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ACTANCE ET CHANGEMENTS DE VALENCE EN KRYZ Gilles - IFEA

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<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong> 1<br />

Cahiers de linguistique de l’INALCO, 2003/5.<br />

<strong>Gilles</strong> AUTHIER<br />

INALCO / EPHE<br />

P r é a m b u l e<br />

La notion de sujet, héritée de la grammaire des langues classiques, résiste<br />

difficilement à la prise en considération des langues ergatives, dans lesquelles<br />

l’agent des verbes transitifs est, par définition, traité différemment de l’actant<br />

unique des verbes intransitifs, tandis que ce dernier s’aligne sur l’objet des<br />

verbes transitifs. Ainsi, dans les langues caucasiques du Nord-Est, où l’on est<br />

amené à parler plutôt de « prime actant » (Charachidzé, 1982) pour les<br />

fonctions de sujet intransitif et d’objet direct, par opposition à l’agent, ou à<br />

l’expérient, marqués par d’autres cas, ou référencés par d’autres marques, ou<br />

même aucune marque, sur le verbe.<br />

On présentera ici les valences fondamentales et leurs transformations<br />

possibles dans une langue très peu documentée, le kryz, à partir de données<br />

inédites. Parlé par quelques centaines de locuteurs dans le nord de<br />

l’Azerbaïdjan, le kryz appartient à la branche Sud de la famille caucasique du<br />

Nord-Est, dont il peut fournir, s’agissant de l’actance, une image exemplaire 2 ..<br />

Les quelque trente langues qui la constituent présentent toutes une riche<br />

morphologie agglutinante tant sur le nom que sur le verbe ; ce dernier<br />

s’accorde en classe avec l’actant Z/Y (terminologie de G. Lazard, 1994 = S/O<br />

dans la terminologie de R. Dixon, 1994), ce qui caractérise une<br />

morphosyntaxe ergative au niveau de la phrase simple, où l’ordre des<br />

constituants est globalement A/S-(O)-V. Le kryz se distingue par une richesse<br />

particulière en phénomènes rares, comme l’existence d’une voix passive bien<br />

que la langue soit ergative, le marquage différentiel du bénéficiaire, ou<br />

l’existence d’une voix capacitative à sujet à l’adélatif.<br />

Les exemples sont transcrits dans l’alphabet latin récemment adapté à<br />

l’azéri, langue nationale connue de tous les locuteurs adultes, augmenté des<br />

1 Les données présentées ici ont pu être collectées lors de missions de terrain en<br />

Azerbaïdjan, grâce à l’aide de l’équipe CNRS/INALCO « Centre Georges Dumézil d’Études<br />

Comparées Irano-caucasiennes » sous la direction de Dominique Gauthier-Eligoulachvili. Cet<br />

article a par ailleurs tiré un profit considérable des remarques critiques de Gilbert Lazard et de<br />

Denis Creissels.<br />

2 À la différence du lezgi décrit par M. Haspelmath, qui a entièrement perdu l’accord de<br />

classe.


2<br />

G. AUTHIER<br />

signes /’/ = glottalisation, /°/ = pharyngale non sourde, et des digraphes /xh/ et<br />

/gh/ = spirantes vélaires :<br />

mode<br />

constrictives<br />

(sonores)<br />

ordre<br />

labial alvéolaire palatal vélaire uvulaire glottal<br />

v z j gh<br />

indéterminées b d c g<br />

occlusives<br />

glottalisées<br />

p’ t’ ts’ ç’ k’ k’v q’ q’v ‘<br />

occlusives<br />

p t ç k kv q qv<br />

aspirées<br />

constrictives<br />

sourdes<br />

f s ş xh x xv<br />

h<br />

sonantes m, n, r, l, y<br />

voyelles u, i, e, a<br />

C o n s t r u c t i o n s d e b a s e<br />

P r é d i c a t s i n t r a n s i t i f s<br />

Les prédicats intransitifs ne font intervenir, dans leur construction et leur<br />

signification de base, qu’un « prime actant » Z (Lazard) ou S (Dixon), au cas<br />

absolutif non marqué qui contrôle leur accord selon quatre classes nominales 3 .<br />

Ainsi avec la copule, obligatoire dans les prédicats non verbaux, nominaux et<br />

adjectivaux :<br />

1. gada-ya<br />

garçon(ABS)-COP.M<br />

C’est un garçon.<br />

2. °ayara-yu<br />

beau-COP.F<br />

Elle est belle.<br />

Cet indice actanciel ne spécifie pas la personne, qui relève surtout 4 de<br />

pronoms autonomes :<br />

3. zin / vun … gada-ya<br />

1 2 garçon(ABS)-COP.M<br />

Je suis / tu es… un garçon.<br />

Les verbes intransitifs monoactanciels s’accordent de même, que le<br />

« sujet » soit agentif ou non agentif, volontaire ou involontaire :<br />

3 Cet accord est préfixé et/ou suffixé à la racine verbale, généralement monoconsonantique.<br />

Les morphèmes d’accord et les principes qui déterminent la classe des noms<br />

sont relativement complexes et ne rentrent pas dans la problématique de cette étude.<br />

4 Sauf à l’impératif, qui présente des désinences différenciées selon la personne.<br />

gv<br />

ğ<br />

ğv<br />

°


<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong><br />

4. gada ø-acn-id<br />

garçon.ABS (M)-parler-AOR.M.<br />

Le garçon parla.<br />

5. riş v-acin-d-u<br />

fille.ABS F-parler-AOR-F<br />

La fille parla.<br />

6. gada ø-asr-id<br />

garçon.ABS (M)-trembler-AOR.M<br />

Le garçon trembla.<br />

7. riş v-asur-d-u<br />

fille.ABS F-trembler-AOR-F<br />

La fille trembla.<br />

Certains verbes intransitifs volontaires, « de mouvement », ont un préverbe<br />

situé avant la marque d’accord, et se construisent avec un régime oblique à un<br />

cas « spatial » ou « locatif » dont la désinence casuelle a la même origine –<br />

adverbiale – que le préverbe :<br />

8. barkan q’acil-a °a-b-ç’-d-u<br />

cheval(F).ABS étable-IN PV-F-aller-AOR-F<br />

Le cheval entra dans l’étable.<br />

Certains verbes biactanciels sont également préverbés en kryz, et leur objet<br />

se construit à un cas spatial, mais sans corrélation formelle avec le préverbe ;<br />

ils doivent être analysés comme des verbes intransitifs à construction oblique,<br />

dont l’origine métaphorique est estompée. Ainsi le verbe « croire » qui<br />

signifie d’abord « se fier (à) » :<br />

9. riş gada-ğ °u-b-ğur-d-u<br />

fille.ABS garçon-SUPER PV-F-croire-AOR-F<br />

La fille crut le garçon / se fia au garçon.<br />

10. gada riş.i-ğ °u-ø-ğur-d<br />

garçon.ABS fille-SUPER PV-M-croire-AOR.M<br />

Le garçon crut la fille.<br />

Dernière catégorie de verbes intransitifs, les verbes de perception sont<br />

involontaires dans leur valence de base, et dénotent en fait un simple stimulus.<br />

Ils peuvent, facultativement, admettre dans leur construction un « expérient »<br />

au datif 5 ; celui-ci se place habituellement, contrairement aux compléments ou<br />

objets obliques, en position initiale (comme l’agent des verbes transitifs, cf.<br />

infra) ; c’est l’origine du stimulus, au cas absolutif non marqué, qui contrôle<br />

l’accord :<br />

infra.<br />

11. riş.i-z gada i-r-qa-d<br />

fille-DAT garçon(ABS) PV-M-voir-AOR.M<br />

La fille a vu le garçon.<br />

5 Le datif sert aussi à marquer le destinataire des verbes transitifs du type « donner », cf.<br />

3


4<br />

G. AUTHIER<br />

12. gada-z riş i-b-qa-d-u<br />

garçon-DAT fille(ABS) PV-F-voir-AOR-F<br />

Le garçon a vu la fille.<br />

Il existe d’assez nombreux exemples d’énoncés où l’expérient est<br />

totalement indéterminé ; il est de facto toujours omissible :<br />

13. barakattu k’ul baca.c-a°.ar<br />

prospère maison.F cheminée-INEL<br />

ğa-rfar-i xhimi.c-v.ar v-ats’ar-yu<br />

PV-IPF.sortir-PART fumée-A<strong>DE</strong>L F-savoir-PRES.F<br />

Une maison prospère se reconnaît à la fumée qui sort de la cheminée.<br />

14. (gada-z) riş v-ats’ar-yu<br />

garçon-DAT fille.ABS F-savoir-PRES.F<br />

(Le garçon)/ il connaît la fille.<br />

On notera qu’à l’imperfectif, tous les verbes intransitifs présentent un<br />

vocalisme radical en a :<br />

15. riş v-acan-y-u<br />

fille.ABS F-parler.IPF-PRES-F<br />

La fille parle.<br />

16. riş °a-rç’ar-yu<br />

fille.ABS PV-entrer.IPF-PRES.F<br />

La fille entre.<br />

17. riş gada-ğ °u-rğar-yu<br />

fille.ABS garçon-SUPER PV-croire.IPF-PRES.F<br />

La fille fait confiance au garçon.<br />

18. gada-z riş i-u-rqar-yu<br />

garçon-DAT fille.ABS PV-F-voir.IPF-PRES.F<br />

Le garçon voit la fille.<br />

P s e u d o - t r a n s i t i v i t é<br />

Un seul verbe connaît exceptionnellement une construction avec deux<br />

termes à l’absolutif. Il s’agit de « parler (de quelque chose) » ; c’est le terme<br />

le plus agentif qui contrôle l’accord (celui en fonction S ; l’autre absolutif ne<br />

tient sans doute pas à proprement parler le rôle d’un Objet) :<br />

19. riş haqsab v-acan-yu<br />

fille.ABS salaire(N).ABS F-parler-PRES.F<br />

La fille discute le salaire.<br />

La position respective des actants n’est pas discriminante, et ne sert qu’à la<br />

thématisation de l’objet (position initiale) et à la focalisation de l’agent<br />

(position préverbale) :<br />

20. haqsab riş v-acan-yu<br />

salaire(N).ABS fille.ABS F-parler-PRES.F<br />

Le salaire, c’est la fille qui le discute.


<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong><br />

P r é d i c a t s t r a n s i t i f s<br />

T y p e n o r m a l b i a c t a n c i e l<br />

Dans la construction des verbes transitifs, c’est l’objet qui est requis, au<br />

moins sous la forme d’un indice actanciel anaphorique affixé au verbe, et<br />

contrôle l’accord de celui-ci selon la classe du référent (Lazard : Y ; Dixon :<br />

O). S’il est explicité, l’objet présente la même absence de marque casuelle que<br />

le « sujet » (Z ; S) des verbes intransitifs, cas dit « absolutif ». En revanche,<br />

l’agent de prédicat transitif (Lazard : X ; Dixon : A) est à un cas marqué<br />

« ergatif », et peut toujours être omis 6 :<br />

21. (gada-r) (gaç-Ø) v-ata-d-u<br />

garçon-ERG chat(F).ABS F-battre-AOR-F<br />

Il / (le garçon) l’a battu (le chat).<br />

L’énoncé minimal isolable de ce dernier exemple est v-ata-d-u « elle a été<br />

frappée », avec un objet-référent féminin spécifié par l’accord (pré- et<br />

suffixé), tandis que l’agent demeure exclu de ce noyau premier.<br />

L’interversion des actants permet de focaliser l’agent ou de thématiser<br />

l’objet, selon le terme sur lequel porte l’accent de phrase :<br />

22. riş gada-r v-ata-d-u<br />

fille.ABS garçon-ERG F-frapper-AOR-F<br />

C’est le garçon qui a frappé la fille / la fille a été frappée par le garçon.<br />

F r a c t u r e d ’ e r g a t i v i t é s u r l e s i n t e r l o c u t i f s<br />

Alors que les démonstratifs, qui servent de pronoms de troisième personne,<br />

ont un marquage casuel ergatif identique aux noms, les pronoms personnels<br />

de première et seconde personnes, « interlocutifs », présentent deux fractures<br />

d’actance, conforme à leur statut pragmatique particulier dans la hiérarchie de<br />

Silverstein.<br />

En tant que nominaux particulièrement susceptibles d’être en fonction Z/X<br />

(= S/A), les pronoms de première et de seconde personne ne portent pas de<br />

marque casuelle ergative, et emploient la même forme pour X (Agent) que<br />

pour la fonction « actant unique de verbe intransitif » (Z ou S). C’est une<br />

première fracture d’actance par rapport à tous les autres nominaux, hormis les<br />

pronoms réfléchis, cf. infra :<br />

23. zin gaç-Ø v-ata-d-u<br />

1(ERG) chat(F).ABS F-battre-AOR-F<br />

J’ai battu (le chat).<br />

24. zin ğa-b-ç’-d-u<br />

1(F)(ABS) PV-F-sortir-AOR-F<br />

Je suis sortie.<br />

6 Sauf aux 1 re et 2 e personnes, où il est indiqué par des pronoms autonomes. Il n’y a pas<br />

d’accord en classe avec l’agent, sauf à l’impératif, si l’agent est pluriel.<br />

5


6<br />

G. AUTHIER<br />

Pour la fonction Objet (Y), c’est la présence d’un agent marqué à l’ergatif<br />

qui est distinctive :<br />

25. gada-r zin v-ata-d-u<br />

garçon-ERG 1(F)(ABS) F-battre-AOR-F<br />

Le garçon m’a battue.<br />

26. zin gada-r v-ata-d-u<br />

1(F)(ABS) garçon-ERG F-battre-AOR-F<br />

C’est le garçon qui m’a battue.<br />

Si à la fois la fonction Agent et la fonction Objet sont remplies par un<br />

pronom interlocutif, deux pronoms sont nécessaires, et la stratégie est très<br />

différente selon que S/A réfère à la première ou à la seconde personne<br />

(deuxième fracture d’actance).<br />

Si c’est la première personne qui est A, elle est exprimée deux fois, la<br />

seconde occurrence prenant une forme réduite (sans n final) et proclitique au<br />

pronom de deuxième personne (Objet) :<br />

27. zin 7 zi-vun v-ata-d-u<br />

1(ERG) 1.ERG-2(F)(ABS) F-battre-AOR-F<br />

Je t’ai battue.<br />

La focalisation de cet agent pronominal n’est pas possible en position<br />

préverbale, et se fait par enclise au prédicat d’une troisième occurrence du<br />

même pronom :<br />

28. zin zi-vun v-ata-d-u -zin<br />

1(ERG) 1.ERG-2(F)(ABS) F-battre-AOR-F 1(ERG)<br />

C’est moi qui t’ai battue.<br />

Si c’est la seconde personne qui est A, les deux pronoms sont accentués et<br />

autonomes :<br />

29. vun zin v-ata-d-u<br />

2(ERG) 1.(F)(ABS) F-battre-AOR-F<br />

Tu m’as battue.<br />

Dans le cas des prédicats affectifs, l’expérient même pronominal est<br />

toujours marqué au datif, seule la fonction S peut provoquer le dédoublement<br />

et la proclise du pronom, et seulement à la première personne, à l’instar de la<br />

fonction A dans le prédicat transitif :<br />

30. zin zi-va-z i-b-qa-d-u (-va-z)<br />

1(F)(ABS) 1(F)(ABS)-2-DAT PV-F-voir-AOR-F 2-DAT<br />

C’est toi qui m’as vue.<br />

Le pronom de deuxième personne, comme dans le cas du prédicat transitif,<br />

ne peut pas être clitisé. La position des pronoms, tous deux toniques, distingue<br />

simplement le topique, à l’initiale :<br />

7 Il n’y a pas de pause entre zin et zivun.


<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong><br />

31. vun za-z i-b-qa-d-u<br />

2(F)(ABS) 1-DAT PV-F-voir-AOR-F<br />

Toi, je t’ai vue.<br />

32. za-z vun i-b-qa-d-u<br />

1-DAT 2(F)(ABS) PV-F-voir-AOR-F<br />

Moi, je t’ai vue.<br />

V e r b e s t r a n s i t i f s à c o m p l é m e n t s p a t i a l<br />

De très nombreux verbes transitifs ont, comme les verbes intransitifs de<br />

mouvement, un préverbe de sens spatial qui peut être corrélé à l’un des cas<br />

spatiaux ou locatifs :<br />

33. gada-r riş (k’ina.c-iv) vu-b-t’ul-d-u<br />

garçon-ERG fille(ABS) arbre-AD PV-F-lier.à-AOR-F<br />

Le garçon a attaché la fille (à l’arbre).<br />

34. riş.i-r fuv (tandir-a) °a-t’-ic<br />

fille-ERG pain(N)(ABS) four-IN PV-piquer.dans-AOR.N<br />

La fille enfourna le pain (dans le four).<br />

35. gada-r hasa (q’um-uğ) ğe-t’-ic<br />

garçon-ERG bâton(N)(ABS) sol-SUPER PV-piquer.sur-AOR.N<br />

Le garçon frappa de son bâton (par terre).<br />

Mais on peut nuancer, sans corrélation, de façon à croiser et dissocier les<br />

spécifications de localisation :<br />

36. gada-r hasa (q’um-a) ğe-t’-ic<br />

garçon-ERG bâton(N)(ABS) sol-IN PV-piquer.sur-AOR.N<br />

Le garçon planta son bâton (dans le sol).<br />

V e r b e s d i t r a n s i t i f s<br />

Des verbes de sens « donner » marquent l’objet indirect ou « destinataire »<br />

par le même cas datif affecté par ailleurs au marquage de l’expérient (cf.<br />

supra) :<br />

37. buba-r riş gada-z vu-d-u<br />

père-ERG fille(ABS) garçon-DAT donner-AOR-F<br />

Le père a donné sa fille au garçon.<br />

Il est également possible de marquer l’objet indirect par un cas oblique<br />

spatial, l’Adlocatif (suffixe –v) déjà observé avec un verbe à préverbe spatial<br />

vu- ; dans ce cas, une nuance sémantique intervient : la transmission de l’objet<br />

direct à l’objet indirect est provisoire (sur cette « syntaxe de secours » des cas,<br />

cf. A. Christol, in AVLE, p. 503) :<br />

38. buba-r barkan gada-v vu-d-u<br />

père-ERG cheval(F)(ABS) garçon-AD donner-AOR-F<br />

Le père a confié le cheval au garçon.<br />

7


8<br />

G. AUTHIER<br />

V e r b e s à o b j e t o b l i q u e<br />

Quelques très rares verbes transitifs ne font pas apparaître d’objet à<br />

l’absolutif, et régissent un cas « oblique » (Directif, Apudlocatif, Datif). Il<br />

s’agit là aussi de verbes de contact, mais cette fois-ci avec une partie du corps<br />

susceptible d’être tabouisée (sexe, œil, dent). Ils doivent être rapprochés des<br />

verbes de contact avec instrument, donc la construction habituelle dans les<br />

langues caucasiques (cf. G. Charachidzé, 1982, p. 157) est avec le nom<br />

d’instrument à l’absolutif et l’endroit touché à un cas oblique.<br />

En kryz, l’objet semble être omis par euphémisme, ainsi dans le cas de<br />

satayc + APUD « futuere » qui signifie étymologiquement « ficher », cf. alld.<br />

ficken).<br />

Dans le cas de k’i-sric « mordre », on a une construction complète « mordre quelqu’un (DAT) à un endroit (ABS) du corps », mais<br />

en pratique, l’objet à l’absolutif reste généralement non spécifié : l’accord est<br />

par défaut au neutre.<br />

Dans le cas du verbe ikayc « regarder », toute expression d’un actant à<br />

l’absolutif – l’œil, par définition mauvais – est exclue, et l’accord du verbe est<br />

encore par défaut au neutre. C’est la tournure « anti-impersonnelle »,<br />

identifiée par G. Lazard (1995) dans d’autres langues ergatives comme le<br />

hindi et le basque :<br />

39. gada-r riş.i-xvan i-k-re<br />

garçon-ERG fille-DIR PV-regarder-PRES.N<br />

Le garçon regarde la fille.<br />

40. riş.i-r gada-xvan i-k-re<br />

fille-ERG garçon-DIR PV-regarder-PRES.N<br />

La fille regarde le garçon.<br />

R é d u c t i o n s d e v a l e n c e<br />

R é f l e x i v i t é<br />

Au niveau de la phrase simple, la réflexivité est contrôlée par l’actant S, A,<br />

ou E.<br />

Dans un prédicat réfléchi intransitif monoactanciel, la réflexivité ne<br />

concerne que les possessifs. À la troisième personne, des pronoms spécifiques<br />

dit emphatiques, non marqués au génitif, sont distincts des démonstratifs :<br />

41. zin z.a k’ul.c-a °a-xhur-d-u<br />

1(F)(ABS) 1.G<strong>EN</strong> maison-IN PV-arriver-AOR-F<br />

Je suis rentrée chez moi.<br />

42. vun v.a k’ul.c-a °a-xhur-d-u<br />

2(F)(ABS) 2.G<strong>EN</strong> maison-IN PV-arriver-AOR-F<br />

Tu es rentrée chez toi.<br />

43. a-d ic k’ul.c-a °a-xhur-d-u<br />

3DIST-nonN.ABS 3REFL.F(G<strong>EN</strong>) maison-IN PV-arriver-AOR-F<br />

Elle est rentrée chez elle / soi.


<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong><br />

44. a-d a-n k’ul.c-a °a-xhur-d-u<br />

3DIST-nonN.ABS 3DIST-H.G<strong>EN</strong> maison-IN PV-arriver-AOR-F<br />

Elle est rentrée chez elle (une autre) /lui.<br />

Dans les prédicats initialement pluri-actanciels, si la réflexivité est de type<br />

possessif, et que l’expérient ou l’agent est un nom ou un pronom anaphorique,<br />

il n’apparaît pas de problème particulier :<br />

45. riş.i-z ic q’il i-b-qa-d-u<br />

fille-DAT 3REFL.F(G<strong>EN</strong>) tête(F) PV-F-voir-AOR-F<br />

le garçon a vu sa (propre) tête.<br />

46. a-n-iz ug q’il i-b-qa-d-u<br />

3DIST-H-DAT 3REFL.M(G<strong>EN</strong>) tête(F) PV-F-voir-AOR-F<br />

Il/elle a vu sa (propre) tête.<br />

47. (gada-z) a-n q’il i-b-qa-d-u<br />

garçon-DAT 3DIST-H.G<strong>EN</strong> tête(F) PV-F-voir-AOR-F<br />

(Le garçon /) il a vu sa tête (celle d’un autre).<br />

48. buba-r ug riş v-ata-d-u<br />

père-ERG 3REFL.M fille.ABS F-frapper-AOR-F<br />

Le père / il a frappé sa (propre) fille.<br />

Si, en revanche, la réflexivité entraîne une réduction de valence, c’est-àdire<br />

s’il y a coréférence entre deux actants, on assiste à des modifications<br />

complexes sur les pronoms. Des formes spéciales de réfléchis dédoublés,<br />

saisissables à divers degrés de clitisation, affichent une fracture d’actance au<br />

singulier où, comme sur les pronoms interlocutifs vus plus haut, une forme<br />

commune non marquée syncrétique neutralise l’opposition ergatif / absolutif.<br />

Ainsi à la troisième personne :<br />

3M 3F(/N) 3HPL 3non HPL<br />

< ERG ; ABS > ug-ug ic-ic gir-gi-b ib-ib<br />

< ABS ; DAT > ug-uguz ic-iciz gib-gez ib-ibez<br />

< ERG ; DAT > ug-uguz ic-iciz gir-gez ib-ibez<br />

< ERG ; SUPER > ug-uguğ ic-iciğ gir-geğ ib-ibeğ…<br />

Le pronom réfléchi en fonction d’expérient ou de destinataire au datif est<br />

toujours marqué, comme tous les cas obliques. La fonction expérient peut<br />

donc être marquée deux fois, sur le thème saillant et sur le deuxième élément<br />

du réfléchi dédoublé, le premier élément, proclitique, étant à l’absolutif, non<br />

marqué :<br />

49. buba-z ug- ug-uz i-r-qa-d<br />

père-DAT 3REFL.M-(ABS) 3REFL.M-DAT PV-M-voir-AOR.M<br />

Le père s’est vu (lui-même).<br />

Dans un prédicat réfléchi transitif, le réfléchi sous sa forme dédoublée ne<br />

marque pas la fonction agent, du moins au singulier. L’ergatif peut être<br />

marqué sur l’actant X (= A) en début d’énoncé et séparé par une légère<br />

pause :<br />

9


10<br />

G. AUTHIER<br />

50. (buba-r,) ug- ug ata-d<br />

père-ERG 3REFL.M(ERG) 3REFL.M(ABS) frapper-AOR.M<br />

Le père / il s’est frappé lui-même.<br />

51. (buba-r) ug- ug-uz sus vu-d-u<br />

père-ERG 3REFL.M(ERG) 3REFL.M-DAT fiancée.ABS donner-AOR-F<br />

Le père s’est donné une épouse.<br />

52. (riş.i-r) ic- ic-uxvan i-k-re<br />

fille-ERG 3REFL.F(ERG) 3REFL.F-DIR PV-regarder-PRES.N<br />

La fille se regarde.<br />

53. (gada-r) ug- ug-uğ t’at’ax ği-xha-c<br />

garçon-ERG 3REFL.M(ERG) 3REFL.M-SUPER bonnet(N) PV-vêtir-AOR.N<br />

Le garçon mit le bonnet.<br />

54. (riş.i-r) ic- ic-uv band vu-b-t’ul-d-u<br />

fille-ERG 3REFL.F(ERG) 3REFL.F-AD ruban(F) PV-F-lier-AOR-F<br />

La fille s’attacha le ruban.<br />

Cette réduction de valence liée la réflexivité entraîne l’absence de<br />

marquage ergatif parce qu’elle peut être assimilée à une diathèse moyenne (le<br />

dernier exemple entre dans le cas typique des procès de soin corporel), et donc<br />

non transitive.<br />

Il n’en est pas de même au pluriel, où les pronoms réfléchis de troisième<br />

personne et de classe « humains » (HPL) présentent une forme marquée à<br />

l’ergatif :<br />

55. gi-r ge-ğ taza halavar<br />

3REFL.HPL-ERG 3REFL.HPL-SUPER nouveau habit-PL<br />

ği-xha-c<br />

PV-vêtir-AOR.N<br />

Ils mirent des vêtements neufs.<br />

Ce traitement différencié s’explique dans la mesure où il n’y a pas toujours<br />

de réduction de valence, ainsi dans le cas suivant, quasi réciproque, d’où<br />

nécessité de marquer l’agent :<br />

56. gi-r g-ez kef v-ar-d-u<br />

3REFL.HPL-ERG 3REFL.HPL-DAT plaisir.F F-faire-AOR-F<br />

Ils se donnèrent bien du plaisir.<br />

De plus, dans le cas de la valence transitive de base < ERG ; ABS >, le<br />

pronom objet à l’absolutif est exceptionnellement marqué d’un indice de<br />

classe b « pluriel », phénomène typiquement « accusatif » :<br />

57. gi-r gi-b °a-b-ğa-ci<br />

3REFL.HPL-ERG REFL.HPL-ABS PV-HPL-apporter-SEQ<br />

dasta.c-ux si-b-q’ar-a b-ar-cib<br />

troupe-APUD PV-HPL-atteindre-ADJ HPL-faire-AOR.HPL<br />

Ils réussirent à rejoindre la bande.


<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong><br />

Toutefois, pour le réfléchi de troisième personne du pluriel « non<br />

humain », le marquage de l’ergatif disparaît, comme au singulier, et<br />

contrairement au pluriel humain, ce qui va à l’encontre de la hiérarchie<br />

d’agentivité dite de Silverstein :<br />

58. xvar-im.e-r yi-t’a-ci zincir ib<br />

chien-PL-ERG PV-couper-SEQ chaîne.N 3REFL.nHPL(ERG)<br />

ib a-n-ux su-d-q’ar-a yi-r.e<br />

3REFL.nHPL(ABS) 3DIST-H-APUD PV-N-atteindre-ADJ faire-PRES<br />

Les chiens rompaient leur chaîne et le rejoignaient.<br />

E f f a c e m e n t d e l ’ o b j e t<br />

L’effacement total de l’objet d’un verbe transitif est très rare en dehors des<br />

verbes à objet oblique vus plus haut. Il ne s’observe guère qu’avec quelques<br />

verbes sémantiquement particuliers : ulayc « manger », ğirayc « boire », xuyic<br />

« enfanter », xhirayc « chier », ğayçayc « vomir » etc. L’accord est par défaut au<br />

neutre :<br />

59. riş.i-r / gada-r ula-c<br />

fille-ERG garçon-ERG manger.PF-AOR.N<br />

La fille / le garçon a mangé.<br />

E f f a c e m e n t d e l ’ a g e n t e t l a b i l i t é<br />

Au contraire de l’effacement de l’objet, qui reste abstraitement représenté<br />

par l’accord au neutre, l’effacement de l’agent d’un verbe transitif est<br />

extrêmement fréquent, que cet agent ait été ou non posé dans le contexte :<br />

60. riş.i-r riki ğe-t’-re<br />

fille-ERG porte.N PV-piquer.sur-PRES.N<br />

La fille frappe à la porte.<br />

61. riki ğe-t’-re<br />

porte.N PV-piquer.sur-PRES.N<br />

Je / Tu / Il(s) / Elle(s) / On frappe à la porte.<br />

À vrai dire, l’agent est beaucoup moins central que l’objet dans la valence<br />

des verbes transitifs, toujours omissible, y compris avec des verbes comme<br />

« dire ». Beaucoup de verbes transitifs sont en fait « labiles » et prendront ou<br />

non un agent selon que le procès est envisagé comme transitif ou non<br />

(anticausatif), sans changement morphologique :<br />

62. riş.i-r yak cira-ts’-re<br />

fille-ERG viande(N).ABS cuire-IPF-PRES.N<br />

La fille fait cuire la viande.<br />

63. yak cira-ts’-re<br />

viande(N).ABS cuire-IPF-PRES.N<br />

La viande cuit.<br />

Dans la mesure où ces verbes ne présentent pas le vocalisme a en fin de<br />

radical imperfectif qui caractérise les intransitifs à l’imperfectif (cf. supra), on<br />

11


12<br />

G. AUTHIER<br />

considérera qu’il s’agit fondamentalement de racines transitives désignant des<br />

procès dont l’agent est particulièrement susceptible de s’éclipser, l’objet<br />

assumant un rôle de sujet patient intransitif (S ; X). Le sens intransitif d’un<br />

verbe transitif labile est alors anticausatif :<br />

64. riş.i-r xhad ya-rt’-re<br />

fille-ERG eau(N).ABS PV-piquer.en travers=couper-PRES.N<br />

La fille coupe l’eau.<br />

65. xhad ya-rt’-re<br />

eau(N).ABS PV-couper-PRES.N<br />

(Quelqu’un) coupe l’eau / L’eau cesse de couler.<br />

Il ne s’agit pas a priori d’un simple effacement d’agent, puisqu’on dit<br />

aussi :<br />

66. ç’ebic ya-rt’-re<br />

pluie(N).ABS PV-couper-PRES.N<br />

Il cesse de pleuvoir.<br />

Cette diathèse anticausative n’est généralement pas morphologiquement<br />

marquée, et l’ajustement sémantique ressort de l’absence d’un agent à<br />

l’ergatif.<br />

On peut d’ailleurs poser une diathèse indifférenciée comme primitive pour<br />

de nombreux types de procès considérés a priori comme transitifs : la diathèse<br />

active vient secondairement, par l’introduction d’agent à l’ergatif. Même dans<br />

le cas du verbe « tuer », ce parangon de transitivité, il s’avère qu’on a en kryz<br />

un verbe « mourir », labile au perfectif :<br />

67. riş q’ay-d-u<br />

fille.ABS mourir.PF-AOR-F<br />

La fille mourut.<br />

68. gada-r riş q’ay-d-u<br />

garçon-ERG fille.ABS mourir.PF-AOR-F<br />

Le garçon tua la fille.<br />

Au perfectif, la valence n’est donc signifiée que par le nombre d’actants.<br />

En revanche, à l’imperfectif, elle est marquée aussi sur le verbe, et il semble<br />

que la forme transitive soit première, l’imperfectif transitif recevant la voyelle<br />

post-radicale a :<br />

69. gada-r riş r-u-q’-ryu<br />

garçon-ERG fille.ABS IPF-F-tuer-PRES.F<br />

Le garçon tue la fille.<br />

70. riş r-u-q’ar-yu<br />

fille.ABS IPF-F-mourir.IPF-PRES.F<br />

La fille meurt.<br />

La dérivation des thèmes aspectuels d’une part, et celle des diathèses<br />

d’autre part sont loin d’être claires. C’est seulement la comparaison avec<br />

d’autres langues qui permet dans ce cas de pencher pour une racine labile q’<br />

dont sont dérivés des thèmes aspectuels (ri-q’ ; q’-ay ; ri-q’-ar) selon des étapes


<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong><br />

qui restent à explorer en diachronie, mais qui aboutissent sans ambiguïté à<br />

l’émergence d’une voix passive.<br />

V o i x p a s s i v e e t a n t i p a s s i v e<br />

Pour signaler explicitement, outre la thématisation de l’objet, un<br />

effacement total de l’agent, le verbe subit, à l’imperfectif, une modification<br />

morphologique qui le rapproche des verbes intransitifs par un vocalisme<br />

radical a ; cette voix passive, qui exclut toute réintroduction oblique d’un<br />

agent, est généralement associée à une valeur modale gnomique ou<br />

déontique :<br />

71. xhin ğe-t’ar-e<br />

herbe(N).ABS PV-couper.INTR-PRES.N<br />

L’herbe est fauchée / on fauche l’herbe / il faut faucher l’herbe (à telle époque de<br />

l’année).<br />

Au perfectif, la forme du verbe est encore plus marquée, puisqu’elle<br />

opposera à la forme labile non marquée :<br />

72. xhin ğe-t’-ic<br />

herbe(N).ABS PV-piquer.sur-AOR.N<br />

Il(s), etc. / on a fauché l’herbe.<br />

une forme marquée de sens résultatif, composée d’un élément auxilié à<br />

vocalisme intransitif a et de l’auxiliaire xhiyic « devenir » 8 :<br />

73. xhin ğe-t’ar-a xhi-yic<br />

herbe(N).ABS PV-piquer.sur.INTR-ADJ être-AOR.N<br />

L’herbe a été fauchée (on ignore par qui, ou par combien de personnes).<br />

Avec les deux verbes « manger » et « boire », une même forme marquée<br />

comme détransitive peut servir à exprimer deux diathèses opposées. En effet,<br />

à partir de la construction de base :<br />

74. gada-r (yak) ugul-e<br />

garçon-ERG viande(N).ABS manger.IPF(TR)-PRES.N<br />

Le garçon mange (de la viande).<br />

la transformation passive est possible, mais d’emploi très restreint :<br />

75. vul yak ugval-e,<br />

brebis.G<strong>EN</strong> viande(N).ABS manger.INTR-PRES-N<br />

lem-ird yak ugval-de-d<br />

âne-G<strong>EN</strong> viande(N).ABS manger.INTR-NEG.PRES-N<br />

La viande de mouton se mange, la viande d’âne ne se mange pas.<br />

8 Ce passif analytique est impossible pour le verbe « tuer (/ mourir) » au perfectif,<br />

forcément labile, cf. supra. Or le phénomène de la labilité est tout autre. Dans le cas de<br />

« mourir » et « tuer », on peut considérer qu’on a deux verbes, morphologiquement confondus<br />

au perfectif.<br />

13


14<br />

G. AUTHIER<br />

On trouve beaucoup plus souvent la même forme dérivée intransitive dans<br />

un sens antipassif, avec un prime actant (S ; Z) ; il s’agit ici d’un autre verbe,<br />

« moins transitif », puisqu’il ne peut s’employer avec un actant humain :<br />

76. vul ugval-yu<br />

brebis(F).ABS manger.INTR-PRES.F<br />

« La brebis paît », et non ***« la brebis, ça se mange ».<br />

Le perfectif non marqué est ambigu et labile, de sens antipassif ou<br />

transitif :<br />

77. vul ula-d-u<br />

brebis(F).ABS manger.PF-AOR-F<br />

« La brebis mangea », ou bien « Quelqu’un (précédemment mentionné) a mangé la<br />

brebis ».<br />

La forme perfective marquée analytiquement comme détransitive ne peut<br />

avoir qu’un sens antipassif, et spécifiquement inchoatif :<br />

78. vul ugval-a xhidu<br />

brebis manger.INTR-ADJ être-AOR-F<br />

« La brebis se mit à paître », et non***« la brebis fut mangée ».<br />

Le kryz se démarque nettement des langues daghestanaises déjà connues<br />

sous ce rapport, et montre que le fait qu’une langue soit globalement ergative<br />

ne l’empêche pas d’avoir une voix passive et n’implique pas forcément la<br />

prépondérance d’une voix antipassive. Il est possible qu’une influence de<br />

l’azéri puisse rendre compte de ce phénomène, mais il convient en tout état de<br />

cause d’éviter certaines généralisations rapides sur l’absence de voix passive<br />

dans les langues ergatives : le kryz partage cette compatibilité avec, entre<br />

autre, les langues maya et eskimo.<br />

A c c r o i s s e m e n t s d e v a l e n c e<br />

V o i x c a u s a t i v e d e s i n t r a n s i t i f s m o n o a c t a n c i e l s<br />

Les verbes intransitifs moins agentifs – de changement d’état physique ou<br />

psychologique ou d’attitude corporelle plus ou moins involontaire – ont tous<br />

une tournure complexe causative constituée d’une forme d’origine adverbiale<br />

subordonnée à l’auxiliaire « faire ». L’accord est déterminé sur les deux<br />

éléments du groupe verbal par le prime actant du prédicat causé :<br />

79. gada-r riş °u-b-ğar-a / v-asar-a v-ar-d-u<br />

garçon-ERG fille.ABS PV-F-croire-ADJ F-trembler-ADJ F-faire-AOR-F<br />

Le garçon a persuadé / fait trembler la fille.<br />

80. riş.i-r gada °u-r-ğar-a / asar-a ar-id<br />

fille-ERG garçon(ABS) PV-M-croire-ADJ trembler-ADJ faire-AOR.M<br />

La fille a persuadé / fait trembler le garçon.<br />

L a v o i x f a c t i t i v e<br />

La plupart des verbes transitifs ont une tournure analytique causative –<br />

qu’on appellera « factitive » pour la distinguer de la précédente – constituée


<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong><br />

d’un nom verbal à désinence de datif à valeur finale et de l’auxiliaire<br />

« donner ». Dans celle-ci, l’agent ergatif du prédicat primaire (causataire) est<br />

rétrogradé au datif, comme en azéri ; l’objet contrôle l’accord des deux<br />

éléments du groupe verbal :<br />

81. riş.i-r gada-z lem v-at.a-z vu-d-u<br />

fille-ERG garçon-DAT âne(F).ABS F-frapper-DAT donner.PF-AOR-F<br />

La fille a fait battre l’âne par le garçon ≈ donné l’âne à battre au garçon.<br />

V a r i a t i o n s d e v a l e n c e à i m p a c t s é m a n t i q u e o u m o d a l<br />

P a i r e s s u p p l é t i v e s<br />

Les verbes intransitifs les plus agentifs – essentiellement des verbes de<br />

mouvement volontaire à préverbes spatiaux – n’ont pas, en kryz, de dérivation<br />

causative, ce qui est un phénomène typologiquement fréquent. Ils suppléent<br />

cet accroissement de valence par des verbes formés sur d’autres racines, mais<br />

partageant les mêmes préverbes :<br />

82. barkan q’acil-a °a-b-ç’-d-u<br />

cheval(F)(ABS) écurie-IN PV-F-entrer-AOR-F<br />

Le cheval entra dans l’écurie.<br />

83. gada-r barkan q’acil-a °a-b-ğu-d-u<br />

garçon-ERG cheval(F)(ABS) écurie-IN PV-F-faire.entrer-AOR-F<br />

Le garçon fit entrer le cheval dans l’écurie.<br />

V o i x d é c a u s a t i v e - i n c h o a t i v e<br />

Il existe pour les verbes intransitifs involontaires des formes auxiliées<br />

marquées comme inchoatives. La détransitivation est obtenue par substitution<br />

de l’auxiliaire « être, devenir » à l’auxiliaire causatif « faire », sans qu’on<br />

puisse affirmer s’il s’agit de dérivation ou (plutôt) de formations parallèles :<br />

84. gada-r riş v-asar-a v-ar-d-u<br />

garçon-ERG fille(ABS) F-trembler-ADJ F-faire.PF-AOR-F<br />

Le garçon fit trembler la fille.<br />

85. riş v-asar-a xhi-d-u<br />

fille(ABS) F-trembler-ADJ être-AOR-F<br />

La fille se mit à trembler.<br />

La forme non inchoative, synthétique, de ces verbes de changement d’état<br />

existe aussi, comme vu plus haut (riş v-asur-d-u « la fille trembla »).<br />

V o i x c o n a t i v e d e s v e r b e s d e p e r c e p t i o n<br />

Les verbes intransitifs de perception sont a priori involontaires, mais<br />

biactanciels, avec une construction de l’expérient au datif (cf. supra). Ils<br />

admettent généralement une tournure complexe de sens volontaire,<br />

« conatif », dont la morphologie est identique à celle du causatif des autres<br />

intransitifs non volontaires, mais sans accroissement de valence. L’expérient<br />

est dans cette tournure traité comme un agent – promu à l’ergatif – tandis que<br />

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16<br />

G. AUTHIER<br />

le prime actant reste à l’absolutif et y contrôle l’accord sur les deux éléments<br />

du groupe verbal ; comparer :<br />

86. gada-z riş i-b-qa-d-u<br />

garçon-DAT fille(ABS) PV-F-voir-AOR-F<br />

Le garçon a vu la fille.<br />

87. gada-r riş i-b-qar-a v-ar-d-u<br />

garçon-ERG fille(ABS) PV-F-voir.IPF-ADJ F-faire-AOR-F<br />

Le garçon fit en sorte de / réussit à voir la fille.<br />

C o r é f é r e n c e e t m o n t é e a v e c « v o u l o i r »<br />

L’expression de la volonté – traduction du verbe « vouloir » ou « aimer »<br />

des langues européennes standard – recourt en kryz au verbe de perception<br />

volontaire, ikayc, qui signifie fondamentalement « regarder », et dont on a vu<br />

plus haut la construction, commune à travers les langues, avec un objet<br />

oblique (ici, cas Directif) et un accord « dans le vide » au neutre :<br />

88. gada-r riş.i-xvan i-ka-c<br />

garçon-ERG fille(F)-DIR PV-regarder-AOR.N<br />

Le garçon a regardé la fille.<br />

Le perfectif qui lui correspond sémantiquement passe par une racine<br />

suppléante (idqayc « voir », cf. supra), tandis que le verbe ikayc, au perfectif,<br />

avec une construction absolutive « affective », c’est-à-dire involontaire, à<br />

expérient marqué au datif, prend le sens, moins volontaire, d’« apercevoir » :<br />

89. gada-z riş i-u-ka-d-u<br />

garçon-DAT fille(ABS) PV-F-regarder-AOR-F<br />

Le garçon a aperçu la fille.<br />

Au parfait, cette construction traduit la notion « être amoureux ; aimer » :<br />

90. gada-z riş i-u-ka-c.u<br />

garçon-DAT fille(ABS) PV-F-regarder-PARF.F<br />

Le garçon aime la fille.<br />

Ce verbe « regarder = aimer » sert aussi à traduire le verbe « vouloir » avec<br />

un objet qui peut être un prédicat.<br />

Premier cas :<br />

Si le sujet X ou Z (Lazard ; A ou S de Dixon) du prédicat subordonné n’est<br />

pas coréférent avec le « sujet expérient » au datif du verbe « vouloir », on a<br />

nécessairement deux propositions finies séparées par le joncteur (emprunté à<br />

l’azéri) ki ; le prédicat subordonné est postposé, affecté d’un mode fini<br />

(optatif), et s’accorde à son prime actant, tandis que le verbe « vouloir » reste<br />

sans objet référant à un nom, l’objet étant la complétive : il ne s’accorde bien<br />

sûr ni avec l’expérient au datif, ni non plus avec le prime actant du prédicat<br />

qui lui est subordonné, qu’il soit Z, ou Y. L’accord est « par défaut », au<br />

neutre :<br />

91. gada-z i-ka-c ki riş °a-b-ç’-i<br />

garçon-DAT PV-vouloir-AOR.N QUE fille.ABS PV-F-entrer.PF-OPT


<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong><br />

Le garçon veut / voulut que la fille entre / entrât.<br />

92. umay-iz i-ka-c ki<br />

mère-DAT PV-vouloir-AOR.N QUE<br />

gada-r riş ğva-yn-i<br />

garçon-ERG fille.ABS PV.F-prendre.PF-OPT<br />

La mère veut / voulut que le garçon épouse / épousât la fille.<br />

Deuxième cas :<br />

En revanche, si l’actant Z ou X du prédicat subordonné est coréférent avec<br />

le sujet expérient au datif du verbe « vouloir », le verbe principal s’accorde<br />

avec le prime actant (Z ou X ; S ou O) du verbe subordonné et constitue avec<br />

lui un prédicat complexe, sorte de voix « volitive ».<br />

Le verbe subordonné prend une forme nominale à désinence de datif (supin<br />

ou « infinitif de but »). Le sujet du prédicat subordonné perd son marquage<br />

casuel (ergatif ou absolutif) s’il était différent et se met au datif.<br />

Si le verbe subordonné est intransitif monoactanciel, l’accord, sur les deux<br />

éléments du prédicat complexe, reste avec le prime actant absolutif sousjacent<br />

:<br />

93. riş.i-z °a-b-ç’-iz i-u-ka-d-u<br />

fille-DAT PV-F-entrer-DAT PV-F-vouloir-AOR-F<br />

La fille voulut entrer.<br />

94. riş.i-z fur.a-z yi-p-iz i-u-ka-d.e-b<br />

fille-DAT homme-DAT PV-F.aller-DAT PV-F-PV-vouloir-Neg.PFCT-F<br />

La fille ne veut pas épouser (= aller à, intransitif) l’homme 9 .<br />

Si le verbe subordonné est biactanciel intransitif ou transitif, l’accord est<br />

également convergent avec le prime actant (expérient ou patient) à<br />

l’absolutif :<br />

95. gada-z riş i-b-qa-z i-u-ka-c.u<br />

garçon-DAT fille(ABS) PV-F-voir-DAT PV-F-PV-vouloir-PFCT.F<br />

Le garçon veut voir la fille.<br />

96. gada-z riş ğva-yn-iz i-u-k.a-d-u<br />

garçon-DAT fille(ABS) PV.F-prendre-DAT PV-F-vouloir-AOR-F<br />

Le garçon voulut épouser (= prendre, transitif) la fille.<br />

Avec la voix conative des verbes de perception :<br />

et but !<br />

97. gada-z riş i-b-qar-a v-ar-iz<br />

garçon-DAT fille(ABS) PV-F-voir-ADJ F-faire-DAT<br />

i-u-ka-cu<br />

PV-F-vouloir-PFCT.F<br />

Le garçon veut faire en sorte de voir la fille.<br />

9 Noter les trois marques de datif dans trois fonctions différentes : expérient, destinataire<br />

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18<br />

G. AUTHIER<br />

L a v o i x c a p a c i t a t i v e<br />

Il n’y a à vrai dire pas d’auxiliaires de mode en kryz. On vient de voir que<br />

le verbe « vouloir » est un des aspects d’un verbe signifiant « regarder » ; un<br />

riche éventail de modes injonctifs (optatifs et jussifs) suppléent par ailleurs<br />

l’absence d’un verbe « devoir ». Il n’y a pas non plus de verbe « pouvoir ». La<br />

capacité de réaliser une action, ou plutôt la capacité d’une action à être<br />

réalisée, est conçue comme une qualité de certains primes actants, et implique<br />

l’auxiliaire « être ».<br />

Les verbes intransitifs volontaires, et la plupart des transitifs, admettent<br />

ainsi la tournure ou voix « capacitative ». Elle est constituée de l’auxiliaire<br />

« être / devenir » et d’une forme nominale minimale du verbe – le radical<br />

perfectif – non marquée (le prédicat devient attribut d’un prédicat d’identité)<br />

ou du supin (même forme avec la désinence « finale » de datif en plus) ;<br />

l’actant principal (X ou Z) est rétrogradé à un cas spatial, l’adélatif 10 :<br />

98. barkan.ci-v.ar °a-b-ç’(-iz) xhi-d-u<br />

cheval-A<strong>DE</strong>L PV-F-aller(-DAT) être-AOR-F<br />

Le cheval a pu entrer.<br />

99. gada-v.ar barkan q’acil-a °a-b-ğu-z xhi-d-u<br />

garçon-A<strong>DE</strong>L cheval.F(ABS) étable-IN PV-F-faire.entrer-DAT être-AOR-F<br />

Le garçon put faire entrer le cheval dans l’écurie.<br />

On voit ici que du point de vue du marquage casuel c’est le prédicat<br />

subordonné qui est intégré (thème verbo-nominal nu = nom verbal absolutif) à<br />

la valence du verbe a priori monovalent « être / pouvoir », même si son prime<br />

actant – pourtant exprimé à un cas oblique ! – contrôle les deux points<br />

d’insertion de l’accord, qui reste avec le prime actant, y compris s’il n’est plus<br />

au cas absolutif.<br />

V o i x c a p a c i t a t i v e d e s t r a n s i t i f s<br />

La tournure capacitative d’un verbe transitif peut ne présenter que le prime<br />

actant à l’absolutif :<br />

100. gaç v-ata-(z) xhi-d-u<br />

chat(F)(ABS(objet)) F-battre-DAT être-AOR-F<br />

Il a été( possible) de battre le chat / le chat a pu être battu


<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong><br />

valence ouverte, transitive : un agent peut être exprimé, mais rétrogradé au cas<br />

« spatial » circonstanciel « adélatif ». L’accord reste comme toujours contrôlé<br />

par le prime actant :<br />

102. gada-v.ar gaç v-ata-(z) xhi-d-u<br />

garçon-A<strong>DE</strong>L chat(F)(ABS) F-battre-DAT être-AOR-F<br />

Le garçon a pu battre le chat.<br />

V o i x c a p a c i t a t i v e d e s v e r b e s i n t r a n s i t i f s<br />

Dans le cas d’un verbe intransitif non affectif à la voix capacitative, la<br />

valence est monoactancielle. Le sujet S apparaît non plus à l’absolutif qui<br />

représente sa fonction sous-jacente dans l’énoncé non transformé, mais<br />

rétrogradé au cas adélatif. Il persiste pourtant à contrôler l’accord sur les deux<br />

éléments verbaux du prédicat :<br />

103. (gada-v.ar) ğa-Ø-ç’-(iz) xhi-yid<br />

garçon-A<strong>DE</strong>L PV-(M)-sortir-(DAT) être-AOR.M<br />

Il / (le garçon) a pu sortir.<br />

104. (gaç-v.ar) ğa-b-ç’-(iz) xhi-d-u<br />

chat(F)-A<strong>DE</strong>L PV-F-sortir-(DAT) être-AOR-F<br />

Il / ( le chat) a pu sortir.<br />

Bien qu’oblique « en surface », l’actant Z (=S) contrôle l’accord des deux<br />

éléments du prédicat, l’auxiliaire « être (capable de) » ne s’accordant pas avec<br />

le nom verbal complétif attribut (qui serait de classe neutre), mais avec le<br />

prime actant de celui-ci, par « montée », comme avec l’auxiliaire « vouloir ».<br />

Pour les verbes intransitifs de perception, la voix capacitative ne peut<br />

s’appliquer, secondairement, qu’à leur voix ou valence dérivée « conative » :<br />

105. gada-v.ar riş i-b-qar-a v-ar-iz xhi-d-u<br />

garçon-A<strong>DE</strong>L fille(ABS) PV-F-voir-ADJ F-faire.PF-DAT être-AOR-F<br />

Le garçon réussit à voir la fille.<br />

C o n c l u s i o n<br />

Comme on a pu le voir dans cette étude, les propriétés réunies dans les<br />

langues accusatives sous la notion de « sujet » sont en kryz réparties entre des<br />

rôles sémantiques variés, ce qui caractérise les langues ergatives en général, et<br />

celles du Caucase en particulier. L’actant le plus saillant peut être ainsi<br />

marqué par pas moins de quatre cas différents (absolutif, ergatif, datif, et<br />

adélatif), tous « sujets ».<br />

La position initiale de l’Agent et de l’Expérient semble moins désigner un<br />

« sujet » qu’un topique, dans la mesure où la focalisation de ces actants<br />

s’obtient par transfert en position préverbale, place normale de O/Y des<br />

prédicats transitifs et de S/X des prédicats affectifs. Une étude des critères de<br />

définition du sujet au niveau de la phrase complexe montrerait de même la<br />

saillance particulière de X/Z, qu’il s’agisse d’une propriété pragmatique ou<br />

d’un critère d’accusativité syntaxique, face à l’ergativité morphologique de la<br />

phrase simple. Au niveau de la phrase simple d’ailleurs, l’ergativité du kryz,<br />

19


20<br />

G. AUTHIER<br />

bien que massive, n’est pas uniforme, comme on l’a vu avec la fracture,<br />

globalement conforme aux prévisions de la hiérarchie de Silverstein, sur les<br />

pronoms interlocutifs et réfléchis.<br />

La notion de prime actant semble beaucoup plus opératoire dans ce type de<br />

langue : S/O (= Z/X) contrôle seul l’accord du prédicat, et se caractérise par<br />

l’absence de relateur (marque casuelle zéro : cas « absolutif ») sauf dans le<br />

dernier cas recensé – la voix capacitative des intransitifs, où l’accord se fait<br />

avec un absolutif « sous-jacent » auquel se substitue en surface un cas<br />

oblique.<br />

Les différentes options de marquage casuel d’un actant second sont<br />

également liées à la dérivation des voix – qui ont des valeurs parfois modales<br />

– plus développée que ne le laissait attendre une langue ergative : il y a en<br />

effet clairement émerger une voix passive.<br />

Les verbes non composés du kryz étant en nombre limité (à peu près deux<br />

cents), il a été possible de les examiner exhaustivement afin de les assigner<br />

aux cinq grandes classes définies par leur compatibilité avec les voix et les<br />

variations d’actance qui les accompagnent :<br />

CLASSE<br />

C o m p a t i b i l i t é d e s v o i x e t d e s c l a s s e s d e v e r b e s<br />

VOIX<br />

transitifs plus<br />

agentifs ?<br />

transitifs moins<br />

agentifs ?<br />

intransitifs<br />

monoactanciels<br />

intransitifs<br />

affectifs<br />

biactanciels<br />

capacitatif factitif passif inchoatif causatif conatif<br />

infinitif<br />

ou supin<br />

+ être<br />

supin<br />

+<br />

donner<br />

vocalisme<br />

radical a<br />

(IPF),<br />

+ être (PF)<br />

adjectif<br />

verbal<br />

+ être<br />

adjectif<br />

verbal<br />

+ faire<br />

adjectif<br />

verbal<br />

+ faire<br />

oui oui oui non non non<br />

oui oui non non non non<br />

oui non non non oui<br />

non non non non oui<br />

On constate qu’aucune classe verbale ne possède toutes les voix<br />

« marquées », et qu’aucune voix « marquée » ne concerne toutes les classes de<br />

verbes à la fois. Les deux voix les plus rares sont le passif, pour les transitifs,<br />

et l’inchoatif, pour les intransitifs.


<strong>ACTANCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>CHANGEM<strong>EN</strong>TS</strong> <strong>DE</strong> <strong>VAL<strong>EN</strong>CE</strong> <strong>EN</strong> <strong>KRYZ</strong><br />

Abréviations utilisées dans les gloses :<br />

ABS absolutif<br />

AD adlocatif<br />

A<strong>DE</strong>L adélatif<br />

ADJ adjectif verbal<br />

APUD apudlocatif<br />

COP copule<br />

AOR aoriste<br />

DAT datif<br />

<strong>DE</strong>ONT « déontique » = imperfectif non assertif<br />

DIR directif<br />

ERG ergatif<br />

F classe « humain féminin, singulier » et « animé + singulier »<br />

HPL marque de classe « humain, féminin ou masculin » au pluriel<br />

IN locatif<br />

INEL inélatif<br />

INTR intransitif<br />

IPF imperfectif<br />

INTR intransitif<br />

M marque de classe « humain, masculin »<br />

N marque de classe « neutre = inanimé »<br />

PART participe<br />

PF perfectif<br />

PRES « présentatif » = imperfectif déclaratif<br />

SEQ gérondif séquentiel<br />

SUPER superlocatif<br />

3DIST pronom de 3 e personne distant<br />

3REFL pronom réfléchi de 3 e personne<br />

Le tiret sépare des morphèmes explicités en glose, le point signale un élément complexe<br />

non analysé.<br />

B i b l i o g r a p h i e<br />

CHARACHIDZE, Georges, 1982, Grammaire de la langue avar, Paris.<br />

CHRISTOL, Alain, 1998, « Marquage oblique des actants », in FEUILL<strong>ET</strong>, Jack (éd.), Actance et<br />

valence dans les langues de l’Europe, Berlin, Mouton DeGruyter.<br />

DIXON, Robert, 1994, Ergativity, Cambridge University Press.<br />

HASPELMATH, Martin, 1994, A Grammar of Lezgian, Mouton, Berlin.<br />

LAZARD, Gilbert, 1994, L’actance, PUF, Paris.<br />

—, 1995, « Le géorgien : actance duale (« active ») ou ergative ? Typologie des verbes antiimpersonnels<br />

», Sprachtypologie und Universalienforschung 48, p. 275-293.<br />

—, 1998, « Définition des actants », in FEUILL<strong>ET</strong>, Jack (éd.), Actance et valence dans les<br />

langues de l’Europe, Berlin, Mouton DeGruyter.<br />

SILVERSTEIN, Michael, 1976, « Hierarchy of features and Ergativity », in Dixon, R. (ed.)<br />

Grammatical Categories in Australian Languages, Canberra.<br />

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22<br />

G. AUTHIER<br />

<strong>Gilles</strong> AUTHIER<br />

A c t a n c e e t c h a n g e m e n t s d e v a l e n c e e n k r y z<br />

Cet article examine les principales variations de valence en kryz, langue<br />

caucasique du Nord-Est parlée en Azerbaïdjan. Le kryz est une langue<br />

ergative à riche flexion nominale et verbale, avec une fracture d’actance sur<br />

les pronoms interlocutifs et réfléchis, qui ne marquent pas systématiquement<br />

l’ergatif au singulier, contrairement à tous les autres nominaux. Le verbe<br />

s’accorde en genre, non en personne, avec l’actant X/Z, qui n’est pas marqué.<br />

La plupart des transitifs admettent une transformation passive sans expression<br />

possible de l’agent. La même forme peut avoir exceptionnellement un emploi<br />

antipassif avec « manger » et « boire ». Le causatif des intransitifs utilise un<br />

auxiliaire « faire », tandis que le factitif des transitifs utilise « donner »,<br />

l’agent secondaire passant au datif. Les intransitifs les moins agentifs ont une<br />

voix inchoative, tandis que les intransitifs affectifs à expérient au datif ont une<br />

transformation conative alignée sur le modèle des transitifs. Le régime<br />

prédicatif du verbe « vouloir », si Z/X coréfère avec l’expérient au datif de<br />

« vouloir », entraîne une montée de Z/Y, ce qui peut s’interpréter comme un<br />

critère d’accusativité syntaxique. Comme dans beaucoup de langues<br />

daghestanaises, le verbe « pouvoir » est traduit par une tournure à verbe<br />

« être » où S/X est rétrogradé à un cas locatif.<br />

<strong>Gilles</strong> AUTHIER<br />

A c t a n c y a n d v a l e n c y c h a n g i n g i n K r y z<br />

This paper explores the clause structure and main valency variations in<br />

Kryz, a Nakh-Daghestanian language spoken in Azerbaijan (Eastern<br />

Caucasus). Kryz language has an overwhelmingly ergative morphosyntax,<br />

with a split only on personal and reflexive pronouns, which leave the ergative<br />

case generally unmarked, contrary to all other NPs. Verbs agree in gender, not<br />

in person, with the S/O argument, which is always unmarked. Affective verbs<br />

may be described as bivalent intransitives, with a inverse dative “subject”.<br />

Most transitive verbs allow a monovalent decausative or “passive” voice,<br />

excluding any backgrounded agent. The same form has an antipassive<br />

meaning with “eat” and “drink” only. Valency increase is of two types:<br />

causative proper with an auxiliary verb “do” for intransitive verbs, and<br />

“factitive” with an auxiliary verb “give” for transitive verbs, the subordinate<br />

agent being downgraded to the dative case. Other valency changes are an<br />

inchoative voice and a conative voice restricted to less agentive and affective<br />

intransitive verbs respectively. The verb “want” has the affective valency and,<br />

if its S is predicative, involves raising of the subordinated S/O if S/A is<br />

shared, which typically points to syntactic accusativity. As in many other<br />

Daghestanian languages, the expression of capacity (“be able”) involves a<br />

special construction with the verb “be” and downgrading of the agentive<br />

argument to one of the locative cases.

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