CHAPITRE VII16.85-1700PlÊTÉ <strong>DE</strong>S COLONS. — CURES ET MISSIONS. — CARACTÈRE <strong>DE</strong>S CANADIENSTANTS, PAS PAYSANS. — COMMEMT SONT DISPOSÉES <strong>LE</strong>S HABITATIONSMŒURS ET COUTUMES. — HABI-TRAVAUX <strong>DE</strong>S CHAMPS. — Nou-VEL<strong>LE</strong>S SEIGNEURIES, 1667-1681<strong>LE</strong>S ENGAGÉS. — MONNAIE <strong>DE</strong> CARTES.LUSIEURS témoignages laissés par des hommes instruits qui vivaient enCanada vers la fin du dix-septième siècle nous renseignent sur certains détailsde la vie de nos pères et à ce titre, ils ont leur place dans le présent ouvrage.Mgr de Saint-Valier 1 écrivait en 1686 : " Le peuple communément parlant,est aussi dévot que le clergé m'a paru saint. On n'y remarque je ne sais quoides dispositions "qu'on admirait autrefois dans les chrétiens des premiers siècles ;la simplicité, la dévotion et la charité s'y montrent avec éclat ; on aide avec plaisir ceux quicommencent à s'établir, chacun leur donne ou leur prête quelque chose, et tout le monde lesconsole et les encourage dans leurs peines. Il y a quelque chose de surprenant dansles habitations qui sont les plus éloignées des paroisses, et qui ont même été longtempssans voir de pasteurs. Les Français s'y sont conservés dans la pratique du bien et lorsque lemissionnaire qui a soin d'eux fait sa ronde pour aller administrer les sacrements, d'habitationen habitation, ils le reçoivent avec une foi qui ne se peut exprimer ; ils font tous leursdévotions, et on serait surpris si quelqu'un ne les faisait pas ; ils s'empressent à écouter laparole de Dieu, ils la goûtent avec respect, ils en profitent avec une sainte émulation ; celuiqui donne sa maison pour y célébrer les divins mystères, s'estime infiniment heureux ethonoré ; il donne ce jour-là à manger aux autres ; le repas qu'il fait est une espèce d'agape,où sans craindre aucun excès on se réjouit au Seigneur. Cela se remarque surtout dansl'Acadie, où l'on ne se sert d'aucune boisson enivrante ; et où l'on réserve le peu qu'on a devin pour la sainte messe et pour les malades. La conversation qui suit le dîner, est uneinstruction familière, où les plus âgés n'ont point de honte de répondre aux questions que1Désigné comme successeur de Mgr de Laval, il était arrivé à Québec le 29 juillet 1685, d'où il partit, le 18 novembre 1695pour visiter l'Acadie. Le 1er janvier suivant il débarquait à la Rochelle. Il revint au Canada le 15 août 1688 avec le titre d'évêque.
124 HISTOIRE <strong>DE</strong>S CANADIENS-FRANÇAISfait le missionnaire. On l'informe ensuite des petits démêlés qui peuvent être entre lesfamilles ; et s'il se trouve quelque différend, ce qui est rare, il l'accommode sans que lesparties résistent. Chaque maison est une petite communauté bien réglée, où l'on fait la prièreen commun soir et matin, où l'on récite le chapelet, où l'on a la pratique des examens particuliersavant le repas, et où les pères et les mères de familles suppléent au défaut des prêtres,en ce qui regarde la conduite de leurs enfans et de leurs valets. Tout le monde y est ennemide l'oisiveté ; on y travaille toujours à quelque chose ; les particuliers ont eu assez d'industriepour apprendre des métiers d'eux-mêmes, de sorte que sans avoir eu le secours d'aucunmaître, ils savent presque tout faire. Il est vrai qu'on n'est pas dans le même embarras dansles lieux qui sont plus proches de Québec, mais il y a encore beaucoup à souffrir partout, etla plupart portent avec une grande résignation les souffrances inséparables de leur état, dansun pays où peu de gens sont à leur aise. Si les prêtres sont édifiés de la vie des laïques, leslaïques ne le sont pas moins de la conduite des prêtres, qui se sont soutenus jusqu'à présentdans une grande estime et réputation de sagesse, quoique la plupart aient été exposés par lanécessité où ils sont encore en plusieurs endroits, de loger dans des maisons séculières, mêlésavec toutes sortes de personnes. La fidélité qu'ils ont à la grâce les conserve dans cemélange ; on ne s'aperçoit pas qu'ils y perdent rien de l'esprit intérieur, qu'ils ont pris dansles séminaires, où ils ont demeuré quelque temps pour se sanctifier eux-mêmes, avant qued'être appliqués au salut des autres, et où ils retournent de temps en temps pour entretenirla faveur qu'ils y ont puisée ; ils font tous les jours leur oraison, et tous les ans leur retraite ;ils aiment la pauvreté, et ils vivent dans un parfait abandon à la divine Providence : à peineont-ils en durant plusieurs années le nécessaire, et cependant ils n'ont pas laissé de travaillerinfatigablement, sans argent et sans maison, logé comme on a dit, par charité dans des lieuxfort incommodes, mangeant ce qu'on leur donnait comme par aumône, et réduits souvent àboire de l'eau, dans leurs courses apostoliques. Le roi, connaissant la nécessité de pourvoirà la subsistance de ces ouvriers évangéliques, dont on a été obligé depuis peu d'augmenterle nombre, qui pourra croître encore dans la suite, a bien voulu suppléer par sa libéralitéroyale, à ce qui nous manquait pour l'entretien de quarante 1 curés qu'on a établis 2 ; il nousaide même à leur bâtir des églises et des presbytères dans les campagnes, sans rienretrancher de ce qu'il nous donne chaque année pour achever notre cathédrale, et pour contribuerau soutien des missionnaires, des hôpitaux, des séminaires et de toutes autres communautées."Le père Chrétien Le Clercq, récollet, s'exprime comme suit : " J'avais peine à comprendrece que me. disait un jour un grand homme d'esprit, sur le point de mon départ pour leCanada, où il avait fait séjour et rétabli les missions des récollets (c'est le révérendissime1Le recensement de 1685 donne douze mille deux cent soixante et trois âmes, y compris quinze cent trente-huit sauvages réunis enbourgades ; soixante et quatre seigneuries habitées ; quarante paroisses ayant des curés établis. En 1688 il n'est indiqué que onze millecinq cent soixante et deux âmes.; » Voir JZdïis et Ordonnances, I, p. 231.