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ÉTUDE Regard sur la littérature féminine algérienne

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prison, La Femme sans sépulture reproduisent d’autres tableaux ou détails de tableaux<br />

d’orientalistes — instaurent un dialogue avec les toiles. Mais le travail le plus important <strong>sur</strong> ce rapport<br />

au regard orientaliste, c’est dans <strong>la</strong> postface que l’auteure le réalise, s’appropriant, comme l’écrit Christiane<br />

Achour (in : Noûn) cette part d’héritage, “ toute représentation de <strong>la</strong> femme algérienne faisant<br />

partie de son patrimoine ”. Les femmes apparaissent à l’auteure “ moins sultanes que prisonnières ” : ce<br />

thème de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>ustration, déjà présent dans Les Enfants…, sera désormais, on l’a déjà dit, un élément<br />

majeur, thème obsédant dans toute <strong>la</strong> production d’Assia Djebar. Et avec lui, celui de <strong>la</strong> “ sourcière ”<br />

comme elle se qualifie, désirant parler non plus “ pour ” ni “ <strong>sur</strong> ” mais “ tout contre ” les femmes dont<br />

elle répercute les voix étouffées, le silence mais aussi <strong>la</strong> révolte.<br />

L’Amour… (Enal/Lattès, 1980) qui paraît ensuite, peut être considéré comme le plus beau roman de<br />

l’auteure et sans doute de <strong>la</strong> décennie dans <strong>la</strong>quelle il paraît. Il s’écrit en faisant d’une intertextualité<br />

déc<strong>la</strong>rée, avec les écrits de <strong>la</strong> conquête, <strong>la</strong> matrice du récit : c’est en reprenant, en commentant, questionnant<br />

les textes de l’autre que <strong>la</strong> narratrice réécrit une histoire autre, qu’elle se réapproprie en renversant<br />

le point de vue de ceux qu’elle appelle les “ premiers faussaires ”, réappropriation qui passe aussi<br />

par le recours à l’imaginaire qui est, dit-elle, moyen de “ restituer vie et mouvement à ce qui est mort ”,<br />

le problème n’étant pas “ de respect mais d’amour ”.<br />

Si l’histoire de <strong>la</strong> conquête se réécrit ainsi à partir des textes de l’envahisseur, celle de <strong>la</strong> guerre de libération<br />

s’écrit à partir des voix des femmes qui de “ chuchotements ” en “ murmures ”, constituent et<br />

transmettent <strong>la</strong> mémoire. Mais ces femmes à l’écoute desquelles elle se met, elle s’en est doublement<br />

coupée, elle qui se meut en toute liberté au dehors grâce au père : lui permettant l’accès à l’école, il rend<br />

possible l’entreprise de se dire et de dire les autres. Cette liberté et <strong>la</strong> connaissance du français se payent<br />

de l’isolement : l’écriture dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue de l’autre, seule possible, installe <strong>la</strong> déchirure : “ mots torches<br />

qui éc<strong>la</strong>irent mes compagnes (… ) d’elles définitivement, ils me séparent ”. Le rapport qu’elle entretient<br />

avec cette <strong>la</strong>ngue est complexe : l’exercice autobiographique qu’elle rend possible est senti comme périlleux<br />

: “ Tenter l’autobiographie par les seuls mots français, c’est, sous le lent scalpel de l’autopsie à vif,<br />

montrer plus que sa peau ”. Le ma<strong>la</strong>ise, l’ambiguïté, tout autant que <strong>la</strong> richesse caractérisent ce rapport<br />

que les écrivaines plus jeunes vivront plus tard sans aucune culpabilité.<br />

Ombre sultane (Lattès, 1987) s’attache à <strong>la</strong> solidarité qui unit Isma à Hadji<strong>la</strong> qu’elle a choisie comme<br />

épouse au mari dont elle s’est séparée ; <strong>la</strong> narratrice, Isma, permet à celle qu’elle ne considère pas<br />

comme une rivale de sortir en lui donnant <strong>la</strong> clé de l’appartement fermé par le mari. Ainsi, à côté de <strong>la</strong><br />

thématique de l’enfermement, se déploie celle de <strong>la</strong> “ sororité ” qui s’amplifiera dans <strong>la</strong> réflexion de<br />

l’auteure ; ce qui court aussi dans tout le récit c’est l’impossibilité du bonheur, du moins dans <strong>la</strong> durée,<br />

comme le montrent les récits racontés par les femmes et <strong>la</strong> propre vie de Hadji<strong>la</strong>.<br />

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