Travailler 2.0 - Le Monde
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management<br />
Entretienavec thierry nadisic<br />
«La“génération Y”<br />
est armée pour travailler<br />
dans un contexte d’instabilité»<br />
Comment les jeunes diplômés<br />
récemment arrivés sur le marché du<br />
travail abordent-ils l’instabilité des<br />
postes liée àlacrise économique?<br />
On les qualifie fréquemment de«génération<br />
Y».Etces «Y» sont mieux armés que<br />
leurs aînés pour travailler dans ce contexte.<br />
Ils ontnotammentune plus grande estime<br />
d’eux-mêmes, une conscience de leurs<br />
compétences plus aiguisée. Ce surplus de<br />
confiance se double d’une formation plus<br />
internationale, «globalisée». Ils ont par<br />
ailleurs àl’esprit qu’ils sont dans une société<br />
de la flexibilité, de l’adaptation et de<br />
la souplesse. En conséquence, ils vont davantage<br />
jouer la carte de l’employabilité<br />
que celledel’«entreprise àvie».<br />
La manière dont la flexibilité est abordée<br />
en France peut-elle influer sur l’attitude<br />
de ces jeunes diplômés?<br />
La France aeffectivement, àceniveau, une<br />
forte spécificité, mise en évidence par la<br />
théorie des «insiders-outsiders» [dualisme<br />
du marché du travail qui oppose les travailleurs<br />
en emploi stable et les précaires]<br />
de Paul Osterman, professeur au Massachusetts<br />
Institute of Technology (MIT). Il y<br />
aune prime donnée aux salariés de l’intérieur,<br />
déjà au sein de l’entreprise. Tout le<br />
système serait bâti pour que ces insiders<br />
conservent leurs emplois, au détriment<br />
des personnes situées au-dehors.<br />
Notre modèleest en cela totalementdifférent<br />
depays où la flexibilité du travail est<br />
parfaitementassumée. C’est le cas des pays<br />
anglo-saxons, où cette flexibilité est «ex-<br />
36 / <strong>Le</strong> <strong>Monde</strong> Campus lundi 18 mars2013<br />
terne»:une grande confiance est accordée<br />
au marché du travail, censé jouer le rôle<br />
d’amortisseur. Même chose en Europe du<br />
Nord, où la flexibilité est «interne»:lapolyvalence<br />
est encouragée, des formations<br />
toutaulong de la vie permettentaux personnes<br />
de ne pas se trouver déconnectées<br />
des besoins de l’entreprise…<br />
<strong>Le</strong>s choses évoluent toutefois progressivementenFrance.<br />
La notion de flexibilité externe<br />
aprogressé et leslicenciements sont<br />
aujourd’hui davantage compris. C’est tout<br />
particulièrement lecas parmi les jeunes<br />
évoluant dans la sphère des grandes écoles,<br />
«LEs jEunEsdipLômés<br />
ontàL’Esprit qu’iLs sont<br />
dans unEsociété<br />
dE La fLExibiLité,<br />
dE L’adaptation Et<br />
dE La soupLEssE»<br />
où lesrègles du jeu du système d’économie<br />
de marché sont globalement bien acceptées.<br />
Parallèlement, la France afait aussi<br />
des efforts sur la flexibilité interne avec le<br />
récentpacte de compétitivité [série de mesures<br />
présentées par le gouvernement Ayrault<br />
en novembre 2012].<br />
<strong>Le</strong>s formations s’adaptent-elles pour<br />
pouvoir préparer les futurs cadres au<br />
monde mouvant de l’entreprise?<br />
Oui, et les questions de plans de sauvegardedel’emploi<br />
et, plus généralement, de<br />
licenciementintéressenttoutparticulièrementles<br />
étudiants. On leur donne en cours<br />
des clés pour comprendre comment agir<br />
en tantque manageur,licencié ou observateur,enpareillesituation.<br />
Ils sontd’ailleurs<br />
souvent étonnés par la profondeur psychologique<br />
des mécanismes en jeu.<br />
Et puis, il s’agitaussi de leur donner àvoir<br />
la société de la flexibilité dans laquelle<br />
thierry nadisic,docteur en comportement<br />
organisationnel, enseigne àl’EM Lyon.<br />
Sesrecherches ontpour thèmesprincipaux<br />
lessentiments du justeetdel’injuste, les<br />
émotions et le bien-être au travail. Il est<br />
coauteur,avecRussell Cropanzano et Jordan<br />
H. Stein, de Social Justice and the Experience of<br />
Emotion (Routledge, 2010).<br />
nous vivons de façon plus générale :audelà<br />
de l’entreprise, d’autres domaines<br />
–comme le couple –sont concernés. <strong>Le</strong>s<br />
règles du jeu de la société flexible d’aujourd’hui<br />
font qu’on peut être conduit à<br />
«sortir» quelqu’un de l’entreprise, mais<br />
aussi àensortir, delamême façon qu’on<br />
arrête une relation de couple, alors qu’à<br />
une époque la loyauté àvie était larègle<br />
dans ces deux domaines.<br />
Si l’on accepte cette idée, les choses semblent<br />
moins dramatiques lorsque la société<br />
où l’on travaille doit supprimer des<br />
emplois. Cette flexibilité est de plus en<br />
plus acceptée par lesparticipants auxformations<br />
dans les écoles decommerce, ce<br />
qui est dû,aussi, au faitqu’ils se trouvent<br />
sur un segment dumarché du travail qui<br />
fonctionne bien.<br />
L’importance accordée aux relations humaines,<br />
notamment en cas de plan social,<br />
est-elle également évoquée?<br />
Nous réalisons effectivement des formations<br />
qui incitentà«mettre de l’huile» au<br />
niveau humain dans les organisations<br />
pour que toutlemonde yvivemieux et s’y<br />
réalise. Et pour qu’on se rende compte<br />
qu’après un licenciement onpeut aussi se<br />
réaliser dans d’autres entreprises, en<br />
France ou àl’étranger,sionadéveloppé les<br />
bonnes compétences.<br />
On apprend aux étudiants àêtre des manageurs<br />
non pas centrés sur leur seul périmètre<br />
personnel, mais ouverts sur les<br />
autres, àl’écoute, dans le respect, l’empathie.<br />
Cela vaut, bien évidemment, au momentdes<br />
licenciements. Il est fondamental<br />
de veiller àmettre de l’humain dans les<br />
moments d’annonce et d’accompagnement<br />
des salariés licenciés et de leur donner<br />
tous les moyens pour qu’ils rebondissentailleurs.<br />
ProPos recueillis Par F. D.