pdf - 6,35 Mo - Ville de Vincennes

«
PORTRAIT
L
’ironie du sort, c’est la face
cachée de notre destin. »
Cette citation de Paul Guimard
aurait pu être la préface du
livre autobiographique de
Robert Castel, Je pose 75 mais
je retiens tout. De Bab El Oued à
Paris, des scènes de music-hall
aux plateaux de cinéma, la vie
de Robert Castel, aujourd’hui
vincennois, est indissociable
de l’Algérie. Un pays qui fut à
la fois sa force et sa douleur,
sa patrie et son exode : il était
d’ailleurs venu l’évoquer lors
des dernières Rencontres de
cinéma de Vincennes, en janvier
dernier.
Robert Castel est né en
1933 dans le quartier de Bab
El Oued, la « Porte de la
rivière » en arabe, « un quartier
populaire où vivaient
ensemble juifs, musulmans
et catholiques, Algériens,
Italiens, Espagnols, Kabyles
et Maltais… Mon père, Lili
Labassi (de son vrai nom
Élie Moyal), chanteur, violoncelliste
et compositeur
de musique andalouse, était
très connu à Alger », explique
fièrement Robert Castel. C’est donc tout
naturellement que le petit garçon fait ses
premiers pas dans la musique en jouant
du tar, un tambour arabo-andalou. À
12 ans, il achète sa première guitare à
un soldat américain. « J’accompagnais
mon père dans des galas, nous jouions
ensemble au Casino d’Alger et dans des
grandes soirées données par des familles
algériennes. » Pour Lili Labassi, pas question
cependant d’encourager Robert dans
cette carrière de musicien qui se transmettait
pourtant jusqu’ici de père en fils
dans la famille. Il fait donc des études de
lettres, et occupe quelque temps un poste
d’instituteur pour gagner sa vie.
Inscrit parallèlement au Centre régional
d’art dramatique d’Alger, Robert fait
la connaissance d’une jeune comédienne,
Lucette Sahuquet, qu’il épousera quelques
années plus tard. C’est à ses côtés qu’il
endosse à 24 ans le rôle d’un bègue piednoir
à la gouaille haute en couleur dans La
Famille Hernandez. Un style qui marquera
16 • Vincennes Juin 2012
De Bab El Oued
au Grand Rex
Pendant près d’un
demi-siècle, Robert
Castel a incarné l’âme
et l’humour pied-noir
au cinéma. Aujourd’hui,
à 79 ans, il renoue avec
ses racines grâce à la
musique chaâbi…
BIO EXPRESS
1933 : Naissance à Alger
1957 : Création de La Famille
Hernandez à Paris
1962 : Départ définitif d’Algérie
2008 : Publie son autobiographie, Je
pose 75 mais je retiens tout, éd. Ramsay
2012 : Concert d’El Gusto au Grand Rex
à jamais sa carrière. « Être piednoir,
c’est une manière de vivre,
c’est l’outrance dans le verbe,
ce qu’on appellerait aujourd’hui
la tchatche, la générosité, une
certaine fanfaronnade aussi ! »
Retour aux sources
En 1962, l’histoire de l’Algérie
bascule. En première partie
de Gilbert Bécaud à l’Olympia,
l’humoriste se fait traiter
de « sale pied-noir ». Une blessure
dont il fera finalement sa
force puisqu’en 1963, c’est justement
avec l’histoire d’une
famille pied-noire dans Purée
de nous z’otres qu’il fait rire le
Tout-Paris. Quelques années
plus tôt, il avait décroché son
premier rôle au cinéma aux
côtés d’Édith Piaf dans Les
Amants de demain. Le comédien
enchaîne pendant des
années les films à succès, des
rôles comiques qui font de
lui un personnage attachant
comme dans Le Grand Blond
avec une chaussure noire ou
encore Je suis timide mais
je me soigne. Dupont Lajoie,
L’Insoumis ou Deux Hommes
dans la ville lui offriront également de
beaux rôles. Radio, télévision, cinéma,
Robert Castel s’amuse de tout…
Mais en 1987, le décès de sa femme le plonge
dans une grande douleur. « Une sorte de
trou noir dans lequel je suis resté pendant
un an et demi. Et dont j’ai réussi à me sortir
par l’écriture. » Il revient sur sa vie, son
enfance à Alger et sur cet incommensurable
amour qu’il porte à son père. À 57 ans,
il décide d’apprendre le violon et de refaire
vivre le répertoire de Lili, répétant de nombreuses
heures dans sa maison vincennoise
située à deux pas du bois. En 2007, au sein
d’El Gusto, un orchestre composé d’une
trentaine de musiciens juifs et arabes, il
fait revivre le chaâbi, cette musique populaire
algérienne, cocktail de musiques
berbère, religieuse et andalouse, si cher
à son père. En janvier dernier, le groupe
faisait salle comble au Grand Rex. Une
tournée est en projet. Pour Robert Castel,
c’est une nouvelle vie qui commence…
Armelle Nébilon