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— Monsieur le premier chirurgien, il faut bien que la nature<br />
conserve sa part de mystère. Allez, c’est bon, pour l’essentiel on<br />
a compris alors qu’on fasse enfermer le tout dans un cercueil en<br />
plomb. On est bien d’accord sur ce qu’il faudra déclarer, Paré ?<br />
— Je m’en lave les mains, répond Ambroise en le faisant<br />
dans une bassine pleine d’eau.<br />
Quittant la salle de dissection, le vieux chirurgien à barbe<br />
grise entend fondre derrière lui quantité de courtisans coiffés de<br />
plumes en touffes ou aigrettes qui, connaissant les bruits qui<br />
courent, s’empressent aux nouvelles. Le mémorialiste Brantôme<br />
écrira plus tard dans ses mémoires : « Ambroise Paré nous dit<br />
en passant et sans longs propos que le roi avait trop sonné de<br />
la trompe à la chasse au cerf et ne nous en dit pas plus. »<br />
Resté devant la porte, le premier chirurgien est plus disert :<br />
— Nous avons pu constater de visu l’état des viscères<br />
exempts de poison. Les bavards perdent leur temps. Le roi est<br />
mort d’avoir trop sonné du cor et d’abus d’exercices amoureux.<br />
Ce n’est pas la reine Catherine mais la chasse et l’amour qui<br />
l’ont tué. Puis, très en verve, il fait le poète :<br />
Pour avoir aimé trop Diane et Vénus aussi<br />
L’une et l’autre l’ont mis en ce tombeau icy.<br />
Dans la fausse chambre du roi, le vrai corps du monarque<br />
repose maintenant sous le lit. Dessus se trouve le mannequin au<br />
visage de cire vierge ressemblant au défunt. Il est couronné,<br />
entouré par moult cierges qui flambent et des soldats aux<br />
armures étincelantes paraissant eux-mêmes statufiés. Assis sur<br />
des coffres, seigneurs et gentilshommes ont la larme à l’œil. Le<br />
chancelier de Birague renifle près du roi de Navarre bien marri.<br />
Depuis trois ou quatre heures, ils sont là à regarder l’effigie du<br />
souverain déguisé en ange de lumière. Il va être midi, ils ont<br />
faim.<br />
C’est alors que – admettons que Dieu fasse bien les choses –<br />
la porte de la chambre s’ouvre sur un maître d’hôtel et des<br />
officiers de bouche poussant la nef royale à roulettes et<br />
apportant, en premier service, des mets fumants qui fleurent<br />
bon les épices, la cannelle et même le musc. Toute cette<br />
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