Parution 9 - L'Intérêt
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Martin Reyre &<br />
Mathilde Mur<br />
martin.reyre@hec.ca<br />
mathilde.mur@hec.ca<br />
DOSSIER// Au diable les BABY-BOOMERS !<br />
Entrevue avec un baby-boomer<br />
Notre avis sur les baby-boomers est une chose, mais c'en est une autre de savoir ce qu’eux-mêmes<br />
pensent de leurs responsabilités quant à la situation mondiale actuelle, l’héritage qu’ils nous lèguent,<br />
leurs espoirs pour les générations futures. À l’heure de leur départ à la retraite, il est sans doute temps<br />
de faire un constat sur la manière dont ils ont traversé les soixante dernières années. C’est ce que nous<br />
avons cherché à savoir en interrogeant Jacques Boisvert, enseignant.<br />
Quels sont les évènements marquants, les transformations<br />
sociales et technologiques importantes qui ont pu vous<br />
marquer en tant que baby-boomer ?<br />
Le dénouement de la crise d’Octobre en 1970, avec la prise d’otage<br />
et le meurtre du ministre du Travail, Pierre Laporte, est l’un des<br />
évènements qui m’ont le plus marqué. Ce fut une erreur de la part du<br />
FLQ (Front de Libération du Québec), qui a toutefois été un élément<br />
moteur du réveil de la société québécoise.<br />
Étant issu d’un milieu modeste, peu stable au niveau financier, j'ai été<br />
profondément marqué par les progrès technologiques, notamment<br />
la télévision en noir et blanc. Dans ma jeunesse, la culture était<br />
vraiment restreinte et la télévision nous a permis de nourrir notre<br />
imaginaire, de nous ouvrir et de découvrir le monde extérieur. Les<br />
premiers baladeurs sont arrivés dans les années 80. Une radio AM-<br />
FM, pas de disques… Dans les voitures, le seul système de son était<br />
fait pour des cassettes huit pistes.<br />
J’ai aussi commencé le secondaire avec une règle<br />
à calculer et tous nos travaux étaient effectués<br />
avec une dactylo. Les outils de travail étaient<br />
plus d’ordre mécanique que technologique. Puis<br />
lorsque je suis parti travailler en Europe en 1990,<br />
le fax n’existait pas encore et je devais écrire des<br />
lettres à mes proches pour garder un contact.<br />
Au niveau technologique, j’ai donc connu la petite radio<br />
transistor, le baladeur en MFM, le tapedeck cassette, le discman, le<br />
Mp3, le Mp4. J’ai aussi des flippers mécaniques, avant les premiers<br />
jeux vidéo qui étaient le ping-pong et Pacman.<br />
Les évènements politiques et sociaux qui m’ont<br />
le plus marqué sont :<br />
- La mort de JF Kennedy en direct.<br />
- Les premiers pas de l’homme sur la Lune.<br />
- L’émergence des partis québécois.<br />
- Les Jeux Olympiques de Mexico en 1968, jeux télévisés,<br />
les premiers pour moi. J’avais 11 ans. J’ai été tellement<br />
marqué que je suis allé courir dans la rue et cela ma donné<br />
la vocation.<br />
- Les Jeux Olympiques de Montréal en 1976.<br />
- La Loi 101 dans les années 80, qui obligea tout le monde à<br />
parler français et qui fit beaucoup de vagues.<br />
- La création de la Société d’assurance d’automobile du<br />
Québec, qui définit le nouveau régime d’assurance pour<br />
les voitures et rendit obligatoire et accessible l’assurance.<br />
Quel recul avez-vous<br />
sur la Révolution Tranquille ?<br />
Elle a permis l’épanouissement de la société<br />
québécoise et a développé son potentiel grâce à l’accès<br />
aux études supérieures. Le Québec a pris conscience<br />
de sa force. La Révolution tranquille a aussi mené à une<br />
véritable reconnaissance de l’État québécois. Les grandes grèves,<br />
dans les années 60 et 70, ont permis l’accès en masse aux études et<br />
ont développé la syndicalisation au Québec.<br />
Comment était la situation politique au Canada<br />
à votre époque ?<br />
La situation politique était tendue. On pouvait identifier tes<br />
tendances politiques par ta famille, comme aux États-Unis. Si ta<br />
famille est républicaine, tu nais républicain et tu meurs républicain.<br />
C’était comme cela dans certaines zones du Canada…<br />
Moi, j’ai évolué à cause de l’échec et de la peur que les Canadiens ont<br />
eu de la séparation du Québec. Le deuxième référendum a beaucoup<br />
affecté les gens, car il polarisait la population en deux clans. Cela<br />
a provoqué de grands affrontements politiques, idéologiques et a<br />
déchiré des familles entières.<br />
Je me rappelle un argument des fédéralistes qui m’avait frappé. Ils<br />
disaient aux retraités : « Vous allez perdre votre pension qui vient du<br />
Canada », ce qui était faux. C’était de la désinformation, mais cela<br />
leur a fait peur et les a influencés.<br />
Quel l’héritage pensez-vous laisser<br />
à la prochaine génération ?<br />
L’héritage que nous laissons est très contrasté. D’un côté, la nouvelle<br />
génération va pouvoir profiter d’une société unie, pluriethnique<br />
et dans laquelle il fait bon vivre. Nous lui laissons un accès à<br />
l’éducation et aux études supérieures plus facile ainsi qu’une plus<br />
grande ouverture sur le monde. Les futurs adultes pourront être<br />
beaucoup plus précoces, d'un point de vue culturel, par les voyages,<br />
les médias… Nous leur léguons aussi une société avec des règles<br />
bien définies au plan des gouvernements et des syndicats.<br />
Du côté de l’environnement, rien n’est clair. Particulièrement pour<br />
ce qui est de la couche d’ozone. On reste dans une certaine routine<br />
politique même si les idées évoluent. On peut voir qu’il y a toujours<br />
peu d’implication à ce sujet au niveau municipal, car ça parait moins<br />
important. Elle devra aussi évoluer avec une société canadienne<br />
économique endettée.<br />
Qu’espérez-vous de la prochaine génération ?<br />
Le fait d’avoir accès à toute l’information que l’on ne pouvait pas<br />
avoir auparavant permettra à la prochaine génération de faire des<br />
choix plus éclairés. Mais un trop grand nombre d’informations peut<br />
devenir perturbant et mener à l’indécision.<br />
Cette génération me permet déjà de bénéficier des nouvelles<br />
technologies et de tout ce qui les accompagne. C’est un plus non<br />
négligeable de pouvoir profiter des nouvelles modes, des nouvelles<br />
façons de penser, de la nouvelle musique, de la culture, de l’art... Mon<br />
plus grand désir serait une génération de culture, aux connaissances<br />
riches et diverses !<br />
De quelle génération auriez-vous préféré faire partie ?<br />
Pourquoi ?<br />
À mon avis, il est impossible de répondre à cette question. La seule<br />
chose dont je suis certain est que j’aimerais revenir en arrière mais<br />
avec tout ce que je sais désormais, car je n’avais pas un accès aussi<br />
vaste à la culture avant. En fait, cette question est très hypothétique.<br />
Je ne peux pas dire si votre génération est meilleure ou pire. J’ai<br />
bien vécu la mienne. Néanmoins, je dirais qu’au niveau financier,<br />
tout devient possible aujourd’hui, même si cela rend plus complexes<br />
certaines choses qui paraissaient simples à mon époque.<br />
À quel âge comptez-vous partir à la retraite ?<br />
Théoriquement, je partirai dans six ans car j’aurais effectué 35 ans<br />
dans l’enseignement. Mais même après cela je resterai actif et<br />
trouverai un autre travail.<br />
VOLUME 54, NUMÉRO 09 // 11 Février au 10 mars 2010 // 09