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52 L’AUDACE 2 L’AUDACE 53<br />
e <strong>semestre</strong> <strong>—</strong> <strong>2010</strong><br />
sCiEnCEs Et<br />
tECHniqUEs<br />
« Cette méfiance envers<br />
les sciences et les<br />
techniques, ponctuée<br />
parfois par une incursion<br />
de la constitution d’un<br />
État, se rencontre surtout<br />
dans les pays européens<br />
et en amérique du<br />
Nord. En asie et dans<br />
les pays émergents,<br />
on considère par exemple<br />
les nanotechnologies<br />
comme porteuses d’espoir<br />
de développement. »<br />
aider à raison garder. Les scientifiques sont devant une alternative<br />
difficile. En même temps qu’on leur demande d’accumuler les<br />
connaissances, en particulier nécessaires à la vie de la communauté<br />
humaine, on leur enjoint de ne pas aller trop loin. Mais le questionnement<br />
scientifique ne se déroule pas ainsi. On ne sait pas où est<br />
le lointain et il n’y en a probablement pas. Pour ma part, je trouve<br />
déraisonnable de mettre telle ou telle recherche scientifique sous<br />
contrôle, sous prétexte qu’elle représente potentiellement un risque.<br />
De ce point de vue, la précaution érigée comme principe n’est pas<br />
une bonne chose. Marcher avec ses précautions sous le bras, c’est<br />
avancer sans reconnaître que nous vivons en équilibre dynamique.<br />
La vie est synonyme de mouvement, pas de précaution.<br />
Que pensez-vous des moratoires qui visent à demander<br />
l’arrêt des recherches quand on suppose qu’il y a<br />
danger ?<br />
Arrêter la science par des moratoires, comme le réclament certains<br />
objecteurs de science, est inconcevable. Le danger ne vient pas de<br />
l’accumulation des connaissances. On ne peut empêcher un citoyen<br />
de regarder le ciel, ses entrailles, et d’échafauder hypothèses et<br />
modèles de pensée sur l’infiniment grand, l’infiniment petit ou le<br />
très complexe. Légiférer sur la pensée et sur ses conséquences expérimentales,<br />
c’est renier notre condition humaine, qui nous a menés<br />
de l’outil au concept, et du geste à l’écriture. Cette méfiance envers<br />
les sciences et les techniques, ponctuée parfois par une incursion de<br />
la constitution d’un État, se rencontre surtout dans les pays européens<br />
et en Amérique du Nord. En Asie et dans les pays émergents,<br />
on considère, par exemple, les nanotechnologies comme porteuses<br />
d’espoir de développement. Les volontés exprimées d’interdire telle<br />
ou telle recherche sont étayées par des considérations de nature<br />
idéologique. Les opposants aux progrès trouveraient formidable<br />
un monde stable, sans croissance.<br />
Derrière ce thème du moratoire, il y a celui de la croissance zéro.<br />
Une civilisation comme la nôtre pourrait-elle se figer dans un état<br />
stationnaire ? Oui, si nous avions à notre disposition une ressource<br />
énergétique infinie et suffisante. Oui, encore, si nous avions les<br />
moyens de soigner toutes les maladies, dont l’apparition permanente<br />
de nouveaux virus sur les bandes tropicales. Oui, enfin, si<br />
nous avions l’envie de modérer nos envies. Mais est-il possible<br />
d’empêcher l’humain d’innover ?<br />
Faut-il interdire toute exploration actuelle sous prétexte<br />
qu’une future génération de chercheurs pourrait<br />
entreprendre des expériences qui, aujourd’hui, posent<br />
problème ?<br />
La réponse est clairement non. Par exemple, la manipulation de la<br />
matière atome par atome constitue un outil de recherche sur les<br />
fondements de la mécanique quantique, sur les limites des machines<br />
et également sur les limites de la vie dont la science a beaucoup à<br />
apprendre. Seules les dictatures se permettent d’arrêter la recherche<br />
scientifique. Les petites molécules-machines sur lesquelles je travaille<br />
peuvent demeurer des outils de démonstration qui finiront dans des<br />
livres comme signature de l’aboutissement scientifique d’une époque<br />
ou faciliter la guérison de maladies graves. Elles peuvent aussi<br />
aboutir à des situations néfastes que je suis aujourd’hui incapable<br />
de prévoir. Que doit-on faire ? Il faut continuer de faire confiance à<br />
l’homme et à son sens du discernement. Si on l’interdit, la science<br />
meurt et on sape alors les fondements de notre civilisation. On devrait<br />
avoir la même attitude avec les scientifiques qu’avec les artistes : les<br />
laisser créer. À ce titre, l’audace créative est à respecter et à valoriser.<br />
Il n’est du pouvoir de personne d’éteindre l’étincelle qui pousse un<br />
individu à tenter de comprendre le monde qui l’environne ou son<br />
monde intérieur. Cette étincelle, comme un petit démon essentiel ou<br />
une fée bienveillante, se cache en chacun de nous. En revanche, il est<br />
de l’autorité de chacun de décider de l’utilisation des connaissances<br />
scientifiques et techniques accumulées.<br />
Quels outils permettent d’évaluer les risques<br />
et de réduire les incertitudes ?<br />
Si la précaution en sciences des matériaux est d’étudier la nocivité<br />
des nanoparticules, de protéger les personnes qui les fabriquent<br />
et de prendre des mesures pour éviter que ces nanoparticules se<br />
dispersent dans la nature, alors oui, c’est évident, il faut prendre des<br />
précautions, être vigilant, faire des expertises pour lever les incertitudes.<br />
Entreprendre des tests de toxicité, par exemple, fait partie<br />
de la recherche. Mais beaucoup ne fonctionnent pas. La règle ne<br />
s’applique pas seulement aux nanoparticules ou aux nanomatériaux<br />
d’ailleurs. Les nanomatériaux, mais aussi les produits chimiques et<br />
biochimiques que l’on retrouve dans la classification du programme<br />
Reach, doivent être également surveillés. Quelque 100 000 composés<br />
chimiques sont employés dans les pays industrialisés et l’on ne