‐<br />
nant vraisemblab<strong>le</strong>ment de l’extrémité ouest de<br />
cet höyük, largement entamé par ces tra-‐<br />
vaux : l’inscription mentionne un général<br />
Parahwaras 4 , sujet du roi Masaurhisas, sans<br />
doute vassal du roi de Tuwanuwa (la Tyane<br />
classique) vers la fin du 8 e sièc<strong>le</strong> aC. Cette<br />
découverte est à l’origine des premières<br />
missions de fouil<strong>le</strong>, confiées dès 1968 à Oli-‐<br />
vier Pelon. Il y mène 15 campagnes jusqu’en<br />
2002. Je lui succède en 2003 5 .<br />
Figure 3<br />
Le site, de 450 sur 200 m environ<br />
(fig. 3), comprend 7 à 8 m environ de<br />
couches archéologiques qui se superposent<br />
sur une tab<strong>le</strong> de conglomérat qui offrait, à la<br />
confluence de deux rivières, une situation<br />
privilégiée pour un habitat fortifié. En<br />
dehors des kerpiç, largement utilisés na-‐<br />
turel<strong>le</strong>ment dans la construction, <strong>le</strong>s pierres<br />
provenaient de l’impressionnante montagne de<br />
gypse qui domine <strong>le</strong> site, à l’Ouest, et de<br />
gisements voisins fournissant blocs et plaques de<br />
2 Forrer 1937.<br />
3 On pourra consulter un historique des premières<br />
découvertes chez Dupré 1983.<br />
4 Hawkins 1969.<br />
5 On trouvera <strong>le</strong>s résultats des fouil<strong>le</strong>s récentes dans <strong>le</strong>s<br />
différents rapports publiés dans Anatolia Antiqua à<br />
partir de 2004, voir la bibliographie en fin d’artic<strong>le</strong>.<br />
Pour un résumé des acquis de la mission Pelon, cf.<br />
Pelon 2005.<br />
47
grès. Pas de difficulté non plus pour l’appro-‐<br />
visionnement en bois de cèdre, de pin ou de<br />
genévrier, espèces qui devaient prospérer<br />
sur <strong>le</strong>s pentes du Taurus.<br />
Figure 4<br />
En raison de la présence d’importants<br />
niveaux d’occupation romain et hellénis-‐<br />
tiques, l’exploration des niveaux <strong>le</strong>s plus<br />
anciens, appartenant à l’Âge du Bronze et à<br />
celui du Fer, s’avère diffici<strong>le</strong>. Jusqu’à pré-‐<br />
sent, <strong>le</strong>s recherches ont été pour l’essentiel<br />
limitées aux extrémités Est et Ouest du site,<br />
<strong>le</strong>s chantiers IV et II, où d’importants<br />
vestiges des systèmes de fortification ont pu<br />
être mis au jour. En revanche, la zone<br />
interne du höyük reste inconnue.<br />
Le Bronze Récent<br />
Il semb<strong>le</strong> que la plus ancienne<br />
occupation du site corresponde à la fin du<br />
Bronze Moyen et au début du Bronze récent,<br />
soit aux environs de 1600 aC, c’est-‐à-‐dire<br />
durant la période de l’Ancien Royaume hit-‐<br />
tite, comme <strong>le</strong> montrent quelques tessons et<br />
échantillons de céréa<strong>le</strong>s et de bois carbo-‐<br />
nisés, analysés par C14 ou dendrochronologie 6 . Il<br />
est tentant de lier la fondation de la cité aux<br />
activités des fils du roi Hittite Hattusili Ier<br />
dans la région de Tuwanuwa 7 .<br />
C’est à cette période qu’il faut rattacher<br />
l’édification du système de fortification du<br />
Chantier II, conservé de manière assez<br />
impressionnante, avec un passage condui-‐<br />
sant vers l’intérieur du site, à travers un<br />
couloir coudé, protégé par deux tours (fig.4).<br />
6<br />
Beyer 2010, 98-99, notes 5 et 6.<br />
7<br />
Mora 2010, 14 et note 3 pour <strong>le</strong>s références à l’édit du<br />
roi Te<strong>le</strong>pinu.<br />
48<br />
BEYER<br />
Figure 5<br />
La tour Est, récemment dégagée, et proté-‐<br />
gée provisoirement par un toit de tô<strong>le</strong>s, conserve<br />
une élévation remarquab<strong>le</strong> et de nombreuses<br />
poutres de l’aménagementintérieur (fig.5) 8 .<br />
Figure 6<br />
Sur la pente ouest, nous avons pu montrer<br />
que <strong>le</strong>s murs de la porte, conservés à une hauteur<br />
de 6 mètres, ont été profondément insérés<br />
par <strong>le</strong>s bâtisseurs à l’intérieur du flanc du<br />
site, coupant <strong>le</strong>s bancs de conglomérat à la base<br />
(fig. 6). Les murs, de kerpiç sur soubassement<br />
de pierres, renforcés par des chaînages de<br />
bois et un remplissage de moellons de gypse, ont<br />
été ainsi appliqués contre <strong>le</strong>s deux côtés du<br />
passage 9 .<br />
Les murs de part et d’autre n’appartiennent<br />
pourtant pas à la toute première installation(que<br />
nous appelons Porsuk VI): la porte delaphase<br />
la plus ancienne est située plus à l’intérieur,<br />
au sud de l’espace triangulaire, entre <strong>le</strong>s<br />
murs 4 et 5 du plan, fig. 4.<br />
8<br />
Beyer et al. 2008, 338-344 et 2010, 238-242.<br />
9<br />
Voir en particulier <strong>le</strong> re<strong>le</strong>vé de l’élévation chez Beyer<br />
et al. 2005, 316, fig. 35.
Figure 7<br />
Sans doute à l’origine un passage plus étroit,<br />
élargi par la suite, conduisait-‐il vers cette<br />
porte. Le système a connu plusieurs<br />
modifications : un mur de briques, sans<br />
doute partiel<strong>le</strong>ment détruit par <strong>le</strong> bulldozer,<br />
a semb<strong>le</strong>-‐t-‐il fermé <strong>le</strong> passage et transformé<br />
ce secteur en magasin à jarres (fig. 7) 10 .<br />
Après une destruction vio<strong>le</strong>nte par<br />
incendie, encore mal datée, l’ensemb<strong>le</strong> a été<br />
rebâti, avec une sorte de porche voûté de<br />
kerpiç et un passage à nouveau ouvert. Lors<br />
d’une troisième phase, <strong>le</strong> porche a été à<br />
nouveau bouché par des briques, cette<br />
opération condamnant une nouvel<strong>le</strong> fois,<br />
semb<strong>le</strong>-‐t-‐il, l’accès au site par l’Ouest.<br />
L’importance des couches de destruction,<br />
particulièrement spectaculaires, ne facilite<br />
pas la compréhension de l’histoire<br />
comp<strong>le</strong>xe de ce secteur. Sans doute faut-‐il<br />
comprendre que l’accès principal à la vil<strong>le</strong><br />
antique, durant <strong>le</strong>s différentes périodes,<br />
était sur la pente sud du site, près de la<br />
rivière, à l’emplacement d’une dépression<br />
visib<strong>le</strong> dans la topographie (fig. 3) ? Mais en<br />
l’absence de fouil<strong>le</strong> dans ce secteur, pour <strong>le</strong><br />
moment, on ne peut formu<strong>le</strong>r que des<br />
hypothèses.<br />
Dans <strong>le</strong> chantier IV (fig. 8-9), notre<br />
niveau VI est représenté par quelques<br />
restes de murs, mal conservés, construits<br />
directement sur <strong>le</strong> conglomérat, <strong>le</strong>quel a été<br />
souvent aménagé, coupé, taillé selon <strong>le</strong>s<br />
besoins, comme un sondage récent l’a<br />
montré : ainsi en H42, où deux niveaux du<br />
Bronze Récent ont été identifiés.<br />
10<br />
Dans l’état actuel de la réf<strong>le</strong>xion, c’est l’hypothèse la<br />
plus probab<strong>le</strong>.<br />
PORSUK<br />
Figure 8<br />
Figure 9<br />
À la base, <strong>le</strong> banc de conglomérat a été taillé<br />
sur une profondeur de 1 m pour créer une<br />
sorte de remise à jarres en association avec<br />
une cuve de céramique placée sur une sorte<br />
de plate-‐forme (fig. 10) 11 .<br />
D’une manière généra<strong>le</strong>, <strong>le</strong> matériel<br />
archéologique appartenant à ce niveau VI<br />
est malheureusement rare. Les résultats <strong>le</strong>s<br />
plus importants proviennent du niveau V,<br />
remontant à la période hittite impéria<strong>le</strong>. La<br />
destruction de ce niveau est en général<br />
attribuée aux événements bien connus de la<br />
fin du 13 e sièc<strong>le</strong> aC, avec l’effondrement de<br />
l’empire, mais certains résultats d’analyses<br />
11 Sur cette situation particulière, et de compréhension<br />
comp<strong>le</strong>xe, voir Beyer et al. 2009, 324-330 (Sondage<br />
stratigraphique H42).<br />
49
C14, par exemp<strong>le</strong>, pourraient suggérer une<br />
date plus reculée.<br />
Figure 10<br />
Sur la pente Est, <strong>le</strong>s vestiges apparaissent<br />
parfois directement sur <strong>le</strong> conglomérat<br />
éga<strong>le</strong>ment, ou sur <strong>le</strong>s restes épars du niveau<br />
VI (fig. 11).<br />
Figure 11<br />
La fouil<strong>le</strong> y a révélé un système de forti-‐<br />
fication compartimenté à caissons, remplis<br />
de sab<strong>le</strong> et de ga<strong>le</strong>ts de la rivière voisine<br />
(fig. 12). Ce principe est bien attesté dans<br />
l’architecture militaire hittite.<br />
50<br />
BEYER<br />
La ‘pièce hittite’, ainsi appelée lors<br />
des premières campagnes, en K42-‐L42,<br />
espace spacieux de 7 x 6,5 m, est comprise<br />
dans ce secteur (fig. 12). Peut-‐être avait-‐<br />
el<strong>le</strong> été protégée initia<strong>le</strong>ment par un cordon<br />
de caissons disparu dans l’érosion ? Dans la<br />
couche de destruction vio<strong>le</strong>nte, avec<br />
matériel de la phase récente du Bronze<br />
Récent, un fragment de kerpiç a montré <strong>le</strong>s<br />
vestiges de quelques signes hiéroglyphiques<br />
louvites estampés, ce qui pourrait indiquer<br />
la présence toute proche d’un édifice<br />
important 12 .<br />
Figure 12<br />
Au sud-‐ouest, <strong>le</strong> long de la pente sud, nous<br />
avons dégagé il y a quelques années un<br />
magasin à jarres de stockage (env. 20<br />
jarres) de plus de 14 m de longueur, dont<br />
nous ne connaissons pas encore la limite<br />
ouest (figs. 12-13) 13 . L’ensemb<strong>le</strong> a passa-‐<br />
b<strong>le</strong>ment souffert de la destruction vio<strong>le</strong>nte<br />
par incendie. Des restes de poutres carbonisées<br />
permettent de suggérer que l’espace était<br />
logiquement couvert. En outre, il est vrai-‐<br />
semblab<strong>le</strong> que <strong>le</strong> rempart <strong>le</strong> protégeait<br />
éga<strong>le</strong>ment, mais celui-‐ci aurait entièrement<br />
disparu dans la pente.<br />
Récemment 14 , à l’ouest du caisson 2, en<br />
K41, un sondage étroit a révélé un nouveau<br />
locus avec couche de destruction vio<strong>le</strong>nte<br />
12 Beyer et al. 2005, 311, fig. 28. Les hiéroglyphes ont<br />
été examinés par <strong>le</strong> Prof. René Lebrun, mais<br />
l’inscription est trop lacunaire.<br />
13 Cf. Beyer et al. 2005 ; 2006 et 2007.<br />
14 Beyer et al. 2008, 315 et ss.
du Bronze Récent, quelques jarres vio<strong>le</strong>mment<br />
bousculées et une jarre insérée dans un mur<br />
(figs. 12 et 14). À l’intérieur, 25 litres de<br />
graines d’orge carbonisées ont été re-‐<br />
cueillies. Faut-‐il interpréter cette situation<br />
inédite comme un phénomène de dépôt de<br />
fondation ? Les analyses C14 des graines<br />
comme de la couche de destruction voisine<br />
indiquent la période hittite ancienne, donc <strong>le</strong><br />
niveau VI.<br />
Quant à la dendrochronologie, el<strong>le</strong> donne ici<br />
des résultats beaucoup trop reculés, qui<br />
nous mèneraient jusqu’en p<strong>le</strong>ine période<br />
des comptoirs assyriens de Cappadoce.<br />
Nous attendons encore bien des résultats<br />
d’analyse pour y voir clair, la céramique<br />
hittite étant connue pour avoir malheureu-‐<br />
sement assez peu évolué au cours du<br />
Bronze Récent.<br />
Figure 13<br />
L’âge du Fer<br />
L’une des difficultés qui subsistent à<br />
Porsuk, en dépit du développement des<br />
fouil<strong>le</strong>s récentes, réside dans la datation<br />
précise de la réoccupation du site après la<br />
destruction généra<strong>le</strong> du niveau Hittite V, et<br />
dans l’évaluation de l’importance du hiatus<br />
qui existe entre <strong>le</strong>s deux périodes d’oc-‐<br />
cupation, <strong>le</strong> Bronze et <strong>le</strong> Fer.<br />
Ici aussi, <strong>le</strong>s attestations concernant <strong>le</strong><br />
niveau de réoccupation (Porsuk IV) sont<br />
limitées aux chantiers II et IV, en périphérie.<br />
La plupart des murs de fortification sont<br />
repris, ou reconstruits sur <strong>le</strong> même plan, en<br />
PORSUK<br />
particulier <strong>le</strong> système compartimenté du<br />
chantier IV.<br />
Figure 14<br />
Des creusements très profonds, par endroits<br />
jusqu’au sol hittite du niveau V, voire du<br />
niveau VI, sont à prendre en compte 15 . Peu<br />
de matériel a été retrouvé en place, dans<br />
des conditions stratigraphiques clairement<br />
établies. La question de l’existence, à Porsuk,<br />
d’une céramique du Fer ancien est encore<br />
débattue 16 . Des liens avec la Cilicie ont été<br />
suggérés, mais il existe encore peu de maté-‐<br />
riel de comparaison pour l’instant dans<br />
notre région de Cappadoce méridiona<strong>le</strong>.<br />
Les travaux de fouil<strong>le</strong> récents, aussi bien à<br />
l’Est qu’à l’Ouest, ont révélé la présence, sur<br />
<strong>le</strong>s vestiges de la couche de destruction du<br />
Bronze Récent, à des niveaux altimétriques<br />
très variab<strong>le</strong>s, d’une sorte de croûte grisâtre.<br />
D’après Ali Gürel, géologue de l’Université<br />
de Niğde 17 , cette couche résulterait du<br />
dépôt de sels de gypse après la destruction<br />
15 Beyer et al. 2004, fig. 9.<br />
16 Voir en particulier Crespin 1999, 69. Auparavant,<br />
Dupré 1983, Pelon 1991 et 1994.<br />
17 Communication personnel<strong>le</strong> (novembre 2008). Beyer<br />
2010, 101 et note 18.<br />
51
des murs du Bronze Récent et <strong>le</strong>ur abandon<br />
pendant une assez longue période.<br />
Figure 15<br />
Figure 16<br />
Le hiatus semb<strong>le</strong> ainsi assez important. La<br />
destruction du niveau IV pourrait pour sa<br />
part correspondre à l’expédition de<br />
Salmanasar III d’Assyrie vers <strong>le</strong> Mont Tunni<br />
en 837 aC 18 , ou éventuel<strong>le</strong>ment à un autre<br />
événement plus tardif.<br />
Le niveau III paraît plus assuré, malgré un<br />
certain nombre de perturbations. D’épais<br />
murs de pierres de gypse ont été utilisés<br />
dans <strong>le</strong> système des fortifications, à l’Est<br />
comme à l’Ouest. Au chantier II, <strong>le</strong> mur 16,<br />
large de plus de 4 m, qui longe la pente nord<br />
du höyük, appartient à cette phase, au<br />
18 Cf. Dupré 1983, 70 et 127, avec références aux<br />
inscriptions assyriennes en note 78.<br />
52<br />
BEYER<br />
moins pour son état <strong>le</strong> plus ancien, pourvu<br />
d’un chaînage de bois, avec <strong>le</strong>s restes d’une<br />
tour rectangulaire (figs. 4 et 15).<br />
Au chantier IV, <strong>le</strong>s vestiges du<br />
rempart, malgré la forte érosion de la pente<br />
Est, sont encore impressionnants. Dans ce<br />
secteur, près de l’entrée d’une tour, a été<br />
retrouvé l’exceptionnel pithos (figs. 16-17)<br />
avec ses 18 anses et son décor de tête de<br />
taureau, réparé dans l’Antiquité par une<br />
cinquantaine d’agrafes de plomb. Le<br />
caractère militaire de ce secteur des<br />
fortifications se vérifie dans <strong>le</strong> matériel<br />
retrouvé, avec en particulier <strong>le</strong>s restes<br />
d’une cotte d’écail<strong>le</strong>s en fer (fig. 18) 19.<br />
Figure 17<br />
Figure 18<br />
19 Beyer et al. 2007, 296-298. Cette trouvail<strong>le</strong> doit faire<br />
l’objet d’une publication de la part de Fabrice De<br />
Backer.
La céramique montre une appartenance du<br />
niveau III à la période du Fer Moyen à<br />
Récent, avec des parallè<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong> plateau, à<br />
Alishar, Kültepe et Maşhat höyük en<br />
particulier, suggérant une datation au 8 e et<br />
7 e s. aC.<br />
L’inscription hiéroglyphique évoquée pré-‐<br />
cédemment doit appartenir à cette phase de<br />
l’histoire du site, mais nous ignorons sa<br />
provenance précise : quelque part aux<br />
environs de la ‘poterne hittite’ ou à<br />
l’extérieur du site ?<br />
PORSUK<br />
Le dérou<strong>le</strong>ment régulier des fouil<strong>le</strong>s<br />
japonaises de Kaman-‐Ka<strong>le</strong>höyük devrait<br />
nous fournir davantage de parallè<strong>le</strong>s pour<br />
une étude de la céramique des fouil<strong>le</strong>s<br />
récentes de Porsuk, étude qui reste à faire 20 .<br />
On peut aussi espérer davantage de résultats<br />
stratigraphiques plus solides par une<br />
progression de la fouil<strong>le</strong> vers l’intérieur du<br />
site, dans la zone de l’habitat, encore trop<br />
mal connu. Ceci est vrai pour l’Âge du Fer<br />
comme pour celui du Bronze.<br />
D. Beyer<br />
20<br />
Nous cherchons encore pour cela un spécialiste de la<br />
céramique du Fer.<br />
53
54<br />
BEYER
Bibliographie<br />
PORSUK<br />
Beyer 2010<br />
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Beyer et al. 2010<br />
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13-14 avril 1987, Paris, 15-‐18.<br />
55
56<br />
BEYER<br />
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162.<br />
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Pelon, O. / Kuzucuoğlu, C. (1999), “Le site de Porsuk et <strong>le</strong>s mines de Bulgarmaden”, in : Mélanges C. Domergue<br />
[Pallas 50], 419-‐435.
DU BRONZE AU FER : LA TRANSITION ENTRE DEUX<br />
METALLURGIES DANS LES CIVILISATIONS ANTIQUES D'ANATOLIE,<br />
L’EXPERIMENTATION COMME MOYEN D’ACQUISITION 1<br />
Nicolas Gailhard<br />
nicogailhard@hotmail.com<br />
Résumé : Sous l'influence de l’approche cognitive, nous allons présenter nos travaux expérimentaux sur la<br />
transition entre <strong>le</strong>s métallurgies du bronze et du fer en Anatolie antique. Ce travail est replacé dans <strong>le</strong> contexte<br />
archéologie grâce à l'analyse de la production et des fonctions des fours dédiés à la métallurgie. Cet artic<strong>le</strong> tente<br />
d'apporter un regard différent sur la coexistence entres <strong>le</strong>s objets en bronze et ceux en fer apparus à la fin du 3 e<br />
millénaire. Nous essaierons de répondre à certaines questions tel<strong>le</strong>s que : comment comprendre <strong>le</strong>s compétences<br />
des travail<strong>le</strong>urs de la métallurgie en Anatolie ? Quel<strong>le</strong> est la relation entre métallurgistes du bronze et du fer ?<br />
Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s compétences développées par ces premiers métallurgistes du fer en Anatolie ?<br />
L'apparition du fer dans <strong>le</strong> contexte anatolien est tout sauf une surprise compte tenu de la parfaite connaissance<br />
de la métallurgie du bronze. En outre, nous allons tenter de démontrer que <strong>le</strong> développement des techniques de<br />
transformation des minerais de fer n’a pu qu’intervenir dans un contexte de spécialisation important, ces<br />
spécialistes entretenant surement un rapport étroit avec la métallurgie du cuivre.<br />
Pour aider à la démonstration, nous avons choisi trois thèmes principaux illustrant notre démarche:<br />
• L'origine du fer et la relation avec <strong>le</strong> bronze et <strong>le</strong> cuivre;<br />
• Four et atelier: évidences archéologiques et <strong>le</strong>ur interprétation grâce à l’archéologie expérimenta<strong>le</strong>;<br />
• Tracéologie et compréhension des températures, éléments clés de la métallurgie.<br />
En conclusion, la transition entre la métallurgie du bronze et cel<strong>le</strong> du fer est clairement attestée durant l'Âge du<br />
Bronze. Plusieurs facteurs peuvent expliquer <strong>le</strong> passÂge progressif d'une technique à l'autre. Nous nous sommes<br />
particulièrement intéressés à la relation entre <strong>le</strong>s minerais de cuivre et de ceux de fer. Nous avons aussi examiné <strong>le</strong><br />
rô<strong>le</strong> qu’ont joué <strong>le</strong>s flux à forte concentration de fer dans la réduction du minerai de cuivre (par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> sab<strong>le</strong><br />
noir de la Mer Noire). Si <strong>le</strong> développement de ces technologies a lieu principa<strong>le</strong>ment durant l’Âge du Bronze, c’est<br />
bien <strong>le</strong> début de l'Âge du Fer Moyen qui doit être considéré comme la période où <strong>le</strong>s objets du quotidien ont été<br />
fabriqués à partir de fer. Notre approche tente une voie différente pour étudier l'histoire de la métallurgie et<br />
permet de démontrer comment ces hommes sont extrêmement compétents et spécialisés. En fait, une technologie<br />
traitant de tel<strong>le</strong>s masses de matières premières ne peut être individuel<strong>le</strong>, mais au contraire <strong>le</strong> fait d'une équipe<br />
dont <strong>le</strong> langage corporel et la communication sont synchronisés par <strong>le</strong> rythme de la structure en cours de<br />
fonctionnement. Et si <strong>le</strong>s différences entre <strong>le</strong>s métallurgies du Bronze et du Fer existent, ces métallurgistes ont la<br />
même sensibilité et la même conception dans <strong>le</strong>ur approche des matériaux.<br />
Mots clés : âge du bronze, âge du fer, métallurgie, fer, archéologie des techniques, archéologie expérimenta<strong>le</strong>,<br />
Anatolie<br />
Abstract: Under the influence of cognitive approaches, an experimental perspective on the transition between<br />
Bronze and Iron Metallurgies in Ancient Anatolia is being replaced in archaeology by the analysis of the<br />
production and function of metal furnaces. This paper tries to provide a different look about the coexistence of<br />
bronze objects after the appearance of iron objects at the end of the 3 rd mil<strong>le</strong>nnium BC. We try to answer to some<br />
questions such as: how to understand the skills of the metalworkers in Anatolia? Can we observe some differences<br />
between Bronze and Iron metalworkers? What are the skills developed by these early iron metalworkers in<br />
Anatolia?<br />
It may be hypothesized that the appearance of iron in the Anatolian context is everything except a surprise in view<br />
of the perfect know<strong>le</strong>dge of bronze metallurgy. In addition, we will attempt to show that the development of<br />
techniques of transformation of iron ores could be done only by specialists.<br />
To demonstrate this, we have chosen three main themes illustrating our approach:<br />
• The origin of the iron and the relation with the bronze and copper;<br />
1 Je tiens ici à souligner l’immense aide de Philipe Andrieux sans qui rien n’aurait été possib<strong>le</strong> et la mémoire d’Alberto<br />
Palmieri qui m’a beaucoup aidé et à qui je dédie ce travail.
58<br />
GAILHARD<br />
• Furnace and workshop: archaeological evidences and experimental interpretation;<br />
• Traceology and understanding of temperatures, key e<strong>le</strong>ments of the metallurgy.<br />
As a result, it appears that this transition between Bronze and Iron metallurgies is established during the Bronze<br />
Age. Several factors may explain the gradual shift from one technique to another. We are particularly interested in<br />
the relationship between copper ores and those of iron. We will see the ro<strong>le</strong> that flows with a high concentration of<br />
iron can have in the reduction of copper ore (as in black sand of the Black Sea). Iron-‐working technology was<br />
therefore developing during most of the Bronze Age, but the beginning of the Midd<strong>le</strong> Iron age should properly be<br />
drawn at the time when everyday objects were mostly made from iron. In this paper I will try to show how we can<br />
study the history of metalworkers and see how these men are highly specialized. In fact, a technology dealing with<br />
such masses of material cannot be individual, but on the contrary the fact of a team whose body language and<br />
communication are synchronized by the rhythm of the structure during operation. And if differences exist<br />
between Bronze and Iron, metalwork’s have the same sensibility and conception of roots materials.<br />
Keywords: Bronze Age, Iron Age, metallurgy, iron, archaeology of technics, experimental archaeology, Anatolia
Figure 1 : Logo des Journées de l’Archéologie Expérimenta<strong>le</strong><br />
Introduction<br />
et artic<strong>le</strong> concerne l’archéologiedes techniques. Il se concentre sur <strong>le</strong><br />
travail du métal en Anatolie et en<br />
Transcaucasie entre <strong>le</strong> 3e et <strong>le</strong> 2e millénaire<br />
aC. Il se situe à la croisée de plusieurs<br />
disciplines : archéologie, histoire des tech-‐<br />
niques, expérimentation archéologique, voire<br />
ethnologie. Dans <strong>le</strong> cadre des Premières<br />
Rencontres d’Archéologie organisées par<br />
l’<strong>IFEA</strong>, nous avons abordé <strong>le</strong>s principaux<br />
objectifs d’un projet de recherche déve-‐<br />
loppé depuis plusieurs mois, <strong>le</strong>s premiers<br />
travaux réalisés durant l’été 2010 à la<br />
Gümüslük Académie ont permis de faire <strong>le</strong><br />
point sur l’origine de la métallurgie du fer<br />
en Anatolie.<br />
Cette série d’expérimentations (Eski<br />
Anadolu’da ‘Ateş Sanatları’, 6 bin yıl önceki<br />
bir an, Ateş, metal, insan...) 2 C<br />
, financées dans<br />
<strong>le</strong> cadre d’un projet Tübitak, a permis la<br />
réalisation de douze fours métallurgiques<br />
(quatre fours de réduction de minerai fer,<br />
quatre de réduction de minerai de cuivreet quatre foyers pour réaliser des coulées de<br />
bronze) (figs. 1-2). Plus de vingt étudiants<br />
2 İlki düzen<strong>le</strong>necek “Eğitim ve Uygulamaya Yönelik<br />
Arkeolojik Eğitim Projesi” TÜBİTAK Doğa Eğitimi ve<br />
Bilim Okulları 2010 kapsamında destek<strong>le</strong>nmektedir.<br />
Eğitim, Nicolas Gailhard (Dr. Sorbonne Panteon1<br />
Üniversitesi) ve Dr. Philippe Andrieux (Sorbonne<br />
Panteon1 Üniversitesi) eşliğinde, Gaziantep<br />
Üniversitesinden Arş. Gör. Çağrı Murat TARHAN<br />
tarafından yürütü<strong>le</strong>cektir. Proje Ege, Dokuz Eylül<br />
Üniversitesite<strong>le</strong>ri ve Gümüşlük Akademisi Vakfı<br />
işbirliğınde gerçek<strong>le</strong>şecektir.<br />
DU BRONZE AU FER<br />
ont été mobilisés : ils ont fabriqué plus de<br />
2000 briques d’argi<strong>le</strong>, manipulé plus de 400<br />
kg de minerai et 3 tonnes de charbon de<br />
bois.<br />
Figure 2 : Affiche du Eski Anadolu’da Ateş Sanatları<br />
L’importance et l’actualité de cette<br />
recherche<br />
Pourquoi est-‐il intéressant de<br />
commencer une tel<strong>le</strong> recherche dans <strong>le</strong><br />
contexte anatolien ?<br />
Tout d’abord, son intérêt scientifique est<br />
illustré par <strong>le</strong> nombre important des<br />
découvertes d’objets métalliques en bronze<br />
ou en fer, jouant un rô<strong>le</strong> comme biens de<br />
prestige ou outils utilitaires. Depuis<br />
plusieurs années, des publications récentes<br />
présentent ces recherches surtout d’un<br />
point de vue typologique ou contextuel.<br />
Il me semb<strong>le</strong> que l’approche la plus commu-‐<br />
nément adoptée consiste à se focaliser sur<br />
l’objet fini tandis que <strong>le</strong> phénomène<br />
technique, plus diffici<strong>le</strong> à cerner, est plus ou<br />
moins éludé ou traité par des méthodes<br />
archéométriques modernes (analyses phy-‐<br />
sico-‐chimique, nucléaire, isotopique, etc.).<br />
59
Que dire alors de la transition entre la<br />
métallurgie du bronze et cel<strong>le</strong> du fer qui est<br />
encore mal identifiée d’un point de vue<br />
technique ? Cette évidence m’est apparue<br />
suite aux recherches réalisées dans <strong>le</strong> cadre<br />
de mon doctorat sur l’origine de la mé-‐<br />
tallurgie du cuivre au Moyen-‐Orient ancien 3 .<br />
Les trois thèmes principaux<br />
De nouvel<strong>le</strong>s interrogations ont été<br />
sou<strong>le</strong>vées sur la fin du 3 e millénaire et la<br />
coexistence d’objets en bronze après l’appa-‐<br />
rition des objets en fer. Pour <strong>le</strong>s illustrer,<br />
nous avons choisi de traiter trois thèmes<br />
définissant notre démarche:<br />
• L'origine du fer et la relation avec <strong>le</strong><br />
bronze et <strong>le</strong> cuivre ;<br />
• Four et atelier : évidences archéo-‐<br />
logiques et <strong>le</strong>ur interprétation grâce<br />
à l’archéologie expérimenta<strong>le</strong> ;<br />
• Tracéologie et compréhension des<br />
températures, éléments clés de la<br />
métallurgie.<br />
L'apparition du fer dans <strong>le</strong> contexte<br />
anatolien est tout sauf une surprise compte<br />
tenu de la parfaite connaissance de la<br />
métallurgie du bronze. En outre, nous allons<br />
tenter de démontrer que <strong>le</strong> développement<br />
des techniques de transformation des mine-‐<br />
rais de fer n’a pu qu’intervenir dans un<br />
contexte de spécialisation important, ces<br />
spécialistes entretenant surement un<br />
rapport étroit avec la métallurgie du cuivre.<br />
Nous avons affaire à des personnes<br />
hautement qualifiées et hautement<br />
organisées qui disposent de multip<strong>le</strong>s<br />
compétences (connaissances des minerais,<br />
du feu, des matériaux comme <strong>le</strong> bois, l'argi<strong>le</strong><br />
et <strong>le</strong> sab<strong>le</strong> ainsi que <strong>le</strong>s propriétés de<br />
certaines plantes...) et ont une parfaite<br />
maîtrise des sensations autour d'eux lors de<br />
la réduction des minerais, de la coulée de<br />
bronze et du martelage du fer. Les cinq<br />
sens sont véritab<strong>le</strong>ment utilisés comme des<br />
outils de maîtrise technique.<br />
3 Gailhard 2009.<br />
60<br />
GAILHARD<br />
Le travail expérimental pour<br />
apprendre <strong>le</strong>s techniques anciennes<br />
Nous allons montrer comment à partir<br />
des témoins archéologiques, nous pouvons<br />
réaliser une série de travaux expérimentaux<br />
pour mieux comprendre <strong>le</strong>s techniques<br />
anciennes. Le but est d'avoir une meil<strong>le</strong>ure<br />
connaissance non seu<strong>le</strong>ment de la métallur-‐<br />
gie du fer, mais aussi de connaître l'autre :<br />
ce métallurgiste antique.<br />
Les archéologues étudient fréquemment <strong>le</strong>s<br />
systèmes et <strong>le</strong>s produits technologiques des<br />
populations du passé pour comprendre <strong>le</strong>ur<br />
production, <strong>le</strong>s innovations réalisées ou<br />
l'économie de ces groupes. Ils utilisent aussi<br />
<strong>le</strong>s découvertes matériel<strong>le</strong>s comp<strong>le</strong>xes<br />
comme des marqueurs ethniques ou des<br />
indicateurs d'horizons chronologiques<br />
(céramiques, objets en métal). Mais<br />
l'information sur la façon dont ils ont été<br />
produits est souvent absente ou limitée à<br />
des caractéristiques <strong>le</strong>s plus superficiel<strong>le</strong>s<br />
des pièces. C'est pourquoi, l'objet de cet<br />
artic<strong>le</strong> est de décrire quelques-‐unes des<br />
caractéristiques organisationnel<strong>le</strong>s de<br />
l'ensemb<strong>le</strong> des connaissances utilisées par<br />
<strong>le</strong>s artisans, surtout des métallurgistes et<br />
forgerons, qui travail<strong>le</strong>nt avec <strong>le</strong>s<br />
paramètres non-‐industriels.<br />
Pourquoi nous sommes nous intéressés<br />
à la relation entre la culture matériel<strong>le</strong> et “la<br />
pensée antique” pour prendre l'expression<br />
de Colin Renfrew 4 ? Cette approche ‘cog-‐<br />
nitive’ de l'étude du travail du fer peut être<br />
résumée par cette question : “Comment<br />
connaissez-‐vous ce que vous connaissez ?”,<br />
afin de produire un outil en fer ; ou encore :<br />
“Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s exigences que doit pos-‐<br />
séder une personne pour passer de la ma-‐<br />
tière première –<strong>le</strong> minerai– à l'objet fini ?”.<br />
Si l'on examine <strong>le</strong>s rapports de fouil<strong>le</strong>s d'un<br />
atelier métallurgique ancien, nous dis-‐<br />
tinguons parfois des traces de four, des<br />
tuyères et des scories. Nous entendons uti-‐<br />
liser une méthodologie pour appréhender<br />
cet atelier non pas comme une structure<br />
4 Renfrew/Zubrow 1994.
statique abandonnée à un temps x, mais<br />
plutôt pour l’observer en mouvement et en<br />
fonctionnement afin de <strong>le</strong> comprendre dans<br />
sa globalité. Pour ces raisons, nous avons<br />
décidé d'utiliser l'archéologie expérimen-‐<br />
ta<strong>le</strong> pour l'étude des techniques anciennes.<br />
La relation entre <strong>le</strong> cuivre, <strong>le</strong> bronze<br />
et <strong>le</strong> fer<br />
Figure 3 : Atelier du bronzier (Photo B. Başaran)<br />
Mais avant d’explorer plus en détail<br />
l’utilisation de ces outils de maîtrise tech-‐<br />
nique si particuliers, nous devons revenir<br />
sur <strong>le</strong> travail expérimental. Il permet<br />
d’illustrer <strong>le</strong> fonctionnement d'un atelier<br />
métallurgique et de mettre en évidence <strong>le</strong>s<br />
différences et <strong>le</strong>s points communs entre la<br />
fonte du cuivre et du bronze d’une part et la<br />
fonte du fer d’autre part (figs. 3-4).<br />
Figure 4 : Atelier de réduction du fer (Photo B. Başaran)<br />
Sur la figure 3, on découvre une reconsti-‐<br />
tution d'un atelier pour réduire <strong>le</strong> minerai<br />
de cuivre et cou<strong>le</strong>r des objets en bronze.<br />
Vous pouvez voir en haut, une étuve per-‐<br />
mettant de préparer des mou<strong>le</strong>s, de cuire<br />
<strong>le</strong>s creusets et <strong>le</strong>s tuyères. Au second plan,<br />
on distingue quatre fours pour réduire <strong>le</strong><br />
DU BRONZE AU FER<br />
minerai de cuivre. Au premier plan, ce sont<br />
quatre foyers permettant la fonte du bronze<br />
en creuset pour réaliser des coulées en<br />
mou<strong>le</strong>s. On observe ici quelques creusets en<br />
face des foyers.<br />
Pour démarrer <strong>le</strong> processus concernant<br />
la fabrication d’objets en bronze, il est<br />
nécessaire de disposer de minerais de<br />
cuivre. Dans <strong>le</strong> cadre des Journées<br />
d’expérimentation archéologiques à Gümüsluk,<br />
nous avons utilisé de la chalcopyrite<br />
provenant de la mine de Çayelin dans <strong>le</strong><br />
Nord de la Turquie (figs. 5-6). Deux autres<br />
objets sont essentiels pour la production<br />
métallurgique du bronze : <strong>le</strong> creuset(fig. 7) et<br />
latuyère(fig.8) 5 .<br />
Figure 5 : Malachite de la<br />
région de Keban (Photos A.<br />
Palmieri)<br />
Figure 6 : Chalcopyrite<br />
de la région de Keban<br />
(Photos A. Palmieri)<br />
Les tuyères sont éga<strong>le</strong>ment utilisées dans la<br />
réduction du fer, mais el<strong>le</strong>s ont alors une<br />
tail<strong>le</strong> différente. Le type de creuset à poi-‐<br />
gnée p<strong>le</strong>ine a été à cette occasion testé pour<br />
la première fois. Il a parfaitement répondu à<br />
nos attentes. Nous en avons utilisé certains<br />
pour trois ou quatre coulées successives.<br />
Ces creusets datent, suivant <strong>le</strong>s sites, du<br />
début ou de la seconde moitié du 3 e millé-‐<br />
naire 6 .<br />
Figure 7 : Creusets que l'on trouve à Troy, Khizanaant, Gora et<br />
Norsuntepe (Photo B. Başaran)<br />
5 Respectivement Pizchelauri 2002, 102 ; Mül<strong>le</strong>r-Karpe<br />
1994, 28-29 et Gailhard 2009, 73; Kavtaradze 1999, 75.<br />
6 Gailhard 2009, 93-94, annexe 69 et<br />
Pizchelauri/Pizchelauri 2002, 102.<br />
61
Enfin, <strong>le</strong> mou<strong>le</strong>, objet nécessaire lors de la<br />
dernière phase, cel<strong>le</strong> de la coulée, a pu pren-‐<br />
dre différentes formes : cel<strong>le</strong> par exemp<strong>le</strong><br />
d’un mou<strong>le</strong> bivalve en pierre ou de mou<strong>le</strong>s à<br />
cire perdue en argi<strong>le</strong> qui sont ensuite<br />
détruits pour extraire l’objet coulé (figs. 9-<br />
10).<br />
Figure 8 : Tuyère réalisée pour l’expérimentation (Photo B.<br />
Başaran)<br />
Une simp<strong>le</strong> constatation pour illustrer <strong>le</strong>s<br />
difficultés que rencontre l’expérimentateur<br />
face à la découverte archéologique: <strong>le</strong><br />
mou<strong>le</strong> en pierre pose réel<strong>le</strong>ment un pro-‐<br />
blème car nous ne sommes pas sûrs qu’il<br />
serve à la coulée d’un objet comme ici une<br />
tête de hache. En effet, certains éléments<br />
techniques indispensab<strong>le</strong>s ne sont pas<br />
réunis pour que l’objet puisse être fondu.<br />
Un manque d’étanchéité flagrant pour <strong>le</strong>s<br />
modè<strong>le</strong>s bivalves, un mauvais refroi-‐<br />
dissement et/ou répartition des gaz dans un<br />
mou<strong>le</strong> ouvert, une absence de traces de<br />
coulée <strong>le</strong> plus souvent. C’est pourquoi il<br />
semb<strong>le</strong>rait plus logique de penser à des<br />
mou<strong>le</strong>s pour réaliser des empreintes pour<br />
ensuite réaliser <strong>le</strong> mou<strong>le</strong> en argi<strong>le</strong>.<br />
Figure 9 : Mou<strong>le</strong> bivalve (Photo Ph. Andrieux)<br />
62<br />
GAILHARD<br />
Néanmoins, d’autres expérimentations plus<br />
spécifiques sur ce types de mou<strong>le</strong>s doivent<br />
être conduits. La solution consisterait peut-‐<br />
être à enterrer <strong>le</strong>s mou<strong>le</strong>s bivalves en pierre<br />
pour en assurer l’étanchéité et <strong>le</strong> bon refroi-‐<br />
dissement.<br />
Figure 10 : Réalisation de mou<strong>le</strong>s à la cire perdue (Photo B.<br />
Başaran)<br />
Une des grandes différences entre la<br />
production d’objets en bronze et en fer<br />
réside dans <strong>le</strong> processus en deux étapes<br />
bien différentes suivant la matière pre-‐<br />
mière. La première étape est commune aux<br />
deux types de minerais : il s’agit de la réduc-‐<br />
tion pour extraire <strong>le</strong> maximum d’impureté<br />
du minerai de cuivre ou de fer. Pour cela<br />
nous avons besoin d’une projection d'air<br />
artificiel<strong>le</strong> à l'intérieur du four pour obtenir<br />
<strong>le</strong>s 1200 °C nécessaires afin de réduire <strong>le</strong><br />
minerai de cuivre. Pour nous, el<strong>le</strong> a pris la<br />
forme de deux souff<strong>le</strong>ts en cuir. Pour <strong>le</strong> fer,<br />
<strong>le</strong>s températures encore plus é<strong>le</strong>vées seront<br />
nécessaires.<br />
Figure 11 : Ajout d’étain et de cuivre dans <strong>le</strong> creuset pour<br />
réaliser un bronze (Photo B. Başaran)
La différentiation entre <strong>le</strong>s techniques<br />
intervient une fois cette réduction obtenue :<br />
<strong>le</strong>s processus sont radica<strong>le</strong>ment différents<br />
suivant que l’on a réduit du minerai de<br />
cuivre ou de fer. En effet, <strong>le</strong> cuivre pur ou<br />
associé à l’arsenic ou à l’étain (natu-‐<br />
rel<strong>le</strong>ment ou intentionnel<strong>le</strong>ment) peut<br />
fondre et donc être moulé (fig. 11). Le fer<br />
réduit ne peut fondre et doit être martelé à<br />
chaud pour former des objets. Nous<br />
approchons ici de l’étape décisive qui a dû<br />
être franchie au moment de la transition<br />
bronze/fer. Dans un cas, la fusion du cuivre<br />
mélangé à l'étain pur ou à de l'arsenic<br />
permet de produire des objets en bronze,<br />
comme on <strong>le</strong> voit dans la figure 11, mon-‐<br />
trant la charge du creuset en cuivre et étain.<br />
Figure 12 : Deux poignards en bronze réalisés durant des<br />
expérimentations (Photo Ph. Andrieux)<br />
Figure 13 : Poignard<br />
trouvé à Amasya durant<br />
la période hittite<br />
impéria<strong>le</strong> (14e-13e s.<br />
aC) (D’après Bilgi 2004)<br />
7 Bilgi 2004, 75-90.<br />
La figure 12 montre, à<br />
gauche, l'objet juste<br />
après l’ouverture du<br />
mou<strong>le</strong> et à droite, ce petit<br />
poignard propre et prêt à<br />
l'emploi. Il est possib<strong>le</strong> de<br />
comparer cet objet avec<br />
par exemp<strong>le</strong> un poignard<br />
trouvé à Amasya durant<br />
la période hittite<br />
impéria<strong>le</strong> (14 e -‐13 e s. aC)<br />
(fig. 13) 7 .<br />
Dans un atelier<br />
permettant la réduction<br />
de minerai de fer <strong>le</strong>s<br />
fours sont différents,<br />
beaucoup plus grands<br />
que ceux utilisés pour<br />
DU BRONZE AU FER<br />
réduire <strong>le</strong> minerai de cuivre. Ici, la<br />
température doit être d'environ 1400°C.<br />
C'est pourquoi il est nécessaire de pouvoir<br />
bénéficier d'une longue colonne d'air (fig.<br />
14). Les fours que nous avons construits<br />
mesurent environ 1,50 m, mais comparés<br />
par exemp<strong>le</strong> avec des fours de la région de<br />
Bas-‐sari au Sénégal (fig. 15), ils sont bien<br />
plus petits 8 .<br />
Figure 14 : Quatre bas-fourneaux expérimentaux réalisés dans<br />
<strong>le</strong> cadre de Eski Anadolu’da Ateş Sanatları pour produire du fer<br />
(Photo B. Başaran)<br />
À la fin du processus de réduction de<br />
minerai de fer, comme de l’hématite, on<br />
obtient une masse solide de fer comprenant<br />
des impuretés. Nous appelons cette masse<br />
un massiot ou bloom en anglais. Le fer n'est<br />
pas fondu, c’est une masse spongieuse de<br />
métal dense qu'il faut alors marte<strong>le</strong>r à<br />
chaud pour forger un objet.<br />
Figure 15 : Fours de la région de Bassari au Sénégal (D’après<br />
Herbert 1994)<br />
Deux métallurgies différentes ?<br />
Il semb<strong>le</strong> donc qu'il existe deux<br />
processus différents pour <strong>le</strong>squels on<br />
remarque que :<br />
8 Herbert 1994.<br />
63
-‐ Il est beaucoup plus diffici<strong>le</strong> de<br />
fondre <strong>le</strong> fer que <strong>le</strong> cuivre. Et <strong>le</strong>s minerais<br />
de fer sont beaucoup plus faci<strong>le</strong>s à trouver.<br />
-‐ Le fer est, à la fin du processus,<br />
encore solide alors que <strong>le</strong> cuivre et <strong>le</strong><br />
bronze fondent avant d’être coulés.<br />
-‐ Néanmoins, de nombreux outils de<br />
l'âge de fer ont été façonnés en fer forgé. Le<br />
fer forgé est moins solide que <strong>le</strong> bronze ;<br />
mais parce qu'il était moins coûteux et plus<br />
faci<strong>le</strong> à réaliser, il a été malgré tout utilisé.<br />
-‐ Les meil<strong>le</strong>urs outils ont été réalisés<br />
en acier, un alliage composé de fer avec une<br />
teneur en carbone comprise entre 0,02% et<br />
1,7%. Les armes et <strong>le</strong>s outils en acier ont à<br />
peu près <strong>le</strong> même poids que ceux en bronze,<br />
mais sont beaucoup plus résistants.<br />
-‐ La production de fer nécessite plus<br />
de temps et de combustib<strong>le</strong> que la produc-‐<br />
tion de bronze.<br />
C'est pourquoi il semb<strong>le</strong> important d’étu-‐<br />
dier en parallè<strong>le</strong> ces deux techniques métal-‐<br />
lurgiques.<br />
Hypothèses concernant la découverte<br />
du fer en Anatolie<br />
En considérant <strong>le</strong> développement<br />
possib<strong>le</strong> de la métallurgie du fer en Ana-‐<br />
tolie, nous pouvons faire quelques obser-‐<br />
vations. L'origine des premiers objets en fer<br />
peut être recherchée en corrélation à<br />
l’exploitation de plus en plus comp<strong>le</strong>xe des<br />
mines de cuivre. De nombreux minerais de<br />
cuivre ont des compositions variées<br />
contenant souvent du fer sous différentes<br />
formes. Produire du cuivre à partir de ces<br />
types de minerais avec une température<br />
é<strong>le</strong>vée peut, à côté de la production de<br />
cuivre, créer une petite quantité de fer. C'est<br />
pourquoi, certains spécialistes proposent<br />
que <strong>le</strong> fer ait pu apparaître comme une<br />
production accidentel<strong>le</strong> pendant <strong>le</strong> proces-‐<br />
sus de fonte du cuivre ou du plomb 9 .<br />
9 Wertime 1973 ; Muhly 1988.<br />
64<br />
GAILHARD<br />
Un forgeron habi<strong>le</strong> ou expérimenté aurait<br />
reconnu <strong>le</strong> métal comme étant du fer, mais<br />
l'abondance des scories aurait certainement<br />
freiné son extraction.<br />
Figure 16 : Extraction d’une masse de fer résultant d'une<br />
réduction de chalcopyrite (Photo Ph. Andrieux)<br />
La percée décisive semb<strong>le</strong> intervenir lors-‐<br />
que fut prise la décision de marte<strong>le</strong>r à chaud<br />
la scorie qui sort juste du four.<br />
La figure 16 montre une masse résultant<br />
d'une réduction de minerai de cuivre avec<br />
un niveau é<strong>le</strong>vé de fer (entre 25 à 45% de<br />
fer). Le four expérimental utilisé dans ce cas<br />
a été réalisé après examen des fouil<strong>le</strong>s de<br />
Değirmentepe, où un atelier métallurgique a<br />
été fouillé dans <strong>le</strong>s années 1980 10 . Pour<br />
notre série d’expérimentations, nous avons<br />
pu nous procurer un minerai de chalco-‐<br />
pyrite (CuFeS2) provenant d'Ergani-‐Maden<br />
près de Malatya 11 .<br />
Durant l'âge du bronze, une augmen-‐<br />
tation de la demande d’objets en bronze<br />
nécessitant des expériences de fusion avec<br />
<strong>le</strong>s minerais impurs a pu se produire. Il<br />
10 Esin 1983.<br />
11 Ce minerai avait été col<strong>le</strong>cté par Alberto Palmieri et<br />
Ufuk Esin dans <strong>le</strong>s années 90. Il m’a été gracieusement<br />
offert pour cette série d’expérimentations réalisées en<br />
2003 dans <strong>le</strong> cadre d’une collaboration entre l’UMR<br />
7041 « ArScAn- Du village à l’Etat au Proche et<br />
Moyen-Orient », <strong>le</strong> «laboratoire d’archéologie du Valde-Marne<br />
» en la personne de son directeur M. Philippe<br />
Andrieux et « l’Istituto per <strong>le</strong> Tecnologie applicate ai<br />
Beni Culturali C.N.R. » de Rome représenté par M.<br />
Alberto Palmieri.
s'ensuivit une utilisation croissante de<br />
minerais contenant un fondant (comme<br />
peut l’être la chalcopyrite) ou l'ajout direct<br />
de fondants dans la charge du four pour<br />
en<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s impuretés. Cela a entraîné une<br />
production accidentel<strong>le</strong> d’un sous-‐produit :<br />
<strong>le</strong> fer. C’est lorsque <strong>le</strong>s métallurgistes ont<br />
commencé à traiter <strong>le</strong>s sulfures de cuivre à<br />
forte teneur en fer comme la chalcopyrite<br />
d'Ergani-‐Maden ou à ajouter des fondants<br />
contenant du fer dans <strong>le</strong>urs fours que cette<br />
découverte est intervenue.<br />
Certains de ces minéraux riches en cuivre,<br />
mais aussi en fer, ont été trouvés dans des<br />
contextes de production : à Chypre durant<br />
l'Âge du Bronze 12 ; à Timna, <strong>le</strong>s connexions<br />
entre la métallurgie du cuivre et du fer sont<br />
certifiés 13 ; un creuset du niveau VIb2<br />
d'Arslantepe a été associé à du minerai de<br />
chalco-‐pyrite 14 ; à Metsamor (Arménie)<br />
vingt fours datant du 8 e ou 7 e sièc<strong>le</strong>s aC ont<br />
été identifiés et associés à la métallurgie du<br />
cuivre et du fer 15 ; <strong>le</strong> site de Gümüslük Eski<br />
Madenlik Mevki montre des traces de<br />
brûlure caractéristique d’une masse de fer<br />
mélan-‐gée à des scories datées du 2 e sièc<strong>le</strong><br />
aC 16 .<br />
Une autre hypothèse concernant la<br />
réduction des minerais de fer se fonde sur<br />
l'utilisation de sab<strong>le</strong>s noirs riches en oxyde<br />
de fer contenant de la magnétite. On <strong>le</strong>s<br />
trouve tout au long de la côte sud de la mer<br />
Noire et d’autres régions d'Anatolie 17 .<br />
D’abord utilisé comme un fondant facilitant<br />
la fusion du cuivre, ils ont ensuite constitué<br />
la matière première pour produire du fer,<br />
comme Théophraste <strong>le</strong> mentionne vers 300<br />
aC 18 . Son compte-‐rendu a été écrit plusieurs<br />
12 Mc. Conchie 2004, 48.<br />
13 Rothenberg 1988, 189 ; Ga<strong>le</strong> et al. 1990, 183-189,<br />
Tab<strong>le</strong> 1, Graph 1.<br />
14 Palmieri/Di Nocera 1999, 182.<br />
15 Pigott 1981, 75 ; Mkrtchian et al. 1968, 207.<br />
16 Kaptan 1986, 25.<br />
17 Il est attesté sur <strong>le</strong> site de Tell Atchana/Alalakh<br />
provenant d’une rivière proche. Communication<br />
personnel<strong>le</strong> de Mara Horowitz et K. Aslıhan Yener.<br />
18 Théophraste « On stones », 53-54. Il fut <strong>le</strong> successeur<br />
d'Aristote dans l'éco<strong>le</strong> péripatétique. Nous possédons de<br />
lui un traité sur <strong>le</strong>s pierres, dans laquel<strong>le</strong> Théophraste<br />
classe <strong>le</strong>s pierres en fonction de <strong>le</strong>ur comportement<br />
DU BRONZE AU FER<br />
sièc<strong>le</strong>s après la première introduction du<br />
fer en Anatolie, mais il peut refléter une<br />
tradition beaucoup plus ancienne.<br />
Les analyses réalisées sur ce sab<strong>le</strong> noir<br />
indiquent que <strong>le</strong> contenu d'hématite est<br />
d'environ 15 à 16%. C'est donc une bonne<br />
source de fer, qui nécessite une tempé-‐<br />
rature comprise entre 1200 et 1300°C pour<br />
que la réduction soit réussie. Ces va<strong>le</strong>urs<br />
sont tout à fait comparab<strong>le</strong>s à la tem-‐<br />
pérature de fusion du minerai de cuivre 19 .<br />
Plusieurs sites archéologiques de la<br />
région de la Mer Noire, en Turquie ou en<br />
Géorgie occidenta<strong>le</strong>, attestent d’une activité<br />
de réduction de fer. Ils ont pu utiliser ce<br />
sab<strong>le</strong> de la Mer Noire comme matières pre-‐<br />
mières. La Kolchis par exemp<strong>le</strong>, région à<br />
l’ouest de la Géorgie, dispose d'installations<br />
datant de la fin du 2 e millénaire jusqu'à la<br />
première moitié du 1 e millénaire aC 20 .<br />
La métallurgie du fer en Anatolie et<br />
Transcaucasie<br />
Le point de vue scientifique tradi-‐<br />
tionnel associe <strong>le</strong> travail du fer aux<br />
Hittites21 . Pourtant cette hypothèse n'a pas<br />
été clairement attestée par <strong>le</strong>s découvertes<br />
archéologiques22 . Les sites hittitesn'ontpas révélé une grande quantité d'objets en fer.<br />
Par conséquent, malgré <strong>le</strong>s premiers succès<br />
technologiques, <strong>le</strong> fer, et plus tard l'acier, ne<br />
sont pas devenus des matériaux très répan-‐<br />
dus durant <strong>le</strong> 3e millénaire BC.<br />
Mais son apparition remonte bien avant.<br />
Plusieurs objets en fer fondu sont datés<br />
d'avant 2000 aC, dans un contexte qui<br />
suggère qu'ils ont été traités comme des<br />
lorsqu’el<strong>le</strong>s sont chauffées, d'autres minéraux sont quant<br />
à eux groupés par <strong>le</strong>urs propriétés communes, tel<strong>le</strong>s<br />
l'ambre et la magnétite, qui ont toutes deux <strong>le</strong> pouvoir<br />
d'attraction.<br />
Voir aussi Aristote De Mirabilibus Auscultis, dans<br />
l'édition Loeb de 1910, 48.<br />
19 Ty<strong>le</strong>cote 1981, 137-139.<br />
20 Khakhutaishvili 1976.<br />
21 Waldbaum 1978, 21 ; Waldbaum 1980, 81 ; Muhly et<br />
al. 1985, 71.<br />
22 Kosak 1985, 134 ; Waldbaum 1980, 80 ; Muhly et al.<br />
1985, 80.<br />
65
objets décoratifs de grande va<strong>le</strong>ur (fig.<br />
17) 23 .<br />
Figure 17 : Poignard en fer et en or d’Alaça Höyük daté du<br />
Bronze Ancien (Photo N. Gailhard)<br />
Cependant, si nous voulons nous<br />
concentrer sur <strong>le</strong>s processus de production,<br />
il semb<strong>le</strong> nécessaire de regarder des pé-‐<br />
riodes plus récentes, pour <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s<br />
vestiges archéologiques sont <strong>le</strong>s mieux<br />
conservés. Bien que <strong>le</strong>s fours et plus géné-‐<br />
ra<strong>le</strong>ment l'atelier soient peu représentés<br />
dans <strong>le</strong>s données archéologiques, certains<br />
exemp<strong>le</strong>s ont pu être fouillés.<br />
Figure 18 : Four de type Scharmbeck (Dessins Ph. Andrieux)<br />
23 Yalçin 1999, 178.<br />
66<br />
GAILHARD<br />
Figure 19 : Four de type ‘cuve’ ou ‘bol’ (Dessins Ph. Andrieux)<br />
Jusqu’à présent on a distingué deux types de<br />
fours : <strong>le</strong> four de type Scharmbeck (fig.<br />
18) 24 ; <strong>le</strong> four de type‘cuve’ou‘bol’ (fig. 19) 25 .<br />
Le four découvert dans la région de Kolchis<br />
à Chorokhi, par exemp<strong>le</strong>, appartiendrait au<br />
deuxième type (cuve) 26 . Il s'agissait d'une<br />
cavité hémisphérique, tapissée de roches, et<br />
sans aucune disposition (canal ou tranchée)<br />
pour évacuer <strong>le</strong>s scories. Ce dernier point<br />
est problématique dans l’identification de<br />
cette structure à un four (fig. 20). La<br />
reconstruction du système par l’auteur (fig.<br />
21) n’est d’ail<strong>le</strong>urs pas convaincante 27 : il<br />
suffit de noter <strong>le</strong> système de tubes à vent<br />
qui est inapproprié et bien trop comp<strong>le</strong>xe<br />
pour un fonctionnement normal. À la<br />
lumière de cet exemp<strong>le</strong> on comprend<br />
combien il reste encore de chemin à faire<br />
pour la compréhension du fonctionnement<br />
de tel<strong>le</strong>s structures.<br />
Figure 20 : Reconstitution du four découvert à Chorokhi par N.<br />
Khakhutaishvili (D’après Khakhutaishvili 2008)<br />
24 Bie<strong>le</strong>nin 1973 et 1978.<br />
25 Rostoker/Bronson 1990, 29.<br />
26 Khakhutaishvili 1976.<br />
27 Khakhutaishvili 2008.
Fours et ateliers, <strong>le</strong>ur interprétation<br />
grâce à l’archéologie expérimenta<strong>le</strong>.<br />
Le problème principal ne réside pas,<br />
en fait, dans la forme mais plutôt dans <strong>le</strong><br />
type d’approche utilisé en passant notam-‐<br />
ment de l’analyse théorique à l’expérimen-‐<br />
tation physique.<br />
Est-‐il possib<strong>le</strong> d’obtenir des informations<br />
sur <strong>le</strong> fonctionnement des ateliers antiques<br />
autrement que par l'analyse scientifique pu-‐<br />
rement théorique ? Peut-‐on reproduire l'art<br />
et <strong>le</strong>s gestes de l'artisan antique ? Peut-‐on<br />
découvrir <strong>le</strong>s rapports entre la structure et<br />
la personne qui l'utilise ?<br />
DU BRONZE AU FER<br />
Figure 21 : Fours de type ‘cuve’ découvert à Chorokhi (D’après Khakhutaishvili 2008)<br />
Pour obtenir des réponses à ces questions,<br />
nous devons changer notre point de vue sur<br />
la structure, son interprétation et son utili-‐<br />
sation.<br />
Un four est composé de deux structures<br />
liées : un conteneur pour <strong>le</strong>s composants de<br />
la réaction (murs pour la masse de charbon<br />
et la charge minéra<strong>le</strong>) et un outil moteur de<br />
la réaction (la tuyère) qu’il convient d’ana-‐<br />
lyser de manière distincte.<br />
Figure 22 : Tuyères et tubes à vent de Pürneşe-Müküs-Van<br />
daté du 1e millénaire aC (D’après Bilgi 2004 ; Belli 1991)<br />
L'outil moteur de la réaction<br />
Les tuyères ou <strong>le</strong>s tubes à vent sont des<br />
éléments essentiels pour atteindre <strong>le</strong>s<br />
températures nécessaires à la réduction du<br />
minerai de fer. Au sud du lac de Van, un<br />
nombre important de zones artisana<strong>le</strong>s et<br />
de scories mises au jour révè<strong>le</strong> la transfor-‐<br />
mation des minerais à proximité immédiate<br />
des sites d’extractions. À Pürneşe-‐Müküs-‐<br />
Van, par exemp<strong>le</strong>, de nombreux tubes à vent<br />
ont été découverts, reflétant des activités de<br />
réduction du fer 28 . Cela atteste de l'utilisa-‐<br />
tion d'une ventilation artificiel<strong>le</strong> pour at-‐<br />
teindre <strong>le</strong>s températures é<strong>le</strong>vées durant <strong>le</strong><br />
1 e millénaire aC (figs. 22-23).<br />
28 Bilgi 2004 ; Belli 1991.<br />
67
Figure 23 : Détails des tubes à vent de la région de Pürneşe-<br />
Müküs-Van (D’après Bilgi 2004 ; Belli 1991)<br />
Deuxième point de notre nouvel<strong>le</strong><br />
vision : une autre interprétation.<br />
Les matériaux utilisés dans <strong>le</strong>s murs du<br />
four sont soumis à des températures<br />
é<strong>le</strong>vées : au-‐dessus de 1200°C dans <strong>le</strong>s par-‐<br />
ties inférieures ; au-‐dessus de 450°C sur <strong>le</strong><br />
dessus de la fournaise. De tel<strong>le</strong>s tempéra-‐<br />
tures impliquent la production de terre<br />
cuite et matériaux céramiques ou vitreux.<br />
De ce processus résulte une tracéologie<br />
avec mutation de l'oxyde de fer et fusion de<br />
l'argi<strong>le</strong> sab<strong>le</strong>use 29 .<br />
Un schéma représentant <strong>le</strong>s transforma-‐<br />
tions subies par <strong>le</strong>s parois du four sous<br />
l’action de la température permet de<br />
visualiser <strong>le</strong>s différents stades d’évolution<br />
des matériaux (fig. 24) : au stade 1 (450°C)<br />
<strong>le</strong>s transformations ne sont pas encore<br />
marquées, c'est au cours de l'étape 2<br />
(650°C) que des changements au niveau des<br />
parois commencent à être notés.<br />
Après étude de la paroi par tracéologie, il<br />
est possib<strong>le</strong> d'établir une échel<strong>le</strong> de trans-‐<br />
formation et par conséquent de connaître<br />
<strong>le</strong>s températures subies par un morceau de<br />
paroi. À cet égard, la température de 720°C<br />
signalée par une ligne blanche, est<br />
particulièrement visib<strong>le</strong> et intéressante<br />
pour nous archéologues car en la retrouvant<br />
en fouil<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> permet de savoir <strong>le</strong>s tempé-‐<br />
ratures atteintes par <strong>le</strong> four. Ce témoin<br />
associé à d’autres traces comme des débuts<br />
de vitrification des parois peuvent<br />
confirmer l’utilisation d’une structure de<br />
combustion pour un usage métallurgique,<br />
29 Andrieux 1991 a et b.<br />
68<br />
GAILHARD<br />
ou <strong>le</strong>s températures doivent monter au<br />
environ de 1200°C (fig. 25).<br />
Figure 24 : Tracéologie des parois de four à différentes<br />
températures (Dessins Ph. Andrieux)<br />
Conclusion<br />
Si <strong>le</strong> développement de la métallurgie<br />
du fer a lieu principa<strong>le</strong>ment durant l’Âge du<br />
Bronze, c’est bien <strong>le</strong> début de l'Âge du Fer<br />
qui doit être considéré comme la période où<br />
<strong>le</strong>s objets du quotidien ont été fabriqués à<br />
partir de fer. Les armes en bronze sont par<br />
exemp<strong>le</strong> restées dominant longtemps, sans<br />
doute parce que <strong>le</strong>s minerais de cuivre<br />
étaient abondants et la maîtrise technique<br />
de la fonte du bronze bien établie. De plus,<br />
<strong>le</strong>s forgerons ne pouvaient pas encore<br />
produire des armes d’aussi bonne qualité<br />
que cel<strong>le</strong>s en bronze. Par ail<strong>le</strong>urs, la<br />
production de fer requiert toujours plus de<br />
travail et plus de charbon que cel<strong>le</strong> de<br />
bronze.<br />
Figure 25 : Etudes des traces sur deux fours expérimentaux<br />
après réduction de minerai de fer (Photo Ph. Andrieux)<br />
Avec l'aide de l'expérimentation, nous<br />
avons essayé de montrer comment nous
pouvons approcher ces anciens métal-‐<br />
lurgistes afin de mieux comprendre l'ori-‐<br />
gine de la métallurgie du fer en Anatolie.<br />
DU BRONZE AU FER<br />
En guise de conclusion, une citation<br />
du poète grec Hésiode qui regarde avec<br />
nostalgie l'âge du bronze :<br />
“Plût aux dieux que je ne vécusse pas au milieu de<br />
la cinquième génération ! Que ne suis-je mort<br />
avant ! Que ne puis-je naître après ! C'est l'âge du<br />
fer qui règne maintenant.”<br />
N. Gailhard<br />
69
70<br />
GAILHARD
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DU BRONZE AU FER<br />
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LE THEATRE D’APHRODISIAS, ESPACE CIVIQUE ET IDENTITAIRE<br />
N. de Chaisemartin<br />
Université Paris-Sorbonne<br />
nathalie.de_chaisemartin@paris-sorbonne.fr<br />
Résumé : En tant que cité grecque, Aphrodisias a construit son théâtre au début de la période augustéenne, utilisée<br />
en tant qu'ekk<strong>le</strong>siasterion pour <strong>le</strong>s assemblées publiques de la politeia. Le corpus épigraphique retrouvé dans <strong>le</strong><br />
théâtre, comparé à quelques éléments architecturaux du monument aident à comprendre son rô<strong>le</strong> politique et<br />
civique, particulièrement en tant que mémorial de l'histoire et l'identité de la vil<strong>le</strong>.<br />
Mots clés : théâtre, institutions helléniques, ekk<strong>le</strong>siasterion, Carie, Phrygie, tribune, grands hommes, évergètes,<br />
mémorial, identité civique.<br />
Abstract: As an Hel<strong>le</strong>nic city, Aphrodisias has built in the early Augustan age his theatre, used as ekk<strong>le</strong>siasterion for<br />
the public assemblies of the politeia. The epigraphic corpus found in the theatre compared with some architectural<br />
features of the monument help to understand his political and civic ro<strong>le</strong>, particularly as memorial of the history<br />
and identity of the city.<br />
Keywords: theatre, Hel<strong>le</strong>nic institutions, ekk<strong>le</strong>siasterion, Caria, Phrygia, forum, great men, benefactors, memorial,<br />
civic identity
74<br />
DE CHAISEMARTIN<br />
Figure 1 : Plan du théâtre d'Aphrodisias situant <strong>le</strong>s éléments évoqués dans <strong>le</strong> texte
égagé par <strong>le</strong> professeur Kenan T.<br />
Erim voici une quarantaine<br />
d’années, <strong>le</strong> théâtre d’Aphrodisias<br />
avait, comme dans toutes <strong>le</strong>s cités<br />
helléniques, une doub<strong>le</strong> fonction : cel<strong>le</strong><br />
d’accueillir la communauté pour <strong>le</strong>s<br />
spectac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s concours inter-‐cités, mais<br />
surtout, sans doute plus fréquemment, de<br />
réunir <strong>le</strong>s citoyens en assemblée plénière,<br />
l’ekk<strong>le</strong>sia, pour débattre des orientations<br />
politiques de la cité : dans la région, il est<br />
donc souvent désigné comme ekk<strong>le</strong>siasterion,<br />
à l’exemp<strong>le</strong> de Tral<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> De<br />
architectura de Vitruve1 , plutôt que comme<br />
theatron. Au cours des recherches<br />
préparant sa publication, <strong>le</strong>regrettéD. Theodorescu (architecte de l’IRAA du<br />
CNRS) et moi-‐même avons eu souvent<br />
l’occasion de réfléchir sur cet aspect de son<br />
fonctionnement : je voudrais ici évoquer ce<br />
qui nous a paru significatif à ce propos<br />
d’après la configuration architectura<strong>le</strong>du monument (fig. 1).<br />
Ayant conservé jusque dans l’Antiquité<br />
tardive <strong>le</strong> bâtiment de scène érigé de 30 à<br />
27 aC par son fondateur Zoïlos2 , ce théâtre<br />
présente plusieurs phases d’édification, puis<br />
de transformation des structures scéniques,<br />
et a servi durant près de 8 sièc<strong>le</strong>s.<br />
Les Aphrodisiens avaient conscience de<br />
sa va<strong>le</strong>ur emblématique pour l'histoire de<br />
<strong>le</strong>ur communauté : aussi s’est-‐il progres-‐<br />
sivement transformé en lieu de mémoire de<br />
l’identité de la cité, en particulier lorsqu’au<br />
début du 3e s. fut gravée sur <strong>le</strong> marbre du<br />
mur pignon nord du bâtiment de scène une<br />
série chronologique d’inscriptions, publiées<br />
par Joyce Reynolds3 D<br />
, témoignant des rap-‐<br />
ports privilégiés de la cité avec Rome et <strong>le</strong>s<br />
Césars. Nous nous proposons d’examiner,<br />
en parallè<strong>le</strong> avec ces témoignages épigra-‐<br />
phiques, quelques traces archéologiques<br />
attestant de ce rô<strong>le</strong> de mémorial.<br />
Dans une cité de tradition hellénique<br />
comme Aphrodisias, on retrouve <strong>le</strong>s édifices<br />
institutionnels habituels comme l’agora, <strong>le</strong><br />
1 Vitruve De arch. VII.5.5.<br />
2 Reynolds 1991, 15-16.<br />
3 Reynolds 1982.<br />
THEATRE D’APHRODISIAS<br />
bou<strong>le</strong>uterion et <strong>le</strong> prytanée qui sont groupés<br />
sur <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> d’agora intégrée instauré au<br />
début de l’empire romain en Asie Mineure<br />
au nord du centre civique, comme l’a mon-‐<br />
tré si justement P. Gros 4 . Plus au sud, profi-‐<br />
tant de la pente du tertre de l’agglomération<br />
protohistorique carienne, <strong>le</strong> théâtre occupe<br />
<strong>le</strong> point haut du site : il devait être <strong>le</strong><br />
premier monument urbain aperçu par <strong>le</strong>s<br />
voyageurs de la route suivant <strong>le</strong> cours du<br />
Dandalaz (Morsynos) qui remontaient la<br />
rue principa<strong>le</strong> à partir de la porte sud ou la<br />
rue transversa<strong>le</strong> par la porte est.<br />
Le mot d’ekk<strong>le</strong>siasterion devait être cou-‐<br />
rant dans la région puisque Vitruve cite à la<br />
même époque celui de Tral<strong>le</strong>s, cité distante<br />
d’une soixantaine de kilomètres d’Aphro-‐<br />
disias. Le monument lui-‐même ne semb<strong>le</strong><br />
pas avoir été repéré sur ce site lors des<br />
fouil<strong>le</strong>s d’Edhem Bey au début du 19 e s. et<br />
on attend que <strong>le</strong>s recherches qui y ont<br />
repris sous la direction du Professeur<br />
Abdullah Yaylalı nous en apprennent davan-‐<br />
tage 5 . Ce théâtre ne saurait être considéré<br />
comme un petit auditorium comparab<strong>le</strong> au<br />
bou<strong>le</strong>uterion d’Aphrodisias puisqu'il est<br />
censé contenir l'ekk<strong>le</strong>sia, assemblée géné-‐<br />
ra<strong>le</strong> des citoyens, aussi bien pour <strong>le</strong>s réu-‐<br />
nions périodiques concernant <strong>le</strong>s affaires<br />
courantes de la cité que pour des assem-‐<br />
blées de crise. Le comitium de Rome et des<br />
cités italiennes y jouait un rô<strong>le</strong> équiva<strong>le</strong>nt.<br />
Comme <strong>le</strong> remarque W. Johannowsky à<br />
propos du théâtre de Iasos 6 , l’emploi du mot<br />
ekk<strong>le</strong>siaterion par Vitruve n’est pas un<br />
hasard : il veut insister sur <strong>le</strong> manque de<br />
sérieux du corps civique de Tral<strong>le</strong>s qui a fait<br />
peindre sur la façade scénique du lieu<br />
d’assemblée un trompe-‐l’œil à la mode,<br />
mais fantaisiste et peu compatib<strong>le</strong> avec la<br />
dignité du lieu.<br />
Quels sont <strong>le</strong>s éléments repérab<strong>le</strong>s dans<br />
l’auditorium du théâtre d’Aphrodisias, puis<br />
sur <strong>le</strong> bâtiment de scène qui gardent trace<br />
de cette activité politique et civique ? La<br />
construction de la cavea de marbre par<br />
4 Gros 1996b.<br />
5 Edhem Bey 1904.<br />
6 Johannowsky 1972, 455.<br />
75
Aristoclès Molossos vers <strong>le</strong> milieu du 1 e s.<br />
pC est attestée par plusieurs inscriptions<br />
publiées par J.M. Reynolds 7 . Les graffiti sur<br />
<strong>le</strong>s gradins re<strong>le</strong>vés par Charlotte Roueché<br />
montrent que <strong>le</strong>s places assises étaient<br />
réservées suivant la classification socia<strong>le</strong><br />
organisée par Auguste grâce à l’instauration<br />
la <strong>le</strong>x Julia theatralis 8 .<br />
Comme semb<strong>le</strong>nt l’indiquer deux des<br />
dédicaces de Molossos qui en distinguent<br />
deux catégories, <strong>le</strong>s parodoi et <strong>le</strong>s anodoi, on<br />
peut supposer que la disposition des accès<br />
dans la cavea et des circulations se faisait<br />
aussi suivant <strong>le</strong> rang hiérarchique des spec-‐<br />
tateurs. Les citoyens importants –magistrats<br />
et bienfaiteurs de la cité– occupant la<br />
proédrie et <strong>le</strong>s gradins inférieurs au centre<br />
de la cavea y parvenaient presque de plain-‐<br />
pied par <strong>le</strong>s parodoi encadrant <strong>le</strong> bâtiment<br />
de scène et <strong>le</strong> plateau. À Aphrodisias, il y<br />
avait de plus un second rang de bancs de<br />
proédrie à dossier sur <strong>le</strong> diazoma médian<br />
couronnant l’ima cavea. Le peup<strong>le</strong> accédait<br />
à ce palier intermédiaire par <strong>le</strong>s escaliers<br />
latéraux, désignés dans l’inscription comme<br />
anodoi, montant de l’agora sud et des ter-‐<br />
rasses adossées aux murs d’ana<strong>le</strong>mma. Au<br />
Nord, un franchissement interrompant <strong>le</strong><br />
couronnement du mur d’ana<strong>le</strong>mma nord et<br />
relié à la terrasse adossée par quelques<br />
marches, donne accès au tiers supérieur de<br />
l’ima cavea. La cavea supérieure était des-‐<br />
servie, en plus des escaliers rayonnants<br />
séparant <strong>le</strong>s cunei, par un couloir ou crypta<br />
sous <strong>le</strong>s gradins. On peut supposer que cette<br />
répartition hiérarchique valait aussi pour<br />
<strong>le</strong>s assemblées civiques, bien qu’à<br />
Aphrodisias <strong>le</strong>s places réservées aux<br />
différentes tribus de la cité ne soient pas<br />
indiquées sur <strong>le</strong>s gradins, comme c’est <strong>le</strong> cas<br />
par exemp<strong>le</strong> à Hiérapolis 9 .<br />
Ch. Roueché y relève, sur <strong>le</strong> troisième<br />
gradin en partant du diazoma inférieur,<br />
l’emplacement réservé (marqué T pour<br />
topos) à un héraut (pour mandatoros) 10 . Ce<br />
7<br />
Reynolds 1991, 16-19, 22-25, n° 1 à 6, figs. 1-3. Base<br />
Insaph, corpus Iaph n° 8-108, n° 8-111, 8-112, 8-113.<br />
8<br />
Roueché 1993, 99-117.<br />
9<br />
Ritti 2006, 115-118.<br />
10<br />
Roueché 1993, 100, pl. XIII.<br />
76<br />
DE CHAISEMARTIN<br />
terme latin, à distinguer du mot grec kerux<br />
désignant <strong>le</strong> héraut des assemblées civiques<br />
grecques, était employé pour <strong>le</strong> crieur pu-‐<br />
blic qui transmettait <strong>le</strong> point de vue ou <strong>le</strong>s<br />
ordres de l’empereur (mandata) à l’assem-‐<br />
blée des citoyens. Ce héraut pouvait aussi<br />
être <strong>le</strong> porte-‐paro<strong>le</strong> du gouverneur ou des<br />
magistrats locaux et avait très probab<strong>le</strong>-‐<br />
ment un rô<strong>le</strong> dans la convocation et <strong>le</strong><br />
dérou<strong>le</strong>ment des assemblées.<br />
Les gradins <strong>le</strong>s plus riches d’inscriptions<br />
sont évidemment au centre de la cavea,<br />
tandis que <strong>le</strong>s inscriptions liées, dans<br />
l’Antiquité tardive, aux factions du cirque se<br />
regroupent sur <strong>le</strong>s ai<strong>le</strong>s : <strong>le</strong>s Verts au nord,<br />
<strong>le</strong>s B<strong>le</strong>us au sud de la cavea selon Ch.<br />
Roueché. Certains gradins sont réservés aux<br />
corporations professionnel<strong>le</strong>s qui devaient<br />
certainement avoir un poids important dans<br />
<strong>le</strong>s décisions de politique économique, par<br />
exemp<strong>le</strong> la place réservée au 8 e rang de<br />
Theodotos <strong>le</strong> protaurarius 11 , chef de la<br />
guilde des orfèvres, ou au 13 e rang, l’empla-‐<br />
cement de la corporation des bouchers,<br />
comme à l’amphithéâtre de Lyon 12 .<br />
C'est sous A<strong>le</strong>xandre Sévère entre 222<br />
et 235 pC qu'a eu lieu la visite officiel<strong>le</strong> à<br />
Aphrodisias de Sulpicius Priscus, proconsul<br />
d'Asie, que Ch. Roueché propose de mettre<br />
en relation avec l'installation dans l’axe de la<br />
cavea d’un trône de marbre monolithe<br />
imitant sur <strong>le</strong>s côtés <strong>le</strong>s montants croisés<br />
d’une chaise curu<strong>le</strong>, et pourvu d’un dispo-‐<br />
sitif de dais ou de parasol (fig. 2) 13 .<br />
Figure 2 : Siège d’apparat au centre de la cavea du théâtre<br />
d’Aphrodisias<br />
11<br />
Roueché 1995.<br />
12<br />
A. Audin et J. Guey, BSNAF 1976, 202.<br />
13<br />
Roueché 1991, 99-102 ; Reynolds 1982, doc. 48, 174-<br />
176.
L’estrade à deux niveaux qui <strong>le</strong> supporte<br />
peut avoir été créée pour l'illustre visiteur<br />
et sa suite, mais el<strong>le</strong> pourrait aussi avoir été<br />
placée là antérieurement, comme <strong>le</strong> balda-‐<br />
quin dorique du théâtre de Mi<strong>le</strong>t 14 , pour des<br />
magistrats romains disposant de chaises<br />
curu<strong>le</strong>s. Au milieu du 3 e s., sous Philippe<br />
l’Arabe ou Trajan Dèce, <strong>le</strong> théâtre va<br />
connaître une importance politique accrue<br />
liée à la promotion d’Aphrodisias comme<br />
capita<strong>le</strong> de la communauté (koinon) de<br />
Carie-‐Phrygie selon l'hypothèse de Ch.<br />
Rouéché 15 . Il y a lieu de supposer qu’il a<br />
alors servi aux assemblées des délégués<br />
communautaires de la province.<br />
De son côté, <strong>le</strong> bâtiment de scène cons-‐<br />
truit par Zoïlos a constitué <strong>le</strong> premier mo-‐<br />
nument civique de la vil<strong>le</strong>, antérieur même<br />
probab<strong>le</strong>ment à l’agora civique dans son<br />
état augustéen. Si <strong>le</strong> théâtre d’Aphrodisias<br />
fonctionne dès cette époque comme un<br />
ekk<strong>le</strong>siasterion, il faut se demander quel<br />
niveau du dispositif scénique servait de<br />
bêma (tribune suré<strong>le</strong>vée des orateurs) :<br />
était-‐ce <strong>le</strong> plateau scénique ou la terrasse<br />
surmontant la colonnade du proskenion et<br />
réservée dans <strong>le</strong> théâtre grec aux acteurs<br />
principaux ?<br />
Dans <strong>le</strong>s cités grecques, l’accès à la<br />
tribune devait sans doute être so<strong>le</strong>nnisé,<br />
voire théâtralisé : <strong>le</strong>s couloirs voûtés du rez-‐<br />
de-‐chaussée et du premier niveau du<br />
bâtiment de scène –celui-‐ci jouant <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de<br />
valva regia réservée dans la tragédie aux<br />
person-‐nages royaux–, devaient encadrer<br />
avec majesté l’entrée de l’orateur se<br />
présentant devant l’assemblée. On peut<br />
peut-‐être se figurer que la terrasse du<br />
proskenion a pu servir de tribune aux<br />
harangues au moins dans la première phase<br />
augustéenne où l’orchestra était<br />
pratiquement de plain-‐pied avec <strong>le</strong><br />
bâtiment de scène. À partir de la phase<br />
claudienne de construction de la cavea en<br />
marbre accompagnée du premier<br />
creusement de l’orchestra, apparaît au rez-‐<br />
de-‐chaussée un plateau scénique suré<strong>le</strong>vé<br />
14 Krauss 1973, 4, 1-2, 63 et 81-82, pls. 9-10.<br />
15 Roueché 1989, 1-4.<br />
THEATRE D’APHRODISIAS<br />
comparab<strong>le</strong> à l’estrade de certains bou<strong>le</strong>uteria<br />
d’époque impéria<strong>le</strong> (Ephèse, Aphrodisias)<br />
et qui a pu être utilisé plus commodément<br />
par <strong>le</strong>s orateurs.<br />
La porte est du passage central du rez-‐<br />
de-‐chaussée est encadrée par <strong>le</strong>s traces<br />
d’appui d’escaliers extérieurs donnant accès<br />
à un niveau correspondant à celui de la<br />
voûte du premier étage (fig. 3). Ces<br />
escaliers supposent la présence dans <strong>le</strong><br />
projet d’origine d’une porticus post scaenam<br />
couverte d’une terrasse, et conduisent à<br />
restituer un bâtiment de scène longé à<br />
l’Ouest comme à l’Est de deux terrasses<br />
reliées par <strong>le</strong> passage voûté du premier<br />
niveau de l’ordonnance ionique de la frons<br />
scaenae.<br />
Figure 3 : Traces des escaliers d’accès à la terrasse de la<br />
porticus post scaenam<br />
Ce portique oriental rectiligne était<br />
encadré au nord et au sud par des murs<br />
d’antes en prolongement des murs pignons<br />
du bâtiment de scène, dont <strong>le</strong>s fondations<br />
ont été identifiées dans <strong>le</strong>s sondages<br />
pratiqués aux ang<strong>le</strong>s orientaux du bâtiment.<br />
Sa destruction avec toute la façade orienta<strong>le</strong><br />
du bâtiment de scène lors d’un séisme au<br />
milieu du 4 e s. et la reconstruction au début<br />
du 5 e d’un quadriportique en matériaux de<br />
réemploi à l’est du théâtre en ont<br />
néanmoins laissé quelques témoins 16 : <strong>le</strong>s<br />
chapiteaux des pilastres d’antes, analogues<br />
16 Roueché 1989, 39 et 42.<br />
77
à ceux des antes du portique ouest, des<br />
fragments de fûts monolithes facettés dans<br />
un sty<strong>le</strong> dorique archaïsant, enfin un<br />
chapiteau dorique libre et deux fragments<br />
de la même série à échine lisse.<br />
Les orateurs –au moins lors du premier<br />
sièc<strong>le</strong> de fonctionnement du théâtre–<br />
devaient donc monter par ces escaliers sur<br />
la terrasse de la porticus post scaenam pour<br />
atteindre la terrasse opposée du proskenion<br />
par la voûte médiane du premier étage qui<br />
<strong>le</strong>s reliait au niveau inférieur du podium de<br />
la colonnade ionique de façade. De ce pas-‐<br />
sage puissamment architecturé il reste <strong>le</strong>s<br />
doub<strong>le</strong>s orthostates et <strong>le</strong>s assises infé-‐<br />
rieures des murs latéraux ainsi que la<br />
bordure orienta<strong>le</strong> du dallage qui pavait <strong>le</strong><br />
couloir au-‐dessus de l’extrados de la voûte<br />
du rez-‐de-‐chaussée. Un mur en tout venant<br />
et arases de briques a bouché <strong>le</strong> passage<br />
lors de la reconstruction tardo-‐antique. À<br />
son extrémité ouest, <strong>le</strong>s voussoirs étaient<br />
décorés en intrados de caissons, <strong>le</strong>s<br />
lacunaria, dont <strong>le</strong>s moulures étaient traitées<br />
de manière à annu<strong>le</strong>r pour l’observateur<br />
toute déformation optique. Ils reposaient<br />
sur des impostes à décor de rosettes et de<br />
rinceaux dont une paire faisait partie des<br />
décombres de la frons scaenae, tandis<br />
qu’une autre paire retrouvée lors des<br />
fouil<strong>le</strong>s devait correspondre à l’ouverture<br />
de la voûte du côté est avant la<br />
reconstruction, et avait été conservée sur<br />
place.<br />
Cette structure à deux logeia opposés<br />
reliés par un majestueux passage voûté –dont<br />
on ne connaît pas d'équiva<strong>le</strong>nt parmi <strong>le</strong>s<br />
théâtres hellénistiques ou proto-‐<br />
impériaux– a pu être aménagé en vue de<br />
l'utilisation du théâtre pour des réunions<br />
politiques où <strong>le</strong>s deux terrasses est et ouest<br />
jouaient un rô<strong>le</strong>.<br />
Le regretté D. Theodorescu avait com-‐<br />
paré ce dispositif, resté jusqu’ici unique<br />
parmi <strong>le</strong>s théâtres contemporains, à celui de<br />
l’ang<strong>le</strong> nord-‐est du Forum sous la<br />
République, où la Curie sénatoria<strong>le</strong> était<br />
précédée du Comitium, cerc<strong>le</strong> de gradins où<br />
s’asseyaient <strong>le</strong>s citoyens lors des assem-‐<br />
blées. Au bord méridional de celui-‐ci, <strong>le</strong>s<br />
78<br />
DE CHAISEMARTIN<br />
anciens Rostres, tribune des orateurs,<br />
marquaient la limite de l’esplanade centra<strong>le</strong><br />
du Forum Romanum. Un autre exemp<strong>le</strong><br />
mieux conservé est fourni par <strong>le</strong> comp<strong>le</strong>xe<br />
du comitium de Paestum où la curie<br />
s’ouvrait en arrière du cerc<strong>le</strong> de gradins,<br />
permettant aux sénateurs comme aux<br />
citoyens d’assister aux discours des<br />
orateurs 17 . Un moment clé de la naissance de<br />
la démocratie à Rome est évoqué par<br />
plusieurs sources avec l'anecdote de Gaius<br />
Gracchus debout sur <strong>le</strong>s anciens Rostres et<br />
se détournant de la curie et du Comitium au<br />
nord, où se rassemblaient <strong>le</strong>s patriciens,<br />
pour s'adresser à la fou<strong>le</strong> massée dans <strong>le</strong><br />
Forum au sud 18 .<br />
Au théâtre d’Aphrodisias, l’hypothèse de<br />
D. Theodorescu propose de voir dans la<br />
structure particulière du bâtiment de scène<br />
l’application à une cité de tradition hellé-‐<br />
nique d’un mode de communication<br />
col<strong>le</strong>ctive qui s’adresse à deux catégories<br />
socia<strong>le</strong>s aux droits civiques inégaux. Leur<br />
rassemb<strong>le</strong>ment se fait en deux lieux<br />
distincts, mais proches, et l’orateur<br />
s’adresse alternativement ou successivement<br />
aux deux groupes. Ce mode de<br />
fonctionnement peut-‐il être <strong>le</strong> signe d’une<br />
influence italique ou faut-‐il penser qu’il<br />
avait pu exister aussi en secteur hellénisé ?<br />
En effet, <strong>le</strong>s cités grecques n’admettaient en<br />
principe à l’ekk<strong>le</strong>sia que <strong>le</strong>s citoyens de<br />
p<strong>le</strong>in droit, c’est-‐à-‐dire de pure souche<br />
hellénique, et non <strong>le</strong>s métèques, <strong>le</strong>s<br />
périèques ou <strong>le</strong>s étrangers vivant dans la<br />
cité.<br />
Un témoignage épigraphique peut peut-‐<br />
être nous donner une indication dans ce<br />
sens : <strong>le</strong>s évènements intervenus à<br />
Aphrodisias et dans la région au cours de la<br />
première guerre mithridatique en 88 aC<br />
sont évoqués par deux inscriptions secon-‐<br />
dairement gravées à l’extrémité nord du<br />
proskenion dorique du théâtre. L’une porte<br />
sur <strong>le</strong>s deux blocs terminaux de la frise<br />
architravée couronnant <strong>le</strong> proskenion un<br />
décret de la sympolitie d’Aphrodisias et de<br />
17 Greco/Theodorescu 1987, 27-39, figs. 34-42; Gros<br />
1996, 209, figs. 243, 211, 246.<br />
18 Plutarque, C. Gracchus 5.4.124.
la vil<strong>le</strong> voisine de Plarasa rappelant la<br />
décision du peup<strong>le</strong> d’Aphrodisias de se<br />
porter au secours du contingent romain du<br />
questeur Quintus Oppius, assiégé dans<br />
Laodicée du Lycos par <strong>le</strong>s troupes de<br />
Mithridate (fig. 4) 19 . Le peup<strong>le</strong> honore <strong>le</strong><br />
stéphanéphore Artemidoros, fils de<br />
Pereitas, grand-‐prêtre d’Aphrodite et<br />
premier magistrat de la cité, qui avait été<br />
choisi comme chef de l’expédition. La<br />
seconde, sur <strong>le</strong> pilastre terminal nord du<br />
proskenion, est une <strong>le</strong>ttre de Q. Oppius<br />
félicitant <strong>le</strong>s Aphrodisiens de l’avoir<br />
secouru efficacement, en fidè<strong>le</strong>s alliés et<br />
amis de Rome, et acceptant de devenir <strong>le</strong>ur<br />
patronus 20 .<br />
Figure 4 : Entab<strong>le</strong>ment de l’extrémité nord du proskenion<br />
portant sur <strong>le</strong> larmier la dédicace de Grypos et sur une métope<br />
comme sur l’architrave <strong>le</strong> décret évoquant l’épisode de la<br />
libération de Quintus Oppius par <strong>le</strong> contingent des Aphrodisiens<br />
en 88 aC<br />
Le premier texte insiste sur <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong><br />
contingent de volontaires comporte non<br />
seu<strong>le</strong>ment des citoyens, mais aussi des<br />
esclaves et des paroikoi : ce mot désignait<br />
probab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s habitants des campagnes<br />
et hameaux du territoire de la cité, popu-‐<br />
lation que l’on peut supposer autochtone et<br />
de langue carienne. On constate donc à cette<br />
date qu’une tel<strong>le</strong> décision est portée par<br />
deux catégories distinctes d’habitants, qui<br />
ont peut-‐être pu la sanctionner par un vote<br />
(<strong>le</strong>s esclaves ne votant pas).<br />
Un demi-‐sièc<strong>le</strong> plus tard, <strong>le</strong> bâtiment de<br />
scène du théâtre est construit par Zoïlos,<br />
affranchi de César et probab<strong>le</strong>ment chargé<br />
par Octavien de développer à Aphrodisias<br />
une cité-‐modè<strong>le</strong> ‘alliée et amie’ de Rome. Il<br />
19 Reynolds 1982, 11-16, pl. 2 ; IAph théâtre n° 8.3.<br />
20 Reynolds 1982, doc. 3, 16-20 ; IAph théâtre n° 8.2<br />
THEATRE D’APHRODISIAS<br />
n’est pas exclu que son dispositif particulier<br />
ait reflété la hiérarchisation des habitants<br />
en deux catégories distinctes matérialisée<br />
par un lieu de rassemb<strong>le</strong>ment différent : <strong>le</strong>s<br />
citoyens sur <strong>le</strong>s gradins du théâtre et <strong>le</strong><br />
reste des habitants sur la place à l’est du<br />
bâtiment de scène. Ce fait justifierait la pré-‐<br />
sence de la seconde terrasse, qui aurait pu<br />
servir de tribune dominant la place jusqu’à<br />
la destruction au milieu du 4 e s. de la partie<br />
orienta<strong>le</strong> du bâtiment de scène.<br />
La place publique de ce côté, recons-‐<br />
truite au 5 e s. après la suppression de la<br />
porticus post scaenam a probab<strong>le</strong>ment servi<br />
d’agora en remplacement de l’agora civique<br />
septentriona<strong>le</strong> sujette aux inondations<br />
hiverna<strong>le</strong>s dans l’Antiquité tardive.<br />
Toutefois <strong>le</strong> dispositif à deux terrasses<br />
reliées par une voûte du bâtiment scénique<br />
d’Aphrodisias reste <strong>le</strong> seul observab<strong>le</strong><br />
parmi <strong>le</strong>s théâtres antiques aujourd’hui<br />
connus. Nous manquons par ail<strong>le</strong>urs de<br />
témoignages issus des sources historiques<br />
ou épigraphiques pour conforter cette<br />
hypothèse.<br />
Plusieurs autres inscriptions honori-‐<br />
fiques ont été secondairement gravées sur<br />
<strong>le</strong>s blocs de la corniche dorique du<br />
proskenion lorsqu’une série de statues de<br />
notab<strong>le</strong>s et de bienfaiteurs de la cité a été<br />
dressée sur la bordure antérieure du<br />
logeion. Peut-‐être en raison de <strong>le</strong>ur poids,<br />
<strong>le</strong>s bases inscrites de ces statues n’auraient<br />
sans doute pas été montées sur la terrasse,<br />
d’où la nécessité d’en recopier <strong>le</strong>s<br />
épigraphes sur <strong>le</strong>s blocs de corniche. Les<br />
statues auraient gardé <strong>le</strong>ur simp<strong>le</strong> soc<strong>le</strong><br />
muni à la face inférieure d’une mortaise<br />
cubique s’encastrant dans <strong>le</strong>s blocs de<br />
corniche. Les statues auraient ainsi paru<br />
marcher sur la terrasse comme <strong>le</strong> faisaient<br />
antérieurement <strong>le</strong>s orateurs ou <strong>le</strong>s acteurs.<br />
D’après R.R.R. Smith 21 , cet aménage-‐<br />
ment daterait des transformations d’époque<br />
antonine du théâtre qui auraient entraîné<br />
l’abandon du logeion pour <strong>le</strong>s représenta-‐<br />
tions scéniques 22 : peut-‐être en a-‐t-‐il été de<br />
21 Smith 2006, 54-55.<br />
22 Reynolds 1991, 18-19, n°3.<br />
79
même à ce moment pour sa fonction politi-‐<br />
que de tribune. L’étude de restauration du<br />
proskenion entreprise en 2010-‐2011 par <strong>le</strong>s<br />
architectes autrichiens de l’équipe<br />
d’Aphrodisias Gerhardt Paul et Thomas<br />
Käfer a permis de replacer dans <strong>le</strong>ur ordre<br />
d’origine ces blocs de corniche inscrits.<br />
Certaines des statues remontées sur ceux-‐ci<br />
auraient été déjà présentes dans l’état<br />
d’aménagement antérieur du théâtre,<br />
puisque la dédicace honorifique gravée en<br />
quatrième position à partir du nord sur<br />
trois blocs du huitième entraxe est cel<strong>le</strong> de<br />
Tiberius Claudius Diogenes, l'évergète qui<br />
avait restauré ou complété l'œuvre de sa<br />
famil<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> portique sud du Sébasteion<br />
sous Néron, à une époque proche de cel<strong>le</strong> de<br />
la construction de la cavea de marbre par<br />
Molossos.<br />
Figure 5 : Entab<strong>le</strong>ment de la section nord du proskenion<br />
dorique avec <strong>le</strong>s blocs de corniche portant <strong>le</strong>s dédicaces de<br />
statues honorifiques et <strong>le</strong>s mortaises pour l’insertion de <strong>le</strong>ur<br />
soc<strong>le</strong><br />
Un second bienfaiteur du 1 e s., Attalos<br />
Adrastos Hierax, a reçu deux fois <strong>le</strong>s hon-‐<br />
neurs d’une statue selon deux longs décrets<br />
des autorités civiques reproduits vers <strong>le</strong>s<br />
extrémités de la partie antérieure de la<br />
colonnade. Mais <strong>le</strong>s mortaises d’insertion de<br />
statues, particulièrement nombreuses et de<br />
tail<strong>le</strong>s diverses dans ces secteurs, montrent<br />
que <strong>le</strong>s statues de ces premiers évergètes<br />
avaient été entourées au fil du temps<br />
d’autres figures ou ornements (fig. 5). Les<br />
autres inscriptions de la corniche concer-‐<br />
nent des notab<strong>le</strong>s du 2 e s. : l’une d’entre<br />
el<strong>le</strong>s honore Tiberius Claudius Zélos, époux<br />
d’une descendante de Zoïlos, probab<strong>le</strong>ment<br />
80<br />
DE CHAISEMARTIN<br />
<strong>le</strong> bienfaiteur qui a réaménagé au milieu du<br />
2 e s. pC <strong>le</strong> plateau scénique. Toutefois il est<br />
diffici<strong>le</strong> de préciser si <strong>le</strong>s trois grandes sta-‐<br />
tues de notab<strong>le</strong>s et la tête de vieillard voilée<br />
provenant des fouil<strong>le</strong>s du théâtre appar-‐<br />
tenaient au décor du front de scène ou à ce-‐<br />
lui de la terrasse du logeion 23 .<br />
De fait, cette terrasse se transforme<br />
ainsi progressivement en ga<strong>le</strong>rie des grands<br />
hommes de la cité, qui donne ainsi à voir <strong>le</strong>s<br />
acteurs de sa notoriété et manifeste ainsi sa<br />
piété et sa reconnaissance envers eux. Mais<br />
nous allons voir qu’antérieurement à cette<br />
occupation secondaire de la terrasse ouest,<br />
certains indices permettent de penser que<br />
la parodos nord, <strong>le</strong> long de laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> mur<br />
du bâtiment de scène verra s’inscrire <strong>le</strong>s<br />
archives de la cité au début du 3 e s. pC, avait<br />
pu antérieurement jouer <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de lieu de<br />
mémoire à la cité carienne, comme c’est <strong>le</strong><br />
cas par exemp<strong>le</strong> pour la terrasse bordée de<br />
statues honorifiques longeant la voie<br />
d’accès au théâtre de l’Amphiaraion<br />
d’Oropos en Béotie 24 .<br />
Cette connotation de mémorial se mar-‐<br />
que d’abord parce que <strong>le</strong> donateur de la<br />
cavea, Aristoclès Molossos, y avait été<br />
honoré par un heroon sous la terrasse<br />
contrebutant l’ana<strong>le</strong>mma nord. La porte de<br />
ce local voûté ouvrant dans la parodos était<br />
surmontée d’un linteau de marbre portant<br />
l’inscrip-‐tion : Molosseion 25 . On peut<br />
supposer aussi que <strong>le</strong>s plateformes en<br />
encorbel<strong>le</strong>ment des murs-‐pignons nord et<br />
sud du bâtiment de scène auraient pu el<strong>le</strong>s<br />
aussi porter des statues dès la première<br />
phase de construction du théâtre.<br />
J.M. Reynolds avait éga<strong>le</strong>ment souligné<br />
que <strong>le</strong>s fouil<strong>le</strong>s de la parodos nord avaient<br />
rendu au jour un autel datab<strong>le</strong> du 2 e s. aC et<br />
portant <strong>le</strong> texte d’un serment d’alliance<br />
entre la sympolitie d’Aphrodisias et Plarasa<br />
et <strong>le</strong>s cités voisines de Cibyra et Tabae 26 : ce<br />
23 Smith 2006 : tête de vieillard voilé n° 1, 102-104, pls.<br />
4-5 ; togatus julio-claudien n° 2, 104-107, pls. 6-7 ;<br />
prêtre du culte impérial âgé n° 51, 179-180, pls. 46-<br />
47 ; jeune prêtre du culte impérial n° 50, 177-179, pls.<br />
44-45.<br />
24 Roesch 1984, 178-179, fig.3.<br />
25 Reynolds 1991, 24, n° 3.<br />
26 Reynolds 1982, doc. 1, 6-11, pl. I.1.
texte impliquait aussi un pacte de non-‐<br />
agression envers <strong>le</strong>s Romains. L’autel n’était<br />
peut-‐être pas dans son site d’origine, mais<br />
<strong>le</strong> fait qu’il ait été replacé et conservé à<br />
proximité du mur où étaient gravés <strong>le</strong>s<br />
documents attestant de la longue tradition<br />
d’amitié entre Rome et <strong>le</strong>s Aphrodisiens<br />
montre bien qu’il revêtait une particulière<br />
importance historique pour la communauté<br />
d’Aphrodisias. On peut en déduire que la<br />
parodos nord du théâtre était chargée de<br />
conserver la mémoire des origines de la<br />
petite cité et de ses choix géopolitiques au<br />
cours de la période troublée qui a suivi<br />
l’installation des Romains dans la province<br />
d’Asie.<br />
Figure 6 : Enclos bordé d’une barrière à l’ang<strong>le</strong> nord-ouest de<br />
la parodos nord<br />
Nous pouvons enfin ajouter à ces<br />
remarques un dernier élément archéo-‐<br />
logique significatif. Dans l’ang<strong>le</strong> entre<br />
l’ana<strong>le</strong>mma nord et la porte du Molosseion,<br />
un petit enclos trapézoïdal est bordé du<br />
soc<strong>le</strong> en marbre blanc d’une barrière dont <strong>le</strong><br />
profil est incisé sur <strong>le</strong> mur d’ana<strong>le</strong>mma à<br />
l’ouest (fig. 6). Le dallage en a été spolié et<br />
<strong>le</strong> mur de fond nord porte l’empreinte et <strong>le</strong>s<br />
trous de fixation d’une grande plaque qui a<br />
pu porter une épigraphe. Il se trouve qu’une<br />
haute base de statue honorifique dédiée à<br />
Artemidoros, fils de Pereitas, a été réem-‐<br />
THEATRE D’APHRODISIAS<br />
ployée juste à côté pour réparer l’extrémité<br />
de l’ana<strong>le</strong>mma nord 27 . Dans <strong>le</strong> mur tardif à<br />
l’est de la porte du Molosseion était d’autre<br />
part réemployé un fragment de base<br />
cylindrique inscrite au nom de Zoïlos 28 .<br />
Il y a donc des chances pour que l’enclos<br />
ait été prévu pour iso<strong>le</strong>r et mettre en va<strong>le</strong>ur<br />
<strong>le</strong>s statues honorifiques des deux premiers<br />
‘grands hommes’ de la cité, à la manière<br />
d’un petit temenos sacralisant. Il n’est pas<br />
évident de préciser si son installation date<br />
de la mise en place de la cavea et de l’heroon<br />
de Molossos ou si ces statues étaient déjà<br />
antérieurement dans la parodos. Les fouil<strong>le</strong>s<br />
du secteur ont rendu au jour une barrière<br />
de marbre composée de petits piliers à<br />
chapiteaux corinthiens reliés par des<br />
panneaux de croisillons à jour. Bien qu’el<strong>le</strong><br />
soit incomplète, ses proportions pourraient<br />
correspondre au profil d’anathyrose gravé<br />
sur <strong>le</strong> parement externe du mur d’ana<strong>le</strong>mma.<br />
Le raffinement de son exécution et la qualité<br />
de son marbre paraissent la dater de la<br />
phase de construction proto-‐augustéenne du<br />
bâtiment de scène, mais el<strong>le</strong> a pu être<br />
réemployée dans l’ang<strong>le</strong> de la parodos après<br />
la construction de la cavea de marbre.<br />
Or une inscription sur <strong>le</strong> front du lar-‐<br />
mier des premiers blocs nord de la corniche<br />
du proskenion (fig. 4) indique qu'un certain<br />
Grypos a restauré (ou remonté) deux<br />
statues “sur la décision de Junius Maximus,<br />
l'éminent questeur”, cette magistrature<br />
romaine datant de 167-‐168 pC 29 . Ce Grypos<br />
serait un descendant du celèbre Artémidoros<br />
et <strong>le</strong>s deux statues qu’il aurait réinstallées<br />
sur la terrasse du proskenion, probab<strong>le</strong>ment<br />
grâce à un financement impérial, pourraient<br />
être cel<strong>le</strong>s qui se trouvaient auparavant<br />
dans l’enclos, donc plus bas que d’autres<br />
statues d’évergètes installées depuis <strong>le</strong><br />
milieu du 1 e s. sur la terrasse du proskenion.<br />
Cet acte de piété familia<strong>le</strong> de Grypos,<br />
cautionné et so<strong>le</strong>nnisé par l’approbation du<br />
magistrat romain, visait à améliorer la<br />
visibilité des statues d’Artémidoros et peut-‐<br />
être de Zoïlos. Leurs bases, devenues<br />
27 Reynolds 1982, doc. 27, 149-150, pl. XXI.5.<br />
28 Reynolds 1982, doc. 38, 163.<br />
29 Reynolds 1982, doc. 53.<br />
81
inuti<strong>le</strong>s puisque <strong>le</strong>s soc<strong>le</strong>s des statues<br />
étaient insérés directement dans <strong>le</strong> lit<br />
d’attente de la corniche du proskenion, ont<br />
été postérieurement réutilisées à proximité<br />
pour des réparations. De plus, <strong>le</strong>s textes<br />
rappelant <strong>le</strong>s hauts-‐faits d’Artémidoros ont<br />
été gravés à l’extrémité nord du proskenion,<br />
au-‐dessous de l’emplacement présumé de<br />
sa statue.<br />
Ces textes historiques capitaux pour<br />
l’image de marque de la cité ont donné un<br />
peu plus tard l’idée aux Aphrodisiens de<br />
transcrire sur <strong>le</strong> mur perpendiculaire du<br />
pilier d’antes, <strong>le</strong> long du passage des hôtes<br />
de marque entrant au théâtre, <strong>le</strong>s autres<br />
documents concernant l’histoire de la cité<br />
depuis la période où Antoine gouvernait<br />
l’Asie Mineure jusqu’au 3 e s. pC. L’extrémité<br />
nord du proskenion et la parodos attenante<br />
prennent alors <strong>le</strong>ur p<strong>le</strong>ine dimension de<br />
lieu de mémoire et d’identité de la cité<br />
carienne.<br />
82<br />
DE CHAISEMARTIN<br />
Le théâtre d’Aphrodisias présente donc<br />
des éléments révélateurs de sa fonction<br />
politique et médiatique, tant par l’architec-‐<br />
ture que par l’épigraphie. Dans <strong>le</strong> contexte<br />
de rivalité (philotimia) entre <strong>le</strong>s cités d’Asie<br />
Mineure, <strong>le</strong>s modifications et ajouts intro-‐<br />
duits dans <strong>le</strong> second quart du 2 e s. pC et au<br />
début du 3 e s. montrent que la cité cherchait<br />
à prendre la tête du koinon des Cariens en<br />
mettant en avant ses relations privilégiées<br />
avec <strong>le</strong> pouvoir impérial et sa longue fidélité<br />
à Rome. Comme <strong>le</strong> dit à juste titre Ch.<br />
Roueché, on doit supposer que <strong>le</strong> théâtre a<br />
servi, lors des assemblées des délégués “as<br />
a showplace of the importance of the city, to<br />
impress visitors from other cities” 30 .<br />
30 Roueché 1989, 1-4.<br />
N. de Chaisemartin
Bibliographie<br />
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Base de données Internet INSAPH : inscriptions d'Aphrodisias
FOUILLES ET PROJETS DE RECHERCHE À SINOPE<br />
Dominique Kassab Tezgör<br />
Professeur, Fine Arts Department,<br />
Faculty of Art, Design and Architecture,<br />
Université de Bilkent, Ankara<br />
tezgor@bilkent.edu.tr<br />
Résumé : Les fouil<strong>le</strong>s de l'atelier amphorique de Demirci, à 15 kilomètres au sud de Sinope, ont permis de<br />
connaître la morphologie des fours romains de cette région et d'établir la typologie des amphores sinopéennes<br />
produites entre <strong>le</strong> 2 e ou 3 e s. et <strong>le</strong> 6 e ou 7 e s. pC Le suivi des exportations de ces amphores dans d'autres sites de<br />
mer Noire, en Méditerranée et même en Italie, a mis en va<strong>le</strong>ur l'important réseau commercial de Sinope. D'autres<br />
recherches et projets se sont greffées à ces travaux en collaboration avec <strong>le</strong> Ministère de la Culture et du Tourisme,<br />
un four à l'identique de ceux fouillés à Demirci a été reconstruit par <strong>le</strong>s étudiants de l'Université de Bilkent. Il est<br />
exposé dans la sal<strong>le</strong> consacrée aux fouil<strong>le</strong>s d'ateliers de la mission franco-‐turque. En 2009, un Symposium<br />
international a réuni à Sinope même <strong>le</strong>s récents travaux dédiés à cette vil<strong>le</strong>, tandis qu'une série de Tab<strong>le</strong>s Rondes<br />
internationa<strong>le</strong>s PATABS (Production and Trade of the Black Sea Amphorae) a été initiée à Trabzon et Batoumi en<br />
2006. Enfin, s'est greffé un nouveau projet en cours d'élaboration : la constitution d'un Corpus des amphores<br />
produites en mer Noire à l'époque romaine et conservées dans <strong>le</strong>s musées de la côte nord de la Turquie.<br />
Mots clés : Sinope, atelier, amphore, tui<strong>le</strong>, céramique, lampe, four, pressoir, prospection sous-‐marine, époque<br />
hellénistique, époque romaine.<br />
Abstract: The excavations of the workshop of amphorae at Demirci, 15 kilometers south of Sinope, have clarified<br />
the morphology of Roman kilns in the region and established the typology of Sinopean amphorae produced<br />
between the 2nd or 3rd century and the 6th or 7th century AD. Monitoring the exports of these amphorae in other<br />
sites of the Black Sea, the Mediterranean, and even Italy, has highlighted the important commercial network of<br />
Sinope. This work has helped to develop other projects and research activities. In collaboration with the Ministry<br />
of Culture and Tourism, a kiln identical to those excavated at Demirci was reconstructed by students of Bilkent<br />
University. It is exhibited in the gal<strong>le</strong>ry devoted to the French-‐Turkish excavations of the workshops. In 2009, an<br />
International Symposium held in Sinope focused on recent research concerning this city, whi<strong>le</strong> a series of<br />
international Round Tab<strong>le</strong>s, PATABS (Production and Trade of the Black Sea Amphorae), was initiated in Trabzon<br />
and Batumi in 2006. Finally, a new project is in preparation: the creation of a Corpus of amphorae produced in the<br />
Black Sea during the Roman period and kept in the museums of the northern coast of Turkey.<br />
Keywords: Sinop, workshop, amphora, ti<strong>le</strong>, ceramic lamp, kiln, wine press, underwater exploration, Hel<strong>le</strong>nistic<br />
period, Roman period.
86<br />
KASSAB TEZGÖR
N<br />
ous voudrions dans cet artic<strong>le</strong> présenter <strong>le</strong>s<br />
travaux qui se sont déroulés à Sinope, <strong>le</strong>ur<br />
impact sur la vil<strong>le</strong> même, ainsi que <strong>le</strong>s<br />
projets qui ont vu <strong>le</strong> jour à partir des<br />
résultats obtenus. Il ne s'agit que d'une<br />
brève synthèse, car <strong>le</strong>s fouil<strong>le</strong>s des ateliers<br />
amphoriques et <strong>le</strong>s rencontres scientifiques<br />
de 2006 et 2009 ont été publiées 1 .<br />
Les fouil<strong>le</strong>s d'ateliers amphori-‐<br />
ques<br />
L'existence de milliers de timbres sur des<br />
amphores et des tui<strong>le</strong>s de Sinope prouvait<br />
que des ateliers avaient été implantés dans<br />
cette vil<strong>le</strong> et dans sa région. Leur recherche<br />
a été initiée et menée à bien par Yvon<br />
Garlan. El<strong>le</strong> débuta par une prospection en<br />
1993 <strong>le</strong> long de la péninsu<strong>le</strong> de Sinope et de<br />
la côte sur une vingtaine de kilomètres en<br />
1 Garlan 2004 ; Kassab Tezgör 2010d ; Kassab<br />
Tezgör/Inaishvili 2010 ; Kassab Tezgör 2012.<br />
SİNOPE<br />
Figure 1 : Carte des ateliers prospectés et des ateliers fouillés (M. Sladczyk)<br />
direction de Gerze (fig. 1) 2 .<br />
Des ateliers de l’époque<br />
hellénistique qui prati-‐<br />
quaient <strong>le</strong> timbrage étaient<br />
installés sur la côte sud de<br />
la péninsu<strong>le</strong>, tandis qu'un<br />
comp<strong>le</strong>xe artisanal en ac-‐<br />
tivité à l'époque romaine<br />
tardive se situait au bord<br />
de la mer au-‐dessous du<br />
village de Demirci, à 15<br />
kilomètres au sud de<br />
Sinope. Ces ateliers furent<br />
fouillés entre 1994 et 2000<br />
en collaboration avec <strong>le</strong><br />
musée archéologique de<br />
Sinope. Ceux qui remon-‐<br />
taient à l’époque hellénis-‐<br />
tique furent fouillés entre<br />
1994 et 1997 par Yvon<br />
Garlan 3 , tandis que j'assu-‐<br />
rai la direction scientifique<br />
de la fouil<strong>le</strong> de celui de<br />
Demirci, dont l'étude du<br />
matériel s'est poursuivie<br />
jusqu'en 2004 4 . C'est ce dernier que je<br />
décrirai dans cet artic<strong>le</strong>.<br />
L'atelier de Demirci<br />
Les fouil<strong>le</strong>s ont été financées par <strong>le</strong><br />
Ministère des Affaires Étrangères et Euro-‐<br />
péennes de la République française, et par-‐<br />
rainées par <strong>le</strong>s Caves Kavaklıdere à Ankara.<br />
El<strong>le</strong>s ont éga<strong>le</strong>ment reçu <strong>le</strong> support finan-‐<br />
cier du CNRS en France et de l’Institut Fran-‐<br />
çais d’Études Anatoliennes à Istanbul<br />
(<strong>IFEA</strong>).<br />
2 Garlan/Kassab Tezgör 1996.<br />
3 Garlan 2004.<br />
4 Tandis que je travaillais sur <strong>le</strong>s amphores, Pasca<strong>le</strong><br />
Bal<strong>le</strong>t et A<strong>le</strong>xandre Alary ont étudié la céramique,<br />
Marie-Françoise Billot et Jean-François Billot <strong>le</strong>s tui<strong>le</strong>s<br />
et des matériaux de construction du four, Nalan Fırat la<br />
céramique sigillée, Öz<strong>le</strong>m Vapur et moi-même <strong>le</strong>s lampes,<br />
Melih Arslan <strong>le</strong>s monnaies, Aline Emery-Barbier <strong>le</strong>s<br />
pol<strong>le</strong>ns, Catherine Kuzucuoğlu la géomorphologie.<br />
87
88<br />
KASSAB TEZGÖR<br />
Figure 3 : Carte magnétique de la zone A (A. Hesse, M. Drahor, A. Kaya) et vestiges dégagés
SİNOPE<br />
Figure 4 : Carte magnétique de la zone B (A. Hesse, M. Drahor, A. Kaya) et vestiges dégagés<br />
89
Figure 2 : Vue de l'atelier de Demirci vers <strong>le</strong> nord<br />
L’atelier de Demirci était implanté <strong>le</strong> long<br />
d’une baie sur près de 500 mètres (fig. 2).<br />
Lors de la prospection en 1993, la grande<br />
quantité de tessons et de surcuits avait<br />
permis de l’identifier en toute sûreté. Le site<br />
par lui-‐même possédait tous <strong>le</strong>s facteurs<br />
nécessaires à l’établissement d’un atelier :<br />
terrain argi<strong>le</strong>ux, présence de sab<strong>le</strong> noir sur<br />
<strong>le</strong>s plages utilisé comme dégraissant dans la<br />
pâte argi<strong>le</strong>use, présence de sources d’eau<br />
naturel<strong>le</strong>, possibilité de transport par voie<br />
de mer 5 .<br />
À la suite d’une prospection ma-‐gnétique<br />
dans <strong>le</strong>s zones A et B au nord du site (figs.<br />
3-4), <strong>le</strong>s fouil<strong>le</strong>s ont mis au jour une dizaine<br />
de fours (fig. 5).<br />
L’activité de l’atelier s’est échelonnée entre<br />
<strong>le</strong>s 2 e -‐3 e s. et <strong>le</strong> 6 e ou <strong>le</strong> 7 e s. pC.<br />
Les fours ont pu être reconstitués dans <strong>le</strong>ur<br />
ensemb<strong>le</strong> (fig. 6) 6 .<br />
Figure 5 : Vue généra<strong>le</strong> des fouil<strong>le</strong>s de la zone B en<br />
2000. Four au premier plan<br />
5 Kuzucuoğlu 2010, 24-25.<br />
6 Billot et al. 2010.<br />
90<br />
KASSAB TEZGÖR<br />
Figure 6 : Reconstitution axonométrique d'un four (G.<br />
Kipiani)<br />
Leur structure ne diffère pas de cel<strong>le</strong> des<br />
fours hellénistiques ou romains connus<br />
dans d'autres ateliers 7 . La chambre de<br />
chauffe, occupée par <strong>le</strong>s piliers centraux et<br />
<strong>le</strong>s supports de la so<strong>le</strong>, était surmontée de la<br />
chambre de cuisson. Les<br />
deux chambres étaient<br />
construites avec de gros<br />
parpaings d’argi<strong>le</strong> et/ou<br />
des retours de tui<strong>le</strong>s, et<br />
étaient séparées par une<br />
so<strong>le</strong> percée de carneaux.<br />
Aucune so<strong>le</strong> cependant<br />
n'a été retrouvée, car <strong>le</strong>s<br />
fours après usage étaient<br />
démantelés. Cequi semb<strong>le</strong><br />
jusqu’à présent être une<br />
originalité des fours de<br />
Demirci est l'usage d'une<br />
Figure 7 : Tubulures<br />
à col ouvert encas-<br />
trées l'une dans<br />
l'autre<br />
coupo<strong>le</strong> faite de tubu-‐<br />
lures à col ouvert ou à<br />
col fermé enfilées <strong>le</strong>s<br />
unes dans <strong>le</strong>s autres et<br />
fixées avec de l’argi<strong>le</strong> (figs. 7-9). L'alandier<br />
était construit en pierres et avait une forme<br />
trapézoïda<strong>le</strong>. Grâce à l’étude des pol<strong>le</strong>ns, il a<br />
été possib<strong>le</strong> de reconnaître <strong>le</strong>s bois utilisés<br />
7 Voir par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong>s fours de Chersonèse datés<br />
d'avant <strong>le</strong> milieu du 3 e s. aC (Borisova 1958) et <strong>le</strong>s fours<br />
romains de Grande Bretagne (Swan 1984, 91-112).
comme combustib<strong>le</strong> (chêne, hêtre, platane,<br />
etc.) et de reconstituer l’apparence que<br />
pouvait alors avoir <strong>le</strong> site de l’atelier,<br />
modérément boisé 8 .<br />
Figure 8 : Tubulures à col fermé<br />
Production de l'atelier<br />
Une typologie des amphores produites dans<br />
l’atelier de Demirci a été établie grâce aux<br />
col<strong>le</strong>ctions d’amphores complètes conser-‐<br />
vées dans <strong>le</strong> musée de<br />
Sinope et dans <strong>le</strong>s autres<br />
musées de la côte nord<br />
de la Turquie que nous<br />
avons utilisées comme<br />
des catalogues de forme 9 .<br />
On distingue trois types<br />
de pâte argi<strong>le</strong>use qui cor-‐<br />
respondent à des formes<br />
particulières qui se suc-‐<br />
cèdent dans <strong>le</strong> temps : la<br />
pâte rosée, la pâte rouge<br />
orangé, dite ‘pâte colo-‐<br />
rée’, et la pâte blan-‐<br />
Figure 9 : Tubulures<br />
à col fermé encas-<br />
trées <strong>le</strong>s unes dans<br />
<strong>le</strong>s autres<br />
châtre, dite ‘pâte claire’.<br />
Des analyses ont montré<br />
qu'il s'agissait de la même<br />
argi<strong>le</strong> qui avait subi des<br />
degrés de cuisson différents 10 . Sa texture se<br />
distingue aisément, en particulier par <strong>le</strong><br />
sab<strong>le</strong> noir que <strong>le</strong>s analyses ont révélé être<br />
du pyroxène. Deux formes dominent par la<br />
quantité d’exemplaires produits : <strong>le</strong>s am-‐<br />
phores effilées au pied pointu dites ‘carottes’<br />
8 Emery-Barbier 2010, 34-39.<br />
9 Kassab Tezgör 2010b.<br />
10 Erten et al. 2004, 108-110.<br />
SİNOPE<br />
à pâte colorée, datées des 4 e -‐5 e s. pC (fig.<br />
10), et <strong>le</strong>s amphores à fond convexe et à<br />
pâte claire du 6 e et peut-‐être du début du 7 e<br />
s. (fig. 11). Il s’agit dans<br />
<strong>le</strong>s deux cas d’amphores<br />
de faib<strong>le</strong> capacité.<br />
Figure 10 :<br />
Amphore carotte<br />
(M. de Sinope,<br />
inv. 11.1.86)<br />
en fonction des types<br />
amphoriques, et par<br />
conséquent des pro-‐duits<br />
transportés et des<br />
relations économiques<br />
que Sinope a entretenues<br />
avec <strong>le</strong> reste du monde<br />
grec selon <strong>le</strong>s périodes.<br />
Nous avons toutefois<br />
encore trop peu d'infor-‐<br />
mations sur cel<strong>le</strong>s-‐ci pour<br />
tirer des conclusions 11 .<br />
La position de Sinope au<br />
milieu de la côte sud de la<br />
mer Noire, point proche<br />
Les amphores produites<br />
à Demirci ont été retrou-‐<br />
vées dans de nombreux<br />
sites de mer Noire, mais<br />
<strong>le</strong>s exportations n'étaient<br />
pas limitées à la région<br />
pontique, et s'étendaient<br />
jusqu'en Méditerranée<br />
orienta<strong>le</strong> et même, dans<br />
des proportions qu'il reste<br />
à déterminer, jusqu'en<br />
Italie. On constate que <strong>le</strong>s<br />
routes commercia<strong>le</strong>s<br />
varient<br />
Figure 11 : Amphore<br />
à fond convexe<br />
(M. de Sinope,<br />
inv. 1.12.89)<br />
de tous <strong>le</strong>s grands centres littoraux, en<br />
particulier de la Crimée, à laquel<strong>le</strong> un<br />
couloir de navigation permettait un accès<br />
direct, explique l’amp<strong>le</strong>ur de son commerce.<br />
L’atelier produisait essentiel<strong>le</strong>ment des<br />
amphores, mais aussi des tui<strong>le</strong>s et des<br />
couvre-‐joints, de la céramique commune et<br />
à feu 12 , ainsi que des lampes. Les pithoi<br />
étaient une autre production de l'atelier,<br />
11 Les répartitions d'amphores peuvent aussi être la<br />
conséquence d’informations lacunaires. À propos des<br />
exportations d’amphores sinopéennes, voir Kassab<br />
Tezgör 2010c.<br />
12 Alary et al. 2009.<br />
91
mais el<strong>le</strong> se situait sans doute dans un<br />
secteur plus au sud. On observe un système<br />
de tenon et de mortaise pour <strong>le</strong> montage de<br />
la lèvre et des tronçons de la panse pour<br />
<strong>le</strong>quel nous n'avons trouvé aucun parallè<strong>le</strong>.<br />
Parmi la céramique commune, <strong>le</strong>s mortiers<br />
ont été très largement exportés, complétant<br />
certainement <strong>le</strong>s cargaisons d’amphores.<br />
Quant aux lampes, el<strong>le</strong>s semb<strong>le</strong>nt avoir été<br />
plutôt destinées à un usage local, car à ce<br />
jour nous n'avons pu retrouver aucune<br />
exportation.<br />
Les pressoirs<br />
Dans la zone A, lorsque l’atelier n’a plus<br />
fonctionné, des pressoirs à vin, ou plus<br />
vraisemblab<strong>le</strong>ment à hui<strong>le</strong>, ont remplacé <strong>le</strong>s<br />
fours 13 . Les pierres de contrepoids qui té-‐<br />
moignent de la présence de ces pressoirs<br />
ont une forme parallélépipédique qui est ca-‐<br />
ractéristique de la mer Noire (fig. 12).<br />
Figure 12 : Pierre de contrepoids<br />
Aucune trace de pressoir n'a été retrouvée<br />
dans la zone B, où des bâtiments ont été<br />
construits lorsque l'atelier cessa de fonc-‐<br />
tionner.<br />
13 Kassab Tezgör 2010a, 100-101 et n. 26.<br />
92<br />
KASSAB TEZGÖR<br />
Figure 13 : Vue de l'épave de tui<strong>le</strong>s (H. Özdaş)<br />
Prospections sous-‐marines<br />
En 1997, nous avons entrepris une brève<br />
prospection d'épaves qui nous avaient été<br />
signalées à peu de distance de la pointe de<br />
la péninsu<strong>le</strong> 14 .<br />
Figure 14 : Vue de l'épave<br />
d'amphores (H. Özdaş)<br />
Toutes deux conte-‐<br />
naient du matériel<br />
produit à Demirci :<br />
l'une était exclusi-‐<br />
vement chargée de<br />
tui<strong>le</strong>s (fig. 13), et<br />
l'autre d'amphores<br />
à pâte claire (figs.<br />
14-15). Toutefois,<br />
Figure 15 Amphore de<br />
l'épave (H. Özdaş)<br />
cette seconde épave<br />
était moins bien<br />
conservée et il est<br />
possib<strong>le</strong> que sa cargaison ait compris<br />
d'autres types amphoriques qui ont été<br />
accidentel<strong>le</strong>ment ramassés dans des fi<strong>le</strong>ts<br />
de pêche, car el<strong>le</strong> reposait à peu de<br />
14 Kassab Tezgör et al. 1998.
profondeur. Dans <strong>le</strong> cadre du programme<br />
américain, The American Black Sea Trade<br />
Project, qui débuta en 1996, une<br />
prospection sous-‐marine avec un sonar a<br />
permis de repérer d'autres épaves qui<br />
transportaient éga<strong>le</strong>ment des amphores<br />
produites à Demirci 15 .<br />
Exposition des fouil<strong>le</strong>s au musée<br />
archéologique de Sinope<br />
Reconstruction d’un four<br />
Le terrain argi<strong>le</strong>ux du site de<br />
Demirci, sujet à de nombreux glissements,<br />
empêchait la préservation de l'atelier, qui<br />
part progressivement à la mer depuis de<br />
nombreuses années. Afin d’en conserver la<br />
mémoire, un four identique à ceux fouillés a<br />
été reconstruit dans <strong>le</strong> musée archéologique<br />
de Sinope grâce à la colla-‐boration des<br />
étudiants de l’Université de Bilkent dans <strong>le</strong><br />
Studio de Céramique (Fine Arts Department,<br />
Faculty of Art, Design and Architecture), sous<br />
la direction de Mr. Ahmet Özsalar, Assistant<br />
Professor 16 .<br />
Ce projet avait pour but d'établir un lien<br />
entre des fouil<strong>le</strong>s archéologiques, la tech-‐<br />
nique céramique et la muséologie. Il a<br />
ouvert la voie à de nouvel<strong>le</strong>s collaborations<br />
entre <strong>le</strong> Département de Restauration et de<br />
Construction du Ministère de la Culture et<br />
du Tourisme et l'Université de Bilkent.<br />
15 Ballard et al. 2001 ; Ward 2012.<br />
16 Kassab Tezgör/Özsalar 2012. Ce projet a pu voir <strong>le</strong><br />
jour grâce au soutien du doyen de la faculté, <strong>le</strong><br />
Professeur Bü<strong>le</strong>nt Özgüç. La collaboration étroite avec<br />
<strong>le</strong>s spécialistes du bureau d'Étude et de Projet du<br />
Département de Restauration et de Construction a<br />
permis son achèvement, ainsi que celui de la sal<strong>le</strong><br />
d’exposition consacrée aux fouil<strong>le</strong>s d’ateliers (voir cidessous)<br />
: M. Recai Enbatan, directeur, Mme Canan<br />
Dökmeci-Çaştaban, archéologue, Mme Cansın Ünver,<br />
paysagiste, Mme Figen Öztürk-Yavuz, architecte, ainsi<br />
que M. Bü<strong>le</strong>nt Gönültaş, expert pour la Culture et <strong>le</strong><br />
Tourisme (Département des Musées). Nous sommes<br />
éga<strong>le</strong>ment redevab<strong>le</strong>s à MM. Musa Özcan et Fuat<br />
Dereli, directeurs successifs du musée.<br />
SİNOPE<br />
Figure 16 : Four construit dans <strong>le</strong> musée de Sinope par<br />
A. Özsalar<br />
Pour reconstruire <strong>le</strong> four, <strong>le</strong>s étudiants ont<br />
fabriqué environ 1000 tubulures avec des<br />
colombins, 100 tui<strong>le</strong>s et 300 plaques au rou-‐<br />
<strong>le</strong>au. Trois argi<strong>le</strong>s différentes ont été utili-‐<br />
sées : une argi<strong>le</strong> rouge, une argi<strong>le</strong> blanche et<br />
de la chamotte, qui ont été mélangées dans<br />
des proportions différentes en fonction des<br />
besoins. Du sab<strong>le</strong> noir a été apporté de<br />
Sinope même afin d’être ajouté comme dé-‐<br />
graissant.<br />
A. Özsalar a construit <strong>le</strong> four en mars 2006<br />
dans <strong>le</strong> musée (fig. 16). Un prix du Minis-‐<br />
tère de la Culture et du Tourisme lui a été<br />
décerné en 2008 à l'occasion de la Semaine<br />
des Musées. La technique de construction<br />
diffère en partie de cel<strong>le</strong> des fours de<br />
Demirci, car ce four n'est pas enterré<br />
comme l'étaient ceux-‐ci. Afin de lui assurer<br />
la solidité requise pour une exposition<br />
permanente, <strong>le</strong>s chambres de chauffe et de<br />
cuisson ont été doublées par un mur<br />
extérieur, et l'espace comblé par de la terre.<br />
Les tubulures pour constituer la coupo<strong>le</strong> ont<br />
été enfilées sur des barres de fer (fig. 17).<br />
Exposition du matériel<br />
La sal<strong>le</strong> dans laquel<strong>le</strong> a été construit <strong>le</strong> four<br />
est consacrée dans son ensemb<strong>le</strong> aux<br />
fouil<strong>le</strong>s des ateliers hellénistique et romain<br />
menées par notre équipe. Le mur face à l'en-‐<br />
trée, qui est perpendiculaire au four, a été<br />
tapissé d'amphores produites à Sinope,<br />
classées chronologiquement par types (fig.<br />
93
18). Nous avons adopté un système qui a<br />
permis d'accrocher <strong>le</strong>s amphores posées sur<br />
une planchette sans aucun lien visib<strong>le</strong> de<br />
sorte que la forme complète apparaît sans<br />
discontinuité.<br />
Figure 17 : Détail de la coupo<strong>le</strong> du four construit dans<br />
<strong>le</strong> musée de Sinope par A. Özsalar<br />
Figure 18 : Vue de la sal<strong>le</strong> du musée de Sinope<br />
Dans <strong>le</strong>s deux vitrines à ang<strong>le</strong> droit qui sont<br />
à gauche de l'entrée ont été exposés des<br />
timbres amphoriques, de la céramique, des<br />
éléments de construction des fours et des<br />
tui<strong>le</strong>s.<br />
Enfin, des panneaux illustrés, rédigés dans<br />
<strong>le</strong>s trois langues, turc, français et anglais,<br />
résument <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s informations<br />
concernant <strong>le</strong>s ateliers, <strong>le</strong>s objets présentés<br />
et <strong>le</strong> four. Ces commentaires sont repris<br />
dans une vidéo qui est projetée sur un écran<br />
plasma à droite de l'entrée 17 .<br />
17 Cette vidéo a été montée grâce au ta<strong>le</strong>nt de Mariusz<br />
Sladczyk, Assistant Professor, Graphic Design<br />
94<br />
KASSAB TEZGÖR<br />
Symposium international<br />
On observe à partir des années 1990 une<br />
nouvel<strong>le</strong> dynamique dans la recherche<br />
archéologique à Sinope, qui ne s'est plus<br />
interrompue depuis. Outre <strong>le</strong>s travaux de<br />
notre équipe, une équipe anglaise a fouillé<br />
une église du 4 e s. pC, dont <strong>le</strong> sol était orné<br />
d'une riche mosaïque 18 , tandis qu'une<br />
équipe américaine lançait The American<br />
Black Sea Trade Project, qui se subdivisait<br />
en deux projets : <strong>le</strong> Sinop Regional Survey,<br />
dont <strong>le</strong> but était de procéder à une pros-‐<br />
pection de terrain systématique 19 , et <strong>le</strong> Underwater<br />
Survey que nous avons mentionné<br />
plus haut. En 2010, la fouil<strong>le</strong> de l'église<br />
byzantine Balat a été implantée par une<br />
équipe de l’Université des Beaux-‐Arts<br />
Mimar Sinan d’Istanbul. Par ail<strong>le</strong>urs,<br />
d'autres prospections de terrain ont<br />
éga<strong>le</strong>ment été menées 20 , <strong>le</strong> musée a procédé<br />
à des fouil<strong>le</strong>s de sauvetage 21 , et de nom-‐<br />
breuses études ont été dédiées à Sinope. Il<br />
nous a donc paru uti<strong>le</strong> d'organiser un<br />
Symposium international à Sinope même,<br />
qui réunissait <strong>le</strong>s travaux menés, tout en<br />
marquant <strong>le</strong>s 15 ans de la mission française<br />
depuis l’ouverture des fouil<strong>le</strong>s d’ateliers. Le<br />
Symposium Sinope : Un État de la Question<br />
après Quinze Ans de Travaux, fut organisé en<br />
mai 2009 sous <strong>le</strong>s auspices des autorités de<br />
Sinope et de l'Université de Bilkent (Faculty<br />
of Art, Design and Architecture) 22 .<br />
Department, Faculty of Art, Design and Architecture,<br />
Université de Bilkent, Ankara.<br />
18<br />
Hill 1998 et 2000.<br />
19<br />
Doonan 2004.<br />
20<br />
Işın 1998 ; Dönmez 1999 et 2000.<br />
21<br />
La plus marquante est sans doute cel<strong>le</strong> d’une tombe<br />
peinte à six chambres du 4 e -5 e s. pC : Dereli 2001.<br />
22<br />
La compagnie GEOCELL a apporté une importante<br />
contribution financière. Le centre TÜBITAK a<br />
éga<strong>le</strong>ment participé au projet. Les Actes du Symposium<br />
sont publiés dans <strong>le</strong> ACSS 16-1 et 2, 2010 et dans<br />
Kassab Tezgör 2012.
Contribution à la vie culturel<strong>le</strong><br />
de Sinope<br />
Même d'une façon modeste, <strong>le</strong>s fouil<strong>le</strong>s des<br />
ateliers amphoriques ont contribué au<br />
développement culturel de Sinope. En effet,<br />
l’amphore dite ‘carotte’ est devenue un<br />
nouvel emblème de la vil<strong>le</strong> (à côté du motif<br />
de l'aig<strong>le</strong> agrippant un dauphin et de<br />
Diogène) et un exemplaire géant a été érigé<br />
sur une des places principa<strong>le</strong>s. Cette<br />
amphore a été fabriquée par un potier qui a<br />
installé un atelier dans la batterie ottomane<br />
de Boztepe et donne des cours de céra-‐<br />
mique pour faire revivre cette tradition du<br />
travail de l’argi<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s fouil<strong>le</strong>s ont<br />
ravivée 23 .<br />
Étude des amphores<br />
Corpus des amphores produites<br />
en mer Noire et conservées dans<br />
<strong>le</strong>s musées turcs de la côte nord<br />
de l’Anatolie.<br />
Un Corpus des amphores romaines<br />
produites dans <strong>le</strong>s centres de mer Noire et<br />
conservées dans <strong>le</strong>s musées de la côte<br />
turque est en cours d'élaboration (à Ereğli,<br />
Amasra, Sinope, Samsun, Ordu, Giresun,<br />
Trabzon) 24 . Outre des amphores de Sinope,<br />
en très grand nombre, et des amphores<br />
d’Héraclée du Pont 25 , des amphores origi-‐<br />
naires de l’ouest, de l’est et du nord de la<br />
mer Noire peuvent être identifiées par <strong>le</strong>ur<br />
pâte argi<strong>le</strong>use, sans que <strong>le</strong>s sites d’ateliers<br />
23<br />
Il y avait une production de tui<strong>le</strong>s jusque dans <strong>le</strong>s<br />
années 1970 dans <strong>le</strong>s environs de Sinope. Curieusement,<br />
el<strong>le</strong> n’a pas laissé de souvenir : aucun four n’est<br />
conservé et <strong>le</strong>s habitants en ont même perdu la<br />
mémoire. Nous remercions infiniment Mr. Yılmaz<br />
Koca, instituteur à la retraite de Sinop, qui a travaillé<br />
dans ces ateliers lorsqu’il était enfant et qui nous a<br />
décrit cette industrie alors très active.<br />
24<br />
Ont collaboré à ce projet Séverine Lemaître pour <strong>le</strong>s<br />
amphores des époques classique et hellénistique (2002-<br />
2006) et Sergey Vnukov (2004).<br />
25<br />
Cette attribution est maintenant remise en question :<br />
Balabanov 2010.<br />
SİNOPE<br />
n’aient encore été retrouvés. Ce travail per-‐<br />
mettra de réunir <strong>le</strong>s principaux types pro-‐<br />
duits dans la région de la mer Noire et de<br />
compléter, si nécessaire, <strong>le</strong>ur typologie.<br />
L'étude de ces importations apportera un<br />
nouvel éclairage sur <strong>le</strong>s relations com-‐<br />
mercia<strong>le</strong>s en mer Noire.<br />
Quelques résultats obtenus peuvent déjà<br />
être donnés : par exemp<strong>le</strong>, la typologie des<br />
amphores produites à Héraclée du Pont à<br />
l'époque romaine tel<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> a été établie<br />
par S. Vnukov est entièrement représentée<br />
grâce à des exemplaires répartis dans<br />
plusieurs musées 26 . Par ail<strong>le</strong>urs, il a été pos-‐<br />
sib<strong>le</strong> de compléter la typologie des am-‐<br />
phores colchidiennes des époques classique<br />
et hellénistique et d'en proposer une pour<br />
l'époque romaine 27 , pour laquel<strong>le</strong> aucune<br />
n'avait encore été constituée 28 .<br />
Malheureusement, <strong>le</strong>s amphores conservées<br />
dans ces musées sont en général des trou-‐<br />
vail<strong>le</strong>s fortuites faites par des pêcheurs<br />
dans la mer, et par conséquent sont dé-‐<br />
pourvues d'indices de chronologie.<br />
La Tab<strong>le</strong> Ronde PATABS<br />
L'étude des amphores sinopéennes pro-‐<br />
duites dans l’atelier de Demirci, ainsi que <strong>le</strong><br />
Corpus des amphores que nous préparons,<br />
nous ont amenée à confronter <strong>le</strong>s nombreux<br />
problèmes associés à la production<br />
amphorique de mer Noire. Parmi <strong>le</strong>s plus<br />
évidents, citons l’ignorance de l'atelier de<br />
production de nombreux types, ou bien en<br />
raison de la présence de sab<strong>le</strong> noir, la<br />
ressemblance de pâtes d’origine différente,<br />
ou encore la similitude de certaines formes<br />
amphoriques à la même époque dans<br />
plusieurs sites, montrant qu'il y a eu<br />
imitations 29 , sans mentionner <strong>le</strong>s difficultés<br />
liées à la datation. Si beaucoup de questions<br />
restent sans réponse, c’est souvent en rai-‐<br />
26<br />
Vnukov 2003, 28-129 ; Vnukov 2004.<br />
27<br />
Tsetskhladze/Vnukov 1992 et 1993 ; Vnukov 2003,<br />
160-194.<br />
28<br />
Kassab/Akkaya 2000.<br />
29<br />
Opaiţ 2012 ; Kassab Tezgör 2011.<br />
95
son d'un manque de contact entre cher-‐<br />
cheurs ou d’un accès diffici<strong>le</strong> à des publi-‐<br />
cations peu diffusées.<br />
Afin de discuter des problèmes que posent<br />
<strong>le</strong>s amphores de mer Noire, nous avons<br />
réuni, en étroite collaboration avec Nino<br />
Inaishvili 30 , des spécialistes dans une Tab<strong>le</strong><br />
Ronde internationa<strong>le</strong> PATABS (Production<br />
And Trade of Amphorae of Black Sea) orga-‐<br />
nisée à Batoumi et Trabzon en avril 2006.<br />
Tous <strong>le</strong>s pays de mer Noire étaient repré-‐<br />
sentés, ainsi que la France et d'autres états<br />
d'Europe, et <strong>le</strong>s États-‐Unis. Les résultats de<br />
cette rencontre ont été publiés dans la col-‐<br />
<strong>le</strong>ction Varia Anatolica de l’<strong>IFEA</strong> 31 .<br />
Devenue une ‘tab<strong>le</strong> tournante’, PATABS I est<br />
désormais un événement régulier : el<strong>le</strong> a été<br />
suivie par PATABS II près de Bourgas en<br />
Bulgarie en octobre 2007, dont <strong>le</strong>s Actes<br />
sont publiés 32 , et PATABS III à Constanţța en<br />
Roumanie en octobre 2009, dont <strong>le</strong>s Actes<br />
sont en préparation. La Tab<strong>le</strong> Ronde sui-‐<br />
vante est programmée à Rostov-‐sur-‐<strong>le</strong>-‐Don<br />
en Russie.<br />
30<br />
Directrice du Département d'Archéologie et d'Histoire<br />
de l'Art de l'Institut de Recherche N. Berdzenishvili à<br />
Batoumi (Géorgie).<br />
31<br />
Kassab Tezgör/Inaishvili 2010.<br />
32<br />
Tzochev et al. 2011.<br />
96<br />
KASSAB TEZGÖR<br />
Conclusion<br />
En dépit de l’activité archéologique qui s’est<br />
déployée ces dernières années à Sinope, <strong>le</strong><br />
potentiel archéologique de cette vil<strong>le</strong> est<br />
loin d’avoir été entièrement exploité. S’il est<br />
vrai que la vil<strong>le</strong> moderne recouvre la vil<strong>le</strong><br />
antique, ce qui constitue un obstac<strong>le</strong> quasi<br />
insurmontab<strong>le</strong> pour des fouil<strong>le</strong>s, sinon de<br />
sauvetage, la topographie, par exemp<strong>le</strong>,<br />
reste à être complétée à partir des travaux<br />
d’A. Bryer et D. Winfield, et plus récemment<br />
de Cl. Barat 33 . Dans <strong>le</strong>s environs immédiats<br />
de la vil<strong>le</strong>, des sites nécessiteraient des<br />
sondages, voire des fouil<strong>le</strong>s, comme par<br />
exemp<strong>le</strong> d'autres ateliers amphoriques qui<br />
ont été repérés et apporteraient des<br />
connaissances complémentaires à cel<strong>le</strong>s<br />
déjà acquises. Enfin, <strong>le</strong> matériel abondant<br />
qui est conservé au musée, notamment <strong>le</strong>s<br />
stè<strong>le</strong>s funéraires et <strong>le</strong>s mosaïques, n’a pas<br />
encore été étudié et permettrait de<br />
découvrir d’autres particularismes de cette<br />
vil<strong>le</strong> et de sa région. Nous espérons par<br />
conséquent que de futures vocations<br />
apparaîtront pour contribuer à mieux<br />
connaître toutes <strong>le</strong>s facettes de Sinope qui<br />
garda tout au long de son histoire une place<br />
privilégiée dans l’ensemb<strong>le</strong> de la mer Noire.<br />
33 Bryer/Winfield 1985 ; Barat 2012.<br />
D. Kassab Tezgör
Abréviations<br />
ABSA: The Annual of the British School at Athens<br />
ACSS: Ancient Civilizations from Scythia to Siberia<br />
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97
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198 et 523-‐524.<br />
99
100<br />
KASSAB TEZGÖR
SULUSARAY / SEBASTOPOLİS’TE ZİYARETÇİLER İÇİN BİR GEZİ<br />
GÜZERGAHI OLUŞTURULMASINDA İLK ADIMLAR 1<br />
Markus Kohl<br />
Université Lil<strong>le</strong> 3 2<br />
markus.kohl@univ-lil<strong>le</strong>3.fr<br />
kohl.sulusaray@laposte.net<br />
Résumé : Dans la vallée de la rivière Çekerek, l’antique Skylax, au croisement d’anciennes et importantes routes<br />
d’ouest en est et du nord au sud s’élève un höyük aujourd’hui occupé par Sulusaray. Investigations historiques et<br />
fouil<strong>le</strong>s archéologiques ont montré que <strong>le</strong> lieu était occupé au moins depuis <strong>le</strong>s temps hittites et correspond à<br />
l’antique Sebastopolis/Héracléopolis. Une occupation probab<strong>le</strong>ment permanente peut être déduite des sources<br />
textuel<strong>le</strong>s et des vestiges archéologiques.<br />
Le patrimoine culturel du site et de ses environs, autant du point de vue géologique et biologique, que du point de<br />
vue archéologique et architectural ainsi que urbanistique nous a inspiré <strong>le</strong> développement de quelques<br />
propositions d’aménagement touristiques. Nous avons commencé la conception de tours de visites de différents<br />
types, selon la disponibilité et <strong>le</strong>s intérêts des voyageurs, et une série de panneaux signalétiques et explicatifs en<br />
adéquation. Le but étant de produire un logo identitaire du lieu, une mise en page alléchante avec des cou<strong>le</strong>urs en<br />
harmonie avec la nature du site, des textes concis et aisément assimilab<strong>le</strong>s, des illustrations complémentaires et<br />
surtout une frise avec une échel<strong>le</strong> chronologique sur chaque panneau afin de pouvoir cerner chaque élément dans<br />
son contexte historique.<br />
Mots clés : Sulusaray/Tokat, patrimoine culturel, patrimoine naturel, patrimoine historique. Höyük, Hittites,<br />
Phrygiens, Grecs, Romains, Auguste, Arabes, Mongols, Seldjoukides, Ottomans, mise en va<strong>le</strong>ur touristique,<br />
valorisation.<br />
Abstract: In the val<strong>le</strong>y of the river Çekerek, the ancient Skylax, at the crossroads of ancient and important east-‐<br />
west and north-‐south roads stands a höyük now occupied by Sulusaray. Archaeological and historical<br />
investigations have shown that the place has been inhabited since at <strong>le</strong>ast Hittite times and corresponds to the<br />
ancient city of Sebastopolis / Herac<strong>le</strong>opolis. A probab<strong>le</strong> permanent occupation can be inferred from textual<br />
sources and archaeological remains. The strong cultural heritage of the site and its surroundings, its interest in<br />
terms of geology, biology, archaeology, architecture and urban planning inspired us to design some proposals for<br />
tourism development. We started developing proposals for some tours in adequacy with the availability and<br />
interests of trave<strong>le</strong>rs, and produced a series of boards, providing at the same time signage and explanations. The<br />
goal is to create a logo identity for the place, an attractive layout with colors harmonizing with the nature of the<br />
site, concise and easily assimilab<strong>le</strong> text, additional graphics and especially a frieze with a time sca<strong>le</strong> at the bottom<br />
of each panel in order to identify each item in its historical context.<br />
Keywords: Sulusaray/Tokat, cultural heritage, natural heritage, historical heritage. höyük, Hittites, Phrygians,<br />
Greeks, Romans, August, Arabs, Mongols, Seljuks, Ottomans, touristic enhancing, valorization.<br />
1<br />
Türkiye Cumhuriyeti Kültür ve Turizm Bakanlığı’na, Kültür Varlıkları ve Müze<strong>le</strong>r Genel Müdürlüğü’ne,<br />
Paris’teki Türk Büyükelçiliğine, Tokat Müzesi müdürü Sayın Güven Yetişkin’e ve arkeolog Sayın Mesude Matoğlu’na,<br />
Tokat Il kültür Turizm Müdürü Sayın Abdurrahman Akyüz’e, Sivas Kültür ve Tabiat Varlıklarını Koruma Bölge<br />
Kurulu’dan arkeolog Sayın Ali Alkan’a, Sulusaray Kaymakam Sayın İbrahim Cive<strong>le</strong>k’e, Be<strong>le</strong>diye Başkanı Sayın Şahin<br />
Hasgül’e ve arkadaşım Aksel Tibet’e bu konuşmanın konusunu oluşturan kazılara katılmam için gerekli izni sağladıkları<br />
ve bu çalışmalar sırasında bana verdik<strong>le</strong>ri sınırsız destek için tekrar çok teşekkür etmek istiyorum.<br />
2<br />
UFR des Sciences Historiques, Artistiques et Politiques, Domaine universitaire du "Pont de Bois", Rue du Barreau - BP<br />
60149, 59653 Vil<strong>le</strong>neuve d'Ascq Cedex.
Figure 3<br />
KOHL
Figure 1<br />
Sulusaray İstanbul’un yaklaşık900km doğusunda ve Samsun’un 150km<br />
güneyinde, Orta Karadeniz bölge-‐<br />
sinde yer alan, 1990 4400 nüfuslu, 2010<br />
3300 nüfuslu, Tokat iline bağlı bir ilçedir.<br />
Doğusunda Yeşilyurt, güneyinde Sivas, batısında<br />
Yozgat, kuzeyinde Zi<strong>le</strong> ve Artova ilçe<strong>le</strong>ri i<strong>le</strong><br />
çevrilidir. Yer<strong>le</strong>şim ideal biçimde yaklaşık<br />
1000 m rakımlı, antik dönemde batıdan<br />
doğuya yüz kilometre, güneyden kuzeye de<br />
yirmi kilometre kadar uzanan geniş bir<br />
alüvyon ovasının merkezinde konumlan-‐<br />
mıştır. Ovayı kuzeyde 2000m yüksekliğin-‐<br />
deki Deveci Dağları, güneyde ise güney-‐<br />
batıdan doğuya doğru 2000m’yi geçerek yük-‐<br />
se<strong>le</strong>n Akdağlar silsi<strong>le</strong>si, doğuda da Çamlıbel<br />
Dağları natürel sınırlar. Bölgenin su dağılım<br />
sınırlarını oluşturan bu dağlar Çekerek<br />
Irmağı (Antikçağ’daki Skylax) ve kollarının<br />
sistemini de belir<strong>le</strong>r.<br />
Figure 2<br />
SULUSARAY -‐ SEBASTOPOLIS<br />
Batı-‐güneybatıya doğru Sulusaray ovası Bo-‐<br />
zok Yaylasına açılır. Sulusaray topraklarının<br />
kuzey, doğu ve güney sınırları bu topografı<br />
yapı tarafından oldukça kesin bir biçimde<br />
belir<strong>le</strong>nmişken, batı sınırının saptanması<br />
için daha ayrıntılı bir araştırma gerekmek-‐<br />
tedir. Sulusaray bu ovada iki yolun bir<strong>le</strong>ştiği<br />
noktada yer alır. Bunlardan biri batı-‐doğu<br />
yönünde Yozgat ili sınırları içerisindeki<br />
Büyüknefes/Tavium’dan Sivas / Sebasteia’ya ve<br />
ötesine, diğeri ise kuzey-‐güney yönünde<br />
Karadeniz kıyısındaki Samsun / Amisos’tan<br />
Orta Anadolu’ya doğru uzanır. (Resim1ve2)<br />
Kentin merkezi kuzey-‐güney doğrul-‐<br />
tusunda yaklaşık 500m uzunluğunda, batı-‐<br />
doğu doğrultusunda400m genişliğinde olan ve<br />
günümüzde ova düzeyinin on metre kadar<br />
üzerine çıkan bir yükseltinin üzerinde yer<br />
alır (Resim 3). Yükselti bugünkü durumuyla,<br />
1987-‐1990 arasında gerçek<strong>le</strong>ştiri<strong>le</strong>n arkeo-‐<br />
lojik kazılar ve sondajların da gösterdiği gibi<br />
tümüy<strong>le</strong> doğal değildir. Başlangıçtaki doğal<br />
tepe, yıkılan yapıların biriken molozları i<strong>le</strong><br />
zamanla yavaş yavaş yükselmiştir. Yapılan<br />
arkeolojik çalışmalar yer<strong>le</strong>şimdeki kültür<br />
katları ve kronoloji üzerine bir fikir vermiştir.<br />
E<strong>le</strong> geçen malzeme ve açığa çıkarılan kalın-‐<br />
tılar, eski metin<strong>le</strong>rden elde edi<strong>le</strong>n bilgi<strong>le</strong>r<strong>le</strong><br />
tamamlandığında burasının en az neolitik<br />
dönemden itibaren günümüze kadar bin-‐<br />
103
yıllar boyunca yer<strong>le</strong>şim gördüğünü söy<strong>le</strong>ye-‐<br />
biliriz. 3<br />
Tunç Çağı buluntuları Hitit, Demir Çağı<br />
buluntuları ise Frig uygarlığına aittir. Antik<br />
Yunan dönemi çok az temsil edilir. He<strong>le</strong>-‐<br />
nistik döneme ait çok az sayıda buluntu e<strong>le</strong><br />
geçmiştir. Ama M.Ö. 3/2 yıllarında yeni<br />
takvim kullanma ayrıcalığı ve kent<strong>le</strong>rine<br />
imparator Augustus’un adını verme hakkı<br />
tanınmış olan burada yaşayanlar Yunanca<br />
konuşmaktaydı. Sebastopolis sonra ikinci<br />
adı olarak eski Yunanlı kahraman Hera-‐<br />
k<strong>le</strong>s’ten dolayı Herak<strong>le</strong>iopolis adını aldı.<br />
Sebastopolis-‐Herak<strong>le</strong>opolis o dönemde<br />
tümüy<strong>le</strong> he<strong>le</strong>n<strong>le</strong>şmiş olmalıydı ve tarih<strong>le</strong>ri<br />
Bizans dönemine kadar uzanan pek çok<br />
yazıtın da gösterdiği gibi halkı Yunanca<br />
konuşmaya devam etmişti. Hıristiyan ya da<br />
Yahudi<strong>le</strong>re ait mezar stel<strong>le</strong>ri burada çeşitli<br />
inançlardan insanların bir arada yaşamış<br />
olduğunu göstermektedir. Antik kentte<br />
4. yüzyıldan itibaren bir başpiskopos bulu-‐<br />
nuyordu. Eski yazılı kaynaklarda Sulu-‐<br />
saray’ın Arap, Moğol, Selçuklu ve Osmanlı<br />
dönem<strong>le</strong>rindeki tarihi hakkında veri<strong>le</strong>r bu-‐<br />
lunmaktadır. 4<br />
Sulusaray’daki kültür varlıklarının saptan-‐<br />
masını ve değer<strong>le</strong>ndirilmesini amaçlayan<br />
tarih ve arkeoloji araştırmaları, Tokat Müze<br />
müdürlüğü başkanlığında ve bizim bilimsel<br />
sorumluluğumuzda 2010 yeniden başlatıl-‐<br />
mıştır. 5<br />
Sulusaray kültürel zenginlik<strong>le</strong>riy<strong>le</strong><br />
müstesna bir yerdir. Buradaki kültür varlık-‐<br />
ları yalnızca Tarihöncesi’nden Osmanlı dö-‐<br />
nemine kadar uzanmakla kalmaz, modern<br />
tarihe ve günümüzdeki hayata da tanıklık<br />
eder. Ayrıca bölge, hem jeolojik hem de<br />
biyolojik açıdan çok ilginç bir doğal mirasa<br />
da sahiptir. Sulusaray, Anadolu’nun bir özeti<br />
ya da küçük bir modeli niteliğini taşımak-‐<br />
tadır. Bu neden<strong>le</strong>, Sulusaray için hazırlan-‐<br />
3<br />
Bkz. Özsait 2000, 73-74.<br />
4<br />
Le Quien 1740, 425-426 ve 437-438; Cuinet 1890-<br />
1895; Munro 1901; Anderson 1903; Cumont/Cumont<br />
1906; French 1988; Le Guen-Pol<strong>le</strong>t 1989; Le Guen-<br />
Pol<strong>le</strong>t/Rémy 1990, 45-46; Rémy et al. 1990; Mitford<br />
1991; Rémy 1991; Bazin 1994; Amandry/Rémy 1998.<br />
5<br />
Kohl 2010; Le Guen/Rémy 2010; Kohl 2012; Kohl et<br />
al. 2012.<br />
104<br />
KOHL<br />
acak olan bir turistik düzen<strong>le</strong>me projesinde<br />
yalnızca antik kalıntıların dikkate alınması<br />
yeterli olmayacaktır. Aksine, böy<strong>le</strong> bir<br />
projede bu mirasın tümünü e<strong>le</strong> almak ve<br />
birlikte değer<strong>le</strong>ndirmek gerekir.<br />
Figure 4<br />
Sulusaray’ın çevresindeki peyzaj çok<br />
eski dönem<strong>le</strong>rden beri insanoğlu tarafından<br />
biçim<strong>le</strong>ndirilmiştir ve hala daha bugün de<br />
biçim<strong>le</strong>ndirilmeye devam etmektedir. Ha-‐<br />
zırlamakta olduğumuz çevre düzen<strong>le</strong>mesi<br />
bu olguyu dikkate almaktadır. Araştırma<br />
projemiz yön<strong>le</strong>ndirme ve turistik düzen-‐<br />
<strong>le</strong>me alanlarını da kapsamaktadır.<br />
Böy<strong>le</strong>ce Sulusaray’a ge<strong>le</strong>cek ziyaretçi<strong>le</strong>re<br />
kentin tarih ve çevre zenginlik<strong>le</strong>rini tanı-‐<br />
tacak bir gezi güzergahının hazırlıklarına<br />
başladık. Levhaların görsel özdeşliğine büyük<br />
önem verilmiştir. Bu özdeşlik renk<strong>le</strong>r ve<br />
mizanpaj aracılığıyla sağlanacaktır: değişik<br />
<strong>le</strong>vha tür<strong>le</strong>rinde yine<strong>le</strong>nen benzer öğe<strong>le</strong>r<br />
yer almaktadır.<br />
Ayrıca örenyerini simge<strong>le</strong>yen bir logo hazır-‐<br />
lanmıştır (Resim 4): Tarihi kent, doğal çevre,<br />
Sulusaray’da suyun taşıdığı önem bu logoda<br />
yansıtılmıştır. Logoda iki yerel motif<strong>le</strong>r kul-‐<br />
lanılmıştır. Roma hamamından mimari bir<br />
detay, antik eser, su katılma, ılıca, sıcak ve<br />
soğuk sulu havuzlar, iyi olma, sağlık, din<strong>le</strong>n-‐<br />
me gibi kavramları yansıtmakta; geç antik<br />
dönem villasından ge<strong>le</strong>n mozaikten alınma<br />
bitkisel bir öge de tarihi eser, doğa, hayat,<br />
doğal çevre, eko turizm, ge<strong>le</strong>cek gibi
kavramları simge<strong>le</strong>mektedir. Dört değişik<br />
türde <strong>le</strong>vha tasarlamayı düşündük. 6<br />
Figure 5<br />
Ilk olarak değişik yön <strong>le</strong>vhaları hazır-‐<br />
lanacaktır. Bunlar üç farklı gezinti biçimi<br />
için tasarlanmıştır: Kısa süreli ziyaretçi<strong>le</strong>r<br />
için kent içinde küçük bir tur; uzun süreli<br />
ziyaretçi<strong>le</strong>r için: kent içinde ve çevresinde<br />
gezinti<strong>le</strong>r. Gezi güzergahının niteliği yön<br />
<strong>le</strong>vhasında kullanılan renk<strong>le</strong> belirtilmiştir:<br />
Kent içinde ve müzede bordo rengi; çevre-‐<br />
de, doğa ve sağlık turları için yeşil; taş ocağı,<br />
tümülüs<strong>le</strong>r gibi çevrede yer alan tarihi var-‐<br />
lıklar için bej rengi kullanılmıştır. (Resim 5)<br />
Bu renk<strong>le</strong>r çevredeki taş tür<strong>le</strong>rinden, yeşil<br />
örtüden esin<strong>le</strong>nebi<strong>le</strong>ceği gibi müzedeki ser-‐<br />
gi<strong>le</strong>nen mozaikten ya da Sulusaray ev<strong>le</strong>r-‐<br />
inde ağırlıkla kullanılan renk<strong>le</strong>rden alınmış<br />
olabilir.<br />
İkinci olarak, şehir merkezinde ve müze<br />
önünde genel bilgi <strong>le</strong>vhaları konulacaktır.<br />
Büyük boy bu <strong>le</strong>vhalarda (160 x 120 cm) bir<br />
giriş yazısı ve kısa bir tarihçe yer almak-‐<br />
tadır. (Resim 6) Ayrıca orta boy (80x120cm)<br />
bir harita üzerinde doğa ve kültür zengin-‐<br />
lik<strong>le</strong>rinin yeri gösteri<strong>le</strong>cektir. (Resim 7)<br />
6 Levhalarin design ve misanpaj müze ve kültür<br />
varliklari design yüksek lisans staj yaparken Myriam<br />
Lesko i<strong>le</strong> hazirliorduk. Belge ve canlandırıcı tartışma<br />
için Sayin Şennur Şentürk Istanbul Yapi Kredi Kültür<br />
Merkesi Sergi Koordinatörü ve Sayin Mercedes Urteaga<br />
Artiges, Museo Romano Oiasso’nun Müdürü, Irun,<br />
İspanya yardım için çok teşekkür ederiz.<br />
SULUSARAY -‐ SEBASTOPOLIS<br />
Üçüncü olarak, kent içindeki ve çevre-‐<br />
sindeki mimari birim<strong>le</strong>r, ilgi çekici doğal ve<br />
tarihi varlıklar için orta boy (80 x 120 cm)<br />
tanıtım <strong>le</strong>vhaları tasarlanmıştır. (Resim 8)<br />
Dördüncü olarak müzede ve kent içindeki<br />
ya da çevredeki yazıtlar, mimari parçalar,<br />
etnografik obje<strong>le</strong>r, doğal ve biyolojik ilginç<br />
öğ<strong>le</strong>ri açıklayan kücük boy (40 x 47 cm)<br />
<strong>le</strong>vhalar öngörülmüştür. (Resim 9)<br />
Levhaların iç düzen<strong>le</strong>mesi (mizanpaj) de<br />
büyük önem verilmiştir. Amaç, göze çarp-‐<br />
mak ve çok kolay ve hızlı okunaklılıktır.<br />
Üstte, logo ve <strong>le</strong>vhada anlatılan yapı ya da<br />
objenin adı; merkezde ise, metin ve resim<strong>le</strong>r<br />
yer alacaktır. Levhalarda Türkçe ve İngilizce<br />
metin<strong>le</strong>r bulunacaktır. Türkçe için mavi,<br />
İngilizce için siyah renk kullanılacaktır. Baş-‐<br />
lıkta genel içerik kısaca veri<strong>le</strong>cek, esas me-‐<br />
tinde ise daha ayrıntılı olarak e<strong>le</strong> alın-‐<br />
acaktır. Konuyla ilgili anekdotlar, yazılı kay-‐<br />
naklar, yazıtlar çerçeve içinde veri<strong>le</strong>cektir.<br />
Levhalarda görsel olarak planlar, eski ve<br />
yeni fotoğraflar, çizim<strong>le</strong>r, kroki<strong>le</strong>r, taslaklar<br />
kullanılacaktır.<br />
Son olarak, her bir <strong>le</strong>vhanın alt bölümüne<br />
zaman ölçeğini gösteren kronolojik bir friz<br />
yer<strong>le</strong>ştirilmiştir. Bu frizde genel dönem<strong>le</strong>r,<br />
çağlar, yapı ya da eser<strong>le</strong> ilişkili tarihsel olay-‐<br />
lar belirti<strong>le</strong>cektir. Bu tür friz<strong>le</strong>r, ziyaret-‐<br />
çinin dönem<strong>le</strong>ri algılayabilmesi için büyük<br />
önem taşımalarına karşın örenyer<strong>le</strong>rine di-‐<br />
ki<strong>le</strong>n <strong>le</strong>vhalarda çok ender olarak görülür<br />
Levhadan <strong>le</strong>vhaya yine<strong>le</strong>me<strong>le</strong>r ve gönder-‐<br />
me<strong>le</strong>r de olabi<strong>le</strong>cektir.<br />
Ge<strong>le</strong>cek yıllarda bu kazı çalışmalarını<br />
geniş<strong>le</strong>tmeyi, <strong>le</strong>vhaların sayısını aıttırmayı<br />
ve çevre düzen<strong>le</strong>mesini sürdürmeyi umut<br />
ediyoruz. Hepinizi Sulusaray’ı ziyaret et-‐<br />
meye davet ediyorum.<br />
M. Kohl<br />
105
Figure 6<br />
106<br />
KOHL
SULUSARAY -‐ SEBASTOPOLIS<br />
Figure 7 Figure 8<br />
Figure 9<br />
107
108<br />
KOHL
Bibliographie<br />
SULUSARAY -‐ SEBASTOPOLIS<br />
Amandry/Rémy 1998<br />
Amandry M. / Rémy, B. (1998), Les monnaies de l’atelier de Sebastopolis du Pont. Pontica II, Istanbul.<br />
Anderson 1903<br />
Anderson, J.G.C. (1903), “A Journey of Exploration in Pontus”, Studia Pontica I, Bruxel<strong>le</strong>s.<br />
Bazin 1994<br />
Bazin, M. (1994), “L’urbanisation des campagnes en Turquie: l’exemp<strong>le</strong> de Sulusaray (département de Tokat)”,<br />
Anna<strong>le</strong>s de Géographie 103, 41-‐56.<br />
Cuinet 1890/1895<br />
Cuinet, V. (1890-‐1895), La Turquie d’Asie : géographie administrative, statistique, descriptive et raisonnée de chaque<br />
province de l'Asie-Mineure, 4 vols., Paris.<br />
Cumont/Cumont 1906<br />
Cumont, F. / Cumont, E. (1906), “Voyage d’Exploration Archéologique dans <strong>le</strong> Pont et la Petite Arménie”, Studia<br />
Pontica II, Bruxel<strong>le</strong>s.<br />
French 1988<br />
French, D.H. (1988), Roman Roads and Mi<strong>le</strong>stones of Asia Minor, fasc. 2: An Interim Catalogue of Mi<strong>le</strong>stones, part 1<br />
[BAR International Series, 392/1], Oxford.<br />
Kohl 2010<br />
M. Kohl (2010), “Sulusaray/Sebastopolis-‐Herac<strong>le</strong>iopolis: pour une reprise des recherches”, Anatolia Antiqua XVIII,<br />
89-‐96.<br />
Kohl 2012<br />
Kohl, M. (2012), “Sulusaray (Tokat)/ Sebastopolis-‐Herac<strong>le</strong>opolis. Mapping life and relationship of men with its<br />
environment. Studies of a site and its territory from prehistory to present. Society, economy, history”, in :<br />
L’Anatolie des peup<strong>le</strong>s, cités et cultures (IIe millénaire av. J.-C. – Ve sièc<strong>le</strong> ap. J.-C.), Besançon (sous presse).<br />
Kohl et al. 2012<br />
Kohl, M. / Matoğlu, M. / Alkan, A. (2012), “Tokat-‐Sulusaray/Sebastopolis : Temizlik Çalışmaları ve Ziyaretçi<strong>le</strong>r İçin<br />
Bir Gezi Güzergahı Oluşturulmasında İlk Adımlar”, 33. Kazı Sonuçları Toplantısı, 559-‐568.<br />
Le Guen-‐Pol<strong>le</strong>t 1989<br />
Le Guen-‐Pol<strong>le</strong>t, B. (1989), “Sebastopolis du Pont (Sulusaray). Documents littéraires et inscriptions déjà publiées<br />
de la cité”, Epigraphica Anatolica 13, 51-‐86.<br />
Le Guen/Rémy 2010<br />
Le Guen B. / Rémy, B. (2010), “La cité de Sebastopolis du Pont”, Anatolia Antiqua XVIII, 97-‐107.<br />
Le Guen-‐Pol<strong>le</strong>t/Rémy 1990<br />
Le Guen-‐Pol<strong>le</strong>t, B. / Rémy, B. (1990), “Prospections épigraphiques franco-‐turque dans la cité de Sébastopolis du<br />
Pont”, in : Anatolie antique. Fouil<strong>le</strong>s françaises en Turquie, Catalogue de l’exposition, Istanbul, 41-‐46.<br />
Le Quien 1740<br />
Le Quien, M. (1740), Oriens Christianus, In Quatuor Patriarchatus Digestus I, Paris.<br />
Mitford 1991<br />
Mitford, T.B. (1991), “Inscriptiones Ponticae-‐Sebastopolis”, ZPE 87, 181-‐243.<br />
Munro 1901<br />
Munro, J.A.R. (1901), “Roads in Pontus, Royal and Roman”, JHS 21, 1901, 52-‐66.<br />
109
110<br />
KOHL<br />
Özsaït 2000<br />
Özsait, M. (2000), “1997 ve 1998 Yılı Tokat-‐Zi<strong>le</strong> ve Çevresi Yüzey Araştırmaları”, Araştırma Sonuçları Toplantısı<br />
XVII.2, 73-‐74.<br />
Rémy et al. 1990<br />
Rémy, B. / Le Guen-‐Pol<strong>le</strong>t, B. / Özcan, B. / Amandry, M. (1990), “Rapport des travaux épigraphiques et<br />
numismatiques au Musée de Tokat en Juil<strong>le</strong>t 1988“, VII. Arastirma Sonuçlari Toplantisi, 515-‐531.<br />
Rémy 1991<br />
Rémy, B. (1991), “Recherches sur l’histoire du Pont dans l’Antiquité”, Pontica I, 3-‐6.
LE TEMPLE DE L'ORACLE D'APOLLON A CLAROS<br />
Jean-‐Char<strong>le</strong>s Moretti<br />
Directeur de la mission archéologique française de Claros (MAEE)<br />
Institut de recherche sur l'architecture antique (IRAA), CNRS, MOM<br />
Université Lumière Lyon 2<br />
jean-char<strong>le</strong>s.moretti@mom.fr<br />
Résumé : Le temp<strong>le</strong> d'Apollon mis en chantier dans <strong>le</strong> sanctuaire de Claros à la fin du 4 e sièc<strong>le</strong> aC était un temp<strong>le</strong><br />
dorique périptère à cinq degrés de crépis destinés à porter six colonnes sur <strong>le</strong>s petits côtés et onze sur <strong>le</strong>s longs.<br />
Son sékos comportait un vestibu<strong>le</strong> et une cour hypèthre, où se trouvait un puits, dont l'eau était la source<br />
d'inspiration de l'orac<strong>le</strong>. Des travaux en cours au 2 e sièc<strong>le</strong> aC conduisirent à l'installation d'une crypte à deux sal<strong>le</strong>s<br />
à l'emplacement de la cour. Un couloir construit sous <strong>le</strong> pronaos y conduisait. Au-‐dessus de la crypte fut aménagé<br />
un naos au fond duquel fut érigé un groupe statuaire représentant la triade apollinienne. Mise en chantier à la fin<br />
de l'époque hellénistique, la colonnade de la peristasis, ne fut jamais achevée. Hadrien finança l'entab<strong>le</strong>ment des<br />
six colonnes de la façade et de cinq autres sur chacun des longs côtés.<br />
Mots clés : temp<strong>le</strong>, sanctuaire, orac<strong>le</strong>, architecture grecque, ordre dorique, époque hellénistique, époque impéria<strong>le</strong>,<br />
Ionie, Apollon.<br />
Abstract: The temp<strong>le</strong> of Apollo whose construction began in the sanctuary of Claros in the late 4 th century BC was a<br />
a peripteral Doric temp<strong>le</strong> with a five degrees krepis , five columns on the short sides and e<strong>le</strong>ven on the long ones.<br />
His sékos included a vestibu<strong>le</strong> and a hypaethros courtyard, where stood a well, whose water was the inspiration<br />
for the orac<strong>le</strong>. Ongoing work in the 2 nd century BC <strong>le</strong>d to the installation of a two-‐room crypt at the location of the<br />
court. A corridor built under the pronaos <strong>le</strong>d to it. Above the crypt a naos was created, at the back of which a group<br />
of statues representing the Apollonian triad was erected. The colonnade of peristasis, whose construction began at<br />
the end of the Hel<strong>le</strong>nistic period, was never comp<strong>le</strong>ted. Hadrian financed the entablature of the facade of six<br />
columns and five on each long side.<br />
Keywords: temp<strong>le</strong>, shrine, orac<strong>le</strong>, Greek architecture, Doric, Hel<strong>le</strong>nistic, Imperial Age, Ionia, Apollo
Figure 1 : Le temp<strong>le</strong> d'Apollon, de l'est (cliché N. Şahin)<br />
Figure 2 : La fondation et la crépis à l'ang<strong>le</strong> nord-est de la façade, de l'est (cliché J.-Ch. Moretti)<br />
112<br />
MORETTI
e sanctuaire d'Apollon Clarios est<br />
situé dans la vallée de l'Alès, à 13<br />
km au nord-‐ouest d'Éphèse1 . Dans<br />
la partie haute de ce vallon se trouve la cité<br />
de Colophon, dont dépendait <strong>le</strong> sanctuaire,<br />
et à son débouché Notion, <strong>le</strong> lieu du Sud, <strong>le</strong><br />
port de Colophon. Depuis l'Antiquité <strong>le</strong><br />
paysage s'est sensib<strong>le</strong>ment modifié. La mer,<br />
qui était toute proche du sanctuaire, s'en est<br />
éloignée de 2 km. Les alluvions ont repoussé<br />
<strong>le</strong> trait de côte et exhaussé de plusieurs<br />
mètres <strong>le</strong> niveau du sol, faisant presque<br />
tota<strong>le</strong>ment disparaître <strong>le</strong>s vestiges du<br />
sanctuaire, qui ne furent repérés qu'en<br />
1826 par A.V. Arundell. Dans ce qui était un<br />
bois de frênes en bord de mer, un lieu de<br />
culte s'est développé dès l'époque<br />
protogéométrique sur un site dont <strong>le</strong>s<br />
premières traces d'occupation remontent à<br />
l'époque mycénienne. Au 6e s. Apollon et<br />
Artémis y possédaient chacun un temp<strong>le</strong> et<br />
un autel et y recevaient des offrandes parmi<br />
<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on compte plusieurs statues de<br />
kouroi etdekorai. Le temp<strong>le</strong> archaïque<br />
d'Apollon est mal connu car il a été arasé et<br />
recouvert par un temp<strong>le</strong> hellénistique.<br />
Seu<strong>le</strong>s quelques sections de la fondation, de<br />
l'euthyntéria et de la première assise de<br />
marbre de l'élévation de son mur de fond<br />
ont pu être observées.<br />
Un nouveau temp<strong>le</strong> consacré à Apollon fut<br />
mis en chantier à la fin du 4e L<br />
sièc<strong>le</strong>aC pour<br />
recevoir un orac<strong>le</strong>. Il a été découvert et<br />
fouillé dans <strong>le</strong>s années 1950 par une équipe<br />
dirigée par Louis Robert. Roland Martin, qui<br />
a participé aux travaux, en a alors com-‐<br />
mencé l'étude. Durantlapériodependant laquel<strong>le</strong> Mme J. de la Genière dirigeait la<br />
fouil<strong>le</strong> de Claros (1988-‐1997), il m'a chargé<br />
d'en mener à bien la publication. Je m'y<br />
consacre actuel<strong>le</strong>ment avec Didier Laroche,<br />
Isabel Bonora, Nicolas Bresch et Olivier<br />
Riss, grâce à un financement du Ministère<br />
des affaires étrangères et européennes dans<br />
<strong>le</strong> cadre d'une mission dirigée par Mme<br />
1 Cet artic<strong>le</strong> synthétise <strong>le</strong>s résultats que nous avons<br />
obtenus ces dernières années et que nous avons fait<br />
connaître dans <strong>le</strong>s artic<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s chroniques suivantes :<br />
Moretti/Laroche 2008 et 2010 ; Moretti 2008, 2009a,<br />
2009b, 2010 et 2011.<br />
TEMPLE D’APOLLON A CLAROS<br />
Nuran Şahin, professeur à l'Université de<br />
l'Égée à Izmir, qui nous a toujours réservé<br />
un accueil très cha<strong>le</strong>ureux et qui ne cesse de<br />
favoriser nos travaux.<br />
Les vestiges<br />
Du temp<strong>le</strong> hellénistique, il demeure<br />
en place presque uniquement des éléments<br />
qui se trouvaient sous <strong>le</strong> niveau du<br />
stylobate (fig. 1). Aucun tambour de<br />
colonne, ni aucun bloc des murs n'est à son<br />
emplacement d'origine, mais <strong>le</strong>s couloirs et<br />
<strong>le</strong>s deux sal<strong>le</strong>s qui se trouvent dans <strong>le</strong>s<br />
substructures et qui servaient à la con-‐<br />
sultation oraculaire sont dans un état de<br />
conservation remarquab<strong>le</strong>. À ces vestiges<br />
conservés en place sont associées quelques<br />
centaines de blocs errants dont <strong>le</strong>s plus<br />
spectaculaires, et aussi <strong>le</strong>s plus simp<strong>le</strong>s à<br />
identifier, sont ceux qui proviennent des<br />
colonnades. Les pièces pouvant être<br />
restituées à l'élévation des murs sont<br />
relativement peu nombreuses.<br />
La fondation est faite de deux assises de<br />
marbre à parement à bossages reposant sur<br />
un remblai argi<strong>le</strong>ux (fig. 2). El<strong>le</strong> porte une<br />
assise de réglage de marbre blanc qui était<br />
surmontée de cinq degrés de crépis de<br />
même matière. La longueur des blocs des<br />
six assises est parfaitement régulière. Les<br />
joints montants sont alignés une assise sur<br />
deux. À l'assise de réglage et aux assises<br />
paires de la crépis, ils correspondent<br />
alternativement aux axes et aux entraxes<br />
des colonnes. Il est ainsi possib<strong>le</strong> de<br />
restituer non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> nombre de<br />
colonnes, mais de connaître très exac-‐<br />
tement <strong>le</strong>urs entraxes qui étaient un peu<br />
plus faib<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s ang<strong>le</strong>s. À la base des<br />
joints montants des cinq degrés étaient<br />
scellés des astraga<strong>le</strong>s de bronze (fig. 3).<br />
Tout autour du temp<strong>le</strong> brillaient donc des<br />
centaines d'astraga<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> dans la<br />
klèromantie est bien connu 2 . Cette<br />
ornementation exceptionnel<strong>le</strong> désignait<br />
l'édifice comme <strong>le</strong> siège d'un orac<strong>le</strong>. À sa<br />
face postérieure, <strong>le</strong> quatrième degré de la<br />
2 Voir récemment Nollé 2007.<br />
113
f<br />
e<br />
d<br />
Fondations prévues pour une colonnade<br />
doublant la colonnade de façade<br />
c<br />
b<br />
Puits<br />
Fondations du stylobate<br />
et de la péristasis<br />
a<br />
Fondations du dallage<br />
Fondations des murs périphériques<br />
du sékos<br />
Figure 4 : Vue axonométrique du temp<strong>le</strong> avec indication de ses différentes composantes (P. Bonnard, G. Charpentier, V. Picard)<br />
114<br />
MORETTI<br />
Figure 3 : Astraga<strong>le</strong> de bronze scellé à la base d'un joint montant de la crépis<br />
(cliché J.-Ch. Moretti)<br />
3 m<br />
0<br />
3 m<br />
3 m
crépis est en contact avec une série de<br />
grands blocs de fondation (fig. 4).<br />
Ces pièces, scellées entre el<strong>le</strong>s par des<br />
agrafes en fer, portaient <strong>le</strong> cinquième degré<br />
de la crépis, qui servait de stylobate avec un<br />
système dilithique. Les quelques fragments<br />
qui en demeurent et la régularité de la<br />
construction permettent d'en proposer une<br />
restitution assurée avec, sur <strong>le</strong>s petits côtés,<br />
11 dal<strong>le</strong>s destinées à porter 6 colonnes et,<br />
sur <strong>le</strong>s longs côtés, 21 dal<strong>le</strong>s destinées à en<br />
porter 11. À ce niveau, <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> mesurait<br />
23,492 sur 43,748 m. L'entraxe courant<br />
était de 4,232 m et <strong>le</strong>s entraxes angulaires<br />
réduits à 4,040 m.<br />
La colonnade était d'ordre dorique.<br />
Les fûts avaient 20 cannelures séparées par<br />
des méplats. L'étude des 154 tambours<br />
conservés a été achevée cette année. El<strong>le</strong><br />
conduit à restituer des fûts à 12 tambours,<br />
dont certains conservent des <strong>le</strong>ttres sur <strong>le</strong>ur<br />
lit de pose. Ils ont été numérotés de bas en<br />
haut avec <strong>le</strong> système de numération<br />
milésienne, de Α à ΙΒ. La hauteur complète<br />
de la colonne, chapiteau compris, atteignait<br />
11,34 m.<br />
L'étude des tambours nous a appris que <strong>le</strong>s<br />
systèmes de <strong>le</strong>vage utilisés n'avaient pas été<br />
<strong>le</strong>s mêmes pour toutes <strong>le</strong>s colonnes et que<br />
l'on avait construit <strong>le</strong>s quatre colonnes<br />
centra<strong>le</strong>s de la façade avant d'entreprendre<br />
l'érection des colonnades latéra<strong>le</strong>s. Nous y<br />
reviendrons en évoquant l'histoire du<br />
chantier.<br />
Les fûts étaient couronnés de chapiteaux<br />
qui portaient un entab<strong>le</strong>ment dont <strong>le</strong> travail<br />
laisse supposer une réalisation à l'époque<br />
impéria<strong>le</strong>. Plusieurs des blocs d'architrave<br />
conservés sont inscrits (fig. 5). Ils provien-‐<br />
nent de la façade qui portait une dédicace<br />
faite par Hadrien avec la titulature qu'il a<br />
portée entre 135 et sa mort, <strong>le</strong> 10 juil<strong>le</strong>t<br />
138 3 . La frise comportait un seul triglyphe<br />
par entrecolonnement et des métopes<br />
lisses. La corniche horizonta<strong>le</strong> est ornée à sa<br />
face inférieure de longs mutu<strong>le</strong>s sans<br />
gouttes séparés par des espaces étroits.<br />
Un bloc (n° 138) présente entre deux<br />
mutu<strong>le</strong>s un espace orné d'un foudre, ce qui<br />
3 Ferrary 2000, 370-376.<br />
TEMPLE D’APOLLON A CLAROS<br />
répond très précisément au précepte de<br />
Vitruve IV 3, 6: “Les espaces résiduels, dont<br />
l'existence est due au fait que <strong>le</strong>s métopes<br />
sont plus larges que <strong>le</strong>s triglyphes doivent<br />
rester non décorés, à moins qu'on n'y sculpte<br />
des foudres…” (fig. 6) 4 . C'est à ma<br />
connaissance <strong>le</strong> seul bloc qui répond à ce<br />
que l'architecte latin édicte comme une<br />
règ<strong>le</strong>. Comme souvent, il a dû ériger un cas<br />
particulier en parangon. Quelques pièces de<br />
chéneau en sima ont été identifiées : l'une<br />
d'el<strong>le</strong>s (n° 129) comporte une gargouil<strong>le</strong> en<br />
tête de lion (fig. 7).<br />
Derrière cette colonnade, vers<br />
l'intérieur du temp<strong>le</strong> se trouvait un dallage.<br />
Il portait sur une fondation, en léger<br />
décaissé par rapport au niveau de cel<strong>le</strong> de la<br />
colonnade et de cel<strong>le</strong> des murs. Les diffé-‐<br />
rentes surfaces apparaissent clairement sur<br />
la fig. 8 de l'arrière du temp<strong>le</strong>. On y<br />
distingue, de gauche à droite : la surface qui<br />
portait <strong>le</strong> stylobate de la colonnade ; cel<strong>le</strong><br />
qui portait <strong>le</strong> dallage ; et la fondation du<br />
mur du fond du temp<strong>le</strong>, en léger ressaut par<br />
rapport à la fondation du dallage. Sur la fig.<br />
4 <strong>le</strong>s fondations de la colonnade et cel<strong>le</strong>s du<br />
mur périphérique du temp<strong>le</strong> apparaissent<br />
en grisé. Du côté de la façade, <strong>le</strong>s têtes des<br />
murs latéraux étaient plus ou moins<br />
précisément alignées sur <strong>le</strong>s troisièmes<br />
colonnes des flancs, comptées à partir de<br />
l'est.<br />
Entre la colonnade est et la façade du<br />
pronaos, la péristasis était donc deux fois<br />
plus profonde que sur <strong>le</strong>s longs côtés et sur<br />
la face postérieure. Avait-‐on prévu à cet<br />
endroit une plus grande surface dallée ou<br />
une doub<strong>le</strong> colonnade ? La seconde<br />
hypothèse est assez probab<strong>le</strong> car à<br />
l'emplacement attendu de cette éventuel<strong>le</strong><br />
colonnade, la fondation marque un léger<br />
ressaut et est faite de blocs plus grands et<br />
plus réguliers qu'en bordure du stylobate<br />
de la péristasis.<br />
L'intérieur du temp<strong>le</strong> était divisé en<br />
deux sal<strong>le</strong>s, un pronaos et un naos. Le mur<br />
qui <strong>le</strong>s séparait était aligné sur la cinquième<br />
4 Reliqua spatia, quod latiores sunt metopae quam<br />
triglyphi, pura relinquantur aut fulmina scalpantur…<br />
115
116<br />
MORETTI<br />
Figure 5 : Chapiteaux, architrave inscrite et triglyphe d'ang<strong>le</strong> de la façade du temp<strong>le</strong><br />
(cliché J.-Ch. Moretti)<br />
Figure 6 : Bloc de corniche horizonta<strong>le</strong> (n° 138) : vue du lit de pose<br />
(cliché J.-Ch. Moretti)<br />
Figure 7 : Bloc de sima horizonta<strong>le</strong> (n° 129) : vue de la face antérieure (cliché J.-Ch. Moretti)
TEMPLE D’APOLLON A CLAROS<br />
Figure 8 : L'arrière du temp<strong>le</strong>, du sud (cliché J.-Ch. Moretti)<br />
Figure 9 : L'architrave inscrite du pronaos (cliché J.-Ch. Moretti)<br />
Figure 10 : Bloc de triglyphe de l'ang<strong>le</strong> sud-est du pronaos<br />
(cliché J.-Ch. Moretti)<br />
117
colonne des longs côtés. Les murs étaient en<br />
marbre blanc avec un appareil rectangulaire<br />
décoré de panneaux finement piquetés. Le<br />
pronaos avait en façade deux colonnes<br />
doriques in antis dont il demeure 6 tam-‐<br />
bours et <strong>le</strong>s deux chapiteaux. Un tambour<br />
porte dans une cannelure la dédicace de<br />
l'une des deux colonnes (τὸν κίονα) à<br />
Apollon Clarios par un certain Sé<strong>le</strong>ukos fils<br />
de Sé<strong>le</strong>ukos, ancien prytane, dans <strong>le</strong>quel on<br />
reconnaîtra un citoyen de Colophon plutôt<br />
qu'un dynaste. Le sty<strong>le</strong> de l'écriture du texte<br />
convient à la première moitié du 2 e s. aC ou<br />
au milieu de ce sièc<strong>le</strong>. Trois fragments de<br />
l’architrave qui reposait en façade sur l'ante<br />
nord et sur la colonne qui la jouxtait (fig. 9)<br />
portent une inscription avec la titulature de<br />
Tibère au génitif, attestant la consécration<br />
d'une partie du temp<strong>le</strong> à l'empereur 5 .<br />
La frise, qui comportait un triglyphe par<br />
entrecolonnement, est d'un type assez<br />
différent de celui de la péristasis. El<strong>le</strong> ne se<br />
prolongeait pas sur <strong>le</strong>s longs côtés. Il n'y<br />
avait qu'un seul triglyphe sur <strong>le</strong> retour (fig.<br />
10).<br />
Le mur qui séparait <strong>le</strong> pronaos du<br />
naos est entièrement ruiné, mais on a<br />
conservé plusieurs éléments des montants<br />
de sa porte. Le fond du naos, qui était dallé<br />
de marbre noir, était occupé sur toute sa<br />
longueur par la base du groupe statuaire<br />
représentant Apollon entre Artémis et Létô<br />
(fig. 11).<br />
Ce groupe est connu par des vestiges des<br />
statues, par des représentations sur des<br />
monnaies de Colophon et, pour la figure<br />
d'Apollon, par une copie récemment décou-‐<br />
verte dans un nymphée de Sagalassos qui<br />
n'est pas antérieur à 128/9 pC 6 . Des mou-‐<br />
lages ont permis à M. Jean Marcadé<br />
d'étudier et de restituer sur <strong>le</strong> site <strong>le</strong>s<br />
éléments de ce groupe sculpté, qui mesurait<br />
7 à 8 m de haut. L'ensemb<strong>le</strong> de la triade<br />
paraît avoir été sculptée vers 200 ou dans la<br />
première moitié du 2 e s. aC.<br />
Une crypte composée de deux sal<strong>le</strong>s<br />
était aménagée sous <strong>le</strong> naos. On y accédait<br />
5 Ferrary 2000, 368-370.<br />
6 Mäge<strong>le</strong> 2009, 129-142.<br />
118<br />
MORETTI<br />
par des couloirs de marbre noir dont <strong>le</strong>s<br />
premières branches étaient situées sous <strong>le</strong><br />
pronaos. Il fallait changer sept fois de<br />
direction avant d'accéder à la première<br />
sal<strong>le</strong>. Les consultants devaient être passa-‐<br />
b<strong>le</strong>ment désorientés par ce cheminement et<br />
sans doute, pour certains, un peu effrayés,<br />
d'autant plus que <strong>le</strong>s textes littéraires nous<br />
apprennent que <strong>le</strong>s consultations avaient<br />
lieu la nuit. Deux escaliers symétriques qui<br />
ouvraient dans <strong>le</strong> dallage au pied des murs<br />
latéraux du vestibu<strong>le</strong> conduisaient à ces<br />
couloirs (fig. 12).<br />
L'un d'eux était probab<strong>le</strong>ment utilisé à<br />
l'al<strong>le</strong>r et l'autre au retour. La première sal<strong>le</strong><br />
à laquel<strong>le</strong> on accédait est une pièce de plan<br />
presque carré (6,44 m est-‐ouest sur 6,77 m<br />
nord-‐sud). El<strong>le</strong> avait deux portes latéra<strong>le</strong>s,<br />
dont l'une, là encore, devait servir à l'al<strong>le</strong>r et<br />
l'autre au retour. Son couvrement, qui<br />
n'était autre que <strong>le</strong> dallage du naos, était<br />
porté par quatre arcs de marbre blanc entre<br />
<strong>le</strong>squels fut installé, dans une seconde<br />
phase, un couvrement de bandes de tissu<br />
probab<strong>le</strong>ment, montées sur des tasseaux de<br />
bois (fig. 13).<br />
Entre <strong>le</strong>s retombées des arcs contre <strong>le</strong> mur<br />
est, il y avait des bancs de pierre destinés<br />
aux consultants (fig. 14).<br />
Dans cette pièce a été retrouvé un omphalos<br />
de marbre, comparab<strong>le</strong> à celui qui repré-‐<br />
sentait <strong>le</strong> nombril du monde dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong><br />
de Delphes. Il était surmonté d'un serpent<br />
et peut-‐être fixé sur un cadre métallique<br />
triangulaire (fig. 15). Un large mur séparait<br />
la sal<strong>le</strong> des consultants de cel<strong>le</strong> où se tenait<br />
<strong>le</strong> thespiode qui rendait <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s. Dans<br />
l'étroit couloir qui traverse ce mur, il y a, au<br />
pied de la paroi de droite, un bloc en saillie<br />
dont la configuration convient à cel<strong>le</strong> d'un<br />
siège. C'était là, selon L. Robert, que<br />
s'asseyait <strong>le</strong> prophète qui transcrivait <strong>le</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s rendus par <strong>le</strong> thespiode.<br />
La sal<strong>le</strong> de l'orac<strong>le</strong> a la même longueur que<br />
<strong>le</strong> naos (10,52 m), mais el<strong>le</strong> est relativement<br />
étroite (3,745 m) (fig. 16). Son sol, dallé de<br />
blocs en remploi, est interrompu au sud du<br />
débouché du couloir par l'ouverture d'un<br />
puits rectangulaire. Le thespiode buvait de<br />
son eau avant de rendre ses orac<strong>le</strong>s. Huit<br />
arcs soutenaient <strong>le</strong> couvrement de la sal<strong>le</strong>.
TEMPLE D’APOLLON A CLAROS<br />
Figure 11 : Moulage des vestiges du groupe représentant Apollon entre Artémis et Létô<br />
(cliché J.-Ch. Moretti)<br />
Figure 12 : L'escalier nord conduisant à la crypte, du sud-ouest (cliché J.-Ch. Moretti)<br />
Figure 13 : Le couvrement de toi<strong>le</strong> restitué dans la sal<strong>le</strong> des consultants. Vue de l'intérieur, du sud-est<br />
(cliché J.-Ch. Moretti)<br />
119
120<br />
Figure 14 : Le siège n° 1511 conservé en place dans la sal<strong>le</strong> des consultants<br />
(cliché J.-Ch. Moretti)<br />
71 cons.<br />
52,9<br />
2<br />
2<br />
3 4<br />
7,8<br />
8<br />
4<br />
9<br />
6<br />
1<br />
1<br />
6<br />
8<br />
0 10 60 cm<br />
Figure 15 : Re<strong>le</strong>vé de l’omphalos, au 1/20. Restitution d'un serpent<br />
au lit supérieur et d'un cadre triangulaire au lit de pose<br />
(re<strong>le</strong>vé et restitution N. Bresch)<br />
Figure 16 : La sal<strong>le</strong> de l'orac<strong>le</strong>, du sud (cliché J.-Ch. Moretti)<br />
5<br />
5<br />
MORETTI<br />
54°<br />
72°<br />
54°
La crypte ne disposait d'aucun mode<br />
d'éclairage naturel. Les nuits de consul-‐<br />
tation, el<strong>le</strong> devait être éclairée à la torche ou<br />
à la lampe. Il faut supposer qu'il existait au<br />
moins pour <strong>le</strong>s deux sal<strong>le</strong>s un système<br />
d'aération et donc probab<strong>le</strong>ment des ouver-‐<br />
tures dans <strong>le</strong> couvrement. On n'en a pas<br />
reconnu de trace.<br />
Tous ces vestiges ne sont pas<br />
contemporains. L'histoire architectura<strong>le</strong> du<br />
temp<strong>le</strong> n'a pas consisté en la réalisation<br />
dans un temps limité d'un projet retenu une<br />
fois pour toute. L'absence de liaison entre<br />
ses différentes composantes, des traces de<br />
retail<strong>le</strong>, des écarts stylistiques entre des<br />
éléments qui auraient été identiques dans<br />
un édifice rapidement réalisé conduisent à<br />
restituer au monument plusieurs configu-‐<br />
rations qui se sont succédées dans <strong>le</strong> temps<br />
et dont on peut préciser la chronologie<br />
absolue grâce aux datations apportées par<br />
la fouil<strong>le</strong>, par l'analyse stylistique et par des<br />
inscriptions.<br />
Il existe une preuve irréfutab<strong>le</strong> de la<br />
modification du projet initia<strong>le</strong>ment retenu :<br />
<strong>le</strong>s constructions qui se trouvent sous <strong>le</strong><br />
naos n'ont aucun lien structurel avec <strong>le</strong>s<br />
fondations des murs du temp<strong>le</strong>. Toutes<br />
viennent buter contre un mur à bossage<br />
dont l'emprise correspond à cel<strong>le</strong> du naos.<br />
Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s éléments constitutifs de la<br />
crypte ne sont pas liés structurel<strong>le</strong>ment<br />
entre eux. On en distingue principa<strong>le</strong>ment<br />
cinq (fig. 4) :<br />
-‐ la grande fondation sur laquel<strong>le</strong><br />
reposait la base des statues dans <strong>le</strong><br />
naos (a) ;<br />
-‐ <strong>le</strong> massif de refend entre <strong>le</strong>s deux<br />
sal<strong>le</strong>s (c) ;<br />
-‐ <strong>le</strong>s arcs de la sal<strong>le</strong> de l'orac<strong>le</strong> (b) ;<br />
-‐ <strong>le</strong>s arcs, <strong>le</strong>s murs latéraux et <strong>le</strong><br />
parement ouest du mur oriental de la<br />
sal<strong>le</strong> des consultants (d) ;<br />
-‐ <strong>le</strong> flanc est, enfin, du mur oriental de<br />
cette sal<strong>le</strong>, qui a été l’objet d’une<br />
réfection (e).<br />
On a de plus noté que <strong>le</strong>s couloirs d'accès à<br />
la crypte (f) qui se trouvent sous <strong>le</strong> pronaos<br />
n'appartiennent pas à la première phase du<br />
TEMPLE D’APOLLON A CLAROS<br />
temp<strong>le</strong>. Ces couloirs, tous <strong>le</strong>s éléments<br />
constitutifs de la crypte et la base des<br />
statues ont donc été ajoutés en reprise.<br />
Ainsi est-‐on conduit à restituer une<br />
première phase du temp<strong>le</strong> avec, à l'empla-‐<br />
cement du futur naos, une cour à l'air libre<br />
délimitée par un mur à bossage.<br />
L'histoire du temp<strong>le</strong><br />
Ce projet initial date de la fin du 4 e<br />
sièc<strong>le</strong>. Il est plus ou moins contemporain<br />
d'un grand programme de développement<br />
urbain qui fut décidé par <strong>le</strong>s Colophoniens<br />
vers 310 aC et de la mise en chantier de<br />
nouveaux temp<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> sanctuaire ora-‐<br />
culaire d'Apollon à Didymes et dans celui<br />
d'Artémis à Éphèse. Le temp<strong>le</strong> projeté à<br />
Claros était un édifice dorique à cinq degrés<br />
de crépis avec, peut-‐être, deux rangées de<br />
six colonnes en façade et onze sur <strong>le</strong>s longs<br />
côtés. L'emplacement du naos était occupé<br />
par une cour où se trouvait <strong>le</strong> puits dont<br />
l'eau était source d'inspiration et proba-‐<br />
b<strong>le</strong>ment un petit temp<strong>le</strong> pour la statue de<br />
culte. La présence de centaines d'astraga<strong>le</strong>s<br />
ornementaux dans la crépis ne laisse pas<br />
douter que dès cette époque, au moins, <strong>le</strong><br />
temp<strong>le</strong> était <strong>le</strong> siège d'un orac<strong>le</strong>. Son<br />
aménagement intérieur était assez proche<br />
de celui de l'édifice de Didymes. Il y a donc<br />
tout lieu de penser que <strong>le</strong> mode d'inter-‐<br />
rogation de l'orac<strong>le</strong> était comparab<strong>le</strong> dans<br />
<strong>le</strong>s deux sanctuaires apolliniens. Les consul-‐<br />
tants n'avaient pas accès à la cour. Seul <strong>le</strong><br />
personnel attaché à l'orac<strong>le</strong> s'y rendait pour<br />
interroger <strong>le</strong> dieu dont il faisait ensuite<br />
connaître <strong>le</strong>s réponses.<br />
Par ses dimensions (23,49 sur 43,75 m<br />
au stylobate), <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> d'Apollon clarien<br />
est comparab<strong>le</strong> aux grands temp<strong>le</strong>s<br />
doriques construits en Grèce au 4 e sièc<strong>le</strong> et,<br />
en particulier, à celui de Zeus à Némée 7<br />
(20,09 x 42,55 m). Son plan, qui est unique,<br />
se trouve à la croisée de deux famil<strong>le</strong>s : cel<strong>le</strong><br />
des temp<strong>le</strong>s doriques à six colonnes sur<br />
onze, avec la façade du pronaos alignée sur<br />
la troisième colonne des longs côtés et cel<strong>le</strong>,<br />
7 Hill 1966.<br />
121
éduite à deux proches voisins, des temp<strong>le</strong>s<br />
ioniques à haute crépis et cour intérieure<br />
(fig. 17). Ces deux édifices, dont <strong>le</strong>s<br />
dimensions colossa<strong>le</strong>s sont sans commune<br />
mesure avec cel<strong>le</strong>s du temp<strong>le</strong> de Claros,<br />
sont l'Artémision d'Éphèse et <strong>le</strong> Didymesion<br />
de Mi<strong>le</strong>t. Ils étaient prévus pour comporter<br />
deux rangs de colonnes à la périphérie et<br />
même trois pour la façade de l'Artémision.<br />
La colonnade se développait aussi dans <strong>le</strong><br />
vestibu<strong>le</strong>. Il se pourrait qu'il en ait été ainsi<br />
à Claros.<br />
La progression de l'étude permettra peut-‐<br />
être de préciser jusqu'à quel stade fut<br />
réalisé l'édifice mis en chantier dans <strong>le</strong>s<br />
dernières décennies du 4 e sièc<strong>le</strong>. La prise de<br />
Colophon par Lysimaque et la transplan-‐<br />
tation de ses habitants dans la Nouvel<strong>le</strong><br />
Éphèse en 294 8 provoquèrent sans doute<br />
une suspension des travaux. Ils avaient<br />
repris au 2 e sièc<strong>le</strong>, qui fut une période pros-‐<br />
père pour <strong>le</strong> sanctuaire d'Apollon Clarios 9 .<br />
Tout en conservant <strong>le</strong>s grandes lignes de la<br />
construction projetée à la fin du 4 e s., on<br />
avait alors modifié <strong>le</strong> projet initial (fig. 18).<br />
La doub<strong>le</strong> colonnade de façade avait été<br />
abandonnée. Le vestibu<strong>le</strong> associé à une cour<br />
avait été remplacé par une construction à<br />
deux niveaux. Sous une combinaison très<br />
canonique d'un pronaos à deux colonnes<br />
entre <strong>le</strong>s antes et d'un naos contenant un<br />
groupe statuaire était aménagée une crypte<br />
à deux sal<strong>le</strong>s accessib<strong>le</strong>s par des couloirs<br />
ouvrant devant la façade du pronaos. Une<br />
tel<strong>le</strong> transformation du projet initial sup-‐<br />
pose une modification du rituel oraculaire 10 .<br />
La construction de la crypte permit à<br />
certains consultants d'al<strong>le</strong>r entendre direc-‐<br />
tement <strong>le</strong> thespiode qui officiait dans la<br />
sal<strong>le</strong> du puits.<br />
Les travaux traînèrent en longueur et ne<br />
furent fina<strong>le</strong>ment jamais terminés. Les<br />
contraintes imposées par la construction<br />
préexistante et par la volonté de ne pas<br />
suspendre l'activité oraculaire n'expliquent<br />
qu'en partie la durée du chantier. L'argent<br />
manqua au sanctuaire et à la cité de<br />
8 Robert/Robert 1989, 77-85.<br />
9 Ferrary 2010, 94-95.<br />
10 Ferrary 2010, 113-114.<br />
122<br />
MORETTI<br />
Colophon et <strong>le</strong>s dons évergétiques ne<br />
suffirent pas pour tout financer. Sans<br />
pouvoir préciser toutes <strong>le</strong>s phases d'activité<br />
et de suspension du chantier, on peut situer<br />
dans <strong>le</strong> temps la réalisation de quelques<br />
parties de l'édifice.<br />
Le groupe statuaire, qui fut érigé<br />
après la construction de la crypte, a été<br />
daté, nous l'avons dit, dans la première<br />
moitié du 2 e s. aC. L'une des deux colonnes<br />
de la façade du pronaos, qui reposaient sur<br />
des éléments du couloir de la crypte, paraît<br />
avoir été offerte par un citoyen de Colophon<br />
dans la première moitié ou au milieu du 2 e<br />
sièc<strong>le</strong> aC, époque qui conviendrait aussi au<br />
sty<strong>le</strong> des chapiteaux et de la frise du<br />
pronaos. Les cadres de ses portes, qui<br />
permettaient de fermer l'accès au vestibu<strong>le</strong>,<br />
ont été payés peu après par un autre<br />
citoyen de Colophon, Ménippos, dont <strong>le</strong>s<br />
bienfaits sont commémorés dans un décret<br />
du troisième tiers du 2 e sièc<strong>le</strong> qui a été<br />
publié par J. et L. Robert 11 . Après <strong>le</strong>s travaux<br />
réalisés durant <strong>le</strong>s deux premiers tiers du 2 e<br />
sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s degrés de la crépis, la crypte, <strong>le</strong><br />
pronaos, <strong>le</strong> naos et <strong>le</strong> groupe statuaire<br />
devaient être achevés, mais la colonnade<br />
périphérique ne l'était pas.<br />
L'étude des vestiges nous avait montré que<br />
l'on avait construit <strong>le</strong>s quatre colonnes de<br />
façade avant d'entreprendre l'édification<br />
des colonnades latéra<strong>le</strong>s et que <strong>le</strong>s tech-‐<br />
niques de tail<strong>le</strong>, de scel<strong>le</strong>ment et de <strong>le</strong>vage<br />
qui furent employées pour réaliser <strong>le</strong>s<br />
colonnes convenaient à l'époque hellénis-‐<br />
tique tardive. Une découverte récente nous<br />
permet d'être plus précis. El<strong>le</strong> n'a pas été<br />
faite à Claros mais en mer, par cinquante<br />
mètres de fond, au large de Kızılburun, au<br />
sud de la presqu'î<strong>le</strong> de Çeşme. Il y a cinq<br />
ans, Mme Deborah Carlson, dans <strong>le</strong> cadre<br />
des travaux de l'Institute of Nautical<br />
Archaeology, a engagé sur ce site la fouil<strong>le</strong><br />
d'une épave qui transportait huit tambours<br />
et un chapiteau dorique inachevés en<br />
marbre de Proconnèse 12 (fig. 19). Les<br />
dimensions conviennent parfaitement pour<br />
11<br />
Robert/Robert 1989, décret pour Ménippos, col. II, l.<br />
25-26 (comm. p. 93).<br />
12<br />
Carlson/Aylward 2010, 145-159.
TEMPLE D’APOLLON A CLAROS<br />
Figure 17 : Plans des temp<strong>le</strong>s mis en chantier au 4e sièc<strong>le</strong> aC à Delphes,<br />
au sanctuaire d'Apollon de Didymes, à l'Artémision d'Éphèse et à Claros, à la même échel<strong>le</strong><br />
(mise en page D. Laroche)<br />
Figure 18 : Plan restitué du projet retenu au 2e sièc<strong>le</strong> aC.<br />
En haut, niveau supérieur. En bas, niveau de la crypte (D. Laroche) 123
<strong>le</strong>s huit tambours sommitaux d'une colonne<br />
du temp<strong>le</strong> de Claros et il y a d'autant moins<br />
de doute à avoir sur la destination du navire<br />
qu'il a été trouvé entre <strong>le</strong>s carrières de la<br />
mer de Marmara et <strong>le</strong> sanctuaire et qu'au-‐<br />
cun autre édifice dorique dont <strong>le</strong>s colonnes<br />
auraient eu <strong>le</strong>s dimensions de cel<strong>le</strong>s du<br />
temp<strong>le</strong> n'est connu pour avoir été en<br />
chantier à la fin de l'époque hellénistique en<br />
Asie Mineure. Le naufrage a été daté dans <strong>le</strong><br />
courant du 1 er s. aC, entre 100 et 30 aC<br />
probab<strong>le</strong>ment.<br />
Pour la connaissance du temp<strong>le</strong> d'Apollon<br />
Clarios l'intérêt de la découverte est trip<strong>le</strong>.<br />
1. L'épave permet de connaître l'ori-‐<br />
gine du marbre d'une partie de l'élévation<br />
du temp<strong>le</strong>.<br />
2. El<strong>le</strong> atteste l'existence de travaux<br />
sur la colonnade du temp<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> courant<br />
du 1 er s. aC.<br />
3. El<strong>le</strong> confirme, enfin, que l'on a<br />
procédé par édifications successives de<br />
colonnes et non par la mise en place pro-‐<br />
gressive des différents tambours de toutes<br />
<strong>le</strong>s colonnes.<br />
Tout laisse donc penser que la<br />
construction durant <strong>le</strong> 2 e s. de la crypte<br />
oraculaire et des sal<strong>le</strong>s qui la couvrait, fut<br />
suivie de l'érection progressive de quinze<br />
colonnes, quatre en façade puis cinq sur<br />
chacun des longs côtés. Ces travaux se<br />
déroulèrent au moins partiel<strong>le</strong>ment durant<br />
ce 1 er s. aC qui fut une grande période de<br />
travaux dans <strong>le</strong> sanctuaire. On construisit<br />
alors de nouveaux propylées doriques et, en<br />
bordure de la voie qui séparait ces<br />
propylées du parvis des temp<strong>le</strong>s, de nom-‐<br />
breuses statues honorifiques furent érigées<br />
pour des Romains, certaines sur des bases<br />
construites à cet effet, d'autres sur des<br />
monuments remployés. On compte parmi<br />
el<strong>le</strong>s une statue du proconsul Sextus<br />
Appu<strong>le</strong>ius, <strong>le</strong> neveu d'Auguste 13 . Ce dernier<br />
fut honoré par <strong>le</strong>s Colophoniens, en 22 ou<br />
24 aC, d'une statue de bronze placée sur<br />
une colonne corinthienne qui avait été<br />
érigée vers la fin du 2 e s. aC pour un<br />
personnage qui nous est inconnu. Il se<br />
13 Voir pour la dédicace : Ferrary 2000, 360-364 et pour<br />
la colonne : Étienne/Varène 2004, 117-123.<br />
124<br />
MORETTI<br />
pourrait que ce Sextus Appu<strong>le</strong>ius ait joué un<br />
certain rô<strong>le</strong> dans la construction du temp<strong>le</strong>.<br />
Ainsi s'expliquerait <strong>le</strong> titre de fondateur<br />
(κτίστης), dont il est qualifié dans la<br />
dédicace de sa statue et qui est resté<br />
jusqu'ici inexpliqué.<br />
Au tout début de l'époque impéria<strong>le</strong>,<br />
après <strong>le</strong>s travaux conduits très progres-‐<br />
sivement dans <strong>le</strong> courant du 2 e et du 1 er s.<br />
aC, <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> devait donc avoir plus ou<br />
moins l'aspect de la fig. 20 avec une<br />
colonnade périphérique inachevée et sans<br />
entab<strong>le</strong>ment. Apollon n'était pas <strong>le</strong> seul<br />
honoré dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong>. Entre 31 et 28 aC la<br />
cité de Colophon avait consacré dans <strong>le</strong> naos<br />
une statue d'Octavien, <strong>le</strong> futur Auguste 14 .<br />
Les travaux ne semb<strong>le</strong>nt pas avoir<br />
progressé dans <strong>le</strong> courant du 1 er s. aC, ce qui<br />
n'empêchait pas l'orac<strong>le</strong> de fonctionner.<br />
Nous savons par Tacite (Anna<strong>le</strong>s II, 54)<br />
qu'en 18, il fut consulté par Germanicus<br />
auquel il annonça sa mort qui survint<br />
l'année suivante.<br />
Sur la façade du pronaos, qui<br />
constituait alors la façade même du temp<strong>le</strong>,<br />
fut gravée l'inscription de son père adoptif,<br />
Tibère. El<strong>le</strong> fut inscrite sur <strong>le</strong> tiers droit de<br />
l'architrave, comme si un autre texte était<br />
gravé sur l'entrecolonnement médian.<br />
Tibère, après Auguste, fut donc honoré dans<br />
<strong>le</strong> temp<strong>le</strong> d'Apollon, comme il l'était dans<br />
celui de Dionysos, à Téos, non loin de<br />
Colophon.<br />
Hadrien finança la reprise des<br />
travaux, mais non <strong>le</strong>ur achèvement. On lui<br />
doit l'entab<strong>le</strong>ment et <strong>le</strong> fronton de la façade.<br />
Le temp<strong>le</strong> ne fut cependant pas terminé.<br />
Trente ou quarante ans après la mort de<br />
l'empereur, Pausanias (VII.5.4) mentionne<br />
<strong>le</strong> sanctuaire d'Apollon à Claros, avec celui<br />
de Didymes, comme des constructions ina-‐<br />
chevées. On sait qu'à Didymes, une bonne<br />
partie des colonnes ne fut pas réalisée. À<br />
Claros aussi, ce sont probab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s<br />
colonnes périphériques qui demeurèrent<br />
inachevées. Lors des fouil<strong>le</strong>s on a découvert<br />
14 Ferrary 2000, 357-359.
TEMPLE D’APOLLON A CLAROS<br />
Figure 19 : L'épave de Kızılburun transportant huit tambours et un chapiteau destinés à la colonnade périphérique<br />
du temp<strong>le</strong> d'Apollon à Claros (© Don Frey, Institute of Nautical Archaeology)<br />
Figure 20 : Restitution du temp<strong>le</strong> au début de l'époque impéria<strong>le</strong> (D. Laroche)<br />
125
presque tous <strong>le</strong>s tambours de quatorze<br />
colonnes volontairement abattues : <strong>le</strong>s six<br />
colonnes de la façade et quatre colonnes<br />
faisant retour sur <strong>le</strong>s longs côtés. Au-‐delà,<br />
vers l'ouest, on n'a mis au jour que quelques<br />
tambours, au sud du temp<strong>le</strong>. Sauf à sup-‐<br />
poser que l'on ait soigneusement démonté<br />
<strong>le</strong>s seize colonnes de l'arrière du temp<strong>le</strong><br />
complétant <strong>le</strong>s quatorze qui ont été retrou-‐<br />
vées, il y a tout lieu de penser qu'el<strong>le</strong>s n'ont<br />
jamais été construites.<br />
Après l'époque d'Hadrien, <strong>le</strong> temp<strong>le</strong><br />
avait une colonnade de façade avec son<br />
entab<strong>le</strong>ment comp<strong>le</strong>t et son fronton et ce<br />
qu'il fallait de colonnes pour rejoindre <strong>le</strong><br />
niveau du mur de refend entre <strong>le</strong> pronaos et<br />
<strong>le</strong> naos. Dégagé de ses échafaudages, il<br />
servit alors de support à ce que Louis<br />
Robert a appelé des mémoriaux de<br />
délégation, autrement dit, à des listes<br />
donnant la composition de délégations<br />
envoyées par des vil<strong>le</strong>s pour consulter<br />
l'orac<strong>le</strong> 15 . Leur gravure commence dans <strong>le</strong><br />
sanctuaire au début du 2 e sièc<strong>le</strong>, vers 105, et<br />
devient fréquente dans <strong>le</strong> deuxième quart<br />
du sièc<strong>le</strong>, soit à l'époque de la dédicace<br />
d'Hadrien. Les troisième et quatrième<br />
degrés de la crépis de la façade du temp<strong>le</strong><br />
furent couverts de mémoriaux entre 141 et<br />
147. Le deuxième <strong>le</strong> fut par la suite et<br />
quatre tambours – un du pronaos et quatre<br />
de la péristasis – furent inscrits entre la fin<br />
du 2 e sièc<strong>le</strong> et la première moitié du 3 e<br />
sièc<strong>le</strong>.<br />
Après six sièc<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> n'était<br />
toujours pas achevé et <strong>le</strong> sanctuaire n'était<br />
pas dans un état très brillant. Plusieurs sta-‐<br />
tues n'étaient plus sur <strong>le</strong>urs bases. Presque<br />
tous <strong>le</strong>s monuments avaient été couverts<br />
d'inscriptions qu'ils n'étaient pas destinés à<br />
recevoir. La montée du niveau des eaux<br />
obligeait <strong>le</strong>s pè<strong>le</strong>rins à marcher sur<br />
d'étroites chaussées suré<strong>le</strong>vées. L'orac<strong>le</strong><br />
fonctionnait tout de même et l'on venait<br />
parfois de très loin pour l'interroger. Son<br />
autorité était reconnue des bords de la Mer<br />
noire jusqu'aux confins occidentaux de<br />
15<br />
Voir dorénavant Ferrary 2005, 719-765 et 2010, 91-<br />
114.<br />
126<br />
MORETTI<br />
l'Empire. Claros figurait alors parmi <strong>le</strong>s<br />
grands sanctuaires oraculaires d'Apollon<br />
avec un temp<strong>le</strong> qui présentait des<br />
dispositifs architecturaux qui ne sont pas<br />
attestés ail<strong>le</strong>urs dans <strong>le</strong> monde grec. Dans <strong>le</strong><br />
projet mis en chantier dans <strong>le</strong> dernier tiers<br />
du 4 e sièc<strong>le</strong>, ainsi que dans <strong>le</strong> plan de<br />
réaménagement adopté dans <strong>le</strong> courant de<br />
l'époque hellénistique, l'image assez bana<strong>le</strong><br />
du temp<strong>le</strong> vu de l'extérieur se combinait à<br />
des aménagements imprévisib<strong>le</strong>s auxquels<br />
seuls avaient accès <strong>le</strong> personnel sacerdotal<br />
et certains consultants. On est tenté de <strong>le</strong>s<br />
comparer à ceux de deux autres grands<br />
sanctuaires où Apollon rendait des orac<strong>le</strong>s,<br />
celui de Didymes et celui de Delphes dont<br />
<strong>le</strong>s liens avec Claros sont attestés dès <strong>le</strong> 6 e<br />
s. 16 . Le projet initial d'un temp<strong>le</strong> à cour avec<br />
une haute crépis reprend certains traits du<br />
Didymesion tout en <strong>le</strong>s adaptant à une<br />
construction de dimensions plus modestes<br />
et d'ordre dorique. Le choix du dorique<br />
pour un temp<strong>le</strong> en Ionie au début de<br />
l'époque hellénistique étonne. Relève-‐t-‐il de<br />
la volonté de conserver <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> du temp<strong>le</strong><br />
archaïque ? C'est possib<strong>le</strong>, mais comme<br />
aucun vestige de cet ordre antérieur à<br />
l'époque hellénistique n'a été découvert<br />
dans <strong>le</strong> sanctuaire, il faudrait alors admettre<br />
que cette première colonnade était en bois.<br />
Une référence au temp<strong>le</strong> d'Apollon pythien<br />
en chantier au 4 e s. a aussi pu jouer dans ce<br />
choix un rô<strong>le</strong> déterminant. L'influence des<br />
pratiques oraculaires delphiques paraît en<br />
tout cas très probab<strong>le</strong> dans la modification<br />
du temp<strong>le</strong> à cour en un temp<strong>le</strong> à crypte.<br />
Après ces transformations de la fin de<br />
l'époque hellénistique, certains consultants<br />
pouvaient, comme à Delphes, entendre la<br />
paro<strong>le</strong> prophétique ; comme à Delphes, un<br />
omphalos se trouvaient dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> ;<br />
comme à Delphes, Dionysos était présent<br />
aux côtés d'Apollon. À Delphes la tombe de<br />
Dionysos était installée dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong>. À<br />
Claros, Apollon partageait son autel avec<br />
Dionysos.<br />
J.-‐Ch. Moretti<br />
16 Şahin/Debord 2011.
Abréviations<br />
AJA : American Journal of Archaeology<br />
BCH : Bul<strong>le</strong>tin de Correspondance Hellénique<br />
CRAI : Compte Rendu de l’Académie des Inscriptions<br />
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ARCHEOLOGIE ET HISTOIRE EN ASIE MINEURE MERIDIONALE :<br />
LE CAS DES RUES A COLONNADES DANS LES CITES GRECQUES ET<br />
HELLENISEES DE PAMPHYLIE ET DE PISIDIE 1<br />
Anne-‐Sophie Rivalland<br />
Centre de recherches en histoire internationa<strong>le</strong> et atlantique (CRHIA)<br />
Université de Nantes<br />
ansoriv@yahoo.fr<br />
Résumé : Malgré <strong>le</strong> nombre et l’assez bon état de conservation des vestiges des anciennes cités de Pamphylie et de<br />
Pisidie, <strong>le</strong>s historiens s’y sont pendant longtemps assez peu intéressés. Si la situation a beaucoup évolué ces<br />
dernières années grâce au dynamisme des recherches archéologiques et épigraphiques, la documentation reste<br />
malheureusement encore très inéga<strong>le</strong> et dispersée. C'est pourquoi nous avons entrepris un travail de synthèse sur<br />
l’histoire des cités grecques et hellénisées de Pamphylie et de Pisidie. Fondée essentiel<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong> regroupement<br />
et l’analyse des données archéologiques, notre étude s’articu<strong>le</strong> plus particulièrement autour de la problématique<br />
des relations entre architecture urbaine et pouvoir(s) politique(s), pour la période allant du 4 e s. aC à la fin du 3 e s.<br />
pC. Dans ce cadre, nous avons choisi de traiter ici d’un des éléments architecturaux <strong>le</strong>s plus remarquab<strong>le</strong>s du<br />
paysage urbain de plusieurs cités pamphylo-‐pisidiennes : <strong>le</strong>s rues à colonnades (plateiai). Attestées à Sagalassos,<br />
Termessos, Pergè, Sidè et Selgè, <strong>le</strong>ur présence témoigne du développement de ces cités aux trois premiers sièc<strong>le</strong>s<br />
de notre ère. Leur tracé, par ail<strong>le</strong>urs, est révélateur de l’histoire pré-‐romaine –essentiel<strong>le</strong>ment hellénistique– des<br />
cités. Ainsi, tout en traduisant une certaine tendance à l’uniformisation des paysages urbains à l’époque impéria<strong>le</strong>,<br />
<strong>le</strong>s vestiges des plateiai des anciennes cités pamphylo-‐pisidiennes rendent compte de la singularité de chacune<br />
d’entre el<strong>le</strong>s.<br />
Mots clés : Asie Mineure méridiona<strong>le</strong>, Pamphylie, Pisidie, hellénistique, Haut-‐Empire, cités grecques, Pergè, Sidè,<br />
Selgè, Termessos, Sagalassos, Atta<strong>le</strong>ia, urbanisme, architecture, rues à colonnades, plateia.<br />
Abstract: Despite the number and fairly good state of the remains of ancient cities in Pamphylia and Pisidia,<br />
historians did not show a lot of interest in them for a long time. If the situation has changed significantly in recent<br />
years thanks to the dynamism of archaeological and epigraphic research, the documentation still is unfortunately<br />
very uneven and scattered. That is why we undertook a synthesis of the history of the Greek and Hel<strong>le</strong>nized<br />
Pamphylia and Pisidia. Essentially based on the collation and analysis of archaeological data, this study focuses<br />
specifically on the relationship between urban architecture and political power(s) spanning from 4 th century BC to<br />
the end of the 3 rd century AD. Within this framework, we chose to deal here with one of the most remarkab<strong>le</strong><br />
architectural e<strong>le</strong>ments of the urban landscape of many pamphylo-‐pisidian cities: the colonnaded streets (plateiai).<br />
Attested to Sagalassos, Termessos, Perga, Side and Selge, their presence ref<strong>le</strong>cts the development of these cities in<br />
the first three centuries AD. Their route, also reveals the pre-‐Roman history -‐mainly Hel<strong>le</strong>nistic– of the cities. Thus,<br />
whi<strong>le</strong> ref<strong>le</strong>cting a tendency towards uniformity in urban landscapes in imperial times, the remains of the plateiai<br />
in ancient pamphylo-‐pisidian cities ref<strong>le</strong>ct their uniqueness.<br />
Keywords: Southern Asia Minor, Pamphylia, Pisidia, Hel<strong>le</strong>nistic, Early Roman Empire, Greek cities, Perga, Side,<br />
Selge, Termessos, Sagalassos, Atta<strong>le</strong>ia, urbanism, architecture, colonnaded streets, plateia.<br />
1 Je souhaite remercier ici <strong>le</strong>s organisateurs des Rencontres d’Archéologie de l’IFÉA, et particulièrement Olivier Henry,<br />
de m’avoir aimab<strong>le</strong>ment invitée à présenter cette communication. Cel<strong>le</strong>-ci s’inscrit à la fois dans <strong>le</strong> thème retenu pour ces<br />
premières Rencontres d’Archéologie : Archéologies et espaces parcourus, et dans <strong>le</strong>s problématiques auxquel<strong>le</strong>s je<br />
m’intéresse dans <strong>le</strong> cadre de ma thèse de doctorat, préparée à l’Université de Nantes au sein du Centre de recherches en<br />
histoire internationa<strong>le</strong> et atlantique (CRHIA). Ce travail porte sur <strong>le</strong>s relations entre urbanisme, architecture et pouvoir<br />
politique dans <strong>le</strong>s cités grecques et hellénisées de Pamphylie et de Pisidie entre <strong>le</strong>s 5 e -4 e s. aC et <strong>le</strong> Haut-Empire romain.<br />
Il est dirigé conjointement par Mme I. Pimouguet-Pédarros, HDR en Histoire grecque, et M.F. Hur<strong>le</strong>t, Professeur en<br />
Histoire romaine.
130<br />
RİVALLAND
C<br />
Figure 1 : carte topographique de la Pamphylie et de la Pisidie<br />
méridiona<strong>le</strong> (Machatschek/Schwarz 1981, Taf.1)<br />
ouvrant un territoire s’étendant de la côte<br />
méridiona<strong>le</strong> de l’Anatolie autour du golfe de<br />
l’actuel<strong>le</strong> Antalya, jusqu’aux lacs intérieurs<br />
de Burdur, Eğirdir et Beyşehir, <strong>le</strong>s régions<br />
antiques de Pam-‐phylie et de Pisidie<br />
formaient un paysage de plaines et de<br />
montagnes traversées dans <strong>le</strong> sens nord-‐<br />
sud par trois grands f<strong>le</strong>uves navigab<strong>le</strong>s<br />
pendant l’Antiquité : d’ouest en est <strong>le</strong><br />
Cestros (auj. Aksu Çayı), l’Eurymédon (auj.<br />
Köprü Çayı) et <strong>le</strong> Mélas (auj. Manavgat<br />
Çayı). Étroite bande littora<strong>le</strong> en forme de<br />
croissant et au relief relativement plat,<br />
RUES A COLONNADES<br />
s’étirant sur environ 80<br />
km d’ouest en est (d’An-‐<br />
talya à l’ancienne Sidè) et<br />
sur 25 km du sud au nord,<br />
la plaine pamphylienne<br />
est entourée de tous côtés<br />
par <strong>le</strong>s imposants reliefs<br />
du Taurus, vers <strong>le</strong>squels<br />
el<strong>le</strong> s’élève encore sous<br />
forme de terrasses suc-‐<br />
cessives (fig. 1) 2 .<br />
Bordée dans l’antiquité<br />
par la Lycie à l’ouest et la<br />
Cilicie Trachée à l’est, el<strong>le</strong><br />
ouvrait au nord sur <strong>le</strong>s<br />
hautes terres de Pisidie,<br />
vaste région montagneuse en<br />
forme d’arc de cerc<strong>le</strong> d’accès<br />
souvent diffici<strong>le</strong> malgré<br />
l’existence de voies ter-‐<br />
restres entre <strong>le</strong>s reliefs<br />
escarpés 3 .<br />
Mal documentées<br />
pour la période qui pré-‐<br />
cède <strong>le</strong> passage d’A<strong>le</strong>xan-‐<br />
dre dans la région, <strong>le</strong>s<br />
formes et modalités d’oc-‐<br />
cupation du territoire<br />
pamphylo-‐pisidien sont<br />
en revanche mieux con-‐<br />
nues pour l’époque hel-‐<br />
lénistique et <strong>le</strong> Haut-‐<br />
Empire romain. L’éten-‐<br />
due, <strong>le</strong> nombre et l’état de conservation<br />
(parfois très bon) des vestiges des an-‐<br />
ciennes cités de Pamphylie et de Pisidie<br />
attestent en effet de l’accélération et du<br />
développement de l’urbanisation dans ces<br />
provinces méridiona<strong>le</strong>s d’Asie Mineure<br />
après 333 aC. Remarquab<strong>le</strong>ment mise en<br />
évidence par <strong>le</strong> travail de Karl Lanckoronski<br />
2 Pour une description géographique plus précise de la<br />
région, voir De Planhol 1958. Ce dernier écrivait (p. 27)<br />
que la Pamphylie était « beaucoup moins une plaine<br />
qu’une zone de piedmont ». Voir aussi Brandt 1992.<br />
3 De Planhol 1958, 28-29 ; Mitchell 1998, 240-241 ;<br />
Grainger 2009, XIII. Sur <strong>le</strong>s routes antiques d’Anatolie<br />
voir <strong>le</strong>s travaux de D. French, notamment French 1990<br />
et 1994.<br />
131
et de son équipe dès la fin du 19 e s. 4 , la<br />
richesse archéologique et épigraphique du<br />
terrain n’amena cependant pas immé-‐<br />
diatement <strong>le</strong>s historiens à s’intéresser à la<br />
région, de sorte qu’aujourd’hui encore <strong>le</strong>s<br />
cités de Pamphylie et de Pisidie restent<br />
dans l’ensemb<strong>le</strong> moins bien connues que<br />
cel<strong>le</strong>s d’autres régions micrasiatiques, à<br />
commencer par <strong>le</strong>s cités de la côte égéenne.<br />
Cette situation tient à la conjugaison de<br />
plusieurs facteurs, parmi <strong>le</strong>squels trois sont<br />
sans doute essentiels, à savoir : <strong>le</strong> relatif<br />
iso<strong>le</strong>ment géographique –ou au moins la<br />
difficulté d’accès, réel<strong>le</strong> ou supposée– de<br />
cette zone de l’Anatolie 5 ; <strong>le</strong> nombre limité<br />
de sources littéraires concernant <strong>le</strong>s cités de<br />
Pamphylie et de Pisidie 6 ; l’apparente ab-‐<br />
sence d’implication des cités de la région<br />
dans <strong>le</strong>s principaux évènements historiques<br />
qui marquèrent <strong>le</strong> bassin oriental de la<br />
Méditerranée dans l’antiquité 7 . Si l’on ajoute<br />
à cela <strong>le</strong> fait que certains auteurs anciens<br />
présentent <strong>le</strong>s populations des montagnes<br />
pisidiennes comme des bandes de brigands<br />
barbares hosti<strong>le</strong>s à toute forme de contrô<strong>le</strong>,<br />
et <strong>le</strong>s habitants de Sidè, sur la côte<br />
pamphylienne, comme acquis aux pirates,<br />
4<br />
Lanckoronski 1890/1893.<br />
5<br />
Grainger 2009 : XIII-XIV à propos de la Pamphylie.<br />
Sur la configuration physique de la région et notamment<br />
la présence des montagnes du Taurus qui enserrent la<br />
plaine côtière, voir principa<strong>le</strong>ment De Planhol 1958, 23-<br />
29. Aussi Brandt 1992, 8-10 ; Brandt/Kolb 2005, 12-19.<br />
Notons cependant que <strong>le</strong>s travaux de French 1992 ainsi<br />
que ceux menés sur la Cilicie par exemp<strong>le</strong> ont amené à<br />
réévaluer l’idée selon laquel<strong>le</strong> Pamphylie et Pisidie<br />
auraient été des régions isolées : malgré son<br />
éloignement des grandes voies de communication<br />
ciliciennes, la Pamphylie fut une zone de contacts entre<br />
populations orienta<strong>le</strong>s et populations grecques. D’autre<br />
part, si <strong>le</strong>s difficultés d’accès aux régions intérieures du<br />
plateau anatolien ont peut-être pu pendant un temps<br />
limiter l’établissement de tels contacts dans <strong>le</strong>s hautes<br />
terres de Pisidie, <strong>le</strong>s importants vestiges de cités<br />
anciennes encore bien conservés sur <strong>le</strong> terrain suffisent<br />
à témoigner de la profondeur de la pénétration de<br />
l’influence grecque dans ces régions montagneuses au<br />
peup<strong>le</strong>ment initia<strong>le</strong>ment asianique (voir entre autres<br />
Mitchell 1991, Waelkens 2004).<br />
6<br />
Pour une liste récente assez exhaustive, cf. Arena<br />
2005.<br />
7<br />
Voir par exemp<strong>le</strong> pour la Pisidie hellénistique <strong>le</strong><br />
résumé des quelques épisodes où apparaissent <strong>le</strong>s cités :<br />
Mitchell 1991 ; voir aussi Kosmetatou 1997. Pour <strong>le</strong>s<br />
cités de Pamphylie, cf. Grainger 2009.<br />
132<br />
RİVALLAND<br />
on comprend sans doute encore un peu<br />
mieux pourquoi <strong>le</strong>s historiens se sont<br />
pendant longtemps largement désintéressés<br />
des anciennes cités de Pamphylie et de<br />
Pisidie 8 .<br />
Aujourd’hui, la situation est tout<br />
autre, et un rapide parcours des publi-‐<br />
cations spécialisées met en évidence l’im-‐<br />
portante augmentation du nombre d’études<br />
consacrées à ces régions d’Asie Mineure au<br />
cours des dernières décennies. Initiée dans<br />
<strong>le</strong>s années 1950-‐60, cette dynamique,<br />
conséquence des progrès de l’archéologie et<br />
de l’épigraphie, s’est particulièrement accé-‐<br />
lérée depuis <strong>le</strong>s années 1980.<br />
Compte tenu de ces développements, et<br />
constatant l’absence de synthèse raisonnée<br />
et actualisée sur l’histoire des cités de<br />
Pamphylie et de Pisidie prenant en compte<br />
l’ensemb<strong>le</strong> des données matériel<strong>le</strong>s nou-‐<br />
vel<strong>le</strong>ment disponib<strong>le</strong>s 9 , il nous a semblé<br />
qu’il y avait là non seu<strong>le</strong>ment un paradoxe<br />
mais aussi et surtout un travail particu-‐<br />
lièrement riche à mener. Nous avons donc<br />
commencé, à l’occasion d’un Master II<br />
Recherches en Histoire ancienne, à réunir <strong>le</strong><br />
maximum de sources (littéraires, et surtout<br />
archéologiques et épigraphiques) sur <strong>le</strong>s<br />
8 La Pisidie étant une région montagneuse, el<strong>le</strong> apparaît<br />
souvent chez <strong>le</strong>s Anciens comme un espace sauvage et<br />
hosti<strong>le</strong>. Peu accueillante donc, el<strong>le</strong> serait peuplée de<br />
populations à son image, à savoir des combattants voire<br />
des brigands, en tout cas des barbares non civilisés. Sur<br />
l’association entre conditions naturel<strong>le</strong>s et caractères de<br />
la population qui a abouti à la construction d’une image<br />
archétypa<strong>le</strong> des Pisidiens dans la littérature ancienne, cf.<br />
Porcher 2002.Voir notamment sur ce point <strong>le</strong>s<br />
descriptions qu’en font Arrien, Anab., I.24.5-6 ;<br />
Diodore, XVIII.45-47 ; Schol. Vet. in Pindari Carm.,<br />
Olymp. XIII, 128b ; Strabon, XII.6.4 (C 569) ; XII.7.2<br />
(C 569-570) ; XIV.3.2 (C 664) ; Xénophon, Anab.,<br />
I.1.11; I.2.1 ; I.2.4; I.9.14 ; II.5.13 ; III.1.9-10; Hell.,<br />
III.1.13 ; Mém., III.5.26. Précisons cependant que<br />
d’autres passages littéraires, même s’ils sont plus rares,<br />
rendent compte d’un certain degré de civilisation atteint<br />
par <strong>le</strong>s Pisidiens dès avant <strong>le</strong> passage d’A<strong>le</strong>xandre : cf.<br />
Xénophon, Anab., III.2.23 ; Strab., XII.7.2 (C 569-<br />
570) ; Arr., Anab., I.28.2 ; Polybe, V.72.10. Sur <strong>le</strong>s<br />
habitants de Sidè et la piraterie, cf. Strab. XII.7.2 (C<br />
569-570) et XIV.3.2 (C 664).<br />
9 Des synthèses récentes existent, mais el<strong>le</strong>s ne sont pas<br />
fondées sur l’étude des vestiges archéologiques des<br />
sites : cf. Brandt 1992 ; Arena 2005 ; Kolb/Brandt<br />
2005 ; Grainger 2009.
cités grecques et hellénisées de Pamphylie<br />
et de Pisidie, à la suite de quoi, au vu de<br />
l’abondance de la documentation et des<br />
perspectives envisageab<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong> sujet,<br />
nous avons poursuivi notre travail dans <strong>le</strong><br />
cadre d’une thèse de doctorat 10 . En at-‐<br />
tendant que cel<strong>le</strong>-‐ci soit achevée, nous nous<br />
proposons de présenter ici <strong>le</strong> contexte sci-‐<br />
entifique particulier dans <strong>le</strong>quel s’inscrit<br />
notre étude, après quoi nous envisagerons<br />
plus précisément <strong>le</strong> cas des rues à colon-‐<br />
nades, qui permet d’illustrer l’intérêt et la<br />
pertinence de notre démarche.<br />
Étudier l’histoire des cités de Pam-‐<br />
phylie et de Pisidie à travers <strong>le</strong>s<br />
sources archéologiques<br />
Les progrès de la recherche de terrain :<br />
apports et limites<br />
Parmi <strong>le</strong>s expéditions menées en<br />
Anatolie dans <strong>le</strong> contexte de développement<br />
des explorations scientifiques au 19 e s.,<br />
plusieurs participèrent à préciser la géo-‐<br />
graphie historique de l’Anatolie méridiona<strong>le</strong><br />
antique. C’est <strong>le</strong> cas par exemp<strong>le</strong> des tra-‐<br />
vaux que menèrent W.M. Ramsay ou encore<br />
J.R.S. Sterrett, qui mirent en évidence, avec<br />
d’autres, la richesse archéologique et<br />
épigraphique de la région, localisant ainsi<br />
plusieurs sites antiques 11 . Dans <strong>le</strong> domaine<br />
de l’architecture monumenta<strong>le</strong>, la première<br />
étude consacrée aux vestiges architecturaux<br />
des cités de Pamphylie et de Pisidie fut<br />
publiée entre 1890 et 1893 par l’Autrichien<br />
Karl Lanckoronski. Réunissant une masse<br />
importante de documentation épigraphique<br />
et archéologique, son ouvrage, d’une grande<br />
qualité scientifique, devint vite une<br />
référence et constitua pendant plusieurs<br />
décennies la principa<strong>le</strong> source d’informa-‐<br />
tions concernant l’architecture et l’urba-‐<br />
nisme de la plupart des sites classiques de<br />
Pamphylie et de Pisidie (quand el<strong>le</strong> n’en<br />
constitua pas l’unique).<br />
10 Voir note 1.<br />
11 Ramsay 1890 ; Sterrett, 1888a et 1888b.<br />
RUES A COLONNADES<br />
Après un ra<strong>le</strong>ntissement des travaux<br />
archéologiques lié au contexte international<br />
agité de la première moitié du 20 e s., <strong>le</strong>s<br />
activités reprirent progressivement dans la<br />
région à partir de la fin des années 1940.<br />
Ainsi, en 1946-‐1947, <strong>le</strong> Prof. Dr. A.M. Mansel<br />
entreprit <strong>le</strong>s fouil<strong>le</strong>s des sites pamphyliens<br />
de Pergè et Sidè, tandis que dès la fin des<br />
années 1950, <strong>le</strong> Prof. G.E. Bean publia un<br />
grand nombre d’inscriptions, faisant encore<br />
progresser <strong>le</strong>s connaissances sur la géo-‐<br />
graphie antique de la Pamphylie et de la<br />
Pisidie 12 . Après quelques années d’inter-‐<br />
ruption, <strong>le</strong>s fouil<strong>le</strong>s de Pergè et de Sidè se<br />
poursuivirent dans <strong>le</strong>s années 1960-‐1970,<br />
amenant rapidement ces deux sites à être<br />
<strong>le</strong>s mieux connus de la région. Les années<br />
1970 furent aussi marquées par <strong>le</strong> déve-‐<br />
loppement des études épigraphiques 13 et<br />
par l’exploration du site pisidien de Selgè<br />
par une équipe d’archéologues autrichiens 14 .<br />
Malgré ces premières avancées, c’est<br />
surtout depuis <strong>le</strong>s années 1980-‐90 que<br />
notre connaissance des cités pamphylo-‐<br />
pisidiennes s’est véritab<strong>le</strong>ment accrue,<br />
grâce à la multiplication des prospections et<br />
chantiers de fouil<strong>le</strong>s archéologiques, ainsi<br />
qu’à la poursuite des travaux dans <strong>le</strong> do-‐<br />
maine épigraphique, avec notamment la<br />
publication des Inschriften Griechischer<br />
Städte aus K<strong>le</strong>inasien (IGSK). Les ins-‐<br />
criptions découvertes en Pamphylie et en<br />
Pisidie ont ainsi donné naissance à six<br />
<strong>volume</strong>s des IGSK depuis 1991, ce qui<br />
témoigne non seu<strong>le</strong>ment de la richesse du<br />
terrain mais aussi de la vivacité de la re-‐<br />
cherche sur <strong>le</strong>s inscriptions. Les trois<br />
dernières décennies ont en effet été mar-‐<br />
quées par <strong>le</strong>s travaux de plusieurs équipes<br />
très actives en matière d’épigraphie,<br />
12 Bean 1959 et 1960.<br />
13 En plus de G.E. Bean, qui poursuivit ses travaux dans<br />
la région, de nouvel<strong>le</strong>s recherches furent menées par<br />
A.S. Hall (sur la Pisidie orienta<strong>le</strong>), S. Mitchell ou<br />
encore C. Foss pour <strong>le</strong>s anglophones, Cl. Brixhe et<br />
Jeanne et Louis Robert pour <strong>le</strong>s francophones. Cf. Hall<br />
1968 ; Mitchell 1974 et 1976 ; Foss 1977a et 1977b ;<br />
Brixhe 1976 ; pour J. et L. Robert, voir notamment <strong>le</strong>urs<br />
« Bul<strong>le</strong>tins épigraphiques » dans la Revue des études<br />
grecques.<br />
14 Cette prospection permit <strong>le</strong> re<strong>le</strong>vé systématique des<br />
vestiges de surface : Machatschek/Schwarz 1981.<br />
133
équipes composées de chercheurs essen-‐<br />
tiel<strong>le</strong>ment turcs et/ou européens. Parmi ces<br />
chercheurs, citons par exemp<strong>le</strong> J. Nollé et<br />
F.S. Schind<strong>le</strong>r sur Sidè et Selgè 15 , S. Mitchell,<br />
G.H.R. Hors<strong>le</strong>y, R. Behrwald ou encore H.<br />
Devijver pour plusieurs cités de Pisidie<br />
centra<strong>le</strong> et méridiona<strong>le</strong> 16 , G. Labarre avec M.<br />
et N. Özsait en Pisidie septentriona<strong>le</strong> 17 , M.<br />
Adak et S. Şahin sur <strong>le</strong> golfe pamphylien 18 ,<br />
Bu<strong>le</strong>nt İplikçioglu, avec G. et A.V. Çelgin, sur<br />
<strong>le</strong> territoire de Termessos, ainsi que M.<br />
Zimmerman 19 , et enfin W. Eck, M. Christol et<br />
Th. Drew-‐Bear sur l’administration des<br />
provinces à l’époque romaine 20 .<br />
Dans <strong>le</strong> domaine de l’archéologie, <strong>le</strong>s<br />
fouil<strong>le</strong>s entreprises à Pergè et Sidè en 1946-‐<br />
1947 se sont poursuivies jusqu’à aujour-‐<br />
d’hui de manière quasiment ininterrompue.<br />
El<strong>le</strong>s continuent actuel<strong>le</strong>ment sous l’égide<br />
d’H. Abbasoğlu pour Pergè et d’Ü. İzmirligil<br />
à Sidè. Par ail<strong>le</strong>urs, depuis 1989, <strong>le</strong> site de<br />
l’ancienne cité pisidienne de Sagalassos est<br />
devenu l’un des principaux chantiers de<br />
fouil<strong>le</strong>s archéologiques de Turquie, sous la<br />
direction de M. Waelkens, de la Katholieke<br />
Universiteit Leuven. La redécouverte de ce<br />
site et son exploration archéologique sont<br />
directement liées à la mise en place au<br />
début des années 1980 d’un programme<br />
initié et financé par <strong>le</strong> British Institute at<br />
Ankara, <strong>le</strong> Pisidian Survey, dont la direction<br />
fut alors confiée à S. Mitchell. Dans <strong>le</strong> cadre<br />
de ce projet scientifique –<strong>le</strong> premier à se<br />
concentrer à grande échel<strong>le</strong> sur cette région<br />
15<br />
Sur Sidè : Nollé 1993 et 2001 ; Selgè :<br />
Nollé/Schind<strong>le</strong>r, 1991.<br />
16<br />
Voir entre autres, sur <strong>le</strong>s cités de Pisidie centra<strong>le</strong> :<br />
Hors<strong>le</strong>y/Mitchell 2000 ; sur Pednelissos : Behrwald<br />
2003 ; sur Sagalassos : Devijver 1993 et 1996 ;<br />
Devijver/Waelkens 1995 et 1997.<br />
17<br />
Özsait et al. 2004 et 2007 ; Labarre/Özsait 2006a et<br />
2006b.<br />
18<br />
Entre autres, voir par exemp<strong>le</strong> sur Pergè : Şahin<br />
1995a, 1995c, 1996a, 1996b, 1999, 2000 et 2004. Sur<br />
Magydos : Adak/Atvur 1999. Sur Olbia : Şahin 2001a ;<br />
Adak 2006. Sur Atta<strong>le</strong>ia : Şahin 1995b et 1997. Sur la<br />
région en général : Şahin 1984, 1988, 1991, 1992 et<br />
2001b ; Adak 2001 ; Şahin/Adak 2007.<br />
19<br />
Voir notamment : İplikçioğlu et al. 1991, 1992, 1994<br />
et 2007. Aussi Çelgin 1994, 1997, 2001/2002, 2003a et<br />
2003b ; Zimmermann 1996.<br />
20<br />
Entre autres : Eck 1970, 2000a et 200b ; Christol<br />
1978 ; Christol/Drew-Bear 1991, 1992 et 1998.<br />
134<br />
RİVALLAND<br />
montagneuse du sud de l'Asie Mineure<br />
depuis <strong>le</strong>s activités pionnières de K. Lancko-‐<br />
ronski–, outre Sagalassos, des explorations<br />
furent menées entre 1982 et 1996 sur <strong>le</strong>s<br />
sites d’Antioche de Pisidie, Cremna, Arias-‐<br />
sos, Panemoteichos et Ören Tepe, ou encore<br />
Sia et Kaynar Ka<strong>le</strong> (qui est peut-‐être l’an-‐<br />
cienne Kodrula) 21 . Repris à la fin des années<br />
1990 par L. Vandeput, <strong>le</strong> Pisidian Survey a<br />
depuis amené <strong>le</strong>s chercheurs à s’intéresser<br />
aux sites de « Melli » et de Pednelissos 22 ,<br />
tandis que dans <strong>le</strong> même temps, <strong>le</strong>s sites de<br />
Lyrbe/Se<strong>le</strong>ukeia(?), en Pamphylie, et d’Ada-‐<br />
da en Pisidie ont éga<strong>le</strong>ment fait l’objet de<br />
(nouvel<strong>le</strong>s) prospections, en dehors du<br />
cadre du survey pisidien cette fois 23 . Enfin,<br />
très récemment, des projets se sont mis en<br />
place autour des sites de Sillyon et d’As-‐<br />
pendos 24 .<br />
Comme pour l’épigraphie, <strong>le</strong> dyna-‐<br />
misme dans <strong>le</strong> domaine de l’archéologie<br />
s’est naturel<strong>le</strong>ment traduit par une augmen-‐<br />
tation significative du nombre de publi-‐<br />
cations depuis <strong>le</strong> début des années 1990. Or,<br />
si certains sites ont fait l’objet de mono-‐<br />
graphies (outre <strong>le</strong>s importants sites de Sidè,<br />
Pergè et Sagalassos, c’est <strong>le</strong> cas de Cremna<br />
ou de Lyrbe par exemp<strong>le</strong>) 25 , l’essentiel des<br />
21 Pour un résumé du Pisidian Survey, un bilan et afin de<br />
<strong>le</strong> replacer dans <strong>le</strong> contexte général de développement<br />
des recherches archéologiques en Turquie, voir<br />
principa<strong>le</strong>ment : Mitchell 1998 et 2003, avec<br />
bibliographie.<br />
22 Sur Melli, cf. Vandeput et al. 1999 et 2000 ;<br />
Vandeput/Köse 2001. Sur Pednelissos : Vandeput/Köse<br />
2002, 2003a, 2003b, 2004, 2005, 2008a, 2008b et 2009 ;<br />
Vandeput et al. 2004 et 2009.<br />
23 Pour Adada : Büyükkolancı 1998. Pour<br />
Lyrbe/Se<strong>le</strong>ukeia(?), cf. İnan 1998 (publication des<br />
résultats des fouil<strong>le</strong>s de sauvetage menées entre 1972 et<br />
1979, avec mises à jour).<br />
24 Pour Sillyon, outre Küpper 1995, voir Küpper 1996a,<br />
1996b, 1998a et 1998b , cf. Varkıvanç 2004 et 2007 ;<br />
Özer/Taşkıran 2010 et enfin <strong>le</strong> site internet<br />
http://pau.edu.tr/sillyon/sayfa7494.aspx ;<br />
pour <strong>le</strong> projet d’Aspendos, sous la direction de V. Köse,<br />
voir <strong>le</strong> site internet de présentation :<br />
http://www.aspendosproject.com/index.html.<br />
25 Pour Sidè, Mansel 1963. Pour Pergè, Pekman 1989.<br />
Pour Sagalassos, voir <strong>le</strong>s <strong>volume</strong>s Sagalassos I-V<br />
publiés par M. Waelkens en collaboration avec son<br />
équipe, chez Acta Archaeologica Lovaniensia<br />
Monographiae, Leuven University Press, Leuven. Pour<br />
Lyrbe : İnan 1998. Pour Cremna : Mitchell 1995.<br />
D’autres sites ont fait l’objet d’une ou plusieurs
ésultats des enquêtes de terrain (et aussi<br />
un certain nombre d’essais d’analyse<br />
régiona<strong>le</strong> ou micro-‐régiona<strong>le</strong> fondés sur <strong>le</strong><br />
matériel archéologique) a cependant été<br />
publié sous forme d’artic<strong>le</strong>s, dans des<br />
revues scientifiques et/ou dans <strong>le</strong>s Kazı<br />
sonuçları toplantısı 26 . Il en résulte que<br />
malgré <strong>le</strong>s progrès significatifs de la re-‐<br />
cherche actuel<strong>le</strong> en Pamphylie et en Pisidie,<br />
<strong>le</strong> matériel aujourd’hui disponib<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s<br />
cités de la région est non seu<strong>le</strong>ment<br />
beaucoup plus vaste qu’auparavant, mais<br />
aussi toujours très inégal et surtout par-‐<br />
ticulièrement dispersé.<br />
Cette inégalité concerne aussi bien l’état de<br />
conservation des vestiges que l’état de la<br />
recherche. Ainsi, à côté des trois grands<br />
sites particulièrement bien étudiés que sont<br />
Pergè, Sidè et Sagalassos, qui se distinguent<br />
par la régularité des fouil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s nom-‐<br />
breuses publications et communications<br />
ora<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s projets de restauration par<br />
anastylose dont ils font l’objet, <strong>le</strong>s autres<br />
vil<strong>le</strong>s (dont certaines ont pourtant pu jouer<br />
un rô<strong>le</strong> régional important si l’on en croit<br />
<strong>le</strong>s sources littéraires, épigraphiques et<br />
numismatiques mais aussi <strong>le</strong>s vestiges<br />
visib<strong>le</strong>s en surface) restent encore assez<br />
mal connues du point de vue de<br />
l’architecture. Le cas d’Atta<strong>le</strong>ia mis à part 27 ,<br />
il s’agit principa<strong>le</strong>ment des sites de Ter-‐<br />
messos, Sillyon et Aspendos et dans une<br />
moindre mesure celui de Selgè, qui n’ont<br />
jusqu’à présent fait l’objet d’aucun véritab<strong>le</strong><br />
programme de fouil<strong>le</strong>s, malgré la présence<br />
en surface de plusieurs édifices monu-‐<br />
mentaux parfois assez bien conservés 28 .<br />
monographies, parfois dès avant <strong>le</strong>s années 1990,<br />
comme Sidè (Mansel 1963) ou encore Selgè<br />
(Machatschek/Schwarz 1981).<br />
26 Mitchell 1991 ; Waelkens 2004. Les Actes des<br />
congrès annuels d’archéologie anatolienne paraissent<br />
systématiquement depuis 1979, prolongeant et<br />
complétant <strong>le</strong>s chroniques longtemps publiées<br />
uniquement dans l’American Journal of Archaeology,<br />
<strong>le</strong>s Archaeological Reports ou encore <strong>le</strong>s Anatolian<br />
Studies.<br />
27 La vil<strong>le</strong> a été occupée continuel<strong>le</strong>ment depuis sa<br />
fondation, laissant peu de traces visib<strong>le</strong>s des premiers<br />
temps de son existence.<br />
28 Cette situation pourrait peut-être bientôt changer pour<br />
<strong>le</strong>s sites de Sillyon et d’Aspendos, si jamais <strong>le</strong>s projets<br />
récemment initiés par <strong>le</strong>s Universités de Pammuka<strong>le</strong><br />
RUES A COLONNADES<br />
Par ail<strong>le</strong>urs, nos connaissances restent<br />
aujourd’hui très inéga<strong>le</strong>s selon <strong>le</strong>s périodes.<br />
Dans <strong>le</strong>ur très grande majorité en effet, <strong>le</strong>s<br />
vestiges mis à jour sur <strong>le</strong>s sites des<br />
anciennes cités de Pamphylie et de Pisidie –<br />
dont l’existence est pourtant avérée, dans la<br />
plupart des cas, avant l’époque hellénis-‐<br />
tique 29 – datent des trois-‐quatre premiers<br />
sièc<strong>le</strong>s de notre ère. Pour autant, cette si-‐<br />
tuation ne signifie pas que l’archéologie ne<br />
nous ait rien appris sur l’histoire pré-‐<br />
romaine des cités pamphylo-‐pisidiennes,<br />
car rareté n’est pas absence, et <strong>le</strong>s re-‐<br />
cherches menées ces dernières années par<br />
W. Martini sur l’acropo<strong>le</strong> de Pergè par<br />
exemp<strong>le</strong> ont fourni des informations parti-‐<br />
culièrement intéressantes sur <strong>le</strong> dévelop-‐<br />
pement de la cité depuis au moins l’Âge du<br />
Bronze 30 . De fait, bien qu’el<strong>le</strong>s constituent<br />
pour <strong>le</strong> moment un cas particulier à l’échel<strong>le</strong><br />
de la Pamphylie 31 , ces découvertes ouvrent<br />
d’immenses perspectives quant à l’éven-‐<br />
tuel<strong>le</strong> richesse archéologique du sous-‐sol<br />
des autres cités de la région. En outre, el<strong>le</strong>s<br />
illustrent, avec l’ensemb<strong>le</strong> des découvertes<br />
liées à la multiplication des recherches<br />
archéologiques en Anatolie méridiona<strong>le</strong> ces<br />
dernières années, <strong>le</strong>s progrès continuels de<br />
l’archéologie dans la région pamphylo-‐<br />
pisidienne.<br />
Archéologie et histoire : nouvel<strong>le</strong>s<br />
perspectives<br />
Nombreuses et précieuses, <strong>le</strong>s<br />
informations issues des travaux de terrain<br />
sont encore aujourd’hui largement disper-‐<br />
sées. Sans doute est-‐ce en partie cette<br />
dispersion qui explique <strong>le</strong> fait que l’histoire<br />
des anciennes cités de Pamphylie et de<br />
Pisidie soit relativement mal connue dans<br />
pour Sillyon (sous la direction du Doc. Dç. Elif Özer) et<br />
d’Hacettepe (Ankara) pour Aspendos (sous la direction<br />
du Prof. Associé V. Köse) se transforment un jour en<br />
chantiers de fouil<strong>le</strong>s.<br />
29<br />
Cf. Arena 2005, et notamment ses tab<strong>le</strong>aux<br />
récapitulatifs, p. 273 et suiv.<br />
30<br />
Voir principa<strong>le</strong>ment Martini 2010, avec bibliographie.<br />
Pour Sagalassos à l’Âge du Bronze, cf. Waelkens 2000.<br />
31<br />
En Pisidie, noter <strong>le</strong> cas de Sagalassos : cf. Waelkens<br />
2000.<br />
135
<strong>le</strong>s détails. D’où la nécessité selon nous<br />
d’entreprendre un travail de synthèse, sous<br />
la forme d’une étude historique fondée<br />
essentiel<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong> regroupement, l’ana-‐<br />
lyse et l’interprétation des données archi-‐<br />
tectura<strong>le</strong>s mises en relation avec <strong>le</strong>s sources<br />
épigraphiques et littéraires.<br />
Du point de vue géographique, notre<br />
choix d’étudier conjointement <strong>le</strong>s cités<br />
pamphyliennes et pisidiennes fut influencé<br />
par <strong>le</strong>s travaux du géographe Xavier de<br />
Planhol, qui soulignait dans <strong>le</strong>s années 1950<br />
l’‘association’ entre Pamphylie et Pisidie.<br />
Dans la mesure où, selon Stephen Mitchell,<br />
cette ‘association est « fondamenta<strong>le</strong> [sur <strong>le</strong><br />
plan historique] pour bien comprendre la<br />
région, quel<strong>le</strong>s que soient <strong>le</strong>s époques » 32 , il<br />
nous a paru intéressant de réunir dans une<br />
même étude <strong>le</strong>s cités de Pamphylie et de<br />
Pisidie, en dépit du fait que <strong>le</strong> détail des<br />
anciennes délimitations géographiques<br />
nous échappe largement et qu’adminis-‐<br />
trativement –c’est-‐à-‐dire principa<strong>le</strong>ment au<br />
niveau des limites provincia<strong>le</strong>s romaines–<br />
cette ‘association’ n’ait pas toujours existé 33 .<br />
Nous retiendrons donc simp<strong>le</strong>ment ici que<br />
l’espace pris en compte pour notre étude<br />
correspond à la zone d’Asie mineure méri-‐<br />
diona<strong>le</strong> qui se situait entre la Méditerranée<br />
au sud, la Phrygie et la Lycaonie au nord, la<br />
Lycie à l’ouest, et l’Isaurie et la Cilicie<br />
Trachée à l’est. Cette zone ayant vu se<br />
développer un nombre significatif d’établis-‐<br />
sements à caractère urbain pendant l’anti-‐<br />
quité, el<strong>le</strong> constitue un terrain privilégié<br />
pour étudier <strong>le</strong>s formes et modalités de<br />
l’urbanisation et de l’architecture en Asie<br />
Mineure méridiona<strong>le</strong> 34 . Dans ce cadre, nous<br />
32 Mitchell 1991, 121.<br />
33 Les Anciens, qui sont rarement unanimes sur <strong>le</strong>s<br />
frontières géographiques des régions antiques en<br />
général, ne <strong>le</strong> sont pas sur cel<strong>le</strong>s de la Pamphylie-<br />
Pisidie: Strabon, XIV.3-4 écrit qu’Olbia constitue<br />
l’extrémité occidenta<strong>le</strong> de la Pamphylie, alors que Tite-<br />
Live, Hist. rom., XXXVII.23 et Pline l’Ancien,<br />
Hist.Nat., V.96 indiquent que c’est Phasélis qui marque<br />
la fin du territoire pamphylien à l’ouest. Cf Kosmetatou<br />
1997, 5-6 sur ce point ; Porcher 2003. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s<br />
frontières administratives (limites de provinces)<br />
varièrent plusieurs fois au cours de la période impéria<strong>le</strong>.<br />
Cf Rémy 1986 ; Brandt/Kolb 2005.<br />
34 Levick 1967 ; Mitchell 1998 ; Grainger 2009.<br />
136<br />
RİVALLAND<br />
avons choisi de concentrer notre attention<br />
sur <strong>le</strong>s cités dont l’origine remonte à la<br />
période pré-‐hellénistique (voire hellénis-‐<br />
tique, dans <strong>le</strong> cas d’Atta<strong>le</strong>ia), excluant donc<br />
<strong>le</strong>s colonies romaines fondées par Auguste<br />
en Pisidie, sauf lorsque cel<strong>le</strong>s-‐ci fournissent<br />
des éléments de comparaison intéressants.<br />
Enfin, essentiel<strong>le</strong>ment fondée sur <strong>le</strong>s<br />
sources matériel<strong>le</strong>s et l'idée selon laquel<strong>le</strong><br />
l’activité de construction est étroitement<br />
liée à la société qui la génère, notre étude<br />
s’articu<strong>le</strong> plus particulièrement autour de la<br />
problématique des relations entre archi-‐<br />
tecture urbaine et pouvoir(s) politique(s)<br />
sur une période allant de la fin de l’époque<br />
classique à la fin du Haut-‐Empire romain.<br />
Partant de l’idée que <strong>le</strong> paysage des<br />
vil<strong>le</strong>s antiques est indissociab<strong>le</strong> du contexte<br />
dans <strong>le</strong>quel il a été produit et des évolutions<br />
qui l’ont transformé –et qu’à ce titre il<br />
constitue un axe intéressant pour l’étude<br />
historique– notre méthodologie consiste à<br />
dresser pour chaque cité concernée un bilan<br />
détaillé, aussi exhaustif que possib<strong>le</strong>, des<br />
vestiges architecturaux urbains connus 35 ,<br />
pour ensuite <strong>le</strong>s interpréter par la com-‐<br />
paraison architectura<strong>le</strong> et la confrontation<br />
avec <strong>le</strong>s sources littéraires et épigraphiques.<br />
Cette démarche devrait aboutir à préciser<br />
pour chaque cité quel<strong>le</strong>s furent <strong>le</strong>s étapes et<br />
<strong>le</strong>s modalités de son développement urbain,<br />
à la suite de quoi la comparaison, l’analyse<br />
et la mise en perspective systématiques des<br />
données devraient permettre d’envisager<br />
l’évolution du processus à l’échel<strong>le</strong> micro-‐<br />
régiona<strong>le</strong>, <strong>le</strong> tout contribuant, en définitive,<br />
à améliorer notre compréhension de l’his-‐<br />
toire antique de la Pamphylie et de la<br />
Pisidie. S’il est bien évident que l’histoire<br />
d’une région ne se résume pas à cel<strong>le</strong> des<br />
cités qui s’y développèrent, et bien que <strong>le</strong>s<br />
cités el<strong>le</strong>s-‐mêmes ne se réduisent pas à <strong>le</strong>ur<br />
seu<strong>le</strong> composante urbaine (ce que Mogens<br />
H. Hansen appel<strong>le</strong> « la polis en tant que<br />
vil<strong>le</strong> » 36 ), il n’en reste pas moins que<br />
l’espace urbain, en tant que ref<strong>le</strong>t, cadre et<br />
enjeu privilégié du pouvoir, n’a cessé de<br />
35 Cette étape de notre travail prend la forme d’un<br />
catalogue de sources, organisé par site, qui constitue à<br />
lui seul une part importante de notre étude.<br />
36 Hansen 2008.
constituer et reste encore largement<br />
aujourd’hui <strong>le</strong> lieu essentiel de mani-‐<br />
festation de la puissance politique 37 . Dès lors,<br />
il ne fait pas de doute que <strong>le</strong>s évolutions de cette<br />
puissance politique marquent <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, non<br />
seu<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>urs aspects socioculturels,<br />
mais aussi matériel<strong>le</strong>ment, du point de vue<br />
des infrastructures et de l’architecture 38 .<br />
L’intérêt d’une tel<strong>le</strong> démarche, déjà an-‐<br />
cienne, a depuis longtemps été démontrée,<br />
par <strong>le</strong>s travaux fondateurs d'A. von Gerkan<br />
ou de R. Martin. El<strong>le</strong> trouve aujourd’hui un<br />
second souff<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> contexte scientifique<br />
particulièrement dynamique de ces dernières<br />
années 39 . L’accroissement des connaissances sur<br />
l’urbanismedesvil<strong>le</strong>s grecques et hellénisées de<br />
l’Orient gréco-‐romain a naturel<strong>le</strong>ment con-‐<br />
duit à la tenue de plusieurs colloques et/ou<br />
à la publication d’ouvrages particulièrement<br />
riches, qui participent au renouvel<strong>le</strong>ment de<br />
la dia<strong>le</strong>ctique pouvoir politique / urbanisme /<br />
architecture. Parmi eux, notons l’ouvrage é-‐<br />
dité par S. Macready et F.H. Thompson sur<br />
l’architecture romaine dans <strong>le</strong> monde grec<br />
en 1987, celui publié plus récemment sous<br />
la direction de D. Parrish en 2001 sur<br />
l’urbanisme en Asie Mineure occidenta<strong>le</strong> ou<br />
encore <strong>le</strong> colloque réuni à Cologne autour<br />
des questions d’identités politique et cultu-‐<br />
rel<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s cités des provinces romaines<br />
d’Asie Mineure au début de l’époque impé-‐<br />
ria<strong>le</strong> 40 .<br />
Ce cadre scientifique constitue donc<br />
l’arrière-‐plan de notre travail. Conscient des<br />
limites qu’un tel dynamisme impose, à savoir<br />
essentiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> risque de voir toute hypothèse<br />
37 Voir par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong>s travaux de H. Lefebvre, La<br />
production de l’espace, Paris, 1974. Aussi<br />
Souza/Rodriguez 2007.<br />
38 Rappelons d’ail<strong>le</strong>urs ici qu’un séminaire intitulé<br />
Pouvoir et Espaces Urbains s’est tenu à l’IFÉA en<br />
2010/2011.<br />
39 Cf. Von Gerkan 1924 ; Martin 1956. Plus récemment,<br />
Étienne 2004 ; ainsi que Hellmann 2006 et 2010 ; Gros<br />
1996, respectivement sur l’architecture grecque et sur<br />
l’architecture romaine. Voir aussi Kostof 1995 ; ainsi<br />
que <strong>le</strong> col<strong>le</strong>ctif Méthodes en histoire de l’architecture<br />
(Cahiers de la recherche architectura<strong>le</strong> et urbaine, 9-10,<br />
janvier 2002).<br />
40 Macready/Thompson 1987 ; Parrish 2001 ; Berns et<br />
al. 2002. On peut aussi citer aussi : Barresi 2003 ; Gros<br />
1994. Cette liste bien sûr n’est pas exhaustive.<br />
RUES A COLONNADES<br />
contredite par une nouvel<strong>le</strong> découverte –mais<br />
n’est-‐ce pas là <strong>le</strong> propre même de la recher-‐<br />
che historique en particulier lorsqu'el<strong>le</strong> se<br />
fonde sur <strong>le</strong>s recherches archéologiques ?–,<br />
cette effervescence, enthousiasmante, nous<br />
paraît éga<strong>le</strong>ment propice à mener ce travail<br />
de synthèse.<br />
C’est dans cette perspective et en lien<br />
avec la thématique Archéologie et Espaces<br />
parcourus de ces Premières Rencontres<br />
d’Archéologie de l’IFÉA que nous proposons<br />
ici une étude d’un des éléments archi-‐<br />
tecturaux <strong>le</strong>s plus remarquab<strong>le</strong>s du paysage<br />
urbain de plusieurs cités pamphyliennes et<br />
pisidiennes, à savoir ces espaces parcourus<br />
qu’étaient <strong>le</strong>s rues à colonnades.<br />
Archéologie et espaces parcourus à<br />
l’échel<strong>le</strong> des cités : <strong>le</strong> cas des rues à<br />
colonnades<br />
Comme en témoignent la richesse et<br />
la diversité des Actes du colloque tenu à<br />
Poitiers en 2006 sur la rue dans l’antiquité,<br />
l’étude des réseaux viaires constitue un axe<br />
particulièrement stimulant pour qui s’inté-‐<br />
resse au paysage urbain des cités antiques<br />
en général et à celui des vil<strong>le</strong>s gréco-‐<br />
romaines de l’Orient méditerranéen en par-‐<br />
ticulier 41 . Au-‐delà de <strong>le</strong>ur fonction pratique<br />
d’axe de circulation, certaines rues appa-‐<br />
raissent en effet comme « un élément<br />
essentiel de la définition et de l’organisation<br />
de l’espace urbain [dont l’étude permet<br />
souvent d’éclairer quel<strong>le</strong>s furent] <strong>le</strong>s moda-‐<br />
lités de (…) transformation [de celui-‐ci] à<br />
travers l’histoire » 42 . C’est <strong>le</strong> cas des plateiai<br />
43 , ces grandes avenues dallées bordées<br />
de colonnades surmontées d’un entab<strong>le</strong>-‐<br />
ment et formant de longues ga<strong>le</strong>ries laté-‐<br />
ra<strong>le</strong>s ouvertes sur la rue, qui furent<br />
construites dans de nombreuses cités de<br />
41 Actes du colloque de Poitiers : Bal<strong>le</strong>t et al. 2008. Pour<br />
un aperçu des études sur la voierie dans <strong>le</strong> monde grec,<br />
cf. Hellmann 2010, 214 et suiv. (avec notes renvoyant à<br />
de nombreuses études loca<strong>le</strong>s) ; pour ce qui est plus<br />
précisément des voies à portiques : Bejor 1999.<br />
42 Bal<strong>le</strong>t et al. 2008, 7.<br />
43 Sur <strong>le</strong> vocabulaire grec de la voierie, Ginouvès 1998,<br />
178 et suiv. ; Du Bouchet 2008 (avec biblio.) ;<br />
Hellmann 2010, 214.<br />
137
l’Orientromain,notammentenAsieMineure,pendant<br />
<strong>le</strong> Haut-‐Empire. Constructions monumenta<strong>le</strong>s,<br />
espaces communs à usage col<strong>le</strong>ctif, élé-‐<br />
ments marquants et structurants du<br />
paysage urbain, <strong>le</strong>ur plan, <strong>le</strong>ur tracé, <strong>le</strong>urs<br />
dimensions, <strong>le</strong>ur aménagement et <strong>le</strong>urs<br />
équipements, lorsqu’ils sont suffisamment<br />
bien conservés pour être étudiés, nous<br />
renseignent non seu<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong> fonc-‐<br />
tionnement et l’usage des vil<strong>le</strong>s à l’époque<br />
romaine impéria<strong>le</strong>, mais aussi plus large-‐<br />
ment sur l’histoire des cités, histoire qui<br />
remonte souvent bien avant la domination<br />
romaine.<br />
Si l’origine de ces structures est<br />
grecque –avec la progressive utilisation des<br />
portiques (στοά) <strong>le</strong> long de certaines rues<br />
importantes de cités grecques 44 , et l’exis-‐<br />
tence dès l’époque hellénistique à A<strong>le</strong>xan-‐<br />
drie d’une véritab<strong>le</strong> avenue monumenta<strong>le</strong> :<br />
la Voie Canopique 45 –, ces grandes rues à<br />
colonnades sont cependant une des carac-‐<br />
téristiques majeures de l’urbanisme de<br />
l’Orient méditerranéen d’époque romaine 46.<br />
En Asie Mineure, la plateia tint ainsi « une<br />
place importante dans <strong>le</strong>s paysages ur-‐<br />
bains » 47 des cités durant tout <strong>le</strong> Haut-‐<br />
Empire, comme en témoignent l’archéo-‐<br />
logie 48 , mais aussi dans certains cas <strong>le</strong>s<br />
sources littéraires, à travers <strong>le</strong>s éloges de<br />
cités 49 .<br />
Si <strong>le</strong>s rues à colonnades des cités de<br />
Pamphylie et de Pisidie n’ont pas suscité<br />
d’éloges de la part de <strong>le</strong>urs contemporains,<br />
el<strong>le</strong>s sont en revanche parmi <strong>le</strong>s vestiges <strong>le</strong>s<br />
mieux conservés de Sidè, Pergè et Saga-‐<br />
44 Sur l’évolution du portique et la continuité des formes<br />
monumenta<strong>le</strong>s : Coulton 1976 ; Ginouvès 1998, 180<br />
n.34 ; Hellmann 2006, 212 et 2010, 216 ; Pont 2010,<br />
186.<br />
45 La Voie Canopique, à A<strong>le</strong>xandrie, fut peut-être la<br />
première véritab<strong>le</strong> plateia. Cf. Gros 1996, 104 ; Bal<strong>le</strong>t<br />
2008, spé. conclusion p. 158.<br />
46 L’exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus ancien attesté pour l’époque<br />
impéria<strong>le</strong> est celui d’Antioche, en Syrie, dont la<br />
construction remonte à l’époque d’Auguste. Cf.<br />
Amadasi/Equini Schneider ; Stierlin 1987, 243.<br />
47 Gros 1996, 106.<br />
48 Voir notamment <strong>le</strong>s travaux réunis dans Parrish 2001.<br />
Sur Éphèse et Pergame par exemp<strong>le</strong>, voir aussi<br />
Halfmann 2004. Plus généra<strong>le</strong>ment, voir Gros 1996.<br />
49 Pont 2010, 177-180.<br />
138<br />
RİVALLAND<br />
lassos. Cependant, seu<strong>le</strong> la grande rue nord-‐<br />
sud de Pergè (et dans une moindre mesure<br />
la voie est-‐ouest) a fait l’objet d’études spé-‐<br />
cifiques et d’analyses approfondies ces<br />
dernières années 50 , avec cel<strong>le</strong> découverte<br />
plus récemment à Sagalassos, qui se situait<br />
au sud de l’agora inférieure 51 . Ainsi <strong>le</strong>s<br />
données détaillées et récentes sur <strong>le</strong>s ave-‐<br />
nues à portiques dans <strong>le</strong>s cités pam-‐<br />
phyliennes et pisidiennes sont, dans l’en-‐<br />
semb<strong>le</strong>, assez peu nombreuses et con-‐<br />
cernent essentiel<strong>le</strong>ment deux sites : Pergè<br />
et Sagalassos 52 . Pour <strong>le</strong>s autres sites, ces<br />
données sont en général datées et/ou<br />
superficiel<strong>le</strong>s 53 .<br />
Les sources : présentation généra<strong>le</strong><br />
des sites et problèmes de datation 54<br />
Parmi <strong>le</strong>s textes anciens, aucun n’é-‐<br />
voque à notre connaissance <strong>le</strong>s rues des<br />
cités pamphylo-‐pisidiennes. Les monnaies<br />
ne fournissant pas non plus d’indice sur <strong>le</strong><br />
sujet, il faut donc ici s’en remettre aux infor-‐<br />
mations fournies par l’archéologie. Cel<strong>le</strong>s-‐ci<br />
dépendent non seu<strong>le</strong>ment de l’état, aléa-‐<br />
toire et inégal, de conservation des vestiges,<br />
50<br />
Heinzelmann 2003 ; Özdizbay 2008, 137-170 (+ Lev.<br />
43-69).<br />
51<br />
Lavan 2008 ; Martens 2008 ; Richard 2008.<br />
52<br />
La seu<strong>le</strong> étude qui réunit <strong>le</strong>s informations sur <strong>le</strong>s<br />
plateiai des cités de Pamphylie et de Pisidie est cel<strong>le</strong> de<br />
Bejor 1999, qui <strong>le</strong>ur consacre un chapitre spécifique (p.<br />
32-42). Cependant, el<strong>le</strong> est aujourd’hui datée dans la<br />
mesure où el<strong>le</strong> est antérieure aux récents travaux menés<br />
à Pergè et Sagalassos.<br />
53<br />
Le site de Sidè ayant été fouillé, on dispose d’un<br />
certain nombre de données sur <strong>le</strong>s rues à colonnades,<br />
mais ces données sont anciennes (Mansel 1963, 17-25)<br />
et <strong>le</strong>s voies à colonnades n’ont fait l’objet d’aucune<br />
étude spécifique récente, à la différence de Pergè et<br />
Sagalassos. Pour Selgè et Termessos, nos informations<br />
reposent uniquement sur des observations de surface,<br />
principa<strong>le</strong>ment cel<strong>le</strong>s faites par K. Lanckoronski au 19 e<br />
s. pour Termessos, et cel<strong>le</strong>s d’A. Machatschek et de M.<br />
Schwarz pour Selgè, qui remontent à 1981.<br />
54<br />
À la différence du travail que nous menons pour notre<br />
thèse afin de constituer un catalogue aussi précis que<br />
possib<strong>le</strong>, notre propos ne vise ici qu’à une brève<br />
présentation des données, en essayant d’éviter une<br />
description trop détaillée qui pourrait paraître<br />
fastidieuse. Pour des précisions, nous renverrons donc<br />
aux études existantes sur chacune des cités, qui<br />
présentent éga<strong>le</strong>ment des plans faisant apparaître <strong>le</strong>s<br />
rues à colonnades.
mais aussi du niveau d’intérêt qu’y ont<br />
porté <strong>le</strong>s archéologues.<br />
À l’instar de la grande majorité des vestiges<br />
observab<strong>le</strong>s in situ, <strong>le</strong>s traces <strong>le</strong>s mieux<br />
conservées en matière de réseaux viaires à<br />
l’intérieur des anciennes cités pamphylo-‐<br />
pisidiennes sont cel<strong>le</strong>s qui remontent à<br />
l’époque romaine impéria<strong>le</strong>, et plus préci-‐<br />
sément cel<strong>le</strong>s de ces grandes rues monu-‐<br />
menta<strong>le</strong>s, larges et longues, pavées, plus ou<br />
moins rectilignes et bordées de portiques<br />
ouvrant sur des boutiques et/ou ateliers.<br />
Les sites de Pergè et Sidè pour la Pamphylie,<br />
et de Sagalassos pour la Pisidie, fournissent<br />
<strong>le</strong> plus d’informations au vu de l’état de<br />
conservation du matériel archéologique et<br />
de l’avancée des recherches.<br />
À Pergè, la grande voie centra<strong>le</strong><br />
dallée de plaques de calcaire jaunâtres,<br />
longue de 480 m et large d’une vingtaine de<br />
mètres, constitue avec son canal d’eau<br />
central à ciel ouvert (large d’env. 2,50 m)<br />
l’une des principa<strong>le</strong>s attractions touris-‐<br />
tiques du site (figs. 2 et 3) 55 .<br />
Figure 2 : Pergè, rue à colonnade nord-sud vue depuis<br />
l’acropo<strong>le</strong> (cliché de l’auteur, 2010)<br />
Bordée de part et d’autre de portiques d’une<br />
largeur allant de 5,50 m du côté est à 6,50 m<br />
à l’ouest et dont la façade était constituée de<br />
colonnes de marbre ou de granit à<br />
chapiteaux ioniques et corinthiens, el<strong>le</strong><br />
traversait la cité basse en suivant l’axe sud-‐<br />
nord, reliant la porte sud hellénistique<br />
(réaménagée au 2 e s. pC) au nymphée<br />
55 Description détaillée dans Heinzelmann 2003 ;<br />
Özdizbay 2008, 137-167 ; Martini 2010, 75 et suiv.<br />
RUES A COLONNADES<br />
d’époque hadrianique (F3) situé au pied de<br />
l’acropo<strong>le</strong> (fig. 4).<br />
Fouillée régulièrement depuis 1949 et<br />
toujours en cours de restauration 56 , el<strong>le</strong> a<br />
fait l’objet de multip<strong>le</strong>s rapports archéo-‐<br />
logiques préliminaires, jusqu’à ce que M.<br />
Heinzelmann lui consacre récemment une<br />
étude de synthèse 57 . Sous forme d’un artic<strong>le</strong><br />
approfondi, celui-‐ci offre un bilan détaillé<br />
des connaissances accumulées depuis<br />
maintenant plusieurs décennies par <strong>le</strong>s<br />
archéologues et en propose une analyse 58 .<br />
Figure 3 : Pergè, voie à colonnades nord-sud (cliché de<br />
l’auteur, 2010)<br />
56 Voir <strong>le</strong>s nombreux rapports de fouil<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s Kazı<br />
sonuçları toplantısı depuis 1979 et avant cette date dans<br />
l’American Journal of Archaeology et <strong>le</strong>s Anatolian<br />
Studies.<br />
57 Heinzelmann 2003. À noter aussi <strong>le</strong>s travaux menés<br />
sur la grande rue est-ouest qui la croise à environ 100 m<br />
au sud du nymphée F3 et qui reliait <strong>le</strong> port fluvial de la<br />
cité (à l’extérieur de la vil<strong>le</strong>, du côté est) à la nécropo<strong>le</strong><br />
ouest. Détails sur cette voie est-ouest dans Özdizbay<br />
2008, 167-170.<br />
58 L’étude d’Heinzelmann a été publiée en 2003 et <strong>le</strong>s<br />
fouil<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong> terrain se sont depuis poursuivies. Les<br />
derniers rapports sur la question n’apportent cependant<br />
pas d’élément nouveau qui amènerait à considérer la<br />
synthèse d’Heinzelmann comme obsolète. Voir par<br />
exemp<strong>le</strong> plus récemment Özdizbay 2008 ; Martini 2010,<br />
75 et suiv.<br />
139
Reprenant séparément chaque élément architectural<br />
lié à la grande avenue nord-‐sud 59 , il sou-‐<br />
ligne la cohérence du dispositif d’ensemb<strong>le</strong><br />
et propose de façon assez convaincante, et<br />
en l’absence de toute autre preuve formel<strong>le</strong><br />
de datation, de situer la totalité des travaux<br />
de monumentalisation de la plateia per-‐<br />
géenne dans <strong>le</strong>s années 120 pC, c’est-‐à-‐dire,<br />
à l’époque d’Hadrien, remettant en cause<br />
l’ancienne hypothèse de S. Şahin d’une<br />
construction progressive et fractionnée qui<br />
aurait commencé sous <strong>le</strong> règne de Tibère<br />
pour s’achever sous celui d’Hadrien 60 .<br />
À Sidè, <strong>le</strong>s vestiges témoignent de l’exis-‐<br />
tence de deux grandes rues à colonnades<br />
(fig. 6 : B et C). Dégagées de longue date par<br />
<strong>le</strong>s archéologues et partiel<strong>le</strong>ment restau-‐<br />
rées, el<strong>le</strong>s sont moins bien conservées que<br />
la grande avenue nord-‐sud de Pergè et ne<br />
sont pas actuel<strong>le</strong>ment parmi <strong>le</strong>s secteurs<br />
privilégiés par <strong>le</strong>s archéologues.<br />
El<strong>le</strong>s n’ont par conséquent fait l’objet<br />
d’aucune étude de synthèse détaillée ré-‐<br />
cente 61 . Proches du point de vue stylistique<br />
du théâtre et de l’agora de la cité, el<strong>le</strong>s sont<br />
certainement postérieures à cel<strong>le</strong>s de Pergè<br />
et sont généra<strong>le</strong>ment datées du milieu du 2 e<br />
s. pC, sous <strong>le</strong> règne d’Antonin <strong>le</strong> Pieux 62 .<br />
Pavées, bordées de portiques de marbre à<br />
colonnades corinthiennes ouvrant sur des<br />
boutiques, <strong>le</strong>s deux rues partaient, comme<br />
la voie nord-‐sud de Pergè, de la porte prin-‐<br />
cipa<strong>le</strong> de la cité 63 .<br />
59 À savoir : nymphée nord (F3), arc de Démétrios et<br />
d’Apollonios, rue pavée et canal central, portiques et<br />
boutiques, transformations de l’arrière-cour de la porte<br />
hellénistique et construction de l’arc trip<strong>le</strong>, agora.<br />
60 Heinzelmann 2003, 202, n.9, suivi par Özdizbay<br />
2008, 163-166. Şahin 1995b, 27 et 1999, 25-35 n°21,<br />
suivi par Abbasoğlu 2001a, 179 et 2001b, 214 : à partir<br />
d’une dédicace, S. Şahin envisageait la possibilité que la<br />
partie nord de la grande rue à colonnade nord-sud ait été<br />
construite alors que T. Helvius Basila était gouverneur<br />
de Galatie (vers 35-39), province dont faisait alors<br />
partie la Pamphylie.<br />
61 Voir donc principa<strong>le</strong>ment Mansel 1963, 17-25.<br />
62 Heinzelmann 2003, 217 Tab.1 et n.53.<br />
63 La porte date de la période hellénistique. El<strong>le</strong> fut,<br />
comme cel<strong>le</strong> de Pergè, largement remaniée à l’époque<br />
impéria<strong>le</strong>, par l’ornementation de la cour située à<br />
l’arrière de la porte. Ce remaniement est daté de la fin<br />
du 2 e voire du début du 3 e s. pC, donc bien après celui<br />
de Pergè.<br />
140<br />
RİVALLAND<br />
Figure 4 : plan de Pergè (d’après Martini et al. 2008, 165<br />
Abb.1)<br />
Figure 5 : Sidè, rue à colonnade se dirigeant vers <strong>le</strong> sud (cliché<br />
de l’auteur, 2010)<br />
L’une des voies (fig. 6 : B), dégagée sur<br />
environ 150 m mais dont la longueur tota<strong>le</strong><br />
d’origine nous échappe du fait de l’ensab<strong>le</strong>-‐<br />
ment partiel de la partie orienta<strong>le</strong> du site et<br />
de la construction de bâtiments byzantins<br />
sur son parcours, disposait en avant du<br />
stylobate du portique est d’un canal d’eau à
ciel ouvert (fig. 5). Cette voie se dirigeait<br />
vers <strong>le</strong> sud, tandis que l’autre, aujourd’hui<br />
largement asphaltée et mal conservée, dont<br />
la largeur atteignait par endroit plus de 20<br />
de mètres et la longueur environ 1 km 64 ,<br />
menait vers <strong>le</strong> centre de la vil<strong>le</strong>, à savoir<br />
l’agora et <strong>le</strong> théâtre (fig. 6).<br />
Après un virage à ang<strong>le</strong> droit, el<strong>le</strong> se<br />
poursuivait ensuite pour aboutir sur une<br />
place où s’é<strong>le</strong>vaient, sans doute depuis<br />
l’époque d’Hadrien au moins, <strong>le</strong>s deux<br />
principaux temp<strong>le</strong>s de la cité, dédiés à<br />
Apollon et à Athéna, au bout de la péninsu<strong>le</strong>,<br />
face à la mer (fig. 6 : N1-N2) 65 .<br />
Figure 7 : plan de Sidè (d’après Atvur 2008, Side, Antalya)<br />
Figure 6 : Sidè, rue à colonnade se dirigeant vers <strong>le</strong> sud (cliché<br />
de l’auteur, 2010)<br />
64<br />
Brandt/Kolb 2005, 69 : « Die zwischen 8,50 und 23<br />
breiten Hauptstraßen der Stadt ».<br />
65<br />
Mansel 1963 ; Bean 1989, 61-74 ; Brandt/Kolb 2005,<br />
69-70.<br />
RUES A COLONNADES<br />
À Sagalassos, dans <strong>le</strong> cadre des<br />
fouil<strong>le</strong>s menées depuis 1998 sur l’orga-‐<br />
nisation généra<strong>le</strong> du réseau viaire et du<br />
plan de la vil<strong>le</strong> 66 , <strong>le</strong>s archéologues se sont<br />
récemment intéressés (entre 2005 et 2009,<br />
d’abord sous la supervision de F. Martens,<br />
puis sous cel<strong>le</strong> d’I. Jacobs) à la grande voie à<br />
colonnade découverte au sud de la vil<strong>le</strong>.<br />
Orientée nord-‐sud, el<strong>le</strong> reliait sans doute<br />
entre el<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s deux agorai installées l’une<br />
au-‐dessus de l’autre sur deux terrasses mo-‐<br />
numenta<strong>le</strong>s et qui constituaient ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />
centre de la cité (fig. 7 : 3 et 9).<br />
Cependant, seu<strong>le</strong> une partie de la<br />
section sud de cette voie, qui reliait <strong>le</strong> sud<br />
de l’agora inférieure à l'une des portes de la<br />
66 Résumé dans Martens 2008 ; voir aussi <strong>le</strong>s<br />
informations et illustrations sur <strong>le</strong> site internet officiel<br />
du chantier archéologique : http://www.sagalassos.be<br />
141
cité (sans doute une porte importante voire<br />
la porte principa<strong>le</strong> d’accès à la vil<strong>le</strong> à<br />
l’époque du Haut-‐Empire), est aujourd’hui<br />
relativement bien connue (fig. 7 : 2). Pavée<br />
de dal<strong>le</strong>s de calcaire blanc et large de<br />
presque 10 m (fig. 8), el<strong>le</strong> était bordée, au<br />
moins du côté ouest, de boutiques ins-‐<br />
tallées à l’arrière d’un portique à colon-‐<br />
nades d’une largeur d’environ 3,50 m 67 .<br />
Les recherches sur <strong>le</strong> terrain ont prouvé<br />
qu’el<strong>le</strong> existait sous cette forme, pavée et<br />
monumentalisée, dès <strong>le</strong> deuxième quart du<br />
Figure 8 : plan de Sagalassos (d’après www.sagalassos.be)<br />
Figure 7 : plan de Sagalassos (d’après www.sagalassos.be)<br />
67 Pour une description détaillée, voir Martens 2008. Sur<br />
<strong>le</strong> site officiel du site de Sagalassos :<br />
http://www.sagalassos.be/en/monuments_sites/monume<br />
ntal_centre_south/colonnaded_street<br />
142<br />
RİVALLAND<br />
1 e s. pC, au moins depuis l’époque du règne<br />
de Tibère, comme l’atteste au sud-‐ouest de<br />
l’agora inférieure, à la jonction entre la voie<br />
à colonnade et la place el<strong>le</strong>-‐même, l’arc qui<br />
marquait l’entrée dans <strong>le</strong> centre urbain au<br />
sud-‐ouest de l’agora inférieure 68 . Si el<strong>le</strong><br />
n’était pas la plateia la plus monumenta<strong>le</strong><br />
d’Anatolie, cette datation en fait en re-‐<br />
vanche l’une des plus anciennes et la<br />
première dans la région pamphylo-‐<br />
pisidienne 69 .<br />
68 Mitchell et al. 1989, 68 et suiv. ; Waelkens 1997, 277-<br />
280 ; Vandeput 1997, 58-63, Taf. 22-24 ; Martens 2008,<br />
193.<br />
69 La première plateia attestée pour l’époque impéria<strong>le</strong><br />
est cel<strong>le</strong> d’Antioche, en Syrie, dont la construction<br />
remonte à l’époque d’Auguste (cf. Amadasi/Equini<br />
Schneider 1997, 124 ; Stierlin, 243). En Asie Mineure,<br />
la plateia de Sardes est datée de 17 aC : Gros 1996,<br />
106 ; Bejor 1999, 21.
Figure 8 : Sagalassos, la rue à colonnade vue depuis <strong>le</strong> sud<br />
(cliché de l’auteur, 2010)<br />
En effet, comme nous l’avons vu à Pergè et<br />
Sidè, <strong>le</strong>s caractères stylistiques des vestiges<br />
–qui sont aujourd’hui <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur moyen<br />
pour envisager une datation en l’absence<br />
d’inscription ou de toute autre de preuve<br />
formel<strong>le</strong>– indiquent que la construction des<br />
grandes rues à colonnades remonte sans<br />
doute dans ces cités au 2 e s. pC, précisément<br />
aux règnes d’Hadrien et d’Antonin <strong>le</strong> Pieux.<br />
Cette datation ne surprend guère si l’on<br />
considère que cette époque correspond<br />
pour la plupart des cités d’Asie Mineure à<br />
une période de stabilité politique et de<br />
prospérité économique, à la faveur de la pax<br />
Romana 70 . C’est aussi probab<strong>le</strong>ment la<br />
raison pour laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s rues à colonnades<br />
visib<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>s sites de Termessos et de<br />
Selgè, bien qu’assez mal conservées et mal<br />
connues, ont el<strong>le</strong>s aussi été généra<strong>le</strong>ment<br />
datées de cette époque d’après <strong>le</strong>ur sty<strong>le</strong> et<br />
<strong>le</strong>ur situation.<br />
La grande voie de Selgè a princi-‐<br />
pa<strong>le</strong>ment été étudiée par A. Machatschek et<br />
M. Schwarz 71 . El<strong>le</strong> se présentait sous la<br />
forme d’une rue pavée de 230 m de long,<br />
bordée de colonnes de calcaire blanc à<br />
chapiteaux ioniques derrière <strong>le</strong>squels, là<br />
70 Sur ce point, voir Mitchell 1993 et Sartre 1995.<br />
71 Machatschek/Schwarz 1981, 62-66.<br />
RUES A COLONNADES<br />
encore, se trouvaient des boutiques. El<strong>le</strong><br />
reliait à travers un terrain accidenté l’agora<br />
supérieure de la cité, au sud, à une grande<br />
place au nord sur laquel<strong>le</strong> avait été érigé un<br />
temp<strong>le</strong> à podium dédié à Lucius Aelius<br />
Verus (fig. 9). Ici comme dans <strong>le</strong>s autres<br />
cités, <strong>le</strong>s colonnades abritaient des statues<br />
honorifiques, dont il ne reste aujourd’hui<br />
que quelques bases inscrites 72 . Côté ouest,<br />
el<strong>le</strong> était <strong>le</strong> point d’aboutissement d’au<br />
moins deux rues secondaires importantes.<br />
Côté est, la forte déclivité du terrain avait<br />
nécessité l’aménagement de voûtes de<br />
substruction pour que puisse être construit<br />
au-‐dessus <strong>le</strong> portique oriental.<br />
À Termessos <strong>le</strong>s ruines de la rue à<br />
colonnade romaine n’ont pas été étudiées.<br />
L’essentiel des informations provient donc<br />
des observations faites par l’équipe de K.<br />
Lanckoronski, revues cependant récem-‐<br />
ment par M. Heinzelmann 73 . Cette voie (5<br />
sur <strong>le</strong> plan : fig. 10) 74 , avait une forme<br />
rectiligne et mesurait environ 120 m de<br />
long et 8,50 m de large. Orientée nord-‐sud,<br />
el<strong>le</strong> était bordée de deux portiques<br />
ioniques, dont seul celui du côté ouest<br />
ouvrait sur des magasins 75 . Construite dans<br />
l’ouest de la cité, avec laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> semb<strong>le</strong><br />
avoir été peu connectée (seu<strong>le</strong>s deux rues<br />
secondaires paraissent l’avoir traversée),<br />
el<strong>le</strong> était apparemment plutôt en marge du<br />
centre urbain 76 .<br />
Cependant, <strong>le</strong> nombre important de<br />
statues honorifiques qui y furent érigées (au<br />
moins 47 de chaque côté) témoigne de<br />
l’importance que lui accordaient <strong>le</strong>s habi-‐<br />
tants 77 .<br />
72<br />
Machatschek/Schwarz 1981, 63. Pour <strong>le</strong>s inscriptions,<br />
cf. Nollé/Schind<strong>le</strong>r 1991.<br />
73<br />
Lanckoronski 1893, 57-59 ; Bejor 1999, 37 ;<br />
Heinzelmann 2003, 218-220, Abb.14-15.<br />
74<br />
Lanckoronski 1893 ; Bean 1989, 100 fig.25, la<br />
désigne par la <strong>le</strong>ttre ‘R’ (Street of shops).<br />
75<br />
Sur <strong>le</strong>s dimensions des portiques et <strong>le</strong>s boutiques, cf.<br />
Heinzelmann 2003, 219 n.70, ainsi que sur l’utilisation<br />
de l’ordre ionique (rectifications par rapport à<br />
Lanckoronski 1893).<br />
76<br />
Heinzelmann 2003, 218.<br />
77<br />
Lanckoronski 1893, 58-59 ; Bean 1989, 105 ;<br />
Heinzelmann 2003, 220, Abb.15.<br />
143
Les sites de Sillyon et d’Aspendos,<br />
qui n’ont fait l’objet que de prospections de<br />
surface, comme ceux de Pednelissos, « Mel-‐<br />
li », Adada ou encore Lyrbe/Se<strong>le</strong>ukeia(?), ne<br />
présentent pas de trace visib<strong>le</strong> de cons-‐<br />
truction de type plateia.<br />
Le même constat s’impose concer-‐<br />
nant Atta<strong>le</strong>ia, pour laquel<strong>le</strong> nous disposons<br />
par contre d’une inscription attestant que<br />
dès 50 pC, la cité refaisait ses ‘routes’<br />
(vias/ὁδοὺς) « grâce aux générosités de<br />
Claude » 78 . À cela s’ajoute une inscription,<br />
Figure 9 plan de Selgè (d’après Nollé/Schind<strong>le</strong>r 1991, 137)<br />
78 Première publication par Ramsay 1883, 258. La<br />
citation est de Martin 1956, 161. Voir aussi Mansel<br />
1963, 20.<br />
144<br />
Figure 9 : plan de Selgè (d’après Nollé/Schind<strong>le</strong>r 1991, 137)<br />
RİVALLAND<br />
très fragmentaire cependant, dont S. Şahin a<br />
suggéré qu’el<strong>le</strong> pourrait peut-‐être faire ré-‐<br />
férence à la construction d’une rue à<br />
colonnade dans la cité sous <strong>le</strong>s règnes de<br />
Tibère et de Caligula, soit dès avant <strong>le</strong> mi-‐<br />
lieu du 1 e s. pC 79 . Mais si <strong>le</strong> fait qu’une cité<br />
aussi importante qu’Atta<strong>le</strong>ia fût dotée très<br />
tôt d’une (voire de plusieurs) rue(s) à<br />
colonnades est loin d’être inenvisageab<strong>le</strong>,<br />
l’absence d’attestation formel<strong>le</strong> (l’ins-‐<br />
cription datée de 50 pC n’emploie pas <strong>le</strong><br />
terme de plateia) interdit néanmoins<br />
aujourd’hui de l’affirmer avec certitude.<br />
79 Şahin 1995b.
Figure 10 : plan de Termessos (d’après Elsner 1991, 223 et<br />
Bean 1989)<br />
Les plateiai dans l’histoire des cités :<br />
rues à colonnades et développement<br />
urbain<br />
D’après ce que l’on peut observer du<br />
soin visib<strong>le</strong>ment apporté à <strong>le</strong>ur conception,<br />
à <strong>le</strong>ur réalisation et, plus tard, à <strong>le</strong>ur<br />
réparation 80 , du coût sans doute souvent<br />
é<strong>le</strong>vé des travaux 81 , et de l’amp<strong>le</strong>ur des<br />
chantiers que durent impliquer de tels<br />
aménagements urbains, il est raisonnab<strong>le</strong><br />
de penser que l’installation d’une grande<br />
rue à colonnades re<strong>le</strong>vait dans <strong>le</strong>s cités<br />
d’une décision col<strong>le</strong>ctive, émanant sans<br />
doute des autorités dirigeantes, en accord<br />
avec la population concernée. Projets ur-‐<br />
bains engageant l’agglomération, rien<br />
80 Sur <strong>le</strong>s réparations et l’entretien des avenues, voir par<br />
exemp<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> cas de Sagalassos : Lavan 2008 ; pour<br />
Pergè : Özdizbay 2008, 166-167.<br />
81 L’utilisation du marbre non seu<strong>le</strong>ment à Pergè et à<br />
Sidè mais aussi à Termessos (Heinzelmann 2003, 219<br />
n.70), implique un surcoût par rapport à l’utilisation du<br />
calcaire local. Voir Barresi 2003.<br />
RUES A COLONNADES<br />
n’indique en effet qu’ils furent à l’origine <strong>le</strong><br />
fait de décisions impéria<strong>le</strong>s 82 ou de groupes<br />
restreints, même si l’intervention à titre<br />
privé de notab<strong>le</strong>s locaux au sein de ces<br />
espaces est loin d’être négligeab<strong>le</strong> et qu’il<br />
est possib<strong>le</strong> que <strong>le</strong> financement de tels<br />
aménagements se soit en partie appuyé sur<br />
la contribution de citoyens aisés des cités,<br />
comme cela semb<strong>le</strong> par exemp<strong>le</strong> avoir été <strong>le</strong><br />
cas pour la construction de la ‘Rue roya<strong>le</strong>’, à<br />
Termessos 83 .<br />
Quoi qu’il en ait été, <strong>le</strong>ur présence dans la<br />
plupart des grandes cités de Pamphylie et<br />
de Pisidie au 2 e s. pC atteste l’importance<br />
qui était alors accordée à ce type de<br />
structure, comme l’ont mis en évidence dès<br />
<strong>le</strong>s années 1920 <strong>le</strong>s travaux sur l’urbanisme<br />
des cités gréco-‐romaines d’A. Von Gerkan,<br />
suivis par ceux de R. Martin, P. Gros et G.<br />
Bejor. Cette importance peut être mise en<br />
relation avec <strong>le</strong>s diverses fonctions<br />
qu’occupaient ces voies monumenta<strong>le</strong>s, à<br />
savoir non seu<strong>le</strong>ment une fonction pratique<br />
d’axe de circulation mais aussi une fonction<br />
commercia<strong>le</strong> et surtout une fonction<br />
essentiel<strong>le</strong> de prestige et de représentation.<br />
Hormis <strong>le</strong> cas un peu à part de<br />
Termessos, <strong>le</strong>s grandes rues à portiques des<br />
cités de Pamphylie et de Pisidie appa-‐<br />
raissent comme des axes de passage<br />
majeurs au cœur des cités, reliant souvent<br />
entre eux des secteurs-‐clés du centre<br />
urbain. À Sagalassos et Selgè, du fait des<br />
contraintes imposées par la topographie,<br />
ces axes n’étaient accessib<strong>le</strong>s qu’aux<br />
82 En revanche, comme <strong>le</strong> montre l’exemp<strong>le</strong> d’Atta<strong>le</strong>ia,<br />
l’empereur pouvait intervenir pour faire réparer ou<br />
restaurer <strong>le</strong>s rues. Cf. n.78. Sur <strong>le</strong>s relations de<br />
l’empereur avec l’ornement des cités, voir l’étude pour<br />
l’Asie de Pont 2010, 459 et suiv.<br />
83 Pour cette ‘Rue roya<strong>le</strong>’ de Termessos («βασιλικῆς<br />
ὁδοῦ»), une inscription fournit la liste de souscripteurs<br />
cf. Lanckoronski 1893, 214 n°58 (=ΤΑΜ, ΙΙΙ, 1, 14).<br />
Voir sur ce point Martin 1956, 220 ; Heinzelmann 2003,<br />
n.69 p. 219. S’agissant de la prise de décision, qui<br />
re<strong>le</strong>vait certainement plus souvent d’initiatives loca<strong>le</strong>s<br />
que de l’empereur, voir notamment pour la province<br />
d’Asie : Pont 2010, 181 et suiv., 186. Cette dernière<br />
indique aussi que <strong>le</strong> financement lui-même, s’il pouvait<br />
être assuré par la population, pouvait éga<strong>le</strong>ment être pris<br />
en charge par « un notab<strong>le</strong> évergète ou d’un groupe de<br />
notab<strong>le</strong>s » (Pont 2010, 186). Dans <strong>le</strong> même sens, à<br />
propos de Pergè : Heinzelmann 2003, 215.<br />
145
piétons 84 , tandis qu’à Pergè et Sidè, ils<br />
constituaient aussi <strong>le</strong>s voies principa<strong>le</strong>s du<br />
trafic routier à l’intérieur de la vil<strong>le</strong>, comme<br />
en témoignent <strong>le</strong>s traces d’usure sur <strong>le</strong><br />
pavement (fig. 11).<br />
Figure 11 : Pergè, voie à colonnades nord-sud – traces d’usure<br />
au sol (cliché de l’auteur, 2010)<br />
Dans <strong>le</strong>s quatre cités, <strong>le</strong>s rues à colonnades,<br />
qui définissaient parfois <strong>le</strong>s différents<br />
quartiers 85 , établissaient toujours un trajet<br />
bien particulier au cœur de la vil<strong>le</strong>.<br />
Structurant l'espace en <strong>le</strong> limitant, el<strong>le</strong>s<br />
constituaient ainsi l’épine dorsa<strong>le</strong> de la cité,<br />
jouant même temps un rô<strong>le</strong> unificateur<br />
entre <strong>le</strong>s différents secteurs de la vil<strong>le</strong>.<br />
D’après ce que l’on sait aujourd’hui, on voit<br />
en effet que la rue principa<strong>le</strong> passait par<br />
l’agora (ou au moins par l’une des agorai)<br />
de la cité, qui se trouvait alors connectée à<br />
une des portes de la vil<strong>le</strong>, ainsi qu’à une ou<br />
plusieurs structures marquantes du pay-‐<br />
sage urbain, qui pouvai(en)t être, au 2 e s.<br />
pC, un temp<strong>le</strong> (à Selgè, Sagalassos, Sidè et<br />
Pergè), une autre agora (à Sidè et à<br />
84 Pour Selgè : Machatschek/Schwarz 1981, 65. Pour<br />
Sagalassos : Martens 2008, 196.<br />
85 Pour Sidè par exemp<strong>le</strong>, cf. Mansel 1963, 24-25 ;<br />
Brandt/Kolb 2005, 70, Abb. 90.<br />
146<br />
RİVALLAND<br />
Sagalassos) ou encore un nymphée (à Pergè,<br />
Selgè et Sagalassos).<br />
Le lien privilégié des rues à colon-‐<br />
nades avec l’agora –ainsi qu’avec <strong>le</strong> port<br />
dans <strong>le</strong>s cas de Sidè et Pergè (s’agissant ici<br />
de la rue est-‐ouest, moins bien connue que<br />
la rue nord-‐sud pour l’instant) 86 – mais aussi<br />
bien sûr <strong>le</strong> fait qu’el<strong>le</strong>s fussent bordées de<br />
portiques ouvrant sur des boutiques et des<br />
ateliers attestent éga<strong>le</strong>ment de l’importance<br />
de la fonction commercia<strong>le</strong> de ces grandes<br />
avenues dans toutes <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, Termessos y<br />
compris. Répondant à de nouveaux besoins<br />
liés au développement économique des<br />
cités, <strong>le</strong>s grandes voies à portiques s’ajou-‐<br />
taient ainsi aux places de marché existantes<br />
(anciennes ou plus récentes) 87 , permettant<br />
une multiplication des échanges dans des<br />
espaces toujours situés, rappelons-‐<strong>le</strong>, à<br />
l’abri du so<strong>le</strong>il et de la pluie 88 . Lieux<br />
d’échanges donc, el<strong>le</strong>s constituèrent natu-‐<br />
rel<strong>le</strong>ment de nouveaux espaces de ren-‐<br />
contres, et jouèrent certainement un rô<strong>le</strong><br />
important dans la sociabilité des vil<strong>le</strong>s à<br />
l’époque impéria<strong>le</strong>, comme <strong>le</strong> suggèrent<br />
l’aménagement ponctuel de places ainsi que<br />
la présence de points d’eau accessib<strong>le</strong>s à<br />
tous, non seu<strong>le</strong>ment aux extrémités des<br />
voies mais aussi <strong>le</strong> long du parcours 89 (cf.<br />
figs. 4, 6-‐9). Or, il faut rappe<strong>le</strong>r à ce sujet<br />
que si <strong>le</strong>s fontaines et bassins sont carac-‐<br />
téristiques du mobilier urbain des vil<strong>le</strong>s<br />
86 Sur <strong>le</strong> port de Pergè : Martini et al. 2008.<br />
87 À Sagalassos, l’installation de l’agora inférieure est<br />
datée de la fin du 1 e s. aC (Martens 2008, 194), alors<br />
que, rappelons-<strong>le</strong>, la voie à colonnades sud date du<br />
premier quart du 1 e s. pC. Les agorai de Pergè et de<br />
Sidè en <strong>le</strong>ur état actuel datent de l’époque impéria<strong>le</strong><br />
sans qu’il ait été possib<strong>le</strong> de déterminer avec certitude si<br />
el<strong>le</strong>s occupaient déjà la même place à l’époque<br />
hellénistique.<br />
88 Cf. Hellmann 2006, 214-215 : « la première fonction<br />
de tous ces portiques n’était pas tant de marquer une<br />
limite que de proposer un toit aux visiteurs. (…)<br />
Jusqu’au bout, jusqu’au passage de la Grèce dans<br />
l’orbite romaine, c’est avant tout pour cette raison que<br />
furent construits <strong>le</strong>s portiques (…) ». Cette fonction, si<br />
el<strong>le</strong> n’était plus à l’origine de <strong>le</strong>ur construction à<br />
l’époque impéria<strong>le</strong>, restait néanmoins toujours valab<strong>le</strong>.<br />
89 Pour Pergè, cf. Heinzelmann 2003, 202 et suiv. et voir<br />
sur Abb. 6, p. 207, <strong>le</strong>s sections 5 et 6, plus larges, qui<br />
forment une sorte de place. Pour <strong>le</strong>s nymphées par<br />
rapport aux rues à Sagalassos : Richard 2008. Pour<br />
Sidè : Mansel 1963, 17 et suiv.
omaines, en tant qu’aménagements uti<strong>le</strong>s<br />
et lieux de rencontre, ils constituaient aussi<br />
souvent des éléments décoratifs de premier<br />
ordre, notamment en Asie Mineure. Cette<br />
situation se vérifie dans <strong>le</strong>s cités de Pam-‐<br />
phylie et de Pisidie, avec la présence <strong>le</strong> long<br />
des rues de fontaines, de canaux à ciel<br />
ouvert (à Pergè notamment), mais aussi et<br />
surtout de nymphées monumentaux qui, à<br />
Pergè, et plus encore à Sagalassos, et dans<br />
une moindre mesure à Sidè et Selgè, consti-‐<br />
tuaient l’aboutissement visuel des rues.<br />
Partie intégrante de la scénographie du<br />
paysage urbain des cités à l’époque im-‐<br />
péria<strong>le</strong>, non seu<strong>le</strong>ment ils participaient de la<br />
monumentalité et de l’unité des grandes<br />
voies à colonnade mais ils en renforçaient<br />
surtout la va<strong>le</strong>ur ostentatoire 90 .<br />
Car en plus de fournir un cadre<br />
régulier et uniforme 91 à une voie de passage<br />
centra<strong>le</strong> ouvrant sur de nombreux commerces, une<br />
des caractéristiques des grandes voies à<br />
portiques romaines est sans conteste <strong>le</strong>ur<br />
rô<strong>le</strong> dans la course au prestige que se<br />
livrèrent <strong>le</strong>s cités au sein de l’Empire.<br />
Ostensib<strong>le</strong>ment prestigieux, ce type d’amé-‐<br />
nagement participait en effet de la concur-‐<br />
rence que se livraient entre el<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s<br />
depuis au moins l’époque hellénistique si<br />
l’on en croit <strong>le</strong>s sources littéraires 92 . À<br />
l’époque impéria<strong>le</strong>, la grande rue à<br />
colonnade semb<strong>le</strong> avoir été considérée par<br />
<strong>le</strong>s cités comme une composante signifi-‐<br />
cative de la parure urbaine pour valoriser<br />
<strong>le</strong>ur image et c’est dans ce cadre que <strong>le</strong>s<br />
plateiai participèrent sans aucun doute de<br />
90 Pour une étude détaillée et récente sur <strong>le</strong>s nymphées,<br />
<strong>le</strong>urs fonctions et <strong>le</strong>ur situation dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s d’Asie<br />
Mineure, et particulièrement cel<strong>le</strong>s de Pamphylie et de<br />
Pisidie : Dorl-Klingenschmid, 2001. Sur Sagalassos,<br />
plus récemment : Richard 2008. Sur Pergè, voir aussi<br />
plus récemment : Özdizbay 2008, 107-111 notamment,<br />
à propos du nymphée F3 au pied de l’acropo<strong>le</strong>. Aussi<br />
Martini 2010, 75 et suiv. Pour Sidè, Abbasoğlu 2001c,<br />
208 et suiv.<br />
91 Sur l’importance de l’aspect régulier et harmonieux<br />
du paysage urbain pour <strong>le</strong>s populations des vil<strong>le</strong>s de<br />
l’Orient romain, cf. Pont 2010, 177 et suiv.<br />
92 Les auteurs anciens évoquent des conflits armés entre<br />
<strong>le</strong>s cités, par exemp<strong>le</strong> : Arrien, Anab., I.27.4<br />
(Aspendos/voisins) ; I.28.1 (Selgè/Termessos) ; Polybe,<br />
V.72.1 (Pednelissos/Selgè) ; V.73.4 (Etenna et<br />
Aspendos/Pednelissos ; Sidè/Aspendos) ; XXI.35-36 ;<br />
Tite-Live, XXXVIII.15.8 (Isinda/Termessos).<br />
RUES A COLONNADES<br />
la rivalité entre <strong>le</strong>s cités. Cette concurrence<br />
visait pour partie à s’attirer la bienveillance<br />
du pouvoir impérial d’après ce que l’on sait<br />
de la compétition que se livrèrent par<br />
exemp<strong>le</strong> Pergè et Sidè pour l’obtention de<br />
néocories 93 . Mais selon A.-‐V. Pont, la parure<br />
monumenta<strong>le</strong> des rues était aussi « <strong>le</strong> signe<br />
<strong>le</strong> plus directement visib<strong>le</strong>, pour <strong>le</strong>s<br />
habitants de la cité comme pour <strong>le</strong>s gens de<br />
passage, de son ‘ornement’, et [donc] <strong>le</strong><br />
premier indice de la participation de la<br />
communauté civique, du simp<strong>le</strong> citoyen au<br />
notab<strong>le</strong>, à cet idéal commun » 94 . À l’échel<strong>le</strong><br />
même de chaque cité, cette fonction de<br />
représentation existait aussi puisque <strong>le</strong>s<br />
voies à colonnades furent l’un des lieux<br />
privilégiés par <strong>le</strong>s élites urbaines pour<br />
pratiquer l’évergétisme, à travers l’érection<br />
de statues honorifiques (comme à Ter-‐<br />
messos par exemp<strong>le</strong>) 95 et d’autres grandes<br />
constructions édilitaires, notamment des<br />
arcs 96 . Un bon exemp<strong>le</strong> ici est celui de<br />
Pergè, où une riche citoyenne, Plancia<br />
Magna, fit de l’arrière-‐cour de l’ancienne<br />
porte hellénistique une cour d’honneur lar-‐<br />
gement vouée à la célébration familia<strong>le</strong>, au<br />
nord de laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> fit construire un arc de<br />
triomphe dédié à la cité mais dont <strong>le</strong><br />
programme décoratif honorait l’empereur<br />
Hadrien et sa famil<strong>le</strong>. Fermant la cour<br />
arrière de la porte, cet arc ouvrait de façon<br />
monumenta<strong>le</strong> sur la longue rue à colonnade,<br />
au terme de laquel<strong>le</strong> un nymphée à doub<strong>le</strong><br />
étage, d’où partait <strong>le</strong> canal central, marquait<br />
l’accès à l’acropo<strong>le</strong> 97 .<br />
Pourtant, si la diffusion du modè<strong>le</strong><br />
des grandes rues à colonnades implique<br />
d’importantes ressemblances entre <strong>le</strong>s<br />
93 Sur ce point, cf. Burrel 2004, 181-190 ; voir aussi<br />
pour la Pisidie <strong>le</strong> chapitre 37 sur Sagalassos, p. 266 et<br />
suiv. ; aussi Guerber 2010.<br />
94 Pont 2010, 186.<br />
95 Pour Termessos par exemp<strong>le</strong>, cf. Lanckoronski 1893,<br />
58-59 et Van Nijf 2011 (artic<strong>le</strong> mis en ligne en mars<br />
2009, disponib<strong>le</strong> sur<br />
http://www.scribd.com/doc/13732508/Onno-Van-Nijf-<br />
Political-Culture-Termessos).<br />
96 Pour un résumé sur <strong>le</strong>s arcs érigés à Sagalassos à<br />
l’époque impéria<strong>le</strong> par exemp<strong>le</strong>, Martens 2004, 591-<br />
595. Sur Pergè, cf. Özdizbay 2008, 47-51, 90-106.<br />
97 Voir entre autres : Şahin 1996b ; Abbasoğlu 2001a et<br />
2001b ; Özdizbay 2008, 90-106, 202 et suiv.<br />
147
paysages urbains des cités pamphylo-‐<br />
pisidiennes (et avec <strong>le</strong>s autres cités d’Ana-‐<br />
tolie et du reste de l’Orient romain) à partir<br />
du 2 e s. de notre ère, el<strong>le</strong> n’aboutit pas à la<br />
standardisation des paysages urbains. Plus<br />
encore, comme <strong>le</strong> font apparaître <strong>le</strong>s plans<br />
établis par <strong>le</strong>s archéologues, la singularité<br />
de chaque cité se révè<strong>le</strong> nettement à travers<br />
<strong>le</strong> tracé des voies, <strong>le</strong>quel ne reflète pas tant<br />
<strong>le</strong>s contraintes topographiques que l’his-‐<br />
toire des cités. En effet, alors que Sagalassos<br />
est une cité montagneuse située sur un<br />
terrain en pente, <strong>le</strong> tracé de la voie à colon-‐<br />
nade sud s’avère parfaitement rectiligne,<br />
comme celui de la rue à portique de<br />
Termessos d’ail<strong>le</strong>urs, tandis que <strong>le</strong>s tra-‐<br />
jectoires des grandes artères de Pergè et<br />
Sidè, pourtant installées en terrains rela-‐<br />
tivement plats, sont, comme cel<strong>le</strong> de Selgè,<br />
marquées par plusieurs courbes. Cela<br />
s’explique par <strong>le</strong> fait qu’à Termessos, mais<br />
sans doute aussi à Sagalassos (et partiel-‐<br />
<strong>le</strong>ment à Sidè), <strong>le</strong>s rues à colonnades furent<br />
largement construites ex-nihilo, tandis que<br />
cel<strong>le</strong>s de Selgè et de Pergè ainsi que cel<strong>le</strong> de<br />
Sidè menant au port résultent vraisem-‐<br />
blab<strong>le</strong>ment de la monumentalisation de<br />
voies importantes déjà existantes prenant<br />
en compte, dans la définition du tracé,<br />
certains édifices préexistants. L’ancienneté<br />
des deux axes principaux de Pergè est<br />
confirmée par la présence au carrefour<br />
principal de la cité dès <strong>le</strong> 1 e s. pC d’un arc<br />
monumental dédié à Domitien (arc de<br />
Démétrios et Apollonios) (fig. 4). Par<br />
ail<strong>le</strong>urs, au nord de l’axe est-‐ouest avait été<br />
construite à l’époque de Néron une pa-‐<br />
<strong>le</strong>stre 98 . Partant de là, <strong>le</strong>s irrégularités de<br />
cette voie est-‐ouest, mais aussi <strong>le</strong>s virages<br />
que forme la voie à colonnade nord-‐sud,<br />
ainsi que ceux de la grande artère de Selgè<br />
ou encore ceux de la longue rue qui mène de<br />
la porte principa<strong>le</strong> aux temp<strong>le</strong>s d’Apollon et<br />
d’Athéna à Sidè s’expliquent sans doute par<br />
la nécessité, au 2 e s. pC, de tenir compte de<br />
constructions préexistantes, constructions<br />
remontant certainement pour partie au 1 e s.<br />
de notre ère, mais sans doute aussi pour<br />
98<br />
Voir principa<strong>le</strong>ment Heinzelmann 2003 et Özdizbay<br />
2008, 163 et suiv.<br />
148<br />
RİVALLAND<br />
certaines à l’époque hellénistique 99 . Les<br />
rues à portiques témoignent ainsi de<br />
plusieurs phases dans l’évolution urbaine<br />
des grandes cités de la région, et<br />
notamment, donc, du développement que<br />
cel<strong>le</strong>s-‐ci connurent bien avant <strong>le</strong> 2 e s. pC,<br />
certainement au moins dès la fin de<br />
l’époque hellénistique. Et si tel est bien <strong>le</strong><br />
cas, cela confirmerait l’idée selon laquel<strong>le</strong><br />
cette période fut non seu<strong>le</strong>ment marquée<br />
par la volonté de se protéger des attaques<br />
extérieures (dans <strong>le</strong> cadre des conflits qui<br />
opposèrent entre eux <strong>le</strong>s successeurs<br />
d’A<strong>le</strong>xandre entre la mort de ce dernier en<br />
323 aC et la paix d’Apamée en 188 aC),<br />
comme en témoigne la construction des<br />
circuits fortifiés, mais aussi, à Sidè et<br />
surtout à Pergè, par un réel dynamisme et la<br />
volonté d’organiser <strong>le</strong> nouvel espace urbain,<br />
agrandi et désormais délimité par des<br />
remparts. Dès lors, l’aménagement des<br />
grandes voies à colonnades à Sidè, Pergè et<br />
Selgè au 2 e s. de notre ère, apparaît<br />
largement comme une phase supplé-‐<br />
mentaire et ultime, directement liée au<br />
nouveau contexte politique, économique et<br />
socioculturel, d’un mouvement amorcé<br />
antérieurement visant à organiser l’espace<br />
urbain. En outre, la présence sur l’acropo<strong>le</strong><br />
de Pergè de plusieurs comp<strong>le</strong>xes sacrés<br />
(fig. 4), dont peut-‐être <strong>le</strong> fameux sanctuaire<br />
d’Artémis Pergaia 100 , avant même l’époque<br />
hellénistique, explique largement l’impor-‐<br />
tance prise à l’époque préromaine par la<br />
voie nord-‐sud menant de l’entrée de la vil<strong>le</strong><br />
basse à ce lieu sacré. Voie processionnel<strong>le</strong>,<br />
el<strong>le</strong> devait en effet déjà marquer <strong>le</strong> paysage<br />
urbain avant l’intégration de la cité dans la<br />
sphère d’influence romaine, ce qui explique<br />
peut-‐être en partie pourquoi la cité ne<br />
s’empressa pas spécia<strong>le</strong>ment d’agrandir et<br />
d’embellir cette longue avenue 101 . Or, dans<br />
la mesure où <strong>le</strong>s cultes d’Apollon et<br />
d’Athéna sont attestés à Sidè dès avant<br />
99 Rappelons en effet que <strong>le</strong>s tracés des grandes rues ont<br />
pour point de départ, à Pergè et à Sidè, <strong>le</strong>s portes<br />
hellénistiques datées autour de la fin du 3 e s. - 2 e s. aC<br />
et, à Selgè l’agora, qui est el<strong>le</strong> aussi généra<strong>le</strong>ment datée<br />
de la fin de l’époque hellénistique.<br />
100 Martini 2010.<br />
101 Heinzelmann 2003 ; Martini 2010.
l’époque impéria<strong>le</strong> 102 , peut-‐être doit-‐on<br />
penser que la rue de la vil<strong>le</strong> qui menait<br />
jusqu’aux temp<strong>le</strong>s situés sur <strong>le</strong> port au 2 e s.<br />
était el<strong>le</strong> aussi une forme monumentalisée<br />
d’une ancienne voie processionnel<strong>le</strong>.<br />
La situation est différente en re-‐<br />
vanche pour Termessos et Sagalassos. Au vu<br />
de son emplacement dans <strong>le</strong> plan urbain, de<br />
son tracé et de sa conception, la voie à<br />
colonnade de Termessos est clairement un<br />
cas à part. Tout indique en effet que cette<br />
dernière fut construite ex-nihilo à l’époque<br />
impéria<strong>le</strong>, sans doute dans <strong>le</strong> but de doter la<br />
vil<strong>le</strong> d’un aménagement considéré comme<br />
important pour son image, dans <strong>le</strong> cadre de<br />
la romanisation du mode de vie. S’agissant<br />
de Sagalassos, la construction de la rue à<br />
portique nord-‐sud semb<strong>le</strong> directement liée<br />
à cel<strong>le</strong> de l’agora inférieure, datée de la fin<br />
du 1 e s. aC. Son tracé rectiligne, malgré la<br />
forte déclivité du terrain, suggère qu’aucune<br />
construction importante ne préexistait (ou<br />
en tout cas n’était considérée comme un<br />
obstac<strong>le</strong>) sur <strong>le</strong> parcours prédéfini. Il<br />
nécessita néanmoins d’importants travaux<br />
de nivel<strong>le</strong>ment ainsi que la construction<br />
d’escaliers 103 . Vraisemblab<strong>le</strong>ment conçue<br />
d’emblée comme un axe essentiel du plan<br />
urbain de la vil<strong>le</strong> en devenir, el<strong>le</strong> devait<br />
servir de voie principa<strong>le</strong> d’accès au centre<br />
civique et d’axe structurant pour la vil<strong>le</strong><br />
basse, dont <strong>le</strong> développement rend compte<br />
de la prospérité économique de la cité en<br />
cette période charnière du 1 e s. aC – 1 e s. pC.<br />
Par ail<strong>le</strong>urs, rappelons que Sagalassos se<br />
trouvait non loin des colonies qu’Auguste<br />
avait fondées en Pisidie 104 . L’influence<br />
romaine s’y fit donc peut-‐être ressentir plus<br />
rapidement que dans <strong>le</strong>s cités de la plaine,<br />
d’autant que ces dernières étaient plus<br />
profondément hellénisées du fait de<br />
l’ancienneté de <strong>le</strong>urs contacts avec <strong>le</strong>s<br />
Grecs 105 . Pour autant, si la précocité de la<br />
plateia de Sagalassos, sous cette forme<br />
pavée et bordée d’un portique, est<br />
102<br />
RE : s.v. ‘Side’ ; Nollé 1993, 107-108, 262.4<br />
103<br />
Martens 2008, 194.<br />
104<br />
Sur <strong>le</strong>s colonies augustéennes en Pisidie : Levick<br />
1967.<br />
105<br />
Sur l’influence romaine à Sagalassos: voir<br />
notamment Waelkens 2002.<br />
RUES A COLONNADES<br />
indéniab<strong>le</strong>, notons qu’ici comme dans <strong>le</strong>s<br />
autres cités de Pamphylie-‐Pisidie, <strong>le</strong>s amé-‐<br />
nagements ornementaux faisant de cette<br />
rue un élément clé de la parure et de la<br />
scénographie urbaines datent pour l’essen-‐<br />
tiel du 2 e s. de notre ère et de l’époque des<br />
Sévères, c’est-‐à-‐dire d’une période qui vit<br />
prospérer l’ensemb<strong>le</strong> de la région. C’est <strong>le</strong><br />
cas des trois nymphées sur <strong>le</strong>squels se<br />
posait <strong>le</strong> regard des visiteurs accédant au<br />
centre civique par cette grande avenue 106 ,<br />
du temp<strong>le</strong> du culte impérial dédié à Hadrien<br />
et Antonin <strong>le</strong> Pieux situé au sud-‐est de la<br />
rue 107 , ainsi que des statues d’empereurs<br />
qui se trouvaient <strong>le</strong> long de la voie 108 .<br />
Conclusion<br />
Les rues à colonnades n’étant qu’un<br />
élément du paysage urbain parmi d’autres,<br />
el<strong>le</strong>s ne sauraient évidemment suffire à<br />
el<strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>s à rendre compte de l’histoire<br />
des cités de Pamphylie et de Pisidie à<br />
l’époque gréco-‐romaine.<br />
Néanmoins, nous l’avons vu, tout en<br />
attestant de la monumentalisation des<br />
paysages urbains dans <strong>le</strong> cadre de l’Empire<br />
(confirmant ainsi la prospérité de la région<br />
à cette époque et <strong>le</strong> développement de<br />
l’influence romaine au niveau culturel), el<strong>le</strong>s<br />
fournissent des indices intéressants sur<br />
l’organisation des cités avant la domination<br />
romaine.<br />
On retiendra ainsi d’abord que<br />
malgré l’accélération de l’hellénisation de la<br />
région à partir des 3 e -‐2 e s. aC, seu<strong>le</strong> la vil<strong>le</strong><br />
basse de Pergè, en l’état actuel de nos<br />
connaissances, présente <strong>le</strong>s traces d’un plan<br />
régulier remontant peut-‐être à l’époque<br />
hellénistique 109 . Or, à Pergè comme à Sidè et<br />
106<br />
Le premier nymphée, construit au nord de l’agora<br />
inférieure, date de l’époque de Trajan (puis il fut<br />
reconstruit vers 200). Le nymphée situé au-dessus, au<br />
nord, date de l’époque d’Hadrien (entre 128/129 et 134).<br />
Enfin, <strong>le</strong> troisième nymphée, situé au nord de l’agora<br />
supérieure, date du règne d’Antonin <strong>le</strong> Pieux (vers 160-<br />
180). Cf. Richard 2008.<br />
107<br />
Vandeput 1997, 64-77.<br />
108<br />
Martens 2008.<br />
109<br />
Cf. Abbasoğlu 2001a et 2001b ; à propos de Sidè,<br />
dépourvue de plan géométrique, id. 2001c.<br />
149
Selgè, il semb<strong>le</strong> bien qu’avant <strong>le</strong> 2 e s. pC, et<br />
peut-‐être dès la fin du 3 e s. aC, <strong>le</strong>s centres<br />
urbains s’organisaient <strong>le</strong> long d’une avenue<br />
principa<strong>le</strong> nettement distincte des autres<br />
rues, laquel<strong>le</strong> reliait probab<strong>le</strong>ment dès<br />
l’origine un espace sacré à une porte, en<br />
passant par l’agora.<br />
On sait par ail<strong>le</strong>urs que la cité hellé-‐<br />
nistique de Sagalassos s’organisait quant à<br />
el<strong>le</strong> autour de l’agora supérieure, si bien<br />
que l’aménagement de la section sud de la<br />
rue à colonnade nord-‐sud est sans doute<br />
150<br />
RİVALLAND<br />
plutôt ici à mettre en relation avec <strong>le</strong><br />
développement de l’influence romaine dans<br />
la région et la volonté des élites loca<strong>le</strong>s de<br />
favoriser <strong>le</strong> développement économique de<br />
la cité au cours des 1 e s. aC -‐ 1 e s. pC, tandis<br />
que la rue à colonnade de Termessos, el<strong>le</strong>,<br />
paraît davantage s’inscrire dans la course<br />
au prestige à laquel<strong>le</strong> s’adonnèrent <strong>le</strong>s cités<br />
pendant <strong>le</strong> Haut-‐Empire romain.<br />
A.-S. Rivalland
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EPIGRAPHIE ET HISTOIRE DE LA CILICIE TRACHEE<br />
Emmanuel<strong>le</strong> Goussé<br />
Centre de Recherche et d’Etudes Histoire et Sociétés- EA 4027<br />
Résumé : Cet artic<strong>le</strong> présente de façon succincte <strong>le</strong>s recherches effectuées lors de mon doctorat. Mon attention se<br />
porte plus particulièrement sur <strong>le</strong>s noms de métier mentionnés dans <strong>le</strong>s épitaphes. Il s’agit de montrer<br />
l’importance que revêt l’épigraphie pour la connaissance de cette région méconnue à travers un exemp<strong>le</strong> précis.<br />
Mots clés : épigraphie, Cilicie Trachée, métiers, épitaphes.<br />
Abstract: This paper summarizes the research conducted during my PhD. My attention is mainly focused on the<br />
craftmanship names mentioned in epitaphs. The aim is to highlight the contributions of epigraphy in furthering<br />
the know<strong>le</strong>dge of this unknown region through a specific examp<strong>le</strong>.<br />
Keywords: Epigraphy, Cilicia Trachaea, craftsmanship, epitaph.
162<br />
GOUSSÉ
a Cilicie Trachée demeure, en dépit<br />
de la multiplication des travaux<br />
récents1 , une région méconnue. El<strong>le</strong><br />
conserve l’image que lui ont bien souvent<br />
donnée <strong>le</strong>s auteurs anciens2 : cel<strong>le</strong> d’une<br />
contrée peuplée de brigands et de pirates.<br />
Pourtant l’étude d’autres types de sources,<br />
notamment l’épigraphie, permet une<br />
connaissance plus intime de sa population.<br />
En effet, <strong>le</strong>s inscriptions sont nombreuses<br />
(plus de 2000) et ont fait l’objet de<br />
publications, dont la majorité est ancienne3 .<br />
L’étude des épitaphes, associée parfois àcel<strong>le</strong><br />
de <strong>le</strong>ur support, m’a notamment permis,<br />
dans <strong>le</strong> cadre de recherches doctora<strong>le</strong>s4 L<br />
, de<br />
présenter certaines caractéristiques de la<br />
société cilicienne. Ces résultats, dépendant<br />
directement de la documentation<br />
disponib<strong>le</strong>, portent essentiel<strong>le</strong>ment sur<br />
l’époque romaine et surtout sur <strong>le</strong> début de<br />
la période byzantine. La documentation<br />
funéraire très riche, un peu plus de 1200<br />
inscriptions, m’a permis d’aborder plusieurs<br />
thèmes. Dans cet artic<strong>le</strong> j’évoquerai<br />
brièvement la richesse et la variété des<br />
thématiques exploitab<strong>le</strong>s, puis développerai<br />
un point précis : <strong>le</strong>s noms de métier dans <strong>le</strong>s<br />
épitaphes.<br />
1 On peut notamment re<strong>le</strong>ver la réalisation de cinq<br />
colloques internationaux depuis 1998 : trois furent<br />
organisés à Mersin en 1998, 2002 et 2007, un à Istanbul<br />
en 1999 et un autre à Lincoln en 2007. Ceux de Mersin<br />
furent publiés dans la revue Olba respectivement dans<br />
<strong>le</strong>s <strong>volume</strong>s 2, 7 et 16, pour la tab<strong>le</strong> ronde d’Istanbul<br />
voir Jean et al. 2001 et pour <strong>le</strong> colloque de Lincoln voir<br />
Hoff/Townsend 2012.<br />
2 Par exemp<strong>le</strong> : Appien, Guerre mithridatique, 91 et<br />
suivants ; Dion Cassius, Histoire romaine, XXXVI.20-<br />
23 ; Strabon, Géographie, XIV.3.2 c. 664-665 ;<br />
Plutarque, Vie de Pompée, XXIV.1 et suivantes.<br />
3 Les principaux recueils d’inscriptions pour la Cilicie<br />
Trachée sont : Heberdey/Wilhelm 1896 ; Keil/Wilhelm<br />
1931 ; Bean/Mitford 1965 et 1970 ; Dagron/Feissel<br />
1987. Hagel et Tomaschitz ont réuni la quasi-totalité des<br />
inscriptions ciliciennes connues en 1998 dans<br />
Hagel/Tomaschitz 1998.<br />
4 Goussé 2009.<br />
EPIGRAPHIE ET HISTOIRE<br />
Principaux axes de recherche<br />
Le premier axe de recherche sur<br />
<strong>le</strong>quel j’ai travaillé dans <strong>le</strong> cadre de mes<br />
recherches doctora<strong>le</strong>s concerne <strong>le</strong> voca-‐<br />
bulaire de la tombe. L’étude menée montre<br />
que <strong>le</strong> <strong>le</strong>xique employé en Cilicie Trachée<br />
pour désigner <strong>le</strong>s monuments funéraires est<br />
beaucoup plus banal que ce que nous<br />
présente globa<strong>le</strong>ment J. Kubinska dans son<br />
étude sur l’ensemb<strong>le</strong> de l’Asie Mineure 5 . Les<br />
termes employés sont essentiel<strong>le</strong>ment<br />
généraux. Les éléments de la tombe sont,<br />
quant à eux, rarement décrits 6 . Quelques<br />
termes spécifiques à la région apparaissent :<br />
παραστατικόν, λούτρα et ὀμφαλός. Le<br />
premier est caractéristique de Sé<strong>le</strong>ucie du<br />
Kalykadnos et semb<strong>le</strong> désigner <strong>le</strong> ‘lieu’ ou<br />
l’ ‘emplacement’. Λούτρα est issu du<br />
vocabulaire du bain 7 . En effet, son sens<br />
originel est ‘baignoire’. Il sera par la suite<br />
employé pour la cuve funéraire et donc <strong>le</strong><br />
sarcophage. La signification du terme<br />
ὀμφαλός demeure, quant à el<strong>le</strong>, obscure<br />
dans <strong>le</strong> cadre funéraire 8 .<br />
5 Kubinska 1968.<br />
6 Seuls quatre termes employés chacun à une reprise<br />
désignent uniquement une partie de la tombe. Il s’agit<br />
de κλισία (Heberdey/Wilhelm 1896, 69 n° 150),<br />
ὑποσόριον (Bean/Mitford 1970, 192 n° 213, la<br />
restitution de ce terme est cependant incertaine),<br />
βάθρον (Paribeni/Romanelli 1914, 155-164) et κρηπίς<br />
(Paribeni/Romanelli 1914, 85-87). En outre, on peut<br />
peut-être y adjoindre <strong>le</strong> terme de ἡμικύκλιον qui peut<br />
désigner soit l’ensemb<strong>le</strong> du monument soit une seu<strong>le</strong><br />
partie.<br />
7 Un autre terme, μάκρα, lui aussi issu du vocabulaire<br />
du bain, est employé en Cilicie Trachée.<br />
8 Ce terme est utilisé uniquement dans deux inscriptions<br />
gravées sur des tombes rupestres de Korykos :<br />
Keil/Wilhelm 1931, 159 n° 402 et 202 n° 712. Le<br />
Liddell/Scott <strong>le</strong> traduit dans un contexte architectural<br />
par ‘vault, tomb’. D’autre part, G. Karo<br />
(Daremberg/Saglio IV.1, 197), écrit : “Varron et<br />
Hésychius rappel<strong>le</strong>nt que l’omphalos était la tombe de<br />
Python”. Sans al<strong>le</strong>r jusqu’à voir une résonance de cette<br />
littérature dans <strong>le</strong>s épitaphes, nous possédons donc des<br />
attestations de ce terme au sens de tombe. Cependant<br />
163
Mon second axe de travail a été<br />
l’onomastique. La moitié environ des<br />
quelques 2000 noms connus par <strong>le</strong>s<br />
épitaphes de la région est d’origine grecque.<br />
Ils prédominent sur l’ensemb<strong>le</strong> de la<br />
période étudiée. Les noms latins ne se<br />
manifestent qu’assez tardivement. L’essen-‐<br />
tiel des tria et duo nomina n’apparaissent<br />
pas avant <strong>le</strong> 2 e s. pC et même plus<br />
probab<strong>le</strong>ment au 3 e s. pC, suite à l’édit de<br />
Caracalla 9 . Après <strong>le</strong> 4 e s. pC on observe une<br />
relative uniformisation des noms. Les noms<br />
anatoliens, quant à eux, sont présents sur<br />
toute la période étudiée et on remarque<br />
<strong>le</strong>ur survivance à l’époque byzantine. Ceci<br />
démontre un attachement à un patrimoine<br />
onomastique local. Il convient de souligner<br />
que la documentation est très inéga<strong>le</strong> en<br />
termes de représentativité dans <strong>le</strong> temps et<br />
l’espace et qu’el<strong>le</strong> ne permet pas de voir une<br />
évolution au sein d’une cité. Ainsi, par<br />
exemp<strong>le</strong>, si la cité de Korykos fournit<br />
presque la moitié de la documentation<br />
épigraphique funéraire de Cilicie Trachée,<br />
cel<strong>le</strong>-‐ci est essentiel<strong>le</strong>ment postérieure au<br />
4 e s. pC.<br />
Le troisième axe de recherche s’est<br />
attaché à la propriété et à la jouissance de la<br />
tombe. Pour ne mentionner que quelques<br />
résultats, on peut noter qu’avant l’époque<br />
chrétienne <strong>le</strong> fait d’ériger une tombe et d’en<br />
faire profiter sa famil<strong>le</strong> plus ou moins<br />
élargie est mis en va<strong>le</strong>ur. Ensuite, c’est<br />
plutôt la propriété qui est privilégiée. Les<br />
bénéficiaires sont ainsi rarement indiqués 10 .<br />
En outre, <strong>le</strong>s femmes apparaissent plus<br />
fréquemment avant <strong>le</strong> 4 e s. ap. alors qu’el<strong>le</strong>s<br />
sont presque absentes de la documentation<br />
postérieure 11 .<br />
l’architecture décrite par <strong>le</strong>s auteurs anciens pour <strong>le</strong><br />
tombeau de Python n’a rien à voir avec cel<strong>le</strong> des tombes<br />
rupestres sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s se trouvent <strong>le</strong>s mentions de ce<br />
terme.<br />
9 Cet édit qui accorde en 212 <strong>le</strong> droit de cité romaine à<br />
l’ensemb<strong>le</strong> des hommes libres de l’Empire eut pour<br />
conséquence l’adoption massive du gentilice Aurélius.<br />
10 Les propriétaires des tombes devaient généra<strong>le</strong>ment<br />
être éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s bénéficiaires, mais nous ne<br />
connaissons pas <strong>le</strong>s autres ayants droit.<br />
11 En effet, la part des femmes dans <strong>le</strong>s inscriptions de<br />
cette période est très faib<strong>le</strong>, même lorsqu’el<strong>le</strong>s sont<br />
164<br />
GOUSSÉ<br />
Enfin l’apport de l’épigraphie funéraire à la<br />
connaissance des défunts mais aussi de <strong>le</strong>ur<br />
croyance a fait l’objet d’un dernier axe<br />
d’étude qui permet de dévoi<strong>le</strong>r des pans<br />
entiers de l’histoire économique (à travers<br />
l’étude des métiers) mais aussi religieuse et<br />
culturel<strong>le</strong> de la région.<br />
Un exemp<strong>le</strong> : <strong>le</strong>s noms de métier dans<br />
<strong>le</strong>s épitaphes<br />
J’ai choisi, pour illustrer mon propos,<br />
de revenir brièvement sur certains résultats<br />
concernant <strong>le</strong>s noms de métiers dans <strong>le</strong>s<br />
épitaphes de la région. Il s’agit au total<br />
d’attestations de 487 personnes exerçant un<br />
métier 12 , auxquel<strong>le</strong>s s’ajoutent deux<br />
corporations et trente et un militaires ou<br />
vétérans 13 , que nous fournissent <strong>le</strong>s épitaphes<br />
de Cilicie Trachée. En outre vingt-‐six ins-‐<br />
criptions donnent des indications sur<br />
l’artisan de la tombe 14 . L’essentiel de ces<br />
mentions est postérieur au 4 e s. pC. Pour la<br />
période antérieure, même si <strong>le</strong>s inscrip-‐<br />
tions sont peu nombreuses, on remarque<br />
une particularité qui disparaîtra dans <strong>le</strong>s<br />
périodes ultérieures. Il s’agit de la mention<br />
des artisans de la tombe et des vétérans.<br />
Sans doute faut-‐il voir dans la disparition<br />
ultérieure des artisans au sein des ins-‐<br />
criptions un lien avec la baisse de qualité<br />
des monuments funéraires construits ou<br />
creusés, probab<strong>le</strong>ment en rapport avec la<br />
généralisation, ou l’augmentation, de<br />
l’usage de tel<strong>le</strong>s structures.<br />
Peu de mentions de métiers ap-‐<br />
paraissent comme datées avec certitude de<br />
l’époque antérieure au 4 e s. pC et appar-‐<br />
associées à un homme. On peut supposer que <strong>le</strong>s tombes<br />
n’étaient pas individuel<strong>le</strong>s mais avaient une vocation<br />
familia<strong>le</strong> implicite. C’est en outre ce que laisse supposer<br />
la présence de formu<strong>le</strong>s indiquant une propriété sans<br />
mention des bénéficiaires sur des tombes rupestres avec<br />
plusieurs emplacements funéraires.<br />
12 Ne sont comptabilisées ici que <strong>le</strong>s mentions assurées.<br />
13 A ce sujet voir Goussé 2009 (<strong>volume</strong> 1), 327-330.<br />
14 Au sujet de ces inscriptions et des informations<br />
fournies voir Goussé 2009 (<strong>volume</strong> 1), 321-324.
tenant à des locaux. Lorsque c’est <strong>le</strong> cas, on<br />
voit que cel<strong>le</strong>s-‐ci sont relatives à des<br />
professions demandant souvent un bagage<br />
intel<strong>le</strong>ctuel et/ou technique comme pour <strong>le</strong>s<br />
médecins 15 , intendants 16 , rhéteurs 17 . Par<br />
contraste, la variété des métiers mentionnés<br />
dans <strong>le</strong>s épitaphes à partir du 4 e s. pC<br />
montre la vitalité économique de la région<br />
ou, tout du moins, des localités où ces pro-‐<br />
fessions sont évoquées. Il est diffici<strong>le</strong> de<br />
savoir quel<strong>le</strong>(s) raison(s) poussa<br />
(poussèrent) <strong>le</strong>s défunts à faire allusion à<br />
<strong>le</strong>ur métier alors qu’il ne s’agit pas d’une<br />
tradition ancrée dans la région. On peut<br />
cependant émettre des hypothèses, souvent<br />
en rapport avec l’essor économique et<br />
commercial que semb<strong>le</strong> connaître la région.<br />
En effet, cet essor a pu permettre l’émer-‐<br />
gence de ‘nouveaux riches’ dont <strong>le</strong>s revenus<br />
provenaient de l’artisanat et du commerce.<br />
Ceux-‐ci avaient donc désormais <strong>le</strong>s moyens<br />
de se faire ériger des monuments<br />
funéraires ; la mention de <strong>le</strong>ur profession<br />
permettait ainsi de <strong>le</strong> montrer. La présence<br />
de personnes exerçant des métiers moins<br />
prestigieux que ceux d’orfèvres, par<br />
exemp<strong>le</strong>, voire d’hommes cumulant deux<br />
professions 18 , peut alors s’expliquer par une<br />
appropriation des pratiques des riches par<br />
<strong>le</strong>s moins aisés. D’autre part, il est<br />
éga<strong>le</strong>ment possib<strong>le</strong> que l’érection de<br />
monuments funéraires construits et portant<br />
inscription se soit ‘démocratisée’, ce qui<br />
pourrait aussi expliquer la baisse généra<strong>le</strong><br />
de la qualité des monuments auxquels<br />
15<br />
Le terme de ἰατήρ est alors employé, à une époque<br />
plus tardive c’est celui de ἰατρός qui est privilégié.<br />
Deux exemp<strong>le</strong>s de cet emploi sont attestés dans des<br />
inscriptions des 2 e -3 e s. pC : Bean/Mitford 1965, 43 n°<br />
47 et Heberdey/Wilhelm 1896, 96 n° 179. Une sagefemme<br />
est éga<strong>le</strong>ment attestée à cette époque :<br />
Bean/Mitford 1965, 43 n° 47.<br />
16<br />
Οἰκονόμος. Voir l’inscription : Bean/Mitford 1970,<br />
105 n° 91.<br />
17<br />
Bean/Mitford 1965, 34 n° 36.<br />
18<br />
Dix-sept épitaphes présentent des personnes qui<br />
cumulaient deux activités. On trouve ainsi un cabaretier<br />
qui est éga<strong>le</strong>ment pêcheur à la nasse (Keil/Wilhelm<br />
1931, 143 n° 279), un potier qui fabrique des sacs<br />
(Keil/Wilhelm 1931, 169 n°470), un marbrier qui est<br />
aussi boulanger (Keil/Wilhelm 1931, 143 n° 273) ou<br />
encore un orfèvre qui est aussi maraîcher/jardinier<br />
(Keil/Wilhelm 1931, 152 n° 348).<br />
EPIGRAPHIE ET HISTOIRE<br />
seraient alors consacrés des budgets moins<br />
importants que de coutume. Cette<br />
population ne pouvant pas nécessairement<br />
faire l’éloge de qualités militaires ou<br />
politiques aurait alors choisi de faire<br />
apparaître ce qui la caractérisait, c'est-‐à-‐<br />
dire sa profession. Il est aussi envisageab<strong>le</strong><br />
que cette pratique soit importée d’une autre<br />
région sous l’effet du commerce. D’autres<br />
lieux, tel que Tyr, fournissent éga<strong>le</strong>ment de<br />
nombreuses attestations de métiers pour<br />
cette période 19 . Le développement du<br />
christianisme peut aussi être une des causes<br />
du changement de formulaire des épitaphes<br />
et de la mise en avant d’autres va<strong>le</strong>urs,<br />
tel<strong>le</strong>s que cel<strong>le</strong>s du travail ou de la croyance<br />
en Dieu. Aucune de ces différentes<br />
hypothèses n’est exclusive, et il est fort<br />
probab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s multip<strong>le</strong>s causes qu’el<strong>le</strong>s<br />
présentent aient agi de manière<br />
concomitante.<br />
Certaines professions, réservées aux<br />
femmes, ne sont qu’exceptionnel<strong>le</strong>ment<br />
mentionnées. Ainsi apparaissent deux<br />
nourrices et cinq sages-‐femmes 20 .<br />
En ce qui concerne <strong>le</strong>s militaires, <strong>le</strong>s<br />
vétérans sont présents dans des endroits<br />
très variés 21 , soit qu’ils en étaient origi-‐<br />
naires, soit qu’ils avaient obtenu des terres<br />
en ces lieux au moment de <strong>le</strong>ur décharge.<br />
Les militaires semblant être mort avant la<br />
fin de <strong>le</strong>ur service sont assez nombreux à<br />
Sé<strong>le</strong>ucie du Kalykadnos, où nous trouvons<br />
aussi <strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>s mentions d’archers de la<br />
région 22 . Cel<strong>le</strong>s-‐ci indiquent probab<strong>le</strong>ment<br />
19 A ce sujet voir Rey-Coquais 1977, 152-161 et 1979,<br />
281-292. On a pu éga<strong>le</strong>ment observer, dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s<br />
précédents, la mention de métiers, et notamment de<br />
corporations, dans <strong>le</strong>s inscriptions funéraires de cités<br />
d’Asie Mineure comme Ephèse ou Hiérapolis (voir par<br />
exemp<strong>le</strong> Merkelbach/Nollé 1980 et Pennacchietti 1967).<br />
20 Respectivement : Keil/Wilhelm 1931, 133 n° 212 et<br />
Heberdey/Wilhelm 1896, 58 n° 133 et 134 pour <strong>le</strong>s<br />
nourrices ; pour <strong>le</strong>s sages-femmes : σώτειρα dans<br />
Bean/Mitford 1965, 43 n° 47 ; ἰατρίνη dans CIG IV,<br />
447-448 n° 9164 et CIG IV, 354 n° 9209 ; ἰατρόμαια<br />
dans Keil/Wilhelm 1931, 144 n° 292 ; μαῖα dans<br />
Keil/Wilhelm 1931, 187 n° 605.<br />
21 Dalisandos, Ezvendi, Gevinde, Kanytelis, Korykos,<br />
Mağara, Olba-Diocésarée et Sélinus.<br />
22 Quatre archers sont cités dans <strong>le</strong>s inscriptions de<br />
Sé<strong>le</strong>ucie du Kalykadnos, l’un est simp<strong>le</strong>ment qualifié<br />
165
la présence d’une garnison dans cette vil<strong>le</strong>.<br />
On note par ail<strong>le</strong>urs que <strong>le</strong>s légions II et III<br />
d’Isaurie devaient d’ail<strong>le</strong>urs s’y trouver 23 .<br />
Si Korykos est <strong>le</strong> lieu qui fournit <strong>le</strong><br />
plus d’attestations de métiers après <strong>le</strong> 4 e<br />
sièc<strong>le</strong>, quatre autres cités ou villages en<br />
montrent un nombre relativement impor-‐<br />
tant au regard de la quantité d’épitaphes qui<br />
y ont été trouvées 24 . Les professions attes-‐<br />
tées sont cel<strong>le</strong>s qui relèvent de l’activité<br />
urbaine, ce qui n’est pas étonnant puisque<br />
<strong>le</strong>s épitaphes indiquant des noms de<br />
métiers ont été retrouvées dans des<br />
nécropo<strong>le</strong>s de vil<strong>le</strong>s ou de villages<br />
importants.<br />
Ainsi Hagia Thékla avec ses trente et un<br />
monuments inscrits présente onze professions.<br />
Le sanctuaire de Sainte Thèc<strong>le</strong> devait attirer<br />
de nombreux fidè<strong>le</strong>s. Dès lors la présence<br />
d’un cabaretier est logique 25 ; on se serait<br />
ainsi (Hagel/Tomaschitz 1998, 357 Sel 53), un autre de<br />
‘soldat des archers’ (CIG IV, 454 n° 9216), un troisième<br />
de ‘soldat des archers impériaux’ (CIG IV, 453 n° 9207)<br />
et un quatrième de ‘chef des archers impériaux’ (CIG<br />
IV, 457 n° 9230). Les archers à cheval sont <strong>le</strong> type <strong>le</strong><br />
plus répandu, était-ce ici <strong>le</strong> cas ? Il semb<strong>le</strong> cependant<br />
que dans l’armée romaine, y compris tardive, ce type<br />
d’arme soit secondaire (Richardot 1998, 237). Les<br />
nombreuses mentions, par rapport au total des<br />
militaires, pourrait laisser penser qu’un corps d’archers<br />
stationnait à Sé<strong>le</strong>ucie du Kalykadnos. Il est probab<strong>le</strong><br />
qu’il appartenait à la prima Isaura sagittaria mentionné<br />
au 5 e s. pC dans la Notitia Dignitatum (VII). Il s’agit<br />
« de troupes pré<strong>le</strong>vées à la fin du IV e sièc<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s<br />
troupes limitanei pour venir renforcer cel<strong>le</strong>s du<br />
commitatus » (Rougé 1966, 310). Nos inscriptions<br />
évoquant des archers dateraient alors du 4 e s. pC.<br />
23 En effet, la Notitia Dignitatum ne mentionne qu’une<br />
seu<strong>le</strong> place forte pour ces deux légions ; cel<strong>le</strong>-ci est près<br />
de la mer et anonyme. Certains manuscrits la désignent<br />
sous <strong>le</strong> nom de Tarsus or cette cité est en Cilicie I,<br />
d’autres donnent ce nom à la mer. J. Rougé pense que<br />
cette cité est Sé<strong>le</strong>ucie « puisqu’el<strong>le</strong> est à peu de distance<br />
de l’embouchure du Calycadnos et que <strong>le</strong> siège de la<br />
vil<strong>le</strong> en 354 nous l’a montrée puissamment fortifiée »<br />
(Rougé 1966, 310). Cependant <strong>le</strong>s trois, puis <strong>le</strong>s deux<br />
légions d’Isaurie devaient être réparties dans plusieurs<br />
petits lieux fortifiés (voir Rougé 1966, 311).<br />
24 Je ne compte ici que <strong>le</strong>s lieux où un nombre<br />
relativement important de noms de métiers apparaissent.<br />
Klaudiopolis, par exemp<strong>le</strong>, ne fournit qu’une seu<strong>le</strong><br />
attestation de métier : un marchand de pains<br />
(ἀρτοπρατίσας), d’ail<strong>le</strong>urs la seu<strong>le</strong> fois où cette<br />
profession est attestée (Duchesne 1880, 205 n° 27).<br />
25 Κάπηλος dans Hagel/Tomaschitz 1998, 317 Mer 4.<br />
166<br />
GOUSSÉ<br />
d’ail<strong>le</strong>urs attendu à trouver plus de métiers<br />
relatifs à la restauration et à l’hôtel<strong>le</strong>rie.<br />
Chaque métier mentionné est attesté à une<br />
seu<strong>le</strong> occasion. Ils sont représentatifs de<br />
petites vil<strong>le</strong>s. En effet, il s’agit uniquement<br />
de professions uti<strong>le</strong>s à tous, non presti-‐<br />
gieuses à l’exception de cel<strong>le</strong> de médecin 26 :<br />
artisans de la laine et du lin 27 , tisserand 28 ,<br />
tail<strong>le</strong>ur de pierre 29 , rémou<strong>le</strong>ur 30 , marchand<br />
de légumes 31 , maraîcher/jardinier 32 , fosso-‐<br />
yeur 33 , vannier 34 .<br />
Olba-‐Diocésarée avec ses quarante-‐neuf<br />
inscriptions offre quatorze attestations de<br />
métiers. Cette fois <strong>le</strong>s métiers de l’ali-‐<br />
mentation sont absents. Les métiers de la<br />
construction sont par contre plus présents<br />
puisque l’on en a six attestations (un<br />
architecte ou artisan 35 , trois charpentiers-‐<br />
menuisiers 36 , un marbrier 37 , un peintre 38 ).<br />
Cela peut sans doute s’expliquer par la<br />
situation de ce lieu : dans <strong>le</strong>s contreforts du<br />
Taurus et entouré de forêts de pins. Les<br />
matières premières de plusieurs de ces<br />
métiers sont donc sur place. Les autres mé-‐<br />
tiers sont relatifs à l’habil<strong>le</strong>ment (confec-‐<br />
tionneurs de sagum et de sacs 39 ), à la<br />
gestion de domaine (deux intendants 40 ), à la<br />
cuisine (cuisinier du palais épiscopal 41 ), à la<br />
26 Dans Hagel/Tomaschitz 1998, 319 Mer 19 (lorsque je<br />
n’indique pas <strong>le</strong> terme en grec c’est qu’il est déjà apparu<br />
auparavant).<br />
27 Dans Keil/Wilhelm 1931, 20 n° 38 (λανάριος) et 22<br />
n° 40 (λινοξός).<br />
28 Σαγανάριος dans Keil/Wilhelm 1931, 22 n° 46.<br />
29 Λιθοξός dans Keil/Wilhelm 1931, 22 n° 48.<br />
30 Dans Hagel/Tomaschitz 1998, 317 Mer 8.<br />
31 Il peut aussi s’agir d’un marchand d’herbes :<br />
λαχανοπώλης dans Hagel/Tomaschitz 1998, 317 Mer<br />
6.<br />
32 Κηπουρός dans Keil/Wilhelm 1931, 22 n° 41.<br />
33 Κοπιάτης dans Hagel/Tomaschitz 1998, 317 Mer 4.<br />
34 Σαργανάριος dans Hagel/Tomaschitz 1998, 318 Mer<br />
11.<br />
35 Ἀρχιτέκτων dans Keil/Wilhelm 1931, 77 n° 99.<br />
36 Ξυλικάριος dans Keil/Wilhelm 1931, 74 n° 84, 77 n°<br />
95 et Hicks 1891, 267 n° 60.<br />
37 Μαρμαράριος dans Keil/Wilhelm 1931, 76 n° 91.<br />
38 Ζωγράφος dans Keil/Wilhelm 1931, 74 n° 83.<br />
39 Σαγγάριος dans Keil/Wilhelm 1931, 76 n° 89 et<br />
σακκᾶς dans Hicks 1891, 269 n° 67. Ce dernier terme<br />
pourrait aussi désigner <strong>le</strong> portefaix.<br />
40 Keil/Wilhelm 1931, 77 n° 97 et n° 98.<br />
41 Keil/Wilhelm 1931, 74 n° 82.
vente de mu<strong>le</strong>s 42 , à la chasse (un fauconnier 43 )<br />
et peut-‐être à la garde d’une prison 44 .<br />
Sé<strong>le</strong>ucie du Kalykadnos, riche de cent<br />
huit épitaphes, nous fournit trente et une<br />
attestations de métiers. Nombreux sont <strong>le</strong>s<br />
métiers dont <strong>le</strong> travail facilite la vie<br />
quotidienne des habitants de cette cité :<br />
travail texti<strong>le</strong> (un cardeur/foulon 45 , au<br />
moins deux fabricants de tissus grossiers 46 ,<br />
un tail<strong>le</strong>ur 47 ), du cuir (un fabricant de<br />
chaussures 48 , un tanneur 49 ), de la<br />
construction (deux marbriers 50 ), du métal<br />
(deux métallurgistes 51 ), de l’alimentation<br />
(deux bouchers 52 , un boulanger 53 , trois<br />
maraîchers dont un de cumin 54 ), mais aussi<br />
fabrication d’objets quotidiens (deux<br />
vanniers 55 , un verrier 56 ). Les services sont<br />
beaucoup plus présents dans cette cité :<br />
métiers relatifs à l’exercice de la médecine<br />
(trois médecins dont un public et une sage-‐<br />
femme 57 ), un surveillant de bains privés 58 ,<br />
ou encore un joueur de pandore 59 . On y<br />
trouve éga<strong>le</strong>ment d’autres métiers peu ou<br />
pas attestés dans la région : un fabricant de<br />
chars 60 , un vendeur d’ânes 61 , un<br />
42<br />
Μουλαγόρας dans Keil/Wilhelm 1931, 76 n° 86.<br />
43<br />
Ἱερακάριος dans Keil/Wilhelm 1931, 74 n° 79.<br />
44<br />
Keil/Wilhelm 1931, 74 n° 80.<br />
45<br />
Γναφεύς dans Langlois 1854, 51 n° 157.<br />
46<br />
Ἀγναφάριος dans Keil/Wilhelm, 1931, 17 n° 27.<br />
47<br />
Ῥάπτης dans Keil/Wilhelm, 1931, 14 n° 11.<br />
48<br />
Καλιγάριος dans Keil/Wilhelm 1931, 18 n° 30.<br />
49<br />
Βυρ(σεύς) ou Βυρ(σοποιός) dans CIG IV, 455 n°<br />
9222.<br />
50<br />
Duchesne 1880, 199 n° 8 et n° 9.<br />
51<br />
Χαλκεύς dans CIG IV, 455 n° 9219 et 9220.<br />
52<br />
Μακελλάριος dans Hagel/Tomaschitz 1998, 357 Sel<br />
56 et 358 Sel 59.<br />
53<br />
Μάγκιψ dans CIG IV, 455 n° 9223.<br />
54<br />
Κηπουρός dans Paribeni/Romanelli 1914, 103 n°<br />
79 ; Langlois 1854, 51 n° 157 et 52 n° 168.<br />
55<br />
Σαργανάριος dans Hagel/Tomaschitz 1998, 363 Sel<br />
76 et σαργάριος dans CIG IV, 455 n° 9222.<br />
56<br />
Ὑελιάριος dans Keil/Wilhelm 1931, 14 n° 10.<br />
57<br />
Keil/Wilhelm 1931, 16 n° 22 ; Duchesne 1880, 199 n°<br />
10 ; Hagel/Tomaschitz 1998, 362 Sel 74 pour <strong>le</strong>s<br />
médecins ; Hagel/Tomaschitz 1998, 353 Sel 30 pour la<br />
sage-femme.<br />
58<br />
Πριβατάριος dans Keil/Wilhelm 1931, 17 n° 26.<br />
59<br />
Πανδοῦρος dans Duchesne 1880, 201 n° 19.<br />
60<br />
Probab<strong>le</strong>ment ἁρματοπηγός dans Langlois 1854, 51<br />
n° 161.<br />
EPIGRAPHIE ET HISTOIRE<br />
fauconnier 62 et un monétaire 63 , ce dernier<br />
venant sans doute d’Antioche, ainsi qu’un<br />
vérificateur de monnaies 64 . En comparaison<br />
avec Korykos, la métropo<strong>le</strong> de la province<br />
d’Isaurie semb<strong>le</strong> moins riche et com-‐<br />
merçante. Il convient cependant de noter<br />
que Korykos a fourni un nombre beaucoup<br />
plus important d’inscriptions et que <strong>le</strong><br />
déséquilibre constaté entre Korykos et<br />
Sé<strong>le</strong>ucie puisse n’être que <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t de<br />
recherches archéologiques inéga<strong>le</strong>s.<br />
Le cas de Korasion est intéressant dans <strong>le</strong><br />
sens où il ne s’agit que d’un village qui<br />
semb<strong>le</strong> avoir eu une activité économique<br />
assez importante. En effet, vingt-‐deux noms<br />
de métiers apparaissent. On y trouve encore<br />
des métiers relatifs à la vie de tous <strong>le</strong>s jours<br />
(un confectionneur de chaussures 65 , un<br />
boulanger 66 , un potier 67 , un barbier 68 , un<br />
médecin 69 ), ainsi que des métiers de<br />
services : un conseil<strong>le</strong>r juridique 70 , un<br />
gardien 71 , un teneur de comptes 72 . Le grand<br />
nombre de marchands d’hui<strong>le</strong> 73 , plus<br />
important qu’à Korykos, mais aussi la<br />
présence de trois cabaretiers 74 , d’un<br />
marchand de boissons ou de nourriture<br />
chaude 75 , ou encore cel<strong>le</strong> d’un graveur sur<br />
gemmes 76 , laisse supposer une activité<br />
commerçante accrue sans doute liée à la<br />
présence d’un port naturel et à la proximité<br />
de Korykos. En effet, ce village profite sans<br />
61<br />
Probab<strong>le</strong>ment ὀννάριος dans Hagel/Tomaschitz<br />
1998, 358 Sel 58.<br />
62<br />
Keil/Wilhelm 1931, 15 n° 17.<br />
63<br />
Μονιτάριος dans Aström 1990, 57 n° 1.<br />
64<br />
Ζυγοστάτης dans Hagel/Tomaschitz 1998, 363 Sel<br />
79.<br />
65<br />
Keil/Wilhelm 1931, 110 n° 131.<br />
66<br />
Ἀρτοκόπος dans Keil/Wilhelm 1931, 114 n° 170.<br />
67<br />
Κεραμεύς dans CIG IV, 452-453 n° 9201.<br />
68<br />
Κουρεύς dans Keil/Wilhelm 1931, 115 n° 177.<br />
69<br />
Keil/Wilhelm 1931, 114 n° 167.<br />
70<br />
Νομικός dans Keil/Wilhelm 1931, 111 n° 136.<br />
71<br />
Φύλαξ dans Keil/Wilhelm 1931, 110 n° 126.<br />
72<br />
Ταβουλάριος dans Keil/Wilhelm 1931, 112 n° 161.<br />
73<br />
Ἐλαιοπώλης dans Keil/Wilhelm, 1931, 108 n° 114,<br />
111 n° 139 et 140, 112 n° 162, 114 n° 164a et n° 172.<br />
74<br />
Κάπηλος dans Keil/Wilhelm 1931, 115 n° 184 et116<br />
n° 192. Ποπινάριος (?) dans Keil/Wilhelm 1931, 114<br />
n° 168.<br />
75<br />
Θερμοπώλης dans Keil/Wilhelm 1931, 114 n° 165.<br />
76<br />
Καβιδάριος dans Keil/Wilhelm 1931, 108 n° 118.<br />
167
doute de l’arrivée des navires à Korykos<br />
dont certains amarraient peut-‐être à<br />
Korasion. Plusieurs courriers, attestés à<br />
Korykos, étaient spécialisés dans <strong>le</strong> trajet<br />
entre cette cité et <strong>le</strong> village. Il faut<br />
cependant être conscient que certaines<br />
personnes inhumées à Korasion, car<br />
originaires de ce lieu, pouvaient travail<strong>le</strong>r à<br />
Korykos, située non loin. En outre, il semb<strong>le</strong><br />
que Korasion soit <strong>le</strong> port fortifié, édifié peu<br />
avant 375 pC, pour faciliter <strong>le</strong> rapport entre<br />
Sé<strong>le</strong>ucie du Kalykadnos et la mer que <strong>le</strong>s<br />
incursions isauriennes menaçaient 77 . Des<br />
artisans ont pu s’y instal<strong>le</strong>r pour des raisons<br />
économiques.<br />
Korykos est <strong>le</strong> lieu où sont majo-‐<br />
ritairement attestées <strong>le</strong>s activités profes-‐<br />
sionnel<strong>le</strong>s. Il convient de garder à l’esprit<br />
que la nécropo<strong>le</strong> de cette cité a été<br />
particulièrement bien conservée, bien<br />
mieux que cel<strong>le</strong> des autres sites étudiés,<br />
puisque 648 épitaphes sont parvenues<br />
jusqu’à nous. Presque toutes <strong>le</strong>s catégories<br />
de métiers sont représentées, allant de ceux<br />
qui ne nécessitent aucune qualité<br />
particulière (gardien par exemp<strong>le</strong> 78 ) à ceux<br />
demandant un savoir-‐faire précis (orfèvre 79 ,<br />
brodeur 80 ) ou une connaissance intel-‐<br />
<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> (médecin 81 , notaire 82 ). Si <strong>le</strong>s<br />
métiers dont <strong>le</strong>s produits ou <strong>le</strong>s services<br />
servant à la vie quotidienne sont bien<br />
représentés, il est intéressant de noter<br />
l’importance de ceux liés au commerce, à la<br />
restauration et à l’hôtel<strong>le</strong>rie, à l’argent, mais<br />
surtout la présence de nombreux métiers<br />
77<br />
A ce sujet voir Rougé 1966, 296.<br />
78<br />
Παραφύλαξ dans Keil/Wilhelm 1931, 199 n° 683.<br />
79<br />
Αὐράριος : Duchesne 1883, 242 n° 36 ;<br />
Keil/Wilhelm 1931, 152 n° 348 et 161 n° 413.<br />
Πρωταυράριος : Keil/Wilhelm 1931, 150 n° 335, 152<br />
n° 351, 162 n° 428 et 188 n° 607. Χρυσοχόος :<br />
Duchesne 1883, 235 n° 10, 246 n° 54 et n° 55 ;<br />
Keil/Wilhelm 1931, 160-161 n° 411, 162 n° 423 et 175<br />
n° 517.<br />
80<br />
Πλουμάριος : Keil/Wilhelm 1931, 144 n° 285, 154<br />
n° 364 (?), 156 n° 378 (?), 159 n° 404, 162 n° 429, 165<br />
n° 441, 172 n° 496, 176 n° 523 (?), 195 n° 665, 199 n°<br />
685 et peut-être βαρ(βαρικάριος) : Keil/Wilhelm<br />
1931, 142 n° 266.<br />
81<br />
Keil/Wilhelm 1931, 160 n° 409, 176 n° 528 et 190 n°<br />
617.<br />
82<br />
Νοτάριος : Duchesne 1883, 244 n° 45.<br />
168<br />
GOUSSÉ<br />
relatifs à des denrées de luxe : brodeurs,<br />
dont peut-‐être un de fils d’or 83 , fabricants<br />
ou marchands de linon 84 , confectionneurs<br />
de chaussures de luxe 85 , nombreux<br />
marbriers 86 , marchands de blé de qualité<br />
supérieure 87 , pâtissiers spécialisés 88 , pêcheurs<br />
de pourpres 89 , orfèvres 90 , graveurs sur<br />
gemmes 91 , parfumeurs 92 , ou encore<br />
fabricants de papyrus 93 . Il semb<strong>le</strong> bien que<br />
Korykos soit un centre de commerce<br />
important, notamment maritime, avec<br />
l’exportation de produits de la région : vin,<br />
hui<strong>le</strong>… qui nécessite la présence de lieux de<br />
restauration et d’hôtel<strong>le</strong>rie pour <strong>le</strong>s<br />
marchands de passage tout comme la<br />
présence de banquiers. L’importance des<br />
potiers 94 , presque exclusivement attestés à<br />
Korykos, peut s’expliquer par la nécessité<br />
de contenants pour <strong>le</strong>s denrées exportées.<br />
Les services sont particulièrement bien<br />
représentés, ce qui n’étonne pas dans une<br />
vil<strong>le</strong> portuaire dont l’activité économique ne<br />
83 Keil/Wilhelm 1931, 142 n° 266.<br />
84 Ὀθονιακός : Keil/Wilhelm 1931, 182 n° 558 et 562 ;<br />
Langlois 1854, 42 n° 116 ; Duchesne 1883, 244 n° 42 et<br />
n° 43.<br />
85 Καλιγάριος βαβυλωναρίου : Duchesne 1883, 243<br />
n° 40.<br />
86 Keil/Wilhelm 1931, 143 n° 273, 180 n° 554, 199 n°<br />
683 et 204 n° 721.<br />
87 Σιλιγνάριος : Keil/Wilhelm 1931, 201 n° 700 et 205<br />
n° 727.<br />
88<br />
Βασυμνιάτης : Keil/Wilhelm 1931, 192 n° 645.<br />
Ἰτράριος : Duchesne 1883, 242 n° 35 ; Keil/Wilhelm<br />
1931, 180 n° 549. Παστιλλάριος : Keil/Wilhelm 1931,<br />
172 n° 495, 191 n° 636 et 209 n° 754. Pour des<br />
précisions sur ces termes voir Goussé 2009 (<strong>volume</strong> 1),<br />
346.<br />
89<br />
Κογνυλεύς : Langlois 1854, 43 n° 126 ;<br />
Keil/Wilhelm 1931, 147 n° 309 et 187 n° 601.<br />
ἀσπαραγυλιωκογξυλεύς (pêcheur à casier de murex) :<br />
Keil/Wilhelm 1931, 198-199 n° 681.<br />
90<br />
Voir note 79.<br />
91<br />
Keil/Wilhelm 1931, 136 n° 226 et 144 n° 289.<br />
92<br />
Μυρεψός : Keil/Wilhelm 1931, 144 n° 289, 151 n°<br />
344, 166 n° 448, 200 n° 699 et 202 n° 712.<br />
93<br />
Χαρτυφάντης : Keil/Wilhelm 1931, 147 n° 310 et<br />
154 n° 361.<br />
94<br />
Κεραμεύς : Langlois 1854, 41 n° 115 ; Duchesne<br />
1883, 235 n° 11, 240 n° 26-28 ; Keil/Wilhelm 1931, 134<br />
n° 220, 138 n° 251, 143 n° 276, 144 n° 283, 150 n° 326,<br />
151 n° 337 et n° 346, 161 n° 411 et n° 412, 172 n° 491<br />
et n°492, 175 n° 512, 176 n° 519, 191 n° 627 et n° 635,<br />
192 n° 640, 201 n° 702 et n° 708, 204 n° 726 et 206 n°<br />
737. Ὀστρακάριος : Keil/Wilhelm 1931, 202 n° 718.
fait aucun doute. L’importance de<br />
l’exportation explique éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s<br />
nombreux métiers relatifs à l’activité<br />
portuaire. L’activité texti<strong>le</strong> est très présente<br />
et devait à la fois alimenter <strong>le</strong> marché local<br />
et celui extérieur. Cel<strong>le</strong>-‐ci montre d’ail<strong>le</strong>urs<br />
une forte division des tâches 95 . Enfin, il<br />
convient de souligner <strong>le</strong> cumul d’activités,<br />
bien souvent par des personnes exerçant<br />
des professions dont <strong>le</strong>s revenus devaient<br />
être faib<strong>le</strong>s, et l’exercice de professions par<br />
des c<strong>le</strong>rcs majeurs 96 . Quelques épitaphes<br />
nous fournissent <strong>le</strong>s professions de<br />
plusieurs membres d’une même famil<strong>le</strong> 97 .<br />
Des professions semb<strong>le</strong>nt être perpétuées<br />
par plusieurs membres de la famil<strong>le</strong> pour<br />
des raisons probab<strong>le</strong>ment économiques ou<br />
de transmission du savoir. D’autres<br />
épitaphes en revanche nous indiquent<br />
l’exercice de divers métiers dans une même<br />
famil<strong>le</strong>, mais ceux-‐ci restent bien souvent<br />
d’un niveau social comparab<strong>le</strong>. Seul fait<br />
notab<strong>le</strong>, l’absence d’enseignants ou de<br />
domestiques dans <strong>le</strong>s épitaphes postérieures au<br />
4 e s. pC 98 , ainsi que <strong>le</strong> très faib<strong>le</strong> nombre de<br />
personnes travaillant dans <strong>le</strong>s arts 99 .<br />
95<br />
On trouve des artisans de la laine, du lin, des<br />
blanchisseurs ou fabricants de mante<strong>le</strong>ts, des brodeurs,<br />
des cardeurs, des confectionneurs de braies, des<br />
fabricants d’habits, des fabricants ou vendeurs de<br />
linons, des fabricants de sacs, de tissus grossiers non<br />
foulés, des peigniers (ou fabricants de trieuses à laine),<br />
des tail<strong>le</strong>urs, des vendeurs de lin, un vendeur de<br />
manteaux, un autre de clannis, des tisserands dont un<br />
spécialisé dans <strong>le</strong> lin, un tail<strong>le</strong>ur ou encore un<br />
dégraisseur. Sur ces métiers voir Goussé 2009 (<strong>volume</strong><br />
1), 331-334.<br />
96<br />
Par exemp<strong>le</strong> un archidiacre est éga<strong>le</strong>ment médecin<br />
(Duchesne 1883, 245 n° 50). Pour l’ensemb<strong>le</strong> des<br />
résultats voir Goussé 2009 (<strong>volume</strong> 1), 362-364.<br />
97<br />
Pour <strong>le</strong>s résultats voir Goussé 2009, 355-357.<br />
98<br />
S’explique par la pauvreté et <strong>le</strong>ur statut pouvant être<br />
servi<strong>le</strong>.<br />
99<br />
On note la présence d’un joueur de pandore<br />
(Duchesne 1880, 201 n° 19) et peut-être d’un aulète<br />
(Keil/Wilhelm 1931, 180 n° 554).<br />
EPIGRAPHIE ET HISTOIRE<br />
Si la contribution des épitaphes à la<br />
connaissance des métiers et des activités de<br />
la région est importante, tout au moins pour<br />
la période postérieure au 4 e s. pC, <strong>le</strong>s<br />
inscriptions funéraires n’apportent presque<br />
rien dans d’autres domaines tels que <strong>le</strong>s<br />
institutions. En effet, el<strong>le</strong>s ne mentionnent<br />
que des magistratures et ce dans de rares<br />
cas. Une étude des autres types d’inscriptions<br />
sera nécessaire pour dresser un tab<strong>le</strong>au<br />
plus réaliste des institutions de la région. Je<br />
commence désormais à approfondir l’étude<br />
de la société cilicienne à travers la<br />
documentation épigraphique autre que<br />
funéraire, qu’il s’agisse d’inscriptions hono-‐<br />
rifiques, de construction ou encore de<br />
décrets.<br />
E. Goussé<br />
169
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Rougé, J. (1966), “L'histoire auguste et l'Isaurie au IV e sièc<strong>le</strong>”, REA 68, 282-‐315.<br />
171
172<br />
GOUSSÉ