ÃTUDE Regard sur la littérature féminine algérienne
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famille et que le pays tout entier est en proie à une violence désespérément quotidienne. Ainsi s’installe<br />
le contraste : d’un côté <strong>la</strong> beauté du monde dont l’écriture rend l’éc<strong>la</strong>t, <strong>la</strong> soif de vivre et d’aimer de<br />
l’héroïne, de l’autre l’intolérance d’une société de plus en plus frileuse et peu apte à comprendre, encore<br />
moins à accepter le désir de liberté des femmes ; <strong>la</strong> violence qu’elles subissent les pousse à <strong>la</strong> révolte, au<br />
désir de transgression mais crée aussi cette “ immense chaîne de solidarité ” qui les lie au cœur de <strong>la</strong><br />
tourmente collective et de celle que traverse <strong>la</strong> jeune femme confrontée à l’épreuve de l’avortement.<br />
L’écriture, écriture de <strong>la</strong> lumière mais aussi de <strong>la</strong> souffrance, qui trouve des accents camusiens pour<br />
dire <strong>la</strong> perfection du monde mais aussi sa “ tendre indifférence ”, dit, en des pages denses,<br />
l’insupportable douleur vécue par le personnage.<br />
Même travail remarquable de l’écriture dans le second roman de Maïssa Bey, Cette fille-là (L’Aube,<br />
2001) où une narratrice complètement révoltée écoute ou fait parler d’autres femmes qui ont, comme<br />
elle, au bout de parcours douloureux, échoué en une espèce d’asile, lieu central du récit, lieu tragique à<br />
cause de <strong>la</strong> somme des souffrances qu’il contient, lieu où se nourrit <strong>la</strong> colère et <strong>la</strong> lucidité de <strong>la</strong> narratrice,<br />
abandonnée comme toutes ces femmes ; le terme d’abandon est d’ailleurs le maître mot du récit et<br />
obsède <strong>la</strong> narratrice <strong>la</strong>ncée dans une quête aussi vaine que douloureuse de ses origines ; tout le récit est<br />
re-construction, de sa vie mais aussi de celle de ces femmes, à partir de morceaux qu’elle assemble, retrouvant<br />
dans son imaginaire le rejet dont elles ont été les victimes, l’intolérance d’une société sans merci,<br />
sans tendresse et parfois des bribes de bonheur toujours payées au prix fort. L’ironie, parfois presque<br />
cynique, permet de ne jamais tomber dans le mélodrame malgré le pathétique des situations rapportées<br />
ou vécues.<br />
Cette distance qui permet de contenir l’émotion en une retenue toute c<strong>la</strong>ssique, on <strong>la</strong> retrouve de façon<br />
exemp<strong>la</strong>ire dans le dernier texte : Entendez-vous dans nos montagnes (L’Aube/Barzakh, 2002),<br />
pur diamant dont ce texte a <strong>la</strong> dureté mais aussi l’éc<strong>la</strong>t. Longtemps porté par l’auteure, le souvenir du<br />
père disparu après avoir été emmené par l’armée française trouve ici son expression artistique, <strong>la</strong> narratrice<br />
reconstruisant par le biais de <strong>la</strong> fiction le parcours du père. L’emploi de <strong>la</strong> troisième personne met à<br />
distance l’événement mais ne lui enlève rien de sa densité ni de sa force. Dans un wagon sont, par hasard,<br />
réunis une femme, Algérienne d’une cinquantaine d’années, un Français plus vieux et une toute<br />
jeune fille ; dans cet espace clos, le passé va re<strong>sur</strong>gir : <strong>la</strong> femme a perdu son père à l’époque où l’homme<br />
faisait son service militaire en Algérie, précisément dans sa région natale (qui est aussi celle de l’auteure,<br />
fiction et autobiographie se mê<strong>la</strong>nt très subtilement) ; ainsi remontent à <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face les souvenirs des personnages<br />
dont le croisement aide le lecteur à reconstituer l’histoire passée, à soupçonner quel rôle a pu<br />
jouer l’homme dans le martyre du père, les questions de <strong>la</strong> jeune fille obligeant les personnages à mettre<br />
en mots les souvenirs enfouis au fond de <strong>la</strong> mémoire, en un long travail de “ spéléologie ”.<br />
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