HISTOIRE <strong>DE</strong>S CANADIENS-FRANÇAISsabre eut doublé son territoire. La Providence voulait que la petite colonie des bords duSaint-Laurent devint une pépinière de découvreurs et que, sans perdre son caractère primitifqui était tout agricole, elle commençât à jouer le rôle d'une seconde mère-patrie dans cemilieu américain où pouvaient l'attendre de grandes destinées. Par malheur, loin d'être pourelle un sujet de développement, ce bienfait devint par l'imprévoyance des hommes une cause•de transformation, car les fils des Canadiens attirés vers ces espaces immenses affaiblirent lacolonie principale en la privant de leurs bras, et la France ne sut point activer par l'envoi denouvelles familles, h colonisation du Saint-Laurent. La page que nos découvreurs et fondateursde l'ouest ont écrite nous a coûté bien cher ! — " mais la gloire a tout effacé."La lecture attentive des mémoires et récits du temps montre la constante préoccupation•des marchands et des missionnaires à s'avancer dans les profondeurs du continent, sitôt aprèsle voyage de Nicolet (1634) dont le père Le Jeune parle avec tant d'éloges. Il est vrai quenous ne connaissons pas les noms de tous les employés de la traite ni des " donnés " et des"engagés" des jésuites, ni ceux des interprètes et coureurs de bois que leur incroyablefantaisie poussaient alors à s'enfoncer parmi les nations du sud et de l'ouest, mais il faudraitêtre aveugle pour ne pas voir le mouvement envahisseur des Français de toutes classes danscette direction, une longue suite d'années antérieures à Jolliet. Après Nicolet, Chouart tient latête sur la liste de ceux qui ont ouvert le centre Amérique à la puissance française. En 1660,il se fit plus de bruit au sujet du fleuve de l'ouest qu'au retour de Jolliet quatorze ans plustard. Parce que nous n'avons pas de narration solennelle et circonstanciée qui explique-comment et à quelle date les premiers Canadiens ont parcouru les rives du Mississipi ou sesont établis le long des rivières qui se déversent dans ce fleuve, faut-il conclure que personne•autre que trois ou quatre chercheurs, révélateurs et découvreurs (Nicolet, Chouart, Radisson,La Salle) nous ont fait cadeau de ces vastes provinces ? Est-ce que les "voyageurs" attendaientqu'un pays fut découvert ou noté sur les cartes du gouvernement pour s'y fixer, outout au moins y trafiquer et " s'habituer " avec les Sauvages ? Etudions l'ensemble de notrehistoire à cet égard et nous cesserons de croire à la trouvaille du Mississipi accomplie en uneseule course, comme un certain journaliste a découvert tout récemment la Méditerranée.Le jour où Jolliet et Marquette saisirent l'aviron pour nager vers le "futur grenier du genrehumain," ils allèrent simplement confirmer par des documents authentiques à l'usage desministres du roi, ce que l'expérience des " voyageurs " avait rendu patent depuis une quarantained'années. Ils avançaient d'un pas la géographie officielle en continuant l'œuvre deNicolet, Chouart, Allouez et Dablon —de même que La Salle (1682) et d'Iberville (1699) lacomplétèrent en traçant le reste du cours du grand fleuve. Jolliet et Marquette commencèrentleur voyage par la baie Verte et traversèrent des contrées déjà fréquentées par les traiteursfrançais. Plus loin, ils atteignirent des villages dont les habitants ne paraissaient pas avoir uneconnaissance pratique de nos compatriotes. Là seulement ils se sentirent en dehors du déjàvu. Le parcours du Mississipi, du Wisconsin à 1'Arkansas,' est de deux cents lieues, à peuprès : c'est la découverte de jolliet.
22 HISTOIRE <strong>DE</strong>S CANADIENS-FRANÇAISLes historiens se demandent si l'honneur d'avoir trouvé le Mississipi-est dû autant àCavelier de La Salle qu'à Louis Jolliet. Un volume ne suffirait pas à redire leurs arguments.Les faits, cependant, ne permettent ni quiproquo ni ambiguïté. Lorsque Jolliet fut chargéd'aller reconnaître le cours du grand fleuve de l'ouest, comme on l'appelait, il y avait trenteneufans que les " voyageurs " parlaient de celui-ci. Des explorateurs en avaient indiqué l'existence,quelques-uns l'avaient vu. Le commerce s'était approché de ses rives au point d'enprendre virtuellement possession. Faudrait-il supposer que La Salle fit plus que Nicolet,Chouart et Radisson, sans compter les pères jésuites, et qu'il explora le Mississipi avant 1672 ?Alors comment donc le gouverneur de Courcelles et l'intendant Talon ont-ils pu se taire et seborner à demander à la cour de faire découvrir ce Mississipi tant désiré ? Frontenac, avanttout favorable à La Salle, s'abstient de prononcer le nom de son ami ; s'il avait conçule projet de lui en confier la mission officielle ; c'est Jolliet qui l'emporta, Jolliet élèveet disciple des jésuites—affaires d'influence, mais qui prouve jusqu'à quel point le cours dufleuve était encore indéterminé, car on n'eut pas songé à envoyer un cartographe dans cettedirection si on eut connu (d'après les soi-disant découvertes de La Salle) quelle était lamarche de ce cours d'eau. Le choix de Jolliet s'explique d'ailleurs aisément. Le Canadienconnaissait les langues sauvages ; il avait parcouru les contrées voisines du Mississipi ; sestalents d'hydrographe imposaient son nom au gouvernement, de plus, les jésuites agissaientde concert avec lui. La Salle était seul, ou à peu près, nouveau venu dans le Canada, nesachant rien des langues sauvages, n'ayant jamais dressé une carte et, selon les apparences, ilignorait, autrement que par ouï dire, les pays dont il s'agissait de.rendre compte. Quel titreaurait-il pu avoir à la préférence de la cour ?