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Parution 9 - L'Intérêt

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DOSSIER// Au diable les BABY-BOOMERS !<br />

Personnalité invitée<br />

Joseph Facal<br />

Dans<br />

le cadre de notre dossier sur la guerre des générations,<br />

<strong>L'Intérêt</strong> publie un extrait du dernier livre de M. Joseph<br />

Facal, ex-politique québécois et professeur à HEC Montréal.<br />

«Douze générations ont fait du Québec ce qu’il est<br />

aujourd’hui. Elles ont admirablement bien travaillé, surtout si<br />

on considère l’adversité qu’elles ont affrontée. À intervalles<br />

irréguliers, nos prédécesseurs sont périodiquement parvenus<br />

à des carrefours déterminants pour l’avenir de notre nation.<br />

À quelques nuances près, ils ont toujours fait les bons choix,<br />

qui n’étaient à peu près jamais les plus faciles.<br />

Le Québec d’aujourd’hui, j’en suis absolument persuadé, est parvenu<br />

à un autre de ces moments-charnière de son histoire. J’ai essayé<br />

de documenter de mon mieux, sans prétention à l’exhaustivité et<br />

en essayant de ne pas accoucher d’un ouvrage dont l’épaisseur<br />

aurait découragée, cette constellation de facteurs démographiques,<br />

économiques, politiques, culturels, technologiques, éthiques, qui<br />

nous imposent aujourd’hui de faire, à nouveau, des choix collectifs<br />

exigeants, dont j’ai aussi dessiné les contours.<br />

Notre peuple ressent tout cela. Il<br />

voit bien ce qui ne tourne plus rond<br />

du tout, mais aussi ce à quoi il est<br />

attaché et qu’il veut préserver.<br />

Il reçoit aussi de ses élites<br />

des messages contradictoires.<br />

Jusqu’à un certain point, c’est le<br />

propre du débat démocratique.<br />

Nous faisons cependant face à<br />

un certain nombre de réalités si<br />

indiscutables, dans leurs grandes<br />

lignes en tout cas, qu’elles<br />

s’imposent progressivement à tous<br />

les courants de pensée, sauf les<br />

plus marginaux.<br />

Évidemment, si notre peuple<br />

montre des signes d’ambivalence,<br />

c’est non seulement parce que<br />

celle-ci est la fille de notre<br />

histoire compliquée, mais aussi<br />

parce que nous sentons tous que<br />

les réformes dont le Québec a<br />

besoin seraient très exigeantes.<br />

Je n’ai d’ailleurs pas cherché à<br />

en minimiser les difficultés. Il y a<br />

donc comme une part de nous qui<br />

hésite, très naturellement, à s’y engager. Presque par définition,<br />

des gains escomptés sont aussi plus intangibles que des sacrifices<br />

concrets et immédiats. Nous craignons donc plus les seconds que<br />

nous ne désirons les premiers.<br />

J’ose tout de même penser<br />

que nous voudrons offrir<br />

à ceux qui nous suivront<br />

autre chose que des<br />

excuses.<br />

J’ose tout de même penser que nous voudrons offrir à ceux qui<br />

nous suivront autre chose que des excuses. Il faudra donc nous<br />

décider à poser résolument la culture de la majorité francophone<br />

comme culture de référence, à protéger les valeurs et les traditions<br />

qui le méritent, à nous soucier<br />

de productivité économique,<br />

à refonder nos mécanismes<br />

institutionnels de solidarité, à<br />

cesser d’hypothéquer notre avenir<br />

financier, à faire ce qu’il faut<br />

pour atténuer le bouleversement<br />

démographique dans lequel nous<br />

sommes engagés, et, bien sûr, à<br />

regarder lucidement notre rapide<br />

perte d’influence politique dans le<br />

Canada et en tirer des conclusions.<br />

Je répète que je mesure pleinement<br />

les immenses difficultés de tous<br />

ces chantiers. D’autant plus<br />

immenses que le Québec est<br />

traversé, comme toutes les sociétés<br />

occidentales, par des sensibilités<br />

qui compliquent bien plus qu’elles<br />

ne facilitent les redressements<br />

collectifs : un matérialisme forcené,<br />

un individualisme amnésique, un<br />

cynisme galopant, une idolâtrie<br />

de la nouveauté confondue avec<br />

le progrès, un relativisme dont on<br />

cherche parfois les limites.<br />

Je reste pourtant d’un optimisme prudent. D’une part, parce que notre<br />

peuple a déjà fait, dans le passé, la démonstration de sa capacité à<br />

se ressaisir, et qu’il dispose encore aujourd’hui, et même plus que<br />

jamais, de tous les atouts requis pour cela. D’autre part, parce que<br />

l’alternative serait une sorte de consentement à notre propre déclin,<br />

qui me semble proprement impensable, bien que la vérité oblige ici<br />

à dire que l’histoire est remplie d’exemples de peuples qui n’ont pas<br />

su éviter la folklorisation.<br />

Dans l’immédiat, ce sont ceux qui nous tiennent lieu d’élites qui sont<br />

évidemment les premiers interpellés. On trouve certes dans l’histoire<br />

des exemples d’accélération subite des événements qui placent<br />

les peuples en avant, en quelque sorte, de leurs propres élites, qui<br />

se retrouvent alors comme dépassées par la situation. Mais c’est<br />

plutôt l’inverse qui est la norme. Quand les nations parviennent à<br />

des carrefours décisifs, ce sont leurs dirigeants politiques qui sont<br />

les premiers convoqués à la barre.<br />

À cet égard, il me semble que nous fait défaut en ce moment un<br />

leadership politique qui, plutôt que de se soucier de questions<br />

d’intendance, de l’apparence des choses ou de simplement durer,<br />

proposerait à notre peuple un récit de lui-même, de sa trajectoire<br />

historique jusqu’ici et du monde qui se dessine devant nous, qui serait<br />

porteur de sens et dans lequel nos concitoyens se reconnaîtraient.<br />

Mais croyez-moi, il est trop facile de blâmer nos dirigeants, de<br />

les taxer de lâches ou d’incompétents quand ils n’ont, démocratie<br />

oblige, d’autres espaces de manœuvre que ceux que nous-mêmes<br />

leur laissons.<br />

Nous disons vouloir entendre d’eux la vérité, mais nous ne<br />

l’acceptons vraiment que si elle est plaisante. Nous trouvons normal<br />

qu’ils aillent faire les pitres dans des émissions de variété, et nous<br />

leur reprochons ensuite de manquer d’envergure. Trop souvent, nous<br />

récompensons aux urnes ceux qu’ils veulent durer plutôt que ceux<br />

qui veulent faire. Nous leur demandons de se rendre «populaires»<br />

pour récolter nos votes, alors qu’il nous faudrait ensuite accepter<br />

qu’ils doivent parfois se rendre impopulaires pour bien gouverner.<br />

Dans l’histoire des peuples, rien n’est jamais écrit d’avance, sauf<br />

dans les cas où la loi du nombre prend la forme d’un courant trop<br />

fort pour être remonté et devient implacable. Nous approchons de ce<br />

moment. Nous y sommes presque. Nous y entrons à vrai dire.»<br />

EXTRAIT TIRÉ DE : J.FACAL, QUELQUE CHOSE COMME UN GRAND PEUPLE,<br />

Boréal, 2010, pp. 289-292.<br />

VOLUME 54, NUMÉRO 09 // 11 Février au 10 mars 2010 // 011

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