Parution 9 - L'Intérêt
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La Chine et les États-Unis :<br />
comme chiens et chats<br />
International//<br />
Anne-Sophie Pratte<br />
anne-sophie.pratte@hec.ca<br />
En février, coup de théâtre dans les relations sino-américaines : une compagnie<br />
américaine livre des armes à Taïwan, Obama officialise une rencontre avec le Dalaïlama,<br />
et la pression pour réévaluer le yuan monte d’un cran.<br />
Il semblerait qu’une page<br />
d’histoire vient d’être tournée :<br />
les négociations Chine-USA<br />
ne seront plus de nature<br />
coopérative, mais conflictuelle.<br />
Certes, l’un a toujours rêvé<br />
de dominer l’autre, mais les<br />
adversaires préféraient jouer du<br />
coude plutôt que d’asséner un direct. On multipliait les promesses<br />
de coopérations, et l’on versait des concessions au compte-gouttes.<br />
Désormais, des négociations seront-elles seulement possibles<br />
entre la Chine et les États-Unis ?<br />
Les États-Unis doivent accepter qu’ils ne sont plus l’enfant unique<br />
de la planète, et qu’un nouveau petit frère est né. Ils semblent vivre<br />
le traumatisme causé par l’arrivée d’un frère cadet sur l’échiquier<br />
mondial. Lorsqu’un bébé nait, on peut s’attendre à une réaction<br />
émotionnelle de l’ainé, soit un besoin de se défendre contre la nouvelle<br />
menace, dans le but de récupérer l’amour et l’admiration de la mère.<br />
Mais rassurons-nous, ce mécanisme de défense serait temporaire.<br />
Dans les faits, les gestes diplomatiques des États-Unis font<br />
vraiment penser à des réactions d’enfant de cinq ans. Quiconque<br />
connait le moindrement la Chine sait que l’affrontement direct est<br />
loin d’être privilégié au pays du Tai Chi : Vaincre sans combattre,<br />
disait Sun Zi, Gouverner en Gentleman, enseignait Confucius, Ne<br />
pas agir, méditait Laozi. Malgré ces traits culturels, les Américains<br />
se rabattent sur la méthode on bombarde, ensuite on parle. Cette<br />
approche enfantine est idéale pour s’attirer du capital politique à<br />
court terme, mais détruira la relation Chine-États-Unis à long terme.<br />
L’histoire nous montre que les États-Unis multiplient les affronts et<br />
les contradictions dans le dossier Taïwan. En 1979, les États-Unis<br />
ont signé le Taiwan Relations Act, qui les autorise à fournir des<br />
armes à Taïwan pour se défendre. En 1982, le président Reagan<br />
s’engage à réduire progressivement les ventes de matériel militaire<br />
à Taïwan à long terme. Les États-Unis se sont opposés à Taïwan<br />
lors du référendum de mars 2008, où l’on demandait aux Taïwanais<br />
s’ils devraient siéger à l’ONU. En 2009, les États-Unis signent une<br />
résolution célébrant le 30 e anniversaire du Taiwan Relations Act. Si<br />
les États-Unis ne reconnaissent pas la souveraineté de Taïwan, de<br />
quel droit leur vendent-ils des armes ? Schizophrènes, nos voisins<br />
du Sud ?<br />
Non seulement l’influence des États-Unis sur Taïwan estelle<br />
illégitime, mais des millions de personnes en souffrent, à<br />
commencer par les Tibétains. Quel est donc le lien entre le Tibet<br />
et Taïwan ? Un indice : pensez frontières et zone tampon. Taïwan<br />
est une zone tampon entre les États-Unis et la Chine. Le Tibet relie<br />
l’Inde, l’Occident et le Moyen-Orient à la Chine.<br />
D’ailleurs, les représentants du Dalaï-lama, Lodi Gyaltsen Gyari et<br />
Kelsang Gyaltsen, se sont rendus à Beijing la semaine dernière pour<br />
négocier une plus grande autonomie du Tibet. Mais ça n’arrivera<br />
pas : la Chine croit que si elle donne un pouce d’autonomie au Tibet,<br />
l’Amérique prendra un bras d’influence sur cette zone stratégique.<br />
Les États-Unis doivent<br />
accepter qu’ils ne sont<br />
plus l’enfant unique<br />
de la planète, et qu’un<br />
nouveau petit frère<br />
est né.<br />
Et le cas de Taïwan ne fait pas mentir la Chine sur<br />
l’intrusion pernicieuse de l’oncle Sam au cœur de<br />
ses zones tampon, dans l’espoir d’affaiblir quelque<br />
peu l’Empire du Milieu 1 .<br />
Ainsi, Beijing resserre sa poigne de fer sur le Tibet,<br />
la Mongolie, le Xinjiang, et sur Taïwan si elle le<br />
pouvait. La question à mille dollars : le ferait-elle<br />
sans la pression des États-Unis sur ses frontières ?<br />
La Chine perpétuerait probablement la tradition millénaire<br />
d’absorber les peuples limitrophes au sein de son Empire, mais les<br />
cultures minoritaires seraient davantage respectées et préservées.<br />
En chinois, on emploie souvent l’expression « donner de la face »,<br />
soit rehausser le prestige de son interlocuteur, flatter son orgueil,<br />
le mettre en valeur... Plutôt que d’accuser la Chine et de lui faire<br />
perdre la face, les États-Unis doivent tout simplement s’employer<br />
à lui donner de la face, pour obtenir des concessions. Par exemple,<br />
les États-Unis pourraient s’assoir et proposer d’annuler la vente<br />
d’armes, en échange d’une réévaluation progressive du yuan.<br />
Quant au Tibet, les États-Unis pourraient s’engager à ne pas<br />
s’immiscer dans les politiques intérieures de la Chine, en échange<br />
d’un meilleur respect des cultures et des droits humains. Il faut<br />
des engagements, de l’ouverture, une compréhension des intérêts<br />
mutuels, des concessions. Voilà les fondements de la démocratie, et<br />
voilà une excellente manière de l’exporter !<br />
1 Qui a dit qu’Empire du Milieu signifiait « centre du monde » ? En fait, Zhongguo désignait plutôt<br />
« centre du pays », soit la province du Hunan où siégeait l’Empereur. On remarque chez les<br />
Chinois une propension à se concentrer sur les enjeux INTÉRIEURS.<br />
VOLUME 54, NUMÉRO 09 // 11 Février au 10 mars 2010 // 03