<strong>Spinoza</strong> : <strong>vie</strong>, immortalité, éternitéla proposition 13, où <strong>Spinoza</strong>, tout bien pensé, ne produit autre chosequ’une théorie <strong>de</strong> la métamorphose, <strong>de</strong> la transformation, <strong>de</strong> la suppléance,ouvrant la voie au cœur même <strong>de</strong> toute chose singulière pour lasupplémentarité ou l’appui, ou la lieutenance <strong>de</strong> la prothèse sous toutes sesformes (François Zourabichvili a remarquablement approfondi cette doctrinespinoziste <strong>de</strong> la métamorphose, du changement, du remplacement 18 ),ouvrant ainsi une structure pour une pensée <strong>de</strong> la « guérison », voire <strong>de</strong> la« réparation » indéfinie du vivant comme du non vivant. Que l’on songeenfin au brouillage constant, par <strong>Spinoza</strong>, <strong>de</strong> l’intériorité et <strong>de</strong> l’extériorité,thème repris par bien <strong>de</strong>s interprètes majeurs <strong>de</strong> <strong>Spinoza</strong> (je pense aussibien, ici, au « transindividuel » <strong>de</strong> Balibar 19 qu’à la conclusion <strong>de</strong> Moreausur la « constitution du système » 20 ), puisque, pour n’en prendre l’exemplele plus frappant et le plus adapté à notre sujet d’aujourd’hui, <strong>Spinoza</strong> nousinvite à considérer notre mort, même causée par la déficience d’un <strong>de</strong> nosorganes, même par un prétendu « suici<strong>de</strong> », comme une chose qui ne peutque nous <strong>de</strong>meurer extérieure. Que l’on songe, donc, à tout cela, et l’onverra peu à peu s’imposer l’idée que, pour <strong>Spinoza</strong>, la distinction essentiellene passe pas entre le vivant et le non vivant, entre l’individuel et le nonindividuel, entre la partie et le tout, entre le membre d’origine et le membre18 Voir François ZOURABICHVILI : <strong>Spinoza</strong>, Une Physique <strong>de</strong> la Pensée. Paris :Presses Universitaires <strong>de</strong> France (« Philosophie d’aujourd’hui »), 2003. 275 p. ; et LeConservatisme Paradoxal <strong>de</strong> <strong>Spinoza</strong> –Enfance et Royauté. Paris : PressesUniversitaires <strong>de</strong> France (« Pratiques Théoriques »), 2003. 271 p.19 Voir Étienne Balibar, « Individualité et transindividualité chez <strong>Spinoza</strong> », inArchitectures <strong>de</strong> la Raison, Mélanges offerts à Alexandre Matheron, textes réunis parPierre-François Moreau. Fontenay/Saint-Cloud : ENS Éditions, 1996, pp. 35-46 ; et<strong>Spinoza</strong> –il transindividuale (recueil <strong>de</strong> textes, traduits et publiés sous la direction <strong>de</strong>Laura di Martino et Luca Pinzolo). Milan : Edizioni Ghibli, 2002.20 Pierre-François Moreau, op. cit., pp. 551-558. Voir notamment les toutes<strong>de</strong>rnières lignes : « En ce sens, on aura beaucoup à apprendre <strong>de</strong> la façon dont lesgran<strong>de</strong>s philosophies rationalistes du XVII e siècle sont immergées dans la pensée <strong>de</strong>l’expérience et <strong>de</strong> la fortune qui fut celle <strong>de</strong> l’humanisme : pour s’en inspirer parfois, pouren retourner ou en déplacer les concepts souvent. Le propre du spinozisme est <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>rsur ces notions à la fois héritées et proches <strong>de</strong> chacun un mo<strong>de</strong> d’approche <strong>de</strong> la réalitéqui introduit les préoccupations préphilosophiques au cœur même du système.L’expérience alors n’est pas la périphérie : c’est le point par où l’extérieur est àl’intérieur ». Je souligne cette phrase sur laquelle s’achève l’ouvrage. Cette indécision <strong>de</strong>l’intériorité et <strong>de</strong> l’extériorité sous-tend ma propre lecture du Traité Politique (voir ci<strong>de</strong>ssusnote 8).20/23
<strong>Spinoza</strong> : <strong>vie</strong>, immortalité, éternité<strong>de</strong> rechange, ou entre l’intérieur et l’extérieur, mais seulement entre ce quidure et ce qui ne dure pas.J’aurais donc tendance à lire en Éthique IV 67 une proposition selonlaquelle la sagesse <strong>de</strong> l’homme libre est une méditation <strong>de</strong> ce qui dure, etnon pas <strong>de</strong> ce qui s’interrompt. Mais, dira-t-on encore une fois, ce qui durene saurait manquer <strong>de</strong> s’interrompre, comme l’indique Éthique IV axiomesans aucune ambiguïté. Il sera donc légitime, pour terminer cet exposé, <strong>de</strong>revenir un moment sur le sens à donner à ce fameux axiome. Il ne peut êtrequestion, bien sûr, <strong>de</strong> nier ce qu’il affirme, à savoir que, « étant donné unechose quelconque, il y en a une autre plus puissante, par qui la premièrepeut être détruite » 21 . On notera d’abord que <strong>Spinoza</strong> laisse ouverte lapossibilité d’une non-<strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la première chose, qui « peut », dit-ilseulement, « être détruite » par la première. Mais surtout, considéréglobalement, cet axiome n’offre en réalité aucun obstacle, me semble-t-il, àla lecture ici proposée. Il énonce simplement qu’une chose moins puissantea <strong>de</strong> fortes chances d’être « détruite » par une chose plus puissante. Sinous considérons par exemple les choses les moins puissantes <strong>de</strong> l’univers,choses que <strong>Spinoza</strong> appelle les corpora simplicissima, il est donc certainque <strong>de</strong> telles choses ne pourront manquer d’être rapi<strong>de</strong>ment détruites, carpresque toute chose singulière est plus puissante qu’elles. Mais, au fur et àmesure que nous composerons les choses singulières, et que nous enobtiendrons <strong>de</strong> plus puissantes, nous en obtiendrons par le fait même <strong>de</strong>plus durables, que <strong>de</strong> moins en moins <strong>de</strong> choses singulières pluspuissantes pourront détruire. Si bien qu’à la limite, on pourrait fort bienconcevoir que certaines choses singulières seraient assez puissantes pourn’avoir que peu <strong>de</strong> chances <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s choses plus puissantesqu’elles et qui pourraient les détruire. Éthique IV axiome ne décrit donc pasnécessairement un mon<strong>de</strong> agité, dans lequel la <strong>de</strong>struction frappe sanscesse d’éphémères combinaisons ou d’éphémères alliances. Cet axiomepeut parfaitement convenir à la <strong>de</strong>scription d’un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> structures21 Voir ci-<strong>de</strong>ssus note 4.21/23
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