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UN FÉERIE en TECHNICOLOR<br />
LE CENDRILLON de MASSENET<br />
Isabelle Soraru<br />
PHOTO : DENNIS KWAN<br />
Qui ne connaît pas les célèbres<br />
Contes de ma mère l’Oye, et surtout<br />
Cendrillon à la pantoufle de<br />
verre (et non de vair, comme le<br />
laissa longtemps croire la modification<br />
effectuée par Balzac)? Si l’on passe en<br />
revue les contes de Perrault, mais aussi les<br />
contes de fée en général, on s’aperçoit que<br />
Cendrillon est, parmi eux, celui qui fut le plus<br />
porté à la scène, que ce soit sous forme lyrique,<br />
théâtrale ou encore chorégraphique– voire<br />
sous la forme filmique, et ce, dès les débuts du<br />
cinématographe, avec l’adaptation du magicien<br />
de l’image Georges Méliès. <strong>La</strong> deuxième<br />
partie du 19 e siècle, envahie par une sorte d’esprit<br />
féerique, typique de l’époque romantique,<br />
a ainsi vu fleurir plus de trente versions de<br />
Cendrillon. L’une d’entre elles, <strong>La</strong> Famille des<br />
Cendrillon, joue même sur l’empilement<br />
de ces différentes versions et<br />
l’on y voit se succéder pas moins de<br />
quatre Cendrillon qui essaient, en<br />
vain, la pantoufle trop grande :<br />
«Tant de gens ont essayé cette pantoufle,<br />
qu’il n’est pas étonnant qu’elle<br />
soit élargie!» Il faut dire que<br />
Cendrillon comporte tous les ingrédients<br />
nécessaires à l’identification<br />
du public et à une bonne mise en<br />
scène: une héroïne touchante, des<br />
personnages archétypaux, une unité<br />
de temps et de lieu et, enfin, une fin heureuse.<br />
JULIE BOULIANNE<br />
LE GOÛT DE LA FÉERIE ET LA<br />
LÉGÈRETÉ DE LA COMÉDIE<br />
Créé avec faste en 1899 pour la réouverture de<br />
l’Opéra Comique à Paris après un incendie<br />
ravageur, le Cendrillon de Massenet se<br />
démarque des versions précédentes par sa féerie<br />
touchante et légère: c’est une comédie pleine<br />
de gaieté et de poésie, dans laquelle les personnages<br />
gardent la simplicité propre au conte.<br />
Cendrillon n’est assurément pas l’opéra le plus<br />
connu de Jules Massenet, dont le nom est<br />
davantage associé à Thaïs, à Manon ou encore<br />
à Werther, mais on y reconnaît la «patte» du<br />
compositeur et l’on y appréciera son talent de<br />
coloriste. Renaud Doucet, metteur en scène et<br />
chorégraphe, et André Barbe, signant les costumes<br />
et les décors, tiennent d’ailleurs à souligner<br />
la finesse de la partition de Massenet,<br />
toute en contrastes sur le plan de l’orchestration,<br />
et l’aspect touchant et sincère des personnages.<br />
Le librettiste de Massenet, Henri Cain,<br />
avait gardé les ingrédients essentiels du conte<br />
de Perrault; on trouvera donc dans le livret le<br />
parcours initiatique de Cendrillon, les<br />
épreuves à subir avant de parvenir au dénouement<br />
ainsi que l’intervention du merveilleux<br />
avec la fée, soprano colorature, aux vocalises<br />
pleines d’agilité, signe de son appartenance à<br />
l’univers surnaturel. Les voix<br />
de femmes sont particulièrement<br />
à l’honneur, avec l’intervention<br />
des « chœurs<br />
d’esprits» et l’interprétation,<br />
voulue par Massenet, du Prince Charmant par<br />
un «soprano de sentiment» ou soprano Falcon,<br />
tenue cependant dans l’opéra par un ténor.<br />
CENDRILLON SOUS LES NÉONS,<br />
HÉROÏNE DES ANNÉES 1950<br />
C’est le propre des grandes œuvres que de pouvoir<br />
sans cesse nous parler de notre temps,<br />
même si elles appartiennent à une autre<br />
époque. <strong>La</strong> lecture des metteurs en scène va en<br />
ce sens, en ménageant une place à la féerie du<br />
conte et à l’aspect ludique de la comédie. André<br />
Barbe et Renaud Doucet, sous les éclairages de<br />
Guy Simard, proposent de lire Cendrillon<br />
comme un conte de fée moderne en technicolor.<br />
Le conte de Perrault est ainsi propulsé dans<br />
un décor années 1950, façon drugstore, cinéparc<br />
et music-hall, en hommage aux comédies<br />
musicales et aux mariages princiers de l’époque.<br />
Lors de la création de l’opéra en 2003 à l’Opéra<br />
du Rhin, c’est en effet cette approche, fortement<br />
nourrie d’un imaginaire nord-américain,<br />
qui s’est imposée à eux: moment par excellence,<br />
expliquent-ils, du «rêve» hollywoodien,<br />
cette époque inscrite sous le signe du «Think<br />
pink», chanson phare du film Funny Face avec<br />
Audrey Hepburn, leur paraissait à la fois assez<br />
proche pour parler au public et assez lointaine<br />
pour préserver le «il était une fois» du conte.<br />
Cendrillon va donc, en lieu et place de l’âtre de<br />
■ LE CENDRILLON DE MASSENET<br />
se démarque des versions précédentes<br />
par sa féerie touchante<br />
et légère.<br />
la cheminée, sortir d’un four<br />
gigantesque, et le chêne<br />
magique du livret d’Henri Cain<br />
se métamorphose en cinéparc.<br />
UN CONTE MODERNE ?<br />
Grandes voitures, parfaites<br />
ménagères, palais et concours de<br />
miss pour gagner le cœur du<br />
prince tout en montrant ses<br />
atours de femme parfaite sont<br />
donc les ingrédients de cet univers<br />
inventif, truffé de détails<br />
que les metteurs en scène nous<br />
invitent à décrypter. Comme il<br />
se doit, la télévision y aura une<br />
place essentielle, laissant sortir la<br />
bonne parole d’une fée des<br />
ondes sous les traits de Lucille<br />
Ball, icône télévisuelle des<br />
années 1950, et d’une tribu de<br />
Monsieur Propre, image d’un<br />
idéalisme domestique exacerbé. Les allusions<br />
échapperont peut-être aux spectateurs plus<br />
jeunes, mais peu importe, car cette Cendrillon<br />
s’adresse surtout à l’imaginaire de chacun, tout<br />
en restant très fidèle à la partition et à l’esprit de<br />
Massenet, ainsi que le souligne Renaud Doucet.<br />
Il faudrait se garder de ne voir cette transposition<br />
que sous le signe d’une critique de<br />
l’opulence de la société américaine, et telle n’a<br />
pas été la première intention de Renaud<br />
Doucet. Le conte lui-même, certes, invite à<br />
repenser les positions sociales de chacun en<br />
favorisant les valeurs morales, et l’opéra de<br />
Massenet véhicule, comme le rappelle le metteur<br />
en scène, un propos parfois très noir.<br />
Mais le cadre des années 1950 permet surtout<br />
de donner du sens à la partition de Massenet<br />
et au conte de Perrault, sous des atours<br />
réjouissants, colorés et poétiques. Car la question<br />
que la fée pose à Cendrillon est, comme<br />
aiment le rappeler André Barbe et Renaud<br />
Doucet, d’une redoutable actualité: veut-elle<br />
se conformer à l’image que la société lui propose<br />
ou trouver l’amour véritable? On pourra<br />
se souvenir à l’occasion, avant de découvrir<br />
cette mise en scène inventive, qu’un des élèves<br />
de Massenet, Reynaldo Hahn, a dit de lui<br />
qu’il avait «trouvé la formule musicale de<br />
l’amour français moderne». ■<br />
PHOTO : OPÉRA DE MONTRÉAL<br />
Cendrillon de Massenet, présenté par Opéra de Montréal le<br />
22 mai à 3 juin. www.operademontreal.com<br />
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Mai 2010 May 25