SPECIAL MODE ET MEDIA - Magazine
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RÉTROVISION<br />
KITSCH<br />
Un éditeur de livres fait appel à un directeur artistique de magazine de mode<br />
pour réaliser une revue érotique très visuelle. Hier ? Non, en 1970… L’éditeur est<br />
Christian Bourgois, le DA, Roman Cieslewicz, et la revue : Kitsch.<br />
Repéré par Peter Knapp pour son travail de direction<br />
artistique au sein de l’équipe rédactionnelle de la revue<br />
Ty i Ja (« Toi et moi » – cf. <strong>Magazine</strong> n o 26) à Varsovie,<br />
Roman Cieslewicz devient son assistant lorsqu’il<br />
émigre à Paris en 1963. Au magazine Elle, la direction<br />
artistique de Peter Knapp envisage la modernité<br />
comme un credo au service de la femme émancipée et<br />
le magazine sert de tremplin à toutes les expérimentations<br />
graphiques. Roman Cieslewicz s’empare de cette<br />
opportunité et produit de nombreuses illustrations et<br />
des photomontages, dont la facture reste encore dans<br />
l’esprit de ses mentors de l’avant-garde polonaise des<br />
années 30, les constructivistes du groupe Blok. La<br />
conception des douze vignettes de l’horoscope vont<br />
inspirer à Cieslewicz une orientation plus pop de son<br />
graphisme. Il opte pour un travail en noir et blanc où<br />
les détails sont épurés. Il réduit les documents, pratique<br />
la retouche photographique et répète les visuels<br />
à nouveau agrandis avant l’impression. Les images<br />
sérielles, l’emploi des trames et l’utilisation parodique<br />
de la symétrie à la façon des tests de Rorschach contribuent<br />
à l’émancipation d’un style graphique qui s’impose<br />
dans le milieu de l’édition.<br />
MAGAZINE N O 7<br />
104<br />
En 1966, Roman Cieslewicz succède à Peter<br />
Knapp à la direction artistique de Elle, collabore à<br />
Vogue avec Antoine Kieffer, réalise un album hors série<br />
consacré à Che Guevara, pour Jeune Afrique en 1967,<br />
prend la direction artistique de la revue d’art contemporain<br />
Opus International et contribue à la naissance<br />
des éditions Christian Bourgois. Ce dernier lui commande<br />
la ligne graphique d’une nouvelle collection,<br />
intitulée « 10|18 », en référence au format de poche des<br />
livres, où Roman Cieslewicz reprend le traitement au<br />
trait des horoscopes de Elle pour faire figurer en couverture<br />
une série de portraits d’auteurs en relation<br />
avec les textes publiés. Ainsi Karl Marx, Ho Chi Minh,<br />
Michel Butor, Boris Vian, Lautréamont et quelques<br />
autres vont-ils s’afficher, hauts en couleur, à la devanture<br />
des libraires. Une idée novatrice qui affirme la<br />
jeune collection auprès du public.<br />
La collaboration avec Christian Bourgois n’en<br />
reste pas là et prend une forme plus expérimentale avec<br />
la parution en novembre du n o 1 de la revue Kitsch.<br />
Kitsch, c’est la libération du « caché ». D’une culture vernaculaire<br />
du corps, de la sexualité, de l’érotisme, de la<br />
mort, que les conventions ont repoussée hors cadre et<br />
que des artistes vont ramener au-devant de la scène.<br />
Kitsch provoque, Kitsch blasphème, Kitsch exhibe,<br />
Kitsch racole, mais Kitsch n’est pas Manifeste. Loin des<br />
avant-gardes, la revue promeut le « mauvais goût », dans<br />
une esthétique pop et une certaine violence Dada, par<br />
opposition au bon goût d’une société bourgeoise pompidolienne<br />
au modernisme étriqué dans ses certitudes.<br />
[…] Kitsch provoque, Kitsch<br />
blasphème, Kitsch exhibe,<br />
Kitsch racole, mais Kitsch n’est<br />
pas Manifeste. Loin des<br />
vant-gardes, la revue promeut<br />
le « mauvais goût », dans une<br />
esthétique pop et une certaine<br />
violence Dada, par opposition<br />
au bon goût d’une société<br />
bourgeoise pompidolienne…<br />
MAGAZINE N O 7<br />
105<br />
Kitsch n’est pas une énième édition post-surréaliste,<br />
comme les années 50 et 60 en ont vu apparaître, mais<br />
un objet unique et déroutant. On cherche du texte ? Il<br />
n’y en a pas. Si ce n’est au sommaire, où l’on trouve<br />
associés à la rédaction Christian Bourgois et Roman<br />
Cieslewicz, les initiateurs, avec les complices Jacques<br />
Sternberg, Roland Topor et Marie Concorde, éditeur<br />
spécialisé dans la littérature érotique. En couverture,<br />
sous le titre, la reproduction d’une peinture de l’artiste<br />
américain Tom Wesselman : une bouche – lourdement<br />
fardée, entr’ouverte et cigarette se consumant en coin –<br />
n’offre aucune ambiguïté, Kitsch allume. Avec quelques<br />
années d’avance, la revue annonce par ses suites et la<br />
profusion d’images le phénomène éditorial des graphzines<br />
de la fin des années 70. Kitsch s’ouvre sur k/polaroid,<br />
une série de photographies instantanées de petites<br />
culottes qui préfigure déjà la mythique rubrique « le<br />
strip-tease des copines » de L’Écho des savanes dans sa<br />
deuxième formule au milieu des années 80.<br />
Au sein des 136 pages en noir et blanc sont successivement<br />
convoqués les peintres Richard Lindner,<br />
considéré comme l’un des fondateurs du Pop Art, et<br />
le sculpteur britannique hyperréaliste Allen Jones,<br />
qui organise toute son œuvre autour du concept de