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ÉTUDE Regard sur la littérature féminine algérienne

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De cette décennie on retiendra <strong>la</strong> parution du premier roman d’Hawa Djabali, Agave (Publisud,<br />

1983) : il s’agit là d’une très grande écrivaine qui donnera en 1998 (chez Marsa éditions) ce qu’on pourrait,<br />

en toute subjectivité, considérer comme l’un des plus beaux romans algériens, G<strong>la</strong>ise rouge. Boléro<br />

pour un pays meurtri. Paru quinze ans plutôt, Agave mettait en p<strong>la</strong>ce presque tous les motifs que reprendra<br />

G<strong>la</strong>ise rouge.<br />

Le roman connaît dès sa sortie un beau succès ; il raconte quelles difficultés éprouvent deux jeunes<br />

gens qui s’aiment à se constituer en couple ; le mariage ne les rapproche pas : inauguré par un malentendu,<br />

il se défait peu à peu à cause du poids muti<strong>la</strong>nt de <strong>la</strong> société et de leur incapacité à se parler. Le<br />

chemin qu’ils font l’un vers l’autre passe par un lieu et un personnage exceptionnel, <strong>la</strong> “ montagne<br />

verte ” et Aïcha qui y habite, en totale harmonie avec le monde qui l’entoure et dont elle cultive <strong>la</strong> beauté.<br />

Conteuse, elle sait aussi écouter, ce que les deux jeunes gens apprennent près d’elle, et ce passage<br />

par <strong>la</strong> montagne verte leur permet de se rejoindre. Le roman ne se termine pas pour autant en happy<br />

end, <strong>la</strong> question qui le clôt : “ à quoi pense-t-elle ? ” instal<strong>la</strong>nt une certaine inquiétude. Cependant ce<br />

n’est pas un roman de l’échec, bien au contraire, à cause de l’espoir qui le sous-tend d’un bonheur possible<br />

si hommes et femmes, attentifs l’un à l’autre, arrivent à briser les barrières qui les séparent pour<br />

vivre en un pays dépeint, par ailleurs, sans comp<strong>la</strong>isance mais sans acharnement non plus comme une<br />

terre où il est possible d’être heureux. Très travaillée, l’écriture emprunte à l’oralité <strong>la</strong> forme du conte<br />

qui s’introduit dans <strong>la</strong> fiction, forme non pas figée mais redynamisée, actualisée, <strong>la</strong> conteuse inventant les<br />

récits qu’elle raconte, les chargeant de <strong>la</strong> révolte des femmes et de leurs espoirs.<br />

La montagne, espace emblématique, se retrouvera au cœur de G<strong>la</strong>ise rouge dont elle est l’espace<br />

fondamental : en effet, on y voit une grand-mère venir chercher à Alger, où elle s’étiole, sa petite fille<br />

pour l’emmener <strong>sur</strong> <strong>la</strong> montagne où elle vit ; ce qui contribue à faire de ce roman une œuvre superbe,<br />

c’est à <strong>la</strong> fois le rapport à <strong>la</strong> nature et le caractère exceptionnel des figures féminines centrales, <strong>la</strong> grandmère<br />

Nedjma (clin d’œil à Kateb) et Hannana, personnage hors du commun, qui vont apprendre à <strong>la</strong><br />

jeune fille une “ autre façon de vivre ”.<br />

Le séjour de <strong>la</strong> jeune fille qui va rester toute une année <strong>sur</strong> <strong>la</strong> montagne, permet à l’auteure, en même<br />

temps que se déroule l’“ apprentissage ” de l’héroïne (car c’est bien d’un roman de formation qu’il<br />

s’agit), de décrire <strong>la</strong> montagne sous les multiples facettes que lui dessinent les différents saisons et d’en<br />

montrer <strong>la</strong> splendeur. L’écriture s’attache à rendre les nuances les plus fines du cycle des saisons, <strong>la</strong> lumière<br />

de janvier, le ciel de décembre, une pinède au mois de juin. Dans cet espace de beauté, les personnages<br />

féminins inventent un mode de vie où se mêlent l’utopie et l’observation émue du vécu et des gestes<br />

des femmes. La grand-mère et Hannana se définissent par le rapport qu’elles entretiennent avec <strong>la</strong><br />

terre, le pays en dehors duquel il n’est pas de vie possible pour elles, et <strong>la</strong> matière, <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ise rouge<br />

qu’elles travaillent de leurs mains ; c’est dans l’art des jardins et <strong>la</strong> représentation qui en est faite que se<br />

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