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84 L’AUDACE 2 L’AUDACE 85<br />
e <strong>semestre</strong> <strong>—</strong> <strong>2010</strong><br />
réHaBILIter La<br />
CapaCIté D’auDaCe<br />
Des INDIVIDus<br />
ArnAuD mourot, directeur général d’ashoka france<br />
Propos recueillis par muriel Jaouën<br />
En quoi pourrait-on parler d’audace pour qualifier<br />
la démarche d’Ashoka ?<br />
Si l’on entend par audace la capacité d’emprunter d’autres chemins<br />
que les traditionnels, une détermination à inventer de nouveaux<br />
modèles, la propension à raisonner sur des codes autres que les<br />
schémas dominants, alors l’audace est au cœur du projet d’Ashoka.<br />
L’organisation est née il y a trente ans d’un double constat : intensification<br />
des problèmes sociaux et environnementaux dans le monde<br />
entier, limite atteinte par les réponses traditionnelles – les États, les<br />
grandes agences internationales d’aide au développement créées<br />
au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le constat posé, il était<br />
urgent et indispensable de faire émerger une nouvelle réponse aux<br />
problèmes sociaux et environnementaux, qui soit portée non plus<br />
par les institutions mais par les individus.<br />
L’individu est-il, selon vous, le pivot du changement ?<br />
Il est le moteur de l’innovation. En cela, le point de vue d’Ashoka<br />
est en décalage avec celui de l’économie sociale, plus axé sur des<br />
référents collectifs. Notre approche a d’emblée été celle-ci : comment<br />
identifier et accompagner les acteurs de changement ? Comment<br />
soutenir les individus, créateurs et porteurs de modèles nouveaux<br />
et transformateurs, pour les aider à faire en sorte que leur vision<br />
devienne un jour une référence. Ashoka a fait le choix audacieux de<br />
ne pas soutenir les structures, mais les individus. Une structure peut<br />
s’arrêter du jour au lendemain. L’entrepreneur reste un entrepreneur.<br />
S’il échoue, il repartira. Et, pour notre part, nous l’accompagnerons<br />
aussi longtemps qu’il en aura besoin.<br />
C’est donc une action qui s’inscrit dans le long terme.<br />
Bien sûr. Notre travail, c’est d’accompagner les entrepreneurs<br />
sociaux les plus innovants pour leur permettre de se développer et<br />
d’ installer leur modèle dans le paysage. Nous partons du principe<br />
qu’en aidant la bonne personne au bon moment, on produira un effet<br />
de levier incomparable. Il ne s’agit pas de soutenir des organisations<br />
qui vont, chacune, s’attaquer à la réduction d’un problème, mais<br />
d’aider des entrepreneurs qui vont, chacun, créer un mouvement<br />
d’entraînement dans leur domaine. L’exemple du microcrédit est<br />
très parlant. Comment l’idée, finalement assez naïve, de prêter de<br />
petites sommes d’argent à des femmes, a-t-elle non seulement reçu<br />
une reconnaissance mondiale trente ans après, mais aussi fait-elle<br />
l’objet de déclinaisons de la part de dizaines de milliers d’organisations<br />
? Si on est capable de trouver pour chaque problématique<br />
un Mohamed Yunus, qui démontre et qui entraîne, on crée un effet<br />
de levier incroyable.<br />
Cet effet levier, l’avez-vous éprouvé ?<br />
Il y a des indicateurs éloquents. Primo, 90 % des entrepreneurs<br />
sociaux (nous les appelons Fellows), dix ans après leur sélection,<br />
développent toujours activement leur idée. C’est deux fois plus<br />
que dans le business traditionnel. Secundo, dans un cas sur deux,<br />
ils influencent les politiques et réglementations de leur pays, les<br />
pouvoirs publics mettant en œuvre des dispositifs s’inspirant de<br />
leurs modèles. Tertio, plus de 80 % sont copiés par des organisations<br />
indépendantes. Enfin, on évalue à plus de 300 millions le nombre<br />
de personnes qui bénéficient des actions des 3 000 Fellows d’Ashoka<br />
dans le monde entier.<br />
L’idée est donc vérifiable. Mais comment<br />
la mettez-vous en pratique ?<br />
Il a fallu définir les modalités d’action, déterminer une procédure<br />
qui nous évite de nous tromper. Les cinq premières années d’action<br />
d’ Ashoka nous ont permis de préciser nos cinq grands critères de<br />
sélection. Le premier, c’est l’innovation. Il faut que le projet s’inscrive<br />
dans une logique system changing. Bill Drayton, le fondateur<br />
fELLowS<br />
Ce sont des<br />
entrepreneurs sociaux<br />
reconnus pour apporter<br />
des solutions innovantes<br />
aux problèmes sociaux<br />
et capables de modifier<br />
les habitudes de toute<br />
la société. Ils témoignent<br />
d’un engagement sans<br />
précédent, de nouvelles<br />
idées audacieuses<br />
et prouvent que la<br />
compassion, la créativité<br />
et la collaboration sont<br />
des forces considérables<br />
pour le changement.<br />
Les fellows d’Ashoka<br />
travaillent dans plus<br />
de 60 pays à travers<br />
le monde entier, dans<br />
tous les domaines<br />
des besoins humains.