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Dans son petit cabinet privé où le samedi 23 août au soir il<br />
avait reçu son Conseil ainsi que sa mère et Anjou, Charles assis,<br />
front appuyé sur les genoux et la nuque dans ses paumes,<br />
grommelle :<br />
— Une seule nuit a détruit ma vie. Qu’à tous les diables<br />
soient données les religions.<br />
Une profonde émotion de remords fermente sans cesse dans<br />
son esprit :<br />
— Vous, Coligny et mes amis, trop chères victimes, pardon !<br />
Si vous étiez témoins de mes douleurs, à votre meurtrier, vous<br />
donneriez des pleurs.<br />
Il se lève pour aller se contempler dans le reflet d’un miroir<br />
auquel il s’adresse :<br />
— Mais qu’as-tu ordonné, Charles ? Hélas, hélas ! Les morts<br />
ne sont pas si morts que l’on croit.<br />
Dans ce Louvre qui maintenant lui fait horreur, il se<br />
reproche :<br />
— Tu as commis un grand crime. Tu n’es plus un roi mais un<br />
assassin. Un meurtre abominable ensanglante tes mains. Te<br />
voilà couvert du sang de tes sujets.<br />
Il tend l’index croûteux, enflé et tuméfié (l’autre fois entaillé<br />
par la lame de sa dague) vers la vitre de son miroir et se<br />
menace :<br />
— Voilà une souillure dont tu ne te laveras pas facilement. Tu<br />
as de tous les plus vils tyrans de l’Histoire réuni les forfaits ! Les<br />
Vêpres siciliennes et le banquet « fraternel » où César Borgia fit<br />
étrangler ses invités sont innocentes bagarres de rue d’après<br />
bals comparées à ton incroyable délit.<br />
Tout l’accuse en son esprit troublé. Même derrière lui, sur la<br />
tapisserie surannée et banale tel un décor d’opéra qu’il voit<br />
inversée dans le reflet, le cerf aux abois en a l’œil devenu noir<br />
qui clignote comme un battement de cils stupéfait.<br />
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