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22 > C U L T U R E Emmanuel Deniaud, vice-président du festival Cinélatino «Les cinémas d'Amérique latine s'autorisent désormais à parcourir tous les champs de la pensée» La vingt-cinquième édition de Cinélatino, Rencontres de Toulouse, est un rendez-vous incontournable du cinéma latino-américain en France et en Europe, après 10 jours de projections non stop, vient de prendre fin par la proclamation du palmarès 2013 des films en compétition ( voir ci contre ). Emmanuel Deniaud, professeur d'histoire-géographie à Toulouse, vice-président du Festival, coordinateur de la sélection documentaire, livre cet entretien à Algérie-News. Entretien réalisé par Abdelmadjid Kaouah Algérie News : Cinélatino, Rencontres de Toulouse fêtent leur quart de siècle d’existence. L’objectif recherché du Festival étant de faire connaître dans leur diversité les réalités des Etats-nations américaines. 25 ans après, pensez-vous avoir atteint cet objectif? Emmanuel Deniaud : Depuis le départ, les Rencontres ont toujours souhaité souligner la diversité des sociétés et des cultures d'Amérique latine, qui ne sont d'ailleurs pas que latines, mais aussi indigènes, afrodescendantes, sans compter les communautés libanaises, chinoises, juives ou allemandes par exemple. Le Festival a eu à cœur de permettre à des réalisateurs de pays où la production est peu ou pas soutenue par l'Etat de montrer leurs créations ici en Europe. Ainsi cette année, presque tous les pays d'Amérique latine étaient à l'honneur, à l'exception de deux pays d'Amérique centrale et de quelques petites îles des Antilles. L'origine nationale du réalisateur ou de la production n'est cependant pas un critère de choix : nous prospectons le plus largement possible, mais nous sélectionnons ce qui nous plaît le plus ou nous paraît le plus intéressant. Il est donc logique que des pays qui produisent aujourd'hui beaucoup, alors qu'il y a 25 ans, la production totale annuelle de L'origine nationale du réalisateur ou de la production n'est cependant pas un critère de choix. l'Amérique latine ne dépassait pas les 75 films, soient davantage représentés : la disponibilité des moyens financiers, la formation et la culture cinématographiques et esthétiques sont plus développés au Brésil, en Argentine et au Mexique, qui sont maintenant rattrapés par des pays comme le Chili, l'Uruguay ou la Colombie. Les Rencontres de Toulouse sont aussi le reflet de cet état des choses. Le grand documentariste Chris Marker (auquel un hommage est rendu par ALGERIE NEWS Dimanche 31 mars 2013 Cinémas d’Amérique latine, la revue de l’ARCALT) disait : « Nous, Européens, nous aimons bien les peuples en lutte, à condition qu’ils soient ou tout à fait martyrs ou tout à fait victorieux. » Pensezvous qu’il y a aujourd’hui une meilleure connaissance des processus politiques et socio-économiques novateurs en Amérique latine ? Il est difficile d'expliquer en quelques mots pourquoi les générations post-68 ont été aussi attirées par les expériences souvent malheureuses des pays d'Amérique latine. L'illusion n'était probablement pas liée à une méconnaissance. Chris Marker a lui-même été attiré par le chaudron comme le montre le film Marker 72 que nous avons projeté cette année en panorama Documentaires. Si aujourd'hui, nous avons une meilleure connaissance des processus politiques et socio-économiques, novateurs ou non, en Amérique latine, c'est en raison de la très grande mobilité des personnes et des œuvres. Aujourd'hui, par exemple, une très grande majorité des bénévoles de l'ARCALT vont en Amérique latine, suivent ou ont suivi des cursus universitaires et des recherches à l'IPEALT ou dans des formations universitaires ibérophiles (Institut pluridisciplinaires pour les études sur l'Amérique latine de Toulouse). Les livres et les films voyagent beaucoup plus qu'avant. Les sites d'informations et de réflexions sont innombrables. Cependant, pour les organisateurs ou bénévoles du Festival, comme pour l'ensemble des citoyens, les situations en Amérique latine sont si diverses et si mouvantes qu'il est difficile de pouvoir affirmer que l'on connaît bien les processus à l'œuvre dans toute l'Amérique latine. Certains peuvent expliquer les transformations et les luttes internes du Venezuela quand d'autres sont plus en mesure d'analyser l'impact de la famille Kirchner dans le paysage argentin. On a trop longtemps eu une perception globalisante des cinémas latino-américains. Or, des traits et des caractéristiques historiques spécifiques donnent à chaque pays de cet espace une tonalité singulière. En quoi le cinéma a-t-il permis d’en saisir et d’en transmettre à la fois les convergences et les différences ? Quels films ont marqué les esprits dans ce domaine ? Si l'on avait une perception globalisante des cinémas d'Amérique latine, c'est pour deux raisons : la production dans les années 1980, sous les dictatures et sous l'emprise du FMI, était devenue ridicule ; ici en Europe, c'est l'Amérique latine et non ses cinémas, qui était perçue et construite de façon globalisée. Aujourd'hui, l'émergence de certains pays sur la scène internationale leur permet de se distinguer. Le cinéma reflète cette transformation du monde et du sous-continent. Le Brésil s'affirme par exemple comme un pays indépendant avec son histoire propre : la force de ses mouvements sociaux, filmés il y a 30 ans par Léon Hirszman, est toujours aussi importante dans l'imaginaire des réalisateurs brésiliens. On la retrouve ainsi dans
C U L T U R E 23 un documentaire comme Corumbiara de Vincent Carelli, qui met à l'image la lutte inégale des indigènes face aux grands propriétaires brésiliens, ou dans Era uma vez eu, Verônica, qui interroge le conflit entre épanouissement personnel et lutte collective. Dans la carte du cinéma émergent, les films colombiens aujourd'hui quasiment tous intégralement traversés par la question des déplacements et des assassinats sauvages. Les réalisateurs chiliens sont eux davantage tournés vers un cinéma qui interroge la liberté individuelle et son usage dans une société très libérale sur le plan économique mais encore très habitée par le conservatisme social et moral ; une situation que connaît le Chili mais que vivent beaucoup de sociétés européennes, ce qui peut expliquer le succès actuel du cinéma chilien en Europe. Dans ce domaine, La Sagrada familia de Sebastian Campos (2006) a été une œuvre marquante dans l'univers du jeune cinéma chilien renaissant. Le succès de Gloria de Sebastian Lelio à la Berlinale reflète aussi cette préoccupation pour la place que chacun peut s'offrir dans une société artificieuse en désagrégation. Au moment où Cinélatino commémore ses 25 ans d’existence sous le signe du cinéma et de la politique, on peut constater que le cinéma latino-américain, ces dernières années, a diversifié ses thèmes. Ce n’est plus l’âge des grands manifestes politiques même si la mémoire et les questions sociales restent prégnantes dans les films. Effet de génération, des mutations libérales des années 1980 de la mondialisation ? Il est vrai que, y compris dans le domaine du documentaire, la dominante thématique des films n'est plus du tout exclusivement politique comme elle a pu l'être dans les années 1970 ou 1980. Moins que la libéralisation économique, c'est plutôt la libéralisation politique et surtout l'élargissement du spectre des réalisateurs, peut-être originaires de milieux plus divers, qui a favorisé la diversification des sujets abordés par les cinémas d'Amérique latine. L'impératif politique étant moins prégnant, il a laissé place à l'analyse des relations sociales et même au questionnement existentiel, notamment à travers la réflexion sexuelle. On peut dire que les cinémas d'Amérique latine s'autorisent désormais à parcourir tous les champs de la pensée, même si la description ou l'analyse socio-anthropologique reste dominante aussi bien dans la fiction que dans le documentaire. Une évidence, la famille est un sujet majeur des réalisations du cône sud. Dans cet esprit, parlons du documentaire qui est produit en grand nombre en Amérique latine. A quoi est due cette vivacité du genre, son éclectisme et son intérêt maintenant plus prononcé aux sociétés indigènes ? Le documentaire est un genre vivace dans les pays d'Amérique latine, à mon sens pour deux raisons : D'abord pour une raison économique : à tort ou à raison, on considère que le documentaire coûte moins cher à produire. Ce qui est vrai, c'est qu'un réalisateur peut réaliser quasiment seul un film, ce qui n'est évidemment pas le cas pour la fiction. La deuxième raison est que les sociétés d'Amérique latine sont très divisées : cet état de fait favorise la curiosité pour l'autre et l'envie de comprendre ce qui est différent. L'enquête documentaire est souvent une recherche de l'autre. Le foisonnement culturel et social de l'Amérique latine attire l'œil documentaire. Cette richesse sociale et culturelle peut aussi expliquer, outre les raisons financières, que les documentaristes latino-américains se penchent encore peu sur les réalités d'autres continents. Quant à l'intérêt pour les sociétés indigènes, il est à la fois lié à une prise de conscience politique, à cette attirance pour l'autre que je soulignais, mais aussi au développement d'une cinématographie indigène : depuis une vingtaine d'années, surtout au Brésil ou en Bolivie, les peuples indigènes sont passés derrière la caméra et se filment eux-mêmes. En 2012, As hiper mulheres de Carlos Fausto, Leonardo Sette et Takumã Kuikuro faisait figure de proue de ce mouvement, en apparaissant dans la compétition documentaire de Cinélatino, Rencontres de Toulouse. Depuis Santiago Alvarez, Fernando Solanas et Patricio Guzman, pour ne citer que ces pionniers, le documentaire latinoaméricain s’est voulu une arme de libération et de « décolonisation culturelle ». Y-a-t-il une exception documentariste latino-américaine? Comment expliquezvous son inventivité et dans quelles conditions historiques est intervenu son avènement ? Je ne suis pas sûr que ces réalisateurs se reconnaissent tous dans le mouvement que vous décrivez. Je ne crois pas qu'il y ait une exception documentariste latino-américaine, d'autant que la recherche formelle des réalisateurs dans ce domaine en est encore à ses balbutiements. On voit bien comment, d'un point de vue cinématographique, Nostalgie de la lumière est le plus grand film de Patricio Guzman en raison du tissage narratif réalisé. Si on devait parler d'exception, on pourrait peut-être s'intéresser au documentaire brésilien, qui d'un point de vue formel est très divers et cherche souvent des cadrages et des montages qui interagissent avec la singularité des histoires racontées. Cette vivacité du documentaire brésilien s'explique par les fonds importants mis par l'Etat à travers divers organismes ou fondations pour accompagner la création documentaire et par la multipli-cité culturelle du Brésil. Dans la jeune génération brésilienne, quelques noms émergent comme Gabriel Mascaro ou Maya Da-Rin. Mais pas de maître incontesté du documentaire : les réalisateurs sont beaucoup plus nombreux que dans les générations précédentes et il faut plus de temps pour se faire un nom. Les capacités de production cinématographiques d’un pays latino-américain à l’autre sont inégales. Le Brésil et l’Argentine semblent jouer un rôle de locomotives ? Peut-on parler d’une industrie cinématographique latino-américaine ? Il est difficile de parler d'une unique industrie cinématographique latino-américaine, même si les sphères cinématographiques des différents pays sont de plus en plus en contact grâce à la multiplication des rendez-vous professionnels. Les coproductions qui associent des pays d'Amérique latine différents restent encore assez rares. Il faut aussi distinguer aussi la petite industrie de cinéma commercial qui se développe, notamment au Brésil ou au Mexique de la multitude de productions indépendantes, souvent encore peu diffusées dans des circuits de distributions. La plupart des films latino-américains ont plus de chance d'être vus en Europe ou même en Asie que dans un autre pays d'Amérique latine. Derrière le Brésil, dans une moindre mesure l'Argentine, le Chili commence à développer des systèmes de productions efficaces. Enfin, on ne doit pas oublier le Mexique, dont la production indépendante est peut-être moins florissante qu'elle ne l'a été, mais qui reste un pays fondamental dans la cinématographie mondiale. La Muestra consacre une section au thème Medias et pouvoir. N’est-ce pas les premiers adversaires des productions cinématographiques qui doivent déconstruire les discours et les clichés semés par ces derniers ? Dans les productions cinématographiques de ces dernières années, on a vu plusieurs films qui s'attaquaient aux complicités entre les médias et les dictatures. Nombre de médias sont toujours inféodés aux pouvoirs économiques et pactisent avec les pouvoirs politiques. Le cinéma indépendant a cette liberté de pouvoir critiquer et soulever ce que la vulgate médiatique répand à chaque instant. Mais le cinéma latino-américain indépendant n'est pas encore assez fort pour renverser les images et idéologies colportées par les médias populaires. Un film comme No de Pablo Larrain peut avoir un certain succès et provoquer une réflexion plus large, bien que le film, lui-même, valorise l'exploit communicatif individuel plus que la prise de conscience collective. Un dernier mot ? Le festival a, cette année, été un succès. Nous nous rapprochons sérieusement des 40 000 spectateurs-cinéma et de 50 000 personnes pour assister à l'ensemble des actions culturelles que nous proposons. L'an prochain, la Muestra sera consacrée au « Cinéma des femmes », une thématique qu'il nous reste à préciser, mais qui ne devrait pas manquer de films poignants et de discussions animées. Palmarès - Le Grand Prix Coup de Cœur 2013 - est attribué à : Polvo de Julio Henàndez Cordéon (Guatemala-Espagne-Chili - 2012 - 1h20) et une mention est attribuée à : Las Làgrimas de Pablo Delgado Sànchez (Mexique - 2012 - 1h08) - Le Prix du Public La Dépêche du Midi - est attribué à : Joven Y Alocada de Marialy Rivas (Chili - 2012 - 1h32) - Le Prix CCAS - Prix des électriciens gaziers - est attribué à : La Piscina de Carlos Machado Quintella (Cuba-Venzuela - 2011 - 1h05) - Le Prix Fipresci (Fédération internationale de la presse cinématographique )- est attribué à : LA Chupilka Del Diablo de Ignacio Rodríguez (Chili - 2012 - 1h42) Le jury Fipresci était composé de : - Le Prix Découverte de la Critique française - est attribué à : La Piscina de Carlos Machado Quintella (Cuba- Venzuela - 2011 - 1h05) - Le Rail d’Oc - Prix des cheminots - est attribué à : Carne De Perro de Fernando Guzzoni (Chili-France-Allemagne - 2011 - 1h21) - Le Prix "Courtoujours" - est attribué à : O Duplo de Juliana Rojas (Brésil - 2011 - 0h25) et une mention est attribuée à : Los Retratos de Iván D. Gaona (Colombie - 2012 - 0h14) - Le Prix Signis du courtmétrage - est attribué à : Feijoada Completa de Angelo Defanti (Brésil - 2012 - 0h20) - Le Prix Documentaire Rencontres de Toulouse - sous l'égide des Médiathèques de Midi- Pyrénées est attribué à : La Eterna Noche Des Las Doce Lunas de Priscilla Padilla (Colombie-Bolivie - 2012 - 1h29) - Le Prix Signis du documentaire -est attribué à : Cuates De Australia de Everardo Gonzàlez (Mexique - 2011 - 1h24) - Le Prix lycéen du documentaire - est attribué à : Cuates De Australia de Everardo Gonzàlez (Mexique - 2011 - 1h24) - Le Prix TLT - est attribué à : Civilizacion de Rubén Guzman (Argentine - 2012 - 0h57) ALGERIE NEWS Dimanche 31 mars 2013
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