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ICI ET<br />

AILLEURS<br />

LE MAGAZINE<br />

DES FEMMES EN ACTION #18 L MARS-AVRIL 2017<br />

INTERNATIONAL<br />

PORTEUSES<br />

DE LUMIÈRE<br />

FRANCE<br />

PSYCHIATRIE<br />

SORTIR DE LA DOUBLE PEINE<br />

RENCONTRE AVEC<br />

ZAINA ERHAIM<br />

LES MOTS D’ALEP


CONSTRUIRE<br />

ENSEMBLE<br />

L’ÉGALITÉ<br />

FEMMES-HOMMES<br />

DÉVELOPPEZ<br />

VOTRE ACTIVITÉ<br />

AUTOUR DE NOS<br />

VALEURS<br />

COMMUNES<br />

SAISISSEZ L’OPPORTUNITÉ<br />

DEVENEZ AMBASSADEUR OU AMBASSADRICE<br />

ANIMEZ DES RENCONTRES<br />

AUTOUR DE VOTRE MAGAZINE<br />

CONTACTEZ-NOUS<br />

rencontres@editions-8mars.com<br />

Tél. 04 81 65 63 85<br />

www.editions-8mars.com


ÉDITO<br />

Photo de couverture : Au cœur des rassemblements de<br />

la Marche des femmes, organisée suite à l’investiture de<br />

Donald Trump. Washington, États-Unis, 21 janvier 2017.<br />

PHOTOGRAPHIES / En Une : Shannon Stapleton/<br />

Reuters ; p.4 : World History Archive/Alamy Stock Photo ;<br />

p.6-7 : Mohammad Ismail/Reuters ; p.8 : DR, DR ; p.10 :<br />

DR, DR ; p.12 : DR ; p.13 : Éditions du 8 mars ; p.14 : HF ; p.15 :<br />

DR, Lucy Nicholson/Reuters, Bryan Woolston/Reuters,<br />

Kevin Coombs/Reuters ; p.16 : Fabrice Coffrini/AFP<br />

Photos, Facebook Sawsan Chebli, Kirill Kudryavtsev/<br />

AFP Photos ; p.17 : Shock/Fotolia, Twitter de Majed Al-<br />

Issa, Human Rights Defenders ; p.30 : DR ; p.31 : National<br />

Geographic, Bilal Hussein/AP/SIPA, Hombres tejedores ;<br />

p.32 : No2isis twitter, Katarzyna Bialasiewicz, Vadim<br />

Ghirda/AP/SIPA ; p.33 : Larisa Lofitskaya, Richard Drew/<br />

AP/SIPA, DR ; p.34 : Human dignity forum, William West/<br />

AFP Photos, DR ; p.35 : Tristan Martin/Reuters ; p.36 :<br />

Louai Beshara/AFP Photos ; p.37 : avec l’autorisation<br />

de Zaina Erhaim ; p.38 : World Concern’s Africa, DR ;<br />

p.39 : Pim Ras/Creative Commons, DR, lolostock ; p.42 :<br />

Marien Trompette ; p.43 : DR, DR, DR ; p.44 : Rawpixel<br />

Ltd., Monkey Business Images, Julien Faure ; p.45 : DR,<br />

Alick Sung/Creative Commons, Xuntia de Galicia ; p.58 :<br />

Lasse Lecklin, Alex Cruz/SIPA, Strike 4 Repeal ; p.59 :<br />

DR, Patrick Denker/Creative Commons, STR/Marin<br />

Minamiya /AFP Photos ; p.60 : Ronald Santerre, Navesh<br />

Chitrakar/Reuters, Philippe Wojazer/AFP Photos ;<br />

p.61 : Jules Grandgagnage/Creative Commons ; p.62 :<br />

Ligorosi/Dreamstime.com ; p.63 : Rachel Combauroure ;<br />

p.64 : dan4 ; p.65 : Yann Gagnage ; p.66 : GoFundMe,<br />

DR, Even Cargo ; p.67 : Insomnia, Don Bayley, Girls not<br />

brides ; p.68 : Nuno Luz/Creative Commons, DR, Cathal<br />

McNaughton/Reuters ; p.69-70 : Avec l’autorisation de<br />

Deborah Pardo ; p.72 : Employee(s) of Lion-Eagle Films/<br />

Wikimedia Commons.<br />

Magazine bimestriel “Femmes ici et ailleurs”, n°18,<br />

paru en mars 2017 – Date de bouclage : 22 fév. 2017.<br />

Édité par la SARL Les Éditions du 8 mars<br />

10, rue Germain – F-69006 Lyon – Tél. 04 81 65 63 85.<br />

Dépôt légal : mars 2017. ISSN : en cours. Numéro<br />

de commission paritaire : en cours<br />

Prix de vente France métropolitaine : 9,90 €.<br />

Abonnement 1 an France métropolitaine : 59 €.<br />

Ce magazine contient une offre d’abonnement au<br />

magazine Femmes ici et ailleurs.<br />

Imprimé en France par l’imprimerie Chirat –<br />

744 rue de Sainte-Colombe, 42540 Saint-Just-la-Pendue.<br />

Directeur de la publication : Pierre-Yves Ginet<br />

Création graphique : Clara Calderini pour Publicis<br />

Consultants. Maquette : Stéphanie Longu.<br />

Rédaction en chef : Sandrine Boucher et Pierre-<br />

Yves Ginet.<br />

Ont également participé à ce numéro : Sarah Baudry,<br />

Marie Charvet, Myriam Djebiri, Julie Frering, Delphine<br />

Guyard-Meyer, Anne Joly, Angeline Lanoix, Mariela Parez,<br />

Nathalie Poirot, Camille Tidjditi, Roberta Zambelli.<br />

Contact : contact@editions-8mars.com<br />

Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes,<br />

a cent ans. En 1917, ce jour-là, des ouvrières défilaient dans les rues<br />

de Saint-Pétersbourg pour exiger la paix et du pain. La mobilisation<br />

est alors passée inaperçue et ce rassemblement n'est pas resté gravé<br />

sur les tablettes de l'Histoire. Un silence radar habituel concernant les pages<br />

écrites par des femmes. Cette action du 8 mars 1917 a pourtant marqué<br />

le début de la Révolution russe…<br />

Un siècle plus tard, la perspective d’un monde plus égalitaire semble<br />

une nouvelle fois bien incertaine. L'élection de Donald Trump à la tête<br />

de la première puissance mondiale fait naître des craintes. Son manichéisme,<br />

sa vulgarité et ses conceptions rétrogrades sur la place des femmes<br />

n'engagent pas à l'optimisme. Aux confins de l'Europe, Vladimir Poutine,<br />

son alter ego russe, lui tiendra sans doute la dragée haute côté testostérone.<br />

Et sur notre vieux continent, les extrémistes de tous poils occupent<br />

nos esprits. Les fous de Dieu en arme, bien sûr. Mais aussi celles et ceux<br />

qui savent attiser ces peurs, pour mieux diffuser leurs idées d'un autre âge.<br />

Aujourd'hui, des droits conquis par les femmes, que l'on croyait acquis,<br />

sont ouvertement remis en cause. Les retours en arrière proposés par tel.le<br />

ou tel.le politique ne semblent plus rédhibitoires pour l'opinion publique.<br />

Des hommes, mais aussi des femmes, votent pour les personnalités qui<br />

portent ces “réformes” rétrogrades. On l'a vu avec l'élection américaine.<br />

On l'avait observé, auparavant, dans nombre de pays européens. On le sait,<br />

la France ne fait pas exception.<br />

Tout pousse donc au pessimisme. En apparence du moins. Mais, à mieux<br />

regarder, ne serions-nous pas en train de vivre l’avènement d'une lame<br />

de fond progressiste ? Suite à l'élection du président américain, les Women's<br />

March ont mobilisé des millions de femmes et d'hommes autour du 21 janvier.<br />

Près de 600 rassemblements ont eu lieu aux États-Unis et aux quatre coins<br />

du monde. Les formidables militantes sud-américaines du mouvement<br />

Ni Una Menos, après avoir fédéré comme jamais les citoyen.ne.s de leur<br />

continent, appellent désormais à une grève mondiale des femmes, le 8 mars.<br />

Un appel repris par les organisatrices de la Women's March. Dans notre pays,<br />

les initiatives se multiplient pour relayer cet élan. À côté des associations<br />

“historiques”, plus que jamais fidèles au rendez-vous, des groupes de<br />

femmes, souvent informels, parfois ponctuels, émergent ci et là, le temps<br />

d'un happening, d'un événement réel ou digital. On sent poindre l'envie, le rêve<br />

de solidarité des femmes. Et si cette immense incertitude était l'opportunité<br />

de faire enfin émerger une véritable sororité ? Et si de nouvelles solutions<br />

en ressortaient ?<br />

Simone de Beauvoir l'a maintes fois répété. En ce qui concerne l’égalité,<br />

la vigilance doit être permanente. Et plus encore en temps de crise.<br />

C'est aussi pour cela que l’association Femmes ici et ailleurs, ses bénévoles,<br />

dirigeant.e.s et salarié.e.s ont fondé Les Éditions du 8 mars. L’objectif est<br />

de continuer à faire vivre cette belle expérience éditoriale, unique en France,<br />

et de la développer en mettant en place un réseau de diffusion collaboratif<br />

et innovant, qui s’appuiera sur l’engagement de centaines de femmes<br />

et d’hommes, dans toutes les régions. Vous allez découvrir la nouvelle<br />

formule de votre magazine, désormais bimestriel et enrichi de rubriques<br />

supplémentaires, donnant à entendre des voix différentes et donnant à voir<br />

davantage de talents. Il inaugure le chapitre suivant de notre aventure<br />

commune. Continuer donc. Avancer, toujours et encore, pour ne pas reculer.<br />

Parce que selon nous, sur l’égalité, il n’y a pas d'alternative.<br />

Sandrine Boucher et Pierre-Yves Ginet<br />

co-rédacteur.trice en chef.fe<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Édito I 3<br />

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LE JOUR OÙ<br />

8 mars 1917<br />

MANIFESTATION DES FEMMES RUSSES...<br />

ET PREMIÈRE JOURNÉE DES DROITS DES FEMMES<br />

Selon une légende tenace, la Journée internationale<br />

des droits des femmes serait née le 8 mars 1857<br />

lors d’une révolte des couturières de New-York…<br />

qui n’a jamais eu lieu.<br />

Au-delà de la date retenue, l'idée d'une Journée<br />

internationale des droits des femmes remonte<br />

en fait à 1910 : réunies pour leur deuxième conférence<br />

internationale à Copenhague, les militantes<br />

du mouvement socialiste féminin adoptent<br />

le principe d’une journée dédiée à la mobilisation<br />

des femmes de tous les pays. L'instigatrice<br />

de ce projet est l'Allemande Clara Zetkin.<br />

Quelques années plus tard, le 8 mars 1917,<br />

des femmes se rassemblent dans les rues de Saint-<br />

Pétersbourg, alors capitale de la Russie tsariste.<br />

Étudiantes, employées, travailleuses de l’industrie<br />

ou ménagères défilent. Elles réclament du pain,<br />

la paix, le retour de leurs hommes mobilisés<br />

au front. Contre les directives du parti communiste,<br />

les ouvrières du textile se mettent en grève, vont<br />

chercher et obtiennent l’appui des métallurgistes.<br />

Voici qu’on appelle maintenant à la chute du tsar.<br />

La manifestation des femmes se transforme<br />

en rébellion, la grève générale en insurrection.<br />

Une semaine plus tard, Nicolas II abdique. “Il n’est<br />

pas venu à l’idée d’un seul travailleur que ce pourrait<br />

être le premier jour de la Révolution”, écrira plus tard<br />

Léon Trotski.<br />

Le 8 mars 1921, en hommage à ces pionnières<br />

de la Révolution, Lénine associe officiellement<br />

cette date à la Journée internationale<br />

des travailleuses. Elle est d'abord célébrée<br />

dans les pays du bloc soviétique. Puis, porté par<br />

les mouvements féministes des années 1970,<br />

le 8 mars s’internationalise. L’Organisation<br />

des nations unies l'institutionnalise en 1975 et<br />

il faudra attendre 1982 pour que la France consacre<br />

à son tour le 8 mars. n


SOMMAIRE<br />

18<br />

International<br />

PORTEUSES DE LUMIÈRE<br />

Rencontre avec<br />

QU'ON SE LE DISE<br />

Vos courriers 8<br />

LE MOT<br />

Sororité 9<br />

PAROLE D'EXPERTE<br />

L'école produit-elle de l'égalité<br />

entre filles et garçons ?<br />

Par Muriel Salle, historienne<br />

L'ASSOCIATION<br />

Le mouvement HF<br />

Pour l’égalité dans la culture<br />

12<br />

14<br />

LA SENTINELLE<br />

Ayse Acinkli 30<br />

ZAINA ERHAIM<br />

LES MOTS D’ALEP<br />

46<br />

PORTRAIT<br />

DEBORAH PARDO<br />

PÔLE POSITION<br />

35<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I SOMMAIRE I 5<br />

TOUS LES MÉTIERS SONT MIXTES<br />

Sapeuse-pompière volontaire 40<br />

ÉCONOMIE<br />

Anne-Sophie Panseri, Maviflex 42<br />

MON CORPS, MES CHOIX<br />

L’oxytocine, c’est pas<br />

automatique !<br />

61<br />

France<br />

CHRONIQUE RURALE MAIS PAS RINGARDE<br />

Au bois de mon cœur 62<br />

CHRONIQUE LYCÉENNE<br />

Filles, garçons : peut-on<br />

s’habiller comme on veut ?<br />

64<br />

PSYCHIATRIE :<br />

SORTIR DE LA<br />

DOUBLE PEINE<br />

69


KABOUL, AFGHANISTAN.<br />

29 janvier 2017. Sima Azimi (en noir), vingt ans, pose avec ses élèves<br />

sur une colline surplombant la capitale afghane. Les filles du Shaolin<br />

Wushu club s’adonnent depuis quelques mois aux arts martiaux,<br />

dans un pays où la pratique sportive est encore souvent interdite aux<br />

femmes et aux filles. Elles sont régulièrement prises pour cibles par<br />

les conservateur.trice.s, mais refusent d’abandonner leur art.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 7


QU’ON SE LE DISE...<br />

VOS COURRIERS<br />

QUESTION DE TEMPS<br />

En parcourant l’excellent journal<br />

Femmes ici et ailleurs, j’ai pris<br />

connaissance de différentes<br />

réalités qui m’ont fait hérisser<br />

le poil. Nous sommes encore à<br />

des années-lumière d’une égalité<br />

entre hommes et femmes. Quand<br />

y parviendrons-nous ? Un jour<br />

sans aucun doute. Mais la route<br />

est encore bien longue. C’est dur<br />

d’avancer à contre-courant dans<br />

un monde fait par et pour les<br />

hommes. Mais un jour, à force de<br />

ténacité, le sexe dit “faible” finira<br />

bien par prendre la place qui lui<br />

est due. La femme sera enfin<br />

reconnue comme l’égale, en droit,<br />

de l’homme, non pas uniquement<br />

dans des décrets ou des lois,<br />

mais également dans la vie de<br />

tous les jours. C’est une question<br />

de temps, d’évolution des êtres<br />

et des mœurs. Alors, patientons,<br />

mais pas trop longtemps.<br />

Émilie Salamin-Amar, journal L’Essor<br />

(Suisse)<br />

SALLES D'ATTENTE<br />

J'avoue que je ne supporte plus<br />

de voir des magazines “féminins”<br />

en salle d'attente de mes<br />

praticien.nes à Lille… J'ai donc<br />

pris sur moi de les abonner à<br />

votre magazine… S'ils.elles<br />

veulent genrer la lecture des<br />

patient.e.s, autant qu'ils.elles le<br />

fassent intelligemment. Merci<br />

pour cette alternative ! Et merci<br />

plus généralement pour toutes<br />

ces infos qui, non seulement sont<br />

intéressantes, mais aussi<br />

anti-désespoir…<br />

Virginie Deleu, Lambersart (59)<br />

CONGO<br />

Je trouve très intéressante votre<br />

revue sans publicité avec de si<br />

belles photos. Même si la lecture<br />

de la souffrance des femmes<br />

congolaises est dure, merci de<br />

nous en informer. À Dinard, nous<br />

avons une bonne médiathèque.<br />

J’ai laissé un numéro en espérant<br />

qu’elle s’abonne.<br />

Élisabeth Rimasson, Dinard (35)<br />

KARINE PLASSARD<br />

Votre équipe fait vraiment<br />

un super travail. Merci à vous<br />

tout.e.s, ces portraits sont<br />

magnifiques. Ce numéro est un<br />

peu spécial, car il y a un portrait<br />

de Karine Plassard, mon amie<br />

de cœur, ma sœur de luttes.<br />

Vous avez décrit exactement la<br />

femme qu'elle est, merveilleuse,<br />

entière dans son engagement,<br />

son combat contre les violences<br />

faites aux femmes.<br />

Katy Nadolski, Chamalières (63)<br />

LÀ OÙ LA CONDITION<br />

FÉMININE PROGRESSE,<br />

LA CONDITION HUMAINE<br />

PROGRESSE.<br />

Pierrick Cochet, Paris (75)<br />

RETOUR AU LYCÉE<br />

Bravo pour ce beau magazine<br />

que j'ai parfois l'occasion<br />

d'utiliser dans mon travail : je suis<br />

professeure de physique-chimie,<br />

mais aussi correspondante de la<br />

Mission académique pour l'égalité<br />

des chances filles-garçons dans mon<br />

lycée. J'y ai découvert Femmes ici<br />

et ailleurs dans notre CDI.<br />

Pascale Gouzouazi, Richwiller (68)<br />

Leïla Slimani, prix Goncourt 2016<br />

BIENVENUE !<br />

Bienvenue à Esther sur cette<br />

petite planète bleue, en espérant<br />

que grâce à tout.e.s l’égalité sera<br />

enfin une réalité quand elle sera<br />

en âge de lire !<br />

Amitiés chaleureuses à ses parents,<br />

fidèles de Femmes ici et ailleurs.<br />

La rédaction<br />

CADEAU<br />

Une très bonne idée de cadeau<br />

pour la fête des mères, pères,<br />

parents !<br />

Mélanie Rostaing, Sainte-Foy-lès-Lyon (69)<br />

Une réaction ? Des mots doux ? Un coup de gueule ?<br />

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LE MOT<br />

SORORITÉ<br />

par Rebecca Amsellem | Dessin de Daphné Collignon<br />

Beyoncé avait raison : ce sont les femmes qui<br />

mènent le monde.<br />

Le samedi 21 janvier, lorsque des<br />

femmes ont marché par millions,<br />

de Washington à Nairobi en<br />

passant par Paris ou Berlin,<br />

on y croyait à la puissance des<br />

femmes. Et s’il ne manquait<br />

qu’un soupçon de sororité<br />

pour construire un monde<br />

plus équitable pour<br />

les femmes (et les<br />

hommes) ?<br />

Sororité ? Si son<br />

pendant masculin,<br />

la fraternité, est<br />

utilisé de manière<br />

u n i v e r s e l l e<br />

pour définir un<br />

état d’unité, un<br />

dépassement du<br />

“je” au profit d’un<br />

“nous”, la sororité a<br />

davantage de mal à<br />

s’imposer.<br />

Le mot existe,<br />

même si Google<br />

s’évertue à le souligner<br />

comme une faute<br />

d’orthographe. Le terme<br />

vient du latin soror<br />

qui signifie “sœur”.<br />

La sororité, sisterhood en<br />

anglais, a été successivement<br />

utilisée pour désigner une<br />

communauté de femmes<br />

(généralement religieuse), une résidence<br />

d’étudiantes aux États-Unis ou encore le lien qui<br />

unit les femmes partageant les aléas de la condition féminine.<br />

La sororité est la capacité de toutes les femmes à s’entraider<br />

et à reconnaître que chacune vit différemment, selon son<br />

milieu social, sa culture, son origine… Et concrètement ?<br />

Maya Angelou, poète, écrivaine et militante américaine, a le<br />

bon mot : “La sororité signifie que si tu es en Birmanie et que<br />

je suis à San Diego et que je suis mariée à quelqu'un de très<br />

jaloux et que tu es mariée à quelqu'un de très possessif, si tu<br />

m’appelles au milieu de la nuit, je dois venir.”<br />

Pourquoi la sororité est-elle<br />

indispensable aux droits des<br />

femmes aujourd’hui ? Pour<br />

tuer le mythe de la femme<br />

parfaite. Tout simplement.<br />

Un mythe qui nous pousse<br />

à mourir de faim trois<br />

semaines avant l’été, à se<br />

blanchir la peau, à passer<br />

sa vingtaine sur Tinder<br />

à la recherche du prince<br />

charmant. Un mythe qui<br />

nous pousse à vouloir<br />

être quelqu’un… qui<br />

n’existe pas. Et in fine à<br />

vouloir rivaliser avec<br />

les autres. La clé<br />

de la sororité est<br />

l’acceptation des<br />

femmes, de toutes<br />

les femmes et de<br />

soi-même. Comme<br />

elles sont, comme je<br />

suis. Pour paraphraser<br />

l’autrice Bell Hooks,<br />

ne prenons pas la<br />

solidarité politique<br />

entre les femmes pour<br />

acquise, mais faisonsen<br />

un but à atteindre.<br />

De son côté, Chloé<br />

Delaume met la<br />

sororité et l’entraide<br />

entre les femmes au<br />

cœur de son puissant<br />

roman, Les sorcières de la<br />

République. Dans un entretien<br />

au Temps, elle ajoute en août 2016<br />

que le dépassement des jalousies<br />

est “la seule façon d’exploser le plafond de<br />

verre. Il y a, chez les femmes, une difficulté énorme à faire<br />

cause commune. C’est un positionnement, un regard qu’il faut<br />

modifier.” Comment ? En favorisant la solidarité entre les<br />

femmes, en multipliant les réseaux et les coups de pouce. Nous<br />

ferons alors de ce monde tout ce que nous voulons. n<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Le mot I 9


LE LIVRE BLANC DES RENCONTRES FEMMES ICI ET AILLEURS<br />

EXTRAITS<br />

Découvrez en avant-première dans votre magazine quelques-unes des<br />

propositions émises pour l’élaboration du Livre blanc des Rencontres<br />

Femmes ici et ailleurs.<br />

Cette année, deux thématiques sont proposées lors des Rencontres Femmes ici<br />

et ailleurs : le partage des tâches domestiques et l’égalité professionnelle. L’occasion<br />

pour les participant.e.s de faire le point sur la situation, de s’enrichir de l’expérience<br />

des un.e.s et des autres, de découvrir des initiatives, parfois étonnantes, et de proposer<br />

des idées de la plus simple à la plus ambitieuse.<br />

Laissez-vous entrainer par cette dynamique collaborative et, à votre tour, devenez<br />

acteurs et actrices de l’égalité.<br />

RETRAITE FAMILIALE<br />

J'ai une idée qui me trotte dans<br />

la tête depuis le jour où je me suis<br />

retrouvée à travailler à 75 % pour<br />

élever mes enfants et que je perdais<br />

un trimestre de cotisations retraite<br />

chaque année. N'est-il pas possible,<br />

pour les couples pacsés ou mariés et<br />

dont un des parents travaille à temps<br />

partiel ou s'arrête de travailler pour<br />

s'occuper des enfants, d'envisager<br />

que l'autre parent participe à la<br />

cotisation retraite de celui ou celle qui<br />

travaille moins ? De mettre en place<br />

une sorte de retraite familiale ?<br />

Cela permettrait peut-être de ne plus<br />

voir nombre de femmes (surtout)<br />

divorcées qui n'ont jamais travaillé en<br />

dehors de la maison ou qui ont ralenti<br />

leur activité professionnelle après<br />

une maternité, sans aucune retraite,<br />

ou avec une retraite de misère…<br />

Puisqu'après tout, c'est bien souvent<br />

une décision du couple que de voir<br />

l'un.e des deux s'arrêter, cela devrait<br />

être assumé en couple…<br />

Katia Bonnepart, Charly (69), novembre 2016.<br />

Échange avec l'équipe de Femmes ici et ailleurs<br />

MENTORING<br />

Mettre en place des mesures<br />

d’incitation ou de promotion<br />

du mentoring, inter ou intraentreprises,<br />

en direction du sexe<br />

le moins représenté de l’entreprise,<br />

pour favoriser la mixité, à tous<br />

les niveaux hiérarchiques. Et ceci,<br />

pour les hommes comme pour les<br />

femmes, quand ils ou elles évoluent<br />

en ultra minorité dans leur cercle<br />

professionnel.<br />

Nous remarquons que cette relation<br />

de soutien, d’échange, de parrainage<br />

ou marrainage, dans laquelle<br />

une personne d'expérience aide<br />

une autre personne pour favoriser<br />

son développement professionnel,<br />

est de plus en plus utilisée dans<br />

les grandes sociétés, notamment<br />

en direction des femmes cadres.<br />

Proposition collective, Lyon (69), février 2017<br />

Ambassadrice : Marie Charvet<br />

FAMILLE CONNECTÉE<br />

Tous les membres de la famille<br />

ont téléchargé sur leur téléphone<br />

l’application Wunderlist pour<br />

gérer la liste des achats à faire.<br />

Chacun.e peut ajouter ce dont<br />

elle.il a besoin et assigner<br />

une tâche à quelqu’un en fonction<br />

de son lieu de travail ou d’école…<br />

Le magasin bio est proche<br />

du lieu de travail de mon mari…<br />

C’est lui qui se charge des<br />

desserts et des œufs. Un petit<br />

tour à la pharmacie en sortant<br />

du bureau : je prends le dentifrice<br />

de ma fille, ma crème hydratante<br />

et des pansements. Quant à mon<br />

fils, il passe prendre la lessive<br />

au magasin en face du lycée.<br />

Maintenant chacun.e participe<br />

aux courses ! Ça amuse tout le<br />

monde et c’est la fin de la corvée<br />

du week-end !<br />

Saïda Morand, Dardilly (69), janvier 2017<br />

Ambassadrice : Julie Frering<br />

ENVIES ET APTITUDES<br />

Nous avons mis en place<br />

un partage basé sur nos envies<br />

et nos compétences respectives.<br />

Dans quel domaine suis-je<br />

le plus efficace ? Et quelle tâche<br />

m’embête le moins ? Je n’aime<br />

pas du tout repasser, ça me<br />

stresse même. Mon compagnon<br />

lui déteste faire la plonge<br />

et les courses au supermarché.<br />

Chacun.e pose sur la table<br />

ses préférences et la “grille<br />

informelle” de partage des tâches<br />

se met en place tout simplement.<br />

Nous tentons de préserver<br />

un temps équivalent consacré<br />

aux enfants.<br />

Clémence Wiesniewski, Lyon (69),<br />

février 2017<br />

Ambassadrice : Roberta Zambelli<br />

Une expérience à partager ?<br />

Une idée à proposer ?<br />

Participez à une Rencontre Femmes<br />

ici et ailleurs en écrivant à :<br />

rencontres@editions-8mars.com<br />

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VOIR LE MONDE AUTREMENT,<br />

CONSTRUIRE ENSEMBLE L'ÉGALITÉ<br />

UNE MAISON<br />

D’ÉDITION NÉE DE<br />

L’ASSOCIATION<br />

FEMMES ICI ET AILLEURS<br />

DES PUBLICATIONS<br />

CONSACRÉES AUX<br />

FEMMES<br />

AGISSANTES<br />

UN RÉSEAU DE<br />

DIFFUSION<br />

INNOVANT ET<br />

COLLABORATIF<br />

Les Éditions du 8 mars organisent Les Rencontres Femmes ici et ailleurs :<br />

des moments conviviaux pour découvrir nos publications, échanger des idées et<br />

faire émerger des propostions... afin d’inspirer le plus grand nombre.<br />

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Tél. 04 81 65 63 85<br />

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PAROLE D'EXPERTE<br />

Filles et garçons se côtoient sur les mêmes bancs depuis<br />

1975 avec la loi Haby qui impose la mixité à l’école, que ce<br />

soit dans l’enseignement primaire ou secondaire, public<br />

ou privé sous contrat. René Haby, le ministre français de<br />

l’Éducation nationale d’alors, consacre le principe de la<br />

mixité dans une décennie marquée par les mouvements<br />

de revendications pour les droits des femmes. Son objectif<br />

n’est pourtant pas de promouvoir l’égale réussite des élèves<br />

de l’un et l’autre sexe. La mixité est envisagée comme une<br />

réponse pragmatique, pour faciliter la vie des familles avec des<br />

établissements plus proches de leur domicile.<br />

L'ÉCOLE PRODUIT-<br />

ELLE DE L'ÉGALITÉ<br />

ENTRE FILLES<br />

ET GARÇONS ?<br />

PAR MURIEL SALLE, HISTORIENNE<br />

En matière d’école, la France est l’un des<br />

pays les plus inégalitaires de l’OCDE (1) .<br />

Un récent rapport du Conseil national<br />

d’évaluation du système scolaire se<br />

demande même si l’école française ne<br />

fabrique pas ses propres inégalités.<br />

En contribuant à la construction d’identités<br />

féminines et masculines stéréotypées,<br />

l’Éducation nationale participerait à<br />

l’entretien des inégalités entre les sexes.<br />

Ce recours “pratique” à la mixité n’est pas nouveau.<br />

De nombreuses écoles primaires rurales sont mixtes dès le<br />

XIX e siècle. L’entretien de deux bâtiments – l’un pour les filles,<br />

l’autre pour les garçons, et la rémunération d’au moins deux<br />

enseignant.e.s, sont une charge financière trop lourde pour<br />

nombre de petites communes. On s’est donc très tôt résolu à<br />

scolariser filles et garçons ensemble, même si filles et garçons<br />

ne recevaient pas le même enseignement, loin s’en faut.<br />

Les instituteur.trice.s déployaient alors des trésors<br />

d’inventivité pour mettre en œuvre des pédagogies<br />

différenciées. Les classes sont souvent à plusieurs niveaux.<br />

Chacune et chacun reçoit un enseignement considéré comme<br />

adapté, tant à son âge qu’à son sexe et au rôle social que les<br />

un.e.s et les autres devront jouer ensuite.<br />

L’instruction publique, longtemps interdite aux filles, leur<br />

réussit désormais mieux qu’aux garçons. En 1861, Julie-Victoire<br />

Daubié est la première femme à obtenir le baccalauréat.<br />

Depuis 1971, les bachelières sont plus nombreuses que les<br />

bacheliers. À tous les niveaux, du primaire à l’université, les<br />

filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons. De ce<br />

point de vue, l’inégalité entre filles et garçons s’évalue en faveur<br />

des premières : elles ont rattrapé un retard pluriséculaire en<br />

un temps record. Aujourd’hui, les étudiantes sont majoritaires<br />

à l’université, même si elles demeurent minoritaires dans les<br />

classes préparatoires, les IUT et les écoles d’ingénieur.e.s.<br />

Les garçons seraient-ils le nouveau sexe faible de l’école ?<br />

La question ne se pose évidemment pas en ces termes. En<br />

revanche, l’école, comme le reste de la société, traite filles et<br />

garçons de manière inégalitaire.<br />

Elles.ils n’occupent pas le même espace en classe : on entend<br />

moins les premières, les seconds sont plus souvent en<br />

interaction avec l’enseignant.e. Dans la cour de récréation<br />

aussi, jeux et attitudes sont genrés, parfois très stéréotypés<br />

et l’espace est, comme ailleurs, inégalement réparti. Les filles<br />

s’approprient un espace limité : dans les recoins de la cour, elles<br />

jouent calmement ou discutent à deux ou trois. Au contraire,<br />

les garçons sillonnent la cour en tous sens. À niveau égal, filles<br />

et garçons ne sont pas évalué.e.s de la même façon : la même<br />

copie, attribuée à une fille, est évaluée plus sévèrement que<br />

si on la prête à un garçon. Les stéréotypes jouent également<br />

un rôle-clé lors de l’orientation. Les garçons sont ultraminoritaires<br />

dans les voies professionnelles et technologiques<br />

en lien avec les services à la personne, alors même qu’il s’agit,<br />

paraît-il, de secteurs d’avenir. À l’inverse, les filles sont toujours<br />

rares dans les filières conduisant aux métiers d’ingénieur.e<br />

ou de technicien.ne. Même les sanctions ont un sexe : les<br />

garçons en font davantage les frais que les filles, parce qu’ils<br />

les méritent bien sûr, mais aussi parce qu’ils les recherchent.


Ces constats faits, l’erreur serait de compter les points pour<br />

opposer les un.e.s aux autres et d’asséner des généralités (“les<br />

filles ceci, les garçons cela”). Les garçons sont plus nombreux<br />

que les filles parmi les décrocheur.euse.s. Les femmes sont<br />

plus nombreuses que les hommes parmi les enseignant.e.s,<br />

notamment en primaire. Et l’on a tôt fait de corréler l’un et<br />

l’autre, diffusant l’idée que la féminisation de l’enseignement<br />

expliquerait l’échec des garçons. De même, le cliché court encore,<br />

notamment chez les intéressées, que les filles seraient “nulles en<br />

maths”. Les résultats des évaluations nationales montrent en fait<br />

que ce sont les garçons qui sont moins bons en français.<br />

ET POUR VOUS ?<br />

“LES IDENTITÉS MASCULINES ET<br />

FÉMININES, QUI S’ÉLABORENT LARGEMENT<br />

EN DEHORS DU CADRE SCOLAIRE,<br />

PRÉPARENT DIVERSEMENT LES GARÇONS<br />

ET LES FILLES À LEUR RÔLE D’ÉLÈVE.<br />

”<br />

Si les garçons sont souvent moins bons élèves que les filles,<br />

ce n’est pas parce que l’école serait sexiste, mais parce que<br />

la construction de l’identité masculine, qui passe notamment<br />

par la prise de risque, la confrontation à l’autorité (là où les<br />

filles apprennent précocement l’obéissance et la nécessité<br />

de se conformer à la règle ou la norme), s’accommode mal des<br />

règles du fonctionnement scolaire. Autrement dit, les identités<br />

masculines et féminines, qui s’élaborent largement en dehors<br />

du cadre scolaire, préparent diversement les garçons et les<br />

filles à leur rôle d’élève. Dans la plupart des milieux sociaux,<br />

les normes de féminité coïncident avec ce qu’on attend d’un.e<br />

bon.ne élève.<br />

Notre école fonctionne comme une caisse de résonance : elle<br />

amplifie des phénomènes observables dans nos sociétés. La<br />

mixité est une révolution pédagogique qui n’a pas porté ses<br />

fruits. Elle n’a pas été mise en œuvre pour produire de l’égalité<br />

entre les sexes, donc, sans surprise, elle n’en produit pas. D’un<br />

autre côté, lutter contre les inégalités à l’école ne passera pas<br />

par la non-mixité : on n’a jamais mis fin à une situation d’inégalité<br />

en prônant la ségrégation ! Il faut en revanche œuvrer à une<br />

mixité consciente et informée, pensée dans ses modalités<br />

comme dans ses effets, négatifs et positifs. Une mixité qui<br />

prend en compte les différences et veille à ce qu’elles ne<br />

génèrent plus de discriminations. n<br />

Onessa, 18 ans<br />

“Dans ma formation<br />

de sport-études,<br />

des professeur.e.s<br />

avantageaient les garçons.<br />

Pour un projet de classe, on<br />

a réalisé un dossier sur les<br />

stéréotypes dans le sport<br />

et on l’a fait remonter aux<br />

enseignant.e.s.”<br />

Priscilla, 27 ans<br />

“Je suis dans une filière<br />

agroalimentaire, on est<br />

50 % de filles et 50 %<br />

de garçons. L’égalité, c’est<br />

super : cela montre qu’on<br />

peut toutes et tous réussir<br />

dans les mêmes secteurs<br />

ou métiers.”<br />

Laetitia, 35 ans<br />

“Les étudiantes ne sont<br />

pas préparées à faire face<br />

aux inégalités dans le<br />

monde du travail, comme<br />

les différences d’évolution<br />

de carrière entre femmes<br />

et hommes. Il faudrait les<br />

sensibiliser à ces questions<br />

dès le secondaire.”<br />

Martin, 21 ans<br />

“Pour moi l’école ne parvient<br />

pas à contrer les inégalités,<br />

elle reproduit les différences<br />

crées par la famille,<br />

la société. C’est dommage :<br />

on ne devrait pas mettre<br />

les enfants dans des cases<br />

aussi vite et aussi tôt.”<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Parole d'experte I 13<br />

(1) Source : étude PISA OCDE 2015<br />

BIOGRAPHIE EXPRESS<br />

Historienne, agrégée et docteure, Muriel Salle est maîtresse<br />

de conférences en histoire à l’université Claude Bernard<br />

Lyon 1 depuis 2010. Elle est particulièrement investie dans<br />

la formation des enseignant.e.s et des professionnel.le.s<br />

de santé. Vice-présidente de l’Association de recherche pour<br />

le genre en éducation et formation (ARGEF), elle est aussi<br />

membre du groupe Genre égalité mixité (GEM) de l’École<br />

supérieure du professorat et de l’éducation.<br />

Denis, 39 ans<br />

“Souvent les enfants<br />

reproduisent des schémas,<br />

les garçons ne veulent<br />

pas que les filles jouent<br />

au foot... C’est à ce niveau<br />

là qu’il faudrait intervenir,<br />

dans la cour de récréation,<br />

dans les jeux.”<br />

Séverine, 41 ans<br />

“Je pense que les problèmes<br />

commencent surtout<br />

à se poser à partir du collège,<br />

à l’adolescence. Il faudrait<br />

encourager la pratique<br />

d’activités mixtes,<br />

pour montrer aux élèves<br />

qu’ils.elles peuvent tou.te.s<br />

faire les mêmes choses.”


L’ASSOCIATION<br />

QUELQUES CHIFFRES<br />

— 6 % de cheffes d’orchestre.<br />

— 7 % de directrices dans les 100 plus grandes institutions<br />

culturelles françaises.<br />

— 40 % de subventions en moins pour les établissements<br />

dirigés par une femme.<br />

sociale ! Les femmes sont majoritaires dans les études<br />

supérieures du spectacle vivant et dans le public. Pourtant, le<br />

secteur culturel ne reflète que la vision de la moitié masculine<br />

de la société”, souligne-t-elle.<br />

LE MOUVEMENT HF<br />

POUR L’ÉGALITÉ<br />

DANS LA CULTURE<br />

Lorsqu’il s’agit de direction de structures<br />

ou de programmation, l’art se conjugue<br />

encore essentiellement au masculin.<br />

Partout en France, les collectifs HF<br />

promeuvent une égalité concrète et<br />

poussent les pouvoirs publics à s’engager.<br />

Texte de Sandrine Boucher et Myriam Djebiri<br />

Sur ce constat stupéfiant, le mouvement HF se crée,<br />

spontané, inattendu, rassemblant metteuses en scène,<br />

actrices, directrices de structures, responsables de politiques<br />

culturelles… À partir de 2011, les collectifs organisent des<br />

saisons “égalité” avec les salles de spectacles, mettent en valeur<br />

les bonnes pratiques, multiplient les tables rondes. En 2013,<br />

l’ancienne ministre de la culture, Aurélie Filippeti, impose une<br />

présélection paritaire de candidat.e.s à la tête des principales<br />

institutions culturelles. À raison de 100 à 150 nominations par<br />

an dans ces grands établissements, les militant.e.s du collectif<br />

HF s’attendaient à voir les disparités rapidement comblées.<br />

Dix ans après le rapport de Reine Prat, rien n’a changé. “La<br />

manière dont les femmes artistes sont reçues au sein des<br />

administrations culturelles reste souvent catastrophique”,<br />

dénonce Carole Thibaut, une des fondatrices du collectif HF<br />

d’Ile-de-France et directrice depuis janvier 2016 du Centre<br />

dramatique national de Montluçon. Elle estime que ces<br />

inégalités “interrogent la réalité de notre démocratie face à la<br />

persistance de discours normés et de rapports de domination.<br />

La situation est connue, on en parle, mais elle ne change pas”.<br />

“Le seul moyen pour avancer passe par l’engagement du pouvoir<br />

politique”, remarque Anne Grumet qui, avec Stéphane Frimat du<br />

collectif HF Nord-Pas-de-Calais, a été nommée au Haut conseil<br />

à l’Égalité (HCE)en 2016. Un acte d’engagement pour l’égalité<br />

est signé par des élus de tous bords lors d’États généraux<br />

organisés par le collectif HF Rhône-Alpes en octobre 2016. Le<br />

mouvement estime “raisonnables et atteignables” les objectifs<br />

de la SACD : + 5 % de femmes par an dans les programmations<br />

de spectacles vivants, soit + 15 % lors de la saison culturelle<br />

2018/2019. Enfin, cette année, la culture sera l’un des axes<br />

prioritaires de travail du HCE. n<br />

En 2006, la publication du rapport de Reine Prat sur<br />

l’égalité femmes-hommes dans la culture, est “un<br />

électrochoc”, se souvient Anne Grumet, alors directrice<br />

de cabinet de l’adjoint à la culture de Lyon. Le monde des<br />

arts, qui se pensait socialement en avance, se découvre<br />

parfois moins paritaire que… l’armée.<br />

Les structures culturelles ont peu de directrices et les œuvres<br />

de femmes sont rares dans les programmes. “On nous répond<br />

que les choix ne se font pas sur le sexe, mais le talent”, remarque<br />

Anne Grumet, membre du collectif HF Rhône-Alpes. “Mais le<br />

talent est aussi une question de moyens, donc une construction<br />

REPÈRES<br />

Création : 2008 pour la première association régionale,<br />

2011 pour la fédération interrégionale.<br />

Organisation : 14 collectifs régionaux, 1 000 adhérent.e.s.<br />

Réseaux : Coordination française pour le lobby européen des<br />

femmes, Centre Hubertine Auclert, Laboratoire de l’Égalité, Société<br />

des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) au travers du site<br />

www.ousontlesfemmes.org<br />

Évènements : Saisons Égalité dans les lieux de spectacles, journée<br />

internationale du matrimoine, rencontres lors des festivals, journées<br />

d’études, États généraux de l’égalité.<br />

Contact : www.mouvement-hf.org


NOUVELLES D’ICI ET AILLEURS<br />

17 %<br />

de femmes, parmi les 1000 personnalités les plus<br />

citées en 2016 par la presse française, imprimée<br />

et en ligne, selon une enquête de Pressdd.<br />

Une proportion identique à celle relevée<br />

par l’INA concernant les matinales des radios<br />

généralistes. Aucune femme ne figure dans<br />

les vingt premières places des catégories “sport”<br />

et “politique” du classement de Pressdd.<br />

France<br />

COL PROTÉGÉ<br />

Le dépistage du cancer du col de<br />

l’utérus sera systématisé en 2018,<br />

pour lutter contre cette maladie<br />

qui touche 3 000 femmes en France<br />

chaque année et entraîne plus<br />

d’un millier de décès. L’objectif est<br />

de réduire ces chiffres de 30 %.<br />

Actuellement, 40 % des femmes<br />

âgées de vingt-cinq à soixante cinq<br />

ans n’effectuent pas ce suivi régulier,<br />

ainsi que la moitié de celles de plus<br />

de cinquante ans. Le plan prévoit<br />

la généralisation des frottis tous<br />

les trois ans, une détection précoce<br />

permettant d’éviter neuf cancers<br />

sur dix !<br />

États-Unis<br />

QUE LE DÉBUT...<br />

Difficile de trouver le qualificatif adéquat aux premiers pas de<br />

Donald Trump à la Maison Blanche… Le président américain avait proclamé<br />

sa misogynie alors qu’il était candidat. Il tente désormais de l’imposer.<br />

Trois jours seulement après sa prise de fonction, il approuvait le Global Gag<br />

Rule, supprimant les aides américaines aux institutions internationales<br />

pro-choix. La photo l’a immortalisé signant ce décret, entouré exclusivement<br />

d’hommes. Belle image de parité. Puis on apprenait son intention de nommer<br />

à la Cour suprême un juge homophobe et anti-avortement, William Pryor<br />

— qui finalement n’aura pas le poste.<br />

Dès le lendemain de cette élection peu commune, Theresa Shook, ancienne<br />

avocate, postait sur son compte Facebook : “je pense que nous devrions<br />

marcher”. En une nuit, 10 000 internautes soutiennent l’initiative, relayée<br />

par des associations féministes et de lutte pour l’égalité des droits. C’est<br />

la naissance de la Women’s March, qui, le 21 janvier, “célèbre” l’investiture<br />

du nouveau président, en rassemblant un million de participant.e.s à<br />

Washington, et trois fois plus dans le reste du monde. Signe de ralliement :<br />

le pussy hat (littéralement “chapeau chatte”), un bonnet rose à oreilles.<br />

Ces coiffes politiquement très incorrectes sont apparues ce jour-là, au gré<br />

des quelque 600 manifestations répertoriées sur la planète.<br />

Cette mobilisation des femmes a inspiré une longue série de marches<br />

revendicatives qui auront lieu prochainement à travers les États-Unis,<br />

pour défendre le climat, les immigrant.e.s, les droits LGBT… “Ce n’est que<br />

le début”, a prévenu l’une des organisatrices de la Women’s March.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 15


France<br />

Allemagne<br />

PUCE AU<br />

SOMMET<br />

Tessa Worley, surnommée<br />

“la puce” pour son petit<br />

gabarit (1,58 m), a mis<br />

ses pas, ou plutôt ses skis,<br />

dans ceux de Perrine<br />

Pellen en affichant le plus<br />

beau palmarès dans<br />

le ski féminin français<br />

depuis quarante ans.<br />

La Haute‐Savoyarde<br />

a été à nouveau sacrée<br />

championne du monde<br />

de slalom géant, lors<br />

des compétitions<br />

de Saint‐Moritz, mi-février,<br />

dominant largement<br />

ses concurrentes. Elle avait<br />

remporté un premier<br />

titre mondial il y a quatre<br />

ans, en Autriche. Tessa<br />

Worley collectionne déjà<br />

onze victoires en coupe<br />

du monde, dans la même<br />

discipline. Une rupture<br />

des ligaments croisés,<br />

en 2013, l’avait empêchée<br />

de participer aux jeux<br />

de Sotchi. Sa ténacité<br />

lui a permis de retrouver<br />

en deux ans le meilleur<br />

de son niveau et la plus<br />

haute marche du podium.<br />

Arménie<br />

AVORTEMENTS SÉLECTIFS<br />

“Mes proches m'ont consolée quand j'ai<br />

donné naissance à ma première fille. Pour<br />

la deuxième, ma belle-mère m’a dit qu’il<br />

ne devait plus y en avoir d’autre”, témoigne<br />

une jeune mère. Selon le Fonds des nations<br />

unies pour la population (FNUP), 1 400 arrêts<br />

de grossesse chaque année en Arménie<br />

sont motivés par le désir d’avoir un garçon.<br />

Le pays a le troisième taux le plus élevé<br />

d'avortements sélectifs au monde. Au point<br />

que le FNUP craint une “crise démographique<br />

sérieuse. En 2060, nous serons devenus<br />

une société d'hommes célibataires”. Une loi<br />

obligeant les médecins à refuser une IVG<br />

pour ce motif a été votée l’été dernier,<br />

mais la réforme ne s’attaque pas aux origines<br />

du phénomène : la mentalité patriarcale<br />

et la pauvreté. Pour Anouch Poghossian,<br />

du Centre de ressources pour les femmes,<br />

“si les hommes et les femmes avaient les mêmes<br />

opportunités […] aucun parent n'aurait<br />

à choisir entre avoir un garçon ou une fille.”<br />

RÉFUGIÉE<br />

La nouvelle secrétaire d’État<br />

au Sénat de Berlin s’appelle<br />

Sawsan Chebli. À trente-huit ans,<br />

la jeune femme a déjà une brillante<br />

carrière politique derrière elle :<br />

après avoir travaillé au Bundestag<br />

pour le groupe social-démocrate,<br />

elle est devenue porte-parole<br />

adjointe du ministère des Affaires<br />

étrangères en 2014, poste jusqu’à<br />

présent détenu par des diplomates<br />

de carrière. Polyglotte, elle avait<br />

auparavant suivi des études<br />

de sciences politiques<br />

et de relations internationales,<br />

avant d’être chargée des questions<br />

d’intégration pour la ville de Berlin.<br />

Un parcours prestigieux<br />

pour cette fille de réfugié.e.s<br />

palestinien.ne.s, née apatride,<br />

qui n’a obtenu la citoyenneté<br />

allemande qu’à quinze ans.


Europe<br />

AU BAIN !<br />

La Cour européenne des droits<br />

de l’Homme a rejeté le 10 janvier<br />

2017 le recours de parents<br />

turco-suisses, qui s’étaient<br />

vu infliger une amende après<br />

avoir refusé que leurs deux<br />

filles de sept et neuf ans aillent<br />

à la piscine avec leur classe<br />

mixte. La Cour a ainsi jugé<br />

que l’“intérêt des enfants à une<br />

scolarisation complète” primait<br />

sur le principe de “non‐ingérence<br />

dans la liberté de religion”.<br />

De son côté, la Cour<br />

constitutionnelle allemande a<br />

également refusé qu’une fillette<br />

de onze ans d’une famille<br />

ultraconservatrice soit excusée<br />

des cours de natation scolaire.<br />

En mai, les autorités suisses<br />

avaient dû se prononcer<br />

sur le cas d’élèves musulmans<br />

refusant de serrer la main<br />

de leurs professeures<br />

et avaient statué que “l’intérêt<br />

public concernant l’égalité entre<br />

femmes et hommes aussi bien<br />

que l’intégration des personnes<br />

étrangères, l’emporte largement<br />

sur la liberté de croyance<br />

des élèves”.<br />

Colombie<br />

DÉFENSEUSE<br />

ASSASSINÉE<br />

Emilsen Manyoma dirigeait l’association<br />

humanitaire et non violente CONPAZ<br />

(Comunidades Construyendo Paz<br />

en los Territorios - Communautés<br />

bâtisseuses de paix dans les territoires).<br />

Elle soutenait les communautés rurales<br />

face à l’occupation de leurs terres<br />

par les troupes paramilitaires, les<br />

grands groupes miniers et agricoles,<br />

les trafiquants de drogue. Cette Afro-<br />

Colombienne était également investie<br />

dans la Commission vérité qui enquête<br />

sur les disparitions et les meurtres.<br />

Emilsen Manyoma a été retrouvée<br />

assassinée le 17 janvier 2017 avec<br />

son mari.<br />

Plus de 500 activistes, syndicalistes,<br />

militant.e.s des droits humains, ont été<br />

tué.e.s en Colombie depuis l’accession<br />

au pouvoir de Juan Manuel Santos, en<br />

2010. Beaucoup espèrent que les récents<br />

accords de paix enrayeront enfin cette<br />

spirale infernale.<br />

Arabie saoudite<br />

RÉVOLTE SOUS LE VOILE<br />

Couvertes d’un niqab noir, mais<br />

laissant échapper des vêtements<br />

légers, colorés et fleuris, des<br />

Saoudiennes prennent la ville<br />

d’assaut ! Elles sortent en skateboard,<br />

trottinette, dansent, jouent au basket,<br />

frappent dans leurs mains, chantent<br />

“les hommes nous ont rendu folles”…<br />

À défaut d’être une réalité dans<br />

les rues, ces scènes le sont sur le web.<br />

Hwages, le dernier clip de l’artiste<br />

Majed el-Esa, avait mi-février dépassé<br />

les huit millions de vues.<br />

Au royaume wahhabite, où les femmes<br />

demeurent d’éternelles mineures<br />

qui ne peuvent rien faire sans<br />

l’autorisation d’un homme, est-ce<br />

le signe d’une évolution, même timide ?<br />

À Riyad, quelques Saoudiennes<br />

bravent régulièrement les interdits<br />

et laissent tomber le voile intégral<br />

pour un foulard qui laisse échapper<br />

des mèches de cheveux et des abayas<br />

plus pimpantes. Et il y a quelques<br />

semaines, les réseaux sociaux du pays<br />

se sont mobilisés pour défendre<br />

une jeune femme qui avait été<br />

arrêtée par la police pour avoir posé<br />

tête nue sur Twitter. Elle avait reçu<br />

des menaces de mort des internautes.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 17


REPORTAGE<br />

INTERNATIONAL<br />

PORTEUSES<br />

DE LUMIÈRE<br />

Textes et photographies d'Alexia Eychenne (Inde) et de Sophie Pasquet/Hans Lucas (Sénégal)<br />

Le reportage de Sophie Pasquet au Sénégal<br />

a pu être réalisé grâce au soutien de l’association<br />

Photos Actions reportages responsables et solidaires.


Il y a sept ans, Doussou Konaté (en tête) s’envolait<br />

pour le Barefoot College, à 9 500 km de chez elle, pour<br />

acquérir des compétences de technicienne solaire<br />

et ramener l’électricité dans son village sénégalais<br />

près de Thies. Elle s’occupe toujours de l’entretien du<br />

matériel, dont ces lanternes individuelles rechargées<br />

grâce au soleil qui permettent aux femmes de<br />

se rendre à l’épicerie du village voisin la nuit tombée.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 19


C’est une tour de Babel dans un<br />

coin perdu de l’Inde. Depuis dix ans,<br />

le Barefoot College, littéralement<br />

“l’université des va-nu-pieds”, forme<br />

des femmes rurales venues du monde<br />

entier, à l’installation et la maintenance<br />

de panneaux photovoltaïques. Pauvres,<br />

parfois analphabètes, elles deviennent<br />

techniciennes solaires, puis reviennent<br />

dans leur village apporter la lumière.<br />

Une révolution pour elles et pour leur<br />

communauté.<br />

Un fer à souder à la main, Ledua Fane jette un dernier coup<br />

d’œil à un petit circuit électrique. Les yeux plissés, elle<br />

peaufine les raccordements. La plaquette de plastique<br />

doit relier un panneau solaire à sa batterie. Il y a six mois,<br />

cette Fidjienne de soixante-trois ans ignorait tout du<br />

photovoltaïque. Elle a quitté l’école à l’adolescence, s’est<br />

mariée et a élevé huit enfants. La vie n’aurait pas dû l’éloigner de<br />

son village perdu dans les champs de kava. Là-bas, les hommes<br />

cultivent cette plante sédative. “Les femmes ? Elles restent à la<br />

maison”, résume-t-elle.<br />

Au printemps 2016, l’un de ses fils, qui travaille pour une<br />

association locale, lui parle d’une ONG indienne qui forme des<br />

femmes rurales à l’énergie solaire. Après six mois en Inde, elles<br />

regagnent leurs régions reculées pour leur apporter la lumière.<br />

Ledua Fane vit dans un village perdu dans le Pacifique. Le voyage pour<br />

rallier Tilonia a pris trois jours, mais elle ne regrette rien. “C’était une<br />

occasion inespérée d’apprendre un métier et d’aider ma communauté.”<br />

Les cours ont lieu dans un bâtiment de plain-pied blanchi à la chaux.<br />

Le Barefoot College accueille chaque année deux promotions<br />

d'environ quarante de femmes venues du monde entier.


Les stagiaires sont originaires de villages<br />

qui n'ont pas accès au réseau électrique. À leur<br />

retour au pays, elles ont pour mission d'apporter<br />

la lumière à plusieurs centaines de maisons.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 21<br />

La classe bruisse de dizaines de langues et la plupart<br />

des femmes ne parlent pas anglais.<br />

Ce Barefoot College — ou “université des va-nu-pieds” —<br />

cherche des volontaires. Ledua Fane ferait une candidate<br />

idéale.<br />

En plein Pacifique, son village n’a jamais été raccordé à<br />

l’électricité. Quatre-vingts familles s’éclairent à la flamme de<br />

lampes à huile ou à pétrole. “C’était une occasion inespérée<br />

d’apprendre un métier et surtout d’aider ma communauté”,<br />

raconte-t-elle. Son mari, ses enfants et ses quarante-deux<br />

petits-enfants l’encouragent. “Heureusement qu’ils sont<br />

grands, je suis à nouveau libre !” La grand-mère fidjienne fourre<br />

une poignée de vêtements dans une valise et s’embarque alors<br />

dans une épopée : une journée de bus, cinq heures de bateau et<br />

près de vingt-quatre heures de vol. Après trois jours de voyage,<br />

elle débarque à Tilonia, un village du nord de l’Inde.<br />

LES FEMMES,<br />

PILIERS DE LEUR COMMUNAUTÉ<br />

Le Barefoot College a été fondé en 1972 par un jeune diplômé,<br />

issu d’une riche et influente famille indienne, Sanjit Roy, arrivé<br />

par hasard à Tilonia. Depuis 2007 cette “université des va-nupieds”<br />

n’accueille que des femmes de trente-cinq ans et plus<br />

pour devenir techniciennes solaires.<br />

Pour lui, les femmes sont les piliers de leur communauté : une<br />

fois qu’elles ont reçu leur formation, elles restent dans leur<br />

village, alors que les hommes le quittent. “Dans les sociétés<br />

traditionnelles, les emplois sont détenus par les hommes alors<br />

qu’ils sont tentés de partir vendre leurs compétences en ville.<br />

On a voulu que, pour une fois, les opportunités reviennent aux<br />

femmes”, explique Sanjit Roy.<br />

La formation est gratuite. Le gouvernement indien prend en<br />

charge le voyage et le séjour des femmes, soit 100 000 euros<br />

pour chacune des deux sessions annuelles. L’ONU, l’Unesco et<br />

des entreprises privées financent le matériel que les stagiaires<br />

emportent chez elles.


Magdalena Brito (à droite),<br />

du Guatemala, assemble<br />

le contrôleur de charge<br />

qui sera relié au panneau<br />

solaire et à sa batterie.<br />

Les femmes passent leur<br />

temps libre autour du patio.<br />

Une Indienne du village<br />

applique du henné sur les mains<br />

d'une stagiaire guatémaltèque<br />

qui s'apprête à rentrer chez elle.<br />

Dans ce hameau du Rajasthan, Ledua Fane rejoint quarantetrois<br />

femmes du monde entier. La classe bruisse de dizaines<br />

de langues : français, hindi, espagnol, swahili… Elles ont été<br />

choisies par le Barefoot College, souvent après proposition<br />

de leur candidature par le conseil de leur village. Dans le<br />

bâtiment de plain-pied, aux murs blanchis à la chaux, les élèves<br />

apprennent à installer et entretenir les panneaux solaires. Les<br />

femmes se regroupent souvent par nationalité. Mais Béatrice<br />

Thiabo, une quadragénaire sénégalaise, a pris sous son aile une<br />

stagiaire du Liberia. Elles partagent une chambre autour d’un<br />

patio où les futures techniciennes solaires discutent le soir<br />

et font sécher leur linge. “On ne se comprend pas, mais on se<br />

parle par gestes !” Béatrice Thiabo est allée à l’école jusqu’en<br />

CM2, elle connaît quelques mots d’anglais. Elle traduit pour ses<br />

compatriotes qui ne savent ni lire ni écrire.<br />

Qu’importe que les solar mamas n’aient pas de langue<br />

commune. La pédagogie est prévue pour : il s’agit de simplifier<br />

les techniques pour les rendre accessibles à un public souvent<br />

analphabète. Kumar, l’un des enseignants, ne parle quasiment<br />

que l’hindi. “Je leur apprends les couleurs en anglais pour<br />

positionner les résistances, explique-t-il. Ensuite, les schémas<br />

et les vidéos suffisent.”<br />

Les premières semaines d’apprentissage sont éprouvantes.<br />

La température peut frôler les cinquante degrés. Le soleil<br />

assèche la végétation dès le printemps. Le paysage ne reverdit<br />

qu’après l’automne. “Au début, je ne supportais ni la chaleur<br />

ni la nourriture épicée”, souffle Béatrice Thiabo. “Je n’ai rien<br />

pu manger pendant trois jours, je ne faisais que pleurer.<br />

Je me suis dit ‘mais qu’est-ce que je fais là ?’” Hors des cours<br />

qui durent toute la journée, les étudiantes vivent une vie<br />

quasi monacale. Elles ne quittent le campus que le dimanche,<br />

pour des virées express dans les boutiques de la ville voisine.<br />

Ledua Fane a aussi fait des allers-retours à l’hôpital, tant<br />

elle tolérait mal son nouvel environnement. “Mais je me suis


accrochée pour ne pas rater les cours”, insiste-t-elle. Bhagwat<br />

Nandan, un Indien à la tête de la formation, assure que le plaisir<br />

d’apprendre triomphe toujours du mal du pays. “Dès que les<br />

femmes assemblent leur premier circuit électrique, leur visage<br />

s’illumine”, affirme ce sexagénaire. À quelques jours de la fin<br />

de la formation, aucune ne regrette le voyage. Ledua Fane sait<br />

que “les autres femmes vont (lui) manquer”. Béatrice Thiabo<br />

est pressée de retrouver ses enfants, mais fière du chemin<br />

parcouru : “J’ai un métier qui va me donner un rôle important<br />

dans ma communauté.”<br />

La formation à l’énergie solaire, estiment les responsables du<br />

Barefoot College, est un puissant vecteur<br />

d’émancipation économique et sociale<br />

pour les femmes. En plus d’apprendre<br />

un métier, les stagiaires participent à<br />

des ateliers sur la santé, la gestion ou<br />

encore l’écologie. “Nous mettons à profit<br />

le temps qu’elles passent ici”, explique<br />

Lucie Argeliès, directrice du programme.<br />

D’abord, pour qu’elles transmettent à<br />

leurs proches des savoirs qui sont sources de progrès. “Elles<br />

reviennent chez elles avec des compétences qu’elles sont<br />

seules à détenir. Les gens les écoutent”, observe-t-elle.<br />

L’autre objectif est de sécuriser les acquis des élèves. Béatrice<br />

Thiabo et Ledua Fane vont toucher un salaire pour la gestion<br />

des panneaux solaires. Or, sans compte bancaire, difficile de<br />

protéger leurs revenus et d’en garder la maîtrise. “Certaines<br />

se sont déjà fait voler leurs économies. Elles n’ont pas non plus<br />

appris à gérer un budget et à épargner”, explique Lucie Argeliès.<br />

“Nous leur présentons les différentes solutions bancaires et<br />

nous les mettons en contact avec des partenaires sur place,<br />

par exemple des banques spécialisées dans les services aux<br />

communautés rurales.”<br />

Les “mamas” repartent transformées par leur expérience.<br />

“Mais ça ne suffit pas toujours pour qu’elles acquièrent un plus<br />

grand contrôle de leur vie”, admet la directrice. La clé consiste<br />

selon elle à créer des activités génératrices de revenus sur le<br />

long terme. Pour compléter leur salaire d’experte en solaire,<br />

les stagiaires de Tilonia peuvent apprendre la couture et<br />

repartir chez elles avec une machine à coudre. Sur le campus<br />

ouvert en 2015 à Zanzibar, elles se forment à l’apiculture.<br />

“LA FORMATION À L’ÉNERGIE SOLAIRE<br />

EST UN PUISSANT VECTEUR D’ÉMANCIPATION<br />

ÉCONOMIQUE ET SOCIALE POUR LES FEMMES.<br />

”<br />

La conquête de leur indépendance est parfois un chemin<br />

sinueux. À Tilonia, tout le monde se souvient de Rafea Anadi,<br />

la première élève venue de Jordanie. Son mari avait accepté<br />

son départ à condition que son frère l’accompagne, avant<br />

de faire marche arrière en menaçant de la priver de ses<br />

enfants. Après des semaines de tergiversations, la jeune<br />

femme a fini par convaincre sa famille de la laisser finir sa<br />

formation. À son retour en Jordanie, la presse l’a accueillie<br />

en une véritable héroïne. Rafea Anadi est devenue depuis la<br />

première Jordanienne élue membre d’un conseil local.<br />

Norti Devi fait partie d'une coopérative de femmes, désormais indépendante<br />

du Barefoot College, qui fabrique des fours solaires à Tilonia.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 23


N'deye Moussou Diawara, treize ans, allume l’ampoule de la chambre où elle dort avec ses sœurs.<br />

Ce geste est devenu un des rituels rythmant le quotidien à Keur Simbara.<br />

Au revoir Tilona et l’Inde, bonjour Keur Simbara et le Sénégal.<br />

Sous l’arbre à palabres, le petit téléphone portable passe de<br />

main en main et les exclamations joyeuses fusent. Dans ce<br />

village situé à soixante-dix kilomètres à l’est de Dakar, c’est<br />

l’heure de l’appel à Afissatou Diallo qui s’est envolée pour le<br />

Barefoot College depuis trois mois. “Pour lui donner du courage,<br />

je lui rappelle que la communauté compte sur elle”, souffle<br />

Demba Konaté, son mari.<br />

“AWA DIOP RÉALISE ENVIRON UN ACCOUCHEMENT<br />

DE NUIT PAR MOIS SANS CRAINDRE QUE LA TORCHE<br />

DE SON PORTABLE NE TOMBE EN PANNE...<br />

”<br />

Il y a sept ans, c’est sous le même arbre à l’envergure<br />

rafraîchissante que Doussou Konaté a été choisie pour faire<br />

le grand voyage et ramener la lumière. “Au village, on ne croit<br />

pas aux élections, on préfère le consensus”, explique-t-elle.<br />

“Quand mon nom a émergé, tout le monde s’est tourné vers mon<br />

mari en retenant son souffle. Quand il a dit ‘d’accord’, il y a eu<br />

des cris de joie”, se souvient celle qui appartient à la première<br />

génération de solar mamas. Elle avait cinquante-cinq ans et<br />

sept enfants adoptés dont le plus petit avait sept ans.<br />

Mais qui mieux que Doussou Konaté pouvait alors être investie<br />

d’une telle mission ? Née au village, elle avait déjà la confiance<br />

de tou.te.s. C’est elle qui veillait sur l’argent de la communauté,<br />

enfermé à double tour dans sa chambre. Elle encore qui, à<br />

la fin des années 1990, s’était investie dans la lutte contre<br />

l’excision, en apportant son témoignage dans tous les villages<br />

de la région. “Je savais qu’elle pouvait partir loin pour le bien de<br />

la communauté et que sa famille tiendrait le coup”, insiste le<br />

charismatique Baye Demba Diawara, chef de village et imam de<br />

ces 450 habitant.e.s d’origine bambara. Aujourd’hui, le système<br />

d’électricité solaire mis en place par Doussou Konaté a prouvé<br />

sa pérennité.<br />

Tout n’a pas été simple. À son époque, à Tilona,<br />

les solar mamas ne pouvaient appeler leur<br />

famille que tous les deux mois ! Avec d’autres,<br />

Doussou Konaté a mené une petite mutinerie.<br />

Depuis les étudiantes peuvent téléphoner à<br />

leurs proches toutes les semaines.<br />

En rentrant d’Inde, “le plus difficile a été<br />

d’attendre les panneaux solaires pendant un<br />

an”, se souvient-elle. En raison de frais de douanes importants<br />

imposés par l’État sénégalais, le matériel du Barefoot College<br />

est resté bloqué dans le port de Dakar. “Tous les matins, les<br />

villageois me demandaient : elle arrive quand ta lumière ?<br />

Heureusement, j’ai retrouvé toutes mes connaissances pour<br />

pouvoir les installer sans difficulté”.<br />

En 2010, Doussou Konaté a donc pu électrifier quaranteneuf<br />

maisons et un poste de santé. Dorénavant, Awa Diop, la<br />

matrone, réalise environ un accouchement de nuit par mois<br />

sans craindre que la torche de son portable ne tombe en panne<br />

ou que les bougies ne suffisent pas… Chaque maison a reçu<br />

un panneau photovoltaïque, deux ampoules, une batterie,<br />

une lanterne solaire et un compteur qui sert de chargeur pour<br />

un ou deux téléphones portables, nerf économique de l’Afrique.


Doussou Konaté s’occupe du matériel électrique<br />

dont elle est responsable : lanternes, panneaux,<br />

ampoules... Les techniques évoluent vite et elle a<br />

changé tous les circuits pour les remplacer par une<br />

technologie LED, beaucoup plus économique.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 25


“ON DIT QUE LES FILLES DU VILLAGE D’À CÔTÉ,<br />

QUI NE PEUVENT PAS ÉTUDIER LE SOIR FAUTE<br />

D’ÉLECTRICITÉ, SE MARIENT BEAUCOUP PLUS TÔT.<br />

”<br />

Tous les matins, Doussou Konaté travaille dans son atelier. Elle<br />

soude les nouveaux circuits, répare les fusibles, remplace des<br />

fils, chouchoute les lanternes qui commencent à montrer des<br />

signes de faiblesse. En 2015, des professeur.e.s du Barefoot<br />

College sont venu.e.s la former aux circuits LED. Les batteries<br />

ont été changées au bout de six ans. “J’entretiens le matériel,<br />

je m’occupe des réparations. Les villageois.es versent 2 000<br />

francs CFA par mois pour l’électricité — environ trois euros.<br />

Chaque foyer a reçu deux ampoules, un chargeur, un panneau solaire installé<br />

sur le toit et une lanterne individuelle. Le panneau solaire de cette lanterne<br />

a besoin d’être exposé environ quatre heures au soleil pour la recharger.<br />

La moitié est consacrée à l’achat<br />

du matériel et l’autre moitié à ma<br />

rémunération”, explique la solar mama.<br />

Au village, on aime souligner combien<br />

l’absence d’électricité coûte cher.<br />

Entre l’achat des bougies, des boîtes<br />

d’allumettes, des torches bon marché<br />

qui s’arrêtent au bout de quinze jours et des piles… Avant<br />

l’électrification du village, le budget lumière s’élevait à<br />

4 500 francs CFA par mois (sept euros) par foyer. Sans compter<br />

le prix de la course à dos d’âne, à moto ou en voiture pour<br />

se rendre en ville recharger les portables, l’insécurité et les<br />

risques d’accident dans un village plongé dans l’obscurité la nuit,<br />

les vols de bétail et les risques d’incendie.<br />

Tous les soirs à Keur Simbara, quand la nuit tombe en un clin<br />

d’œil juste après que la terre a rougi, on mesure l’importance<br />

de la lumière pour le lien social et la place des femmes. Ouleye<br />

Diallo étale tous ses petits sachets de sucre, de lait en poudre,<br />

ses cigarettes, ses bonbons et ses piments à trente ou<br />

cinquante francs CFA devant chez elle, le soir, sous l’ampoule<br />

extérieure. Les clients se succèdent. Tant qu’elle dégagera ce<br />

petit revenu, elle pourra hocher la tête en signe de désaccord<br />

quand son mari évoquera l’arrivée d’une seconde épouse.<br />

Après le dîner, les femmes se retrouvent sous les lampes pour<br />

commercer, discuter ou s’avancer dans les repas : en l’absence<br />

de frigo et de gaz, la préparation de chaque repas prend<br />

environ quatre heures. “J’utilise surtout la lampe mobile pour<br />

faire la cuisine ou raconter des histoires aux enfants”, explique<br />

Marieme Camara, qui vit aujourd’hui à Keur Simbara, mais qui<br />

C’est dans la chambre des filles aînées de Doussou Konaté que beaucoup<br />

d'élèves du village se retrouvent le soir après le dîner pour faire leurs devoirs<br />

et discuter. Se regrouper permet d’économiser les lampes et les batteries.


vient d’un village où il n’y a pas de lumière. “Là-bas, seuls les<br />

hommes sortent à la nuit tombée.”<br />

Le lundi et le vendredi soir, Doussou Konaté branche sa<br />

télévision sur les batteries de l’atelier et le village, tous âges<br />

confondus, se laisse emporter par Wiri Wiri, une série qui<br />

raconte les amours contrariés de Soumboulou et Jojo, parti<br />

en Europe. Un jour, elle espère brancher un petit frigo sur les<br />

batteries de son atelier, seules capables de supporter la charge<br />

de cet électroménager de luxe.<br />

Pour économiser ampoules et batteries, enfants et ados se<br />

réunissent pour faire leurs devoirs. L’ambiance est studieuse et<br />

joyeuse. On dit que les filles du village d’à côté, qui ne peuvent<br />

pas étudier le soir faute d’électricité, se marient beaucoup<br />

plus tôt qu’ici. Appuyé par l’ONG Tostan, relais du Barefoot<br />

College sur place, le succès de l’électrification de Keur Simbara<br />

a consolidé le rôle social des femmes, au travers de nombreuses<br />

associations. La commission solaire côtoie l’équipe de foot<br />

de filles, le club de danse, la coopérative des femmes. Baye<br />

Demba, le chef du village, consulte toujours les représentantes<br />

des femmes avant d’apposer son tampon encreur sur les<br />

documents.<br />

Le Barefoot College vient d’acquérir un terrain à Keur Simbara,<br />

pour construire un nouveau centre de formation. Ce sont<br />

les stagiaires du village aujourd’hui en Inde qui assureront<br />

leur formation. “Elles peuvent compter sur moi pour que<br />

je les épaule”, assure Doussou Konaté. “Les connaissances<br />

techniques nous donnent un plus. Mais notre vraie force est que<br />

nous savons nous entraider et transmettre.” n<br />

Aujourd’hui, c’est Dieynaba Diallo, une des filles de Doussou Konaté, qui monte sur le toit de l’atelier<br />

pour nettoyer les panneaux solaires. Doussou conduit les opérations du sol ferme !<br />

UNE EXPÉRIENCE QUI ESSAIME<br />

Le Barefoot College a d’abord appliqué sa philosophie à Tilonia,<br />

où des villageoises sont devenues expertes du solaire et ont<br />

développé de manière indépendante les techniques apprises<br />

lors de leur formation. Depuis le lancement du programme, il a<br />

formé un millier de solar mamas originaires de quatre-vingt-un<br />

pays, représentant 1 300 villages et 51 000 maisons. Ces solar<br />

mamas transmettent à leur tour leurs connaissances à des<br />

centaines de femmes. Trois Afghanes accueillies au Barefoot<br />

College ont par exemple permis à leur village d’être le premier<br />

de leur pays à fonctionner à l’énergie solaire. Elles ont formé<br />

vingt-sept femmes. Aujourd’hui, une centaine de villages en<br />

Afghanistan tire son électricité du soleil. Le Barefoot College a<br />

créé un deuxième campus à Zanzibar en 2015. Le prochain sera<br />

à Keur Simbara, au Sénégal. D’autres centres sont en projet<br />

au Burkina-Faso, au Liberia, au Sud-Soudan, au Guatemala.<br />

Créée en 2015, l’association Photos actions reportages responsables et solidaires<br />

(PARRS) a pour objectif d’organiser le financement et la visibilité de reportages<br />

photographiques témoignant de problématiques sociales, environnementales ou<br />

éthiques. PARRS soutient des partenariats entre photojournalistes et institutionnels<br />

(ONG, fondations, entreprises).<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 27


La lumière a changé les soirées<br />

des jeunes filles et des femmes<br />

de Keur Simbara. Elles peuvent<br />

se réunir, célébrer (ici une nuit de<br />

noces), danser... Dans les villages<br />

sans électricité, seuls les hommes<br />

sortent une fois la nuit tombée.


#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 29


LA SENTINELLE<br />

"<br />

Ma<br />

famille et moi sommes kurdes. Et comme si cela<br />

n’était pas suffisant, nous sommes également<br />

alévis (1) ”, ironise Ayşe Acinkli. Elle est de surcroît<br />

avocate en Turquie et défenseuse des droits humains, incluant<br />

ceux des dissidents politiques… Autrement dit, elle représente<br />

le condensé exact de tout ce que le gouvernement autoritaire<br />

de Recep Tayyip Erdoğan exècre.<br />

La jeune avocate est issue d’une famille modeste du sud de la<br />

Turquie qui lui a “toujours appris à cacher (son) identité”. Élève<br />

remarquée, elle est reçue à l’université de Droit d’Istanbul. Elle<br />

adhère au <strong>BD</strong>P, un parti kurde de gauche. “Je me suis battue<br />

pour les droits des femmes, des Kurdes, des alévis… J’ai vu<br />

de nombreux innocents arrêtés uniquement à cause de leur<br />

identité.” Jusqu’alors, ses études de droit n’étaient que la suite<br />

logique d’un parcours scolaire brillant. “J’ai ensuite compris que<br />

ce métier me permettrait de défendre les droits humains, de<br />

poursuivre l’action politique et d’aider les gens.” Aujourd’hui, la<br />

quasi-totalité de ses dossiers est liée à des “crimes” politiques.<br />

AYSE ACINKLI<br />

La robe d’Ayşe Acinkli est le poil à gratter<br />

du gouvernement turc. Cette avocate de<br />

trente ans qui défend les droits humains<br />

a reçu le prix des Droits du Conseil<br />

européen des barreaux.<br />

Son procès aura lieu le 20 avril 2017.<br />

Texte de Sandrine Boucher<br />

Réalisé en partenariat avec<br />

la FIDH, mouvement mondial<br />

de défense des droits humains<br />

Cela fait plusieurs années qu’elle est dans le viseur des<br />

autorités. “Nous avons appris récemment que nos téléphones<br />

avaient été mis sur écoute dès 2011”, affirme-t-elle. Puis, à la<br />

surveillance succède la répression. Le 16 mars 2016, elle est<br />

réveillée avant l’aube par une descente de police. Ayşe Acinkli<br />

est relâchée deux jours après, mais arrêtée à nouveau le<br />

6 avril. “Malheureusement, ce ne fut pas une grande surprise.<br />

Le gouvernement considère les avocat.e.s comme des menaces<br />

face à ses injustices.”<br />

Ayşe Acinkli a failli passer son trentième anniversaire en<br />

prison, le 11 septembre 2016. Elle avait été remise en liberté<br />

conditionnelle quelques jours auparavant, au terme de<br />

cinq mois d’incarcération. Sa faute ? Faire son métier. Plus<br />

précisément être l’une des défenseuses des avocat.e.s<br />

poursuivi.e.s depuis 2012 dans l’affaire dite du KCK, l’Union des<br />

communautés du Kurdistan, accusée d’être liée à la guérilla<br />

kurde. “La Turquie méprise tous les traités internationaux. Elle<br />

identifie un avocat à la cause qu’il ou elle défend”, a remarqué<br />

Jacques Bouyssou, du barreau de Paris. La mobilisation<br />

internationale des avocat.e.s et des militant.e.s des droits<br />

humains a contribué à sa libération provisoire et à celle de son<br />

confrère, Ramazan Demir, le 7 septembre.<br />

“LE GOUVERNEMENT CONSIDÈRE<br />

LES AVOCAT.E.S COMME DES MENACES<br />

FACE À SES INJUSTICES.<br />

”<br />

À la question des droits en Turquie, Ayşe Acinkli répond :<br />

“Je pense que nous avons atteint le pire.” Sous l’état d’urgence,<br />

les sanctions pleuvent sur les opposant.e.s, les minorités,<br />

les associations des droits civiques… Les droits des femmes<br />

ne sont évidemment pas épargnés : “Ils veulent nous confiner<br />

à la maison, envisagent d’autoriser les mariages d’enfants.<br />

Le viol et le meurtre des femmes ne sont toujours pas<br />

correctement punis.”<br />

Ayşe Acinkli est toujours sous le coup de poursuites pénales,<br />

mais n’entend pas baisser les bras. “Perdre espoir, c’est perdre<br />

toute capacité d’agir. Et la lutte donne une raison de vivre.” n<br />

(1) Les alévis font partie d’une branche minoritaire de l’islam : ils.elles sont républicains,<br />

féministes, ouverts à la laïcité depuis 1920. Ils.elles représentent 20 à 25 % des Turc.que.s.


NOUVELLES D’ICI ET AILLEURS<br />

International<br />

Tunisie-Liban<br />

TRANSGENRE<br />

Cheveux roses et regard déterminé :<br />

une enfant transgenre fait la<br />

couverture du numéro de janvier<br />

du prestigieux National Geographic,<br />

avec cette citation : “La meilleure<br />

chose qui soit dans le fait d’être<br />

une fille est que, maintenant, je n’ai<br />

plus besoin de prétendre que<br />

je suis un garçon.” Avery Jackson,<br />

Américaine de neuf ans, a été<br />

choisie pour illustrer un dossier<br />

sur “La révolution du genre”.<br />

Ce choix de une a fait polémique<br />

outre Atlantique. Dans son édito,<br />

Susan Goldberg, rédactrice en<br />

cheffe du mensuel a rétorqué :<br />

“Parfois XX et XY ne suffisent pas<br />

à raconter toute l’histoire.”<br />

Chili<br />

DÉTRICOTER LES CLICHÉS<br />

“Briser les stéréotypes nous transforme<br />

en une société plus inclusive<br />

et tolérante”, peut-on lire aux pieds<br />

de la rangée d’hommes qui tricotent<br />

dans les rues de Santiago. Le collectif<br />

chilien Hombres Tejedores compte<br />

une dizaine d’hommes de vingt-cinq<br />

à cinquante-cinq ans qui se réunissent<br />

une fois par mois pour tricoter en public.<br />

Ils organisent également des ateliers<br />

d’apprentissage ouverts à tou.te.s.<br />

L’initiative n’est pas isolée : des groupes<br />

semblables ont été créés à Montevideo,<br />

Bogota ou encore Mendoza.<br />

MOBILISATIONS<br />

PAYANTES<br />

Échapper à une condamnation<br />

pour viol et à la prison<br />

en épousant sa victime ?<br />

Les militantes de plusieurs<br />

pays ont obtenu, par leur forte<br />

mobilisation, la suppression<br />

des textes de loi qui autorisaient<br />

cette pratique censée “laver<br />

l’honneur” des victimes<br />

et des familles.<br />

En décembre, en Tunisie,<br />

une décision du tribunal de Kef<br />

autorisant le mariage d’une fille<br />

de treize ans, enceinte<br />

de son cousin qui l’avait<br />

violée, avait entrainé de vives<br />

réactions dans tout le pays.<br />

L'article de loi incriminé a été<br />

supprimé début février.<br />

Au Liban, la campagne<br />

a également payé.<br />

Des manifestantes vêtues<br />

de robes de mariées tâchées<br />

de sang, scandant “un mariage<br />

n’efface pas un viol”, avaient<br />

fait le buzz dans le pays.<br />

La mobilisation a aussi<br />

porté ses fruits en Turquie,<br />

où un projet de loi autorisant<br />

cette pratique d'un autre âge<br />

a été finalement abandonné<br />

(lire aussi page 69).<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 31


Irak<br />

VÉLO LIBERTÉ<br />

“Est-ce la société qui nous interdit<br />

certaines choses ou bien est-ce parce<br />

que nous arrêtons de les faire ?”,<br />

interroge Marina Jaber, qui donne<br />

elle-même sa réponse en chevauchant<br />

régulièrement un vélo, cheveux<br />

au vent, dans les rues de Bagdad.<br />

Elle brise ainsi une loi non écrite<br />

qui interdit aux femmes de pédaler.<br />

Et l’adepte de la petite reine<br />

inspire : plus de 30 000 personnes<br />

suivent son compte Instagram,<br />

d’autres jeunes femmes postent<br />

des images d’elles mêmes à vélo<br />

et les Irakiennes sont de plus<br />

en plus nombreuses à participer<br />

aux promenades collectives.<br />

Deux cents manifestant.e.s pour<br />

la paix, en majorité des femmes,<br />

ont ainsi défilé début février à Bagdad,<br />

tou.te.s. à vélo.<br />

6 ans<br />

Roumanie<br />

HÉROÏNE DU PEUPLE<br />

Laura Codruta Kovesi,<br />

la procureure à la tête<br />

du parquet anti-corruption<br />

roumain (DNA), est devenue<br />

l’icône des manifestant.e.s<br />

qui scandent son prénom<br />

et défilent par centaines<br />

de milliers depuis le 1 er février<br />

dans les grandes villes<br />

du pays. Les protestataires<br />

ont déjà réclamé – et obtenu –<br />

l’annulation des ordonnances<br />

qui auraient permis à<br />

des politicien.ne.s véreux.ses<br />

d’échapper à la prison, ainsi<br />

que la démission du ministre<br />

de la Justice. La société civile<br />

n’entend pas en rester là<br />

et se rassemble désormais<br />

pour exiger que l’opération<br />

mains-propres soit généralisée<br />

à l’ensemble de la classe au<br />

pouvoir. À leurs yeux, Laura<br />

Codruta Kovesi est la femme<br />

de la situation. Devenue<br />

cheffe du DNA en 2013, elle est<br />

à l’origine de l’arrestation<br />

de milliers de personnalités<br />

du monde politique et<br />

économique roumains. 90 %<br />

des enquêtes ouvertes<br />

par ses services aboutissent<br />

à une condamnation.<br />

Argentine<br />

BASTA PIROPOS<br />

Piropos : sous ce joli mot se cache<br />

une pratique moins glorieuse,<br />

celle des interpellations déplacées<br />

et souvent grossières que<br />

subissent les Argentines dans<br />

la rue… et qui sont désormais<br />

illégales. Votée en décembre<br />

2016 dans le district fédéral<br />

de Buenos Aires, une loi pénalise<br />

désormais le harcèlement, verbal<br />

ou non, dans les rues de la capitale.<br />

Il devient un délit passible d’une<br />

amende allant jusqu’à 1 000 pesos<br />

(60 e uros) ou de dix jours de travail<br />

communautaire. Un progrès dans<br />

la lutte contre l’expression d’un<br />

machisme généralisé, solidement<br />

attaché à la figure du chamucho,<br />

le “dragueur” argentin. Selon<br />

Raquel Vivanco, 100 % des femmes<br />

interrogées par l’ONG Mujeres<br />

de la Matria Latinoamericana<br />

(Mumala) disent avoir été victimes<br />

de harcèlement de rue, la moitié<br />

de commentaires sexuels explicites<br />

et 47 % avoir été suivies par<br />

un homme sur la voie publique.<br />

L’âge à partir duquel les enfants ont déjà intégré des stéréotypes<br />

de genre, selon une étude universitaire américaine publiée<br />

dans Science du 27 janvier 2017. Les chercheur.se.s<br />

ont demandé à des groupes de filles et de garçons d’associer<br />

l’idée d’une personne “très intelligente” à des images de<br />

femmes ou hommes. Jusqu’à cinq ans, les enfants désignent<br />

de manière équivalente d’image d’un adulte de leur sexe,<br />

mais dès l’année suivante, 65 % des garçons choisissent<br />

une figure masculine, 48 % des filles une féminine.


France<br />

RÉFORME INCOMPLÈTE<br />

Le délai de prescription de<br />

l’ensemble des crimes et délits, dont<br />

sexuels, a été doublé le 16 février,<br />

suite à l’adoption définitive<br />

par le Parlement d’une réforme<br />

de la justice pénale. Les victimes<br />

d’agressions sexuelles disposeront<br />

désormais de six ans au lieu<br />

de trois pour porter plainte, celles<br />

qui ont subi un viol, de vingt ans<br />

au lieu de dix. Exception très<br />

notable, cet allongement des délais<br />

ne concerne pas les viols commis<br />

sur des mineur.e.s, les possibilités<br />

de recours restant figées à vingt<br />

années après leur majorité.<br />

Une grande déception pour<br />

les associations, qui réclament<br />

de longue date l'imprescriptibilité<br />

des crimes sexuels, en particulier<br />

pour les mineur.e.s, qui comptent<br />

pour près de 60 % des victimes<br />

de viols. Leur parole peut<br />

mettre des dizaines d’années<br />

à se libérer. En témoigne l’affaire<br />

David Hamilton, accusé par<br />

l’animatrice Flavie Flament de viol<br />

plus de trente ans après les faits.<br />

La ministre Laurence Rossignol<br />

vient d’ailleurs de lui confier<br />

le copilotage d’une commission<br />

sur ce sujet.<br />

Cuba<br />

International<br />

CACHE-CACHE TÉTON<br />

Réseaux sociaux et tétons féminins<br />

ne font pas bon ménage. Ces derniers<br />

se voient systématiquement censurés,<br />

contrairement à leurs équivalents<br />

anatomiques masculins. Agacé.e.s<br />

par ces doubles standards en matière<br />

de nudité, certain.e.s internautes<br />

parviennent à contourner l’interdit.<br />

Créé en 2015 le projet brésilien<br />

Mamilo livre (“le téton libre”) invite<br />

les participant.e.s à poster des photos<br />

de seins sur Facebook. Sur Instagram,<br />

Genderless nipples (“tétons sans<br />

genre”) diffuse des photos de tétons<br />

prises en gros plan, montrant qu’il est<br />

impossible de déterminer s’il s’agit<br />

d’un corps masculin ou féminin.<br />

Une initiative probante, puisqu’à<br />

ce jour une seule photo a été censurée.<br />

Ironie du sort, il s’agissait d’un téton…<br />

d’homme.<br />

RECONNAISSANCE<br />

TARDIVE<br />

La peintre cubaine Carmen<br />

Herrera connaît enfin<br />

le succès… à l’âge de 101 ans.<br />

“Une galeriste, Rose Fried,<br />

m'a dit un jour : ‘Ce que tu peins<br />

m'enchante, mais je ne peux<br />

pas te donner ta chance,<br />

car tu es une femme‘”,<br />

raconte-t-elle. Celle qui<br />

a vendu son premier tableau<br />

à l’âge de quatre vingt-neuf<br />

ans est désormais demandée<br />

dans les plus grands musées<br />

et galeries du monde.<br />

Ses œuvres abstraites<br />

et minimalistes, qui se vendent<br />

désormais des centaines<br />

de milliers de dollars,<br />

sont exposées au MoMA<br />

de New York ou à la Tate<br />

Modern à Londres.<br />

Son travail vient même de faire<br />

l’objet d’une rétrospective au<br />

prestigieux Whitney Museum<br />

of American Art de New York.<br />

Tout vient à point à qui sait<br />

attendre… Un peu long quand<br />

même !<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 33


États-Unis<br />

Népal<br />

HONORÉE<br />

Anuradha Koirala va recevoir<br />

la Padma Shri, l’une des plus hautes<br />

distinctions civiles indiennes. Cette<br />

ancienne enseignante népalaise<br />

qui a fondé en 1993 l’association<br />

Maiti Nepal (“maison maternelle”),<br />

a sauvé plus de 12 000 jeunes filles<br />

de l’esclavage en Inde. Il s’agit<br />

principalement de jeunes filles<br />

issues des villages les plus pauvres<br />

du Népal ou du Bangladesh,<br />

vendues par des bandes<br />

criminelles. En 2016, l’Inde<br />

abritait 40 % des esclaves dans<br />

le monde. L’association compte<br />

un refuge à Katmandou, onze<br />

maisons de transit à la frontière<br />

népalo-indienne, trois centres<br />

de prévention, deux hôpitaux<br />

et une école accueillant un millier<br />

d'élèves.<br />

Finlande<br />

MARIAGE POUR TOU.TE.S<br />

Les couples finlandais de même sexe<br />

peuvent se marier depuis le 1 er mars.<br />

Le parlement a repoussé une<br />

ultime tentative de député.e.s<br />

conservateur.trice.s de faire obstacle<br />

à l’entrée en vigueur de cette loi adoptée<br />

en 2014. La Finlande, qui autorisait les<br />

unions civiles pour tou.te.s depuis 2002,<br />

est le dernier pays nordique à légaliser<br />

le mariage homosexuel.<br />

Espagne<br />

FEMMES VS FRANCO<br />

Les Madrilènes pourront désormais<br />

déambuler rue Soledad Carloza,<br />

procureure spécialisée dans la lutte<br />

contre les violences sexuelles,<br />

et les habitant.e.s de Léon prendre<br />

un verre rue Angela Ruiz Robles,<br />

enseignante, écrivaine et pionnière<br />

du livre électronique.<br />

Plus de quarante ans après la mort<br />

de Franco, plusieurs villes ont décidé<br />

de rebaptiser les rues et places dont<br />

les noms évoquent encore le régime<br />

du Caudillo, pour mettre à l’honneur<br />

des figures progressistes,<br />

en particulier féminines. Cette mise<br />

en application tardive de la ley<br />

de Memoria votée en 2007,<br />

qui prévoit le retrait des symboles<br />

fascistes dans l’espace public,<br />

permet un rééquilibrage salutaire :<br />

seulement 10 % des rues espagnoles<br />

portent des noms de femmes…<br />

le plus souvent des religieuses<br />

ou des saintes.<br />

PANTHÉON DU TENNIS<br />

En battant fin janvier sa sœur Venus<br />

en finale de l’Open d’Australie,<br />

Serena Williams, trente-cinq<br />

ans, a remporté son 23 e trophée<br />

en Grand Chelem. Elle est ainsi<br />

devenue la championne de tennis<br />

qui totalise le plus grand nombre<br />

de titres obtenus lors des tournois<br />

majeurs de la période moderne.<br />

Serena Williams a dépassé<br />

dans les palmarès l’Allemande<br />

Steffi Graff (vingt-deux titres)<br />

et elle n'est qu'à un sacre<br />

de l’Australienne Margaret Court<br />

(vingt-quatre titres), qui avait<br />

cependant réalisé l’essentiel<br />

de sa carrière avant l’ère<br />

professionnelle. En septembre<br />

2016, Serena Williams avait<br />

déjà battu le record absolu,<br />

hommes et femmes confondu.e.s,<br />

du nombre de matchs remportés<br />

lors des tournois du Grand<br />

Chelem avec une 308 e victoire,<br />

dépassant ainsi Martina Navratilova<br />

(306) et Roger Federer (307).<br />

Gigantesque !


RENCONTRE AVEC<br />

ZAINA<br />

ERHAIM<br />

LES MOTS D’ALEP<br />

Journaliste syrienne travaillant<br />

à Londres, Zaina Erhaim<br />

a regagné son pays en plein<br />

conflit. Elle s’est installée<br />

à Alep et a mis en valeur le rôle<br />

des femmes dans la rébellion.<br />

Elle a aussi formé à son métier<br />

de nombreux.ses Syrien.ne.s.<br />

Son travail de journalisme<br />

et son engagement ont été<br />

récompensés par plusieurs<br />

prix internationaux.<br />

Propos recueillis par Pierre-Yves Ginet<br />

Des médias et certaines personnalités politiques, notamment en France,<br />

suggèrent qu’il vaut mieux avoir Bachar Al-Assad que les islamistes, qu'Alep<br />

était en partie aux mains de Daech. Vous qui avez vécu dans cette ville et qui<br />

avez témoigné de la réalité du terrain, qu’en pensez-vous ?<br />

Ces trois dernières années, quel que soit l’endroit du monde où je me trouvais, je<br />

devais toujours faire face à la même remarque : “Vous êtes opposée au régime<br />

d’Assad, alors vous êtes pro État islamique”. Comme si le peuple syrien n’existait<br />

pas, comme s’il n’y avait pas de rebelles modéré.e.s.<br />

Ils.elles contrôlaient entièrement la ville d’Alep [NDLR : Daech a été expulsé de<br />

la deuxième ville de Syrie en 2014 par les forces révolutionnaires opposées de<br />

la dictature syrienne]. Peu importe ce tu portais comme vêtement ou à quoi tu<br />

ressemblais, tu pouvais aller et venir librement. Alep était la dernière zone de<br />

liberté de cette importance. Mais lorsque la ville est tombée, même les médias<br />

arabes ont dit qu’Alep avait été libérée… Ils n’ont jamais parlé du nombre de<br />

civil.e.s brutalisé.e.s qui n’avaient même pas de position politique…<br />

En 2011, lors des premières manifestations, Assad a dit déclarer la guerre au<br />

terrorisme. Au contraire, il l’a favorisé et entretenu, avec le soutien des Russes<br />

et l’impuissance de la communauté internationale.<br />

Quelles sont les informations dont vous disposez actuellement, rapportées<br />

par vos correspondant.e.s et ami.e.s à l’intérieur d’Alep ?<br />

Tou.te.s ceux.celles que je connais ne sont plus en Syrie. Elles et ils ont été<br />

expulsé.e.s de leur maison, certain.e.s ont réussi à fuir jusqu’en Turquie. Les<br />

habitant.e.s qui n’ont pas pris parti, mais qui ont refusé de quitter leur domicile,<br />

ont subi une grande vague d’arrestations et de répression. Évidemment, la vie<br />

est encore plus difficile pour celles et ceux qui ont un lien avec les rebelles de<br />

l’opposition.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Rencontre avec I 35


Quelle est la situation particulière des femmes ?<br />

Il y a du changement, en négatif et en positif. Maintenant, il est<br />

accepté que les femmes travaillent. Avant, elles n’avaient pas<br />

d’autre choix que d’être au foyer, mais beaucoup ont perdu leur<br />

mari et ont été embauchées dans les entreprises. D’un autre<br />

côté, elles sont toujours perçues comme faibles et sont encore<br />

beaucoup plus surveillées que les hommes.<br />

“IL ÉTAIT IMPORTANT DE MONTRER CE QUE<br />

LES REBELLES SYRIENNES FAISAIENT, D'ENTENDRE<br />

CE QU’ELLES DISAIENT, POUR QUE LEUR<br />

ENGAGEMENT FASSE PARTIE DE L’HISTOIRE.<br />

”<br />

Pourquoi vous êtes-vous intéressée plus particulièrement au<br />

rôle des femmes dans la révolution, que vous montrez dans<br />

votre film Syria's Rebellious Women (Femmes rebelles de<br />

Syrie) ?<br />

Avant le début du conflit, je travaillais déjà sur les pionnières<br />

dans le cadre de mon Master à l’université. Quand la révolution a<br />

commencé, je me suis concentrée sur les femmes. Sinon, ce que<br />

nous vivons sera uniquement une histoire d’hommes, écrite par<br />

des hommes, oubliant le rôle essentiel des femmes. Cela n’a pas<br />

été facile de réaliser cette série de portraits. Il y avait encore<br />

le poids des traditions et beaucoup d’entre elles ne voulaient<br />

Janvier 2017. Femme âgée dans le quartier détruit d’al-Shaar,<br />

à Alep, zone qui était sous contrôle des rebelles jusqu’à l’assaut<br />

dévastateur des forces gouvernementales.<br />

pas être filmées, mais il était important de montrer ce que ces<br />

femmes faisaient, d'entendre ce qu’elles disaient, pour que leur<br />

engagement fasse partie de l’histoire.<br />

Avez-vous été déçue par la diplomatie européenne et l’action<br />

des Nations unies ?<br />

Jusqu’à 2012, je croyais que l’Union européenne et les Nations<br />

unies étaient garantes des droits humains,<br />

que les Nations unies étaient en capacité<br />

d’agir. J’ai perdu toute foi dans les institutions<br />

internationales. J’ai été également surprise<br />

par la position de la France, qui n'a rien fait et<br />

qui nous a laissé.e.s seul.e.s face aux Russes<br />

et au régime, et qui, en plus, accueille peu de<br />

réfugié.e.s. Je ne crois plus qu’en une seule<br />

chose : les gens.<br />

À ce propos, comment considérez-vous les<br />

mouvements citoyens qui se mobilisent, en particulier en<br />

Europe, comme la marche civile de solidarité avec la Syrie,<br />

partie de Berlin pour rejoindre Alep à pied ?<br />

Nous avons reçu des témoignages de compassion d’Europe<br />

et même des États-Unis, y compris de personnes qui ne sont<br />

jamais venues en Syrie. Il est indispensable de parler davantage<br />

de ces mouvements, surtout vis-à-vis de celles et ceux qui<br />

se sentent négligé.e.s et oublié.e.s, ou qui pensent que la<br />

terre entière leur est hostile : c’est un terreau parfait pour le<br />

terrorisme et l’extrémisme. Au fil des mois, de nombreux.ses<br />

Syrien.nes se sont dit : “Nous devrions rejoindre les rangs de<br />

l’État islamique et le terrorisme, parce que personne n’est à<br />

nos côtés.” Alors que ces mêmes personnes pourraient être<br />

touchées de voir des gens manifester à l’autre bout du monde<br />

pour leurs droits et leur liberté. Savoir que nous ne sommes<br />

pas seul.e.s est l’unique raison qui nous fait garder espoir et<br />

continuer de croire en l’humanité.<br />

Comment voyez-vous l’avenir de votre pays avec le retour<br />

probable du pouvoir de Bachar Al-Assad sur la totalité du<br />

territoire ?<br />

Un retour en arrière est impossible pour nous. Après tout ce que<br />

nous avons traversé depuis 2011, nous ne pourrons pas revenir à<br />

la situation antérieure, même si Assad arrive à contrôler chaque<br />

parcelle de la Syrie et même si nous savons que nous risquons<br />

de mourir. Des centaines de prisonnier.ère.s sont torturé.e.s.<br />

Beaucoup d’entre eu.elles sont mes ami.e.s qui manifestaient<br />

avec nous pour réclamer nos droits fondamentaux il y a cinq<br />

ans. Des centaines de milliers de Syrien.ne.s ont disparu. Leurs<br />

familles ne les abandonneront pas. Elles et ils continueront à<br />

demander où ces femmes et ces hommes sont, pourquoi elles<br />

et ils ont été faits prisonnier.ère.s, pourquoi le régime ne les<br />

libère pas.<br />

Il y a environ cinq millions de Syrien.ne.s qui ont été déporté.e.s.<br />

Comme moi, la plupart ne veulent pas être des réfugié.e.s, mais<br />

rentrer dans leur pays. Assad ne pourra pas se débarrasser<br />

de nous.<br />

Enfin, la Syrie est contrôlée par différentes milices, qui ont<br />

toutes des intérêts différents. Ces groupes armés savent s’unir<br />

contre les Syrien.ne.s modéré.e.s, opposé.e.s au régime, mais<br />

rien d’autre ne les rassemble. Même les habitant.e.s favorables<br />

au régime en ont assez de voir les milices irakiennes, iraniennes<br />

ou pakistanaises contrôler leur région et envahir leur maison.<br />

Il n’y a que la justice qui pourra faire revenir la stabilité et la<br />

paix en Syrie.<br />

Quels sont vos projets pour les mois à venir?<br />

Nous essayons de poursuivre notre mission et notre travail<br />

malgré tout. Nous continuons à récolter des informations de


Zaina ErhaIm en compagnie de Razan Zaitouneh,<br />

militante des droits humains, arrêtée par les hommes du régime<br />

en décembre 2013. L’avocate syrienne, prix Sakharov du<br />

Parlement européen en 2011 a été, deux ans durant, l’un.e<br />

des activistes les plus recherché.e.s par les troupes d’Assad.<br />

Arrêtée, personne ne sait ce qu’il est advenu d’elle.<br />

États-Unis et en Europe pour témoigner, même si avec les<br />

problèmes de visas, c’est compliqué. Pour le reste, il est difficile<br />

de prévoir l’avenir.<br />

Et à titre personnel ?<br />

Tout ce que je veux, c’est retourner vivre en Syrie. Je ne veux<br />

vivre nulle part ailleurs. Jusqu’à présent, je n’ai jamais arrêté<br />

d’espérer. n<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Rencontre avec I 37<br />

BIOGRAPHIE EXPRESS<br />

Zaina Erhaim lors d’une session de formation de journalistes-citoyen.ne.s à Alep,<br />

en 2016. Ces journalistes-citoyen.ne.s ont été essentiel.le.s<br />

pour la diffusion de l’information relative au drame d’Alep.<br />

terrain, à les diffuser sur SyriaStories et sur le blog des femmes.<br />

Par ailleurs, nous travaillons avec cinq centres pour les femmes<br />

dans différentes régions de Syrie, où elles pourront recevoir<br />

gratuitement des cours d’anglais et de français, apprendre<br />

à utiliser un ordinateur ou à écrire leur CV. L’objectif est de<br />

leur donner du pouvoir et leur permettre de trouver un travail.<br />

Nous avons aussi le projet de faire venir des Syriennes aux<br />

Née en Syrie, Zaina Erhaim obtient un diplôme de journalisme<br />

en 2007 à Damas. Elle part à Londres poursuivre ses études,<br />

puis travaille pour la BBC. Elle décide de revenir en Syrie<br />

en 2013, alors que la guerre fait rage, et s’installe à Alep<br />

l’année suivante. Missionnée par l’Institute of War and Peace<br />

Recording (IWPR), une ONG britannique qui soutient la société<br />

civile et les médias dans les pays en conflit, Zaina Erhaim<br />

forme plus de cent journalistes-citoyen.ne.s, dont un tiers<br />

de femmes. Ces Syrien.ne.s témoignent depuis l’intérieur<br />

de la réalité de leur pays en guerre. Ces récits sont publiés<br />

sur le site Syriastories.net, en particulier le “women’s blog”<br />

de l’IWPR. La journaliste a également réalisé un documentaire<br />

sur les rebelles syriennes.<br />

Zaina Erhaim a dû quitter son pays fin 2015. Elle vit désormais<br />

au sud de la Turquie, près de la frontière syrienne. Elle a reçu<br />

de nombreuses distinctions, dont le prix du journaliste<br />

de l’année de Reporters sans frontières et le prix Peter-Mackel<br />

qui récompense le courage et l’éthique journalistique.


NOUVELLES D’ICI ET AILLEURS<br />

Tchad<br />

MARIÉES ENFIN<br />

MAJEURES<br />

Les parlementaires<br />

tchadien.ne.s ont adopté<br />

une réforme du Code pénal<br />

portant l'âge légal du<br />

mariage à dix-huit ans.<br />

Une révolution dans<br />

ce pays où la pratique<br />

des unions précoces<br />

est courante : parmi<br />

les femmes de moins<br />

de cinquante ans, plus<br />

d’un quart ont été mariées<br />

avant quinze ans et<br />

69 % avant dix-huit ans.<br />

Pour les jeunes filles,<br />

les conséquences sont très<br />

lourdes : déscolarisation,<br />

grossesses prématurées<br />

et maltraitance pour celles<br />

qui refusent l’époux qu’on<br />

leur impose.<br />

En revanche, concernant<br />

les droits des personnes<br />

homosexuelles, les progrès<br />

demeurent faibles.<br />

Le nouveau Code pénal<br />

a allégé la sanction pour<br />

homosexualité, celle-ci<br />

relevant désormais d’un<br />

délit (passible de prison<br />

avec sursis et d’amende)<br />

et non plus d’un crime.<br />

PITEUX ÉTATS<br />

États-Unis<br />

Les tentatives de limiter le droit à l’avortement<br />

se multiplient dans de nombreux États du sud<br />

du pays.<br />

Le Texas a décidé d’imposer des funérailles aux<br />

restes fœtaux, sous des prétextes “sanitaires”.<br />

L’application de cette mesure est pour l’instant<br />

bloquée par un juge fédéral. Le gouverneur<br />

de l’État est un héritier de Rick Perry, à l’origine<br />

de l’obligation faite aux médecins de montrer<br />

le fœtus qu’elle porte à une femme voulant<br />

pratiquer une IVG et de lui faire écouter son cœur.<br />

Dans l’Oklahoma, un sénateur a, quant à lui,<br />

voulu imposer des messages anti-IVG dans<br />

les sanitaires publics et les restaurants. En vain,<br />

heureusement.<br />

De son côté, l’Arkansas a récemment fait adopter<br />

une loi qui permet aux pères présumés, même<br />

dans les cas de viols ou d'inceste, de s’opposer<br />

à un avortement. La mesure est étendue<br />

aux parents d’une mineure.<br />

International<br />

RÊVE GÉNÉRAL<br />

Un appel massif à la grève<br />

des femmes a été lancé pour<br />

le 8 mars, Journée internationale<br />

des droits des femmes. Et ce,<br />

partout dans le monde.<br />

Ce mot d'ordre, inspiré par<br />

les Polonaises qui luttent<br />

pour le droit à l’IVG et par<br />

la grève des Islandaises<br />

de 1975, a été initié par les<br />

Latino-Américaines de Ni Una<br />

Menos (“pas une de moins”)<br />

qui se battent depuis des mois<br />

contre les violences machistes.<br />

Cet appel à une “journée sans<br />

femmes” rassemble déjà,<br />

à mi‐février, près de trente<br />

pays, principalement en Europe,<br />

en Amérique du Sud et du Nord.<br />

La Women’s March a relayé<br />

l'annonce aux États-Unis.<br />

En France, les participant.e.s<br />

sont invité.e.s à cesser le travail<br />

le 8 mars à 15 h 40, heure après<br />

laquelle es femmes travaillent<br />

sans être payées, en raison<br />

de la différence de salaires<br />

entre les sexes. Informations<br />

sur le site : www.8mars15h40.fr


France<br />

PENSIONS PAYÉES<br />

L’Agence de recouvrement<br />

des impayés de pensions<br />

alimentaires (ARIPA) vient<br />

d’être créée. Une avancée pour<br />

les familles monoparentales,<br />

avec à leur tête, dans 85 %<br />

des cas, une femme qui élève<br />

seule ses enfants. Les pensions<br />

alimentaires représentent 20 %<br />

des revenus de ces familles,<br />

le taux d'impayés avoisine<br />

les 30 à 40 % : environ 100 000<br />

foyers sont concernés.<br />

Dès la première échéance<br />

manquante, l’ARIPA pourra<br />

engager une négociation<br />

à l‘amiable avec l’ex-conjoint.e<br />

et si celle-ci échoue, les sommes<br />

dues pourront être saisies<br />

sur le salaire ou le compte<br />

bancaire du.de la mauvais.e<br />

payeur.se. L’agence a le droit<br />

de recouvrer jusqu’à deux<br />

années d’arriérés. Le dispositif<br />

comprend également le<br />

versement d’un complément<br />

de pension et l’ARIPA pourra<br />

faire l’intermédiaire, en cas<br />

de violences ou de menaces<br />

entre les parents séparés.<br />

www.pension-alimentaire.caf.fr<br />

Russie<br />

PERMIS DE TAPER<br />

Une loi dépénalisant les violences<br />

domestiques a été promulguée<br />

le 7 février 2017 par le président russe,<br />

après avoir été votée par une écrasante<br />

majorité de parlementaires. Les coups<br />

qui n’entrainent pas d’hospitalisation<br />

sont désormais passibles d’une simple<br />

amende au lieu de deux ans de prison.<br />

Raison invoquée : préserver “la tradition<br />

de l'autorité parentale”, afin d’éviter<br />

la “destruction de la famille”.<br />

Nul doute que brutaliser épouse<br />

et enfants renforce la cohésion<br />

domestique… 650 000 femmes russes<br />

sont battues par leur conjoint ou leurs<br />

proches, 14 000 en meurent chaque<br />

année et 40 % des crimes graves<br />

en Russie ont lieu dans le milieu familial.<br />

De nombreux.ses militant.e.s des droits<br />

humains et collectifs de femmes se sont<br />

indigné.e.s contre cette réforme et ont<br />

multiplié les appels à manifester.<br />

Pays-Bas<br />

RIPOSTE IMMÉDIATE<br />

Sitôt au pouvoir, le nouveau<br />

président américain a décidé que<br />

les États-Unis ne financeraient<br />

plus les organismes internationaux<br />

promouvant ou soutenant le droit<br />

à l’IVG. Soit un trou d’environ<br />

600 millions de dollars sur quatre<br />

ans, impactant principalement<br />

les pays en développement.<br />

Lilianne Ploumen, ministre de la<br />

Coopération et du Développement<br />

des Pays-Bas n'aura pas tardé<br />

à réagir… Fin janvier, elle a décidé<br />

de créer un fonds international et a<br />

lancé la campagne de crowfunding<br />

SheDecides (“elle décide”).<br />

“La réponse à mon appel a dépassé<br />

toutes les attentes”, s’est réjoui<br />

Lilianne Ploumen, qui affirme avoir<br />

reçu “des milliers de messages,<br />

depuis 150 pays, en vingt trois<br />

langues”. Les Pays Bas ont versé<br />

dix millions d’euros à ce fonds,<br />

rejoints par huit pays (Canada,<br />

Belgique…). D’autres initiatives<br />

ont été lancées les semaines<br />

passées. Par exemple : la Suède<br />

a accru son soutien aux<br />

programmes des Nations unies<br />

et le Royaume-Uni organisera<br />

un sommet en juillet pour récolter<br />

des financements. Et la France ?<br />

Mi-février, aucune décision n’avait<br />

été prise.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 39


AUDE GUILLOT<br />

SAPEUSE-POMPIÈRE VOLONTAIRE<br />

Texte de Camille Tidjditi | Photographies de Julien Faure


EN PREMIÈRE LIGNE DANS LE SECOURS AUX VICTIMES<br />

Engagée comme pompière volontaire à seize ans “pour faire<br />

comme son voisin”, Aude Guillot n’a plus jamais quitté la<br />

caserne. En près de vingt-trois ans d’engagement, elle a vu<br />

évoluer ce milieu très masculin : “Quand j’ai débuté j’étais<br />

la seule femme. C’était une première, l’uniforme n’était pas<br />

adapté. J’ai donc eu droit à des rangers : il n’y avait pas de bottes<br />

en 36 !”, s’amuse-t-elle. En France, 193 700 femmes et hommes<br />

ont choisi de s’engager au quotidien au service des autres, en<br />

parallèle de leur métier ou de leurs études.<br />

Au fil de son parcours, Aude Guillot découvre les différentes<br />

facettes de son engagement : “j’adore le secourisme. Je me<br />

suis découverte une vocation : aider les gens”. Accompagner et<br />

réconforter sont les autres bases de son engagement. Elle se<br />

souvient d’une petite fille qu’elle avait prise en charge pour une<br />

crise d’asthme. “Une semaine et demi après, elle s’est cassée la<br />

clavicule. Elle pleurait et réclamait ‘la femme pompier’. Quand<br />

elle m’a vu arriver, elle a eu tout de suite moins mal”. À côté de sa<br />

mission de pompière, Aude Guillot est assistante de gestion. Un<br />

métier plus sédentaire qui lui permet de rester disponible pour<br />

se porter au secours des autres. Elle confie aimer la montée<br />

d’adrénaline qui accompagne les appels pour une intervention<br />

sur le terrain. “C’est une belle vocation. Beaucoup de femmes<br />

pensent qu’elles ne pourraient jamais être pompières. C’est faux :<br />

elles ont assez de force physique pour assurer cette activité et<br />

souvent davantage de force psychologique”.<br />

“JE ME SUIS DÉCOUVERT UNE<br />

VOCATION : AIDER LES GENS.<br />

”<br />

Entrée comme pompière au grade de seconde classe, Aude Guillot<br />

a gravi les échelons jusqu’au grade d’adjudante. Son ambition ?<br />

Devenir un jour cheffe de centre. Elle avoue que son engagement<br />

est très prenant mais épanouissant. “Mes filles me disaient : ‘tu<br />

n’es pas une maman comme les autres. Elles, elles font des gâteaux<br />

le mercredi après-midi et toi, tu fais des massages cardiaques’”.<br />

Sa cadette ne serait pas contre marcher un jour dans les pas de<br />

sa mère. Peut-être chez les Guillot est-on en train d’inaugurer une<br />

lignée de sapeuses pompières de mère en fille… n<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I tous les métiers sont mixtes I 41<br />

FORMATION<br />

Pour les pompiers volontaires<br />

— Sans formation préalable, sur dossier<br />

de candidature : sapeur-pompier<br />

volontaire non-officier<br />

— À partir de bac + 2 pour les officiers<br />

Pour les pompiers professionnels<br />

— Après le brevet des collèges : concours<br />

de sapeur-pompier non-officier<br />

— À bac + 2 et + 3 : concours d’officiers<br />

de sapeur-pompier professionnel<br />

Sapeurs-pompiers militaires<br />

Sans formation et jusqu’à bac + 5 par un<br />

recrutement via un centre d’information et<br />

de recrutement des forces armées (CIRFA).<br />

Plus d’informations sur www.pompiers.fr


LES INNOVANTES<br />

Qu'est-ce qui vous a amenée à repenser le mode de travail au<br />

sein de votre entreprise ?<br />

En 2006, j’ai eu besoin de lever le nez du guidon. J’ai rejoint<br />

les réseaux féminins notamment. Là, j’ai pris conscience que<br />

je devais agir sur l’organisation du travail. J’ai mieux cerné<br />

la problématique des femmes qui, le soir, quittent souvent<br />

l’entreprise plus tôt que les hommes et de fait ne peuvent<br />

réseauter, se valoriser… Pour moi, la mixité est un engagement<br />

personnel et militant. J’ai donc agi pour la promouvoir au sein<br />

de ma société.<br />

Questions à<br />

ANNE-SOPHIE<br />

PANSERI<br />

PRÉSIDENTE DE MAVIFLEX<br />

Anne-Sophie Panseri a changé<br />

les règles du jeu au sein de Maviflex,<br />

en attaquant le présentéisme<br />

et en insufflant de la flexibilité.<br />

Et l'entreprise qu’elle dirige<br />

depuis 2000 s’en porte bien mieux !<br />

Quelles actions avez-vous mises en place ?<br />

Chez Maviflex, les bureaux ferment à 18 h 30 et moi aussi je<br />

pars ! Ça m’arrange aussi : je peux m’impliquer en dehors de<br />

l’entreprise et j’incite chacun.e à s’investir à l’extérieur, à aller<br />

chercher ailleurs de l’énergie, de la créativité…<br />

Par ailleurs, les réunions sont organisées entre de 9 h 30 et<br />

16 h 30. Elles sont timées, les participants arrivent à l’heure, les<br />

retardataires ne rentrent pas, question de respect.<br />

Ensuite, nous avons mis en en place un système de récupération<br />

qui permet aux salarié.e .s de faire face aux impératifs de la vie.<br />

Chacun.e dispose de deux heures de latitude pour parer au plus<br />

pressé – trouver une solution pour un enfant malade, se rendre<br />

chez le médecin, etc. - sans avoir recours à un arrêt de travail.<br />

Enfin, nous avons instauré les contrats parentaux : à la rentrée,<br />

les parents peuvent demander à modifier leurs horaires de<br />

travail sur l’année scolaire afin de pouvoir accompagner un<br />

enfant chez l’orthophoniste, à une activité…<br />

“LA MIXITÉ N’EST PAS UN SUJET<br />

DE FEMMES, MAIS UN SUJET CITOYEN.<br />

”<br />

Qu’est ce que cela a changé ?<br />

En accompagnant les salarié.e.s qui avaient recours aux arrêts<br />

de travail de courte durée, nous avons récupéré 170 jours<br />

travaillés. Ce système épargne du stress à ceux et celles qui<br />

devaient absorber une charge de travail imprévue. Ce dispositif<br />

est toujours utilisé à bon escient, dans le respect. Quant aux<br />

contrats parentaux, ils sont utilisés à 80 % par les hommes.<br />

C’est une bonne nouvelle : en œuvrant en faveur de la mixité<br />

– femmes-hommes, mais aussi de la mixité des fonctions, on<br />

apporte beaucoup à tout le monde. La mixité n’est pas un sujet<br />

de femmes, mais un sujet citoyen. L’équilibre entre vie privée et<br />

vie professionnelle insuffle de l’efficacité et de la productivité<br />

dans l’entreprise. n<br />

Propos recueillis par Anne Joly<br />

REPÈRES<br />

— Implantation : Décines (69).<br />

— Activité : fabrication de portes pour l’industrie et le commerce.<br />

— Chiffre d’affaires 2016 : 22 M€.<br />

— Nombre d’employé.e.s : 120.


ENTREPRENEURES<br />

En partenariat avec le Réseau économique féminin<br />

Par Anne Joly<br />

NEZ AU VENT<br />

POSITIVE WOMAN<br />

Le futur ne se dessinera pas sans<br />

Sofia Hmich et elle le veut positif.<br />

La très bonne élève qui a grandi<br />

en Seine-Saint-Denis vit aujourd’hui<br />

entre Londres et Paris avec un projet<br />

phénoménal : créer Future Positive<br />

Capital, un fonds d’investissement<br />

qui soutiendra “des entrepreneur.e.s<br />

qui ont la générosité de consacrer<br />

leur carrière à créer des produits<br />

utiles pour l’humanité.” Pour changer<br />

le monde, elle est en train de lever<br />

la bagatelle de trente millions d’euros…<br />

Celle qui a étudié à La Courneuve avant<br />

de rejoindre une prépa à Saint-Louis,<br />

squeezant au passage une entrée<br />

à Sciences Po via le programme de<br />

discrimination positive — “être choisie<br />

pour mon code postal me dérangeait”<br />

— a étudié à HEC avant de faire<br />

ses armes chez les plus grands noms<br />

de la finance et de la “tech” (Google,<br />

Deezer…). Mais ce qu’elle préfère<br />

raconter, c’est son investissement dans<br />

le développement d’associations comme<br />

Dessine-toi un avenir, le Labo des<br />

histoires ou en s’impliquant pour Frateli.<br />

Toujours pour soutenir, accompagner,<br />

encourager les plus jeunes.<br />

Il y a un an et demi, elle a donc quitté<br />

le grand fonds de capital-risque<br />

international qui l’employait, mue par<br />

l’idée “d’impacter le monde”, convaincue<br />

que “la valeur n’est pas que financière,<br />

mais réside aussi dans l’innovation,<br />

l’humain”. À vingt-neuf ans, Sofia Hmich<br />

offre un visage incroyablement sensible<br />

de la finance internationale.<br />

À tout juste trente ans, Caroline<br />

Van Renterghem peut se vanter<br />

d’avoir piqué la curiosité des<br />

visiteur.se.s du CES, en janvier,<br />

le rendez-vous mondial du<br />

high-tech à Las Vegas, avec son<br />

foulard antipollution connecté.<br />

Pour autant, le pari n’était pas<br />

gagné : au départ, elle avait<br />

l’air d’une blague, cette histoire<br />

de protection jolie, pratique<br />

et efficace contre les vilaines<br />

particules qui s’insinuent dans<br />

le nez des cyclistes ! La blague est<br />

vite devenue un défi à relever pour<br />

celle qui avait créé son propre label<br />

de musique électro quand elle était<br />

encore étudiante à Sciences Po.<br />

Après quelques années passées<br />

dans la mode puis l’évènementiel,<br />

un voyage en Asie et une école de<br />

théâtre, Caroline Van Renterghem<br />

se met donc en tête de développer<br />

son “Wair”. Si son idée séduit —<br />

elle remporte le défi Cisco et<br />

le BigBooster à Lyon — la porteuse<br />

de projet peine à la réaliser.<br />

Jusqu’à ce qu’elle rencontre<br />

celui qui devient son directeur<br />

technique. À ceux qui ont tôt fait<br />

de voir dans le duo “une miss mode<br />

et un mister techno”, elle répond<br />

fraîchement : “nos profils sont<br />

complémentaires”. Pour preuve :<br />

Wair dispose, quelques mois<br />

après sa création, d’un prototype<br />

fonctionnel et se réjouit d’avoir<br />

levé plus d’argent que prévu via<br />

une opération de crowdfunding.<br />

Foncièrement optimiste, Caroline<br />

Van Rentherghem affiche fièrement<br />

son business plan et ses 18 M€<br />

de chiffre d’affaires prévus en 2019.<br />

RENAISSANCE<br />

En matière d’agilité, Hélène Landron<br />

en impose. Destinée à être maquilleuse,<br />

elle est aujourd’hui directrice<br />

marketing et communication<br />

de Citygoo, start-up à l’origine<br />

d’une application de covoiturage urbain<br />

et instantané, qu’elle a cofondée<br />

avec Patrick Robinson. Entre ces deux<br />

métiers, plusieurs autres. D’abord<br />

responsable pédagogique, elle devient<br />

chercheuse en ethnologie au CNRS.<br />

À la fin des années quatre-vingt-dix,<br />

le secteur de l’internet explose.<br />

Elle s’y sent à l’aise et ne l’a plus quitté<br />

depuis. Hélène Landron en a connu<br />

les hauts, les bas, les bulles, les crises.<br />

Mais à chaque fois, ce sont de nouveaux<br />

apprentissages, des projets palpitants,<br />

une montée en responsabilités pour<br />

cette spécialiste du multimédia<br />

et de la stratégie digitale. Les projets<br />

capotent, parfois, mais elle se relève,<br />

toujours. Même après avoir piloté<br />

pendant sept ans elleadore.com,<br />

un magazine en ligne, avant de le voir<br />

revendu. Même après avoir vu s’éteindre<br />

Wengo, un site de mise en relation<br />

particuliers/ professionnels, quelques<br />

mois après y être entrée. “J’ai compris<br />

que je n’étais jamais meilleure<br />

qu’avec une feuille blanche à écrire”,<br />

confie-t elle, tout en reconnaissant<br />

l’importance de détenir aussi<br />

les cordons de la bourse. En tant que<br />

cofondatrice de Citygoo, elle ne jouit<br />

pas encore d’une “totale liberté”,<br />

mais défend son idée du management<br />

et du “travailler ensemble”. Aujourd’hui,<br />

elle “invente son job chaque jour” et,<br />

bien sûr, ça l’éclate.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I ENTREPRENEURES I 43


ÉCONOMIE<br />

en partenariat avec<br />

Royaume-Uni<br />

France<br />

RESSOURCES<br />

HUMAINES<br />

Dans le cadre de la loi égalité<br />

et citoyenneté du 27 janvier<br />

2017, des formations<br />

à la non-discrimination<br />

pour les recruteur.se.s<br />

exerçant dans des entreprises<br />

d'au moins 300 salarié.e.s<br />

et les celles spécialisées<br />

dans le recrutement seront<br />

désormais obligatoires.<br />

Ces formations devront avoir<br />

lieu au moins une fois tous<br />

les cinq ans. Une avancée<br />

attendue de longue date, pour<br />

éliminer les discriminations<br />

de genre dans la gestion<br />

des ressources humaines<br />

et la classification des emplois.<br />

Rappelons que dans<br />

le classement établi chaque<br />

année par le Forum économique<br />

mondial, sur le critère de<br />

l’égalité salariale, la France<br />

pointe à une piteuse 134 e place<br />

sur… 144 pays notés.<br />

France<br />

MESURER LA MIXITÉ<br />

Fixer des objectifs, c’est bien,<br />

pouvoir évaluer les progrès,<br />

c’est mieux. Six ans<br />

après l’adoption de la loi<br />

qui contraint les entreprises<br />

du CAC 40 à compter 40 %<br />

d’administratrices, l’indice<br />

Zimmermann a vu le jour.<br />

Il mesure la mixité dans<br />

les conseils d’administration,<br />

mais aussi dans les équipes<br />

dirigeantes des grandes<br />

sociétés cotées en bourse<br />

(CAC 40 et SBF 120). Cet<br />

indice, nommé en référence<br />

à Marie‐Jo Zimmermann,<br />

députée à l’origine de cette<br />

réforme législative, est calculé<br />

par l’Observatoire Ethics<br />

& Boards et l’Institut<br />

du capitalisme responsable.<br />

Sept entreprises ont été<br />

distinguées avec la première<br />

salve de ce nouvel indice, basée<br />

sur les données 2016 : Engie,<br />

l’Oréal, Korian, CNP Assurances,<br />

AXA, Orange et Technicolor.<br />

PAPAS POUPONNENT<br />

53 % des jeunes pères britanniques se disent<br />

prêts à accepter un travail moins prestigieux,<br />

s’ils peuvent passer plus de temps avec<br />

leurs enfants. 48 % affirment aussi qu’ils<br />

consentiraient à une diminution de leurs<br />

revenus pour obtenir un meilleur équilibre<br />

entre leur vie professionnelle et leur vie<br />

personnelle. “Le partage des responsabilités<br />

familiales à parts égales entre les pères et<br />

les mères est la clé pour réduire les écarts<br />

de rémunération entre hommes et femmes”,<br />

rappelle Maria Miller, présidente du Women<br />

and Equalities Commitee.<br />

MAUVAIS GENRE<br />

États-Unis<br />

Plutôt rester sans emploi que faire un boulot<br />

“de femme” : voici le choix fait par les potentiels<br />

chômeurs — hommes — américains. Selon une<br />

enquête du New York Times, alors que certaines<br />

professions “masculines” vont se réduire, voir<br />

disparaître à l’avenir, ceux qui les occupent ne<br />

sont pas prêts à se reconvertir dans des emplois<br />

traditionnellement occupés par des femmes,<br />

pourtant en pleine expansion (santé, services à la<br />

personne). Question de “de préjugés sur ce qu’est<br />

leur identité” estime un économiste d’Harvard.


100 %<br />

des “ 100 patrons français les plus<br />

performants”, selon le classement<br />

établi par Challenges, sont des hommes.<br />

Le magazine s’est défendu en expliquant<br />

qu’il ne s’agissait que de chefs<br />

d’entreprise en poste depuis trois ans.<br />

Or Sophie Bellon, par exemple, n’a pris<br />

la tête de Sodexo qu’au début 2016. . .<br />

Vous avez dit “plafond de verre” ?<br />

International<br />

France<br />

CONGÉ MINIMUM<br />

DIGITALES<br />

L’association Femmes pour<br />

le dire, femmes pour agir<br />

(FDFA) abrite désormais<br />

à Paris une “maison digitale”,<br />

financée par la Fondation<br />

Orange. Ce lieu permet<br />

de dispenser des formations<br />

au numérique afin<br />

d’accompagner vers l’emploi<br />

des femmes en situation<br />

de handicap. L’association<br />

lutte de longue date<br />

contre l’exclusion<br />

et la discrimination<br />

qui touchent les femmes<br />

handicapées et vient en<br />

aide à celles qui subissent<br />

des violences.“ L’objectif est<br />

de leur redonner confiance.<br />

Cette maison digitale<br />

est une ouverture vers<br />

l’extérieur”, estime Maudy<br />

Piot, fondatrice de FDFA<br />

(gauche sur la photo).<br />

Le groupe Kering a instauré depuis<br />

le 1 er janvier pour l’ensemble<br />

de ses 38 500 employé.e.s un congé<br />

maternité ou adoption minimum<br />

de quatorze semaines, ainsi que<br />

cinq jours de congé paternité<br />

ou partenaire. La règle est la même<br />

pour tous et toutes, dans près<br />

de soixante pays, sauf bien sûr<br />

sur les territoires où la législation<br />

locale prévoit des normes de congé<br />

parental plus avantageuses.<br />

Dans les États où les conditions<br />

sont moins favorables pour<br />

les salarié.e.s, ces congés “Kering”<br />

seront indemnisés à 100 % de<br />

leur rémunération. Ils constituent<br />

un grand pas en avant pour<br />

les employé.e.s de ces pays.<br />

À l'instar du géant du luxe,<br />

d’autres groupes mondiaux sont<br />

actuellement en train de mettre<br />

en place un “socle” de droits<br />

sociaux et une politique parentale<br />

identiques pour l’ensemble<br />

de leurs collaborateurs.trices, quelle<br />

que soit leur situation géographique.<br />

Espagne & Royaume-Uni<br />

RETOURS À LA TERRE<br />

Depuis la crise, les Espagnoles<br />

investissent massivement l’agriculture.<br />

46 % des exploitations laitières<br />

de la Galice sont désormais dirigées<br />

par des éleveuses. Pour accroître<br />

leur visibilité et valoriser leur travail,<br />

la Fédération des femmes rurales<br />

de Galice (Fademur) vient de créer Rural<br />

Muller, la première marque de lait produit<br />

exclusivement par des agricultrices.<br />

L’objectif est d’étendre le réseau<br />

de diffusion à toute l’Espagne.<br />

En Grande-Bretagne, le nombre<br />

d’agricultrices a bondi de 10 % entre 2010<br />

et 2013, portant à 28 % la féminisation<br />

de ce secteur. Par ailleurs, les formations<br />

agricoles britanniques ont attiré 25 %<br />

de femmes en plus en 2015.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Économie I 45<br />

23 %<br />

C’est la performance supplémentaire enregistrée pa<br />

les équipes mixtes par rapport aux équipes qui ne le sont<br />

pas, dans les métiers des sciences, des techniques<br />

et de l’innovation (STI). Cet écart atteint 20 % pour les seules<br />

entreprises françaises. “ La mixité est un pilier de croissance”,<br />

conclut l’étude Gender Scan de la société de conseil<br />

Global Contact, qui regrette en revanche une stagnation<br />

de la féminisation des doctorats dans ce secteur des STI.


REPORTAGE<br />

Chambre d'isolement dans un hôpital<br />

psychiatrique. Chaque année, nombre d'hommes<br />

violents plaident la folie de leur compagne.


FRANCE<br />

PSYCHIATRIE :<br />

SORTIR DE<br />

LA DOUBLE PEINE<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 47<br />

Chaque année, des femmes victimes de<br />

violences conjugales sont considérées<br />

comme malades mentales, gavées de<br />

médicaments et internées de force.<br />

Le résultat d’un manque de formation des<br />

soignant.e.s, d’un système psychiatrique<br />

inadapté et de complicités d’un autre âge.<br />

Des victimes parviennent pourtant à s’en<br />

sortir et des solutions existent.<br />

Textes et photographies de Cécilie Cordier (sauf mention)


Dans un hôpital psychiatrique. Face à des professionnel.le.s non formé.e.s sur les conséquences<br />

des violences qu'elles ont subies, des femmes sont diagnostiquées malades mentales et enfermées.<br />

fois que je tentais de le quitter, j’étais internée.<br />

Je me retrouvais en pyjama bleu, à baver dans un coin à<br />

cause du traitement. Je redevenais docile.” D’une voix<br />

basse et tremblante, les yeux perdus dans les collines<br />

varoises au cœur desquelles elle vit désormais, Gaïa<br />

“Chaque<br />

Rosfelder résume ainsi ses hospitalisations forcées en<br />

psychiatrie. Entre 2007 et 2014, elle a été enfermée à plusieurs<br />

reprises, lorsqu’elle menaçait de quitter son mari violent ou de<br />

porter plainte contre lui. À chaque fois, elle a reçu de très fortes<br />

doses de psychotropes et a été placée en chambre d’isolement.<br />

“On m’a dit que je devais être difficile à vivre, donc mon mari<br />

craquait. L’hôpital l’appelait pour avoir son avis sur moi. Il disait<br />

que j’étais folle…” On lui a prêté des délires de persécution<br />

lorsqu’elle racontait des violences, malgré les certificats de<br />

coups et blessures.<br />

soignant.e.s à l’accompagnement des victimes de violences,<br />

qui, faute de connaissances, concluent que la victime a une<br />

pathologie mentale. Une mécanique effrayante s’enclenche<br />

alors. “Elles vont être lourdement traitées pour des<br />

dépressions, des psychoses, des troubles de la personnalité,<br />

voire des déficiences mentales”, détaille-t-elle. “Le diagnostic<br />

psychiatrique joue toujours contre la victime. Sa parole est<br />

discréditée a priori.” Devant les services de police ou de justice,<br />

face aux services sociaux, la patiente psychiatrique n’est plus<br />

victime, mais suspecte. “Alors qu’elle révèle les conséquences<br />

des violences, une hospitalisation pour épuisement ou une<br />

tentative de suicide vont être utilisées comme des armes<br />

supplémentaires par l’agresseur”, explique Françoise Brié,<br />

directrice de l’association L’Escale, à Gennevilliers, qui accueille<br />

les femmes victimes de violences.<br />

“LE DIAGNOSTIC PSYCHIATRIQUE JOUE<br />

TOUJOURS CONTRE LA VICTIME.<br />

SA PAROLE EST DISCRÉDITÉE A PRIORI.<br />

”<br />

Un cas exceptionnel ? Malheureusement non. Les violences<br />

subies provoquent des symptômes physiques et psychiques<br />

parfois importants : “Ce sont des mécanismes de survie”,<br />

remarque Muriel Salmona, psychiatre spécialisée en<br />

psychotraumatologie et présidente de l’association Mémoire<br />

traumatique et victimologie. Elle dénonce, depuis de<br />

nombreuses années, la piètre qualité de formation des<br />

Ainsi, devant certains tribunaux, il vaut parfois<br />

mieux être agresseur que soignée. Durant l’une<br />

de ses hospitalisations, Gaïa Rosfelder a perdu<br />

la garde de ses enfants, confiés par le juge des<br />

enfants à leur père… alors emprisonné pour<br />

violences conjugales. Depuis, malgré des<br />

certificats psychiatriques démontrant sa<br />

bonne santé et une reconnaissance de son<br />

statut de victime par la justice familiale, elle doit se contenter<br />

de quelques heures de visites par mois. “C’est beaucoup trop<br />

court, même si on en profite le plus possible”, souffle-t-elle.<br />

Chez Valérie Dubois, en banlieue d’Orléans, il y a aussi des<br />

enfants absents. Les gâteaux qu’elle cuisine “seraient meilleurs<br />

s’ils étaient partagés avec eux”. Le sourire de cette assistante


d’éducation laisse place à l’angoisse lorsqu’elle<br />

évoque son hospitalisation psychiatrique<br />

contrainte. “La police est venue me chercher<br />

devant mes enfants. On rentrait de l’école.”<br />

Le 11 juin 2010, à la demande de son mari, son<br />

médecin traitant signe un certificat sans<br />

même l’avoir vue. L’hôpital psychiatrique de<br />

Fleury-les-Aubrais l’enferme. “J’y suis restée<br />

vingt-huit jours. J’ai perdu toute dignité :<br />

aucune intimité, aucun effet personnel, aucun droit.” Près de<br />

sept ans plus tard, elle se bat toujours pour récupérer ses<br />

enfants. Dans son salon s’entassent des centaines de pages de<br />

dossiers, reflet d’années de procédures contre l’homme qu’elle<br />

avait épousé et l’hôpital. Sa vie de mère reste en sursis : en<br />

dépit d’enquêtes qui lui sont favorables, elle ne peut toujours<br />

pas voir ses enfants plus de quelques heures par mois. “Mon<br />

mari a réussi à me punir. Il essayait depuis longtemps de me<br />

faire interner”, se souvient-elle. “Plusieurs fois, il a obtenu<br />

des ordonnances de neuroleptiques à mon nom, sans que j’aie<br />

consulté, prétendant que j’allais me suicider. D’autres fois, il<br />

me frappait puis appelait la police et SOS médecins pour dire<br />

que j’étais hystérique et dangereuse.” Même si la manœuvre<br />

échouait, elle jetait un doute indélébile sur les propos de la<br />

jeune femme.<br />

Le système est bien connu : “Les hommes violents se servent<br />

de ce qu’ils provoquent, comme le stress, l’angoisse ou les cris,<br />

pour faire qualifier leur femme de folle”, explique Maria Barbier,<br />

psychologue à L’Escale. “Le recours à la psychiatrie est une<br />

manière pour l’agresseur de se déresponsabiliser : ‘Je ne suis<br />

pas violent, elle est dingue.’”<br />

“LES HOMMES VIOLENTS SE SERVENT<br />

DE CE QU’ILS PROVOQUENT POUR FAIRE QUALIFIER<br />

LEUR FEMME DE FOLLE.<br />

”<br />

La stratégie fonctionne d’autant mieux si l’homme a une<br />

position sociale confortable. Sophie Dupont (prénom et nom<br />

d’emprunt), enseignante, a un ex-mari “bien placé”. Lorsqu’elle<br />

parvient enfin à parler à son médecin traitant des violences<br />

qu’elle subit depuis plusieurs années, elle espère trouver du<br />

soutien. En fait, le praticien contacte son mari, élu local. Celui-ci<br />

affirme qu’elle ment et qu’elle projette même de tuer leurs deux<br />

enfants. Sophie Dupont est alors hospitalisée en psychiatrie.<br />

Larmes aux yeux, cette grande brune se souvient avoir espéré<br />

y trouver un refuge : “Je me disais que je ne serais plus à sa<br />

portée et que j’allais pouvoir parler.” Or, l’équipe de soignant.e.s<br />

ne la croit pas et lui impose des entretiens avec son conjoint.<br />

“Organiser une confrontation ou une médiation, c’est faire<br />

porter à la femme une partie de la responsabilité des violences<br />

qu’elle a subies”, analyse Françoise Brié. “On mélange conflit<br />

et violences. Quand il y a violences, ce n’est pas un conflit qui a<br />

mal tourné, c’est un fonctionnement de fond avec un coupable<br />

et une victime.”<br />

“On assiste à un effet pervers de notre vision de la psychologie<br />

dans laquelle tout se réglerait par le dialogue. C’est<br />

impossible quand il y a violences”, ajoute Stéphanie Pache,<br />

Stéphanie Pache, médecin, a travaillé sur la psychothérapie féministe aux États-Unis, née dans les années 1970 :<br />

“Il fallait construire des connaissances afin de contrer les machistes et paternalistes.”<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 49<br />

© Virginie Nguyen Hoang / Hans Lucas


© Dragan Lekić/ Libre Arbitre<br />

Raphaël Mayet, avocat au barreau de Versailles, est proche du Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie (CRPA)<br />

et spécialiste de la défense des personnes abusivement internées. Selon lui, “quand il y a des enfants, le combat continue après l'hospitalisation :<br />

les juges croient les femmes dangereuses pour leurs enfants.”<br />

médecin en Suisse, chercheuse et autrice d’une thèse sur la<br />

psychothérapie féministe aux États-Unis. Les entretiens de<br />

couple peuvent être biaisés et culpabilisants : “Une alliance,<br />

consciente ou non, peut s’établir entre le thérapeute et le<br />

conjoint violent face à une patiente étiquetée folle et faible.”<br />

C’est le cauchemar qu’a vécu Sophie Dupont : “On me disait que<br />

mon mari souffrait, que je devais me remettre en couple, que<br />

j’avais un trouble de la personnalité. Ces gens m’ont détruite au<br />

lieu de me soigner.”<br />

“LES STÉRÉOTYPES SEXISTES PARTICIPENT<br />

À LA DÉCRÉDIBILISATION DES FEMMES<br />

ET DONC À LEUR ENFERMEMENT.<br />

”<br />

La psychiatrie a toujours été une arme dans la vie conjugale.<br />

Dès le XVI e siècle, des épouses ont été enfermées dans des<br />

asiles d’aliéné.e.s par leur mari parce qu’elles souffraient du<br />

rôle qu’il leur imposait. Les temps ont changé, mais certaines<br />

pratiques semblent avoir la vie dure. “C’est une attitude très<br />

paternaliste d’enfermer par la contrainte une femme victime,<br />

même s’il peut arriver que ce soit la seule solution disponible<br />

pour la mettre en sécurité à certains moments. Ce n’est pas une<br />

raison pour faire d’elle une malade et une coupable”, rappelle<br />

Stéphanie Pache. “Les stéréotypes sexistes participent à la<br />

décrédibilisation des femmes et donc à leur enfermement”,<br />

ajoute Françoise Brié, directrice de l’association L’Escale. “On<br />

parle de “fragilité psychologique”, de “plus grande sensibilité”<br />

ou de “natures manipulatrices”, ce qui est non seulement faux,<br />

mais en plus fait le jeu des agresseurs.”<br />

Quelle est l’ampleur de l’internement abusif des victimes de<br />

violences conjugales aujourd’hui ? Difficile d’avoir des chiffres.<br />

André Bitton, président du Cercle de réflexion et de proposition<br />

d’actions sur la psychiatrie (CRPA), affirme recevoir “plusieurs<br />

fois par mois” des demandes de soutien dans le cadre d’un<br />

internement abusif à la demande d’un conjoint violent. Dans<br />

le cabinet de Muriel Salmona, environ un tiers des<br />

patientes confiant des violences conjugales ont<br />

reçu “un faux diagnostic psychiatrique et parmi<br />

elles, un quart a subi une hospitalisation abusive<br />

de ce fait.”<br />

“Le système psychiatrique est fautif”, ose<br />

Philippe Champagne de Labriolle, médecin au<br />

centre hospitalier Daumezon de Fleury-les-<br />

Aubrais, qui s’était désolidarisé de ses confrères et consœurs<br />

et a soutenu Valérie Dubois dans la procédure contre son<br />

établissement. La loi sur l’hospitalisation contrainte tente de<br />

fixer des barrières : le.la médecin certificateur.trice ne doit<br />

pas avoir de lien de parenté jusqu’au quatrième degré avec<br />

le.la patient.e, des certificats intermédiaires sont à établir<br />

régulièrement dans l’établissement et le passage devant<br />

un.e juge est devenu systématique sous quinze jours pour<br />

les internements à la demande d’un.e représentant.e de<br />

l’État. Mais ce n’est pas suffisant. “Les liens d’intérêt ne sont<br />

pas forcément génétiques”, note Philippe Champagne de<br />

Labriolle. “Les certificats intermédiaires n’ont pas de valeur :<br />

rares sont les médecins qui vont contredire un confrère.


En psychiatrie, le doute ne profite jamais à l’interné.e.”<br />

Autrement dit, la protection légale des personnes hospitalisées<br />

sans consentement est largement insuffisante.<br />

“La psychiatrie est la seule spécialité où la parole du patient<br />

n’a pas de valeur”, observe de son côté Raphaël Mayet,<br />

avocat au barreau de Versailles, spécialisé dans la défense<br />

LES AUTORITÉS MÉDICALES BOTTENT EN TOUCHE<br />

Le milieu médical peine à se remettre en cause. “Ces femmes ne<br />

sont pas malades, mais que peut-on faire d’autre que les hospitaliser<br />

dans les situations de détresse ?” interroge Gisèle Apter, psychiatre<br />

et pédopsychiatre, membre du bureau du Syndicat des psychiatres des<br />

hôpitaux et présidente de la Société de l’information psychiatrique.<br />

Poussée dans ses retranchements, elle reconnaît toutefois que la<br />

psychiatrisation peut nuire, mais... “à cause des préjugés de la société<br />

sur la psychiatrie.” Et de rappeler : “Le problème en France est que la<br />

violence conjugale relève du social, donc on ne fait rien en médecine.<br />

Il n’y a aucune formation systématique, même en psychiatrie.” Alors<br />

que la loi du 9 juillet 2010 l’exige pourtant... Celle-ci stipule qu’une<br />

formation spécifique, initiale et continue, doit être délivrée (entre<br />

autres) aux médecins, personnels médicaux et paramédicaux, sur<br />

les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes et<br />

les mécanismes d’emprise psychologique. Par ailleurs, le réseau<br />

Solidarité femmes, qui gère le numéro de téléphone 39 19 Violences<br />

femmes info, édite un livret pour les professionnel.le.s de santé.<br />

“Il n’y a presque jamais d’hospitalisation contrainte non justifiée”,<br />

affirme de son côté Jean-Marie Faroudja, du Conseil national<br />

de l’Ordre des médecins. Pourtant, 8 à 9 % des hospitalisations<br />

non consenties sont annulées par le juge des libertés<br />

et de la détention. Et ce, malgré le fait que “les juges sont<br />

généralement frileux pour lever des mesures de contrainte.<br />

Par ailleurs, la mesure est souvent levée par le médecin juste avant<br />

le passage devant le juge”, remarque l’avocat Raphaël Mayet.<br />

Enfin, les établissements psychiatriques sont régulièrement<br />

épinglés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté<br />

(CGLPL) pour leurs abus. Des questions se posent autour des trop<br />

grandes restrictions de libertés des patient.e.s, jusqu’à l’isolement<br />

complet, de la contention physique trop utilisée, ou encore<br />

d’une “augmentation troublante” des hospitalisations contraintes<br />

pointées en 2012 et actuellement sujet d’une étude dans plusieurs<br />

régions.<br />

La justice a reconnu que l'hospitalisation contrainte de Valérie Dubois, en 2010, à l'hôpital<br />

psychiatrique de Fleury-les-Aubrais (45), n'était pas justifiée. Les certificats ne mentionnaient<br />

que des actes relatés par son mari et non constatés par le corps médical.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 51


des personnes internées contre leur gré. “Si le patient affirme<br />

qu’il n’a pas tel symptôme, le psychiatre conclut qu’il est dans le<br />

déni, donc malade. Ainsi, quand l’entourage du patient affirme<br />

qu’il présente certains troubles, le patient ne pourra jamais<br />

l’infirmer. Quand vous allez voir votre généraliste, si vous dites<br />

que vous n’avez pas mal au ventre, va-t-il quand même vous<br />

traiter pour un mal de ventre ?” L’autre dysfonctionnement du<br />

système de soin viendrait aussi du fait que “l’on considère à tort<br />

que l’entourage est forcément bienveillant”, ajoute-t-il.<br />

“JE ME SUIS RETROUVÉE FACE À UNE DÉFERLANTE<br />

DE VICTIMES. COMME SI J’OUVRAIS LES YEUX<br />

SUR UNE RÉALITÉ DONT J’IGNORAIS TOUT.<br />

”<br />

Le manque de formation des médecins s’ajoute aux défauts du<br />

principal outil utilisé en psychiatrie en France, l’épais Manuel<br />

diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM),<br />

qui ne propose par exemple aucun diagnostic tenant<br />

compte de violences subies en dehors du syndrome de<br />

stress post-traumatique. Pourtant d’autres approches<br />

existent. La littérature scientifique produite par le courant<br />

psychothérapeutique féministe américain dès les années<br />

1970, mais très peu exploitée en France, dénonce ainsi les<br />

travers sexistes des standards de la santé mentale. “C’est aux<br />

États-Unis aussi qu’ont été théorisés le cycle des violences<br />

conjugales et le syndrome de la femme battue, très utilisés dans<br />

les tribunaux américains”, observe Pauline Delage, sociologue<br />

et autrice d’une thèse sur les violences conjugales. Si toutes<br />

les victimes ne présentent pas ces symptômes, cette approche<br />

permettrait d’éviter certaines erreurs de diagnostic.<br />

De plus en plus de soignant.e.s se forment volontairement à la<br />

question des violences conjugales et de leurs conséquences.<br />

En particulier les médecins généralistes qui sont en première<br />

ligne : on estime qu’un quart de leurs patientes ont subi des<br />

violences sous une forme ou une autre au moins une fois dans<br />

leur vie. “Quand j’ai commencé à demander<br />

systématiquement aux femmes si elles<br />

avaient déjà subi des violences conjugales, je<br />

me suis retrouvée face à une déferlante de<br />

victimes. Comme si j’ouvrais les yeux sur une<br />

réalité dont j’ignorais tout”, se souvient Lori<br />

Savignac-Krikorian, médecin généraliste en<br />

Île-de‐France.<br />

L’enjeu du dépistage des violences est énorme : peu de femmes<br />

en parlent spontanément. “J’ai des patientes qui ont reçu des<br />

traitements pour des troubles anxieux ou dépressifs sans<br />

qu’on leur ait jamais posé la question des violences, alors que<br />

c’était la cause”, confie Armelle Grangé-Cabane, médecin<br />

généraliste à Paris. De même, “j’ai vu des erreurs de diagnostic :<br />

des reviviscences traumatiques prises pour des hallucinations !<br />

On pose un mauvais diagnostic lourd à porter, on donne un<br />

traitement éprouvant et inutile, et en plus on ne règle pas le<br />

problème.” Pourtant, même graves, les symptômes issus des<br />

violences subies sont réversibles. Muriel Salmona observe :<br />

“Il suffit de prendre en charge le psychotraumatisme de ces<br />

femmes pour les soigner !”<br />

Muriel Salmona est psychiatre, spécialisée en psychotraumatologie :<br />

“La psychiatrie considère les victimes comme folles parce qu'elle a été pensée par les mâles, pour les mâles.”


Dans les associations comme Du côté des femmes,<br />

à Pau (64), adhérente de la Fédération nationale<br />

des associations d’accueil et de réinsertion sociale<br />

et de la Fédération nationale solidarité femmes.<br />

Emmanuelle Descoubès (à gauche) et Mathilde Puts<br />

animent un groupe de parole. Trois femmes parlent<br />

de leur prise de conscience des violences subies.<br />

Les femmes sont accompagnées, mais autonomes.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 53


Désormais formatrice en matière de violences conjugales<br />

auprès des internes de médecine générale de l’université<br />

Paris-Descartes, Armelle Grangé-Cabane s’est créé un réseau<br />

de professionnel.le.s capables d’accueillir les victimes, un<br />

relais essentiel dans le chemin vers le rétablissement. “Je<br />

sais où adresser mes patientes qui ont besoin de soutien, la<br />

formation que j’ai suivie m’a donné les outils et les contacts<br />

nécessaires”, explique Pierre de Bremond d’Ars, médecin<br />

généraliste en Île-de-France. “Cette formation m’a aussi<br />

permis de ne pas m’emballer, mais d’accompagner et d’être<br />

attentif aux symptômes que je serais d’abord tenté de<br />

mettre sur le compte d’une affection psychiatrique.”<br />

CHIFFRES<br />

——<br />

58 % des victimes de violences familiales (jusqu’à 80 %<br />

si violences sexuelles) risquent de développer un syndrome<br />

de stress post-traumatique (SSPT).<br />

——<br />

Les femmes victimes de violences conjugales et/ou sexuelles<br />

ont 25 fois plus de risques de commettre une tentative de suicide<br />

que les autres.<br />

——<br />

50 % des victimes de violences, toutes formes confondues,<br />

tombent dans des comportements à risques : dépendance<br />

à l’alcool, à la drogue ou aux médicaments, troubles<br />

du comportement alimentaire.<br />

——<br />

22 à 35 % des femmes qui consultent dans les services d’urgence<br />

présentent des symptômes consécutifs aux violences conjugales<br />

et/ou sexuelles, alors que seulement 2 % sont identifiées comme<br />

victimes aux urgences.<br />

——<br />

29 % des victimes de violences conjugales en parlent<br />

à un médecin.<br />

——<br />

52 à 72 % des femmes hospitalisées dans un service<br />

de psychiatrie et 64 % adressées à un psychiatre sont victimes<br />

de violences, toutes formes confondues.<br />

——<br />

Les femmes victimes de violences consultent en moyenne<br />

deux fois plus un.e professionnel.le de la santé mentale,<br />

et consomment en moyenne deux fois plus de psychotropes,<br />

que les autres.<br />

——<br />

Avoir été victime de violences conjugales fait perdre un à<br />

quatre ans de vie en bonne santé.<br />

——<br />

Avec une prise en charge spécialisée, 80 % des femmes<br />

constatent une amélioration significative de leur santé psychique,<br />

47 % une amélioration de leur santé physique.<br />

Sources : Campbell et al (1994), Olson (1996), Maza (1996), Insee/ONDRP (2010-<br />

2012), Drees (2005-2006), OMS (1997, 2002), Salmona (2015).<br />

La Fédération nationale solidarité femmes édite un livret de conseils pour les professionnel.le.s<br />

de santé rencontrant des femmes victimes de violences conjugales.


Une autre attitude est l’empowerment. Ce terme employé depuis<br />

des décennies par les féministes américaines recouvre, entre<br />

autres, la capacité pour les femmes à (re)prendre leur vie en<br />

mains, à (re)connaître leurs valeurs et à (re)trouver leur pouvoir<br />

d’agir. Ce concept permet d’offrir deux étapes aux victimes<br />

de violences. La reconnaissance en tant que<br />

victimes (et non malades), puis la certitude<br />

de leur capacité à construire leur vie par ellesmêmes.<br />

L’empowerment est la philosophie des<br />

associations adhérentes du réseau Solidarité<br />

femmes. À Pau, Du côté des femmes l’applique<br />

activement. “Nous accueillons les femmes dans<br />

des appartements autonomes : nous voulons<br />

leur montrer qu’elles sont capables de vivre<br />

seules”, explique Christine Lavie, sa directrice.<br />

“Bien sûr, nous sommes à leur disposition, mais<br />

le but est de ne pas les déraciner de la vie.” Pas question de les<br />

enfermer dans une structure. L’association offre la sécurité et<br />

un soutien adapté aux besoins de chacune et de leurs enfants. La<br />

centaine de personnes hébergées chaque année bénéficie aussi<br />

de temps collectifs, comme des groupes de parole, ou de détente.<br />

À Gennevilliers, L’Escale offre le même élan de vie aux 500 à 600<br />

femmes qui font appel à elle chaque année. “Elles sont toujours<br />

impliquées dans les décisions, c’est leur parcours et nous<br />

respectons leur rythme, leur autonomie”, souligne la directrice,<br />

Françoise Brié.<br />

Dans le salon de Valérie Dubois, les milliers de pages des dossiers témoignent de la difficulté<br />

de son combat contre l'hôpital et son ex-conjoint, qui l'ont enfermée abusivement.<br />

Le médecin qui a fait interner Valérie Dubois a été condamné<br />

pour faux et usage de faux et le caractère abusif de son<br />

hospitalisation a été reconnu. Elle vit aujourd’hui avec son<br />

nouveau compagnon, qui la soutient dans toutes ses démarches<br />

pour vivre à nouveau avec ses enfants.<br />

“L'EMPOWERMENT RECOUVRE, ENTRE AUTRES,<br />

LA CAPACITÉ POUR LES FEMMES À (RE)PRENDRE<br />

LEUR VIE EN MAINS, À (RE)CONNAÎTRE LEUR VALEUR<br />

ET À (RE)TROUVER LEUR POUVOIR D’AGIR.<br />

”<br />

Sophie Dupont est désormais sortie de l’engrenage grâce à<br />

une association d’aide aux victimes, où elle a été soulagée<br />

d’entendre qu’elle était saine d’esprit. “Mais cet événement<br />

influencera toujours les jugements qui seront portés sur<br />

moi. Il est difficile de ne plus se considérer comme une<br />

malade mentale, une fois que deux institutions, médicale et<br />

judiciaire, l’ont décrété”, observe-t-elle. “J’ai rencontré plusieurs<br />

médecins pour me rassurer. J’ai mis trois ans à récupérer mes<br />

enfants. Je vais bien, mais il faut une très grande force et un<br />

entourage solide.” n<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 55<br />

Ce samedi-là, Gaïa Rosfelder retrouve ses deux filles<br />

adolescentes après deux mois sans contact. Elle tente de<br />

resserrer les liens distendus par la justice et puise sa force dans<br />

sa volonté de réunir ses trois enfants. La jeune mère a refait sa<br />

vie et eu un petit garçon de cette nouvelle union, qui adore jouer<br />

avec ses sœurs.


Gaïa Rosfelder a un seul<br />

objectif : récupérer la garde<br />

de ses filles, confiées durant<br />

l'une de ses hospitalisations<br />

forcées à son ex-mari, condamné<br />

pour violences conjugales.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 57


NOUVELLES D'ICI ET AILLEURS<br />

Mexique<br />

Allemagne<br />

GRAND-MÈRE<br />

DÉSOBÉISSANTE<br />

Son sac annonce la couleur…<br />

“Gegen Nazis” (“contre<br />

les nazis”). Dedans : grattoirs,<br />

dissolvants et bombes<br />

de peinture. Inlassablement,<br />

Irmela Mensah-Schramm,<br />

soixante-douze ans, traque<br />

dans les rues de Berlin<br />

les messages de haine,<br />

racistes, antisémites,<br />

homophobes… Elle avait<br />

commencé en 1986, détruisant<br />

un appel à la libération<br />

de Rudolf Hess. Depuis, elle a<br />

“décidé d’arrêter de regarder<br />

ailleurs” face à ce type<br />

d’inscription. En trente ans,<br />

elle a effacé ou détourné<br />

plus de 65 000 stickers et<br />

130 000 tags. Elle a également<br />

entrepris un colossal travail<br />

d’archives en conservant<br />

ou en prenant en photo<br />

ces messages pour mieux<br />

les dénoncer. En janvier, pour<br />

la première fois de sa vie,<br />

Irmela Mensah-Schramm s’est<br />

vue condamnée à une peine<br />

de prison avec sursis et à payer<br />

une amende de 1 800 euros<br />

pour dégradation de biens<br />

privés. Pas de quoi arrêter<br />

cette activiste, estimant que,<br />

contrairement à ses actes<br />

de désobéissance civile, c'est<br />

la culture de la haine qui laisse<br />

des traces indélébiles.<br />

Irlande<br />

LASSES D’AT TENDRE<br />

Les Irlandaises en ont assez d’attendre<br />

patiemment d’avoir les mêmes droits<br />

que les autres Européennes en matière<br />

d’IVG. Les initiatives pro‐choix<br />

se multiplient. Le mouvement Repeal<br />

The 8th (“abrogation du 8 e amendement<br />

de la constitution”, qui interdit<br />

l’avortement depuis 1983) fédère<br />

désormais près de 3 000 artistes :<br />

photographes, peintres,<br />

musicien.ne.s… dont la chanteuse<br />

Sinéad O’Connors ou l’autrice<br />

Anne Enright, lauréate du prix Booker.<br />

De son côté, le collectif Strike 4 Repeal<br />

a adressé un ultimatum au gouvernement :<br />

soit un référendum est organisé<br />

pour supprimer cet amendement,<br />

soit il y aura un appel à la grève<br />

générale le 8 mars. Pour la première<br />

fois de son histoire, l’État irlandais a dû<br />

indemniser une de ses ressortissantes,<br />

qui avait été contrainte de se rendre<br />

en Grande-Bretagne pour avorter<br />

d’un fœtus qui n’avait aucune chance<br />

de survie. Une situation jugée “cruelle<br />

et inhumaine” par le Comité des droits<br />

humains de l’ONU qu’elle avait saisi.<br />

COMBATTANTE<br />

Ana Gabriela Guevara, sénatrice<br />

du parti du travail et championne<br />

de sprint, circulait à moto lorsqu’elle<br />

a été percutée par une camionnette.<br />

Quatre hommes en sont sortis<br />

et l’ont rouée de coups. Souffrant<br />

d’un traumatisme facial, sous<br />

le choc, l’athlète témoigne alors<br />

sur les réseaux sociaux. Certain.e.s<br />

la soutiennent, mais les insultes<br />

fusent aussi, avec le hashtag<br />

“frapper une femme c’est<br />

du bonheur”. Le ministre de l’Intérieur<br />

a reconnu que cette agression<br />

“a rendu visibles les conditions<br />

de vie de milliers d’autres femmes”.<br />

La moitié des Mexicaines déclarent<br />

avoir subi des violences, mais rares<br />

sont celles qui portent plainte.<br />

La sénatrice a annoncé qu’elle<br />

mènera “un combat contre<br />

l’impunité : ces marques<br />

sur mon visage me rappelleront<br />

en permanence ma lutte contre<br />

les violences de genre.”


Japon<br />

France<br />

ENTRAVE NUMÉRIQUE<br />

La proposition de loi pénalisant<br />

les sites de désinformation sur l’IVG<br />

a été adoptée définitivement<br />

mi-février en dernière lecture<br />

par l’Assemblée nationale. Le délit<br />

d’entrave à l’IVG est étendu<br />

à “la transmission d’allégations<br />

ou d’indications de nature<br />

à induire intentionnellement<br />

en erreur, dans un but dissuasif,<br />

sur les caractéristiques<br />

ou les conséquences médicales<br />

d’une interruption volontaire<br />

de grossesse”. Ce délit, créé en<br />

1993 prévoit des peines pouvant<br />

aller jusqu’à deux ans de prison<br />

et 30 000 euros d’amende.<br />

Cette proposition de loi a été<br />

âprement combattue au cours<br />

des mois passés par l'extrême<br />

droite et une partie de la droite<br />

et de l’Église catholique, au nom<br />

de “la liberté de conscience”,<br />

“d’expression” et d'une “atteinte<br />

aux principes de la démocratie”.<br />

Des député.e.s Les Républicains<br />

ont annoncé leur intention de saisir<br />

le Conseil constitutionnel.<br />

International<br />

NIQAB INTERDIT<br />

Le Maroc a prohibé début janvier le voile<br />

intégral sans que le royaume en fasse<br />

officiellement l’annonce. Les autorités<br />

locales des principales villes du pays ont<br />

sommé les fabricant.e.s et les vendeur.<br />

se.s de ce type de vêtement couvrant<br />

le visage d’arrêter leur activité sous<br />

48 heures, mettant en avant des raisons<br />

de sécurité.<br />

En Europe, le gouvernement autrichien<br />

a annoncé le 31 janvier son intention<br />

de bannir niqab et burqa de l’espace<br />

public et les député.e.s néerlandais.e.s<br />

ont également voté fin novembre une loi<br />

dans ce sens. Enfin, en décembre,<br />

la chancelière allemande Angela Merkel<br />

s’est déclarée favorable à une mesure<br />

similaire.<br />

CULMINANTE<br />

Gravir les points culminants<br />

des sept continents<br />

et atteindre les deux pôles<br />

avant sa vingtième année,<br />

c’est le défi que s’est<br />

fixée Marin Minamiya,<br />

une étudiante japonaise.<br />

À 19 ans, il ne lui reste plus<br />

qu’à atteindre le Pôle Nord<br />

pour réaliser son objectif.<br />

Et devenir ainsi la plus jeune<br />

sportive à réussir l’Explorers<br />

Grand Slam, bouclé par<br />

seulement cinquante et<br />

un aventurier.e.s. Passionnée<br />

par l’alpinisme depuis<br />

l’âge de treize ans, Marin<br />

Minamiya n’a pas froid<br />

aux yeux : entre janvier 2015<br />

et juillet 2016, elle a gravi<br />

l'Aconcagua (Amérique du<br />

Sud), le Kilimandjaro (Afrique),<br />

le massif Vinson (Antarctique),<br />

le mont Kosciuszko (Australie),<br />

l'Elbrouz (Europe), l'Everest<br />

(Asie) et le Denali (Amérique<br />

du Nord). Son départ pour<br />

le Grand Nord est prévu en avril<br />

2017. Ensuite, elle entend<br />

réaliser… le tour du monde<br />

à la voile !<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d'ici et ailleurs I 59


5 %<br />

des Indiennes choisissent seules leur conjoint, selon un sondage<br />

de l'Indian Human Development Survey menée auprès de plus<br />

de 35 000 femmes pendant huit ans. 65 % découvrent leur futur<br />

époux peu de temps avant ou le jour même de leur mariage.<br />

Maroc<br />

CHEVAUCHÉES<br />

FANTASTIQUES<br />

La fantasia est de plus<br />

en plus investie<br />

par les Marocaines.<br />

Simulant une charge<br />

militaire, cette discipline<br />

équestre berbère<br />

allie courses, figures<br />

de voltige et tir.<br />

Hanane Boulhimz,<br />

surnommée<br />

“la cavalière de l’Atlas”,<br />

est la première à avoir<br />

pénétré ce monde<br />

masculin et martial.<br />

Fondée en 2005,<br />

son équipe d’amazones<br />

est la première<br />

à avoir supplanté,<br />

il y a peu, des équipes<br />

masculines. Son succès<br />

a fait des émules : six<br />

équipes de femmes<br />

pratiquent aujourd’hui<br />

la fantasia au Maroc.<br />

Seul bémol, elles n’ont<br />

pas encore accès au<br />

championnat national,<br />

mais des compétitions<br />

entre cavalières<br />

pourraient bientôt<br />

être organisées.<br />

En attendant, elles ont<br />

su relever les défis et<br />

bousculer les traditions.<br />

Népal<br />

RÈGLES INTOUCHABLES<br />

Depuis 2007, au moins huit Népalaises<br />

sont mortes lors du Chaupadi,<br />

une pratique qui consiste à isoler<br />

les femmes dans des abris de fortune<br />

pendant leurs règles. Cette coutume<br />

subsiste dans l’Ouest du pays malgré<br />

son interdiction en 2005 par la Cour<br />

suprême du Népal. Dans ces cabanes<br />

insalubres, les femmes et les jeunes filles<br />

sont exposées au froid, aux maladies<br />

ou même parfois aux attaques d’animaux<br />

sauvages. Privées de contact physique<br />

avec les autres, elles sont déscolarisées<br />

et ne peuvent pas utiliser l’eau publique.<br />

Le gouvernement envisage désormais<br />

de punir les familles imposant ce rituel.<br />

France<br />

PARITÉ KEZAKO ?<br />

Ni Les Républicains (LR), ni le Parti socialiste<br />

(PS), les deux partis historiques<br />

de gouvernement, n’ont pas vraiment<br />

montré l'exemple lors de leurs primaires.<br />

Loin s'en faut.<br />

Nathalie Kosciusko-Morizet a été la seule<br />

femme à pouvoir in extremis s'immiscer<br />

parmi les candidat.e.s de la droite<br />

et du centre, en novembre. La députée LR<br />

a été largement plus interrompue<br />

que ses homologues, au cours du dernier<br />

débat télévisé : vingt-sept fois contre neuf<br />

à douze fois pour ses six autres concurrents<br />

masculins.<br />

De l'autre côté, pour la primaire citoyenne,<br />

ce fut zéro pointé pour le PS : l’unique<br />

concurrente, Sylvia Pinel, représentait<br />

le PRG (radicaux de gauche).<br />

Nouvel épisode : les investitures pour<br />

les prochaines élections législatives.<br />

Toutes les formations ne sont pas encore<br />

en ordre de marche, mais l'on sait déjà<br />

que Les Républicains proposent deux<br />

fois plus d’hommes que de femmes<br />

candidat.e.s, préférant payer une amende<br />

plutôt que de respecter la loi sur la parité.<br />

Cette sanction devrait s’élever à environ<br />

trente-cinq millions d’euros.


MON CORPS, MES CHOIX<br />

En partenariat avec l’Association nationale des sages-femmes libérales<br />

L’OXYTOCINE,<br />

C’EST PAS<br />

AUTOMATIQUE !<br />

Le Collège national des sages-femmes<br />

de France a rendu ses premières<br />

recommandations sur l’usage<br />

de l’oxytocine, un accélérateur<br />

d’accouchement très (trop ?) utilisé.<br />

Texte de Sandrine Boucher<br />

est une hormone naturelle secrétée pendant<br />

l’accouchement pour stimuler les contractions<br />

de l’utérus. Depuis les années soixante-dix, elle est<br />

disponible en version synthétique (l’oxytocine) sous le<br />

nom de Syntocinon<br />

L’ocytocine ® . Ce médicament, indiqué en cas<br />

de contractions insuffisantes, est désormais souvent<br />

administré pour diriger les accouchements sans complications.<br />

L’objectif est de diminuer les risques liés à un travail prolongé<br />

pour la mère et l’enfant. 64 % des parturientes se voient<br />

ainsi injecter de l’oxytocine, dont près d’un tiers n’en a pas été<br />

informé ou ne s’en souvenaient pas.<br />

Ce produit n’est pourtant pas anodin : il double quasiment le<br />

risque d’une hémorragie grave. “Il était logique que les sagesfemmes<br />

s’interrogent sur cette hormone, qu’elles utilisent<br />

quotidiennement pour faciliter le travail”, observe Sophie<br />

Guillaume, présidente du Collège national des sages-femmes de<br />

France (CNSF) qui, pour la première fois de son histoire, investit<br />

le champ de la recherche en publiant ses recommandations de<br />

pratiques cliniques (1) .<br />

La réévaluation de l’usage de l’oxytocine renvoie à la question de<br />

ce qu’est un travail normal. “Le sujet n’intéressait pas beaucoup<br />

la médecine. Nous étions encore sur des conceptions des<br />

Charles Leplae, Deux femmes enceintes, 1953, Middelheimmuseum, Pays-Bas<br />

années 1950. Il faut attendre 2010 pour qu’une étude chinoise<br />

mette en évidence la nécessité de laisser plus de temps à la<br />

phase de latence et qu’une phase de dilatation peut être parfois<br />

moins rapide tout en restant normale”, poursuit-elle. La définition<br />

ancienne de ces phases a conduit à un interventionnisme excessif<br />

de la part des soignant.e.s, estime le CNSF.<br />

Le Collège recommande désormais de “savoir attendre”<br />

pendant la phase “cruciale” de latence, fixe le début de la<br />

phase active à cinq-six centimètres de dilatation contre trois à<br />

quatre et remet en cause l’idée reçue voulant que la péridurale,<br />

demandée dans 85 % des naissances, ralentisse le travail.<br />

“Le temps de la naissance sera sans doute plus long dans les<br />

années à venir. Savoir attendre ne signifie pas qu’on va laisser<br />

les femmes en souffrance ! L’oxytocine est un produit qui<br />

rend de grands services, mais il faut l’administrer de manière<br />

raisonnée, afin que l’accouchement soit le mieux respecté et le<br />

plus physiologique possible”, souligne Sophie Guillaume. D’où<br />

l’importance de la préparation à la naissance et à la parentalité,<br />

pour savoir ensuite poser les bonnes questions au moment de<br />

l’accouchement. n<br />

(1) En partenariat avec le Collège national des gynécologues et obstétriciens français<br />

(CNGOF), l’INSERM, le collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE, qui<br />

représente les patient.e.s et les usager.ère.s), un pédiatre et un anesthésiste.<br />

L’Association nationale des sages-femmes libérales est une<br />

association loi de 1901 qui a pour but la revalorisation et la défense<br />

de la profession de sage-femme libérale en France. Pour plus<br />

d'informations : http://ansfl.org<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Mon corps, mes choix I 61


CHRONIQUE RURALE MAIS PAS RINGARDE<br />

AU BOIS DE MON CŒUR<br />

Conter fleurette. Effeuiller<br />

la marguerite. Aller aux fraises.<br />

Si les princesses des contes<br />

de fées attendaient sagement<br />

leur chevalier dans la forêt,<br />

les femmes de nos campagnes<br />

ont aujourd’hui bien d’autres<br />

manières pour trouver l’âme<br />

sœur que d’embrasser tous<br />

les crapauds qui passent.<br />

– O<br />

n a un nouveau voisin dans la ferme d’en haut.<br />

— Ah bon ? Il est venu seul ?<br />

— Avec son chien. Et il est charmant.<br />

— Parfait. Il faut lui faire rencontrer Séverine.<br />

Tchip, tchip, c’est le printemps. Les hirondelles reviennent. Les urbain.e.s<br />

aussi ! Il y en aura du brassage, entre les soirées estivales, les brocantes,<br />

les concerts… De quoi favoriser la vocation de marieuse des copines,<br />

qui ont remplacé les marieurs d’antan. Une grande pudeur entoure les<br />

sentiments dans nos montagnes. Si les yeux pétillent à l’évocation des<br />

clichés champêtres, l’amour à la campagne est comme les bottes de foin :<br />

pas toujours très confortable !<br />

Chez les Odettes, Cécile, Nathalie et Florence (tous les prénoms ont été<br />

changés pour respecter l’anonymat de nos témoins !) sont venues vivre<br />

ici par amour pour un Ardéchois “impossible à déraciner”. Alors, elles<br />

ont épousé un homme, mais également son territoire… Parfois même,<br />

son métier ! Ainsi, Sophie s’est découvert une passion pour la ferme : elle<br />

s’occupe du site internet, accueille les woofers et vend sur place les produits<br />

de son compagnon, Sébastien.<br />

Les agriculteurs sont plus souvent célibataires (26 %) que les agricultrices<br />

(10 %). Mais les métiers de la terre et la vie rurale ont bien changé. Ils ne<br />

sont plus ni des repoussoirs, ni des tue-l’amour, et encore moins lorsque<br />

ce sont les femmes qui manient le tracteur et la fourche ! “Seuls les clichés<br />

ont la vie dure !” rit Agnès, productrice de fromages de chèvre : “Je n’ai pas<br />

l’impression qu’il est plus difficile pour nous qui travaillons la terre de trouver


PAR<br />

l’âme sœur”. Et c’est bon signe : “Le facteur qui permet le mieux<br />

de prédire le développement agricole d'un département est<br />

le pourcentage de femmes qui s'y installent”, estiment Raul<br />

Magni Berton, professeur à Sciences Po Grenoble et François<br />

Facchini, du Centre d'économie de la Sorbonne (Le Monde du<br />

23 septembre 2011).<br />

Pas mal de couples formés au lycée ont depuis fondé une<br />

famille. Lucille Weiss et Jonathan Croze se connaissent depuis<br />

longtemps. Après leurs études à Lyon, ils sont revenus à<br />

Désaignes pour ouvrir La Source, un bar artistique où tou.te.s<br />

pourront se rencontrer. Cependant, les jeunes qui se côtoient<br />

depuis leurs plus tendres années développent parfois une<br />

complicité plus fraternelle qu’amoureuse. Il leur faut alors<br />

chercher plus loin pour rencontrer l’amour.<br />

Notre voisine Huguette, l’air coquin, se souvient : “Ah, la vogue<br />

d’Alboussière ! On se retrouvait en bandes de jeunes venant<br />

de tous les villages voisins et on suivait la “sono ambulante” :<br />

la bande de Gilhoc, la bande de Lamastre… C’est comme ça<br />

qu’on se rencontrait ! On se mariait bien souvent avec le garçon<br />

du village d’à côté. Ailleurs, c’était l’inconnu !” D’ailleurs, un<br />

proverbe disait “celui qui va derrière la montagne ne sait pas<br />

ce qu’il va y trouver”, explique l’ethnologue Sylvette Béraud<br />

Williams, qui a travaillé sur l’évolution du mariage en Ardèche<br />

(La noce ardéchoise, éditions La Mirandole, 1990). Il y avait de<br />

nombreux moments pour se retrouver, entre les mariages, les<br />

fêtes des reboules, toujours célébrées en août, qui marquent<br />

la fin des grands travaux agricoles, les veillées châtaignes…<br />

Aujourd’hui, impossible de nier le rôle du club de badminton<br />

dans l’intégration des nouveaux et nouvelles<br />

venu.e.s, de sous-estimer la force des<br />

associations et plus généralement de la vie<br />

sociale. Ainsi, Véronika et Francine se sont<br />

fondues dans le paysage : “Nous avons très<br />

vite rencontré un super réseau d’amis…<br />

C’est aussi parce que nous sommes arrivées<br />

ensemble et que nous sommes discrètes.<br />

Cela a été beaucoup plus dur pour notre amie<br />

Marlène, qui a eu tant de mal à rencontrer une amie qu’elle a finie<br />

par repartir… Aura-t-elle plus de chance en ville ?”<br />

Dans un territoire où tout le monde se connaît, on a vite<br />

l’impression d’avoir fait le tour des célibataires… Alors,<br />

des initiatives originales se créent : soirée organisée par la<br />

Mutualité sociale agricole (MSA) pour aider les agriculteurs.<br />

trices à trouver un.e partenaire, speed dating ce soir au bar<br />

Les Odettes sont un collectif de femmes de l’Ardèche<br />

(mais pas que). Initialement mobilisées sur le retour à l’emploi,<br />

elles ont créé en 2011 le magazine Odette&Co, seul titre en France<br />

consacré aux femmes et à la ruralité. Travaillant en réseau,<br />

elles participent à l’émergence d’initiatives locales, collectives<br />

et citoyennes. Leur mot d’ordre : “Osons !”<br />

Pour nous transmettre vos trouvailles et pour en savoir plus sur<br />

les exemples cités, n’hésitez pas à vous connecter sur notre site ;<br />

odetteandco.com<br />

Des pas de danse et des rencontres au bar artistique<br />

La Source, à Désaignes, en Ardèche.<br />

Chez Mag… Et puis, comme partout, la révolution internet est<br />

passée par nos contrées, abolissant la barrière des kilomètres !<br />

“JF amoureuse de la verdure aimerait prendre la clé des champs<br />

avec bel homme bohème.” Les petites annonces dans le journal<br />

local côtoient les sites de rencontres thématiques. C’est ainsi<br />

que certain.e.s peuvent chercher l’élu.e de leur cœur en toute<br />

discrétion. Rose-Marie a créé Amour bio, à l’origine pour aider<br />

son fils à trouver une compagne. Objectif atteint puisqu’elle est<br />

“DANS UN TERRITOIRE OÙ TOUT LE MONDE<br />

SE CONNAÎT, ON A VITE L’IMPRESSION<br />

D’AVOIR FAIT LE TOUR DES CÉLIBATAIRES...<br />

”<br />

désormais grand-mère ! Et pour les autres ? Anne nous confie :<br />

“Grâce à ce site, j’ai pu rencontrer des gens d’ailleurs avec les<br />

mêmes engagements que moi.” Elle ajoute avec un clin d’œil :<br />

“L’inconvénient chez nous est qu’on connaît les travers de tout<br />

le monde. En plus avec mon commerce, je ne peux pas faire ce<br />

que je veux avec qui je veux sans avoir les cancans derrière.<br />

Alors, on se donne rendez-vous dans les grandes villes…”<br />

Le premier pas, qui le fera ? Qui l’attrapera ? Entre deux éclats<br />

de rire, les langues se délient et les souvenirs affleurent. Ils<br />

dévoilent la réalité à la fois éternelle et mouvante de la ronde<br />

des sentiments…<br />

— Tu sais, le fameux voisin d’en haut ?<br />

— Celui qui est pour Séverine ?<br />

— Ben il est avec Fabrizio maintenant.<br />

— Non !<br />

— Ben si. Mais en fait, il a un frère. Charmant aussi.<br />

[Silence]<br />

— Tu crois qu’ils viendront au cinéma samedi ? Je vais inviter<br />

Séverine. n<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Chronique rurale mais pas ringarde I 63


CHRONIQUE LYCÉENNE<br />

FILLES, GARÇONS :<br />

PEUT-ON S’HABILLER COMME ON VEUT ?<br />

En théorie, chacun.e a le droit de choisir<br />

librement ses vêtements et son style.<br />

Mais il y a les règlements, la mode<br />

ou encore le regard des autres.<br />

Et ceux‐ci pèsent davantage sur les filles<br />

que sur les garçons.<br />

Par des élèves de terminale ES2 et de secondes<br />

ASSP, GA et MRCU du lycée Ella Fitzgerald,<br />

à Saint-Romain-en-Gal (Rhône).<br />

"On vit au XXI e siècle. On est libre. Nos vêtements<br />

reflètent notre personnalité. Alors, oui, on<br />

peut choisir notre tenue comme on le souhaite<br />

et personne n’a le droit de nous juger !”<br />

Nos premières réactions ont été presque<br />

unanimes à cette question : “fille, garçon, peuton<br />

s’habiller comme on veut ?”.<br />

Élèves de seconde et de terminale, nous avons ensuite discuté<br />

en petits groupes, puis nous avons interviewé d’autres élèves<br />

du lycée, âgés de quinze à dix-neuf ans. Nous nous sommes<br />

rendu.e.s compte que nous n’étions en fait pas si libres de nos<br />

choix vestimentaires… et encore moins lorsqu’on est une fille !<br />

RÈGLEMENTS, MODE ET NORMES<br />

D’abord, il y a des règlements à respecter : par exemple,<br />

l’interdiction de porter des signes religieux au lycée ou<br />

l’obligation d’avoir une tenue “décente”. Cette notion de décence


est subjective. Dounia nous a dit que dans son ancien collège,<br />

une fille en short était immédiatement convoquée et on lui<br />

donnait un vieux jogging. “Bien sûr, ça n’arrivait qu’aux filles…”,<br />

souligne-t-elle.<br />

Autre sujet souvent abordé : la mode, qui s’impose plus ou<br />

moins à nous. “J’essaie de suivre la mode tout en mettant ma<br />

petite touche personnelle. Pour moi, il faut être un minimum<br />

à la mode pour ne pas être jugé.e”, estime Sophia, âgée de<br />

seize ans. Les vêtements particuliers, comme les sarouels<br />

ou les kilts pour les garçons, nous classent tout de suite dans<br />

une catégorie. On se sent aussi obligé.e.s d’acheter certaines<br />

marques, alors qu’elles sont chères et que nous n’avons pas<br />

toujours les moyens. Si nous avons un style trop différent de la<br />

norme, nous risquons d’être exclu.e.s du groupe.<br />

PLUS DE PRESSION POUR LES FILLES<br />

Nous avons observé que la pression sociale est beaucoup plus<br />

importante sur les filles que sur les garçons. Pour certain.e.s<br />

élèves interrogé.e.s, “cela n’a pas de sens de dire à un garçon<br />

en short qu’il est aguicheur ou de juger qu’il ne devrait pas<br />

porter tel vêtement parce que ça ne conviendrait pas à sa<br />

morphologie.” La seule insulte que<br />

pourrait subir un garçon, c’est de se<br />

faire traiter de “pédé”. Quand il s’agit<br />

d’une fille, c’est très différent !<br />

Cynthia affirme qu’on peut être<br />

“choqué.e de voir une grosse fille en<br />

short”. “Une fille a des formes. Trop<br />

les montrer, c’est être provocante,<br />

vulgaire”, estiment d’autres. Élisa répond : “cela veut dire<br />

quoi des vêtements ‘provocants’ ? Derrière, il y a encore cette<br />

idée qu’une fille qui s’est fait agresser l’a cherché”.<br />

La majorité des adolescentes interrogées dit avoir déjà été<br />

victime de harcèlement ou de comportements “lourds” dans<br />

la rue… surtout quand elles sont seules ou avec d’autres filles.<br />

"Quand je suis dehors avec un garçon, ce n’est pas pareil, je ne<br />

suis pas sifflée !", remarque Lamia.<br />

Étonnant ? Vraiment ? Trois garçons de dix-sept à dix-neuf ans,<br />

Lucas, Mathis et William, expliquent que cela ne les dérange pas<br />

que leur copine les accompagne en mini-jupe, mais qu’ils lui font<br />

comprendre qu’elle doit se changer si elle sort seule. Manon<br />

rapporte qu’elle s’est entendu dire “t’étonne pas de te faire<br />

violer” parce qu’elle portait un jean déchiré. Face à ce type de<br />

remarque, un garçon rappelle qu’une agression est uniquement<br />

de la faute de l’agresseur.<br />

LA JUPE DEVENUE TABOU<br />

Par crainte de susciter ces réactions, beaucoup de filles ne<br />

s’habillent pas comme elles le souhaitent. “Je ne compte plus les<br />

fois où j’ai renoncé à porter une jupe ou une robe un peu courtes<br />

par peur de subir des réflexions ou des regards désagréables”,<br />

témoigne Marion, âgée de dix-neuf ans. Une autre lycéenne<br />

remarque : “la jupe est toujours connotée : trop courte, on est<br />

une pute ; trop longue, on est coincée. Dans tous les cas, les<br />

gens auront quelque chose à dire…” Jennifer, dix-sept ans,<br />

ajoute : “en fait, quoi que tu fasses, tu seras jugée. Les filles ont<br />

plus de contraintes, ce n’est pas juste ! Ça pèse !” “Ça doit être<br />

saoulant !”, s’exclame Thibault.<br />

“EN FAIT, QUOI QUE TU FASSES, TU SERAS<br />

JUGÉE. LES FILLES ONT PLUS DE CONTRAINTES,<br />

CE N’EST PAS JUSTE ! ÇA PÈSE !<br />

”<br />

À l’époque de nos grand-mères, les femmes n’avaient pas le<br />

droit de porter des pantalons. Aujourd’hui, c’est la jupe qui est<br />

tabou ! Il faut que tout cela change. Chacun.e devrait être libre<br />

de rester soi-même. Nous avons remarqué qu’il était plus facile<br />

d’assumer nos choix vestimentaires au lycée qu’au collège, que<br />

nous avions moins de complexes en grandissant. . n<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Chronique lycéenne I 65<br />

Merci aux élèves de terminale ES2 et de secondes ASSP, GA et MRCU et à leurs enseignantes, Karine Bertrand et Marie Couzin.


NOUVELLES D'ICI ET AILLEURS<br />

Belgique<br />

FILLES EN BOB<br />

Le Nigéria pourrait<br />

participer pour la première<br />

fois de son histoire aux<br />

Jeux olympiques d’hiver,<br />

en 2018, en Corée du Sud,<br />

grâce à une équipe<br />

féminine de… bobsleigh.<br />

Ces trois sportives vontelles<br />

renouveler l’épopée<br />

des rastas rockets, ces<br />

Jamaïcains qui s’étaient<br />

lancés sur le toboggan<br />

glacé des J.O. de Calgary ?<br />

La Nigérianne Seun<br />

Adigun, championne<br />

d’Afrique de 100 mètres<br />

haies et représentante<br />

de son pays aux Jeux<br />

de Londres en 2012, a réuni<br />

deux autres athlètes<br />

pour tenter de réunir<br />

les fonds nécessaires<br />

à leur équipement<br />

et leur entrainement<br />

de bobsleigh. “Ensemble,<br />

nous pouvons prouver<br />

que rien n’est impossible”,<br />

a-t-elle affirmé. Elles ont<br />

ouvert une campagne<br />

de financement<br />

participatif sur le site<br />

gofundme.com.<br />

Nigeria<br />

Inde<br />

LIBERTÉ SUR DEUX ROUES<br />

À New Dehli, la jeune entreprise Even Cargo,<br />

spécialisée dans la livraison à domicile,<br />

n’emploie que des femmes. Les livreuses<br />

accèdent ainsi à des emplois plutôt bien<br />

rémunérés pour les personnes sans<br />

diplômes et habituellement réservés aux<br />

hommes. Pour Yogesh Kumar, le fondateur<br />

d’Even Cargo, c’est aussi une façon de<br />

défendre le droit des femmes à se déplacer<br />

dans les lieux publics. Son projet est né<br />

en 2012, à la suite du viol d’une femme dans<br />

un bus qui avait provoqué une vague de<br />

réactions dans l’opinion publique. Il voit dans<br />

la féminisation du secteur des transports<br />

un moyen pour les Indiennes de s’approprier<br />

l’espace urbain. “La meilleure partie de mon<br />

travail, c'est d'avoir la liberté de circuler<br />

partout en ville. Je suis fière et je n’ai pas<br />

peur”, a déclaré une des livreuses qui peut<br />

ainsi financer ses études par son emploi.<br />

FRAGILES TESTICULES<br />

Une élue écologiste du parlement<br />

belge mène campagne contre<br />

le manspreading dans les transports<br />

en commun en prenant en photo<br />

les hommes qui s’asseyent cuisses<br />

écartées et prennent tout l’espace.<br />

“Un adolescent avec qui je partageais<br />

une banquette pour deux personnes<br />

et à qui j’avais demandé de resserrer<br />

les jambes, m’avait répondu<br />

qu’il n’allait pas les croiser comme<br />

une p…”, se souvient Céline<br />

Delforge. Les sociétés de transports<br />

en commun de New York<br />

et Seattle ont déjà mis en place<br />

des campagnes de prévention<br />

contre ce comportement,<br />

que les mouvements féministes<br />

surnomment avec humour<br />

“le syndrome des couilles de cristal”.<br />

Entré dans le dictionnaire d’Oxford<br />

en 2015, le terme de manspreading<br />

fleurit désormais sur les réseaux<br />

sociaux, accompagné de clichés<br />

pris par des voyageuses excédées.<br />

Au‐delà de sa dimension d’incivilité,<br />

cette attitude est présentée par<br />

certain.e.s observateur.trice.s<br />

comme l’expression d’une virilité<br />

ostentatoire et serait le reflet<br />

de la place accordée à chacun.e<br />

dans la société.


France<br />

Turquie<br />

VENTS MAUVAIS<br />

Une récente réforme législative<br />

a de facto abaissé à douze ans l’âge<br />

du consentement sexuel en Turquie,<br />

permettant de légitimer les mariages<br />

précoces. “Concrètement, un juge pourra<br />

chercher à obtenir d’une préadolescente<br />

son ‘consentement’ pour valider<br />

une union. On peut évidemment craindre<br />

que sa famille fasse pression sur elle”,<br />

a expliqué l’ex-députée Cigdem Aydin.<br />

Il s’agit pour les élu.e.s<br />

conservateur.trice.s de légaliser<br />

des pratiques en cours dans les zones<br />

rurales encore très traditionnelles.<br />

Autre illustration d'un climat national<br />

malsain, ce manuel offert par la mairie<br />

de Kütahya aux jeunes marié.e.s :<br />

le fascicule justifie les violences<br />

conjugales ou sexuelles et vante<br />

les vertus de la polygamie. Rien que ça !<br />

On se rappelle enfin qu'à l’automne<br />

dernier, une proposition de loi<br />

envisageait d’annuler la condamnation<br />

d’hommes poursuivis pour des<br />

relations sexuelles avec des mineures,<br />

s’ils épousaient leur victime. Le tollé<br />

international et la mobilisation<br />

des militant.e.s du pays face à cette<br />

“légalisation du viol” ont permis<br />

de retoquer le projet (lire aussi page 31).<br />

Sale temps, depuis des mois,<br />

sur les droits des femmes et des enfants<br />

en Turquie.<br />

Irlande<br />

ACHAT INTERDIT<br />

Les clients de prostitué.e.s peuvent<br />

désormais être poursuivis en<br />

République d'Irlande, rejoignant<br />

ainsi le modèle suédois, norvégien…<br />

et français. Cette évolution<br />

législative a été votée à une<br />

immense majorité au parlement.<br />

À l’inverse, les activités de ceux<br />

et celles qui vendent leur corps<br />

sont dépénalisées. “Sans demande,<br />

il n’y aurait pas d’offre”, estime<br />

le groupe abolitionniste Ruhama,<br />

qui se félicite de l’adoption de cette<br />

réforme. L’Irlande du Nord, elle, avait<br />

rendu passible de sanctions l’achat<br />

de services sexuels en 2015.<br />

ANNIVERSAIRE<br />

Le collectif Insomnia a fêté<br />

l’anniversaire de la loi Veil,<br />

adoptée le 17 janvier 1975,<br />

en accrochant dans les rues<br />

de Paris un millier de messages<br />

sur des cintres, symbole<br />

des avortements clandestins.<br />

Comme la plupart<br />

des mouvements œuvrant<br />

pour l'égalité femmeshommes,<br />

le collectif Insomnia<br />

réclame l’inscription du droit<br />

à l’IVG dans la Constitution<br />

française et la Charte<br />

européenne des droits<br />

fondamentaux. Une nécessité<br />

de plus en plus cruciale face<br />

à la (re)montée en puissance<br />

des anti-choix, dans le sillage<br />

de la Manif pour tous.<br />

L'action du collectif féministe<br />

est intervenue au lendemain<br />

du piratage de panneaux<br />

publicitaires d’abribus,<br />

avec des affiches hostiles<br />

au droit à l'avortement.<br />

Ces mêmes visuels avaient été<br />

publiés la semaine précédente,<br />

cette fois légalement,<br />

dans les pages de grands<br />

journaux nationaux, Le Figaro<br />

et Valeurs Actuelles.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d'ici et ailleurs I 67


Israël-Suède<br />

États-Unis<br />

SENTINELLES<br />

“Nous connaissons tous les secrets de nos<br />

clientes”, confie une coiffeuse de Chicago.<br />

Neutralité, contact physique, proximité,<br />

écoute, confiance… tant de qualités qui<br />

font de ces professionnel.le.s des personnes<br />

privilégiées pour détecter les violences<br />

domestiques. Depuis janvier, les salarié.e.s<br />

des salons de coiffure de l’État de l’Illinois<br />

commencent à recevoir une formation<br />

régulière pour identifier les signes<br />

de brutalités conjugales, aider les victimes<br />

et les orienter vers les structures qui pourront<br />

les accompagner. Cette initiative vient<br />

de l’association Chicago Says No More. Elle a<br />

su convaincre un sénateur de l’État d’inclure<br />

un amendement prévoyant cette formation<br />

dans une loi sur la règlementation des salons<br />

de coiffure. Une idée originale, simple comme<br />

un coup de peigne.<br />

38 %<br />

SURRÉALISTE<br />

Il fallait oser, Ikea l’a fait…<br />

et a récidivé ! En 2012, toutes les<br />

femmes avaient été supprimées<br />

sur les photos d’un de leurs<br />

catalogues, destiné à l’Arabie<br />

Saoudite. Plus récemment,<br />

le géant suédois du meuble<br />

a édité un nouveau catalogue,<br />

à destination spécifique<br />

de la communauté juive<br />

ultra-ortodoxe. La brochure<br />

ne montre aussi aucune<br />

femme ou fille. Un monde<br />

de science-fiction, où l’invitation<br />

à “savourer le plaisir de<br />

se retrouver en famille” est<br />

illustrée par des papas élevant<br />

seuls des enfants, uniquement<br />

mâles bien sûr… La direction<br />

israélienne du groupe suédois<br />

ainsi que le siège mondial se sont<br />

excusés dans un communiqué<br />

pour cette “publication qui<br />

n’est pas en accord avec les<br />

valeurs d’Ikea”. Une déclaration<br />

qui ressemble à celle de 2012.<br />

Inde<br />

JE VAIS SORTIR<br />

Les Indiennes ont protesté<br />

sur les réseaux sociaux<br />

et dans les rues<br />

d’une trentaine de villes,<br />

le soir du 21 janvier, en écho<br />

à la Women’s March.<br />

Donald Trump n'était<br />

pas leur cible prioritaire.<br />

Elles se révoltaient contre<br />

l’agression de nombreuses<br />

femmes, à Bangalore,<br />

lors de la nuit du nouvel<br />

an… des agressions<br />

perpétrées malgré<br />

la présence de 15 000<br />

policier.ère.s qui n’ont pas<br />

réagi. Deux responsables<br />

politiques les ont même<br />

rendues responsables<br />

des attouchements<br />

et brutalités endurés,<br />

soit parce qu’elles étaient<br />

habillées à l’occidentale,<br />

soit parce qu’elles avaient<br />

osé sortir après le coucher<br />

du soleil… Vu l'ampleur<br />

de la réponse, le hashtag<br />

#IWillGoOut (je vais sortir)<br />

étant devenu viral, les deux<br />

élus ont dû comprendre !<br />

des hommes et 34 % des femmes britanniques estiment<br />

qu’une femme qui sort tard, ivre et porte une jupe<br />

courte est “totalement ou partiellement responsable”<br />

si elle est agressée sexuellement, a révélé une étude<br />

publiée par la Fawcett Society, la plus importante<br />

association du Royaume-Uni dédiée aux droits des<br />

femmes et à l’égalité. “Il n’y a pas d’autre crime pour<br />

lequel nous serions aussi prompts à rendre la victime<br />

responsable du comportement de son agresseur”,<br />

commente San Smethers, directrice de l’association.<br />

Selon une autre enquête, publiée en novembre,<br />

un.e Européen.ne sur cinq culpabilise une femme<br />

victime de violences. Une tendance qui tend<br />

heureusement à se réduire chez les jeunes.


PORTRAIT<br />

DEBORAH PARDO<br />

PÔLE POSITION<br />

Deborah Pardo est la seule scientifique<br />

française à avoir embarqué dans<br />

la première et la plus vaste expédition<br />

internationale en Antarctique composée<br />

exclusivement de chercheuses.<br />

Ces soixante-seize pionnières en sont<br />

revenues décidées à changer le monde.<br />

Et sont bien parties pour le faire.<br />

Texte de Sandrine Boucher<br />

Deborah Pardo parle vite, très vite, aussi bien dans cet<br />

anglais “pointu” de Cambridge où elle travaille depuis<br />

2013, qu’en français, avec le léger accent qu’elle a gardé<br />

de sa ville d’origine, Marseille. Elle va très vite aussi.<br />

Enfant, elle voulait exercer un métier en lien avec les<br />

animaux. Elle s’oriente vers des études de biologie, où<br />

rapidement la jeune femme “s’ennuie un peu”. Deborah Pardo<br />

file alors poursuivre son cursus à Uppsala, en Suède. Une<br />

“première révélation” où elle découvre un mode d’apprentissage<br />

“plus collaboratif” que dans notre pays et l’intérêt d’élargir son<br />

regard vers l’international. De retour en France, elle intègre<br />

le très exigeant master Biodiversité Écologie Évolution à<br />

Montpellier, puis est reçue à l’université Pierre et Marie Curie<br />

pour préparer une thèse sur la démographie des populations<br />

d’albatros. Pourquoi les albatros ? Parce qu’ils offrent<br />

“le meilleur jeu de données au monde pour étudier l’évolution<br />

des effectifs à long terme sous l’effet des activités humaines”.<br />

Deuxième révélation lors d’un séjour de trois mois, seule,<br />

sur les îles Kerguelen, dans les terres australes françaises :<br />

le dépaysement est complet et, lorsqu’elle voit la première<br />

fois de près ces grands oiseaux (3,50 m d’envergure…),<br />

l’émotion lui coupe le souffle. Elle obtient son doctorat avec<br />

les félicitations du jury. Deborah Pardo réalise alors son<br />

rêve en décrochant, début 2013, un contrat de chercheuse<br />

dans le prestigieux institut polaire de Cambridge. Ses travaux<br />

conduisent notamment à faire reconnaître à un type d’albatros<br />

le statut d’espèce à conservation prioritaire, ce qui permet<br />

de dégager des financements pour sa protection. Cela aurait<br />

pu être le couronnement d’un parcours sans faute, ce ne fut<br />

qu’une étape.<br />

#18 I MARS-AVRIL 2017 I Portrait I 69


Deborah Pardo devient mère et pense mettre à profit son<br />

congé maternité de dix mois pour s’avancer dans son travail.<br />

“C’était une illusion”. La jeune chercheuse<br />

confie que cette période de sa vie a été<br />

“assez difficile”. Entre deux tétées, elle<br />

fait tourner des modèles mathématiques,<br />

dévore des documentaires et s’interroge.<br />

“Je me suis posée beaucoup de questions<br />

sur le bonheur, l’environnement, sur ce<br />

que les femmes pouvaient apporter en<br />

étant des scientifiques ambitieuses et<br />

respectées”. Deborah Pardo apprend par hasard l’existence d’un<br />

projet un peu fou mené par une conseillère en leadership, Fabian<br />

Dattner. Celle-ci explique qu’à la fin de l’année 2014, alors qu’elle<br />

déjeunait en compagnie d’un groupe de chercheuses en sciences<br />

polaires, elles ont plaisanté sur le fait qu’il était indispensable<br />

d’avoir “une barbe” pour espérer percer dans leur domaine.<br />

“Je suis rentrée chez moi en colère”, se souvient Fabian Dattner.<br />

De cette révolte naît le projet Homeward Bound (“retour à la<br />

maison” en anglais), autour de l’idée que la "Terre Mère" a besoin<br />

de ses filles. Objectif : emmener plusieurs dizaines de femmes<br />

en Antarctique pour accroître et faire reconnaître le rôle central<br />

des femmes dans l’élaboration de solutions face aux enjeux<br />

contemporains, en particulier environnementaux. “L’Antarctique<br />

paraît loin, mais c’est là que les traces de notre impact sont les<br />

plus évidentes”, résume Deborah Pardo.<br />

La chercheuse se porte candidate. Elle fait partie des soixanteseize<br />

femmes, et la seule Française, sélectionnée parmi<br />

250 pour faire partie de l’expédition prévue en décembre 2016.<br />

Plus d’un an de préparation l’attend avant de pouvoir mettre le<br />

pied sur le brise-glace qui les conduira au Pôle Sud. Deborah<br />

Pardo se découvre des ressources aussi insoupçonnées<br />

qu’inépuisables. Elle apprend à défendre son projet auprès<br />

de financeurs privés, parvient à rassembler les 20 000 euros<br />

nécessaires à son voyage, devient lauréate du concours<br />

Femmes en vue qui vise à donner plus de place aux expertes<br />

dans les médias… “Cela paraissait insurmontable. En<br />

fait, il suffit d’oser dépasser ses limites, développer son<br />

réseau et rester authentique. Ce n’est pas si difficile”. Cette<br />

première étape “transforme (sa) vie et la place sur une courbe<br />

d’apprentissage exponentielle”.<br />

Toujours dans la perspective de l’expédition,<br />

Deborah Pardo mène une recherche avec<br />

quatre autres participantes sur l’influence<br />

des femmes dans les politiques liées au<br />

réchauffement de la planète. Point de départ :<br />

parce qu’elles assurent l’approvisionnement<br />

en eau, qu’elles forment la majorité des<br />

petit.e.s paysan.ne.s et qu’elles peuvent<br />

représenter jusqu’à 90 % des victimes de<br />

catastrophes naturelles, les femmes sont<br />

les plus vulnérables aux changements<br />

climatiques. Or, “il existe un lien entre les<br />

performances environnementales d’un<br />

pays, quel que soit son niveau de PIB, et<br />

l’égalité des sexes dans ce pays. Autrement<br />

dit, plus le gender gap est faible dans une<br />

société, plus cette société investit dans les<br />

politiques de protection de la nature, plus elle<br />

est stable et durable. Le leadership féminin<br />

permet d’améliorer les droits des femmes,<br />

de contribuer au bonheur global et de mieux<br />

respecter notre environnement”. L’expédition<br />

reçoit le soutien de scientifiques d’exception<br />

comme la primatologue Jane Goodall ou la<br />

biologiste Sylvia Earle.<br />

“CELA PARAISSAIT INSURMONTABLE. EN FAIT,<br />

IL SUFFIT D’OSER DÉPASSER SES LIMITES, DÉVELOPPER<br />

SON RÉSEAU ET RESTER AUTHENTIQUE.<br />

”<br />

Les trois semaines en Antarctique, du 2 au 21 décembre, au<br />

cours de l’été austral où le soleil ne se couche jamais sur le pôle,<br />

sont intenses. Près de quatre-vingts professionnelles venues<br />

de quatre continents se retrouvent littéralement dans le<br />

même bateau, sur ces terres de l’extrême où elles ont été quasi<br />

inexistantes jusqu’aux années cinquante. Il y a des scientifiques,<br />

des militantes d’ONG, des responsables des Nations unies,<br />

des représentantes de communautés rurales, des ingénieures,<br />

des médecins… Les sorties quotidiennes sur le terrain se<br />

doublent de formations en leadership dans la perspective de<br />

développer des projets collectifs. “On n’a pas beaucoup dormi”,<br />

rit Deborah Pardo. “Chacune a apporté le meilleur d’elle-même.<br />

L’expérience a été incroyablement forte. Nous avons développé<br />

des liens qui ne se dénoueront plus, ouvert des pistes de<br />

collaboration internationale entre nos différentes disciplines.<br />

Le but était d’accroître la visibilité des femmes dans leurs<br />

compétences, d’apporter un souffle nouveau pour l’avenir de<br />

notre planète et de démontrer par l’exemple l’importance de<br />

l’intelligence collective”.<br />

Des publications scientifiques et un film documentaire, prévu<br />

pour la fin 2017, vont retracer cette première expérience de<br />

pionnières. Une nouvelle expédition est déjà en préparation.<br />

Elle aura lieu début 2018. L’ambition d’Homeward Bound est de<br />

mettre en place, en dix ans, un réseau d’un millier de femmes<br />

scientifiques et décisionnaires qui uniront leurs compétences<br />

pour devenir le moteur d’un indispensable changement d’ère.<br />

“Ce n’est que le début”, promet Deborah Pardo, qui dès son<br />

retour d’Antarctique, a lâché la recherche académique pour<br />

s’investir dans une ONG environnementale. Sa conclusion ?<br />

“Foncez ! N’ayez pas peur ! On a toutes à y gagner.” n


Dans les médias, 80 % des personnes<br />

dont il est question sont des hommes.<br />

UNE INFORMATION DIFFÉRENTE<br />

POUR VOIR LE MONDE AUTREMENT


ELLES<br />

ONT ÉCRIT<br />

L’HISTOIRE<br />

HEDY LAMARR (1914-2000)<br />

Inventrice du wifi<br />

Difficile d’imaginer à quoi ressemblerait notre quotidien sans<br />

Hedy Lamarr. Née en 1914 à Vienne, elle quitte mari et patrie<br />

pour les États-Unis au début des années 1930. Sa carrière<br />

d’actrice, prometteuse, devient fulgurante à Hollywood.<br />

Mais l'histoire n'a retenu que la star, pas la scientifique.<br />

Avec son ami Georges Antheil, compositeur d’avant-garde,<br />

Hedy Lamarr se passionne pour la communication par<br />

ondes radios et propose de l’appliquer au téléguidage des<br />

torpilles. Ils conçoivent un système d’émission-réception<br />

avec un signal changeant de fréquence, ce qui rend l’attaque<br />

indétectable. Ils en déposent le brevet en 1941. Cette<br />

invention est appliquée à partir des années 1960 par l’armée<br />

américaine, puis par l’industrie. La technique Lamarr a ainsi<br />

servi à développer les liaisons cryptées, les communications<br />

spatiales, la téléphonie mobile, le GPS ou le wifi ! n<br />

www.editions-8mars.com<br />

Bimestriel vendu<br />

sur abonnement<br />

9,90 € TTC<br />

l'unité

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