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Numéro 33 - Le libraire

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Monmanéki (L’Origine des manières de table). Cette histoirerapportée n’a pas de conclusion : elle se termine sur salancée, après la fuite de la cinquième épouse, alors que rienn’empêcherait de poursuivre. On constate que lacinquième épouse est la seule à provenir du même villageque Monmanéki. Cette pêcheuse émérite est l’unique brudont le départ n’est pas forcé par l’intervention de la mèredu chasseur. Ce sont ces oppositions entre pêche et chasse,filiation et mariage, qui attireront l’œil de Lévi-Strauss :il en déduit certains traits fondamentaux de l’imaginaire.Un observateur aux motivations autres, comme un Jésuitedu XVII e siècle, aurait pu simplement s’attarder aux élémentsmagiques du récit, aux transformations des épousesen oiseaux, puis servir à ses lecteurs européens l’exempled’une communauté qui parvient à fonctionner en dépit deses « malheureuses » superstitions.J’ai sous les yeux un numéro hors-série du NouvelObservateur, « Mythologies d’aujourd’hui » (juillet/août2004). <strong>Le</strong>s « Mythologies » de Barthes d’il y a unecinquantaine d’années ont cédé la place à leurs descendants: l’ordinateur portable, le gras, le coaching, etc. <strong>Le</strong>sous-titre de cette livraison spéciale, œuvre d’initiés s’adressantà des lecteurs profanes, prouve notre attitude suspicieuseà l’égard du registre mythologique : « Notreépoque est façonnée par des mythes ». Hervé Fischer seconde,et va plus loin : « Certes, le monde actuel est toutaussi mythique que celui des Grecs ou des Mayas. Maisnous ne le savons pas. Et c’est en cela que ce genre de publicationsest utile. Elles rappellent aux hommes“ modernes ” qu’ils seront toujours archaïques. D’ailleurs, ilest important de distinguer entre les mythes structurants,comme celui de la conquête prométhéenne ou de la souffrancechrétienne, et leurs expressions secondaires et limitées,décrites avec un talent démystificateur, mais commedes fragments, sans qu’on les lie aux mythes fondamentauxdont ils relèvent. C’est comme voir les feuilles, les arbres,mais pas les forêts. On manque d’orientation et decompréhension. »Karen Armstrong, (Un combat pour Dieu, Seuil ; Bouddha,Fides) publiait cet automne Une brève histoire des mythes.Titre inaugural de la collection « <strong>Le</strong>s mythes revisités »,offerte sous différentes déclinaisons par vingt-six éditeursdans le monde, l’ouvrage offre au lecteur curieux une bonneintroduction à cette plus large perspective. Suivant l’évolutionde l’homo sapiens du paléolithique à la période contemporaine,Armstrong conçoit le mythe comme le champ desdeux éternités qui bordent la pensée humaine : le mystèredes origines et celui de l’au-delà. <strong>Le</strong> mythe « concerne cepour quoi nous n’avons pas de mots », et, la mythologie,comprise comme un registre de connaissance parallèle à lascience ou la technologie, a pour rôle de « nous aider àaffronter les problèmes de la condition humaine. » <strong>Le</strong>mythe nous fait retrouver le questionnement des enfants.Jean-Pierre Vernant ouvre ainsi son superbe L’Univers, lesdieux, les hommes : « Qu’est-ce qu’il y avait quand il n’y avaitpas encore quelque chose, quand il n’y avait rien ? ».Occupant une position centrale dans Une brève histoire desmythes, la constitution des premières civilisations (datéeentre 4000-800 av. J.-C.) et l’invention de l’écriture entraînentla formation du mythe dans l’ambivalence que nouslui connaissons : « La civilisation est ressentie commemagnifique mais fragile […] On craint constamment quela vie ne retourne à l’ancienne barbarie. Mêlant appréhensionet espérance, les nouveaux mythes urbains méditentsur ce combat sans fin entre l’ordre et le chaos ». C’est l’âgehéroïque, où la proximité des dieux et des hommes, jusquedans leurs passions, constituait un reflet des coups du destin.Puis, lorsque les États se pacifient et s’agrandissent, lesaléas, réduits par l’ordre et la technologie, entraînent unéloignement des dieux dans la conscience tranquillisée.C’est le début de la période dite axiale (800-200 av.J.-C.) où, à la suite de l’historien des religions KarlJaspers, Karen Armstrong décrit l’avènement d’unIllustration © Ulysse et Nausicaa, Friedrich Preller l’Ancien(1804-1878)nouveau statut du mythe. Certains systèmes, comme lebouddhisme, donneront aux dieux une valeur d’illustration.D’autres, comme le judaïsme, devront pour s’imposerpourfendre les croyances concurrentes, nuance qui marquele fossé entre le monothéisme et les spiritualités orientales.L’acception du mythe comme une fausseté dérive selonl’historienne de notre « vision scientifique de l’histoire ».Rejoignant les sentiers de la critique de la modernité, ellese sert avec habileté des grandes figures de la Réformepour démontrer la faillite d’un système qui refoule la penséemythique au profit du logos, discours organisé valorisédepuis Platon, à l’origine du raisonnement scientifique. <strong>Le</strong>sdeux ordres sont pourtant complémentaires. KarenArmstrong voit dans la prévalence du logos une errancede l’« évolué » par rapport au « primitif » : « Un mythe nepeut indiquer au chasseur comment tuer sa proie ouorganiser efficacement une expédition, mais il l’aide à gérerles émotions complexes qui l’habitent après la mise à mortdes animaux. <strong>Le</strong> logos est efficace, pratique et rationnel,mais ne peut répondre aux questions sur la valeur ultimede la vie humaine, ni atténuer la douleur et la tristesse deshommes. »Pour l’historienne, le star-système prouve pourtant que« nous sommes toujours en quête de héros ». Il s’agit toutefoisd’un bien pauvre succédané : « <strong>Le</strong> mythe doit menerà l’imitation ou à la participation, pas à la contemplationpassive. Nous ne savons plus gérer notre vie mythiqued’une manière qui nous stimule et nous transforme spirituellement.» On ne pourra que se rallier à son appel,et souhaiter de nouvelles noces avec les dieux dans lesrituels, ces affrontements avec ce qui nous précède.Et nous survivra.Une brève histoire des mythesKaren Armstrong, Boréal,coll. <strong>Le</strong>s Mythes revisités, 141 p., 19,95 $MythologiesRoland Barthes, Points, coll. Essai, 2<strong>33</strong> p., 12,95 $Puissance du mytheJoseph Campbell & Bill Moyers, J’ai lu,coll. Aventures secrètes, 11,95 $CyberProméthéeHervé Fisher, VLB éditeur, coll. Gestations, 360 p., 26,95 $Anthropologie structuraleClaude Lévi-Strauss, Pocket, coll. Agora, 480 p., 15,95 $L’Origine des manières de table :Mythologiques (t. 3)Claude Lévi-Strauss, Plon, 480 p., 52,95 $Pourquoi la Grèce ?Jacqueline de Romilly, De Fallois, 309 p., 45,95 $L’Univers, les dieux, les hommesJean-Pierre Vernant, Points, coll. Essai, 248 p., 12,95 $Lire Mythanalyse du futur de Hervé Fischer.Téléchargement gratuit à partir de www.hervefischer.netM A R S - A V R I L 2 0 0 623<strong>Le</strong>ctures complémentairesMythes et mythologieFélix Guirand & Joël Schmidt, Larousse,coll. In Extenso, 888 p., 53,95 $Un panorama général des mythologiesindo-européennes vieilli, qu’on dégustetout de même comme un bon vin, suivid’un dictionnaire récent qui permet de seretrouver rapidement parmi tous ces noms à coucherdehors. On peut difficilement faire mieux en restantaccessible.La Raison du mytheHans Blumenberg, Gallimard,coll. Bibliothèque de la philosophie,155 p., 28,95 $Avant Homère, la Théogonie d’Hésiodeexpliquait déjà le sens du nom« Prométhée ». Dans cette synthèse deses derniers travaux, parue en allemand cinq ans aprèssa mort, Hans Blumenberg (1920-1996) poursuit autourde Nietzsche cette grande tradition du frayage entre« muthos » et « logos ».<strong>Le</strong> Temps aboliThierry Hentsch, Bréal/<strong>Le</strong>s Presses del’Université de Montréal, 411 p., 27,95 $Il y a cinquante ans, le Mensongeromanesque et vérité romantique de RenéGirard ouvrait une lecture du mythe dudésir claire. <strong>Le</strong>s essais du regretté ThierryHentsch, avec la même générosité pour le lecteur,offrent à la conscience historique la même chose deDon Juan à Proust.Cargo, la religiondes humiliés du PacifiqueGerald Messadié, Calmann-Lévy,<strong>33</strong>2 p., 34,95 $Longtemps laissées sans contact avec lemonde moderne, les communautésaborigènes de l’Océanie intégrèrent lesréchauds, les montres et les avions à leur mythologie.Gerald Messadié (L’Homme qui devint Dieu, Histoiregénérale du diable) nous brosse un tableau fascinant deces cultes cargo.Ethnologie. La quête de l’autreGérard Toffin, Acropole, 156 p., 39,95 $De l’idéalisation du « bon sauvage » à lacritique de notre culture à travers notrefaçon de voir l’autre, l’ethnologie est ladernière étape de la grande aventureintellectuelle de l’humanisme. Ce bel ouvrage accessible,farci de photos et d’encadrés, propose une histoire convaincantede cette discipline.

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