Habiter
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26<br />
Point fort<br />
l’attention. Quelques-uns de<br />
mes camarades handicapés<br />
argumentaient qu’il était parfaitement<br />
insupportable, quand ils<br />
participaient à un événement<br />
social, que tout tourne autour<br />
de leur AP tandis qu’eux-mêmes<br />
étaient ignorés. Pour la même<br />
raison, la plupart des personnes<br />
avec un handicap que je connais<br />
emploient de préférence des<br />
étrangers et, contrairement à<br />
moi, évitent soigneusement les<br />
amis. Pour eux, il est beaucoup<br />
plus facile de préserver une<br />
distance professionnelle quand<br />
on ne connaît pas son AP personnellement,<br />
surtout quand il<br />
ou elle doit accomplir des tâches<br />
relevant de la sphère intime. A<br />
partir du moment où des amis<br />
assument le rôle d’aide, on<br />
perdrait sa sphère privée et<br />
peut-être aussi son identité.<br />
Pour avoir un avis différent, j’en<br />
ai parlé avec Daniela, une utilisatrice<br />
de fauteuil roulant dans la<br />
quarantaine. Elle souffre d’une<br />
maladie congénitale dégénérative<br />
et publie un magazine pour<br />
handicapés. Daniela fait partie<br />
des 250 handicapés suisses qui<br />
ont participé ces cinq dernières<br />
années au projet pilote national<br />
d’AP. Elle m’a raconté qu’elle<br />
cherchait ses assistants en punaisant<br />
des offres d’emploi sur le<br />
tableau ad hoc à l’université;<br />
qu’elle avait toujours eu plus de<br />
candidats que ce dont elle avait<br />
besoin, mais qu’il était «difficile<br />
de trouver des gens qui<br />
prennent cette tâche suffisamment<br />
au sérieux, indépendam-<br />
ment du fait que les relations personnelles sont<br />
bonnes et détendues». Daniela sait exactement ce<br />
qu’elle attend de son assistant(e): «Je demande<br />
une fiabilité à 100%, de la ponctualité, du respect,<br />
du rendement, une formation académique, un<br />
caractère enjoué et du goût pour les chats!»<br />
Comme tous les employeurs, Daniela peut, elle<br />
aussi, entonner la rengaine de ces employés qui<br />
ne sont pas à la hauteur des exigences: la fantaisiste<br />
qui ne note que la moitié de ses heures;<br />
l’alcoolique qui, un jour, arrive au boulot complètement<br />
défoncé; l’éternel adolescent qui, au<br />
fond, voudrait être lui-même materné. «Il n’est<br />
pas simple d’être un bon employeur, avoue-t-elle.<br />
Loyal, juste et exigeant sans être bourru, ponctuel<br />
dans le versement du salaire même quand<br />
l’argent de la Confédération n’est pas encore<br />
arrivé. L’administration exige beaucoup d’efforts,<br />
mais ça en vaut absolument la peine.»<br />
Une véritable libération<br />
Les informations de Daniela me renforcent dans<br />
ma conviction que l’assistance personnelle constitue<br />
pour les personnes handicapées une véritable<br />
libération. Nombre d’entre elles se trouveront pour<br />
la première fois de leur vie en situation de prendre<br />
part à la vie sociale. Par ailleurs, les recherches<br />
scientifiques montrent que ce modèle est meilleur<br />
marché que la prise en charge dans un foyer.<br />
Mais en ma qualité de sociologue, je trouve<br />
également le modèle AP hautement fascinant<br />
d’un point de vue social et éthique. Dans les<br />
années 70 et 80, les pionniers de cette forme<br />
d’autonomie rejetaient catégoriquement les<br />
offres d’aide traditionnelles. Avec des conséquences<br />
diverses.<br />
D’abord, ces gens préféraient ne pas embaucher<br />
des professionnels des soins infirmiers qui croient<br />
toujours mieux savoir ce qui convient. Au lieu de<br />
cela, ils s’adressèrent à des profanes qu’ils pouvaient<br />
former à leur guise. Mais bien des handicapés<br />
sont très vulnérables: ils peuvent facilement<br />
être maltraités, volés, exploités. Beaucoup<br />
d’assistants travaillent pour plus d’un employ-