Nat'info Printemps 2005 - Fédération Française de Natation

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Entre les lignes d’eau
Retour sur l’exploit
de Larsen Jensen à Athènes Par Jacques MESLIER
Photo Marc PLANCHE / FFN
En avril 2004, nous écrivions (Natation Infos n° 1234)
que ce jeune Américain de 19 ans avait décidé, en
2003, lors des Championnats du monde à Barcelone,
de relever le défi après sa défaite au 1500 m, cinquième
en 15:08.25 à près de 25 secondes de son vainqueur,
l’Australien Grant Hackett, maître incontesté du 1500 m
depuis 1998.
Le protégé de Bill Rose, head coach au club prestigieux
de Mission Viejo Nadadores en Californie, a tenu
parole puisqu’il a terminé à moins de 2 secondes de
Hackett aux JO d’Athènes : 14:45.29 contre 14:43.40 à
l’Australien.
Comment ce nageur, dont le meilleur temps en 2003 était de 15:00.81,
est-il passé en 2004 de 14:56.71 aux sélections américaines à son temps
d’Athènes, l’ améliorant de 11 secondes à un mois d’intervalle ?
Bill Rose explique que cet exploit est le résultat d’une planification rigoureuse
et d’un entraînement forcené suivi avec une détermination exemplaire.
Sur le plan de l’entraînement, la distance par semaine pouvant passer
de 90.000 mètres à parfois plus de 100.000 mètres. L’accent était mis sur
le travail d’allure en fonction d’un tableau de marche appliqué strictement
dans lequel Jensen s’est imprégné et mémorisé dans son esprit, à tel
point qu’il affichait ses temps de passage dans son appartement, sur sa
télévision, sur son miroir avec une encre indélébile.
Cette ténacité à “s’immerger” littéralement dans ses temps de passage
a largement payé à Athènes puisqu’il a respecté son tableau de marche
au-delà des espérances du nageur et de l’entraîneur, comme on peut le
constater ci-après :
Tableau de marche de Larsen Jensen pour Athènes
Objectif prévu
Temps réalisés
100 m 57.20 57.28
200 m 59.70 59.90
300 m 59.70 59.78
400 m 59.70 59.78
500 m 59.70 59.94
600 m 59.70 59.34
700 m 59.70 59.34
800 m 59.50 59.22
900 m 59.20 58.89
1000 m 59.20 58.81
1100 m 59.20 58.86
1200 m 58.80 59.06
1300 m 58.70 58.86
1400 m 58.20 58.42
1500 m 57.50 57.81
14:45.70 14:45.29
Pour en arriver à ce point, Larsen Jensen avait effectué à l’entraînement
des séries très difficiles, par exemple une série type comme :
• 15 x 100 (départ toutes les 1:15) à 1:02 de moyenne
• 10 x 100 (départ toutes les 1:10) à 1:00 de moyenne
• 5 x 100 (départ toutes les 1:05) à 58.00 de moyenne
Mais c’est surtout dans l’ultime préparation, au camp d’entraînement de
l’équipe des Etats-Unis avant les Jeux, qu’il stupéfia tout le monde par des
séries qualifiées de “monstrueuses” comme celle d’une série de 8 x 400 m
en descendant chaque départ de 10 secondes tous les deux fois 400 m.
Ainsi en partant tous les 4:40, il nagea 4:20 et 4:18,
• 4:30 4:16 et 4:12
• 4:20 4:11 et 4:08
• 4:10 4:02 et…
Jan Urbanchek, responsable de l’équipe masculine, lui demanda alors
s’il se sentait capable de nager en moins de 4 minutes. Larsen explosa
cette marque en réalisant 3:49 ! (rappelons qu’il se qualifia aux sélections
américaines en 3:49.8).
Outre le travail d’allure parfaitement intégré, Bill Rose décida d’adopter
la modification proposée par Nort Thornton (Golden Bears en Californie)
en ce qui concerne le battement de jambes. Après avoir étudié la nage de
Grant Hackett et de Kievin Perkins, Nort Thornton concluait que le seul
moyen de battre les spécialistes australiens était de nager pendant tout le
1.500 m avec un battement à six temps.
Bien que la plupart des nageurs de demi-fond de son équipe nageaient
avec un battement à deux temps ou à quatre temps, le changement fut
difficile à assimiler pour Jensen. Mais lorsque Chad Carvin, un autre grand
spécialiste du demi-fond de l’équipe, fut le premier à battre le record des
Etats-Unis du 800 m en 7:58 – alors que son meilleur temps en 2003 était
de 8:05.46 – Bill Rose décida de continuer dans cette voie, adoptant le
battement à six temps pour les nageurs de 1.500 m qui avaient le potentiel
pour le faire.
L’entraîneur de Mission Viejo pense que l’on doit utiliser intelligemment
le battement à six temps, sans trop mettre l’accent dessus au cours de la
nage afin que le coût énergétique ne soit pas trop élevé et que cela permette
un meilleur équilibre du corps et une plus grande efficacité.
“Je crois
qu’il pourra nager
aux alentours de 14:20
Bill Rose a donc augmenté le pourcentage du travail des jambes, entre
20 % et 30 % du volume total, mais cela est fait avec une grande intensité,
comme en témoigne une série de Larsen : 10 x 100 m en battements,
départ toutes les 1:20.00 et environ 1:10.00 à chaque répétition. Cela a
probablement contribué à améliorer la vitesse de Larsen Jensen (meilleur
temps sur 200 m en 2004, 1:50.6).
L’entraîneur californien met aussi à profit les exercices techniques réalisés
chaque jour au cours de l’échauffement pour observer et améliorer la
technique de chaque nageur.
A la question “Larsen Jensen pourra-t’il battre le record de Grant Hackett
?” Bill Rose répond modestement “Quand ? Je ne sais pas. Soyons
clairs, les succès du nageur lui appartiennent avant tout. Mais pour battre
le record du monde, il devra être à 100 % de son art. Je crois qu’il pourra
nager aux alentours de 14:20, mais pour cela il lui faudra progresser aussi
sur 400 m quand il atteindra la maturité”. (meilleur temps actuel 3:46).
Jensen croit que sa performance d’Athènes va inciter une nouvelle génération
de nageurs à se lancer avec enthousiasme vers le demi-fond
et,comme au temps du nageur de légende Brian Goodell (champion olympique
et recordman du monde en 1976 et détenteur encore de la 21 e marque
de tous les temps avec 15:02.40), ce serait bien si la jeune génération
disait “Je voudrais être comme Larsen”.
Quoi qu’il en soit, la Fédération américaine ne ménage pas ses efforts
pour que le demi-fond retrouve son lustre des années 1970 ; avant Athènes,
elle avait promis un million de dollars à celui qui gagnerait la médaille
d’or du 1.500 m en battant le record du monde. Il fallait bien tenter de
redresser le niveau du demi-fond, puisque dans les années 1975 et 1976,
huit nageurs américains étaient classés parmi les dix meilleurs nageurs
du monde contre un en 2004, soit son plus mauvais classement depuis
huit ans.
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