dis raconte moi la bible pdf - Vincent-Paul Toccoli a-nous-dieu-toccoli

airs d’antan qui firent couler sur le visage ridé de Saraï quelques larmes de nostalgie.
Un chameau harnaché les attendait : ils montèrent tous deux dans la nacelle, tandis que les
premières barres violettes de l’aube étageaient sur l’horizon des échelles mouvantes. À quelques
kilomètres de la ville, au dernier caravansérail avant la piste, la grande litanie des chameaux, des
chevaux et des mulets attendait déjà en ordre de marche. Les troupeaux étaient partis en avant depuis
quelques heures et faisaient dans le lointain comme une grande rumeur sous un nuage de poussière.
Abram et Saraï s’avancèrent juchés sur leur monture. Tout se tut. Ils remontèrent toute la
caravane piaffante jusqu’à la tête, où le chameau s’arrêta de lui-même. Se dressant alors dans la
nacelle bien arrimée et tenant la main de Saraï, Abram leva la main droite vers le ciel en criant de sa
voix encore forte : En avant ! Alors dans un enchevêtrement de hurlements, de mugissements, de
hennissements, de barrissements et de jappements, l’aventure s’ébranla dans les sables frais du désert
matinal.
Par la route du Croissant Fertile, la longue caravane avança, rencontrant d’autres caravanes,
d’autres troupeaux en transhumance, d’autres voyageurs. Il fallut repousser les pillards, assainir les
puits, s’occuper des brebis mères et des vaches pleines. Abram avançait, rajeunissant d’étape en
étape, dans l’espérance de lendemains dont il ignorait tout et dont il attendait tout. Saraï se réjouissait
et lui souriait chaque fois que leurs regards se croisaient.
Et puis, un jour, on arriva en Canaan, entre la mer et le Jourdain. Abram monta jusqu’à Sichem
en plein centre du pays et installa le campement au lieu-dit le Chêne de Moré. Pendant qu’on montait
les tentes, Abram circulait et une voix, la même voix, lui répétait inlassablement : Je donnerai ce
pays à ta descendance. Abram érigea un autel à cet endroit. Puis on repartit en direction du Sud,
jusqu’à Bethel, où Abram érigea aussi un autel. Il continua encore sa progression, d’étape en étape,
vers le Negev, le désert du Sud.
Tant que la voix ne lui dit pas de s’installer, Abram continua. Il avait foi en ce qu’il avait
entendu. Le désert était son élément, car c’est l’élément des bâtisseurs de l’espérance.
*
* *
« Oui, peut-être ! » a-t-on envie de dire ! Mais en attendant, il fallait le courage de
recommencer sa vie à cet âge, alors que tout marchait bien, que les affaires prospéraient et que le
pays était si beau ! Mais c’est l’âge surtout, oui l’âge ! C’est surtout ça qui fait rêver : repartir à 75
ans, commencer quelque chose à nouveau, presque centenaire ! Il faut le faire !
J’imagine la panique des serviteurs, des collaborateurs et des clients d’Abram ! Un jour, il avait
du leur paraître bizarre ; ça avait commencé le soir où il ne descendait plus de la terrasse ! Après,
ça avait du s’enchaîner ! Des silences en guise de réponse à des questions qu’il réglait jusqu’ici
avec l’âpreté d’un financier chevronné : des yeux perdus de rêves en face de marchands fébriles à
compter et recompter les totaux d’une transaction ; des étourderies à table, alors que chacun
attendait, comme le veut la coutume, qu’il porte le premier la main au plat !
Un jour, Abram ne fut plus le même ! Un jour, il se mit à changer ! Quitte à s’étonner luimême
!
Comment peut-on encore changer à 75 ans ! Il faut que la vie soit extraordinaire, que ce qu’on
ne connaît pas encore soit fascinant, que l’aventure l’emporte sur la sécurité, pour que quelqu’un
soit prêt à plier bagage et à partir. Alors que tout allait bien, que tout marchait, que tout tournait
rond !
Mais dans le cas d’Abram, il semble qu’il y ait eu quelque chose de plus ou de différent ou
encore d’irrésistible !
Abram semble n’avoir pas été n’importe qui ! Si les gens autour de lui faisaient appel à lui pour
leurs affaires et leurs problèmes, c’est qu’il réfléchissait avant de parler ! Surtout, il devait avoir
une vaste expérience ! C’est ça ! Abram était un homme d’expérience ! Expérience de la vie, des
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