Mise en page 1 - Algérie news quotidien national d'information
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Kiosque inter<strong>national</strong> dclg<br />
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Analyses &<br />
Décryptages<br />
e<br />
15<br />
Reportage : Ma vie<br />
de prof d’amazigh<br />
Mohammed Boudarham, Tel Quel<br />
Dix ans après l’intégration de l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t<br />
de l’amazigh dans les écoles, cette langue,<br />
dev<strong>en</strong>ue <strong>en</strong>tre-temps officielle, n’arrive toujours<br />
pas à dev<strong>en</strong>ir une matière à part <strong>en</strong>tière.<br />
Zoom sur les conditions de travail des hommes<br />
et femmes qui <strong>en</strong> disp<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t l’appr<strong>en</strong>tissage.<br />
Il est 9h15 dans une école primaire de Casablanca. H.J,<br />
jeune <strong>en</strong>seignant de la langue amazighe, n’aura pas le plaisir<br />
de demander à ses élèves de première année de rejoindre,<br />
deux par deux, leur salle de classe. Ils y sont déjà et<br />
vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de terminer un cours de langue arabe, disp<strong>en</strong>sé<br />
par un autre collègue. Il leur suffit juste de sortir leurs<br />
“Imawass n’tighri” (affaires scolaires) : un manuel et un<br />
cahier d’exercices, pas de quoi <strong>en</strong>combrer le cartable d’un<br />
écolier. Notre jeune <strong>en</strong>seignant pr<strong>en</strong>d son “Angmirs”<br />
(craie) et le cours peut comm<strong>en</strong>cer. Au m<strong>en</strong>u : l’alphabet<br />
amazigh, soit les 33 lettres de tifinagh, et mots de la vie<br />
courante, comme les jours de la semaine ou les chiffres<br />
jusqu’à dix... “Les élèves, amazighs ou pas, font preuve<br />
d’une grande capacité d’appr<strong>en</strong>tissage, et les formes géométriques<br />
des lettres de tifinagh les y aid<strong>en</strong>t beaucoup”,<br />
affirme notre instituteur qui, au bout de 45 minutes, doit<br />
céder de nouveau la place à son collègue de langue arabe.<br />
Et aller “squatter” la classe d’un autre.<br />
Instituteur militant<br />
Notre <strong>en</strong>seignant est ce qu’on appelle un ISF, “instituteur<br />
sans salle fixe”. Il lui arrive même d’avoir des prises de<br />
bec avec certains de ses collègues qui estim<strong>en</strong>t que les<br />
cours de langue amazighe perturb<strong>en</strong>t leur planning.<br />
“Certains refus<strong>en</strong>t même qu’on efface ce qu’ils avai<strong>en</strong>t<br />
écrit sur le tableau, et beaucoup jug<strong>en</strong>t que nos cours sont<br />
de trop et ne serv<strong>en</strong>t à ri<strong>en</strong>”, se désole notre jeune instituteur.<br />
Mais il y a pire. Au début de chaque année, H.J doit<br />
livrer une bataille pour arriver à arrêter un emploi du<br />
temps qui arrange ses collègues des autres matières.<br />
“Même au sein du corps <strong>en</strong>seignant, on nous pr<strong>en</strong>d de<br />
haut, et certains nous considèr<strong>en</strong>t comme une sorte d’<strong>en</strong>seignants<br />
de seconde zone”, poursuit notre interlocuteur.<br />
Quoi qu’il <strong>en</strong> soit, chaque semaine est un parcours du<br />
combattant pour cet <strong>en</strong>seignant qui assure des cours<br />
d’amazigh à trois niveaux, à raison de trois heures réparties<br />
<strong>en</strong> quatre séances hebdomadaires. En plus de tout cela,<br />
il faut composer avec l’humeur des responsables, les directeurs<br />
d’établissem<strong>en</strong>ts et les délégués du ministère <strong>en</strong> premier<br />
lieu. Explication : ces responsables peuv<strong>en</strong>t du jour<br />
au l<strong>en</strong>demain demander à un <strong>en</strong>seignant de langue amazighe<br />
de pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> charge une autre matière pour combler<br />
le vide laissé par un collègue malade ou une collègue <strong>en</strong><br />
congé de maternité. Le cours de langue amazighe passe<br />
alors à la trappe. Tout simplem<strong>en</strong>t. Et ce n’est pas tout à<br />
fait ce dont rêvait notre instituteur quand il a volontairem<strong>en</strong>t<br />
rejoint la première promotion, formée début 2003<br />
pour donner le coup d’<strong>en</strong>voi de l’intégration de la langue<br />
amazighe dans le système éducatif. “Je me suis porté<br />
volontaire à cette formation par amour pour mon métier,<br />
mais aussi par militantisme”, explique H.J. Aujourd’hui,<br />
malgré les énormes difficultés auxquelles il doit faire face,<br />
il dit ne pas être prêt à lâcher prise. Il a le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de participer<br />
à la réalisation d’un projet salutaire pour la langue<br />
et la culture amazighes, et, au-delà, à la sauvegarde du<br />
patrimoine de tout un pays.<br />
Des moy<strong>en</strong>s limités<br />
A l’automne 2003, quand le roi a tranché pour l’alphabet<br />
tifinagh, le ministère de l’Education <strong>national</strong>e a convoqué<br />
près d’une c<strong>en</strong>taine d’<strong>en</strong>seignants à un cycle de formation<br />
int<strong>en</strong>sive <strong>en</strong> langue amazighe. “Cela avait pris 13 jours<br />
seulem<strong>en</strong>t et la formation portait sur des questions de<br />
pédagogie et de méthodologie”, se souvi<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>seignant<br />
qui avait pris part à cette formation. Ce premier noyau<br />
devait aussi fournir, quelque temps plus tard, des formateurs.<br />
Mais il fallait bi<strong>en</strong>, dans un premier temps, donner<br />
un début de concrétisation à tout le projet. Dans le Souss,<br />
on <strong>en</strong>seignait le tachelhite, tarifite dans le Rif et tamazight<br />
dans le Moy<strong>en</strong>-Atlas. Soit les trois variantes de la langue<br />
amazighe. Mais des régions comme Rabat et Casablanca<br />
posai<strong>en</strong>t de sérieux problèmes puisqu’on ne pouvait les<br />
classer nulle part ! Le problème sera finalem<strong>en</strong>t résolu <strong>en</strong><br />
2007. L’IRCAM (Institut royal de la culture amazighe)<br />
v<strong>en</strong>ait de mettre les dernières retouches à la langue amazighe<br />
standard (une sorte de fossha) et aux manuels unifiés<br />
pour tous les élèves du pays. Aujourd’hui, à Al Hoceïma,<br />
Khénifra ou Tiznit, les élèves, de la première à la sixième<br />
année, ont droit au même manuel : le fameux “Tifawine a<br />
ALGERIE NEWS Dimanche 31 mars 2013<br />
tamazighte” (Bonjour l’amazigh). “A part ce manuel, on<br />
fait avec les moy<strong>en</strong>s du bord pour trouver, voire confectionner,<br />
du matériel pédagogique”, explique un <strong>en</strong>seignant.<br />
Et, généralem<strong>en</strong>t, les résultats sont là. “Il faut près<br />
d’un mois aux élèves pour appr<strong>en</strong>dre l’alphabet, près de<br />
six mois pour écrire des mots <strong>en</strong>tiers. Au bout de deux ans,<br />
un élève assidu est capable de réussir une dictée”, affirme,<br />
non sans fierté, H.J. Notre interlocuteur se désole, cep<strong>en</strong>dant,<br />
d’un autre gâchis et de taille. L’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de la<br />
langue amazighe n’étant pas généralisé à toutes les écoles<br />
du pays (voire <strong>en</strong>cadré), l’appr<strong>en</strong>tissage pourra être stoppé<br />
net à la troisième ou cinquième année.<br />
Evalue-moi si tu peux !<br />
L’autre bizarrerie de l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de la langue amazighe<br />
est que, dix ans après son instauration, on n’a pas<br />
<strong>en</strong>core instauré de mécanisme dédié à évaluer le travail des<br />
<strong>en</strong>seignants concernés. “Pour toute la région de<br />
Casablanca, on dispose d’un seul inspecteur. Résultat, dans<br />
la majorité des cas, on se fait évaluer par des inspecteurs<br />
d’autres matières”, affirme un <strong>en</strong>seignant casablancais. “Il<br />
m’est arrivé de devoir assister à plusieurs cours d’arabe<br />
d’un collègue pour <strong>en</strong>fin pouvoir me faire noter par un<br />
inspecteur”, s’énerve notre interlocuteur, qui affiche une<br />
déc<strong>en</strong>nie d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de la langue amazighe au compteur<br />
! Et cela se complique davantage lors des exam<strong>en</strong>s<br />
professionnels, étape nécessaire pour l’évolution de carrière<br />
des <strong>en</strong>seignants et le changem<strong>en</strong>t d’échelle. Là aussi,<br />
nos <strong>en</strong>seignants doiv<strong>en</strong>t faire leurs preuves <strong>en</strong> tant qu’instits<br />
d’arabe ou de français. Car être <strong>en</strong>seignant d’amazigh<br />
ne donne droit à aucune sorte de gratification. C’est surtout<br />
une source de tracas incessants. “C’est navrant.<br />
Plusieurs collègues ont, <strong>en</strong> désespoir de cause, préféré<br />
rev<strong>en</strong>ir aux matières qu’ils <strong>en</strong>seignai<strong>en</strong>t à l’origine. Ceux<br />
qui résist<strong>en</strong>t le font généralem<strong>en</strong>t par militantisme”,<br />
affirme un instit casablancais. En définitive, le corps <strong>en</strong>seignant<br />
de la langue amazighe est composé de professionnels<br />
qui milit<strong>en</strong>t dans les ONG. Beaucoup d’<strong>en</strong>tre eux, <strong>en</strong><br />
parallèle à leur travail, donn<strong>en</strong>t des cours aux adultes et de<br />
manière bénévole. “La vérité est que l’attitude des par<strong>en</strong>ts<br />
d’élèves <strong>en</strong>vers la langue amazighe a beaucoup évolué.<br />
Rétic<strong>en</strong>ts au début, certains demand<strong>en</strong>t désormais euxmêmes<br />
à pr<strong>en</strong>dre des cours”, nous confie notre interlocuteur.