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IdentIté et dIversIté - Decitre

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Prépa bac 1<br />

36<br />

2<br />

Texte 2<br />

Je suis né un 15 décembre [1920] pluvieux, à huit heures<br />

du matin, 4, impasse Tronja, rue Vieille-Tronja, à Tunis<br />

en Tunisie, de Fradji Memmi <strong>et</strong> de Maïra Sarfati. Memmi<br />

serait un antique patronyme kabyle qui signifie le « p<strong>et</strong>it<br />

homme » ou, autre hypothèse, le vocatif de Memmius,<br />

membre de la gens romaine Memmia. Dans le premier<br />

cas, mon père serait le descendant d’une vieille souche<br />

locale, dans le second, le lointain produit de l’occupation<br />

romaine. Du côté maternel, Sarfati, qui signifie le « Français<br />

», est assez courant dans la littérature hébraïque. Plus<br />

sûrement que dans les astres, tout se trouvait déjà dans<br />

c<strong>et</strong>te conjonction.<br />

Personne n’a pu me dire pourquoi le lieu de ma naissance<br />

porte ce nom de Tronja, un fruit exotique. Je sais en<br />

revanche pourquoi mon père a décidé de s’installer dans<br />

ce no man’s land entre le quartier arabe <strong>et</strong> le quartier juif.<br />

Artisan bourrelier 1 , sa clientèle se recrutait principalement<br />

parmi les charr<strong>et</strong>iers originaires de Gabès, dont le fondouk<br />

– l’habitation collective – se trouvait précisément rue<br />

Tronja, à deux pas de l’agglomération des cochers maltais.<br />

Ainsi les « autres » ont-ils été très tôt mêlés à ma vie : ils<br />

n’en sortiront plus.<br />

Je ne referai pas ici la description de notre famille, ni<br />

du voisinage ; je l’ai souvent tenté dans mes précédents<br />

ouvrages. Il me faut toutefois en rappeler quelques traits<br />

dominants, nécessaires à la compréhension de ce qui va<br />

suivre.<br />

Ainsi la pauvr<strong>et</strong>é. Ce n’est pas tant la privation que<br />

j’ai r<strong>et</strong>enue de la pauvr<strong>et</strong>é, parce que nous étions tous<br />

pauvres, les clients gabésiens de mon père, la population<br />

juive <strong>et</strong> arabe du quartier, <strong>et</strong> même les Européens, Siciliens<br />

<strong>et</strong> Maltais, que nous côtoyions quotidiennement. Les<br />

1. Bourrelier : artisan qui fabrique les bâts <strong>et</strong> les harnais pour les chevaux.<br />

Questions<br />

<strong>IdentIté</strong> <strong>et</strong> <strong>dIversIté</strong><br />

privilégiés, les colons français, quelques solides familles<br />

tunisiennes, si nous en entendions vaguement parler, nous<br />

ne les connaissions pas vraiment. Ils vivaient à la périphérie,<br />

dans un monde où nous nous aventurions rarement ;<br />

ils relevaient des Mille <strong>et</strong> Une Nuits. […]<br />

L’avantage du no man’s land, c’est qu’on y est à la fois<br />

frontaliers <strong>et</strong> voisins, quels que soient les problèmes,<br />

sinon les drames de la cohabitation. Si les adultes étaient<br />

circonspects, nous, les enfants, jouions aux mêmes jeux,<br />

nous lancions les mêmes injures. Mon meilleur copain tant<br />

que nous habitâmes l’impasse, Giovanni, était sicilien,<br />

ou corse – je confondais les deux. En classe d’anglais, il<br />

m’apprenait le sicilien ou le corse, je lui apprenais l’arabe,<br />

pour contrer à notre manière l’ordre du lycée. Manière<br />

stupide, puisque je n’ai jamais su convenablement l’anglais.<br />

Giovanni m’invitait quelquefois à déjeuner dans<br />

sa famille. Tiens, une bouffée de bonheur ! Entre eux les<br />

pauvres ne sont pas malheureux. On a chaud les uns sur<br />

les autres. Ou peut-être que, invité, je n’avais pas besoin<br />

de disputer ma part de nourriture. Dans ma famille, portée<br />

de jeunes loups, nous étions tous penchés sur la marmite<br />

pour repérer le morceau préféré <strong>et</strong> se l’approprier avant<br />

qu’il ne disparût. Chez Giovanni, servis d’autorité par une<br />

mère énorme – le double de la mienne-, nous avions toujours<br />

des pâtes, avec des assaisonnements divers, tomates,<br />

fév<strong>et</strong>tes, oignons, huile d’olive, plus rarement du fromage,<br />

que j’avais en horreur – j’ai toujours la même répulsion,<br />

tant pis pour le calcium ! –, <strong>et</strong> bien sûr du pain, du pain<br />

avec tout ; on mangeait du pain avec quelque chose, plutôt<br />

que l’inverse.<br />

Albert Memmi, Le Nomade immobile, « Prologue »,<br />

© Éditions arléa, mars 2003.<br />

compétences de lecture (10 points)<br />

1. Présentez ces textes en m<strong>et</strong>tant en évidence les relations que l’on peut établir entre eux.<br />

(4 points)<br />

2. « Je suis de ces écrivains qui se racontent avec l’espoir d’atteindre au secr<strong>et</strong> de leur humanité. »<br />

Expliquez c<strong>et</strong>te phrase <strong>et</strong> montrez comment Albert Memmi la m<strong>et</strong> en application dans le texte 2.<br />

(3 points)<br />

3. Quel eff<strong>et</strong> Albert Memmi veut-il produire sur son lecteur en racontant les scènes de repas dans<br />

sa famille <strong>et</strong> dans celle de Giovanni ? (3 points)<br />

compétences d’écriture (10 points)<br />

Dans un texte composé de plusieurs paragraphes argumentatifs <strong>et</strong> en vous aidant de ces deux<br />

textes d’Albert Memmi <strong>et</strong> de vos propres connaissances, vous montrerez d’abord la dimension<br />

humaniste (c’est-à-dire qui m<strong>et</strong> l’humain au centre de sa réflexion), de l’autobiographie.<br />

Ensuite, vous montrerez comment c<strong>et</strong>te dimension humaniste est présente dans d’autres formes<br />

d’expression.<br />

© Éditions Foucher

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