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Emile ou De l'ducation [Document lectronique] / Jean-Jacques ...

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6insensée que d'élever un enfant comme n'ayant jamais à sortir de sa chambre, comme devant être sanscesse ent<strong>ou</strong>ré de ses gens? Si le malheureux fait un seul pas sur la terre, s'il descend d'un seul degré, ilest perdu. Ce n'est pas lui apprendre à supporter la peine; c'est l'exercer à la sentir.On ne songe qu'à conserver son enfant; ce n'est pas assez; on doit lui apprendre à se conserver étanthomme, à supporter les c<strong>ou</strong>ps du sort, à braver l'opulence et la misère, à vivre, s'il le faut, dans les glacesd'Islande <strong>ou</strong> sur le brûlant rocher de Malte. V<strong>ou</strong>s avez beau prendre des précautions p<strong>ou</strong>r qu'il ne meurepas, il faudra p<strong>ou</strong>rtant qu'il meure; et, quand sa mort ne serait pas l'<strong>ou</strong>vrage de vos soins, encoreseraient-ils mal entendus. Il s'agit moins de l'empêcher de m<strong>ou</strong>rir que de le faire vivre. Vivre, ce n'est pasrespirer, c'est agir; c'est faire usage de nos organes, de nos sens, de nos facultés, de t<strong>ou</strong>tes les parties den<strong>ou</strong>s-mêmes, qui n<strong>ou</strong>s donnent le sentiment de notre existence. L'homme qui a le plus vécu n'est pascelui qui a compté le plus d'années, mais celui qui a le plus senti la vie. Tel s'est fait enterrer à cent ans,qui m<strong>ou</strong>rut dès sa naissance. Il eût gagné d'aller au tombeau dans sa jeunesse, s'il eût vécu du moinsjusqu'à ce temps-là.T<strong>ou</strong>te notre sagesse consiste en préjugés serviles; t<strong>ou</strong>s nos usages ne sont qu'assujettissement, gêne etcontrainte. L'homme civil naît, vit et meurt dans l'esclavage: à sa naissance on le c<strong>ou</strong>d dans un maillot; àsa mort on le cl<strong>ou</strong>e dans une bière; tant qu'il garde la figure humaine, il est enchaîné par nos institutions.On dit que plusieurs sages-femmes prétendent, en pétrissant la tête des enfants n<strong>ou</strong>veau-nés, lui donnerune forme plus convenable, et on le s<strong>ou</strong>ffre! Nos têtes seraient mal de la façon de l'Auteur de notre être: iln<strong>ou</strong>s les faut façonner au dehors par les sages-femmes, et au dedans par les philosophes. Les Caraïbessont de la moitié plus heureux que n<strong>ou</strong>s."A peine l'enfant est-il sorti du sein de la mère, et à peine j<strong>ou</strong>it-il de la liberté de m<strong>ou</strong>voir et d'étendre sesmembres, qu'on lui donne de n<strong>ou</strong>veaux liens. On l'emmaillote, on le c<strong>ou</strong>che la tête fixée et les jambesallongées, les bras pendants à côté du corps; il est ent<strong>ou</strong>ré de linges et de bandages de t<strong>ou</strong>te espèce, quine lui permettent pas de changer de situation. Heureux si on ne l'a pas serré au point de l'empêcher derespirer, et si on a eu la précaution de le c<strong>ou</strong>cher sur le côté, afin que les eaux qu'il doit rendre par lab<strong>ou</strong>che puissent tomber d'elles-mêmes! car il n'aurait pas la liberté de t<strong>ou</strong>rner la tête sur le côté p<strong>ou</strong>r enfaciliter l'éc<strong>ou</strong>lement."L'enfant n<strong>ou</strong>veau-né a besoin d'étendre et de m<strong>ou</strong>voir ses membres, p<strong>ou</strong>r les tirer de l'eng<strong>ou</strong>rdissementoù, rassemblés en un peloton, ils ont resté si longtemps. On les étend, il est vrai, mais on les empêche dese m<strong>ou</strong>voir; on assujettit la tête même par des têtières: il semble qu'on a peur qu'il n'ait l'air d'être en vie.Ainsi l'impulsion des parties internes d'un corps qui tend à l'accroissement tr<strong>ou</strong>ve un obstacleinsurmontable aux m<strong>ou</strong>vements qu'elle lui demande. L'enfant fait continuellement des efforts inutiles quiépuisent ses forces <strong>ou</strong> retardent leur progrès. Il était moins à l'étroit, moins gêné, moins comprimé dansl'amnios qu'il n'est dans ses langes; je ne vois pas ce qu'il a gagné de naître.L'inaction, la contrainte où l'on retient les membres d'un enfant, ne peuvent que gêner la circulation dusang, des humeurs, empêcher l'enfant de se fortifier, de croître, et altérer sa constitution. Dans les lieuxoù l'on n'a point ces précautions extravagantes, les hommes sont t<strong>ou</strong>s grands, forts, bien proportionnés.Les pays où l'on emmaillote les enfants sont ceux qui f<strong>ou</strong>rmillent de bossus, de boiteux, de cagneux, den<strong>ou</strong>és, de rachitiques, de gens contrefaits de t<strong>ou</strong>te espèce. <strong>De</strong> peur que les corps ne se déforment pardes m<strong>ou</strong>vements libres, on se hâte de les déformer en les mettant en presse. On les rendrait volontiersperclus p<strong>ou</strong>r les empêcher de s'estropier.Une contrainte si cruelle p<strong>ou</strong>rrait-elle ne pas influer sur leur humeur ainsi que sur leur tempérament? Leurpremier sentiment est un sentiment de d<strong>ou</strong>leur et de peine: ils ne tr<strong>ou</strong>vent qu'obstacles à t<strong>ou</strong>s lesm<strong>ou</strong>vements dont ils ont besoin: plus malheureux qu'un criminel aux fers, ils font de vains efforts, ilss'irritent, ils crient. Leurs premières voix, dites-v<strong>ou</strong>s, sont des pleurs? Je le crois bien: v<strong>ou</strong>s les contrariezdès leur naissance; les premiers dons qu'ils reçoivent de v<strong>ou</strong>s sont des chaînes; les premiers traitements

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