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Travailler 2.0 - Le Monde

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carrière<br />

Du papier carbone,<br />

un stylo, etunquestionnaire<br />

àremplir. Arnaud (le prénom<br />

aété modifié), employédans<br />

une entreprise de distribution, se<br />

plie àcet exercice une fois par<br />

mois. Dans une première phase<br />

qu’il qualifie d’«intrusive», il décrit<br />

son ressenti. Ensuite, il doit<br />

lui-même s’attribuer des tâches<br />

pour le mois suivant, auxquelles<br />

viennent s’ajouter les préconisations<br />

du responsable qui l’évalue.<br />

«Ilnes’agit pas de faire le point.<br />

On nous sonde pour légitimer des<br />

critiques négatives lors de l’entretien<br />

de fin d’année, pour refuser<br />

une augmentation ou une évolution<br />

de parcours», dénonce Arnaud.<br />

Une autre salariée renchérit<br />

:«Cette année, l’objectif fixé a<br />

été atteint. Nous avons demandé<br />

une prime pour ces bons résultats :<br />

impossible, car nous avons fait<br />

moins bien que la région…»<br />

Ces plaintes sontloin d’être exceptionnelles.<br />

L’évaluation, ancrée<br />

depuis un moment dans les<br />

52 / <strong>Le</strong> <strong>Monde</strong> Campus lundi 18 mars2013<br />

Jugée indispensable par lessalariés,<br />

l’évaluation individuelleest aussi l’objet<br />

de leurs critiques. En cause :des méthodes<br />

tropcentréessur lesrésultats, quineprennent<br />

pas assez en comptelecollectif de travail.<br />

Evaluation,<br />

ou flagellation?<br />

pratiques de gestion des ressources<br />

humaines, est vécue de<br />

façon très différente d’une entreprise<br />

àl’autre. Alors que les uns<br />

décrivent un moment dedialogue<br />

indispensable avec la hiérarchie,<br />

d’autres dénoncent des<br />

pratiques basées sur des critères<br />

flous, ou vouées àjustifier les décisions<br />

de la direction.<br />

«L’entretien annuel» reste un<br />

des outils d’évaluation lesplusrépandus.<br />

<strong>Le</strong> salarié et son supérieur<br />

se rencontrentafin d’évaluer<br />

la performance de l’employé en<br />

fonction d’objectifs, quantitatifs<br />

ou qualitatifs, fixés par la hiérarchie.<br />

Ce rendez-vous annuel est<br />

souvent couplé avec cequ’on appelle<br />

«l’entretien professionnel»,<br />

qui porte sur le projet professionnel<br />

du salarié et sur ses besoins de<br />

formation. Une ou plusieurs fois<br />

par an, salarié et manageur se retrouvent<br />

ainsi autour d’un questionnaire<br />

et discutent performances<br />

et objectifs futurs.<br />

«Tracer l’activité »<br />

Il existe aussi d’autres méthodes<br />

d’évaluation, moins répandues,<br />

mais en voie d’expansion.<br />

L’une d’elles consiste àutiliser les<br />

possibilités offertes par la généralisation<br />

des technologies numériques<br />

au travail. «Ilest désormais<br />

possible de “tracer” l’activité de<br />

chaque personne», explique Bernard<br />

Salengro,médecin du travail<br />

et syndicaliste CFE-CGC.<br />

Il en est de même du «forced<br />

ranking», c’est-à-dire le classement<br />

des salariés en plusieurs<br />

niveaux de performance, selon<br />

une répartition fixée àl’avance.<br />

Très employée dans les entreprises<br />

anglo-saxonnes où elle est<br />

vantée comme un vecteur de<br />

productivité, cette méthode suscite<br />

la controverse en France.<br />

«L’essentieL<br />

du travaiL<br />

estsubjectif.<br />

Or,Lasubjectivité<br />

ne se mesure pas»<br />

Christophe Dejours, psychiatre<br />

«L’entreprise définit un certain<br />

nombre de notes, cinq dans notre<br />

cas, et établit des quotas de répartition<br />

des collaborateurs en cinq<br />

groupes. Si on se retrouve tout en<br />

bas, il faut se rattraper ou on<br />

risque de sortir de l’entreprise»,<br />

explique Eric Dalmasso, manageur<br />

à Accenture, société de<br />

conseil en management.<br />

Il estime que ce «forced ranking»<br />

«génère de la compétition<br />

et du stress» :«Il ne s’agit pas<br />

d’être bon, il faut être meilleur<br />

que les autres.» <strong>Le</strong> système met<br />

aussi mal àl’aise les manageurs<br />

qui «setrouvent dans une situation<br />

schizophrène :ils doivent affecter<br />

les notes en fonction des<br />

demandes de la direction, et s’ils<br />

ontdes groupes où tout le monde<br />

est bon, il faut quand même dire à<br />

certains éléments qu’ils ne sont<br />

pas au niveau».<br />

<strong>Le</strong>s entreprises sont d’autant<br />

plus promptes à«acheter» n’importe<br />

quelle technique d’évaluation<br />

que ne pas évaluer leur fait<br />

courir un risque juridique : «Tout<br />

collaborateur adroit àl’évolution<br />

et àlaformation professionnelle,<br />

rappelle Nadine Reigner Rouet,<br />

avocate spécialisée en droitdutravail.<br />

Or, pour former, ilfaut évaluer.Cen’est<br />

donc pas pour le plaisir<br />

que les employeurs évaluent,<br />

mais en raison de l’aiguillon de la<br />

loi et du risque prudhommal.»<br />

<strong>Le</strong>s critiques contre cette généralisation<br />

des pratiques d’évaluation<br />

ne sont pourtant pas nouvelles.<br />

Dès les années 2000,<br />

Christophe Dejours, psychiatre<br />

spécialiste du travail, théorise les<br />

méfaits de l’évaluation en la liant<br />

àl’aggravation des problèmes de<br />

santé autravail. «<strong>Le</strong>s méthodes<br />

d’évaluation largement diffusées<br />

passent pour objectives, car fon-

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