Emile ou De l'ducation [Document lectronique] / Jean-Jacques ...
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7qu'ils épr<strong>ou</strong>vent sont des t<strong>ou</strong>rments. N'ayant rien de libre que la voix, comment ne s'en serviraient-ils pasp<strong>ou</strong>r se plaindre? Ils crient du mal que v<strong>ou</strong>s leur faites: ainsi garrottés, v<strong>ou</strong>s crieriez plus fort qu'eux.D'où vient cet usage déraisonnable? d'un usage dénaturé. <strong>De</strong>puis que les mères, méprisant leur premierdevoir, n'ont plus v<strong>ou</strong>lu n<strong>ou</strong>rrir leurs enfants, il a fallu les confier à des femmes mercenaires, qui, setr<strong>ou</strong>vant ainsi mères d'enfants étrangers p<strong>ou</strong>r qui la nature ne leur disait rien, n'ont cherché qu'às'épargner de la peine. Il eût fallu veiller sans cesse sur un enfant en liberté; mais, quand il est bien lié, onle jette dans un coin sans s'embarrasser de ses cris. P<strong>ou</strong>rvu qu'il n'y ait pas de preuves de la négligencede la n<strong>ou</strong>rrice, p<strong>ou</strong>rvu que le n<strong>ou</strong>rrisson ne se casse ni bras ni jambe, qu'importe, au surplus, qu'il périsse<strong>ou</strong> qu'il demeure infirme le reste de ses j<strong>ou</strong>rs? On conserve ses membres aux dépens de son corps, et,quoi qu'il arrive, la n<strong>ou</strong>rrice est disculpée.Ces d<strong>ou</strong>ces mères qui, débarrassées de leurs enfants, se livrent gaiement aux amusements de la ville,savent-elles cependant quel traitement l'enfant dans son maillot reçoit au village? Au moindre tracas quisurvient, on le suspend à un cl<strong>ou</strong> comme un paquet de hardes; et tandis que, sans se presser, la n<strong>ou</strong>rricevaque à ses affaires, le malheureux reste ainsi crucifié. T<strong>ou</strong>s ceux qu'on a tr<strong>ou</strong>vés dans cette situationavaient le visage violet; la poitrine fortement comprimée ne laissant pas circuler le sang, il remontait à latête; et l'on croyait le patient fort tranquille, parce qu'il n'avait pas la force de crier. J'ignore combiend'heures un enfant peut rester en cet état sans perdre la vie, mais je d<strong>ou</strong>te que cela puisse aller fort loin.Voilà, je pense, une des plus grandes commodités du maillot.On prétend que les enfants en liberté p<strong>ou</strong>rraient prendre de mauvaises situations, et se donner desm<strong>ou</strong>vements capables de nuire à la bonne conformation de leurs membres. C'est là un de ces vainsraisonnements de notre fausse sagesse, et que jamais aucune expérience n'a confirmés. <strong>De</strong> cettemultitude d'enfants qui, chez des peuples plus sensés que n<strong>ou</strong>s, sont n<strong>ou</strong>rris dans t<strong>ou</strong>te la liberté de leursmembres, on n'en voit pas un seul qui se blesse ni s'estropie; ils ne sauraient donner à leurs m<strong>ou</strong>vementsla force qui peut les rendre dangereux; et quand ils prennent une situation violente, la d<strong>ou</strong>leur les avertitbientôt d'en changer.N<strong>ou</strong>s ne n<strong>ou</strong>s sommes pas encore avisés de mettre au maillot les petits des chiens ni des chats; voit-onqu'il résulte p<strong>ou</strong>r eux quelque inconvénient de cette négligence? Les enfants sont plus l<strong>ou</strong>rds; d'accord:mais à proportion ils sont aussi plus faibles. A peine peuvent-ils se m<strong>ou</strong>voir; comment s'estropieraient-ils?Si on les étendait sur le dos, ils m<strong>ou</strong>rraient dans cette situation, comme la tortue, sans p<strong>ou</strong>voir jamais seret<strong>ou</strong>rner.Non contentes d'avoir cessé d'allaiter leurs enfants, les femmes cessent d'en v<strong>ou</strong>loir faire; laconséquence est naturelle. Dès que l'état de mère est onéreux, on tr<strong>ou</strong>ve bientôt le moyen de s'endélivrer t<strong>ou</strong>t à fait; on veut faire un <strong>ou</strong>vrage inutile, afin de le recommencer t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs, et l'on t<strong>ou</strong>rne aupréjudice de l'espèce l'attrait donné p<strong>ou</strong>r la multiplier. Cet usage, aj<strong>ou</strong>té aux autres causes dedépopulation, n<strong>ou</strong>s annonce le sort prochain de l'Europe. Les sciences, les arts, la philosophie et lesmoeurs qu'elle engendre ne tarderont pas d'en faire un désert. Elle sera peuplée de bêtes féroces: ellen'aura pas beauc<strong>ou</strong>p changé d'habitants.J'ai vu quelquefois le petit manège des jeunes femmes qui feignent de v<strong>ou</strong>loir n<strong>ou</strong>rrir leurs enfants. Onsait se faire presser de renoncer à cette fantaisie: on fait adroitement intervenir les ép<strong>ou</strong>x, les médecins,surt<strong>ou</strong>t les mères. Un mari qui oserait consentir que sa femme n<strong>ou</strong>rrît son enfant serait un homme perdu;l'on en ferait un assassin qui veut se défaire d'elle. Maris prudents, il faut immoler à la paix l'am<strong>ou</strong>rpaternel. Heureux qu'on tr<strong>ou</strong>ve à la campagne des femmes plus continentes que les vôtres! Plus heureuxsi le temps que celles-ci gagnent n'est pas destiné p<strong>ou</strong>r d'autres que v<strong>ou</strong>s.Le devoir des femmes n'est pas d<strong>ou</strong>teux: mais on dispute si, dans le mépris qu'elles en font, il est égalp<strong>ou</strong>r les enfants d'être n<strong>ou</strong>rris de leur lait <strong>ou</strong> d'un autre. Je tiens cette question, dont les médecins sont lesjuges, p<strong>ou</strong>r décidée au s<strong>ou</strong>hait des femmes; et p<strong>ou</strong>r moi, je penserais bien aussi qu'il vaut mieux quel'enfant suce le lait d'une n<strong>ou</strong>rrice en santé, que d'une mère gâtée, s'il avait quelque n<strong>ou</strong>veau mal àcraindre du même sang dont il est formé.