You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
48 L’AUDACE 2 L’AUDACE 49<br />
e <strong>semestre</strong> <strong>—</strong> <strong>2010</strong><br />
Mais c’est de moins en moins le cas. Car pour vivre, les laboratoires<br />
de recherche publique sont de nouveau obligés d’aller à la<br />
pêche aux contrats en se perdant souvent dans la fragmentation<br />
de l’offre budgétaire.<br />
La science semble de plus en plus susciter la méfiance.<br />
Des mouvements d’opinion trouvent que la reherche<br />
va trop loin dans certains domaines comme les OGM,<br />
le clonage génétique ou les nanotechnologies.<br />
Est-ce un effet du climat de crise ou bien quelque<br />
chose de plus profond ?<br />
La méfiance à l’égard de la création du savoir a toujours existé. Bien<br />
des scientifiques ont été persécutés moralement ou physiquement<br />
en s’opposant à une doctrine officielle. Même si à certaines époques<br />
les savants étaient mis à l’honneur, les bénéficiaires de ces savoirs<br />
étaient peu nombreux. Aujourd’hui, on se méfie davantage de la<br />
technologie que de la science, et le cercle s’est élargi. L’accumulation<br />
actuelle des techniques (OGM, clonage, nanotechnologies) sur une<br />
période de temps très courte engendre inévitablement des craintes.<br />
Ces dernières existaient chez nos prédécesseurs, mais étaient<br />
plus diffuses. Il y avait alors tellement à découvrir pour stabiliser et<br />
sécuriser la vie de la communauté humaine. Ils avaient aussi beaucoup<br />
plus de temps pour accommoder la découverte technique ou<br />
le nouveau concept. Combien d’années pour que le vide existe ou<br />
pour que la génération spontanée n’existe plus ?<br />
Mais avec ces techniques nouvelles, on a le sentiment<br />
d’assister à une nouvelle crise d’acceptabilité de la<br />
technique…<br />
Il est vrai que les OGM, le clonage et les nanotechnologies représentent<br />
un tournant dans l’acceptabilité de la technique. D’autres<br />
techniques ont existé et de nouvelles existeront encore dans le futur.<br />
Notre siècle n’est pas très particulier sur ce point, mis à part le fait<br />
qu’il n’y a jamais eu autant de savants sur la Terre. Comme l’espèce<br />
humaine a des envies : vivre longtemps, en bonne santé, se déplacer<br />
rapidement et loin, communiquer à tout moment, enregistrer et<br />
mémoriser, s’amuser…, nous pouvons penser que nous avons une<br />
très bonne chance avec cette abondance de scientifiques de combler<br />
un peu plus vite ces envies, tout en améliorant notre compréhension<br />
des phénomènes naturels.<br />
Vous êtes responsable du groupe nanosciences<br />
au CEMES, à Toulouse. Est-ce audacieux que d’être<br />
l’un des pionniers des nanosciences en France ?<br />
Je me souviens d’avoir commencé en 1979 à aborder l’électro nique<br />
moléculaire, champ de recherche maintenant absorbé par la nanotechnologie.<br />
À l’époque, personne ne voulait s’occuper de contacter<br />
électriquement une seule molécule. C’était considéré comme impossible.<br />
Justement, quand la génération précédente juge impossible<br />
l’audace d’un jeune, c’est là qu’il faut saisir l’audace et aider le jeune.<br />
J’ai vécu le contraire.<br />
La démarche qui sous-tendait mes recherches était de libérer l’industrie<br />
de l’utilisation massive de matériaux pour la faire entrer dans une ère<br />
de développement durable. Je m’amusais ainsi à chercher de nouvelles<br />
technologies inoffensives pour l’environnement, dans l’espoir d’une<br />
industrie moléculaire plus économe des ressources de la planète.<br />
Ma première audace a été d’y croire et de consacrer un maximum<br />
de mon temps libre de coopérant scientifique à Singapour à cultiver<br />
pour le plaisir mon électronique moléculaire, avec pour compagnon<br />
le seul article scientifique qui existait à l’époque sur l’électronique<br />
moléculaire, celui de Ari Aviram, publié en 1974, et qui était alors<br />
resté sans suite. Le culot a alors également été de persuader l’attaché<br />
culturel de l’ambassade de France à Singapour d’écrire à la librairie du<br />
Congrès des États-Unis pour récupérer les actes du premier séminaire<br />
américain qui traitait en partie d’électronique moléculaire.<br />
Comment cela s’est-il passé par la suite ?<br />
Au retour de Singapour et perdu dans mon audace, je suis allé<br />
rencontrer Joël de Rosnay, alors directeur des applications de la<br />
recherche de l’Institut Pasteur (aujourd’hui conseiller à la Cité des<br />
sciences), pour obtenir de l’aide ou du moins un conseil. Autant<br />
que je me souvienne, son conseil a été : persévérez. Surtout, il m’a<br />
donné une liste de cinq noms griffonnés sur une petite feuille de<br />
papier. Même avec cette liste, je suis longtemps passé par de petits<br />
contrats, des CDD dans le privé, dans le public, et j’ai même vécu<br />
grâce au chômage avant de percer dans l’électronique moléculaire.<br />
Puis en insistant, j’ai été aidé par de grands universitaires comme<br />
Manuel Samuelides ou Jean-Pierre Launay, qui ont cru en moi. La<br />
persistance est une composante de l’audace. Cela m’a ouvert les<br />
portes des laboratoires T.J. Watson d’IBM, après avoir persuadé<br />
Ari Aviram de m’embaucher. Cette expérience m’a fait découvrir et<br />
NANOTEChNOLOGIES<br />
Elles regroupent<br />
l’ensemble des<br />
techniques permettant<br />
de fabriquer, d’observer<br />
ou de mesurer des<br />
objets dont la taille<br />
est de quelques<br />
nanomètres et dont les<br />
propriétés découlent<br />
spécifiquement de cette<br />
taille nanométrique.<br />
Les domaines sont<br />
nombreux, en voici un<br />
inventaire non exhaustif :<br />
• électronique : vitesses<br />
de traitement des<br />
millions de fois plus<br />
rapides ;<br />
• matériaux : matériaux<br />
et outils de coupe plus<br />
résistants ;<br />
• médecine : nouveaux<br />
systèmes de diffusion<br />
des médicaments<br />
qui ciblent les<br />
endroits voulus dans<br />
l’organisme ;<br />
• énergie : nouveaux<br />
types de batterie,<br />
stockage de<br />
l’hydrogène ;<br />
• espace : systèmes<br />
robotiques petits<br />
et efficaces ;<br />
• environnement :<br />
membranes pour filtrer<br />
les polluants ou le sel<br />
dans l’eau ;<br />
• défense : textiles<br />
légers qui se<br />
réparent d’eux-mêmes,<br />
remplacement<br />
du sang, systèmes<br />
de surveillance<br />
miniaturisés.