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Emile ou De l'ducation [Document lectronique] / Jean-Jacques ...

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3N<strong>ou</strong>s naissons faibles, n<strong>ou</strong>s avons besoin de force; n<strong>ou</strong>s naissons dép<strong>ou</strong>rvus de t<strong>ou</strong>t, n<strong>ou</strong>s avons besoind'assistance; n<strong>ou</strong>s naissons stupides, n<strong>ou</strong>s avons besoin de jugement. T<strong>ou</strong>t ce que n<strong>ou</strong>s n'avons pas ànotre naissance et dont n<strong>ou</strong>s avons besoin étant grands, n<strong>ou</strong>s est donné par l'éducation.Cette éducation n<strong>ou</strong>s vient de la nature, <strong>ou</strong> des hommes <strong>ou</strong> des choses. Le développement interne denos facultés et de nos organes est l'éducation de la nature; l'usage qu'on n<strong>ou</strong>s apprend à faire de cedéveloppement est l'éducation des hommes; et l'acquis de notre propre expérience sur les objets qui n<strong>ou</strong>saffectent est l'éducation des choses.Chacun de n<strong>ou</strong>s est donc formé par trois sortes de maîtres. Le disciple dans lequel leurs diverses leçonsse contrarient est mal élevé, et ne sera jamais d'accord avec lui-même; celui dans lequel elles tombentt<strong>ou</strong>tes sur les mêmes points, et tendent aux mêmes fins, va seul à son but et vit conséquemment. Celui-làseul est bien élevé.Or, de ces trois éducations différentes, celle de la nature ne dépend point de n<strong>ou</strong>s; celle des choses n'endépend qu'à certains égards. Celle des hommes est la seule dont n<strong>ou</strong>s soyons vraiment les maîtres;encore ne le sommes-n<strong>ou</strong>s que par supposition; car qui est-ce qui peut espérer de diriger entièrement lesdisc<strong>ou</strong>rs et les actions de t<strong>ou</strong>s ceux qui environnent un enfant?Sitôt donc que l'éducation est un art, il est presque impossible qu'elle réussisse, puisque le conc<strong>ou</strong>rsnécessaire à son succès ne dépend de personne. T<strong>ou</strong>t ce qu'on peut faire à force de soins estd'approcher plus <strong>ou</strong> moins du but, mais il faut du bonheur p<strong>ou</strong>r l'atteindre.Quel est ce but? c'est celui même de la nature; cela vient d'être pr<strong>ou</strong>vé. Puisque le conc<strong>ou</strong>rs des troiséducations est nécessaire à leur perfection, c'est sur celle à laquelle n<strong>ou</strong>s ne p<strong>ou</strong>vons rien qu'il faut dirigerles deux autres. Mais peut-être ce mot de nature a-t-il un sens trop vague; il faut tâcher ici de le fixer.La nature, n<strong>ou</strong>s dit-on, n'est que l'habitude. Que signifie cela? N'y a-t-il pas des habitudes qu'on necontracte que par force, et qui n'ét<strong>ou</strong>ffent jamais la nature? Telle est, par exemple, l'habitude des plantesdont on gêne la direction verticale. La plante mise en liberté garde l'inclinaison qu'on l'a forcée à prendre;mais la sève n'a point changé p<strong>ou</strong>r cela sa direction primitive; et, si la plante continue à végéter, sonprolongement redevient vertical. Il en est de même des inclinations des hommes. Tant qu'on reste dans lemême état, on peut garder celles qui résultent de l'habitude, et qui n<strong>ou</strong>s sont le moins naturelles; mais,sitôt que la situation change, l'habitude cesse et le naturel revient. L'éducation n'est certainement qu'unehabitude. Or, n'y a-t-il pas des gens qui <strong>ou</strong>blient et perdent leur éducation, d'autres qui la gardent? D'oùvient cette différence? S'il faut borner le nom de nature aux habitudes conformes à la nature, on peuts'épargner ce galimatias.N<strong>ou</strong>s naissons sensibles, et, dès notre naissance, n<strong>ou</strong>s sommes affectés de diverses manières par lesobjets qui n<strong>ou</strong>s environnent. Sitôt que n<strong>ou</strong>s avons p<strong>ou</strong>r ainsi dire la conscience de nos sensations, n<strong>ou</strong>ssommes disposés à rechercher <strong>ou</strong> à fuir les objets qui les produisent, d'abord, selon qu'elles n<strong>ou</strong>s sontagréables <strong>ou</strong> déplaisantes, puis, selon la convenance <strong>ou</strong> disconvenance que n<strong>ou</strong>s tr<strong>ou</strong>vons entre n<strong>ou</strong>s etces objets, et enfin, selon les jugements que n<strong>ou</strong>s en portons sur l'idée de bonheur <strong>ou</strong> de perfection quela raison n<strong>ou</strong>s donne. Ces dispositions s'étendent et s'affermissent à mesure que n<strong>ou</strong>s devenons plussensibles et plus éclairés; mais, contraintes par nos habitudes, elles s'altèrent plus <strong>ou</strong> moins par nosopinions. Avant cette altération, elles sont ce que j'appelle en n<strong>ou</strong>s la nature.C'est donc à ces dispositions primitives qu'il faudrait t<strong>ou</strong>t rapporter; et cela se p<strong>ou</strong>rrait, si nos troiséducations n'étaient que différentes: mais que faire quand elles sont opposées; quand, au lieu d'élever unhomme p<strong>ou</strong>r lui-même, on veut l'élever p<strong>ou</strong>r les autres? Alors le concert est impossible. Forcé decombattre la nature <strong>ou</strong> les institutions sociales, il faut opter entre faire un homme <strong>ou</strong> un citoyen: car on nepeut faire à la fois l'un et l'autre.

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