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DossIer<br />
Tout est dans l’interstice<br />
Yves Mariani, de l’observatoire national de pédagogie, voit dans <strong>le</strong>s coupures qui rythment<br />
la journée scolaire autant d’opportunités de cimenter <strong>le</strong> vivre-ensemb<strong>le</strong>.<br />
Que représentent <strong>le</strong>s interstices<br />
dans <strong>le</strong> temps de l’éco<strong>le</strong> <br />
Yves Mariani : Par<strong>le</strong>r<br />
d’interstices, à propos<br />
des « récréations », des<br />
temps de restauration,<br />
des intercours, c’est<br />
s’obliger à sortir des évidences<br />
cloisonnées qui<br />
atomisent <strong>le</strong> temps scolaire<br />
en une suite de<br />
moments. Le mouvement,<br />
particulièrement<br />
vrai pour <strong>le</strong> collège et <strong>le</strong><br />
lycée en raison de la comp<strong>le</strong>xité sans cesse<br />
grandissante de l’organisation de la journée,<br />
gagne aujourd’hui, trop souvent,<br />
l’éco<strong>le</strong> primaire.<br />
Par<strong>le</strong>r d’interstices c’est, alors, interroger<br />
un système éducatif, un établissement en<br />
mal de temps et qui semb<strong>le</strong>nt n’avoir plus<br />
qu’une idée : gagner du temps, en faire<br />
d’abord un objet de gestion avant d’en<br />
faire un enjeu éducatif.<br />
Par<strong>le</strong>r d’interstices, c’est donc accepter de<br />
penser <strong>le</strong> temps scolaire comme un tout,<br />
s’interroger sur l’équilibre de la journée de<br />
l’élève, redécouvrir un questionnement<br />
sur <strong>le</strong>s rythmes et <strong>le</strong>s scansions de cette<br />
journée.<br />
Qu’en est-il plus particulièrement<br />
du temps méridien <br />
Y. M. : Le temps de restauration n’a<br />
pas qu’une dimension individuel<strong>le</strong>, mais<br />
aussi et surtout une dimension col<strong>le</strong>ctive,<br />
relationnel<strong>le</strong>. On rêve de revenir à<br />
l’idée du repas : moment de socialisation<br />
c<strong>le</strong>f des temps familiaux et sociétaux<br />
dans <strong>le</strong>s sociétés anciennes. On<br />
s’assoit ensemb<strong>le</strong>, dans un rituel social.<br />
Manger ensemb<strong>le</strong>, c’est faire société et<br />
<strong>le</strong> ritualiser. Or, de plus en plus, dans nos<br />
vies, et pas seu<strong>le</strong>ment à l’éco<strong>le</strong>, on<br />
mange uti<strong>le</strong>, efficace, rapidement. De<br />
ce point de vue, <strong>le</strong> temps de midi qui<br />
devrait étymologiquement être ce<br />
temps central, suspendu, subit de p<strong>le</strong>in<br />
fouet <strong>le</strong> processus de dé-ritualisation à<br />
l’œuvre de façon globa<strong>le</strong> dans la société<br />
et l’éco<strong>le</strong>.<br />
Aujourd’hui, <strong>le</strong> temps du repas est <strong>le</strong> plus<br />
souvent réinterrogé pour des raisons diététiques,<br />
ou gestionnaires.<br />
On « invente » <strong>le</strong><br />
self pour des raisons d’efficacité,<br />
car il s’agit de<br />
« comprimer » <strong>le</strong> temps.<br />
Il nous arrive même d’être<br />
témoin de dispositifs qui<br />
semb<strong>le</strong>nt craindre plus<br />
que tout <strong>le</strong> risque de<br />
vide, de creux dans <strong>le</strong>squels<br />
<strong>le</strong>s élèves ne<br />
seraient pas « occupés ».<br />
Un vertige du moment de pause, du suspens,<br />
de l’inutilité d’un temps non saturé<br />
par un objet…<br />
Un autre enjeu essentiel de ce temps central<br />
est de <strong>le</strong> faire sortir du cloisonnement<br />
qui sépare <strong>le</strong>s éducateurs que sont, à<br />
parité, dans la journée de l’élève, <strong>le</strong>s<br />
enseignants, <strong>le</strong> personnel d’éducation et<br />
de restauration. Que font, par exemp<strong>le</strong>,<br />
<strong>le</strong>s enseignants de ce que vivent et observent<br />
<strong>le</strong>s personnels d’éducation et de restauration<br />
dans ces temps de vivreensemb<strong>le</strong>,<br />
moments charnières de la<br />
construction des jeunes <br />
Comment ce temps singulier<br />
devrait-il être pris en compte<br />
Y. M. : C’est l’enjeu c<strong>le</strong>f. Il n’est d’écriture<br />
musica<strong>le</strong> sans si<strong>le</strong>nce, il n’est de<br />
temps scolaire, comme <strong>le</strong>s écritures<br />
anciennes faites de p<strong>le</strong>ins et de déliés,<br />
sans changement de rythme régulier,<br />
ritualisé et équilibrant la dimension individuel<strong>le</strong><br />
et la dimension col<strong>le</strong>ctive.<br />
»<br />
D. R.<br />
Question stupide : est-ce qu’au self on<br />
mange réel<strong>le</strong>ment ensemb<strong>le</strong> En même<br />
temps, au même endroit et la même<br />
chose, c’est sûr ! Mais pour <strong>le</strong> reste…<br />
Quel<strong>le</strong>s pourraient être <strong>le</strong>s pistes<br />
d’action pour en faire un véritab<strong>le</strong><br />
temps d’éducation et de restauration <br />
Y. M. : Ce qui est à restaurer prioritairement,<br />
ce serait une forme de <strong>le</strong>nteur. Il est<br />
commun de par<strong>le</strong>r en vil<strong>le</strong> de restauration<br />
rapide. Les enjeux éducatifs du temps de<br />
midi ne doivent-ils pas nous aider à interroger<br />
nos modes d’organisation pour éviter <strong>le</strong><br />
péril de devenir des « fast-établissements »<br />
dans <strong>le</strong>squels on éduquerait de façon aussi<br />
rapide, cloisonnée et aseptisée <br />
Sur un autre plan, nous sommes toujours<br />
frappés par ces moments partagés dans<br />
<strong>le</strong>squels un chef d’établissement, tel ou tel<br />
enseignant ou responsab<strong>le</strong> éducatif prennent<br />
<strong>le</strong> temps de s’asseoir et de partager <strong>le</strong><br />
repas avec <strong>le</strong>s jeunes. Je garde toujours en<br />
mémoire cette scène saisie dans un lycée<br />
accueillant un nouveau chef d’établissement,<br />
qui, sans semb<strong>le</strong>r y penser, m’invita<br />
à partager <strong>le</strong> repas avec <strong>le</strong> niveau seconde.<br />
Dans la queue du self, un élève délégué<br />
l’interpella : « Vous savez, Monsieur <strong>le</strong><br />
directeur, ce n’est pas la peine de venir<br />
nous surveil<strong>le</strong>r, ici cela se passe toujours<br />
bien. » Je garderai toujours comme un trésor<br />
<strong>le</strong> visage stupéfait et incrédu<strong>le</strong> de ce<br />
délégué à la réponse du chef d’établissement<br />
: « Effectivement, je ne suis pas venu<br />
vous surveil<strong>le</strong>r mais prendre du temps<br />
pour vous écouter et vivre avec vous. » ...<br />
Propos recueillis par Aurélie Sobocinski<br />
Presque tous <strong>le</strong>s jeunes déclarent aimer <strong>le</strong>ur collège ou <strong>le</strong>ur lycée.<br />
Dans la plupart des cas, ils désignent moins <strong>le</strong>s cours et <strong>le</strong>s enseignants que<br />
l’espace d’une vie ponctuée par <strong>le</strong>s conquêtes progressives d’une liberté nichée<br />
dans <strong>le</strong>s interstices de l’organisation scolaire : <strong>le</strong> temps des amours et des amitiés,<br />
celui des premières fois, avec la ronde des mini-bandes, des codes cachés<br />
et des fous rires. Au collège et au lycée, on pratique l’art de la conversation,<br />
»<br />
celui de la complicité, des petites passions partagées dans un sentiment<br />
de légèreté et d’insouciance puisque rien n’est définitif. […]<br />
François Dubet, sociologue, enseignant à l’université<br />
de Bordeaux-2 et à l’EHESS (extrait du Nouvel Observateur, hors-série n° 41).<br />
32 <strong>Enseignement</strong> catholique actualités N° 345, octobre-Novembre 2011