13.07.2015 Views

Emile ou De l'ducation [Document lectronique] / Jean-Jacques ...

Emile ou De l'ducation [Document lectronique] / Jean-Jacques ...

Emile ou De l'ducation [Document lectronique] / Jean-Jacques ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

132affecté, les impressions plus profondes laissent des traces plus difficiles à détruire; et de l'état habituel del'âme résulte un arrangement de traits que le temps rend ineffaçables. Cependant il n'est pas rare de voirdes hommes changer de physionomie à différents âges. J'en ai vu plusieurs dans ce cas; et j'ai t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rstr<strong>ou</strong>vé que ceux que j'avais pu bien observer et suivre avaient aussi changé de passions habituelles.Cette seule observation, bien confirmée, me paraîtrait décisive, et n'est pas déplacée dans un traitéd'éducation, où il importe d'apprendre à juger des m<strong>ou</strong>vements de l'âme par les signes extérieurs.Je ne sais si, p<strong>ou</strong>r n'avoir pas appris à imiter des manières de convention et à feindre des sentiments qu'iln'a pas, mon jeune homme sera moins aimable, ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici: je sais seulement qu'ilsera plus aimant, et j'ai bien de la peine à croire que celui qui n'aime que lui puisse assez bien sedéguiser p<strong>ou</strong>r plaire autant que celui qui tire de son attachement p<strong>ou</strong>r les autres un n<strong>ou</strong>veau sentiment debonheur. Mais, quant à ce sentiment même, je crois en avoir assez dit p<strong>ou</strong>r guider sur ce point un lecteurraisonnable, et montrer que je ne me suis pas contredit.Je reviens donc à ma méthode, et je dis: Quand l'âge critique approche, offrez aux jeunes gens desspectacles qui les retiennent, et non des spectacles qui les excitent; donnez le change à leur imaginationnaissante par des objets qui, loin d'enflammer leurs sens, en répriment l'activité. Eloignez-les des grandesvilles, où la parure et l'immodestie des femmes hâtent et préviennent les leçons de la nature, où t<strong>ou</strong>tprésente à leurs yeux des plaisirs qu'ils ne doivent connaître que quand ils sauront les choisir. Ramenezlesdans leurs premières habitations, où la simplicité champêtre laisse les passions de leur âge sedévelopper moins rapidement; <strong>ou</strong> si leur goût p<strong>ou</strong>r les arts les attache encore à la ville, prévenez en eux,par ce goût même, une dangereuse oisiveté. Choisissez avec soin leurs sociétés, leurs occupations, leursplaisirs: ne leur montrez que des tableaux t<strong>ou</strong>chants, mais modestes, qui les remuent sans les séduire, etqui n<strong>ou</strong>rrissent leur sensibilité sans ém<strong>ou</strong>voir leurs sens. Songez aussi qu'il y a part<strong>ou</strong>t quelques excès àcraindre, et que les passions immodérées font t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs plus de mal qu'on n'en veut éviter. Il ne s'agit pasde faire de votre élève un garde-malade, un frère de la charité, d'affliger ses regards par des objetscontinuels de d<strong>ou</strong>leurs et de s<strong>ou</strong>ffrances, de le promener d'infirme en infirme, d'hôpital en hôpital, et de laGrève aux prisons; il faut le t<strong>ou</strong>cher et non l'endurcir à l'aspect des misères humaines. Longtemps frappédes mêmes spectacles, on n'en sent plus les impressions; l'habitude acc<strong>ou</strong>tume à t<strong>ou</strong>t; ce qu'on voit tropon ne l'imagine plus, et ce n'est que l'imagination qui n<strong>ou</strong>s fait sentir les maux d'autrui: c'est ainsi qu'àforce de voir m<strong>ou</strong>rir et s<strong>ou</strong>ffrir, les prêtres et les médecins deviennent impitoyables. Que votre élèveconnaisse donc le sort de l'homme et les misères de ses semblables; mais qu'il n'en soit pas trop s<strong>ou</strong>ventle témoin. Un seul objet bien choisi, et montré dans un j<strong>ou</strong>r convenable, lui donnera p<strong>ou</strong>r un moisd'attendrissement et de réflexions. Ce n'est pas tant ce qu'il voit, que son ret<strong>ou</strong>r sur ce qu'il a vu, quidétermine le jugement qu'il en porte; et l'impression durable qu'il reçoit d'un objet lui vient moins de l'objetmême que du point de vue s<strong>ou</strong>s lequel on le porte à se le rappeler. C'est ainsi qu'en ménageant lesexemples, les leçons, les images, v<strong>ou</strong>s ém<strong>ou</strong>sserez longtemps l'aiguillon des sens, et donnerez le changeà la nature en suivant ses propres directions.A mesure qu'il acquiert des lumières, choisissez des idées qui s'y rapportent; à mesure que nos désirss'allument, choisissez des tableaux propres à les réprimer. Un vieux militaire, qui s'est distingué par sesmoeurs autant que par son c<strong>ou</strong>rage, m'a raconté que, dans sa première jeunesse, son père, homme desens, mais très dévot, voyant son tempérament naissant le livrer aux femmes, n'épargna rien p<strong>ou</strong>r lecontenir; mais enfin, malgré t<strong>ou</strong>s ses soins, le sentant prêt à lui échapper, il s'avisa de le mener dans unhôpital de vérolés, et, sans le prévenir de rien, le fit entrer dans une salle où une tr<strong>ou</strong>pe de cesmalheureux expiaient, par un traitement effroyable, le désordre qui les y avait exposés. A ce hideuxaspect, qui révoltait à la fois t<strong>ou</strong>s les sens, le jeune homme faillit se tr<strong>ou</strong>ver mal. "Va, misérable débauché,lui dit alors le père d'un ton véhément, suis le vil penchant qui t'entraîne; bientôt tu seras trop heureuxd'être admis dans cette salle, où, victime des plus infâmes d<strong>ou</strong>leurs, tu forceras ton père à remercier Dieude ta mort."Ce peu de mots, joints à l'énergique tableau qui frappait le jeune homme, lui firent une impression qui nes'effaça jamais. Condamné par son état à passer sa jeunesse dans les garnisons, il aima mieux essuyert<strong>ou</strong>tes les railleries de ses camarades que d'imiter leur libertinage. "J'ai été homme, me dit-il, j'ai eu desfaiblesses; mais parvenu jusqu'à mon âge, je n'ai jamais pu voir une fille publique sans horreur." Maître,

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!