<strong>Spinoza</strong> : <strong>vie</strong>, immortalité, éternitérevenir en détail ici. Je relèverai seulement un point, concernant unediscussion <strong>de</strong>s remarquables analyses <strong>de</strong> Nicolas Israël dans son ouvrage<strong>Spinoza</strong>, le temps <strong>de</strong> la vigilance 9 . S’intéressant en effet à la question <strong>de</strong> ladurée <strong>de</strong>s États, et à la signification à accor<strong>de</strong>r dans le spinozisme à unetelle durée 10 , Nicolas Israël relève d’abord la déclaration <strong>de</strong> Éthique IVpréface, selon laquelle « aucune chose singulière [...] ne peut être dite plusparfaite pour la raison qu’elle a persévéré plus longtemps dans l’exister » 11 ,déclaration qui semblerait à première vue invali<strong>de</strong>r l’ensemble <strong>de</strong> ce que jesoutiens ici. Mais Israël fait immédiatement remarquer que la durée effectived’un État, comme <strong>de</strong> toute chose singulière, dépend en <strong>de</strong>rnier ressort <strong>de</strong> la« vertu », c’est-à-dire <strong>de</strong> la « puissance » <strong>de</strong> l’État considéré 12 . Si donc,idéalement parlant (c’est le sens <strong>de</strong> la déclaration <strong>de</strong> <strong>Spinoza</strong> en Éthique IVpréface) les choses singulières sont égales en ce qu’elles enveloppenttoutes une durée indéfinie, et non finie, <strong>de</strong> fait, il va <strong>de</strong> soi que, selon leur<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> puissance, elles pourront plus ou moins facilement résister auxrencontres et aux acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> la fortune, autrement dit dureront plus ounouvelle édition-traduction <strong>de</strong>s Œuvres complètes <strong>de</strong> <strong>Spinoza</strong>, dirigée par Pierre-FrançoisMOREAU. Paris : PUF (« Épiméthée »), sous presse.9 Paris : Payot, 2001.10 Il s’agit <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers chapitres <strong>de</strong> l’ouvrage : chapitre XII : « la durée <strong>de</strong>srégimes politiques », comprenant trois parties (« la durée monarchique », « la duréearistocratique », et « la durée démocratique »), et du chapitre. XIII : « La stabilité <strong>de</strong> ladurée ».11 <strong>Spinoza</strong>, Éthique IV, préface : « Nam nulla res singularis potest i<strong>de</strong>o diciperfectior, quia plus temporis in existendo perseverarit ». Traduction <strong>de</strong> Bernard Pautrat.Texte donné par Israël, p. 307 et n. 11, dans une traduction légèrement différente.12 Nicolas Israel, op. cit., p. 309 : « S’interroger sur la stabilité d’un régime, c’est[...] opposer à la durée qui se laisse exclusivement déterminer par les cycles <strong>de</strong> la fortune,une autre durée, qui dépend <strong>de</strong> la vertu*, <strong>de</strong> la puissance <strong>de</strong> l’État. Si la durée <strong>de</strong> l’Étatest indépendante <strong>de</strong> son essence formelle, elle ressortit néanmoins au conatus, à lapuissance –dont une telle essence organise le déploiement –résultant <strong>de</strong> la conduite <strong>de</strong> lamultitu<strong>de</strong> par un seul esprit ». [*Ici, Israël renvoie en note à l’expression « la vertu ducorps politique » et à <strong>de</strong>ux passages du Traité Politique V, 3 et X, 1. On lit en effet enTP V, 3 : « <strong>de</strong> même que les vices <strong>de</strong>s sujets, leur licence excessive et leur insoumissiondoivent être imputées à la Cité, <strong>de</strong> même en revanche leur vertu et leur constanteobservation <strong>de</strong>s lois doivent être attribuées avant tout à la vertu et au droit absolu <strong>de</strong> laCité [je souligne en français comme en latin] ; et en TP X, 1 : « là oùrien n’aura été prévu contre un tel inconvénient, l’État ne pourra pas subsister par sa vertupropre, mais par la seule fortune » ].16/23
<strong>Spinoza</strong> : <strong>vie</strong>, immortalité, éternitémoins selon qu’elles seront plus ou moins puissantes. De ce point <strong>de</strong> vue,on pourrait argumenter en faveur <strong>de</strong> la démocratie, du point <strong>de</strong> vuespinoziste, non pas pour <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> supériorité morales ou <strong>de</strong> valeurs,mais tout simplement parce que <strong>Spinoza</strong> caractérise rigoureusement lesrégimes démocratiques comme <strong>de</strong>s « machines à fabriquer <strong>de</strong> la paix parl’estimation quantifiée <strong>de</strong>s suffrages » 13 , si bien que le Traité Politique necaractériserait selon moi la démocratie comme « régime absolu », c’est-àdireau fond comme un régime qu’on ne pourra plus dépasser une fois qu’ilse sera universellement installé, régime, donc, <strong>de</strong>stiné à durer indéfiniment,ou, si vous voulez, régime « immortel », que parce qu’un tel régimeinstaure, par la loi du compte, le règlement permanent et constant <strong>de</strong>sconflits qui pourraient l’affaiblir <strong>de</strong> l’intérieur. La démocratie me semble donc<strong>de</strong>voir être conçue, d’un point <strong>de</strong> vue spinoziste, à la fois comme le régimele plus enviable en ce que c’est celui où règne le plus la paix, maiségalement, et <strong>de</strong> ce fait même, comme le régime le plus durable et le pluspuissant, plus durable et plus puissant même que les régimes les plus<strong>de</strong>spotiques.Une fois posée cette valorisation ontologique <strong>de</strong> la durée commepersévérance ou prolongation indéfinie <strong>de</strong> toute chose singulière, on estmieux en mesure d’apprécier, je crois, ce qui fait la singularité <strong>de</strong> la penséespinozienne <strong>de</strong> la <strong>vie</strong>, et qui, me semble-t-il, peut expliquer dans unecertaine mesure sa postérité, voire sa dimension tout particulièrementcontemporaine.La première question serait <strong>de</strong> savoir si <strong>Spinoza</strong> fait <strong>de</strong> la <strong>vie</strong> unphénomène à part dans l’ordre universel <strong>de</strong> la nature. Comme on sait, laréponse <strong>de</strong> Sylvain Zac, dans son ouvrage <strong>de</strong> 1963 sur l’idée <strong>de</strong> <strong>vie</strong> dans lapensée <strong>de</strong> <strong>Spinoza</strong> 14 , était négative. Pour Zac, <strong>Spinoza</strong> étend la <strong>vie</strong> àl’univers entier, et toute sa philosophie, <strong>de</strong> part en part sous l’influence <strong>de</strong>13 C’est du moins la définition que je propose dans la conclusion <strong>de</strong> ma« présentation générale » du Traité Politique <strong>de</strong> <strong>Spinoza</strong>, op. cit.14 Sylvain Zac, L’Idée <strong>de</strong> <strong>vie</strong> dans la philosophie <strong>de</strong> <strong>Spinoza</strong>. Paris : PUF, 1963.282 p.17/23
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