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ICI ET<br />
AILLEURS<br />
LE MAGAZINE<br />
DES FEMMES EN ACTION #18 L MARS-AVRIL 2017<br />
INTERNATIONAL<br />
PORTEUSES<br />
DE LUMIÈRE<br />
FRANCE<br />
PSYCHIATRIE<br />
SORTIR DE LA DOUBLE PEINE<br />
RENCONTRE AVEC<br />
ZAINA ERHAIM<br />
LES MOTS D’ALEP
CONSTRUIRE<br />
ENSEMBLE<br />
L’ÉGALITÉ<br />
FEMMES-HOMMES<br />
DÉVELOPPEZ<br />
VOTRE ACTIVITÉ<br />
AUTOUR DE NOS<br />
VALEURS<br />
COMMUNES<br />
SAISISSEZ L’OPPORTUNITÉ<br />
DEVENEZ AMBASSADEUR OU AMBASSADRICE<br />
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CONTACTEZ-NOUS<br />
rencontres@editions-8mars.com<br />
Tél. 04 81 65 63 85<br />
www.editions-8mars.com
ÉDITO<br />
Photo de couverture : Au cœur des rassemblements de<br />
la Marche des femmes, organisée suite à l’investiture de<br />
Donald Trump. Washington, États-Unis, 21 janvier 2017.<br />
PHOTOGRAPHIES / En Une : Shannon Stapleton/<br />
Reuters ; p.4 : World History Archive/Alamy Stock Photo ;<br />
p.6-7 : Mohammad Ismail/Reuters ; p.8 : DR, DR ; p.10 :<br />
DR, DR ; p.12 : DR ; p.13 : Éditions du 8 mars ; p.14 : HF ; p.15 :<br />
DR, Lucy Nicholson/Reuters, Bryan Woolston/Reuters,<br />
Kevin Coombs/Reuters ; p.16 : Fabrice Coffrini/AFP<br />
Photos, Facebook Sawsan Chebli, Kirill Kudryavtsev/<br />
AFP Photos ; p.17 : Shock/Fotolia, Twitter de Majed Al-<br />
Issa, Human Rights Defenders ; p.30 : DR ; p.31 : National<br />
Geographic, Bilal Hussein/AP/SIPA, Hombres tejedores ;<br />
p.32 : No2isis twitter, Katarzyna Bialasiewicz, Vadim<br />
Ghirda/AP/SIPA ; p.33 : Larisa Lofitskaya, Richard Drew/<br />
AP/SIPA, DR ; p.34 : Human dignity forum, William West/<br />
AFP Photos, DR ; p.35 : Tristan Martin/Reuters ; p.36 :<br />
Louai Beshara/AFP Photos ; p.37 : avec l’autorisation<br />
de Zaina Erhaim ; p.38 : World Concern’s Africa, DR ;<br />
p.39 : Pim Ras/Creative Commons, DR, lolostock ; p.42 :<br />
Marien Trompette ; p.43 : DR, DR, DR ; p.44 : Rawpixel<br />
Ltd., Monkey Business Images, Julien Faure ; p.45 : DR,<br />
Alick Sung/Creative Commons, Xuntia de Galicia ; p.58 :<br />
Lasse Lecklin, Alex Cruz/SIPA, Strike 4 Repeal ; p.59 :<br />
DR, Patrick Denker/Creative Commons, STR/Marin<br />
Minamiya /AFP Photos ; p.60 : Ronald Santerre, Navesh<br />
Chitrakar/Reuters, Philippe Wojazer/AFP Photos ;<br />
p.61 : Jules Grandgagnage/Creative Commons ; p.62 :<br />
Ligorosi/Dreamstime.com ; p.63 : Rachel Combauroure ;<br />
p.64 : dan4 ; p.65 : Yann Gagnage ; p.66 : GoFundMe,<br />
DR, Even Cargo ; p.67 : Insomnia, Don Bayley, Girls not<br />
brides ; p.68 : Nuno Luz/Creative Commons, DR, Cathal<br />
McNaughton/Reuters ; p.69-70 : Avec l’autorisation de<br />
Deborah Pardo ; p.72 : Employee(s) of Lion-Eagle Films/<br />
Wikimedia Commons.<br />
Magazine bimestriel “Femmes ici et ailleurs”, n°18,<br />
paru en mars 2017 – Date de bouclage : 22 fév. 2017.<br />
Édité par la SARL Les Éditions du 8 mars<br />
10, rue Germain – F-69006 Lyon – Tél. 04 81 65 63 85.<br />
Dépôt légal : mars 2017. ISSN : en cours. Numéro<br />
de commission paritaire : en cours<br />
Prix de vente France métropolitaine : 9,90 €.<br />
Abonnement 1 an France métropolitaine : 59 €.<br />
Ce magazine contient une offre d’abonnement au<br />
magazine Femmes ici et ailleurs.<br />
Imprimé en France par l’imprimerie Chirat –<br />
744 rue de Sainte-Colombe, 42540 Saint-Just-la-Pendue.<br />
Directeur de la publication : Pierre-Yves Ginet<br />
Création graphique : Clara Calderini pour Publicis<br />
Consultants. Maquette : Stéphanie Longu.<br />
Rédaction en chef : Sandrine Boucher et Pierre-<br />
Yves Ginet.<br />
Ont également participé à ce numéro : Sarah Baudry,<br />
Marie Charvet, Myriam Djebiri, Julie Frering, Delphine<br />
Guyard-Meyer, Anne Joly, Angeline Lanoix, Mariela Parez,<br />
Nathalie Poirot, Camille Tidjditi, Roberta Zambelli.<br />
Contact : contact@editions-8mars.com<br />
Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes,<br />
a cent ans. En 1917, ce jour-là, des ouvrières défilaient dans les rues<br />
de Saint-Pétersbourg pour exiger la paix et du pain. La mobilisation<br />
est alors passée inaperçue et ce rassemblement n'est pas resté gravé<br />
sur les tablettes de l'Histoire. Un silence radar habituel concernant les pages<br />
écrites par des femmes. Cette action du 8 mars 1917 a pourtant marqué<br />
le début de la Révolution russe…<br />
Un siècle plus tard, la perspective d’un monde plus égalitaire semble<br />
une nouvelle fois bien incertaine. L'élection de Donald Trump à la tête<br />
de la première puissance mondiale fait naître des craintes. Son manichéisme,<br />
sa vulgarité et ses conceptions rétrogrades sur la place des femmes<br />
n'engagent pas à l'optimisme. Aux confins de l'Europe, Vladimir Poutine,<br />
son alter ego russe, lui tiendra sans doute la dragée haute côté testostérone.<br />
Et sur notre vieux continent, les extrémistes de tous poils occupent<br />
nos esprits. Les fous de Dieu en arme, bien sûr. Mais aussi celles et ceux<br />
qui savent attiser ces peurs, pour mieux diffuser leurs idées d'un autre âge.<br />
Aujourd'hui, des droits conquis par les femmes, que l'on croyait acquis,<br />
sont ouvertement remis en cause. Les retours en arrière proposés par tel.le<br />
ou tel.le politique ne semblent plus rédhibitoires pour l'opinion publique.<br />
Des hommes, mais aussi des femmes, votent pour les personnalités qui<br />
portent ces “réformes” rétrogrades. On l'a vu avec l'élection américaine.<br />
On l'avait observé, auparavant, dans nombre de pays européens. On le sait,<br />
la France ne fait pas exception.<br />
Tout pousse donc au pessimisme. En apparence du moins. Mais, à mieux<br />
regarder, ne serions-nous pas en train de vivre l’avènement d'une lame<br />
de fond progressiste ? Suite à l'élection du président américain, les Women's<br />
March ont mobilisé des millions de femmes et d'hommes autour du 21 janvier.<br />
Près de 600 rassemblements ont eu lieu aux États-Unis et aux quatre coins<br />
du monde. Les formidables militantes sud-américaines du mouvement<br />
Ni Una Menos, après avoir fédéré comme jamais les citoyen.ne.s de leur<br />
continent, appellent désormais à une grève mondiale des femmes, le 8 mars.<br />
Un appel repris par les organisatrices de la Women's March. Dans notre pays,<br />
les initiatives se multiplient pour relayer cet élan. À côté des associations<br />
“historiques”, plus que jamais fidèles au rendez-vous, des groupes de<br />
femmes, souvent informels, parfois ponctuels, émergent ci et là, le temps<br />
d'un happening, d'un événement réel ou digital. On sent poindre l'envie, le rêve<br />
de solidarité des femmes. Et si cette immense incertitude était l'opportunité<br />
de faire enfin émerger une véritable sororité ? Et si de nouvelles solutions<br />
en ressortaient ?<br />
Simone de Beauvoir l'a maintes fois répété. En ce qui concerne l’égalité,<br />
la vigilance doit être permanente. Et plus encore en temps de crise.<br />
C'est aussi pour cela que l’association Femmes ici et ailleurs, ses bénévoles,<br />
dirigeant.e.s et salarié.e.s ont fondé Les Éditions du 8 mars. L’objectif est<br />
de continuer à faire vivre cette belle expérience éditoriale, unique en France,<br />
et de la développer en mettant en place un réseau de diffusion collaboratif<br />
et innovant, qui s’appuiera sur l’engagement de centaines de femmes<br />
et d’hommes, dans toutes les régions. Vous allez découvrir la nouvelle<br />
formule de votre magazine, désormais bimestriel et enrichi de rubriques<br />
supplémentaires, donnant à entendre des voix différentes et donnant à voir<br />
davantage de talents. Il inaugure le chapitre suivant de notre aventure<br />
commune. Continuer donc. Avancer, toujours et encore, pour ne pas reculer.<br />
Parce que selon nous, sur l’égalité, il n’y a pas d'alternative.<br />
Sandrine Boucher et Pierre-Yves Ginet<br />
co-rédacteur.trice en chef.fe<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Édito I 3<br />
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LE JOUR OÙ<br />
8 mars 1917<br />
MANIFESTATION DES FEMMES RUSSES...<br />
ET PREMIÈRE JOURNÉE DES DROITS DES FEMMES<br />
Selon une légende tenace, la Journée internationale<br />
des droits des femmes serait née le 8 mars 1857<br />
lors d’une révolte des couturières de New-York…<br />
qui n’a jamais eu lieu.<br />
Au-delà de la date retenue, l'idée d'une Journée<br />
internationale des droits des femmes remonte<br />
en fait à 1910 : réunies pour leur deuxième conférence<br />
internationale à Copenhague, les militantes<br />
du mouvement socialiste féminin adoptent<br />
le principe d’une journée dédiée à la mobilisation<br />
des femmes de tous les pays. L'instigatrice<br />
de ce projet est l'Allemande Clara Zetkin.<br />
Quelques années plus tard, le 8 mars 1917,<br />
des femmes se rassemblent dans les rues de Saint-<br />
Pétersbourg, alors capitale de la Russie tsariste.<br />
Étudiantes, employées, travailleuses de l’industrie<br />
ou ménagères défilent. Elles réclament du pain,<br />
la paix, le retour de leurs hommes mobilisés<br />
au front. Contre les directives du parti communiste,<br />
les ouvrières du textile se mettent en grève, vont<br />
chercher et obtiennent l’appui des métallurgistes.<br />
Voici qu’on appelle maintenant à la chute du tsar.<br />
La manifestation des femmes se transforme<br />
en rébellion, la grève générale en insurrection.<br />
Une semaine plus tard, Nicolas II abdique. “Il n’est<br />
pas venu à l’idée d’un seul travailleur que ce pourrait<br />
être le premier jour de la Révolution”, écrira plus tard<br />
Léon Trotski.<br />
Le 8 mars 1921, en hommage à ces pionnières<br />
de la Révolution, Lénine associe officiellement<br />
cette date à la Journée internationale<br />
des travailleuses. Elle est d'abord célébrée<br />
dans les pays du bloc soviétique. Puis, porté par<br />
les mouvements féministes des années 1970,<br />
le 8 mars s’internationalise. L’Organisation<br />
des nations unies l'institutionnalise en 1975 et<br />
il faudra attendre 1982 pour que la France consacre<br />
à son tour le 8 mars. n
SOMMAIRE<br />
18<br />
International<br />
PORTEUSES DE LUMIÈRE<br />
Rencontre avec<br />
QU'ON SE LE DISE<br />
Vos courriers 8<br />
LE MOT<br />
Sororité 9<br />
PAROLE D'EXPERTE<br />
L'école produit-elle de l'égalité<br />
entre filles et garçons ?<br />
Par Muriel Salle, historienne<br />
L'ASSOCIATION<br />
Le mouvement HF<br />
Pour l’égalité dans la culture<br />
12<br />
14<br />
LA SENTINELLE<br />
Ayse Acinkli 30<br />
ZAINA ERHAIM<br />
LES MOTS D’ALEP<br />
46<br />
PORTRAIT<br />
DEBORAH PARDO<br />
PÔLE POSITION<br />
35<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I SOMMAIRE I 5<br />
TOUS LES MÉTIERS SONT MIXTES<br />
Sapeuse-pompière volontaire 40<br />
ÉCONOMIE<br />
Anne-Sophie Panseri, Maviflex 42<br />
MON CORPS, MES CHOIX<br />
L’oxytocine, c’est pas<br />
automatique !<br />
61<br />
France<br />
CHRONIQUE RURALE MAIS PAS RINGARDE<br />
Au bois de mon cœur 62<br />
CHRONIQUE LYCÉENNE<br />
Filles, garçons : peut-on<br />
s’habiller comme on veut ?<br />
64<br />
PSYCHIATRIE :<br />
SORTIR DE LA<br />
DOUBLE PEINE<br />
69
KABOUL, AFGHANISTAN.<br />
29 janvier 2017. Sima Azimi (en noir), vingt ans, pose avec ses élèves<br />
sur une colline surplombant la capitale afghane. Les filles du Shaolin<br />
Wushu club s’adonnent depuis quelques mois aux arts martiaux,<br />
dans un pays où la pratique sportive est encore souvent interdite aux<br />
femmes et aux filles. Elles sont régulièrement prises pour cibles par<br />
les conservateur.trice.s, mais refusent d’abandonner leur art.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 7
QU’ON SE LE DISE...<br />
VOS COURRIERS<br />
QUESTION DE TEMPS<br />
En parcourant l’excellent journal<br />
Femmes ici et ailleurs, j’ai pris<br />
connaissance de différentes<br />
réalités qui m’ont fait hérisser<br />
le poil. Nous sommes encore à<br />
des années-lumière d’une égalité<br />
entre hommes et femmes. Quand<br />
y parviendrons-nous ? Un jour<br />
sans aucun doute. Mais la route<br />
est encore bien longue. C’est dur<br />
d’avancer à contre-courant dans<br />
un monde fait par et pour les<br />
hommes. Mais un jour, à force de<br />
ténacité, le sexe dit “faible” finira<br />
bien par prendre la place qui lui<br />
est due. La femme sera enfin<br />
reconnue comme l’égale, en droit,<br />
de l’homme, non pas uniquement<br />
dans des décrets ou des lois,<br />
mais également dans la vie de<br />
tous les jours. C’est une question<br />
de temps, d’évolution des êtres<br />
et des mœurs. Alors, patientons,<br />
mais pas trop longtemps.<br />
Émilie Salamin-Amar, journal L’Essor<br />
(Suisse)<br />
SALLES D'ATTENTE<br />
J'avoue que je ne supporte plus<br />
de voir des magazines “féminins”<br />
en salle d'attente de mes<br />
praticien.nes à Lille… J'ai donc<br />
pris sur moi de les abonner à<br />
votre magazine… S'ils.elles<br />
veulent genrer la lecture des<br />
patient.e.s, autant qu'ils.elles le<br />
fassent intelligemment. Merci<br />
pour cette alternative ! Et merci<br />
plus généralement pour toutes<br />
ces infos qui, non seulement sont<br />
intéressantes, mais aussi<br />
anti-désespoir…<br />
Virginie Deleu, Lambersart (59)<br />
CONGO<br />
Je trouve très intéressante votre<br />
revue sans publicité avec de si<br />
belles photos. Même si la lecture<br />
de la souffrance des femmes<br />
congolaises est dure, merci de<br />
nous en informer. À Dinard, nous<br />
avons une bonne médiathèque.<br />
J’ai laissé un numéro en espérant<br />
qu’elle s’abonne.<br />
Élisabeth Rimasson, Dinard (35)<br />
KARINE PLASSARD<br />
Votre équipe fait vraiment<br />
un super travail. Merci à vous<br />
tout.e.s, ces portraits sont<br />
magnifiques. Ce numéro est un<br />
peu spécial, car il y a un portrait<br />
de Karine Plassard, mon amie<br />
de cœur, ma sœur de luttes.<br />
Vous avez décrit exactement la<br />
femme qu'elle est, merveilleuse,<br />
entière dans son engagement,<br />
son combat contre les violences<br />
faites aux femmes.<br />
Katy Nadolski, Chamalières (63)<br />
LÀ OÙ LA CONDITION<br />
FÉMININE PROGRESSE,<br />
LA CONDITION HUMAINE<br />
PROGRESSE.<br />
Pierrick Cochet, Paris (75)<br />
RETOUR AU LYCÉE<br />
Bravo pour ce beau magazine<br />
que j'ai parfois l'occasion<br />
d'utiliser dans mon travail : je suis<br />
professeure de physique-chimie,<br />
mais aussi correspondante de la<br />
Mission académique pour l'égalité<br />
des chances filles-garçons dans mon<br />
lycée. J'y ai découvert Femmes ici<br />
et ailleurs dans notre CDI.<br />
Pascale Gouzouazi, Richwiller (68)<br />
Leïla Slimani, prix Goncourt 2016<br />
BIENVENUE !<br />
Bienvenue à Esther sur cette<br />
petite planète bleue, en espérant<br />
que grâce à tout.e.s l’égalité sera<br />
enfin une réalité quand elle sera<br />
en âge de lire !<br />
Amitiés chaleureuses à ses parents,<br />
fidèles de Femmes ici et ailleurs.<br />
La rédaction<br />
CADEAU<br />
Une très bonne idée de cadeau<br />
pour la fête des mères, pères,<br />
parents !<br />
Mélanie Rostaing, Sainte-Foy-lès-Lyon (69)<br />
Une réaction ? Des mots doux ? Un coup de gueule ?<br />
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LE MOT<br />
SORORITÉ<br />
par Rebecca Amsellem | Dessin de Daphné Collignon<br />
Beyoncé avait raison : ce sont les femmes qui<br />
mènent le monde.<br />
Le samedi 21 janvier, lorsque des<br />
femmes ont marché par millions,<br />
de Washington à Nairobi en<br />
passant par Paris ou Berlin,<br />
on y croyait à la puissance des<br />
femmes. Et s’il ne manquait<br />
qu’un soupçon de sororité<br />
pour construire un monde<br />
plus équitable pour<br />
les femmes (et les<br />
hommes) ?<br />
Sororité ? Si son<br />
pendant masculin,<br />
la fraternité, est<br />
utilisé de manière<br />
u n i v e r s e l l e<br />
pour définir un<br />
état d’unité, un<br />
dépassement du<br />
“je” au profit d’un<br />
“nous”, la sororité a<br />
davantage de mal à<br />
s’imposer.<br />
Le mot existe,<br />
même si Google<br />
s’évertue à le souligner<br />
comme une faute<br />
d’orthographe. Le terme<br />
vient du latin soror<br />
qui signifie “sœur”.<br />
La sororité, sisterhood en<br />
anglais, a été successivement<br />
utilisée pour désigner une<br />
communauté de femmes<br />
(généralement religieuse), une résidence<br />
d’étudiantes aux États-Unis ou encore le lien qui<br />
unit les femmes partageant les aléas de la condition féminine.<br />
La sororité est la capacité de toutes les femmes à s’entraider<br />
et à reconnaître que chacune vit différemment, selon son<br />
milieu social, sa culture, son origine… Et concrètement ?<br />
Maya Angelou, poète, écrivaine et militante américaine, a le<br />
bon mot : “La sororité signifie que si tu es en Birmanie et que<br />
je suis à San Diego et que je suis mariée à quelqu'un de très<br />
jaloux et que tu es mariée à quelqu'un de très possessif, si tu<br />
m’appelles au milieu de la nuit, je dois venir.”<br />
Pourquoi la sororité est-elle<br />
indispensable aux droits des<br />
femmes aujourd’hui ? Pour<br />
tuer le mythe de la femme<br />
parfaite. Tout simplement.<br />
Un mythe qui nous pousse<br />
à mourir de faim trois<br />
semaines avant l’été, à se<br />
blanchir la peau, à passer<br />
sa vingtaine sur Tinder<br />
à la recherche du prince<br />
charmant. Un mythe qui<br />
nous pousse à vouloir<br />
être quelqu’un… qui<br />
n’existe pas. Et in fine à<br />
vouloir rivaliser avec<br />
les autres. La clé<br />
de la sororité est<br />
l’acceptation des<br />
femmes, de toutes<br />
les femmes et de<br />
soi-même. Comme<br />
elles sont, comme je<br />
suis. Pour paraphraser<br />
l’autrice Bell Hooks,<br />
ne prenons pas la<br />
solidarité politique<br />
entre les femmes pour<br />
acquise, mais faisonsen<br />
un but à atteindre.<br />
De son côté, Chloé<br />
Delaume met la<br />
sororité et l’entraide<br />
entre les femmes au<br />
cœur de son puissant<br />
roman, Les sorcières de la<br />
République. Dans un entretien<br />
au Temps, elle ajoute en août 2016<br />
que le dépassement des jalousies<br />
est “la seule façon d’exploser le plafond de<br />
verre. Il y a, chez les femmes, une difficulté énorme à faire<br />
cause commune. C’est un positionnement, un regard qu’il faut<br />
modifier.” Comment ? En favorisant la solidarité entre les<br />
femmes, en multipliant les réseaux et les coups de pouce. Nous<br />
ferons alors de ce monde tout ce que nous voulons. n<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Le mot I 9
LE LIVRE BLANC DES RENCONTRES FEMMES ICI ET AILLEURS<br />
EXTRAITS<br />
Découvrez en avant-première dans votre magazine quelques-unes des<br />
propositions émises pour l’élaboration du Livre blanc des Rencontres<br />
Femmes ici et ailleurs.<br />
Cette année, deux thématiques sont proposées lors des Rencontres Femmes ici<br />
et ailleurs : le partage des tâches domestiques et l’égalité professionnelle. L’occasion<br />
pour les participant.e.s de faire le point sur la situation, de s’enrichir de l’expérience<br />
des un.e.s et des autres, de découvrir des initiatives, parfois étonnantes, et de proposer<br />
des idées de la plus simple à la plus ambitieuse.<br />
Laissez-vous entrainer par cette dynamique collaborative et, à votre tour, devenez<br />
acteurs et actrices de l’égalité.<br />
RETRAITE FAMILIALE<br />
J'ai une idée qui me trotte dans<br />
la tête depuis le jour où je me suis<br />
retrouvée à travailler à 75 % pour<br />
élever mes enfants et que je perdais<br />
un trimestre de cotisations retraite<br />
chaque année. N'est-il pas possible,<br />
pour les couples pacsés ou mariés et<br />
dont un des parents travaille à temps<br />
partiel ou s'arrête de travailler pour<br />
s'occuper des enfants, d'envisager<br />
que l'autre parent participe à la<br />
cotisation retraite de celui ou celle qui<br />
travaille moins ? De mettre en place<br />
une sorte de retraite familiale ?<br />
Cela permettrait peut-être de ne plus<br />
voir nombre de femmes (surtout)<br />
divorcées qui n'ont jamais travaillé en<br />
dehors de la maison ou qui ont ralenti<br />
leur activité professionnelle après<br />
une maternité, sans aucune retraite,<br />
ou avec une retraite de misère…<br />
Puisqu'après tout, c'est bien souvent<br />
une décision du couple que de voir<br />
l'un.e des deux s'arrêter, cela devrait<br />
être assumé en couple…<br />
Katia Bonnepart, Charly (69), novembre 2016.<br />
Échange avec l'équipe de Femmes ici et ailleurs<br />
MENTORING<br />
Mettre en place des mesures<br />
d’incitation ou de promotion<br />
du mentoring, inter ou intraentreprises,<br />
en direction du sexe<br />
le moins représenté de l’entreprise,<br />
pour favoriser la mixité, à tous<br />
les niveaux hiérarchiques. Et ceci,<br />
pour les hommes comme pour les<br />
femmes, quand ils ou elles évoluent<br />
en ultra minorité dans leur cercle<br />
professionnel.<br />
Nous remarquons que cette relation<br />
de soutien, d’échange, de parrainage<br />
ou marrainage, dans laquelle<br />
une personne d'expérience aide<br />
une autre personne pour favoriser<br />
son développement professionnel,<br />
est de plus en plus utilisée dans<br />
les grandes sociétés, notamment<br />
en direction des femmes cadres.<br />
Proposition collective, Lyon (69), février 2017<br />
Ambassadrice : Marie Charvet<br />
FAMILLE CONNECTÉE<br />
Tous les membres de la famille<br />
ont téléchargé sur leur téléphone<br />
l’application Wunderlist pour<br />
gérer la liste des achats à faire.<br />
Chacun.e peut ajouter ce dont<br />
elle.il a besoin et assigner<br />
une tâche à quelqu’un en fonction<br />
de son lieu de travail ou d’école…<br />
Le magasin bio est proche<br />
du lieu de travail de mon mari…<br />
C’est lui qui se charge des<br />
desserts et des œufs. Un petit<br />
tour à la pharmacie en sortant<br />
du bureau : je prends le dentifrice<br />
de ma fille, ma crème hydratante<br />
et des pansements. Quant à mon<br />
fils, il passe prendre la lessive<br />
au magasin en face du lycée.<br />
Maintenant chacun.e participe<br />
aux courses ! Ça amuse tout le<br />
monde et c’est la fin de la corvée<br />
du week-end !<br />
Saïda Morand, Dardilly (69), janvier 2017<br />
Ambassadrice : Julie Frering<br />
ENVIES ET APTITUDES<br />
Nous avons mis en place<br />
un partage basé sur nos envies<br />
et nos compétences respectives.<br />
Dans quel domaine suis-je<br />
le plus efficace ? Et quelle tâche<br />
m’embête le moins ? Je n’aime<br />
pas du tout repasser, ça me<br />
stresse même. Mon compagnon<br />
lui déteste faire la plonge<br />
et les courses au supermarché.<br />
Chacun.e pose sur la table<br />
ses préférences et la “grille<br />
informelle” de partage des tâches<br />
se met en place tout simplement.<br />
Nous tentons de préserver<br />
un temps équivalent consacré<br />
aux enfants.<br />
Clémence Wiesniewski, Lyon (69),<br />
février 2017<br />
Ambassadrice : Roberta Zambelli<br />
Une expérience à partager ?<br />
Une idée à proposer ?<br />
Participez à une Rencontre Femmes<br />
ici et ailleurs en écrivant à :<br />
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VOIR LE MONDE AUTREMENT,<br />
CONSTRUIRE ENSEMBLE L'ÉGALITÉ<br />
UNE MAISON<br />
D’ÉDITION NÉE DE<br />
L’ASSOCIATION<br />
FEMMES ICI ET AILLEURS<br />
DES PUBLICATIONS<br />
CONSACRÉES AUX<br />
FEMMES<br />
AGISSANTES<br />
UN RÉSEAU DE<br />
DIFFUSION<br />
INNOVANT ET<br />
COLLABORATIF<br />
Les Éditions du 8 mars organisent Les Rencontres Femmes ici et ailleurs :<br />
des moments conviviaux pour découvrir nos publications, échanger des idées et<br />
faire émerger des propostions... afin d’inspirer le plus grand nombre.<br />
rencontres@editions-8mars.com<br />
Tél. 04 81 65 63 85<br />
www.editions-8mars.com
PAROLE D'EXPERTE<br />
Filles et garçons se côtoient sur les mêmes bancs depuis<br />
1975 avec la loi Haby qui impose la mixité à l’école, que ce<br />
soit dans l’enseignement primaire ou secondaire, public<br />
ou privé sous contrat. René Haby, le ministre français de<br />
l’Éducation nationale d’alors, consacre le principe de la<br />
mixité dans une décennie marquée par les mouvements<br />
de revendications pour les droits des femmes. Son objectif<br />
n’est pourtant pas de promouvoir l’égale réussite des élèves<br />
de l’un et l’autre sexe. La mixité est envisagée comme une<br />
réponse pragmatique, pour faciliter la vie des familles avec des<br />
établissements plus proches de leur domicile.<br />
L'ÉCOLE PRODUIT-<br />
ELLE DE L'ÉGALITÉ<br />
ENTRE FILLES<br />
ET GARÇONS ?<br />
PAR MURIEL SALLE, HISTORIENNE<br />
En matière d’école, la France est l’un des<br />
pays les plus inégalitaires de l’OCDE (1) .<br />
Un récent rapport du Conseil national<br />
d’évaluation du système scolaire se<br />
demande même si l’école française ne<br />
fabrique pas ses propres inégalités.<br />
En contribuant à la construction d’identités<br />
féminines et masculines stéréotypées,<br />
l’Éducation nationale participerait à<br />
l’entretien des inégalités entre les sexes.<br />
Ce recours “pratique” à la mixité n’est pas nouveau.<br />
De nombreuses écoles primaires rurales sont mixtes dès le<br />
XIX e siècle. L’entretien de deux bâtiments – l’un pour les filles,<br />
l’autre pour les garçons, et la rémunération d’au moins deux<br />
enseignant.e.s, sont une charge financière trop lourde pour<br />
nombre de petites communes. On s’est donc très tôt résolu à<br />
scolariser filles et garçons ensemble, même si filles et garçons<br />
ne recevaient pas le même enseignement, loin s’en faut.<br />
Les instituteur.trice.s déployaient alors des trésors<br />
d’inventivité pour mettre en œuvre des pédagogies<br />
différenciées. Les classes sont souvent à plusieurs niveaux.<br />
Chacune et chacun reçoit un enseignement considéré comme<br />
adapté, tant à son âge qu’à son sexe et au rôle social que les<br />
un.e.s et les autres devront jouer ensuite.<br />
L’instruction publique, longtemps interdite aux filles, leur<br />
réussit désormais mieux qu’aux garçons. En 1861, Julie-Victoire<br />
Daubié est la première femme à obtenir le baccalauréat.<br />
Depuis 1971, les bachelières sont plus nombreuses que les<br />
bacheliers. À tous les niveaux, du primaire à l’université, les<br />
filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons. De ce<br />
point de vue, l’inégalité entre filles et garçons s’évalue en faveur<br />
des premières : elles ont rattrapé un retard pluriséculaire en<br />
un temps record. Aujourd’hui, les étudiantes sont majoritaires<br />
à l’université, même si elles demeurent minoritaires dans les<br />
classes préparatoires, les IUT et les écoles d’ingénieur.e.s.<br />
Les garçons seraient-ils le nouveau sexe faible de l’école ?<br />
La question ne se pose évidemment pas en ces termes. En<br />
revanche, l’école, comme le reste de la société, traite filles et<br />
garçons de manière inégalitaire.<br />
Elles.ils n’occupent pas le même espace en classe : on entend<br />
moins les premières, les seconds sont plus souvent en<br />
interaction avec l’enseignant.e. Dans la cour de récréation<br />
aussi, jeux et attitudes sont genrés, parfois très stéréotypés<br />
et l’espace est, comme ailleurs, inégalement réparti. Les filles<br />
s’approprient un espace limité : dans les recoins de la cour, elles<br />
jouent calmement ou discutent à deux ou trois. Au contraire,<br />
les garçons sillonnent la cour en tous sens. À niveau égal, filles<br />
et garçons ne sont pas évalué.e.s de la même façon : la même<br />
copie, attribuée à une fille, est évaluée plus sévèrement que<br />
si on la prête à un garçon. Les stéréotypes jouent également<br />
un rôle-clé lors de l’orientation. Les garçons sont ultraminoritaires<br />
dans les voies professionnelles et technologiques<br />
en lien avec les services à la personne, alors même qu’il s’agit,<br />
paraît-il, de secteurs d’avenir. À l’inverse, les filles sont toujours<br />
rares dans les filières conduisant aux métiers d’ingénieur.e<br />
ou de technicien.ne. Même les sanctions ont un sexe : les<br />
garçons en font davantage les frais que les filles, parce qu’ils<br />
les méritent bien sûr, mais aussi parce qu’ils les recherchent.
Ces constats faits, l’erreur serait de compter les points pour<br />
opposer les un.e.s aux autres et d’asséner des généralités (“les<br />
filles ceci, les garçons cela”). Les garçons sont plus nombreux<br />
que les filles parmi les décrocheur.euse.s. Les femmes sont<br />
plus nombreuses que les hommes parmi les enseignant.e.s,<br />
notamment en primaire. Et l’on a tôt fait de corréler l’un et<br />
l’autre, diffusant l’idée que la féminisation de l’enseignement<br />
expliquerait l’échec des garçons. De même, le cliché court encore,<br />
notamment chez les intéressées, que les filles seraient “nulles en<br />
maths”. Les résultats des évaluations nationales montrent en fait<br />
que ce sont les garçons qui sont moins bons en français.<br />
ET POUR VOUS ?<br />
“LES IDENTITÉS MASCULINES ET<br />
FÉMININES, QUI S’ÉLABORENT LARGEMENT<br />
EN DEHORS DU CADRE SCOLAIRE,<br />
PRÉPARENT DIVERSEMENT LES GARÇONS<br />
ET LES FILLES À LEUR RÔLE D’ÉLÈVE.<br />
”<br />
Si les garçons sont souvent moins bons élèves que les filles,<br />
ce n’est pas parce que l’école serait sexiste, mais parce que<br />
la construction de l’identité masculine, qui passe notamment<br />
par la prise de risque, la confrontation à l’autorité (là où les<br />
filles apprennent précocement l’obéissance et la nécessité<br />
de se conformer à la règle ou la norme), s’accommode mal des<br />
règles du fonctionnement scolaire. Autrement dit, les identités<br />
masculines et féminines, qui s’élaborent largement en dehors<br />
du cadre scolaire, préparent diversement les garçons et les<br />
filles à leur rôle d’élève. Dans la plupart des milieux sociaux,<br />
les normes de féminité coïncident avec ce qu’on attend d’un.e<br />
bon.ne élève.<br />
Notre école fonctionne comme une caisse de résonance : elle<br />
amplifie des phénomènes observables dans nos sociétés. La<br />
mixité est une révolution pédagogique qui n’a pas porté ses<br />
fruits. Elle n’a pas été mise en œuvre pour produire de l’égalité<br />
entre les sexes, donc, sans surprise, elle n’en produit pas. D’un<br />
autre côté, lutter contre les inégalités à l’école ne passera pas<br />
par la non-mixité : on n’a jamais mis fin à une situation d’inégalité<br />
en prônant la ségrégation ! Il faut en revanche œuvrer à une<br />
mixité consciente et informée, pensée dans ses modalités<br />
comme dans ses effets, négatifs et positifs. Une mixité qui<br />
prend en compte les différences et veille à ce qu’elles ne<br />
génèrent plus de discriminations. n<br />
Onessa, 18 ans<br />
“Dans ma formation<br />
de sport-études,<br />
des professeur.e.s<br />
avantageaient les garçons.<br />
Pour un projet de classe, on<br />
a réalisé un dossier sur les<br />
stéréotypes dans le sport<br />
et on l’a fait remonter aux<br />
enseignant.e.s.”<br />
Priscilla, 27 ans<br />
“Je suis dans une filière<br />
agroalimentaire, on est<br />
50 % de filles et 50 %<br />
de garçons. L’égalité, c’est<br />
super : cela montre qu’on<br />
peut toutes et tous réussir<br />
dans les mêmes secteurs<br />
ou métiers.”<br />
Laetitia, 35 ans<br />
“Les étudiantes ne sont<br />
pas préparées à faire face<br />
aux inégalités dans le<br />
monde du travail, comme<br />
les différences d’évolution<br />
de carrière entre femmes<br />
et hommes. Il faudrait les<br />
sensibiliser à ces questions<br />
dès le secondaire.”<br />
Martin, 21 ans<br />
“Pour moi l’école ne parvient<br />
pas à contrer les inégalités,<br />
elle reproduit les différences<br />
crées par la famille,<br />
la société. C’est dommage :<br />
on ne devrait pas mettre<br />
les enfants dans des cases<br />
aussi vite et aussi tôt.”<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Parole d'experte I 13<br />
(1) Source : étude PISA OCDE 2015<br />
BIOGRAPHIE EXPRESS<br />
Historienne, agrégée et docteure, Muriel Salle est maîtresse<br />
de conférences en histoire à l’université Claude Bernard<br />
Lyon 1 depuis 2010. Elle est particulièrement investie dans<br />
la formation des enseignant.e.s et des professionnel.le.s<br />
de santé. Vice-présidente de l’Association de recherche pour<br />
le genre en éducation et formation (ARGEF), elle est aussi<br />
membre du groupe Genre égalité mixité (GEM) de l’École<br />
supérieure du professorat et de l’éducation.<br />
Denis, 39 ans<br />
“Souvent les enfants<br />
reproduisent des schémas,<br />
les garçons ne veulent<br />
pas que les filles jouent<br />
au foot... C’est à ce niveau<br />
là qu’il faudrait intervenir,<br />
dans la cour de récréation,<br />
dans les jeux.”<br />
Séverine, 41 ans<br />
“Je pense que les problèmes<br />
commencent surtout<br />
à se poser à partir du collège,<br />
à l’adolescence. Il faudrait<br />
encourager la pratique<br />
d’activités mixtes,<br />
pour montrer aux élèves<br />
qu’ils.elles peuvent tou.te.s<br />
faire les mêmes choses.”
L’ASSOCIATION<br />
QUELQUES CHIFFRES<br />
— 6 % de cheffes d’orchestre.<br />
— 7 % de directrices dans les 100 plus grandes institutions<br />
culturelles françaises.<br />
— 40 % de subventions en moins pour les établissements<br />
dirigés par une femme.<br />
sociale ! Les femmes sont majoritaires dans les études<br />
supérieures du spectacle vivant et dans le public. Pourtant, le<br />
secteur culturel ne reflète que la vision de la moitié masculine<br />
de la société”, souligne-t-elle.<br />
LE MOUVEMENT HF<br />
POUR L’ÉGALITÉ<br />
DANS LA CULTURE<br />
Lorsqu’il s’agit de direction de structures<br />
ou de programmation, l’art se conjugue<br />
encore essentiellement au masculin.<br />
Partout en France, les collectifs HF<br />
promeuvent une égalité concrète et<br />
poussent les pouvoirs publics à s’engager.<br />
Texte de Sandrine Boucher et Myriam Djebiri<br />
Sur ce constat stupéfiant, le mouvement HF se crée,<br />
spontané, inattendu, rassemblant metteuses en scène,<br />
actrices, directrices de structures, responsables de politiques<br />
culturelles… À partir de 2011, les collectifs organisent des<br />
saisons “égalité” avec les salles de spectacles, mettent en valeur<br />
les bonnes pratiques, multiplient les tables rondes. En 2013,<br />
l’ancienne ministre de la culture, Aurélie Filippeti, impose une<br />
présélection paritaire de candidat.e.s à la tête des principales<br />
institutions culturelles. À raison de 100 à 150 nominations par<br />
an dans ces grands établissements, les militant.e.s du collectif<br />
HF s’attendaient à voir les disparités rapidement comblées.<br />
Dix ans après le rapport de Reine Prat, rien n’a changé. “La<br />
manière dont les femmes artistes sont reçues au sein des<br />
administrations culturelles reste souvent catastrophique”,<br />
dénonce Carole Thibaut, une des fondatrices du collectif HF<br />
d’Ile-de-France et directrice depuis janvier 2016 du Centre<br />
dramatique national de Montluçon. Elle estime que ces<br />
inégalités “interrogent la réalité de notre démocratie face à la<br />
persistance de discours normés et de rapports de domination.<br />
La situation est connue, on en parle, mais elle ne change pas”.<br />
“Le seul moyen pour avancer passe par l’engagement du pouvoir<br />
politique”, remarque Anne Grumet qui, avec Stéphane Frimat du<br />
collectif HF Nord-Pas-de-Calais, a été nommée au Haut conseil<br />
à l’Égalité (HCE)en 2016. Un acte d’engagement pour l’égalité<br />
est signé par des élus de tous bords lors d’États généraux<br />
organisés par le collectif HF Rhône-Alpes en octobre 2016. Le<br />
mouvement estime “raisonnables et atteignables” les objectifs<br />
de la SACD : + 5 % de femmes par an dans les programmations<br />
de spectacles vivants, soit + 15 % lors de la saison culturelle<br />
2018/2019. Enfin, cette année, la culture sera l’un des axes<br />
prioritaires de travail du HCE. n<br />
En 2006, la publication du rapport de Reine Prat sur<br />
l’égalité femmes-hommes dans la culture, est “un<br />
électrochoc”, se souvient Anne Grumet, alors directrice<br />
de cabinet de l’adjoint à la culture de Lyon. Le monde des<br />
arts, qui se pensait socialement en avance, se découvre<br />
parfois moins paritaire que… l’armée.<br />
Les structures culturelles ont peu de directrices et les œuvres<br />
de femmes sont rares dans les programmes. “On nous répond<br />
que les choix ne se font pas sur le sexe, mais le talent”, remarque<br />
Anne Grumet, membre du collectif HF Rhône-Alpes. “Mais le<br />
talent est aussi une question de moyens, donc une construction<br />
REPÈRES<br />
Création : 2008 pour la première association régionale,<br />
2011 pour la fédération interrégionale.<br />
Organisation : 14 collectifs régionaux, 1 000 adhérent.e.s.<br />
Réseaux : Coordination française pour le lobby européen des<br />
femmes, Centre Hubertine Auclert, Laboratoire de l’Égalité, Société<br />
des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) au travers du site<br />
www.ousontlesfemmes.org<br />
Évènements : Saisons Égalité dans les lieux de spectacles, journée<br />
internationale du matrimoine, rencontres lors des festivals, journées<br />
d’études, États généraux de l’égalité.<br />
Contact : www.mouvement-hf.org
NOUVELLES D’ICI ET AILLEURS<br />
17 %<br />
de femmes, parmi les 1000 personnalités les plus<br />
citées en 2016 par la presse française, imprimée<br />
et en ligne, selon une enquête de Pressdd.<br />
Une proportion identique à celle relevée<br />
par l’INA concernant les matinales des radios<br />
généralistes. Aucune femme ne figure dans<br />
les vingt premières places des catégories “sport”<br />
et “politique” du classement de Pressdd.<br />
France<br />
COL PROTÉGÉ<br />
Le dépistage du cancer du col de<br />
l’utérus sera systématisé en 2018,<br />
pour lutter contre cette maladie<br />
qui touche 3 000 femmes en France<br />
chaque année et entraîne plus<br />
d’un millier de décès. L’objectif est<br />
de réduire ces chiffres de 30 %.<br />
Actuellement, 40 % des femmes<br />
âgées de vingt-cinq à soixante cinq<br />
ans n’effectuent pas ce suivi régulier,<br />
ainsi que la moitié de celles de plus<br />
de cinquante ans. Le plan prévoit<br />
la généralisation des frottis tous<br />
les trois ans, une détection précoce<br />
permettant d’éviter neuf cancers<br />
sur dix !<br />
États-Unis<br />
QUE LE DÉBUT...<br />
Difficile de trouver le qualificatif adéquat aux premiers pas de<br />
Donald Trump à la Maison Blanche… Le président américain avait proclamé<br />
sa misogynie alors qu’il était candidat. Il tente désormais de l’imposer.<br />
Trois jours seulement après sa prise de fonction, il approuvait le Global Gag<br />
Rule, supprimant les aides américaines aux institutions internationales<br />
pro-choix. La photo l’a immortalisé signant ce décret, entouré exclusivement<br />
d’hommes. Belle image de parité. Puis on apprenait son intention de nommer<br />
à la Cour suprême un juge homophobe et anti-avortement, William Pryor<br />
— qui finalement n’aura pas le poste.<br />
Dès le lendemain de cette élection peu commune, Theresa Shook, ancienne<br />
avocate, postait sur son compte Facebook : “je pense que nous devrions<br />
marcher”. En une nuit, 10 000 internautes soutiennent l’initiative, relayée<br />
par des associations féministes et de lutte pour l’égalité des droits. C’est<br />
la naissance de la Women’s March, qui, le 21 janvier, “célèbre” l’investiture<br />
du nouveau président, en rassemblant un million de participant.e.s à<br />
Washington, et trois fois plus dans le reste du monde. Signe de ralliement :<br />
le pussy hat (littéralement “chapeau chatte”), un bonnet rose à oreilles.<br />
Ces coiffes politiquement très incorrectes sont apparues ce jour-là, au gré<br />
des quelque 600 manifestations répertoriées sur la planète.<br />
Cette mobilisation des femmes a inspiré une longue série de marches<br />
revendicatives qui auront lieu prochainement à travers les États-Unis,<br />
pour défendre le climat, les immigrant.e.s, les droits LGBT… “Ce n’est que<br />
le début”, a prévenu l’une des organisatrices de la Women’s March.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 15
France<br />
Allemagne<br />
PUCE AU<br />
SOMMET<br />
Tessa Worley, surnommée<br />
“la puce” pour son petit<br />
gabarit (1,58 m), a mis<br />
ses pas, ou plutôt ses skis,<br />
dans ceux de Perrine<br />
Pellen en affichant le plus<br />
beau palmarès dans<br />
le ski féminin français<br />
depuis quarante ans.<br />
La Haute‐Savoyarde<br />
a été à nouveau sacrée<br />
championne du monde<br />
de slalom géant, lors<br />
des compétitions<br />
de Saint‐Moritz, mi-février,<br />
dominant largement<br />
ses concurrentes. Elle avait<br />
remporté un premier<br />
titre mondial il y a quatre<br />
ans, en Autriche. Tessa<br />
Worley collectionne déjà<br />
onze victoires en coupe<br />
du monde, dans la même<br />
discipline. Une rupture<br />
des ligaments croisés,<br />
en 2013, l’avait empêchée<br />
de participer aux jeux<br />
de Sotchi. Sa ténacité<br />
lui a permis de retrouver<br />
en deux ans le meilleur<br />
de son niveau et la plus<br />
haute marche du podium.<br />
Arménie<br />
AVORTEMENTS SÉLECTIFS<br />
“Mes proches m'ont consolée quand j'ai<br />
donné naissance à ma première fille. Pour<br />
la deuxième, ma belle-mère m’a dit qu’il<br />
ne devait plus y en avoir d’autre”, témoigne<br />
une jeune mère. Selon le Fonds des nations<br />
unies pour la population (FNUP), 1 400 arrêts<br />
de grossesse chaque année en Arménie<br />
sont motivés par le désir d’avoir un garçon.<br />
Le pays a le troisième taux le plus élevé<br />
d'avortements sélectifs au monde. Au point<br />
que le FNUP craint une “crise démographique<br />
sérieuse. En 2060, nous serons devenus<br />
une société d'hommes célibataires”. Une loi<br />
obligeant les médecins à refuser une IVG<br />
pour ce motif a été votée l’été dernier,<br />
mais la réforme ne s’attaque pas aux origines<br />
du phénomène : la mentalité patriarcale<br />
et la pauvreté. Pour Anouch Poghossian,<br />
du Centre de ressources pour les femmes,<br />
“si les hommes et les femmes avaient les mêmes<br />
opportunités […] aucun parent n'aurait<br />
à choisir entre avoir un garçon ou une fille.”<br />
RÉFUGIÉE<br />
La nouvelle secrétaire d’État<br />
au Sénat de Berlin s’appelle<br />
Sawsan Chebli. À trente-huit ans,<br />
la jeune femme a déjà une brillante<br />
carrière politique derrière elle :<br />
après avoir travaillé au Bundestag<br />
pour le groupe social-démocrate,<br />
elle est devenue porte-parole<br />
adjointe du ministère des Affaires<br />
étrangères en 2014, poste jusqu’à<br />
présent détenu par des diplomates<br />
de carrière. Polyglotte, elle avait<br />
auparavant suivi des études<br />
de sciences politiques<br />
et de relations internationales,<br />
avant d’être chargée des questions<br />
d’intégration pour la ville de Berlin.<br />
Un parcours prestigieux<br />
pour cette fille de réfugié.e.s<br />
palestinien.ne.s, née apatride,<br />
qui n’a obtenu la citoyenneté<br />
allemande qu’à quinze ans.
Europe<br />
AU BAIN !<br />
La Cour européenne des droits<br />
de l’Homme a rejeté le 10 janvier<br />
2017 le recours de parents<br />
turco-suisses, qui s’étaient<br />
vu infliger une amende après<br />
avoir refusé que leurs deux<br />
filles de sept et neuf ans aillent<br />
à la piscine avec leur classe<br />
mixte. La Cour a ainsi jugé<br />
que l’“intérêt des enfants à une<br />
scolarisation complète” primait<br />
sur le principe de “non‐ingérence<br />
dans la liberté de religion”.<br />
De son côté, la Cour<br />
constitutionnelle allemande a<br />
également refusé qu’une fillette<br />
de onze ans d’une famille<br />
ultraconservatrice soit excusée<br />
des cours de natation scolaire.<br />
En mai, les autorités suisses<br />
avaient dû se prononcer<br />
sur le cas d’élèves musulmans<br />
refusant de serrer la main<br />
de leurs professeures<br />
et avaient statué que “l’intérêt<br />
public concernant l’égalité entre<br />
femmes et hommes aussi bien<br />
que l’intégration des personnes<br />
étrangères, l’emporte largement<br />
sur la liberté de croyance<br />
des élèves”.<br />
Colombie<br />
DÉFENSEUSE<br />
ASSASSINÉE<br />
Emilsen Manyoma dirigeait l’association<br />
humanitaire et non violente CONPAZ<br />
(Comunidades Construyendo Paz<br />
en los Territorios - Communautés<br />
bâtisseuses de paix dans les territoires).<br />
Elle soutenait les communautés rurales<br />
face à l’occupation de leurs terres<br />
par les troupes paramilitaires, les<br />
grands groupes miniers et agricoles,<br />
les trafiquants de drogue. Cette Afro-<br />
Colombienne était également investie<br />
dans la Commission vérité qui enquête<br />
sur les disparitions et les meurtres.<br />
Emilsen Manyoma a été retrouvée<br />
assassinée le 17 janvier 2017 avec<br />
son mari.<br />
Plus de 500 activistes, syndicalistes,<br />
militant.e.s des droits humains, ont été<br />
tué.e.s en Colombie depuis l’accession<br />
au pouvoir de Juan Manuel Santos, en<br />
2010. Beaucoup espèrent que les récents<br />
accords de paix enrayeront enfin cette<br />
spirale infernale.<br />
Arabie saoudite<br />
RÉVOLTE SOUS LE VOILE<br />
Couvertes d’un niqab noir, mais<br />
laissant échapper des vêtements<br />
légers, colorés et fleuris, des<br />
Saoudiennes prennent la ville<br />
d’assaut ! Elles sortent en skateboard,<br />
trottinette, dansent, jouent au basket,<br />
frappent dans leurs mains, chantent<br />
“les hommes nous ont rendu folles”…<br />
À défaut d’être une réalité dans<br />
les rues, ces scènes le sont sur le web.<br />
Hwages, le dernier clip de l’artiste<br />
Majed el-Esa, avait mi-février dépassé<br />
les huit millions de vues.<br />
Au royaume wahhabite, où les femmes<br />
demeurent d’éternelles mineures<br />
qui ne peuvent rien faire sans<br />
l’autorisation d’un homme, est-ce<br />
le signe d’une évolution, même timide ?<br />
À Riyad, quelques Saoudiennes<br />
bravent régulièrement les interdits<br />
et laissent tomber le voile intégral<br />
pour un foulard qui laisse échapper<br />
des mèches de cheveux et des abayas<br />
plus pimpantes. Et il y a quelques<br />
semaines, les réseaux sociaux du pays<br />
se sont mobilisés pour défendre<br />
une jeune femme qui avait été<br />
arrêtée par la police pour avoir posé<br />
tête nue sur Twitter. Elle avait reçu<br />
des menaces de mort des internautes.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 17
REPORTAGE<br />
INTERNATIONAL<br />
PORTEUSES<br />
DE LUMIÈRE<br />
Textes et photographies d'Alexia Eychenne (Inde) et de Sophie Pasquet/Hans Lucas (Sénégal)<br />
Le reportage de Sophie Pasquet au Sénégal<br />
a pu être réalisé grâce au soutien de l’association<br />
Photos Actions reportages responsables et solidaires.
Il y a sept ans, Doussou Konaté (en tête) s’envolait<br />
pour le Barefoot College, à 9 500 km de chez elle, pour<br />
acquérir des compétences de technicienne solaire<br />
et ramener l’électricité dans son village sénégalais<br />
près de Thies. Elle s’occupe toujours de l’entretien du<br />
matériel, dont ces lanternes individuelles rechargées<br />
grâce au soleil qui permettent aux femmes de<br />
se rendre à l’épicerie du village voisin la nuit tombée.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 19
C’est une tour de Babel dans un<br />
coin perdu de l’Inde. Depuis dix ans,<br />
le Barefoot College, littéralement<br />
“l’université des va-nu-pieds”, forme<br />
des femmes rurales venues du monde<br />
entier, à l’installation et la maintenance<br />
de panneaux photovoltaïques. Pauvres,<br />
parfois analphabètes, elles deviennent<br />
techniciennes solaires, puis reviennent<br />
dans leur village apporter la lumière.<br />
Une révolution pour elles et pour leur<br />
communauté.<br />
Un fer à souder à la main, Ledua Fane jette un dernier coup<br />
d’œil à un petit circuit électrique. Les yeux plissés, elle<br />
peaufine les raccordements. La plaquette de plastique<br />
doit relier un panneau solaire à sa batterie. Il y a six mois,<br />
cette Fidjienne de soixante-trois ans ignorait tout du<br />
photovoltaïque. Elle a quitté l’école à l’adolescence, s’est<br />
mariée et a élevé huit enfants. La vie n’aurait pas dû l’éloigner de<br />
son village perdu dans les champs de kava. Là-bas, les hommes<br />
cultivent cette plante sédative. “Les femmes ? Elles restent à la<br />
maison”, résume-t-elle.<br />
Au printemps 2016, l’un de ses fils, qui travaille pour une<br />
association locale, lui parle d’une ONG indienne qui forme des<br />
femmes rurales à l’énergie solaire. Après six mois en Inde, elles<br />
regagnent leurs régions reculées pour leur apporter la lumière.<br />
Ledua Fane vit dans un village perdu dans le Pacifique. Le voyage pour<br />
rallier Tilonia a pris trois jours, mais elle ne regrette rien. “C’était une<br />
occasion inespérée d’apprendre un métier et d’aider ma communauté.”<br />
Les cours ont lieu dans un bâtiment de plain-pied blanchi à la chaux.<br />
Le Barefoot College accueille chaque année deux promotions<br />
d'environ quarante de femmes venues du monde entier.
Les stagiaires sont originaires de villages<br />
qui n'ont pas accès au réseau électrique. À leur<br />
retour au pays, elles ont pour mission d'apporter<br />
la lumière à plusieurs centaines de maisons.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 21<br />
La classe bruisse de dizaines de langues et la plupart<br />
des femmes ne parlent pas anglais.<br />
Ce Barefoot College — ou “université des va-nu-pieds” —<br />
cherche des volontaires. Ledua Fane ferait une candidate<br />
idéale.<br />
En plein Pacifique, son village n’a jamais été raccordé à<br />
l’électricité. Quatre-vingts familles s’éclairent à la flamme de<br />
lampes à huile ou à pétrole. “C’était une occasion inespérée<br />
d’apprendre un métier et surtout d’aider ma communauté”,<br />
raconte-t-elle. Son mari, ses enfants et ses quarante-deux<br />
petits-enfants l’encouragent. “Heureusement qu’ils sont<br />
grands, je suis à nouveau libre !” La grand-mère fidjienne fourre<br />
une poignée de vêtements dans une valise et s’embarque alors<br />
dans une épopée : une journée de bus, cinq heures de bateau et<br />
près de vingt-quatre heures de vol. Après trois jours de voyage,<br />
elle débarque à Tilonia, un village du nord de l’Inde.<br />
LES FEMMES,<br />
PILIERS DE LEUR COMMUNAUTÉ<br />
Le Barefoot College a été fondé en 1972 par un jeune diplômé,<br />
issu d’une riche et influente famille indienne, Sanjit Roy, arrivé<br />
par hasard à Tilonia. Depuis 2007 cette “université des va-nupieds”<br />
n’accueille que des femmes de trente-cinq ans et plus<br />
pour devenir techniciennes solaires.<br />
Pour lui, les femmes sont les piliers de leur communauté : une<br />
fois qu’elles ont reçu leur formation, elles restent dans leur<br />
village, alors que les hommes le quittent. “Dans les sociétés<br />
traditionnelles, les emplois sont détenus par les hommes alors<br />
qu’ils sont tentés de partir vendre leurs compétences en ville.<br />
On a voulu que, pour une fois, les opportunités reviennent aux<br />
femmes”, explique Sanjit Roy.<br />
La formation est gratuite. Le gouvernement indien prend en<br />
charge le voyage et le séjour des femmes, soit 100 000 euros<br />
pour chacune des deux sessions annuelles. L’ONU, l’Unesco et<br />
des entreprises privées financent le matériel que les stagiaires<br />
emportent chez elles.
Magdalena Brito (à droite),<br />
du Guatemala, assemble<br />
le contrôleur de charge<br />
qui sera relié au panneau<br />
solaire et à sa batterie.<br />
Les femmes passent leur<br />
temps libre autour du patio.<br />
Une Indienne du village<br />
applique du henné sur les mains<br />
d'une stagiaire guatémaltèque<br />
qui s'apprête à rentrer chez elle.<br />
Dans ce hameau du Rajasthan, Ledua Fane rejoint quarantetrois<br />
femmes du monde entier. La classe bruisse de dizaines<br />
de langues : français, hindi, espagnol, swahili… Elles ont été<br />
choisies par le Barefoot College, souvent après proposition<br />
de leur candidature par le conseil de leur village. Dans le<br />
bâtiment de plain-pied, aux murs blanchis à la chaux, les élèves<br />
apprennent à installer et entretenir les panneaux solaires. Les<br />
femmes se regroupent souvent par nationalité. Mais Béatrice<br />
Thiabo, une quadragénaire sénégalaise, a pris sous son aile une<br />
stagiaire du Liberia. Elles partagent une chambre autour d’un<br />
patio où les futures techniciennes solaires discutent le soir<br />
et font sécher leur linge. “On ne se comprend pas, mais on se<br />
parle par gestes !” Béatrice Thiabo est allée à l’école jusqu’en<br />
CM2, elle connaît quelques mots d’anglais. Elle traduit pour ses<br />
compatriotes qui ne savent ni lire ni écrire.<br />
Qu’importe que les solar mamas n’aient pas de langue<br />
commune. La pédagogie est prévue pour : il s’agit de simplifier<br />
les techniques pour les rendre accessibles à un public souvent<br />
analphabète. Kumar, l’un des enseignants, ne parle quasiment<br />
que l’hindi. “Je leur apprends les couleurs en anglais pour<br />
positionner les résistances, explique-t-il. Ensuite, les schémas<br />
et les vidéos suffisent.”<br />
Les premières semaines d’apprentissage sont éprouvantes.<br />
La température peut frôler les cinquante degrés. Le soleil<br />
assèche la végétation dès le printemps. Le paysage ne reverdit<br />
qu’après l’automne. “Au début, je ne supportais ni la chaleur<br />
ni la nourriture épicée”, souffle Béatrice Thiabo. “Je n’ai rien<br />
pu manger pendant trois jours, je ne faisais que pleurer.<br />
Je me suis dit ‘mais qu’est-ce que je fais là ?’” Hors des cours<br />
qui durent toute la journée, les étudiantes vivent une vie<br />
quasi monacale. Elles ne quittent le campus que le dimanche,<br />
pour des virées express dans les boutiques de la ville voisine.<br />
Ledua Fane a aussi fait des allers-retours à l’hôpital, tant<br />
elle tolérait mal son nouvel environnement. “Mais je me suis
accrochée pour ne pas rater les cours”, insiste-t-elle. Bhagwat<br />
Nandan, un Indien à la tête de la formation, assure que le plaisir<br />
d’apprendre triomphe toujours du mal du pays. “Dès que les<br />
femmes assemblent leur premier circuit électrique, leur visage<br />
s’illumine”, affirme ce sexagénaire. À quelques jours de la fin<br />
de la formation, aucune ne regrette le voyage. Ledua Fane sait<br />
que “les autres femmes vont (lui) manquer”. Béatrice Thiabo<br />
est pressée de retrouver ses enfants, mais fière du chemin<br />
parcouru : “J’ai un métier qui va me donner un rôle important<br />
dans ma communauté.”<br />
La formation à l’énergie solaire, estiment les responsables du<br />
Barefoot College, est un puissant vecteur<br />
d’émancipation économique et sociale<br />
pour les femmes. En plus d’apprendre<br />
un métier, les stagiaires participent à<br />
des ateliers sur la santé, la gestion ou<br />
encore l’écologie. “Nous mettons à profit<br />
le temps qu’elles passent ici”, explique<br />
Lucie Argeliès, directrice du programme.<br />
D’abord, pour qu’elles transmettent à<br />
leurs proches des savoirs qui sont sources de progrès. “Elles<br />
reviennent chez elles avec des compétences qu’elles sont<br />
seules à détenir. Les gens les écoutent”, observe-t-elle.<br />
L’autre objectif est de sécuriser les acquis des élèves. Béatrice<br />
Thiabo et Ledua Fane vont toucher un salaire pour la gestion<br />
des panneaux solaires. Or, sans compte bancaire, difficile de<br />
protéger leurs revenus et d’en garder la maîtrise. “Certaines<br />
se sont déjà fait voler leurs économies. Elles n’ont pas non plus<br />
appris à gérer un budget et à épargner”, explique Lucie Argeliès.<br />
“Nous leur présentons les différentes solutions bancaires et<br />
nous les mettons en contact avec des partenaires sur place,<br />
par exemple des banques spécialisées dans les services aux<br />
communautés rurales.”<br />
Les “mamas” repartent transformées par leur expérience.<br />
“Mais ça ne suffit pas toujours pour qu’elles acquièrent un plus<br />
grand contrôle de leur vie”, admet la directrice. La clé consiste<br />
selon elle à créer des activités génératrices de revenus sur le<br />
long terme. Pour compléter leur salaire d’experte en solaire,<br />
les stagiaires de Tilonia peuvent apprendre la couture et<br />
repartir chez elles avec une machine à coudre. Sur le campus<br />
ouvert en 2015 à Zanzibar, elles se forment à l’apiculture.<br />
“LA FORMATION À L’ÉNERGIE SOLAIRE<br />
EST UN PUISSANT VECTEUR D’ÉMANCIPATION<br />
ÉCONOMIQUE ET SOCIALE POUR LES FEMMES.<br />
”<br />
La conquête de leur indépendance est parfois un chemin<br />
sinueux. À Tilonia, tout le monde se souvient de Rafea Anadi,<br />
la première élève venue de Jordanie. Son mari avait accepté<br />
son départ à condition que son frère l’accompagne, avant<br />
de faire marche arrière en menaçant de la priver de ses<br />
enfants. Après des semaines de tergiversations, la jeune<br />
femme a fini par convaincre sa famille de la laisser finir sa<br />
formation. À son retour en Jordanie, la presse l’a accueillie<br />
en une véritable héroïne. Rafea Anadi est devenue depuis la<br />
première Jordanienne élue membre d’un conseil local.<br />
Norti Devi fait partie d'une coopérative de femmes, désormais indépendante<br />
du Barefoot College, qui fabrique des fours solaires à Tilonia.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 23
N'deye Moussou Diawara, treize ans, allume l’ampoule de la chambre où elle dort avec ses sœurs.<br />
Ce geste est devenu un des rituels rythmant le quotidien à Keur Simbara.<br />
Au revoir Tilona et l’Inde, bonjour Keur Simbara et le Sénégal.<br />
Sous l’arbre à palabres, le petit téléphone portable passe de<br />
main en main et les exclamations joyeuses fusent. Dans ce<br />
village situé à soixante-dix kilomètres à l’est de Dakar, c’est<br />
l’heure de l’appel à Afissatou Diallo qui s’est envolée pour le<br />
Barefoot College depuis trois mois. “Pour lui donner du courage,<br />
je lui rappelle que la communauté compte sur elle”, souffle<br />
Demba Konaté, son mari.<br />
“AWA DIOP RÉALISE ENVIRON UN ACCOUCHEMENT<br />
DE NUIT PAR MOIS SANS CRAINDRE QUE LA TORCHE<br />
DE SON PORTABLE NE TOMBE EN PANNE...<br />
”<br />
Il y a sept ans, c’est sous le même arbre à l’envergure<br />
rafraîchissante que Doussou Konaté a été choisie pour faire<br />
le grand voyage et ramener la lumière. “Au village, on ne croit<br />
pas aux élections, on préfère le consensus”, explique-t-elle.<br />
“Quand mon nom a émergé, tout le monde s’est tourné vers mon<br />
mari en retenant son souffle. Quand il a dit ‘d’accord’, il y a eu<br />
des cris de joie”, se souvient celle qui appartient à la première<br />
génération de solar mamas. Elle avait cinquante-cinq ans et<br />
sept enfants adoptés dont le plus petit avait sept ans.<br />
Mais qui mieux que Doussou Konaté pouvait alors être investie<br />
d’une telle mission ? Née au village, elle avait déjà la confiance<br />
de tou.te.s. C’est elle qui veillait sur l’argent de la communauté,<br />
enfermé à double tour dans sa chambre. Elle encore qui, à<br />
la fin des années 1990, s’était investie dans la lutte contre<br />
l’excision, en apportant son témoignage dans tous les villages<br />
de la région. “Je savais qu’elle pouvait partir loin pour le bien de<br />
la communauté et que sa famille tiendrait le coup”, insiste le<br />
charismatique Baye Demba Diawara, chef de village et imam de<br />
ces 450 habitant.e.s d’origine bambara. Aujourd’hui, le système<br />
d’électricité solaire mis en place par Doussou Konaté a prouvé<br />
sa pérennité.<br />
Tout n’a pas été simple. À son époque, à Tilona,<br />
les solar mamas ne pouvaient appeler leur<br />
famille que tous les deux mois ! Avec d’autres,<br />
Doussou Konaté a mené une petite mutinerie.<br />
Depuis les étudiantes peuvent téléphoner à<br />
leurs proches toutes les semaines.<br />
En rentrant d’Inde, “le plus difficile a été<br />
d’attendre les panneaux solaires pendant un<br />
an”, se souvient-elle. En raison de frais de douanes importants<br />
imposés par l’État sénégalais, le matériel du Barefoot College<br />
est resté bloqué dans le port de Dakar. “Tous les matins, les<br />
villageois me demandaient : elle arrive quand ta lumière ?<br />
Heureusement, j’ai retrouvé toutes mes connaissances pour<br />
pouvoir les installer sans difficulté”.<br />
En 2010, Doussou Konaté a donc pu électrifier quaranteneuf<br />
maisons et un poste de santé. Dorénavant, Awa Diop, la<br />
matrone, réalise environ un accouchement de nuit par mois<br />
sans craindre que la torche de son portable ne tombe en panne<br />
ou que les bougies ne suffisent pas… Chaque maison a reçu<br />
un panneau photovoltaïque, deux ampoules, une batterie,<br />
une lanterne solaire et un compteur qui sert de chargeur pour<br />
un ou deux téléphones portables, nerf économique de l’Afrique.
Doussou Konaté s’occupe du matériel électrique<br />
dont elle est responsable : lanternes, panneaux,<br />
ampoules... Les techniques évoluent vite et elle a<br />
changé tous les circuits pour les remplacer par une<br />
technologie LED, beaucoup plus économique.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 25
“ON DIT QUE LES FILLES DU VILLAGE D’À CÔTÉ,<br />
QUI NE PEUVENT PAS ÉTUDIER LE SOIR FAUTE<br />
D’ÉLECTRICITÉ, SE MARIENT BEAUCOUP PLUS TÔT.<br />
”<br />
Tous les matins, Doussou Konaté travaille dans son atelier. Elle<br />
soude les nouveaux circuits, répare les fusibles, remplace des<br />
fils, chouchoute les lanternes qui commencent à montrer des<br />
signes de faiblesse. En 2015, des professeur.e.s du Barefoot<br />
College sont venu.e.s la former aux circuits LED. Les batteries<br />
ont été changées au bout de six ans. “J’entretiens le matériel,<br />
je m’occupe des réparations. Les villageois.es versent 2 000<br />
francs CFA par mois pour l’électricité — environ trois euros.<br />
Chaque foyer a reçu deux ampoules, un chargeur, un panneau solaire installé<br />
sur le toit et une lanterne individuelle. Le panneau solaire de cette lanterne<br />
a besoin d’être exposé environ quatre heures au soleil pour la recharger.<br />
La moitié est consacrée à l’achat<br />
du matériel et l’autre moitié à ma<br />
rémunération”, explique la solar mama.<br />
Au village, on aime souligner combien<br />
l’absence d’électricité coûte cher.<br />
Entre l’achat des bougies, des boîtes<br />
d’allumettes, des torches bon marché<br />
qui s’arrêtent au bout de quinze jours et des piles… Avant<br />
l’électrification du village, le budget lumière s’élevait à<br />
4 500 francs CFA par mois (sept euros) par foyer. Sans compter<br />
le prix de la course à dos d’âne, à moto ou en voiture pour<br />
se rendre en ville recharger les portables, l’insécurité et les<br />
risques d’accident dans un village plongé dans l’obscurité la nuit,<br />
les vols de bétail et les risques d’incendie.<br />
Tous les soirs à Keur Simbara, quand la nuit tombe en un clin<br />
d’œil juste après que la terre a rougi, on mesure l’importance<br />
de la lumière pour le lien social et la place des femmes. Ouleye<br />
Diallo étale tous ses petits sachets de sucre, de lait en poudre,<br />
ses cigarettes, ses bonbons et ses piments à trente ou<br />
cinquante francs CFA devant chez elle, le soir, sous l’ampoule<br />
extérieure. Les clients se succèdent. Tant qu’elle dégagera ce<br />
petit revenu, elle pourra hocher la tête en signe de désaccord<br />
quand son mari évoquera l’arrivée d’une seconde épouse.<br />
Après le dîner, les femmes se retrouvent sous les lampes pour<br />
commercer, discuter ou s’avancer dans les repas : en l’absence<br />
de frigo et de gaz, la préparation de chaque repas prend<br />
environ quatre heures. “J’utilise surtout la lampe mobile pour<br />
faire la cuisine ou raconter des histoires aux enfants”, explique<br />
Marieme Camara, qui vit aujourd’hui à Keur Simbara, mais qui<br />
C’est dans la chambre des filles aînées de Doussou Konaté que beaucoup<br />
d'élèves du village se retrouvent le soir après le dîner pour faire leurs devoirs<br />
et discuter. Se regrouper permet d’économiser les lampes et les batteries.
vient d’un village où il n’y a pas de lumière. “Là-bas, seuls les<br />
hommes sortent à la nuit tombée.”<br />
Le lundi et le vendredi soir, Doussou Konaté branche sa<br />
télévision sur les batteries de l’atelier et le village, tous âges<br />
confondus, se laisse emporter par Wiri Wiri, une série qui<br />
raconte les amours contrariés de Soumboulou et Jojo, parti<br />
en Europe. Un jour, elle espère brancher un petit frigo sur les<br />
batteries de son atelier, seules capables de supporter la charge<br />
de cet électroménager de luxe.<br />
Pour économiser ampoules et batteries, enfants et ados se<br />
réunissent pour faire leurs devoirs. L’ambiance est studieuse et<br />
joyeuse. On dit que les filles du village d’à côté, qui ne peuvent<br />
pas étudier le soir faute d’électricité, se marient beaucoup<br />
plus tôt qu’ici. Appuyé par l’ONG Tostan, relais du Barefoot<br />
College sur place, le succès de l’électrification de Keur Simbara<br />
a consolidé le rôle social des femmes, au travers de nombreuses<br />
associations. La commission solaire côtoie l’équipe de foot<br />
de filles, le club de danse, la coopérative des femmes. Baye<br />
Demba, le chef du village, consulte toujours les représentantes<br />
des femmes avant d’apposer son tampon encreur sur les<br />
documents.<br />
Le Barefoot College vient d’acquérir un terrain à Keur Simbara,<br />
pour construire un nouveau centre de formation. Ce sont<br />
les stagiaires du village aujourd’hui en Inde qui assureront<br />
leur formation. “Elles peuvent compter sur moi pour que<br />
je les épaule”, assure Doussou Konaté. “Les connaissances<br />
techniques nous donnent un plus. Mais notre vraie force est que<br />
nous savons nous entraider et transmettre.” n<br />
Aujourd’hui, c’est Dieynaba Diallo, une des filles de Doussou Konaté, qui monte sur le toit de l’atelier<br />
pour nettoyer les panneaux solaires. Doussou conduit les opérations du sol ferme !<br />
UNE EXPÉRIENCE QUI ESSAIME<br />
Le Barefoot College a d’abord appliqué sa philosophie à Tilonia,<br />
où des villageoises sont devenues expertes du solaire et ont<br />
développé de manière indépendante les techniques apprises<br />
lors de leur formation. Depuis le lancement du programme, il a<br />
formé un millier de solar mamas originaires de quatre-vingt-un<br />
pays, représentant 1 300 villages et 51 000 maisons. Ces solar<br />
mamas transmettent à leur tour leurs connaissances à des<br />
centaines de femmes. Trois Afghanes accueillies au Barefoot<br />
College ont par exemple permis à leur village d’être le premier<br />
de leur pays à fonctionner à l’énergie solaire. Elles ont formé<br />
vingt-sept femmes. Aujourd’hui, une centaine de villages en<br />
Afghanistan tire son électricité du soleil. Le Barefoot College a<br />
créé un deuxième campus à Zanzibar en 2015. Le prochain sera<br />
à Keur Simbara, au Sénégal. D’autres centres sont en projet<br />
au Burkina-Faso, au Liberia, au Sud-Soudan, au Guatemala.<br />
Créée en 2015, l’association Photos actions reportages responsables et solidaires<br />
(PARRS) a pour objectif d’organiser le financement et la visibilité de reportages<br />
photographiques témoignant de problématiques sociales, environnementales ou<br />
éthiques. PARRS soutient des partenariats entre photojournalistes et institutionnels<br />
(ONG, fondations, entreprises).<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 27
La lumière a changé les soirées<br />
des jeunes filles et des femmes<br />
de Keur Simbara. Elles peuvent<br />
se réunir, célébrer (ici une nuit de<br />
noces), danser... Dans les villages<br />
sans électricité, seuls les hommes<br />
sortent une fois la nuit tombée.
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Reportage I 29
LA SENTINELLE<br />
"<br />
Ma<br />
famille et moi sommes kurdes. Et comme si cela<br />
n’était pas suffisant, nous sommes également<br />
alévis (1) ”, ironise Ayşe Acinkli. Elle est de surcroît<br />
avocate en Turquie et défenseuse des droits humains, incluant<br />
ceux des dissidents politiques… Autrement dit, elle représente<br />
le condensé exact de tout ce que le gouvernement autoritaire<br />
de Recep Tayyip Erdoğan exècre.<br />
La jeune avocate est issue d’une famille modeste du sud de la<br />
Turquie qui lui a “toujours appris à cacher (son) identité”. Élève<br />
remarquée, elle est reçue à l’université de Droit d’Istanbul. Elle<br />
adhère au <strong>BD</strong>P, un parti kurde de gauche. “Je me suis battue<br />
pour les droits des femmes, des Kurdes, des alévis… J’ai vu<br />
de nombreux innocents arrêtés uniquement à cause de leur<br />
identité.” Jusqu’alors, ses études de droit n’étaient que la suite<br />
logique d’un parcours scolaire brillant. “J’ai ensuite compris que<br />
ce métier me permettrait de défendre les droits humains, de<br />
poursuivre l’action politique et d’aider les gens.” Aujourd’hui, la<br />
quasi-totalité de ses dossiers est liée à des “crimes” politiques.<br />
AYSE ACINKLI<br />
La robe d’Ayşe Acinkli est le poil à gratter<br />
du gouvernement turc. Cette avocate de<br />
trente ans qui défend les droits humains<br />
a reçu le prix des Droits du Conseil<br />
européen des barreaux.<br />
Son procès aura lieu le 20 avril 2017.<br />
Texte de Sandrine Boucher<br />
Réalisé en partenariat avec<br />
la FIDH, mouvement mondial<br />
de défense des droits humains<br />
Cela fait plusieurs années qu’elle est dans le viseur des<br />
autorités. “Nous avons appris récemment que nos téléphones<br />
avaient été mis sur écoute dès 2011”, affirme-t-elle. Puis, à la<br />
surveillance succède la répression. Le 16 mars 2016, elle est<br />
réveillée avant l’aube par une descente de police. Ayşe Acinkli<br />
est relâchée deux jours après, mais arrêtée à nouveau le<br />
6 avril. “Malheureusement, ce ne fut pas une grande surprise.<br />
Le gouvernement considère les avocat.e.s comme des menaces<br />
face à ses injustices.”<br />
Ayşe Acinkli a failli passer son trentième anniversaire en<br />
prison, le 11 septembre 2016. Elle avait été remise en liberté<br />
conditionnelle quelques jours auparavant, au terme de<br />
cinq mois d’incarcération. Sa faute ? Faire son métier. Plus<br />
précisément être l’une des défenseuses des avocat.e.s<br />
poursuivi.e.s depuis 2012 dans l’affaire dite du KCK, l’Union des<br />
communautés du Kurdistan, accusée d’être liée à la guérilla<br />
kurde. “La Turquie méprise tous les traités internationaux. Elle<br />
identifie un avocat à la cause qu’il ou elle défend”, a remarqué<br />
Jacques Bouyssou, du barreau de Paris. La mobilisation<br />
internationale des avocat.e.s et des militant.e.s des droits<br />
humains a contribué à sa libération provisoire et à celle de son<br />
confrère, Ramazan Demir, le 7 septembre.<br />
“LE GOUVERNEMENT CONSIDÈRE<br />
LES AVOCAT.E.S COMME DES MENACES<br />
FACE À SES INJUSTICES.<br />
”<br />
À la question des droits en Turquie, Ayşe Acinkli répond :<br />
“Je pense que nous avons atteint le pire.” Sous l’état d’urgence,<br />
les sanctions pleuvent sur les opposant.e.s, les minorités,<br />
les associations des droits civiques… Les droits des femmes<br />
ne sont évidemment pas épargnés : “Ils veulent nous confiner<br />
à la maison, envisagent d’autoriser les mariages d’enfants.<br />
Le viol et le meurtre des femmes ne sont toujours pas<br />
correctement punis.”<br />
Ayşe Acinkli est toujours sous le coup de poursuites pénales,<br />
mais n’entend pas baisser les bras. “Perdre espoir, c’est perdre<br />
toute capacité d’agir. Et la lutte donne une raison de vivre.” n<br />
(1) Les alévis font partie d’une branche minoritaire de l’islam : ils.elles sont républicains,<br />
féministes, ouverts à la laïcité depuis 1920. Ils.elles représentent 20 à 25 % des Turc.que.s.
NOUVELLES D’ICI ET AILLEURS<br />
International<br />
Tunisie-Liban<br />
TRANSGENRE<br />
Cheveux roses et regard déterminé :<br />
une enfant transgenre fait la<br />
couverture du numéro de janvier<br />
du prestigieux National Geographic,<br />
avec cette citation : “La meilleure<br />
chose qui soit dans le fait d’être<br />
une fille est que, maintenant, je n’ai<br />
plus besoin de prétendre que<br />
je suis un garçon.” Avery Jackson,<br />
Américaine de neuf ans, a été<br />
choisie pour illustrer un dossier<br />
sur “La révolution du genre”.<br />
Ce choix de une a fait polémique<br />
outre Atlantique. Dans son édito,<br />
Susan Goldberg, rédactrice en<br />
cheffe du mensuel a rétorqué :<br />
“Parfois XX et XY ne suffisent pas<br />
à raconter toute l’histoire.”<br />
Chili<br />
DÉTRICOTER LES CLICHÉS<br />
“Briser les stéréotypes nous transforme<br />
en une société plus inclusive<br />
et tolérante”, peut-on lire aux pieds<br />
de la rangée d’hommes qui tricotent<br />
dans les rues de Santiago. Le collectif<br />
chilien Hombres Tejedores compte<br />
une dizaine d’hommes de vingt-cinq<br />
à cinquante-cinq ans qui se réunissent<br />
une fois par mois pour tricoter en public.<br />
Ils organisent également des ateliers<br />
d’apprentissage ouverts à tou.te.s.<br />
L’initiative n’est pas isolée : des groupes<br />
semblables ont été créés à Montevideo,<br />
Bogota ou encore Mendoza.<br />
MOBILISATIONS<br />
PAYANTES<br />
Échapper à une condamnation<br />
pour viol et à la prison<br />
en épousant sa victime ?<br />
Les militantes de plusieurs<br />
pays ont obtenu, par leur forte<br />
mobilisation, la suppression<br />
des textes de loi qui autorisaient<br />
cette pratique censée “laver<br />
l’honneur” des victimes<br />
et des familles.<br />
En décembre, en Tunisie,<br />
une décision du tribunal de Kef<br />
autorisant le mariage d’une fille<br />
de treize ans, enceinte<br />
de son cousin qui l’avait<br />
violée, avait entrainé de vives<br />
réactions dans tout le pays.<br />
L'article de loi incriminé a été<br />
supprimé début février.<br />
Au Liban, la campagne<br />
a également payé.<br />
Des manifestantes vêtues<br />
de robes de mariées tâchées<br />
de sang, scandant “un mariage<br />
n’efface pas un viol”, avaient<br />
fait le buzz dans le pays.<br />
La mobilisation a aussi<br />
porté ses fruits en Turquie,<br />
où un projet de loi autorisant<br />
cette pratique d'un autre âge<br />
a été finalement abandonné<br />
(lire aussi page 69).<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 31
Irak<br />
VÉLO LIBERTÉ<br />
“Est-ce la société qui nous interdit<br />
certaines choses ou bien est-ce parce<br />
que nous arrêtons de les faire ?”,<br />
interroge Marina Jaber, qui donne<br />
elle-même sa réponse en chevauchant<br />
régulièrement un vélo, cheveux<br />
au vent, dans les rues de Bagdad.<br />
Elle brise ainsi une loi non écrite<br />
qui interdit aux femmes de pédaler.<br />
Et l’adepte de la petite reine<br />
inspire : plus de 30 000 personnes<br />
suivent son compte Instagram,<br />
d’autres jeunes femmes postent<br />
des images d’elles mêmes à vélo<br />
et les Irakiennes sont de plus<br />
en plus nombreuses à participer<br />
aux promenades collectives.<br />
Deux cents manifestant.e.s pour<br />
la paix, en majorité des femmes,<br />
ont ainsi défilé début février à Bagdad,<br />
tou.te.s. à vélo.<br />
6 ans<br />
Roumanie<br />
HÉROÏNE DU PEUPLE<br />
Laura Codruta Kovesi,<br />
la procureure à la tête<br />
du parquet anti-corruption<br />
roumain (DNA), est devenue<br />
l’icône des manifestant.e.s<br />
qui scandent son prénom<br />
et défilent par centaines<br />
de milliers depuis le 1 er février<br />
dans les grandes villes<br />
du pays. Les protestataires<br />
ont déjà réclamé – et obtenu –<br />
l’annulation des ordonnances<br />
qui auraient permis à<br />
des politicien.ne.s véreux.ses<br />
d’échapper à la prison, ainsi<br />
que la démission du ministre<br />
de la Justice. La société civile<br />
n’entend pas en rester là<br />
et se rassemble désormais<br />
pour exiger que l’opération<br />
mains-propres soit généralisée<br />
à l’ensemble de la classe au<br />
pouvoir. À leurs yeux, Laura<br />
Codruta Kovesi est la femme<br />
de la situation. Devenue<br />
cheffe du DNA en 2013, elle est<br />
à l’origine de l’arrestation<br />
de milliers de personnalités<br />
du monde politique et<br />
économique roumains. 90 %<br />
des enquêtes ouvertes<br />
par ses services aboutissent<br />
à une condamnation.<br />
Argentine<br />
BASTA PIROPOS<br />
Piropos : sous ce joli mot se cache<br />
une pratique moins glorieuse,<br />
celle des interpellations déplacées<br />
et souvent grossières que<br />
subissent les Argentines dans<br />
la rue… et qui sont désormais<br />
illégales. Votée en décembre<br />
2016 dans le district fédéral<br />
de Buenos Aires, une loi pénalise<br />
désormais le harcèlement, verbal<br />
ou non, dans les rues de la capitale.<br />
Il devient un délit passible d’une<br />
amende allant jusqu’à 1 000 pesos<br />
(60 e uros) ou de dix jours de travail<br />
communautaire. Un progrès dans<br />
la lutte contre l’expression d’un<br />
machisme généralisé, solidement<br />
attaché à la figure du chamucho,<br />
le “dragueur” argentin. Selon<br />
Raquel Vivanco, 100 % des femmes<br />
interrogées par l’ONG Mujeres<br />
de la Matria Latinoamericana<br />
(Mumala) disent avoir été victimes<br />
de harcèlement de rue, la moitié<br />
de commentaires sexuels explicites<br />
et 47 % avoir été suivies par<br />
un homme sur la voie publique.<br />
L’âge à partir duquel les enfants ont déjà intégré des stéréotypes<br />
de genre, selon une étude universitaire américaine publiée<br />
dans Science du 27 janvier 2017. Les chercheur.se.s<br />
ont demandé à des groupes de filles et de garçons d’associer<br />
l’idée d’une personne “très intelligente” à des images de<br />
femmes ou hommes. Jusqu’à cinq ans, les enfants désignent<br />
de manière équivalente d’image d’un adulte de leur sexe,<br />
mais dès l’année suivante, 65 % des garçons choisissent<br />
une figure masculine, 48 % des filles une féminine.
France<br />
RÉFORME INCOMPLÈTE<br />
Le délai de prescription de<br />
l’ensemble des crimes et délits, dont<br />
sexuels, a été doublé le 16 février,<br />
suite à l’adoption définitive<br />
par le Parlement d’une réforme<br />
de la justice pénale. Les victimes<br />
d’agressions sexuelles disposeront<br />
désormais de six ans au lieu<br />
de trois pour porter plainte, celles<br />
qui ont subi un viol, de vingt ans<br />
au lieu de dix. Exception très<br />
notable, cet allongement des délais<br />
ne concerne pas les viols commis<br />
sur des mineur.e.s, les possibilités<br />
de recours restant figées à vingt<br />
années après leur majorité.<br />
Une grande déception pour<br />
les associations, qui réclament<br />
de longue date l'imprescriptibilité<br />
des crimes sexuels, en particulier<br />
pour les mineur.e.s, qui comptent<br />
pour près de 60 % des victimes<br />
de viols. Leur parole peut<br />
mettre des dizaines d’années<br />
à se libérer. En témoigne l’affaire<br />
David Hamilton, accusé par<br />
l’animatrice Flavie Flament de viol<br />
plus de trente ans après les faits.<br />
La ministre Laurence Rossignol<br />
vient d’ailleurs de lui confier<br />
le copilotage d’une commission<br />
sur ce sujet.<br />
Cuba<br />
International<br />
CACHE-CACHE TÉTON<br />
Réseaux sociaux et tétons féminins<br />
ne font pas bon ménage. Ces derniers<br />
se voient systématiquement censurés,<br />
contrairement à leurs équivalents<br />
anatomiques masculins. Agacé.e.s<br />
par ces doubles standards en matière<br />
de nudité, certain.e.s internautes<br />
parviennent à contourner l’interdit.<br />
Créé en 2015 le projet brésilien<br />
Mamilo livre (“le téton libre”) invite<br />
les participant.e.s à poster des photos<br />
de seins sur Facebook. Sur Instagram,<br />
Genderless nipples (“tétons sans<br />
genre”) diffuse des photos de tétons<br />
prises en gros plan, montrant qu’il est<br />
impossible de déterminer s’il s’agit<br />
d’un corps masculin ou féminin.<br />
Une initiative probante, puisqu’à<br />
ce jour une seule photo a été censurée.<br />
Ironie du sort, il s’agissait d’un téton…<br />
d’homme.<br />
RECONNAISSANCE<br />
TARDIVE<br />
La peintre cubaine Carmen<br />
Herrera connaît enfin<br />
le succès… à l’âge de 101 ans.<br />
“Une galeriste, Rose Fried,<br />
m'a dit un jour : ‘Ce que tu peins<br />
m'enchante, mais je ne peux<br />
pas te donner ta chance,<br />
car tu es une femme‘”,<br />
raconte-t-elle. Celle qui<br />
a vendu son premier tableau<br />
à l’âge de quatre vingt-neuf<br />
ans est désormais demandée<br />
dans les plus grands musées<br />
et galeries du monde.<br />
Ses œuvres abstraites<br />
et minimalistes, qui se vendent<br />
désormais des centaines<br />
de milliers de dollars,<br />
sont exposées au MoMA<br />
de New York ou à la Tate<br />
Modern à Londres.<br />
Son travail vient même de faire<br />
l’objet d’une rétrospective au<br />
prestigieux Whitney Museum<br />
of American Art de New York.<br />
Tout vient à point à qui sait<br />
attendre… Un peu long quand<br />
même !<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 33
États-Unis<br />
Népal<br />
HONORÉE<br />
Anuradha Koirala va recevoir<br />
la Padma Shri, l’une des plus hautes<br />
distinctions civiles indiennes. Cette<br />
ancienne enseignante népalaise<br />
qui a fondé en 1993 l’association<br />
Maiti Nepal (“maison maternelle”),<br />
a sauvé plus de 12 000 jeunes filles<br />
de l’esclavage en Inde. Il s’agit<br />
principalement de jeunes filles<br />
issues des villages les plus pauvres<br />
du Népal ou du Bangladesh,<br />
vendues par des bandes<br />
criminelles. En 2016, l’Inde<br />
abritait 40 % des esclaves dans<br />
le monde. L’association compte<br />
un refuge à Katmandou, onze<br />
maisons de transit à la frontière<br />
népalo-indienne, trois centres<br />
de prévention, deux hôpitaux<br />
et une école accueillant un millier<br />
d'élèves.<br />
Finlande<br />
MARIAGE POUR TOU.TE.S<br />
Les couples finlandais de même sexe<br />
peuvent se marier depuis le 1 er mars.<br />
Le parlement a repoussé une<br />
ultime tentative de député.e.s<br />
conservateur.trice.s de faire obstacle<br />
à l’entrée en vigueur de cette loi adoptée<br />
en 2014. La Finlande, qui autorisait les<br />
unions civiles pour tou.te.s depuis 2002,<br />
est le dernier pays nordique à légaliser<br />
le mariage homosexuel.<br />
Espagne<br />
FEMMES VS FRANCO<br />
Les Madrilènes pourront désormais<br />
déambuler rue Soledad Carloza,<br />
procureure spécialisée dans la lutte<br />
contre les violences sexuelles,<br />
et les habitant.e.s de Léon prendre<br />
un verre rue Angela Ruiz Robles,<br />
enseignante, écrivaine et pionnière<br />
du livre électronique.<br />
Plus de quarante ans après la mort<br />
de Franco, plusieurs villes ont décidé<br />
de rebaptiser les rues et places dont<br />
les noms évoquent encore le régime<br />
du Caudillo, pour mettre à l’honneur<br />
des figures progressistes,<br />
en particulier féminines. Cette mise<br />
en application tardive de la ley<br />
de Memoria votée en 2007,<br />
qui prévoit le retrait des symboles<br />
fascistes dans l’espace public,<br />
permet un rééquilibrage salutaire :<br />
seulement 10 % des rues espagnoles<br />
portent des noms de femmes…<br />
le plus souvent des religieuses<br />
ou des saintes.<br />
PANTHÉON DU TENNIS<br />
En battant fin janvier sa sœur Venus<br />
en finale de l’Open d’Australie,<br />
Serena Williams, trente-cinq<br />
ans, a remporté son 23 e trophée<br />
en Grand Chelem. Elle est ainsi<br />
devenue la championne de tennis<br />
qui totalise le plus grand nombre<br />
de titres obtenus lors des tournois<br />
majeurs de la période moderne.<br />
Serena Williams a dépassé<br />
dans les palmarès l’Allemande<br />
Steffi Graff (vingt-deux titres)<br />
et elle n'est qu'à un sacre<br />
de l’Australienne Margaret Court<br />
(vingt-quatre titres), qui avait<br />
cependant réalisé l’essentiel<br />
de sa carrière avant l’ère<br />
professionnelle. En septembre<br />
2016, Serena Williams avait<br />
déjà battu le record absolu,<br />
hommes et femmes confondu.e.s,<br />
du nombre de matchs remportés<br />
lors des tournois du Grand<br />
Chelem avec une 308 e victoire,<br />
dépassant ainsi Martina Navratilova<br />
(306) et Roger Federer (307).<br />
Gigantesque !
RENCONTRE AVEC<br />
ZAINA<br />
ERHAIM<br />
LES MOTS D’ALEP<br />
Journaliste syrienne travaillant<br />
à Londres, Zaina Erhaim<br />
a regagné son pays en plein<br />
conflit. Elle s’est installée<br />
à Alep et a mis en valeur le rôle<br />
des femmes dans la rébellion.<br />
Elle a aussi formé à son métier<br />
de nombreux.ses Syrien.ne.s.<br />
Son travail de journalisme<br />
et son engagement ont été<br />
récompensés par plusieurs<br />
prix internationaux.<br />
Propos recueillis par Pierre-Yves Ginet<br />
Des médias et certaines personnalités politiques, notamment en France,<br />
suggèrent qu’il vaut mieux avoir Bachar Al-Assad que les islamistes, qu'Alep<br />
était en partie aux mains de Daech. Vous qui avez vécu dans cette ville et qui<br />
avez témoigné de la réalité du terrain, qu’en pensez-vous ?<br />
Ces trois dernières années, quel que soit l’endroit du monde où je me trouvais, je<br />
devais toujours faire face à la même remarque : “Vous êtes opposée au régime<br />
d’Assad, alors vous êtes pro État islamique”. Comme si le peuple syrien n’existait<br />
pas, comme s’il n’y avait pas de rebelles modéré.e.s.<br />
Ils.elles contrôlaient entièrement la ville d’Alep [NDLR : Daech a été expulsé de<br />
la deuxième ville de Syrie en 2014 par les forces révolutionnaires opposées de<br />
la dictature syrienne]. Peu importe ce tu portais comme vêtement ou à quoi tu<br />
ressemblais, tu pouvais aller et venir librement. Alep était la dernière zone de<br />
liberté de cette importance. Mais lorsque la ville est tombée, même les médias<br />
arabes ont dit qu’Alep avait été libérée… Ils n’ont jamais parlé du nombre de<br />
civil.e.s brutalisé.e.s qui n’avaient même pas de position politique…<br />
En 2011, lors des premières manifestations, Assad a dit déclarer la guerre au<br />
terrorisme. Au contraire, il l’a favorisé et entretenu, avec le soutien des Russes<br />
et l’impuissance de la communauté internationale.<br />
Quelles sont les informations dont vous disposez actuellement, rapportées<br />
par vos correspondant.e.s et ami.e.s à l’intérieur d’Alep ?<br />
Tou.te.s ceux.celles que je connais ne sont plus en Syrie. Elles et ils ont été<br />
expulsé.e.s de leur maison, certain.e.s ont réussi à fuir jusqu’en Turquie. Les<br />
habitant.e.s qui n’ont pas pris parti, mais qui ont refusé de quitter leur domicile,<br />
ont subi une grande vague d’arrestations et de répression. Évidemment, la vie<br />
est encore plus difficile pour celles et ceux qui ont un lien avec les rebelles de<br />
l’opposition.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Rencontre avec I 35
Quelle est la situation particulière des femmes ?<br />
Il y a du changement, en négatif et en positif. Maintenant, il est<br />
accepté que les femmes travaillent. Avant, elles n’avaient pas<br />
d’autre choix que d’être au foyer, mais beaucoup ont perdu leur<br />
mari et ont été embauchées dans les entreprises. D’un autre<br />
côté, elles sont toujours perçues comme faibles et sont encore<br />
beaucoup plus surveillées que les hommes.<br />
“IL ÉTAIT IMPORTANT DE MONTRER CE QUE<br />
LES REBELLES SYRIENNES FAISAIENT, D'ENTENDRE<br />
CE QU’ELLES DISAIENT, POUR QUE LEUR<br />
ENGAGEMENT FASSE PARTIE DE L’HISTOIRE.<br />
”<br />
Pourquoi vous êtes-vous intéressée plus particulièrement au<br />
rôle des femmes dans la révolution, que vous montrez dans<br />
votre film Syria's Rebellious Women (Femmes rebelles de<br />
Syrie) ?<br />
Avant le début du conflit, je travaillais déjà sur les pionnières<br />
dans le cadre de mon Master à l’université. Quand la révolution a<br />
commencé, je me suis concentrée sur les femmes. Sinon, ce que<br />
nous vivons sera uniquement une histoire d’hommes, écrite par<br />
des hommes, oubliant le rôle essentiel des femmes. Cela n’a pas<br />
été facile de réaliser cette série de portraits. Il y avait encore<br />
le poids des traditions et beaucoup d’entre elles ne voulaient<br />
Janvier 2017. Femme âgée dans le quartier détruit d’al-Shaar,<br />
à Alep, zone qui était sous contrôle des rebelles jusqu’à l’assaut<br />
dévastateur des forces gouvernementales.<br />
pas être filmées, mais il était important de montrer ce que ces<br />
femmes faisaient, d'entendre ce qu’elles disaient, pour que leur<br />
engagement fasse partie de l’histoire.<br />
Avez-vous été déçue par la diplomatie européenne et l’action<br />
des Nations unies ?<br />
Jusqu’à 2012, je croyais que l’Union européenne et les Nations<br />
unies étaient garantes des droits humains,<br />
que les Nations unies étaient en capacité<br />
d’agir. J’ai perdu toute foi dans les institutions<br />
internationales. J’ai été également surprise<br />
par la position de la France, qui n'a rien fait et<br />
qui nous a laissé.e.s seul.e.s face aux Russes<br />
et au régime, et qui, en plus, accueille peu de<br />
réfugié.e.s. Je ne crois plus qu’en une seule<br />
chose : les gens.<br />
À ce propos, comment considérez-vous les<br />
mouvements citoyens qui se mobilisent, en particulier en<br />
Europe, comme la marche civile de solidarité avec la Syrie,<br />
partie de Berlin pour rejoindre Alep à pied ?<br />
Nous avons reçu des témoignages de compassion d’Europe<br />
et même des États-Unis, y compris de personnes qui ne sont<br />
jamais venues en Syrie. Il est indispensable de parler davantage<br />
de ces mouvements, surtout vis-à-vis de celles et ceux qui<br />
se sentent négligé.e.s et oublié.e.s, ou qui pensent que la<br />
terre entière leur est hostile : c’est un terreau parfait pour le<br />
terrorisme et l’extrémisme. Au fil des mois, de nombreux.ses<br />
Syrien.nes se sont dit : “Nous devrions rejoindre les rangs de<br />
l’État islamique et le terrorisme, parce que personne n’est à<br />
nos côtés.” Alors que ces mêmes personnes pourraient être<br />
touchées de voir des gens manifester à l’autre bout du monde<br />
pour leurs droits et leur liberté. Savoir que nous ne sommes<br />
pas seul.e.s est l’unique raison qui nous fait garder espoir et<br />
continuer de croire en l’humanité.<br />
Comment voyez-vous l’avenir de votre pays avec le retour<br />
probable du pouvoir de Bachar Al-Assad sur la totalité du<br />
territoire ?<br />
Un retour en arrière est impossible pour nous. Après tout ce que<br />
nous avons traversé depuis 2011, nous ne pourrons pas revenir à<br />
la situation antérieure, même si Assad arrive à contrôler chaque<br />
parcelle de la Syrie et même si nous savons que nous risquons<br />
de mourir. Des centaines de prisonnier.ère.s sont torturé.e.s.<br />
Beaucoup d’entre eu.elles sont mes ami.e.s qui manifestaient<br />
avec nous pour réclamer nos droits fondamentaux il y a cinq<br />
ans. Des centaines de milliers de Syrien.ne.s ont disparu. Leurs<br />
familles ne les abandonneront pas. Elles et ils continueront à<br />
demander où ces femmes et ces hommes sont, pourquoi elles<br />
et ils ont été faits prisonnier.ère.s, pourquoi le régime ne les<br />
libère pas.<br />
Il y a environ cinq millions de Syrien.ne.s qui ont été déporté.e.s.<br />
Comme moi, la plupart ne veulent pas être des réfugié.e.s, mais<br />
rentrer dans leur pays. Assad ne pourra pas se débarrasser<br />
de nous.<br />
Enfin, la Syrie est contrôlée par différentes milices, qui ont<br />
toutes des intérêts différents. Ces groupes armés savent s’unir<br />
contre les Syrien.ne.s modéré.e.s, opposé.e.s au régime, mais<br />
rien d’autre ne les rassemble. Même les habitant.e.s favorables<br />
au régime en ont assez de voir les milices irakiennes, iraniennes<br />
ou pakistanaises contrôler leur région et envahir leur maison.<br />
Il n’y a que la justice qui pourra faire revenir la stabilité et la<br />
paix en Syrie.<br />
Quels sont vos projets pour les mois à venir?<br />
Nous essayons de poursuivre notre mission et notre travail<br />
malgré tout. Nous continuons à récolter des informations de
Zaina ErhaIm en compagnie de Razan Zaitouneh,<br />
militante des droits humains, arrêtée par les hommes du régime<br />
en décembre 2013. L’avocate syrienne, prix Sakharov du<br />
Parlement européen en 2011 a été, deux ans durant, l’un.e<br />
des activistes les plus recherché.e.s par les troupes d’Assad.<br />
Arrêtée, personne ne sait ce qu’il est advenu d’elle.<br />
États-Unis et en Europe pour témoigner, même si avec les<br />
problèmes de visas, c’est compliqué. Pour le reste, il est difficile<br />
de prévoir l’avenir.<br />
Et à titre personnel ?<br />
Tout ce que je veux, c’est retourner vivre en Syrie. Je ne veux<br />
vivre nulle part ailleurs. Jusqu’à présent, je n’ai jamais arrêté<br />
d’espérer. n<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Rencontre avec I 37<br />
BIOGRAPHIE EXPRESS<br />
Zaina Erhaim lors d’une session de formation de journalistes-citoyen.ne.s à Alep,<br />
en 2016. Ces journalistes-citoyen.ne.s ont été essentiel.le.s<br />
pour la diffusion de l’information relative au drame d’Alep.<br />
terrain, à les diffuser sur SyriaStories et sur le blog des femmes.<br />
Par ailleurs, nous travaillons avec cinq centres pour les femmes<br />
dans différentes régions de Syrie, où elles pourront recevoir<br />
gratuitement des cours d’anglais et de français, apprendre<br />
à utiliser un ordinateur ou à écrire leur CV. L’objectif est de<br />
leur donner du pouvoir et leur permettre de trouver un travail.<br />
Nous avons aussi le projet de faire venir des Syriennes aux<br />
Née en Syrie, Zaina Erhaim obtient un diplôme de journalisme<br />
en 2007 à Damas. Elle part à Londres poursuivre ses études,<br />
puis travaille pour la BBC. Elle décide de revenir en Syrie<br />
en 2013, alors que la guerre fait rage, et s’installe à Alep<br />
l’année suivante. Missionnée par l’Institute of War and Peace<br />
Recording (IWPR), une ONG britannique qui soutient la société<br />
civile et les médias dans les pays en conflit, Zaina Erhaim<br />
forme plus de cent journalistes-citoyen.ne.s, dont un tiers<br />
de femmes. Ces Syrien.ne.s témoignent depuis l’intérieur<br />
de la réalité de leur pays en guerre. Ces récits sont publiés<br />
sur le site Syriastories.net, en particulier le “women’s blog”<br />
de l’IWPR. La journaliste a également réalisé un documentaire<br />
sur les rebelles syriennes.<br />
Zaina Erhaim a dû quitter son pays fin 2015. Elle vit désormais<br />
au sud de la Turquie, près de la frontière syrienne. Elle a reçu<br />
de nombreuses distinctions, dont le prix du journaliste<br />
de l’année de Reporters sans frontières et le prix Peter-Mackel<br />
qui récompense le courage et l’éthique journalistique.
NOUVELLES D’ICI ET AILLEURS<br />
Tchad<br />
MARIÉES ENFIN<br />
MAJEURES<br />
Les parlementaires<br />
tchadien.ne.s ont adopté<br />
une réforme du Code pénal<br />
portant l'âge légal du<br />
mariage à dix-huit ans.<br />
Une révolution dans<br />
ce pays où la pratique<br />
des unions précoces<br />
est courante : parmi<br />
les femmes de moins<br />
de cinquante ans, plus<br />
d’un quart ont été mariées<br />
avant quinze ans et<br />
69 % avant dix-huit ans.<br />
Pour les jeunes filles,<br />
les conséquences sont très<br />
lourdes : déscolarisation,<br />
grossesses prématurées<br />
et maltraitance pour celles<br />
qui refusent l’époux qu’on<br />
leur impose.<br />
En revanche, concernant<br />
les droits des personnes<br />
homosexuelles, les progrès<br />
demeurent faibles.<br />
Le nouveau Code pénal<br />
a allégé la sanction pour<br />
homosexualité, celle-ci<br />
relevant désormais d’un<br />
délit (passible de prison<br />
avec sursis et d’amende)<br />
et non plus d’un crime.<br />
PITEUX ÉTATS<br />
États-Unis<br />
Les tentatives de limiter le droit à l’avortement<br />
se multiplient dans de nombreux États du sud<br />
du pays.<br />
Le Texas a décidé d’imposer des funérailles aux<br />
restes fœtaux, sous des prétextes “sanitaires”.<br />
L’application de cette mesure est pour l’instant<br />
bloquée par un juge fédéral. Le gouverneur<br />
de l’État est un héritier de Rick Perry, à l’origine<br />
de l’obligation faite aux médecins de montrer<br />
le fœtus qu’elle porte à une femme voulant<br />
pratiquer une IVG et de lui faire écouter son cœur.<br />
Dans l’Oklahoma, un sénateur a, quant à lui,<br />
voulu imposer des messages anti-IVG dans<br />
les sanitaires publics et les restaurants. En vain,<br />
heureusement.<br />
De son côté, l’Arkansas a récemment fait adopter<br />
une loi qui permet aux pères présumés, même<br />
dans les cas de viols ou d'inceste, de s’opposer<br />
à un avortement. La mesure est étendue<br />
aux parents d’une mineure.<br />
International<br />
RÊVE GÉNÉRAL<br />
Un appel massif à la grève<br />
des femmes a été lancé pour<br />
le 8 mars, Journée internationale<br />
des droits des femmes. Et ce,<br />
partout dans le monde.<br />
Ce mot d'ordre, inspiré par<br />
les Polonaises qui luttent<br />
pour le droit à l’IVG et par<br />
la grève des Islandaises<br />
de 1975, a été initié par les<br />
Latino-Américaines de Ni Una<br />
Menos (“pas une de moins”)<br />
qui se battent depuis des mois<br />
contre les violences machistes.<br />
Cet appel à une “journée sans<br />
femmes” rassemble déjà,<br />
à mi‐février, près de trente<br />
pays, principalement en Europe,<br />
en Amérique du Sud et du Nord.<br />
La Women’s March a relayé<br />
l'annonce aux États-Unis.<br />
En France, les participant.e.s<br />
sont invité.e.s à cesser le travail<br />
le 8 mars à 15 h 40, heure après<br />
laquelle es femmes travaillent<br />
sans être payées, en raison<br />
de la différence de salaires<br />
entre les sexes. Informations<br />
sur le site : www.8mars15h40.fr
France<br />
PENSIONS PAYÉES<br />
L’Agence de recouvrement<br />
des impayés de pensions<br />
alimentaires (ARIPA) vient<br />
d’être créée. Une avancée pour<br />
les familles monoparentales,<br />
avec à leur tête, dans 85 %<br />
des cas, une femme qui élève<br />
seule ses enfants. Les pensions<br />
alimentaires représentent 20 %<br />
des revenus de ces familles,<br />
le taux d'impayés avoisine<br />
les 30 à 40 % : environ 100 000<br />
foyers sont concernés.<br />
Dès la première échéance<br />
manquante, l’ARIPA pourra<br />
engager une négociation<br />
à l‘amiable avec l’ex-conjoint.e<br />
et si celle-ci échoue, les sommes<br />
dues pourront être saisies<br />
sur le salaire ou le compte<br />
bancaire du.de la mauvais.e<br />
payeur.se. L’agence a le droit<br />
de recouvrer jusqu’à deux<br />
années d’arriérés. Le dispositif<br />
comprend également le<br />
versement d’un complément<br />
de pension et l’ARIPA pourra<br />
faire l’intermédiaire, en cas<br />
de violences ou de menaces<br />
entre les parents séparés.<br />
www.pension-alimentaire.caf.fr<br />
Russie<br />
PERMIS DE TAPER<br />
Une loi dépénalisant les violences<br />
domestiques a été promulguée<br />
le 7 février 2017 par le président russe,<br />
après avoir été votée par une écrasante<br />
majorité de parlementaires. Les coups<br />
qui n’entrainent pas d’hospitalisation<br />
sont désormais passibles d’une simple<br />
amende au lieu de deux ans de prison.<br />
Raison invoquée : préserver “la tradition<br />
de l'autorité parentale”, afin d’éviter<br />
la “destruction de la famille”.<br />
Nul doute que brutaliser épouse<br />
et enfants renforce la cohésion<br />
domestique… 650 000 femmes russes<br />
sont battues par leur conjoint ou leurs<br />
proches, 14 000 en meurent chaque<br />
année et 40 % des crimes graves<br />
en Russie ont lieu dans le milieu familial.<br />
De nombreux.ses militant.e.s des droits<br />
humains et collectifs de femmes se sont<br />
indigné.e.s contre cette réforme et ont<br />
multiplié les appels à manifester.<br />
Pays-Bas<br />
RIPOSTE IMMÉDIATE<br />
Sitôt au pouvoir, le nouveau<br />
président américain a décidé que<br />
les États-Unis ne financeraient<br />
plus les organismes internationaux<br />
promouvant ou soutenant le droit<br />
à l’IVG. Soit un trou d’environ<br />
600 millions de dollars sur quatre<br />
ans, impactant principalement<br />
les pays en développement.<br />
Lilianne Ploumen, ministre de la<br />
Coopération et du Développement<br />
des Pays-Bas n'aura pas tardé<br />
à réagir… Fin janvier, elle a décidé<br />
de créer un fonds international et a<br />
lancé la campagne de crowfunding<br />
SheDecides (“elle décide”).<br />
“La réponse à mon appel a dépassé<br />
toutes les attentes”, s’est réjoui<br />
Lilianne Ploumen, qui affirme avoir<br />
reçu “des milliers de messages,<br />
depuis 150 pays, en vingt trois<br />
langues”. Les Pays Bas ont versé<br />
dix millions d’euros à ce fonds,<br />
rejoints par huit pays (Canada,<br />
Belgique…). D’autres initiatives<br />
ont été lancées les semaines<br />
passées. Par exemple : la Suède<br />
a accru son soutien aux<br />
programmes des Nations unies<br />
et le Royaume-Uni organisera<br />
un sommet en juillet pour récolter<br />
des financements. Et la France ?<br />
Mi-février, aucune décision n’avait<br />
été prise.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d’ici et ailleurs I 39
AUDE GUILLOT<br />
SAPEUSE-POMPIÈRE VOLONTAIRE<br />
Texte de Camille Tidjditi | Photographies de Julien Faure
EN PREMIÈRE LIGNE DANS LE SECOURS AUX VICTIMES<br />
Engagée comme pompière volontaire à seize ans “pour faire<br />
comme son voisin”, Aude Guillot n’a plus jamais quitté la<br />
caserne. En près de vingt-trois ans d’engagement, elle a vu<br />
évoluer ce milieu très masculin : “Quand j’ai débuté j’étais<br />
la seule femme. C’était une première, l’uniforme n’était pas<br />
adapté. J’ai donc eu droit à des rangers : il n’y avait pas de bottes<br />
en 36 !”, s’amuse-t-elle. En France, 193 700 femmes et hommes<br />
ont choisi de s’engager au quotidien au service des autres, en<br />
parallèle de leur métier ou de leurs études.<br />
Au fil de son parcours, Aude Guillot découvre les différentes<br />
facettes de son engagement : “j’adore le secourisme. Je me<br />
suis découverte une vocation : aider les gens”. Accompagner et<br />
réconforter sont les autres bases de son engagement. Elle se<br />
souvient d’une petite fille qu’elle avait prise en charge pour une<br />
crise d’asthme. “Une semaine et demi après, elle s’est cassée la<br />
clavicule. Elle pleurait et réclamait ‘la femme pompier’. Quand<br />
elle m’a vu arriver, elle a eu tout de suite moins mal”. À côté de sa<br />
mission de pompière, Aude Guillot est assistante de gestion. Un<br />
métier plus sédentaire qui lui permet de rester disponible pour<br />
se porter au secours des autres. Elle confie aimer la montée<br />
d’adrénaline qui accompagne les appels pour une intervention<br />
sur le terrain. “C’est une belle vocation. Beaucoup de femmes<br />
pensent qu’elles ne pourraient jamais être pompières. C’est faux :<br />
elles ont assez de force physique pour assurer cette activité et<br />
souvent davantage de force psychologique”.<br />
“JE ME SUIS DÉCOUVERT UNE<br />
VOCATION : AIDER LES GENS.<br />
”<br />
Entrée comme pompière au grade de seconde classe, Aude Guillot<br />
a gravi les échelons jusqu’au grade d’adjudante. Son ambition ?<br />
Devenir un jour cheffe de centre. Elle avoue que son engagement<br />
est très prenant mais épanouissant. “Mes filles me disaient : ‘tu<br />
n’es pas une maman comme les autres. Elles, elles font des gâteaux<br />
le mercredi après-midi et toi, tu fais des massages cardiaques’”.<br />
Sa cadette ne serait pas contre marcher un jour dans les pas de<br />
sa mère. Peut-être chez les Guillot est-on en train d’inaugurer une<br />
lignée de sapeuses pompières de mère en fille… n<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I tous les métiers sont mixtes I 41<br />
FORMATION<br />
Pour les pompiers volontaires<br />
— Sans formation préalable, sur dossier<br />
de candidature : sapeur-pompier<br />
volontaire non-officier<br />
— À partir de bac + 2 pour les officiers<br />
Pour les pompiers professionnels<br />
— Après le brevet des collèges : concours<br />
de sapeur-pompier non-officier<br />
— À bac + 2 et + 3 : concours d’officiers<br />
de sapeur-pompier professionnel<br />
Sapeurs-pompiers militaires<br />
Sans formation et jusqu’à bac + 5 par un<br />
recrutement via un centre d’information et<br />
de recrutement des forces armées (CIRFA).<br />
Plus d’informations sur www.pompiers.fr
LES INNOVANTES<br />
Qu'est-ce qui vous a amenée à repenser le mode de travail au<br />
sein de votre entreprise ?<br />
En 2006, j’ai eu besoin de lever le nez du guidon. J’ai rejoint<br />
les réseaux féminins notamment. Là, j’ai pris conscience que<br />
je devais agir sur l’organisation du travail. J’ai mieux cerné<br />
la problématique des femmes qui, le soir, quittent souvent<br />
l’entreprise plus tôt que les hommes et de fait ne peuvent<br />
réseauter, se valoriser… Pour moi, la mixité est un engagement<br />
personnel et militant. J’ai donc agi pour la promouvoir au sein<br />
de ma société.<br />
Questions à<br />
ANNE-SOPHIE<br />
PANSERI<br />
PRÉSIDENTE DE MAVIFLEX<br />
Anne-Sophie Panseri a changé<br />
les règles du jeu au sein de Maviflex,<br />
en attaquant le présentéisme<br />
et en insufflant de la flexibilité.<br />
Et l'entreprise qu’elle dirige<br />
depuis 2000 s’en porte bien mieux !<br />
Quelles actions avez-vous mises en place ?<br />
Chez Maviflex, les bureaux ferment à 18 h 30 et moi aussi je<br />
pars ! Ça m’arrange aussi : je peux m’impliquer en dehors de<br />
l’entreprise et j’incite chacun.e à s’investir à l’extérieur, à aller<br />
chercher ailleurs de l’énergie, de la créativité…<br />
Par ailleurs, les réunions sont organisées entre de 9 h 30 et<br />
16 h 30. Elles sont timées, les participants arrivent à l’heure, les<br />
retardataires ne rentrent pas, question de respect.<br />
Ensuite, nous avons mis en en place un système de récupération<br />
qui permet aux salarié.e .s de faire face aux impératifs de la vie.<br />
Chacun.e dispose de deux heures de latitude pour parer au plus<br />
pressé – trouver une solution pour un enfant malade, se rendre<br />
chez le médecin, etc. - sans avoir recours à un arrêt de travail.<br />
Enfin, nous avons instauré les contrats parentaux : à la rentrée,<br />
les parents peuvent demander à modifier leurs horaires de<br />
travail sur l’année scolaire afin de pouvoir accompagner un<br />
enfant chez l’orthophoniste, à une activité…<br />
“LA MIXITÉ N’EST PAS UN SUJET<br />
DE FEMMES, MAIS UN SUJET CITOYEN.<br />
”<br />
Qu’est ce que cela a changé ?<br />
En accompagnant les salarié.e.s qui avaient recours aux arrêts<br />
de travail de courte durée, nous avons récupéré 170 jours<br />
travaillés. Ce système épargne du stress à ceux et celles qui<br />
devaient absorber une charge de travail imprévue. Ce dispositif<br />
est toujours utilisé à bon escient, dans le respect. Quant aux<br />
contrats parentaux, ils sont utilisés à 80 % par les hommes.<br />
C’est une bonne nouvelle : en œuvrant en faveur de la mixité<br />
– femmes-hommes, mais aussi de la mixité des fonctions, on<br />
apporte beaucoup à tout le monde. La mixité n’est pas un sujet<br />
de femmes, mais un sujet citoyen. L’équilibre entre vie privée et<br />
vie professionnelle insuffle de l’efficacité et de la productivité<br />
dans l’entreprise. n<br />
Propos recueillis par Anne Joly<br />
REPÈRES<br />
— Implantation : Décines (69).<br />
— Activité : fabrication de portes pour l’industrie et le commerce.<br />
— Chiffre d’affaires 2016 : 22 M€.<br />
— Nombre d’employé.e.s : 120.
ENTREPRENEURES<br />
En partenariat avec le Réseau économique féminin<br />
Par Anne Joly<br />
NEZ AU VENT<br />
POSITIVE WOMAN<br />
Le futur ne se dessinera pas sans<br />
Sofia Hmich et elle le veut positif.<br />
La très bonne élève qui a grandi<br />
en Seine-Saint-Denis vit aujourd’hui<br />
entre Londres et Paris avec un projet<br />
phénoménal : créer Future Positive<br />
Capital, un fonds d’investissement<br />
qui soutiendra “des entrepreneur.e.s<br />
qui ont la générosité de consacrer<br />
leur carrière à créer des produits<br />
utiles pour l’humanité.” Pour changer<br />
le monde, elle est en train de lever<br />
la bagatelle de trente millions d’euros…<br />
Celle qui a étudié à La Courneuve avant<br />
de rejoindre une prépa à Saint-Louis,<br />
squeezant au passage une entrée<br />
à Sciences Po via le programme de<br />
discrimination positive — “être choisie<br />
pour mon code postal me dérangeait”<br />
— a étudié à HEC avant de faire<br />
ses armes chez les plus grands noms<br />
de la finance et de la “tech” (Google,<br />
Deezer…). Mais ce qu’elle préfère<br />
raconter, c’est son investissement dans<br />
le développement d’associations comme<br />
Dessine-toi un avenir, le Labo des<br />
histoires ou en s’impliquant pour Frateli.<br />
Toujours pour soutenir, accompagner,<br />
encourager les plus jeunes.<br />
Il y a un an et demi, elle a donc quitté<br />
le grand fonds de capital-risque<br />
international qui l’employait, mue par<br />
l’idée “d’impacter le monde”, convaincue<br />
que “la valeur n’est pas que financière,<br />
mais réside aussi dans l’innovation,<br />
l’humain”. À vingt-neuf ans, Sofia Hmich<br />
offre un visage incroyablement sensible<br />
de la finance internationale.<br />
À tout juste trente ans, Caroline<br />
Van Renterghem peut se vanter<br />
d’avoir piqué la curiosité des<br />
visiteur.se.s du CES, en janvier,<br />
le rendez-vous mondial du<br />
high-tech à Las Vegas, avec son<br />
foulard antipollution connecté.<br />
Pour autant, le pari n’était pas<br />
gagné : au départ, elle avait<br />
l’air d’une blague, cette histoire<br />
de protection jolie, pratique<br />
et efficace contre les vilaines<br />
particules qui s’insinuent dans<br />
le nez des cyclistes ! La blague est<br />
vite devenue un défi à relever pour<br />
celle qui avait créé son propre label<br />
de musique électro quand elle était<br />
encore étudiante à Sciences Po.<br />
Après quelques années passées<br />
dans la mode puis l’évènementiel,<br />
un voyage en Asie et une école de<br />
théâtre, Caroline Van Renterghem<br />
se met donc en tête de développer<br />
son “Wair”. Si son idée séduit —<br />
elle remporte le défi Cisco et<br />
le BigBooster à Lyon — la porteuse<br />
de projet peine à la réaliser.<br />
Jusqu’à ce qu’elle rencontre<br />
celui qui devient son directeur<br />
technique. À ceux qui ont tôt fait<br />
de voir dans le duo “une miss mode<br />
et un mister techno”, elle répond<br />
fraîchement : “nos profils sont<br />
complémentaires”. Pour preuve :<br />
Wair dispose, quelques mois<br />
après sa création, d’un prototype<br />
fonctionnel et se réjouit d’avoir<br />
levé plus d’argent que prévu via<br />
une opération de crowdfunding.<br />
Foncièrement optimiste, Caroline<br />
Van Rentherghem affiche fièrement<br />
son business plan et ses 18 M€<br />
de chiffre d’affaires prévus en 2019.<br />
RENAISSANCE<br />
En matière d’agilité, Hélène Landron<br />
en impose. Destinée à être maquilleuse,<br />
elle est aujourd’hui directrice<br />
marketing et communication<br />
de Citygoo, start-up à l’origine<br />
d’une application de covoiturage urbain<br />
et instantané, qu’elle a cofondée<br />
avec Patrick Robinson. Entre ces deux<br />
métiers, plusieurs autres. D’abord<br />
responsable pédagogique, elle devient<br />
chercheuse en ethnologie au CNRS.<br />
À la fin des années quatre-vingt-dix,<br />
le secteur de l’internet explose.<br />
Elle s’y sent à l’aise et ne l’a plus quitté<br />
depuis. Hélène Landron en a connu<br />
les hauts, les bas, les bulles, les crises.<br />
Mais à chaque fois, ce sont de nouveaux<br />
apprentissages, des projets palpitants,<br />
une montée en responsabilités pour<br />
cette spécialiste du multimédia<br />
et de la stratégie digitale. Les projets<br />
capotent, parfois, mais elle se relève,<br />
toujours. Même après avoir piloté<br />
pendant sept ans elleadore.com,<br />
un magazine en ligne, avant de le voir<br />
revendu. Même après avoir vu s’éteindre<br />
Wengo, un site de mise en relation<br />
particuliers/ professionnels, quelques<br />
mois après y être entrée. “J’ai compris<br />
que je n’étais jamais meilleure<br />
qu’avec une feuille blanche à écrire”,<br />
confie-t elle, tout en reconnaissant<br />
l’importance de détenir aussi<br />
les cordons de la bourse. En tant que<br />
cofondatrice de Citygoo, elle ne jouit<br />
pas encore d’une “totale liberté”,<br />
mais défend son idée du management<br />
et du “travailler ensemble”. Aujourd’hui,<br />
elle “invente son job chaque jour” et,<br />
bien sûr, ça l’éclate.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I ENTREPRENEURES I 43
ÉCONOMIE<br />
en partenariat avec<br />
Royaume-Uni<br />
France<br />
RESSOURCES<br />
HUMAINES<br />
Dans le cadre de la loi égalité<br />
et citoyenneté du 27 janvier<br />
2017, des formations<br />
à la non-discrimination<br />
pour les recruteur.se.s<br />
exerçant dans des entreprises<br />
d'au moins 300 salarié.e.s<br />
et les celles spécialisées<br />
dans le recrutement seront<br />
désormais obligatoires.<br />
Ces formations devront avoir<br />
lieu au moins une fois tous<br />
les cinq ans. Une avancée<br />
attendue de longue date, pour<br />
éliminer les discriminations<br />
de genre dans la gestion<br />
des ressources humaines<br />
et la classification des emplois.<br />
Rappelons que dans<br />
le classement établi chaque<br />
année par le Forum économique<br />
mondial, sur le critère de<br />
l’égalité salariale, la France<br />
pointe à une piteuse 134 e place<br />
sur… 144 pays notés.<br />
France<br />
MESURER LA MIXITÉ<br />
Fixer des objectifs, c’est bien,<br />
pouvoir évaluer les progrès,<br />
c’est mieux. Six ans<br />
après l’adoption de la loi<br />
qui contraint les entreprises<br />
du CAC 40 à compter 40 %<br />
d’administratrices, l’indice<br />
Zimmermann a vu le jour.<br />
Il mesure la mixité dans<br />
les conseils d’administration,<br />
mais aussi dans les équipes<br />
dirigeantes des grandes<br />
sociétés cotées en bourse<br />
(CAC 40 et SBF 120). Cet<br />
indice, nommé en référence<br />
à Marie‐Jo Zimmermann,<br />
députée à l’origine de cette<br />
réforme législative, est calculé<br />
par l’Observatoire Ethics<br />
& Boards et l’Institut<br />
du capitalisme responsable.<br />
Sept entreprises ont été<br />
distinguées avec la première<br />
salve de ce nouvel indice, basée<br />
sur les données 2016 : Engie,<br />
l’Oréal, Korian, CNP Assurances,<br />
AXA, Orange et Technicolor.<br />
PAPAS POUPONNENT<br />
53 % des jeunes pères britanniques se disent<br />
prêts à accepter un travail moins prestigieux,<br />
s’ils peuvent passer plus de temps avec<br />
leurs enfants. 48 % affirment aussi qu’ils<br />
consentiraient à une diminution de leurs<br />
revenus pour obtenir un meilleur équilibre<br />
entre leur vie professionnelle et leur vie<br />
personnelle. “Le partage des responsabilités<br />
familiales à parts égales entre les pères et<br />
les mères est la clé pour réduire les écarts<br />
de rémunération entre hommes et femmes”,<br />
rappelle Maria Miller, présidente du Women<br />
and Equalities Commitee.<br />
MAUVAIS GENRE<br />
États-Unis<br />
Plutôt rester sans emploi que faire un boulot<br />
“de femme” : voici le choix fait par les potentiels<br />
chômeurs — hommes — américains. Selon une<br />
enquête du New York Times, alors que certaines<br />
professions “masculines” vont se réduire, voir<br />
disparaître à l’avenir, ceux qui les occupent ne<br />
sont pas prêts à se reconvertir dans des emplois<br />
traditionnellement occupés par des femmes,<br />
pourtant en pleine expansion (santé, services à la<br />
personne). Question de “de préjugés sur ce qu’est<br />
leur identité” estime un économiste d’Harvard.
100 %<br />
des “ 100 patrons français les plus<br />
performants”, selon le classement<br />
établi par Challenges, sont des hommes.<br />
Le magazine s’est défendu en expliquant<br />
qu’il ne s’agissait que de chefs<br />
d’entreprise en poste depuis trois ans.<br />
Or Sophie Bellon, par exemple, n’a pris<br />
la tête de Sodexo qu’au début 2016. . .<br />
Vous avez dit “plafond de verre” ?<br />
International<br />
France<br />
CONGÉ MINIMUM<br />
DIGITALES<br />
L’association Femmes pour<br />
le dire, femmes pour agir<br />
(FDFA) abrite désormais<br />
à Paris une “maison digitale”,<br />
financée par la Fondation<br />
Orange. Ce lieu permet<br />
de dispenser des formations<br />
au numérique afin<br />
d’accompagner vers l’emploi<br />
des femmes en situation<br />
de handicap. L’association<br />
lutte de longue date<br />
contre l’exclusion<br />
et la discrimination<br />
qui touchent les femmes<br />
handicapées et vient en<br />
aide à celles qui subissent<br />
des violences.“ L’objectif est<br />
de leur redonner confiance.<br />
Cette maison digitale<br />
est une ouverture vers<br />
l’extérieur”, estime Maudy<br />
Piot, fondatrice de FDFA<br />
(gauche sur la photo).<br />
Le groupe Kering a instauré depuis<br />
le 1 er janvier pour l’ensemble<br />
de ses 38 500 employé.e.s un congé<br />
maternité ou adoption minimum<br />
de quatorze semaines, ainsi que<br />
cinq jours de congé paternité<br />
ou partenaire. La règle est la même<br />
pour tous et toutes, dans près<br />
de soixante pays, sauf bien sûr<br />
sur les territoires où la législation<br />
locale prévoit des normes de congé<br />
parental plus avantageuses.<br />
Dans les États où les conditions<br />
sont moins favorables pour<br />
les salarié.e.s, ces congés “Kering”<br />
seront indemnisés à 100 % de<br />
leur rémunération. Ils constituent<br />
un grand pas en avant pour<br />
les employé.e.s de ces pays.<br />
À l'instar du géant du luxe,<br />
d’autres groupes mondiaux sont<br />
actuellement en train de mettre<br />
en place un “socle” de droits<br />
sociaux et une politique parentale<br />
identiques pour l’ensemble<br />
de leurs collaborateurs.trices, quelle<br />
que soit leur situation géographique.<br />
Espagne & Royaume-Uni<br />
RETOURS À LA TERRE<br />
Depuis la crise, les Espagnoles<br />
investissent massivement l’agriculture.<br />
46 % des exploitations laitières<br />
de la Galice sont désormais dirigées<br />
par des éleveuses. Pour accroître<br />
leur visibilité et valoriser leur travail,<br />
la Fédération des femmes rurales<br />
de Galice (Fademur) vient de créer Rural<br />
Muller, la première marque de lait produit<br />
exclusivement par des agricultrices.<br />
L’objectif est d’étendre le réseau<br />
de diffusion à toute l’Espagne.<br />
En Grande-Bretagne, le nombre<br />
d’agricultrices a bondi de 10 % entre 2010<br />
et 2013, portant à 28 % la féminisation<br />
de ce secteur. Par ailleurs, les formations<br />
agricoles britanniques ont attiré 25 %<br />
de femmes en plus en 2015.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Économie I 45<br />
23 %<br />
C’est la performance supplémentaire enregistrée pa<br />
les équipes mixtes par rapport aux équipes qui ne le sont<br />
pas, dans les métiers des sciences, des techniques<br />
et de l’innovation (STI). Cet écart atteint 20 % pour les seules<br />
entreprises françaises. “ La mixité est un pilier de croissance”,<br />
conclut l’étude Gender Scan de la société de conseil<br />
Global Contact, qui regrette en revanche une stagnation<br />
de la féminisation des doctorats dans ce secteur des STI.
REPORTAGE<br />
Chambre d'isolement dans un hôpital<br />
psychiatrique. Chaque année, nombre d'hommes<br />
violents plaident la folie de leur compagne.
FRANCE<br />
PSYCHIATRIE :<br />
SORTIR DE<br />
LA DOUBLE PEINE<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 47<br />
Chaque année, des femmes victimes de<br />
violences conjugales sont considérées<br />
comme malades mentales, gavées de<br />
médicaments et internées de force.<br />
Le résultat d’un manque de formation des<br />
soignant.e.s, d’un système psychiatrique<br />
inadapté et de complicités d’un autre âge.<br />
Des victimes parviennent pourtant à s’en<br />
sortir et des solutions existent.<br />
Textes et photographies de Cécilie Cordier (sauf mention)
Dans un hôpital psychiatrique. Face à des professionnel.le.s non formé.e.s sur les conséquences<br />
des violences qu'elles ont subies, des femmes sont diagnostiquées malades mentales et enfermées.<br />
fois que je tentais de le quitter, j’étais internée.<br />
Je me retrouvais en pyjama bleu, à baver dans un coin à<br />
cause du traitement. Je redevenais docile.” D’une voix<br />
basse et tremblante, les yeux perdus dans les collines<br />
varoises au cœur desquelles elle vit désormais, Gaïa<br />
“Chaque<br />
Rosfelder résume ainsi ses hospitalisations forcées en<br />
psychiatrie. Entre 2007 et 2014, elle a été enfermée à plusieurs<br />
reprises, lorsqu’elle menaçait de quitter son mari violent ou de<br />
porter plainte contre lui. À chaque fois, elle a reçu de très fortes<br />
doses de psychotropes et a été placée en chambre d’isolement.<br />
“On m’a dit que je devais être difficile à vivre, donc mon mari<br />
craquait. L’hôpital l’appelait pour avoir son avis sur moi. Il disait<br />
que j’étais folle…” On lui a prêté des délires de persécution<br />
lorsqu’elle racontait des violences, malgré les certificats de<br />
coups et blessures.<br />
soignant.e.s à l’accompagnement des victimes de violences,<br />
qui, faute de connaissances, concluent que la victime a une<br />
pathologie mentale. Une mécanique effrayante s’enclenche<br />
alors. “Elles vont être lourdement traitées pour des<br />
dépressions, des psychoses, des troubles de la personnalité,<br />
voire des déficiences mentales”, détaille-t-elle. “Le diagnostic<br />
psychiatrique joue toujours contre la victime. Sa parole est<br />
discréditée a priori.” Devant les services de police ou de justice,<br />
face aux services sociaux, la patiente psychiatrique n’est plus<br />
victime, mais suspecte. “Alors qu’elle révèle les conséquences<br />
des violences, une hospitalisation pour épuisement ou une<br />
tentative de suicide vont être utilisées comme des armes<br />
supplémentaires par l’agresseur”, explique Françoise Brié,<br />
directrice de l’association L’Escale, à Gennevilliers, qui accueille<br />
les femmes victimes de violences.<br />
“LE DIAGNOSTIC PSYCHIATRIQUE JOUE<br />
TOUJOURS CONTRE LA VICTIME.<br />
SA PAROLE EST DISCRÉDITÉE A PRIORI.<br />
”<br />
Un cas exceptionnel ? Malheureusement non. Les violences<br />
subies provoquent des symptômes physiques et psychiques<br />
parfois importants : “Ce sont des mécanismes de survie”,<br />
remarque Muriel Salmona, psychiatre spécialisée en<br />
psychotraumatologie et présidente de l’association Mémoire<br />
traumatique et victimologie. Elle dénonce, depuis de<br />
nombreuses années, la piètre qualité de formation des<br />
Ainsi, devant certains tribunaux, il vaut parfois<br />
mieux être agresseur que soignée. Durant l’une<br />
de ses hospitalisations, Gaïa Rosfelder a perdu<br />
la garde de ses enfants, confiés par le juge des<br />
enfants à leur père… alors emprisonné pour<br />
violences conjugales. Depuis, malgré des<br />
certificats psychiatriques démontrant sa<br />
bonne santé et une reconnaissance de son<br />
statut de victime par la justice familiale, elle doit se contenter<br />
de quelques heures de visites par mois. “C’est beaucoup trop<br />
court, même si on en profite le plus possible”, souffle-t-elle.<br />
Chez Valérie Dubois, en banlieue d’Orléans, il y a aussi des<br />
enfants absents. Les gâteaux qu’elle cuisine “seraient meilleurs<br />
s’ils étaient partagés avec eux”. Le sourire de cette assistante
d’éducation laisse place à l’angoisse lorsqu’elle<br />
évoque son hospitalisation psychiatrique<br />
contrainte. “La police est venue me chercher<br />
devant mes enfants. On rentrait de l’école.”<br />
Le 11 juin 2010, à la demande de son mari, son<br />
médecin traitant signe un certificat sans<br />
même l’avoir vue. L’hôpital psychiatrique de<br />
Fleury-les-Aubrais l’enferme. “J’y suis restée<br />
vingt-huit jours. J’ai perdu toute dignité :<br />
aucune intimité, aucun effet personnel, aucun droit.” Près de<br />
sept ans plus tard, elle se bat toujours pour récupérer ses<br />
enfants. Dans son salon s’entassent des centaines de pages de<br />
dossiers, reflet d’années de procédures contre l’homme qu’elle<br />
avait épousé et l’hôpital. Sa vie de mère reste en sursis : en<br />
dépit d’enquêtes qui lui sont favorables, elle ne peut toujours<br />
pas voir ses enfants plus de quelques heures par mois. “Mon<br />
mari a réussi à me punir. Il essayait depuis longtemps de me<br />
faire interner”, se souvient-elle. “Plusieurs fois, il a obtenu<br />
des ordonnances de neuroleptiques à mon nom, sans que j’aie<br />
consulté, prétendant que j’allais me suicider. D’autres fois, il<br />
me frappait puis appelait la police et SOS médecins pour dire<br />
que j’étais hystérique et dangereuse.” Même si la manœuvre<br />
échouait, elle jetait un doute indélébile sur les propos de la<br />
jeune femme.<br />
Le système est bien connu : “Les hommes violents se servent<br />
de ce qu’ils provoquent, comme le stress, l’angoisse ou les cris,<br />
pour faire qualifier leur femme de folle”, explique Maria Barbier,<br />
psychologue à L’Escale. “Le recours à la psychiatrie est une<br />
manière pour l’agresseur de se déresponsabiliser : ‘Je ne suis<br />
pas violent, elle est dingue.’”<br />
“LES HOMMES VIOLENTS SE SERVENT<br />
DE CE QU’ILS PROVOQUENT POUR FAIRE QUALIFIER<br />
LEUR FEMME DE FOLLE.<br />
”<br />
La stratégie fonctionne d’autant mieux si l’homme a une<br />
position sociale confortable. Sophie Dupont (prénom et nom<br />
d’emprunt), enseignante, a un ex-mari “bien placé”. Lorsqu’elle<br />
parvient enfin à parler à son médecin traitant des violences<br />
qu’elle subit depuis plusieurs années, elle espère trouver du<br />
soutien. En fait, le praticien contacte son mari, élu local. Celui-ci<br />
affirme qu’elle ment et qu’elle projette même de tuer leurs deux<br />
enfants. Sophie Dupont est alors hospitalisée en psychiatrie.<br />
Larmes aux yeux, cette grande brune se souvient avoir espéré<br />
y trouver un refuge : “Je me disais que je ne serais plus à sa<br />
portée et que j’allais pouvoir parler.” Or, l’équipe de soignant.e.s<br />
ne la croit pas et lui impose des entretiens avec son conjoint.<br />
“Organiser une confrontation ou une médiation, c’est faire<br />
porter à la femme une partie de la responsabilité des violences<br />
qu’elle a subies”, analyse Françoise Brié. “On mélange conflit<br />
et violences. Quand il y a violences, ce n’est pas un conflit qui a<br />
mal tourné, c’est un fonctionnement de fond avec un coupable<br />
et une victime.”<br />
“On assiste à un effet pervers de notre vision de la psychologie<br />
dans laquelle tout se réglerait par le dialogue. C’est<br />
impossible quand il y a violences”, ajoute Stéphanie Pache,<br />
Stéphanie Pache, médecin, a travaillé sur la psychothérapie féministe aux États-Unis, née dans les années 1970 :<br />
“Il fallait construire des connaissances afin de contrer les machistes et paternalistes.”<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 49<br />
© Virginie Nguyen Hoang / Hans Lucas
© Dragan Lekić/ Libre Arbitre<br />
Raphaël Mayet, avocat au barreau de Versailles, est proche du Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie (CRPA)<br />
et spécialiste de la défense des personnes abusivement internées. Selon lui, “quand il y a des enfants, le combat continue après l'hospitalisation :<br />
les juges croient les femmes dangereuses pour leurs enfants.”<br />
médecin en Suisse, chercheuse et autrice d’une thèse sur la<br />
psychothérapie féministe aux États-Unis. Les entretiens de<br />
couple peuvent être biaisés et culpabilisants : “Une alliance,<br />
consciente ou non, peut s’établir entre le thérapeute et le<br />
conjoint violent face à une patiente étiquetée folle et faible.”<br />
C’est le cauchemar qu’a vécu Sophie Dupont : “On me disait que<br />
mon mari souffrait, que je devais me remettre en couple, que<br />
j’avais un trouble de la personnalité. Ces gens m’ont détruite au<br />
lieu de me soigner.”<br />
“LES STÉRÉOTYPES SEXISTES PARTICIPENT<br />
À LA DÉCRÉDIBILISATION DES FEMMES<br />
ET DONC À LEUR ENFERMEMENT.<br />
”<br />
La psychiatrie a toujours été une arme dans la vie conjugale.<br />
Dès le XVI e siècle, des épouses ont été enfermées dans des<br />
asiles d’aliéné.e.s par leur mari parce qu’elles souffraient du<br />
rôle qu’il leur imposait. Les temps ont changé, mais certaines<br />
pratiques semblent avoir la vie dure. “C’est une attitude très<br />
paternaliste d’enfermer par la contrainte une femme victime,<br />
même s’il peut arriver que ce soit la seule solution disponible<br />
pour la mettre en sécurité à certains moments. Ce n’est pas une<br />
raison pour faire d’elle une malade et une coupable”, rappelle<br />
Stéphanie Pache. “Les stéréotypes sexistes participent à la<br />
décrédibilisation des femmes et donc à leur enfermement”,<br />
ajoute Françoise Brié, directrice de l’association L’Escale. “On<br />
parle de “fragilité psychologique”, de “plus grande sensibilité”<br />
ou de “natures manipulatrices”, ce qui est non seulement faux,<br />
mais en plus fait le jeu des agresseurs.”<br />
Quelle est l’ampleur de l’internement abusif des victimes de<br />
violences conjugales aujourd’hui ? Difficile d’avoir des chiffres.<br />
André Bitton, président du Cercle de réflexion et de proposition<br />
d’actions sur la psychiatrie (CRPA), affirme recevoir “plusieurs<br />
fois par mois” des demandes de soutien dans le cadre d’un<br />
internement abusif à la demande d’un conjoint violent. Dans<br />
le cabinet de Muriel Salmona, environ un tiers des<br />
patientes confiant des violences conjugales ont<br />
reçu “un faux diagnostic psychiatrique et parmi<br />
elles, un quart a subi une hospitalisation abusive<br />
de ce fait.”<br />
“Le système psychiatrique est fautif”, ose<br />
Philippe Champagne de Labriolle, médecin au<br />
centre hospitalier Daumezon de Fleury-les-<br />
Aubrais, qui s’était désolidarisé de ses confrères et consœurs<br />
et a soutenu Valérie Dubois dans la procédure contre son<br />
établissement. La loi sur l’hospitalisation contrainte tente de<br />
fixer des barrières : le.la médecin certificateur.trice ne doit<br />
pas avoir de lien de parenté jusqu’au quatrième degré avec<br />
le.la patient.e, des certificats intermédiaires sont à établir<br />
régulièrement dans l’établissement et le passage devant<br />
un.e juge est devenu systématique sous quinze jours pour<br />
les internements à la demande d’un.e représentant.e de<br />
l’État. Mais ce n’est pas suffisant. “Les liens d’intérêt ne sont<br />
pas forcément génétiques”, note Philippe Champagne de<br />
Labriolle. “Les certificats intermédiaires n’ont pas de valeur :<br />
rares sont les médecins qui vont contredire un confrère.
En psychiatrie, le doute ne profite jamais à l’interné.e.”<br />
Autrement dit, la protection légale des personnes hospitalisées<br />
sans consentement est largement insuffisante.<br />
“La psychiatrie est la seule spécialité où la parole du patient<br />
n’a pas de valeur”, observe de son côté Raphaël Mayet,<br />
avocat au barreau de Versailles, spécialisé dans la défense<br />
LES AUTORITÉS MÉDICALES BOTTENT EN TOUCHE<br />
Le milieu médical peine à se remettre en cause. “Ces femmes ne<br />
sont pas malades, mais que peut-on faire d’autre que les hospitaliser<br />
dans les situations de détresse ?” interroge Gisèle Apter, psychiatre<br />
et pédopsychiatre, membre du bureau du Syndicat des psychiatres des<br />
hôpitaux et présidente de la Société de l’information psychiatrique.<br />
Poussée dans ses retranchements, elle reconnaît toutefois que la<br />
psychiatrisation peut nuire, mais... “à cause des préjugés de la société<br />
sur la psychiatrie.” Et de rappeler : “Le problème en France est que la<br />
violence conjugale relève du social, donc on ne fait rien en médecine.<br />
Il n’y a aucune formation systématique, même en psychiatrie.” Alors<br />
que la loi du 9 juillet 2010 l’exige pourtant... Celle-ci stipule qu’une<br />
formation spécifique, initiale et continue, doit être délivrée (entre<br />
autres) aux médecins, personnels médicaux et paramédicaux, sur<br />
les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes et<br />
les mécanismes d’emprise psychologique. Par ailleurs, le réseau<br />
Solidarité femmes, qui gère le numéro de téléphone 39 19 Violences<br />
femmes info, édite un livret pour les professionnel.le.s de santé.<br />
“Il n’y a presque jamais d’hospitalisation contrainte non justifiée”,<br />
affirme de son côté Jean-Marie Faroudja, du Conseil national<br />
de l’Ordre des médecins. Pourtant, 8 à 9 % des hospitalisations<br />
non consenties sont annulées par le juge des libertés<br />
et de la détention. Et ce, malgré le fait que “les juges sont<br />
généralement frileux pour lever des mesures de contrainte.<br />
Par ailleurs, la mesure est souvent levée par le médecin juste avant<br />
le passage devant le juge”, remarque l’avocat Raphaël Mayet.<br />
Enfin, les établissements psychiatriques sont régulièrement<br />
épinglés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté<br />
(CGLPL) pour leurs abus. Des questions se posent autour des trop<br />
grandes restrictions de libertés des patient.e.s, jusqu’à l’isolement<br />
complet, de la contention physique trop utilisée, ou encore<br />
d’une “augmentation troublante” des hospitalisations contraintes<br />
pointées en 2012 et actuellement sujet d’une étude dans plusieurs<br />
régions.<br />
La justice a reconnu que l'hospitalisation contrainte de Valérie Dubois, en 2010, à l'hôpital<br />
psychiatrique de Fleury-les-Aubrais (45), n'était pas justifiée. Les certificats ne mentionnaient<br />
que des actes relatés par son mari et non constatés par le corps médical.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 51
des personnes internées contre leur gré. “Si le patient affirme<br />
qu’il n’a pas tel symptôme, le psychiatre conclut qu’il est dans le<br />
déni, donc malade. Ainsi, quand l’entourage du patient affirme<br />
qu’il présente certains troubles, le patient ne pourra jamais<br />
l’infirmer. Quand vous allez voir votre généraliste, si vous dites<br />
que vous n’avez pas mal au ventre, va-t-il quand même vous<br />
traiter pour un mal de ventre ?” L’autre dysfonctionnement du<br />
système de soin viendrait aussi du fait que “l’on considère à tort<br />
que l’entourage est forcément bienveillant”, ajoute-t-il.<br />
“JE ME SUIS RETROUVÉE FACE À UNE DÉFERLANTE<br />
DE VICTIMES. COMME SI J’OUVRAIS LES YEUX<br />
SUR UNE RÉALITÉ DONT J’IGNORAIS TOUT.<br />
”<br />
Le manque de formation des médecins s’ajoute aux défauts du<br />
principal outil utilisé en psychiatrie en France, l’épais Manuel<br />
diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM),<br />
qui ne propose par exemple aucun diagnostic tenant<br />
compte de violences subies en dehors du syndrome de<br />
stress post-traumatique. Pourtant d’autres approches<br />
existent. La littérature scientifique produite par le courant<br />
psychothérapeutique féministe américain dès les années<br />
1970, mais très peu exploitée en France, dénonce ainsi les<br />
travers sexistes des standards de la santé mentale. “C’est aux<br />
États-Unis aussi qu’ont été théorisés le cycle des violences<br />
conjugales et le syndrome de la femme battue, très utilisés dans<br />
les tribunaux américains”, observe Pauline Delage, sociologue<br />
et autrice d’une thèse sur les violences conjugales. Si toutes<br />
les victimes ne présentent pas ces symptômes, cette approche<br />
permettrait d’éviter certaines erreurs de diagnostic.<br />
De plus en plus de soignant.e.s se forment volontairement à la<br />
question des violences conjugales et de leurs conséquences.<br />
En particulier les médecins généralistes qui sont en première<br />
ligne : on estime qu’un quart de leurs patientes ont subi des<br />
violences sous une forme ou une autre au moins une fois dans<br />
leur vie. “Quand j’ai commencé à demander<br />
systématiquement aux femmes si elles<br />
avaient déjà subi des violences conjugales, je<br />
me suis retrouvée face à une déferlante de<br />
victimes. Comme si j’ouvrais les yeux sur une<br />
réalité dont j’ignorais tout”, se souvient Lori<br />
Savignac-Krikorian, médecin généraliste en<br />
Île-de‐France.<br />
L’enjeu du dépistage des violences est énorme : peu de femmes<br />
en parlent spontanément. “J’ai des patientes qui ont reçu des<br />
traitements pour des troubles anxieux ou dépressifs sans<br />
qu’on leur ait jamais posé la question des violences, alors que<br />
c’était la cause”, confie Armelle Grangé-Cabane, médecin<br />
généraliste à Paris. De même, “j’ai vu des erreurs de diagnostic :<br />
des reviviscences traumatiques prises pour des hallucinations !<br />
On pose un mauvais diagnostic lourd à porter, on donne un<br />
traitement éprouvant et inutile, et en plus on ne règle pas le<br />
problème.” Pourtant, même graves, les symptômes issus des<br />
violences subies sont réversibles. Muriel Salmona observe :<br />
“Il suffit de prendre en charge le psychotraumatisme de ces<br />
femmes pour les soigner !”<br />
Muriel Salmona est psychiatre, spécialisée en psychotraumatologie :<br />
“La psychiatrie considère les victimes comme folles parce qu'elle a été pensée par les mâles, pour les mâles.”
Dans les associations comme Du côté des femmes,<br />
à Pau (64), adhérente de la Fédération nationale<br />
des associations d’accueil et de réinsertion sociale<br />
et de la Fédération nationale solidarité femmes.<br />
Emmanuelle Descoubès (à gauche) et Mathilde Puts<br />
animent un groupe de parole. Trois femmes parlent<br />
de leur prise de conscience des violences subies.<br />
Les femmes sont accompagnées, mais autonomes.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 53
Désormais formatrice en matière de violences conjugales<br />
auprès des internes de médecine générale de l’université<br />
Paris-Descartes, Armelle Grangé-Cabane s’est créé un réseau<br />
de professionnel.le.s capables d’accueillir les victimes, un<br />
relais essentiel dans le chemin vers le rétablissement. “Je<br />
sais où adresser mes patientes qui ont besoin de soutien, la<br />
formation que j’ai suivie m’a donné les outils et les contacts<br />
nécessaires”, explique Pierre de Bremond d’Ars, médecin<br />
généraliste en Île-de-France. “Cette formation m’a aussi<br />
permis de ne pas m’emballer, mais d’accompagner et d’être<br />
attentif aux symptômes que je serais d’abord tenté de<br />
mettre sur le compte d’une affection psychiatrique.”<br />
CHIFFRES<br />
——<br />
58 % des victimes de violences familiales (jusqu’à 80 %<br />
si violences sexuelles) risquent de développer un syndrome<br />
de stress post-traumatique (SSPT).<br />
——<br />
Les femmes victimes de violences conjugales et/ou sexuelles<br />
ont 25 fois plus de risques de commettre une tentative de suicide<br />
que les autres.<br />
——<br />
50 % des victimes de violences, toutes formes confondues,<br />
tombent dans des comportements à risques : dépendance<br />
à l’alcool, à la drogue ou aux médicaments, troubles<br />
du comportement alimentaire.<br />
——<br />
22 à 35 % des femmes qui consultent dans les services d’urgence<br />
présentent des symptômes consécutifs aux violences conjugales<br />
et/ou sexuelles, alors que seulement 2 % sont identifiées comme<br />
victimes aux urgences.<br />
——<br />
29 % des victimes de violences conjugales en parlent<br />
à un médecin.<br />
——<br />
52 à 72 % des femmes hospitalisées dans un service<br />
de psychiatrie et 64 % adressées à un psychiatre sont victimes<br />
de violences, toutes formes confondues.<br />
——<br />
Les femmes victimes de violences consultent en moyenne<br />
deux fois plus un.e professionnel.le de la santé mentale,<br />
et consomment en moyenne deux fois plus de psychotropes,<br />
que les autres.<br />
——<br />
Avoir été victime de violences conjugales fait perdre un à<br />
quatre ans de vie en bonne santé.<br />
——<br />
Avec une prise en charge spécialisée, 80 % des femmes<br />
constatent une amélioration significative de leur santé psychique,<br />
47 % une amélioration de leur santé physique.<br />
Sources : Campbell et al (1994), Olson (1996), Maza (1996), Insee/ONDRP (2010-<br />
2012), Drees (2005-2006), OMS (1997, 2002), Salmona (2015).<br />
La Fédération nationale solidarité femmes édite un livret de conseils pour les professionnel.le.s<br />
de santé rencontrant des femmes victimes de violences conjugales.
Une autre attitude est l’empowerment. Ce terme employé depuis<br />
des décennies par les féministes américaines recouvre, entre<br />
autres, la capacité pour les femmes à (re)prendre leur vie en<br />
mains, à (re)connaître leurs valeurs et à (re)trouver leur pouvoir<br />
d’agir. Ce concept permet d’offrir deux étapes aux victimes<br />
de violences. La reconnaissance en tant que<br />
victimes (et non malades), puis la certitude<br />
de leur capacité à construire leur vie par ellesmêmes.<br />
L’empowerment est la philosophie des<br />
associations adhérentes du réseau Solidarité<br />
femmes. À Pau, Du côté des femmes l’applique<br />
activement. “Nous accueillons les femmes dans<br />
des appartements autonomes : nous voulons<br />
leur montrer qu’elles sont capables de vivre<br />
seules”, explique Christine Lavie, sa directrice.<br />
“Bien sûr, nous sommes à leur disposition, mais<br />
le but est de ne pas les déraciner de la vie.” Pas question de les<br />
enfermer dans une structure. L’association offre la sécurité et<br />
un soutien adapté aux besoins de chacune et de leurs enfants. La<br />
centaine de personnes hébergées chaque année bénéficie aussi<br />
de temps collectifs, comme des groupes de parole, ou de détente.<br />
À Gennevilliers, L’Escale offre le même élan de vie aux 500 à 600<br />
femmes qui font appel à elle chaque année. “Elles sont toujours<br />
impliquées dans les décisions, c’est leur parcours et nous<br />
respectons leur rythme, leur autonomie”, souligne la directrice,<br />
Françoise Brié.<br />
Dans le salon de Valérie Dubois, les milliers de pages des dossiers témoignent de la difficulté<br />
de son combat contre l'hôpital et son ex-conjoint, qui l'ont enfermée abusivement.<br />
Le médecin qui a fait interner Valérie Dubois a été condamné<br />
pour faux et usage de faux et le caractère abusif de son<br />
hospitalisation a été reconnu. Elle vit aujourd’hui avec son<br />
nouveau compagnon, qui la soutient dans toutes ses démarches<br />
pour vivre à nouveau avec ses enfants.<br />
“L'EMPOWERMENT RECOUVRE, ENTRE AUTRES,<br />
LA CAPACITÉ POUR LES FEMMES À (RE)PRENDRE<br />
LEUR VIE EN MAINS, À (RE)CONNAÎTRE LEUR VALEUR<br />
ET À (RE)TROUVER LEUR POUVOIR D’AGIR.<br />
”<br />
Sophie Dupont est désormais sortie de l’engrenage grâce à<br />
une association d’aide aux victimes, où elle a été soulagée<br />
d’entendre qu’elle était saine d’esprit. “Mais cet événement<br />
influencera toujours les jugements qui seront portés sur<br />
moi. Il est difficile de ne plus se considérer comme une<br />
malade mentale, une fois que deux institutions, médicale et<br />
judiciaire, l’ont décrété”, observe-t-elle. “J’ai rencontré plusieurs<br />
médecins pour me rassurer. J’ai mis trois ans à récupérer mes<br />
enfants. Je vais bien, mais il faut une très grande force et un<br />
entourage solide.” n<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 55<br />
Ce samedi-là, Gaïa Rosfelder retrouve ses deux filles<br />
adolescentes après deux mois sans contact. Elle tente de<br />
resserrer les liens distendus par la justice et puise sa force dans<br />
sa volonté de réunir ses trois enfants. La jeune mère a refait sa<br />
vie et eu un petit garçon de cette nouvelle union, qui adore jouer<br />
avec ses sœurs.
Gaïa Rosfelder a un seul<br />
objectif : récupérer la garde<br />
de ses filles, confiées durant<br />
l'une de ses hospitalisations<br />
forcées à son ex-mari, condamné<br />
pour violences conjugales.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I RepoRTAge I 57
NOUVELLES D'ICI ET AILLEURS<br />
Mexique<br />
Allemagne<br />
GRAND-MÈRE<br />
DÉSOBÉISSANTE<br />
Son sac annonce la couleur…<br />
“Gegen Nazis” (“contre<br />
les nazis”). Dedans : grattoirs,<br />
dissolvants et bombes<br />
de peinture. Inlassablement,<br />
Irmela Mensah-Schramm,<br />
soixante-douze ans, traque<br />
dans les rues de Berlin<br />
les messages de haine,<br />
racistes, antisémites,<br />
homophobes… Elle avait<br />
commencé en 1986, détruisant<br />
un appel à la libération<br />
de Rudolf Hess. Depuis, elle a<br />
“décidé d’arrêter de regarder<br />
ailleurs” face à ce type<br />
d’inscription. En trente ans,<br />
elle a effacé ou détourné<br />
plus de 65 000 stickers et<br />
130 000 tags. Elle a également<br />
entrepris un colossal travail<br />
d’archives en conservant<br />
ou en prenant en photo<br />
ces messages pour mieux<br />
les dénoncer. En janvier, pour<br />
la première fois de sa vie,<br />
Irmela Mensah-Schramm s’est<br />
vue condamnée à une peine<br />
de prison avec sursis et à payer<br />
une amende de 1 800 euros<br />
pour dégradation de biens<br />
privés. Pas de quoi arrêter<br />
cette activiste, estimant que,<br />
contrairement à ses actes<br />
de désobéissance civile, c'est<br />
la culture de la haine qui laisse<br />
des traces indélébiles.<br />
Irlande<br />
LASSES D’AT TENDRE<br />
Les Irlandaises en ont assez d’attendre<br />
patiemment d’avoir les mêmes droits<br />
que les autres Européennes en matière<br />
d’IVG. Les initiatives pro‐choix<br />
se multiplient. Le mouvement Repeal<br />
The 8th (“abrogation du 8 e amendement<br />
de la constitution”, qui interdit<br />
l’avortement depuis 1983) fédère<br />
désormais près de 3 000 artistes :<br />
photographes, peintres,<br />
musicien.ne.s… dont la chanteuse<br />
Sinéad O’Connors ou l’autrice<br />
Anne Enright, lauréate du prix Booker.<br />
De son côté, le collectif Strike 4 Repeal<br />
a adressé un ultimatum au gouvernement :<br />
soit un référendum est organisé<br />
pour supprimer cet amendement,<br />
soit il y aura un appel à la grève<br />
générale le 8 mars. Pour la première<br />
fois de son histoire, l’État irlandais a dû<br />
indemniser une de ses ressortissantes,<br />
qui avait été contrainte de se rendre<br />
en Grande-Bretagne pour avorter<br />
d’un fœtus qui n’avait aucune chance<br />
de survie. Une situation jugée “cruelle<br />
et inhumaine” par le Comité des droits<br />
humains de l’ONU qu’elle avait saisi.<br />
COMBATTANTE<br />
Ana Gabriela Guevara, sénatrice<br />
du parti du travail et championne<br />
de sprint, circulait à moto lorsqu’elle<br />
a été percutée par une camionnette.<br />
Quatre hommes en sont sortis<br />
et l’ont rouée de coups. Souffrant<br />
d’un traumatisme facial, sous<br />
le choc, l’athlète témoigne alors<br />
sur les réseaux sociaux. Certain.e.s<br />
la soutiennent, mais les insultes<br />
fusent aussi, avec le hashtag<br />
“frapper une femme c’est<br />
du bonheur”. Le ministre de l’Intérieur<br />
a reconnu que cette agression<br />
“a rendu visibles les conditions<br />
de vie de milliers d’autres femmes”.<br />
La moitié des Mexicaines déclarent<br />
avoir subi des violences, mais rares<br />
sont celles qui portent plainte.<br />
La sénatrice a annoncé qu’elle<br />
mènera “un combat contre<br />
l’impunité : ces marques<br />
sur mon visage me rappelleront<br />
en permanence ma lutte contre<br />
les violences de genre.”
Japon<br />
France<br />
ENTRAVE NUMÉRIQUE<br />
La proposition de loi pénalisant<br />
les sites de désinformation sur l’IVG<br />
a été adoptée définitivement<br />
mi-février en dernière lecture<br />
par l’Assemblée nationale. Le délit<br />
d’entrave à l’IVG est étendu<br />
à “la transmission d’allégations<br />
ou d’indications de nature<br />
à induire intentionnellement<br />
en erreur, dans un but dissuasif,<br />
sur les caractéristiques<br />
ou les conséquences médicales<br />
d’une interruption volontaire<br />
de grossesse”. Ce délit, créé en<br />
1993 prévoit des peines pouvant<br />
aller jusqu’à deux ans de prison<br />
et 30 000 euros d’amende.<br />
Cette proposition de loi a été<br />
âprement combattue au cours<br />
des mois passés par l'extrême<br />
droite et une partie de la droite<br />
et de l’Église catholique, au nom<br />
de “la liberté de conscience”,<br />
“d’expression” et d'une “atteinte<br />
aux principes de la démocratie”.<br />
Des député.e.s Les Républicains<br />
ont annoncé leur intention de saisir<br />
le Conseil constitutionnel.<br />
International<br />
NIQAB INTERDIT<br />
Le Maroc a prohibé début janvier le voile<br />
intégral sans que le royaume en fasse<br />
officiellement l’annonce. Les autorités<br />
locales des principales villes du pays ont<br />
sommé les fabricant.e.s et les vendeur.<br />
se.s de ce type de vêtement couvrant<br />
le visage d’arrêter leur activité sous<br />
48 heures, mettant en avant des raisons<br />
de sécurité.<br />
En Europe, le gouvernement autrichien<br />
a annoncé le 31 janvier son intention<br />
de bannir niqab et burqa de l’espace<br />
public et les député.e.s néerlandais.e.s<br />
ont également voté fin novembre une loi<br />
dans ce sens. Enfin, en décembre,<br />
la chancelière allemande Angela Merkel<br />
s’est déclarée favorable à une mesure<br />
similaire.<br />
CULMINANTE<br />
Gravir les points culminants<br />
des sept continents<br />
et atteindre les deux pôles<br />
avant sa vingtième année,<br />
c’est le défi que s’est<br />
fixée Marin Minamiya,<br />
une étudiante japonaise.<br />
À 19 ans, il ne lui reste plus<br />
qu’à atteindre le Pôle Nord<br />
pour réaliser son objectif.<br />
Et devenir ainsi la plus jeune<br />
sportive à réussir l’Explorers<br />
Grand Slam, bouclé par<br />
seulement cinquante et<br />
un aventurier.e.s. Passionnée<br />
par l’alpinisme depuis<br />
l’âge de treize ans, Marin<br />
Minamiya n’a pas froid<br />
aux yeux : entre janvier 2015<br />
et juillet 2016, elle a gravi<br />
l'Aconcagua (Amérique du<br />
Sud), le Kilimandjaro (Afrique),<br />
le massif Vinson (Antarctique),<br />
le mont Kosciuszko (Australie),<br />
l'Elbrouz (Europe), l'Everest<br />
(Asie) et le Denali (Amérique<br />
du Nord). Son départ pour<br />
le Grand Nord est prévu en avril<br />
2017. Ensuite, elle entend<br />
réaliser… le tour du monde<br />
à la voile !<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d'ici et ailleurs I 59
5 %<br />
des Indiennes choisissent seules leur conjoint, selon un sondage<br />
de l'Indian Human Development Survey menée auprès de plus<br />
de 35 000 femmes pendant huit ans. 65 % découvrent leur futur<br />
époux peu de temps avant ou le jour même de leur mariage.<br />
Maroc<br />
CHEVAUCHÉES<br />
FANTASTIQUES<br />
La fantasia est de plus<br />
en plus investie<br />
par les Marocaines.<br />
Simulant une charge<br />
militaire, cette discipline<br />
équestre berbère<br />
allie courses, figures<br />
de voltige et tir.<br />
Hanane Boulhimz,<br />
surnommée<br />
“la cavalière de l’Atlas”,<br />
est la première à avoir<br />
pénétré ce monde<br />
masculin et martial.<br />
Fondée en 2005,<br />
son équipe d’amazones<br />
est la première<br />
à avoir supplanté,<br />
il y a peu, des équipes<br />
masculines. Son succès<br />
a fait des émules : six<br />
équipes de femmes<br />
pratiquent aujourd’hui<br />
la fantasia au Maroc.<br />
Seul bémol, elles n’ont<br />
pas encore accès au<br />
championnat national,<br />
mais des compétitions<br />
entre cavalières<br />
pourraient bientôt<br />
être organisées.<br />
En attendant, elles ont<br />
su relever les défis et<br />
bousculer les traditions.<br />
Népal<br />
RÈGLES INTOUCHABLES<br />
Depuis 2007, au moins huit Népalaises<br />
sont mortes lors du Chaupadi,<br />
une pratique qui consiste à isoler<br />
les femmes dans des abris de fortune<br />
pendant leurs règles. Cette coutume<br />
subsiste dans l’Ouest du pays malgré<br />
son interdiction en 2005 par la Cour<br />
suprême du Népal. Dans ces cabanes<br />
insalubres, les femmes et les jeunes filles<br />
sont exposées au froid, aux maladies<br />
ou même parfois aux attaques d’animaux<br />
sauvages. Privées de contact physique<br />
avec les autres, elles sont déscolarisées<br />
et ne peuvent pas utiliser l’eau publique.<br />
Le gouvernement envisage désormais<br />
de punir les familles imposant ce rituel.<br />
France<br />
PARITÉ KEZAKO ?<br />
Ni Les Républicains (LR), ni le Parti socialiste<br />
(PS), les deux partis historiques<br />
de gouvernement, n’ont pas vraiment<br />
montré l'exemple lors de leurs primaires.<br />
Loin s'en faut.<br />
Nathalie Kosciusko-Morizet a été la seule<br />
femme à pouvoir in extremis s'immiscer<br />
parmi les candidat.e.s de la droite<br />
et du centre, en novembre. La députée LR<br />
a été largement plus interrompue<br />
que ses homologues, au cours du dernier<br />
débat télévisé : vingt-sept fois contre neuf<br />
à douze fois pour ses six autres concurrents<br />
masculins.<br />
De l'autre côté, pour la primaire citoyenne,<br />
ce fut zéro pointé pour le PS : l’unique<br />
concurrente, Sylvia Pinel, représentait<br />
le PRG (radicaux de gauche).<br />
Nouvel épisode : les investitures pour<br />
les prochaines élections législatives.<br />
Toutes les formations ne sont pas encore<br />
en ordre de marche, mais l'on sait déjà<br />
que Les Républicains proposent deux<br />
fois plus d’hommes que de femmes<br />
candidat.e.s, préférant payer une amende<br />
plutôt que de respecter la loi sur la parité.<br />
Cette sanction devrait s’élever à environ<br />
trente-cinq millions d’euros.
MON CORPS, MES CHOIX<br />
En partenariat avec l’Association nationale des sages-femmes libérales<br />
L’OXYTOCINE,<br />
C’EST PAS<br />
AUTOMATIQUE !<br />
Le Collège national des sages-femmes<br />
de France a rendu ses premières<br />
recommandations sur l’usage<br />
de l’oxytocine, un accélérateur<br />
d’accouchement très (trop ?) utilisé.<br />
Texte de Sandrine Boucher<br />
est une hormone naturelle secrétée pendant<br />
l’accouchement pour stimuler les contractions<br />
de l’utérus. Depuis les années soixante-dix, elle est<br />
disponible en version synthétique (l’oxytocine) sous le<br />
nom de Syntocinon<br />
L’ocytocine ® . Ce médicament, indiqué en cas<br />
de contractions insuffisantes, est désormais souvent<br />
administré pour diriger les accouchements sans complications.<br />
L’objectif est de diminuer les risques liés à un travail prolongé<br />
pour la mère et l’enfant. 64 % des parturientes se voient<br />
ainsi injecter de l’oxytocine, dont près d’un tiers n’en a pas été<br />
informé ou ne s’en souvenaient pas.<br />
Ce produit n’est pourtant pas anodin : il double quasiment le<br />
risque d’une hémorragie grave. “Il était logique que les sagesfemmes<br />
s’interrogent sur cette hormone, qu’elles utilisent<br />
quotidiennement pour faciliter le travail”, observe Sophie<br />
Guillaume, présidente du Collège national des sages-femmes de<br />
France (CNSF) qui, pour la première fois de son histoire, investit<br />
le champ de la recherche en publiant ses recommandations de<br />
pratiques cliniques (1) .<br />
La réévaluation de l’usage de l’oxytocine renvoie à la question de<br />
ce qu’est un travail normal. “Le sujet n’intéressait pas beaucoup<br />
la médecine. Nous étions encore sur des conceptions des<br />
Charles Leplae, Deux femmes enceintes, 1953, Middelheimmuseum, Pays-Bas<br />
années 1950. Il faut attendre 2010 pour qu’une étude chinoise<br />
mette en évidence la nécessité de laisser plus de temps à la<br />
phase de latence et qu’une phase de dilatation peut être parfois<br />
moins rapide tout en restant normale”, poursuit-elle. La définition<br />
ancienne de ces phases a conduit à un interventionnisme excessif<br />
de la part des soignant.e.s, estime le CNSF.<br />
Le Collège recommande désormais de “savoir attendre”<br />
pendant la phase “cruciale” de latence, fixe le début de la<br />
phase active à cinq-six centimètres de dilatation contre trois à<br />
quatre et remet en cause l’idée reçue voulant que la péridurale,<br />
demandée dans 85 % des naissances, ralentisse le travail.<br />
“Le temps de la naissance sera sans doute plus long dans les<br />
années à venir. Savoir attendre ne signifie pas qu’on va laisser<br />
les femmes en souffrance ! L’oxytocine est un produit qui<br />
rend de grands services, mais il faut l’administrer de manière<br />
raisonnée, afin que l’accouchement soit le mieux respecté et le<br />
plus physiologique possible”, souligne Sophie Guillaume. D’où<br />
l’importance de la préparation à la naissance et à la parentalité,<br />
pour savoir ensuite poser les bonnes questions au moment de<br />
l’accouchement. n<br />
(1) En partenariat avec le Collège national des gynécologues et obstétriciens français<br />
(CNGOF), l’INSERM, le collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE, qui<br />
représente les patient.e.s et les usager.ère.s), un pédiatre et un anesthésiste.<br />
L’Association nationale des sages-femmes libérales est une<br />
association loi de 1901 qui a pour but la revalorisation et la défense<br />
de la profession de sage-femme libérale en France. Pour plus<br />
d'informations : http://ansfl.org<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Mon corps, mes choix I 61
CHRONIQUE RURALE MAIS PAS RINGARDE<br />
AU BOIS DE MON CŒUR<br />
Conter fleurette. Effeuiller<br />
la marguerite. Aller aux fraises.<br />
Si les princesses des contes<br />
de fées attendaient sagement<br />
leur chevalier dans la forêt,<br />
les femmes de nos campagnes<br />
ont aujourd’hui bien d’autres<br />
manières pour trouver l’âme<br />
sœur que d’embrasser tous<br />
les crapauds qui passent.<br />
– O<br />
n a un nouveau voisin dans la ferme d’en haut.<br />
— Ah bon ? Il est venu seul ?<br />
— Avec son chien. Et il est charmant.<br />
— Parfait. Il faut lui faire rencontrer Séverine.<br />
Tchip, tchip, c’est le printemps. Les hirondelles reviennent. Les urbain.e.s<br />
aussi ! Il y en aura du brassage, entre les soirées estivales, les brocantes,<br />
les concerts… De quoi favoriser la vocation de marieuse des copines,<br />
qui ont remplacé les marieurs d’antan. Une grande pudeur entoure les<br />
sentiments dans nos montagnes. Si les yeux pétillent à l’évocation des<br />
clichés champêtres, l’amour à la campagne est comme les bottes de foin :<br />
pas toujours très confortable !<br />
Chez les Odettes, Cécile, Nathalie et Florence (tous les prénoms ont été<br />
changés pour respecter l’anonymat de nos témoins !) sont venues vivre<br />
ici par amour pour un Ardéchois “impossible à déraciner”. Alors, elles<br />
ont épousé un homme, mais également son territoire… Parfois même,<br />
son métier ! Ainsi, Sophie s’est découvert une passion pour la ferme : elle<br />
s’occupe du site internet, accueille les woofers et vend sur place les produits<br />
de son compagnon, Sébastien.<br />
Les agriculteurs sont plus souvent célibataires (26 %) que les agricultrices<br />
(10 %). Mais les métiers de la terre et la vie rurale ont bien changé. Ils ne<br />
sont plus ni des repoussoirs, ni des tue-l’amour, et encore moins lorsque<br />
ce sont les femmes qui manient le tracteur et la fourche ! “Seuls les clichés<br />
ont la vie dure !” rit Agnès, productrice de fromages de chèvre : “Je n’ai pas<br />
l’impression qu’il est plus difficile pour nous qui travaillons la terre de trouver
PAR<br />
l’âme sœur”. Et c’est bon signe : “Le facteur qui permet le mieux<br />
de prédire le développement agricole d'un département est<br />
le pourcentage de femmes qui s'y installent”, estiment Raul<br />
Magni Berton, professeur à Sciences Po Grenoble et François<br />
Facchini, du Centre d'économie de la Sorbonne (Le Monde du<br />
23 septembre 2011).<br />
Pas mal de couples formés au lycée ont depuis fondé une<br />
famille. Lucille Weiss et Jonathan Croze se connaissent depuis<br />
longtemps. Après leurs études à Lyon, ils sont revenus à<br />
Désaignes pour ouvrir La Source, un bar artistique où tou.te.s<br />
pourront se rencontrer. Cependant, les jeunes qui se côtoient<br />
depuis leurs plus tendres années développent parfois une<br />
complicité plus fraternelle qu’amoureuse. Il leur faut alors<br />
chercher plus loin pour rencontrer l’amour.<br />
Notre voisine Huguette, l’air coquin, se souvient : “Ah, la vogue<br />
d’Alboussière ! On se retrouvait en bandes de jeunes venant<br />
de tous les villages voisins et on suivait la “sono ambulante” :<br />
la bande de Gilhoc, la bande de Lamastre… C’est comme ça<br />
qu’on se rencontrait ! On se mariait bien souvent avec le garçon<br />
du village d’à côté. Ailleurs, c’était l’inconnu !” D’ailleurs, un<br />
proverbe disait “celui qui va derrière la montagne ne sait pas<br />
ce qu’il va y trouver”, explique l’ethnologue Sylvette Béraud<br />
Williams, qui a travaillé sur l’évolution du mariage en Ardèche<br />
(La noce ardéchoise, éditions La Mirandole, 1990). Il y avait de<br />
nombreux moments pour se retrouver, entre les mariages, les<br />
fêtes des reboules, toujours célébrées en août, qui marquent<br />
la fin des grands travaux agricoles, les veillées châtaignes…<br />
Aujourd’hui, impossible de nier le rôle du club de badminton<br />
dans l’intégration des nouveaux et nouvelles<br />
venu.e.s, de sous-estimer la force des<br />
associations et plus généralement de la vie<br />
sociale. Ainsi, Véronika et Francine se sont<br />
fondues dans le paysage : “Nous avons très<br />
vite rencontré un super réseau d’amis…<br />
C’est aussi parce que nous sommes arrivées<br />
ensemble et que nous sommes discrètes.<br />
Cela a été beaucoup plus dur pour notre amie<br />
Marlène, qui a eu tant de mal à rencontrer une amie qu’elle a finie<br />
par repartir… Aura-t-elle plus de chance en ville ?”<br />
Dans un territoire où tout le monde se connaît, on a vite<br />
l’impression d’avoir fait le tour des célibataires… Alors,<br />
des initiatives originales se créent : soirée organisée par la<br />
Mutualité sociale agricole (MSA) pour aider les agriculteurs.<br />
trices à trouver un.e partenaire, speed dating ce soir au bar<br />
Les Odettes sont un collectif de femmes de l’Ardèche<br />
(mais pas que). Initialement mobilisées sur le retour à l’emploi,<br />
elles ont créé en 2011 le magazine Odette&Co, seul titre en France<br />
consacré aux femmes et à la ruralité. Travaillant en réseau,<br />
elles participent à l’émergence d’initiatives locales, collectives<br />
et citoyennes. Leur mot d’ordre : “Osons !”<br />
Pour nous transmettre vos trouvailles et pour en savoir plus sur<br />
les exemples cités, n’hésitez pas à vous connecter sur notre site ;<br />
odetteandco.com<br />
Des pas de danse et des rencontres au bar artistique<br />
La Source, à Désaignes, en Ardèche.<br />
Chez Mag… Et puis, comme partout, la révolution internet est<br />
passée par nos contrées, abolissant la barrière des kilomètres !<br />
“JF amoureuse de la verdure aimerait prendre la clé des champs<br />
avec bel homme bohème.” Les petites annonces dans le journal<br />
local côtoient les sites de rencontres thématiques. C’est ainsi<br />
que certain.e.s peuvent chercher l’élu.e de leur cœur en toute<br />
discrétion. Rose-Marie a créé Amour bio, à l’origine pour aider<br />
son fils à trouver une compagne. Objectif atteint puisqu’elle est<br />
“DANS UN TERRITOIRE OÙ TOUT LE MONDE<br />
SE CONNAÎT, ON A VITE L’IMPRESSION<br />
D’AVOIR FAIT LE TOUR DES CÉLIBATAIRES...<br />
”<br />
désormais grand-mère ! Et pour les autres ? Anne nous confie :<br />
“Grâce à ce site, j’ai pu rencontrer des gens d’ailleurs avec les<br />
mêmes engagements que moi.” Elle ajoute avec un clin d’œil :<br />
“L’inconvénient chez nous est qu’on connaît les travers de tout<br />
le monde. En plus avec mon commerce, je ne peux pas faire ce<br />
que je veux avec qui je veux sans avoir les cancans derrière.<br />
Alors, on se donne rendez-vous dans les grandes villes…”<br />
Le premier pas, qui le fera ? Qui l’attrapera ? Entre deux éclats<br />
de rire, les langues se délient et les souvenirs affleurent. Ils<br />
dévoilent la réalité à la fois éternelle et mouvante de la ronde<br />
des sentiments…<br />
— Tu sais, le fameux voisin d’en haut ?<br />
— Celui qui est pour Séverine ?<br />
— Ben il est avec Fabrizio maintenant.<br />
— Non !<br />
— Ben si. Mais en fait, il a un frère. Charmant aussi.<br />
[Silence]<br />
— Tu crois qu’ils viendront au cinéma samedi ? Je vais inviter<br />
Séverine. n<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Chronique rurale mais pas ringarde I 63
CHRONIQUE LYCÉENNE<br />
FILLES, GARÇONS :<br />
PEUT-ON S’HABILLER COMME ON VEUT ?<br />
En théorie, chacun.e a le droit de choisir<br />
librement ses vêtements et son style.<br />
Mais il y a les règlements, la mode<br />
ou encore le regard des autres.<br />
Et ceux‐ci pèsent davantage sur les filles<br />
que sur les garçons.<br />
Par des élèves de terminale ES2 et de secondes<br />
ASSP, GA et MRCU du lycée Ella Fitzgerald,<br />
à Saint-Romain-en-Gal (Rhône).<br />
"On vit au XXI e siècle. On est libre. Nos vêtements<br />
reflètent notre personnalité. Alors, oui, on<br />
peut choisir notre tenue comme on le souhaite<br />
et personne n’a le droit de nous juger !”<br />
Nos premières réactions ont été presque<br />
unanimes à cette question : “fille, garçon, peuton<br />
s’habiller comme on veut ?”.<br />
Élèves de seconde et de terminale, nous avons ensuite discuté<br />
en petits groupes, puis nous avons interviewé d’autres élèves<br />
du lycée, âgés de quinze à dix-neuf ans. Nous nous sommes<br />
rendu.e.s compte que nous n’étions en fait pas si libres de nos<br />
choix vestimentaires… et encore moins lorsqu’on est une fille !<br />
RÈGLEMENTS, MODE ET NORMES<br />
D’abord, il y a des règlements à respecter : par exemple,<br />
l’interdiction de porter des signes religieux au lycée ou<br />
l’obligation d’avoir une tenue “décente”. Cette notion de décence
est subjective. Dounia nous a dit que dans son ancien collège,<br />
une fille en short était immédiatement convoquée et on lui<br />
donnait un vieux jogging. “Bien sûr, ça n’arrivait qu’aux filles…”,<br />
souligne-t-elle.<br />
Autre sujet souvent abordé : la mode, qui s’impose plus ou<br />
moins à nous. “J’essaie de suivre la mode tout en mettant ma<br />
petite touche personnelle. Pour moi, il faut être un minimum<br />
à la mode pour ne pas être jugé.e”, estime Sophia, âgée de<br />
seize ans. Les vêtements particuliers, comme les sarouels<br />
ou les kilts pour les garçons, nous classent tout de suite dans<br />
une catégorie. On se sent aussi obligé.e.s d’acheter certaines<br />
marques, alors qu’elles sont chères et que nous n’avons pas<br />
toujours les moyens. Si nous avons un style trop différent de la<br />
norme, nous risquons d’être exclu.e.s du groupe.<br />
PLUS DE PRESSION POUR LES FILLES<br />
Nous avons observé que la pression sociale est beaucoup plus<br />
importante sur les filles que sur les garçons. Pour certain.e.s<br />
élèves interrogé.e.s, “cela n’a pas de sens de dire à un garçon<br />
en short qu’il est aguicheur ou de juger qu’il ne devrait pas<br />
porter tel vêtement parce que ça ne conviendrait pas à sa<br />
morphologie.” La seule insulte que<br />
pourrait subir un garçon, c’est de se<br />
faire traiter de “pédé”. Quand il s’agit<br />
d’une fille, c’est très différent !<br />
Cynthia affirme qu’on peut être<br />
“choqué.e de voir une grosse fille en<br />
short”. “Une fille a des formes. Trop<br />
les montrer, c’est être provocante,<br />
vulgaire”, estiment d’autres. Élisa répond : “cela veut dire<br />
quoi des vêtements ‘provocants’ ? Derrière, il y a encore cette<br />
idée qu’une fille qui s’est fait agresser l’a cherché”.<br />
La majorité des adolescentes interrogées dit avoir déjà été<br />
victime de harcèlement ou de comportements “lourds” dans<br />
la rue… surtout quand elles sont seules ou avec d’autres filles.<br />
"Quand je suis dehors avec un garçon, ce n’est pas pareil, je ne<br />
suis pas sifflée !", remarque Lamia.<br />
Étonnant ? Vraiment ? Trois garçons de dix-sept à dix-neuf ans,<br />
Lucas, Mathis et William, expliquent que cela ne les dérange pas<br />
que leur copine les accompagne en mini-jupe, mais qu’ils lui font<br />
comprendre qu’elle doit se changer si elle sort seule. Manon<br />
rapporte qu’elle s’est entendu dire “t’étonne pas de te faire<br />
violer” parce qu’elle portait un jean déchiré. Face à ce type de<br />
remarque, un garçon rappelle qu’une agression est uniquement<br />
de la faute de l’agresseur.<br />
LA JUPE DEVENUE TABOU<br />
Par crainte de susciter ces réactions, beaucoup de filles ne<br />
s’habillent pas comme elles le souhaitent. “Je ne compte plus les<br />
fois où j’ai renoncé à porter une jupe ou une robe un peu courtes<br />
par peur de subir des réflexions ou des regards désagréables”,<br />
témoigne Marion, âgée de dix-neuf ans. Une autre lycéenne<br />
remarque : “la jupe est toujours connotée : trop courte, on est<br />
une pute ; trop longue, on est coincée. Dans tous les cas, les<br />
gens auront quelque chose à dire…” Jennifer, dix-sept ans,<br />
ajoute : “en fait, quoi que tu fasses, tu seras jugée. Les filles ont<br />
plus de contraintes, ce n’est pas juste ! Ça pèse !” “Ça doit être<br />
saoulant !”, s’exclame Thibault.<br />
“EN FAIT, QUOI QUE TU FASSES, TU SERAS<br />
JUGÉE. LES FILLES ONT PLUS DE CONTRAINTES,<br />
CE N’EST PAS JUSTE ! ÇA PÈSE !<br />
”<br />
À l’époque de nos grand-mères, les femmes n’avaient pas le<br />
droit de porter des pantalons. Aujourd’hui, c’est la jupe qui est<br />
tabou ! Il faut que tout cela change. Chacun.e devrait être libre<br />
de rester soi-même. Nous avons remarqué qu’il était plus facile<br />
d’assumer nos choix vestimentaires au lycée qu’au collège, que<br />
nous avions moins de complexes en grandissant. . n<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Chronique lycéenne I 65<br />
Merci aux élèves de terminale ES2 et de secondes ASSP, GA et MRCU et à leurs enseignantes, Karine Bertrand et Marie Couzin.
NOUVELLES D'ICI ET AILLEURS<br />
Belgique<br />
FILLES EN BOB<br />
Le Nigéria pourrait<br />
participer pour la première<br />
fois de son histoire aux<br />
Jeux olympiques d’hiver,<br />
en 2018, en Corée du Sud,<br />
grâce à une équipe<br />
féminine de… bobsleigh.<br />
Ces trois sportives vontelles<br />
renouveler l’épopée<br />
des rastas rockets, ces<br />
Jamaïcains qui s’étaient<br />
lancés sur le toboggan<br />
glacé des J.O. de Calgary ?<br />
La Nigérianne Seun<br />
Adigun, championne<br />
d’Afrique de 100 mètres<br />
haies et représentante<br />
de son pays aux Jeux<br />
de Londres en 2012, a réuni<br />
deux autres athlètes<br />
pour tenter de réunir<br />
les fonds nécessaires<br />
à leur équipement<br />
et leur entrainement<br />
de bobsleigh. “Ensemble,<br />
nous pouvons prouver<br />
que rien n’est impossible”,<br />
a-t-elle affirmé. Elles ont<br />
ouvert une campagne<br />
de financement<br />
participatif sur le site<br />
gofundme.com.<br />
Nigeria<br />
Inde<br />
LIBERTÉ SUR DEUX ROUES<br />
À New Dehli, la jeune entreprise Even Cargo,<br />
spécialisée dans la livraison à domicile,<br />
n’emploie que des femmes. Les livreuses<br />
accèdent ainsi à des emplois plutôt bien<br />
rémunérés pour les personnes sans<br />
diplômes et habituellement réservés aux<br />
hommes. Pour Yogesh Kumar, le fondateur<br />
d’Even Cargo, c’est aussi une façon de<br />
défendre le droit des femmes à se déplacer<br />
dans les lieux publics. Son projet est né<br />
en 2012, à la suite du viol d’une femme dans<br />
un bus qui avait provoqué une vague de<br />
réactions dans l’opinion publique. Il voit dans<br />
la féminisation du secteur des transports<br />
un moyen pour les Indiennes de s’approprier<br />
l’espace urbain. “La meilleure partie de mon<br />
travail, c'est d'avoir la liberté de circuler<br />
partout en ville. Je suis fière et je n’ai pas<br />
peur”, a déclaré une des livreuses qui peut<br />
ainsi financer ses études par son emploi.<br />
FRAGILES TESTICULES<br />
Une élue écologiste du parlement<br />
belge mène campagne contre<br />
le manspreading dans les transports<br />
en commun en prenant en photo<br />
les hommes qui s’asseyent cuisses<br />
écartées et prennent tout l’espace.<br />
“Un adolescent avec qui je partageais<br />
une banquette pour deux personnes<br />
et à qui j’avais demandé de resserrer<br />
les jambes, m’avait répondu<br />
qu’il n’allait pas les croiser comme<br />
une p…”, se souvient Céline<br />
Delforge. Les sociétés de transports<br />
en commun de New York<br />
et Seattle ont déjà mis en place<br />
des campagnes de prévention<br />
contre ce comportement,<br />
que les mouvements féministes<br />
surnomment avec humour<br />
“le syndrome des couilles de cristal”.<br />
Entré dans le dictionnaire d’Oxford<br />
en 2015, le terme de manspreading<br />
fleurit désormais sur les réseaux<br />
sociaux, accompagné de clichés<br />
pris par des voyageuses excédées.<br />
Au‐delà de sa dimension d’incivilité,<br />
cette attitude est présentée par<br />
certain.e.s observateur.trice.s<br />
comme l’expression d’une virilité<br />
ostentatoire et serait le reflet<br />
de la place accordée à chacun.e<br />
dans la société.
France<br />
Turquie<br />
VENTS MAUVAIS<br />
Une récente réforme législative<br />
a de facto abaissé à douze ans l’âge<br />
du consentement sexuel en Turquie,<br />
permettant de légitimer les mariages<br />
précoces. “Concrètement, un juge pourra<br />
chercher à obtenir d’une préadolescente<br />
son ‘consentement’ pour valider<br />
une union. On peut évidemment craindre<br />
que sa famille fasse pression sur elle”,<br />
a expliqué l’ex-députée Cigdem Aydin.<br />
Il s’agit pour les élu.e.s<br />
conservateur.trice.s de légaliser<br />
des pratiques en cours dans les zones<br />
rurales encore très traditionnelles.<br />
Autre illustration d'un climat national<br />
malsain, ce manuel offert par la mairie<br />
de Kütahya aux jeunes marié.e.s :<br />
le fascicule justifie les violences<br />
conjugales ou sexuelles et vante<br />
les vertus de la polygamie. Rien que ça !<br />
On se rappelle enfin qu'à l’automne<br />
dernier, une proposition de loi<br />
envisageait d’annuler la condamnation<br />
d’hommes poursuivis pour des<br />
relations sexuelles avec des mineures,<br />
s’ils épousaient leur victime. Le tollé<br />
international et la mobilisation<br />
des militant.e.s du pays face à cette<br />
“légalisation du viol” ont permis<br />
de retoquer le projet (lire aussi page 31).<br />
Sale temps, depuis des mois,<br />
sur les droits des femmes et des enfants<br />
en Turquie.<br />
Irlande<br />
ACHAT INTERDIT<br />
Les clients de prostitué.e.s peuvent<br />
désormais être poursuivis en<br />
République d'Irlande, rejoignant<br />
ainsi le modèle suédois, norvégien…<br />
et français. Cette évolution<br />
législative a été votée à une<br />
immense majorité au parlement.<br />
À l’inverse, les activités de ceux<br />
et celles qui vendent leur corps<br />
sont dépénalisées. “Sans demande,<br />
il n’y aurait pas d’offre”, estime<br />
le groupe abolitionniste Ruhama,<br />
qui se félicite de l’adoption de cette<br />
réforme. L’Irlande du Nord, elle, avait<br />
rendu passible de sanctions l’achat<br />
de services sexuels en 2015.<br />
ANNIVERSAIRE<br />
Le collectif Insomnia a fêté<br />
l’anniversaire de la loi Veil,<br />
adoptée le 17 janvier 1975,<br />
en accrochant dans les rues<br />
de Paris un millier de messages<br />
sur des cintres, symbole<br />
des avortements clandestins.<br />
Comme la plupart<br />
des mouvements œuvrant<br />
pour l'égalité femmeshommes,<br />
le collectif Insomnia<br />
réclame l’inscription du droit<br />
à l’IVG dans la Constitution<br />
française et la Charte<br />
européenne des droits<br />
fondamentaux. Une nécessité<br />
de plus en plus cruciale face<br />
à la (re)montée en puissance<br />
des anti-choix, dans le sillage<br />
de la Manif pour tous.<br />
L'action du collectif féministe<br />
est intervenue au lendemain<br />
du piratage de panneaux<br />
publicitaires d’abribus,<br />
avec des affiches hostiles<br />
au droit à l'avortement.<br />
Ces mêmes visuels avaient été<br />
publiés la semaine précédente,<br />
cette fois légalement,<br />
dans les pages de grands<br />
journaux nationaux, Le Figaro<br />
et Valeurs Actuelles.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Nouvelles d'ici et ailleurs I 67
Israël-Suède<br />
États-Unis<br />
SENTINELLES<br />
“Nous connaissons tous les secrets de nos<br />
clientes”, confie une coiffeuse de Chicago.<br />
Neutralité, contact physique, proximité,<br />
écoute, confiance… tant de qualités qui<br />
font de ces professionnel.le.s des personnes<br />
privilégiées pour détecter les violences<br />
domestiques. Depuis janvier, les salarié.e.s<br />
des salons de coiffure de l’État de l’Illinois<br />
commencent à recevoir une formation<br />
régulière pour identifier les signes<br />
de brutalités conjugales, aider les victimes<br />
et les orienter vers les structures qui pourront<br />
les accompagner. Cette initiative vient<br />
de l’association Chicago Says No More. Elle a<br />
su convaincre un sénateur de l’État d’inclure<br />
un amendement prévoyant cette formation<br />
dans une loi sur la règlementation des salons<br />
de coiffure. Une idée originale, simple comme<br />
un coup de peigne.<br />
38 %<br />
SURRÉALISTE<br />
Il fallait oser, Ikea l’a fait…<br />
et a récidivé ! En 2012, toutes les<br />
femmes avaient été supprimées<br />
sur les photos d’un de leurs<br />
catalogues, destiné à l’Arabie<br />
Saoudite. Plus récemment,<br />
le géant suédois du meuble<br />
a édité un nouveau catalogue,<br />
à destination spécifique<br />
de la communauté juive<br />
ultra-ortodoxe. La brochure<br />
ne montre aussi aucune<br />
femme ou fille. Un monde<br />
de science-fiction, où l’invitation<br />
à “savourer le plaisir de<br />
se retrouver en famille” est<br />
illustrée par des papas élevant<br />
seuls des enfants, uniquement<br />
mâles bien sûr… La direction<br />
israélienne du groupe suédois<br />
ainsi que le siège mondial se sont<br />
excusés dans un communiqué<br />
pour cette “publication qui<br />
n’est pas en accord avec les<br />
valeurs d’Ikea”. Une déclaration<br />
qui ressemble à celle de 2012.<br />
Inde<br />
JE VAIS SORTIR<br />
Les Indiennes ont protesté<br />
sur les réseaux sociaux<br />
et dans les rues<br />
d’une trentaine de villes,<br />
le soir du 21 janvier, en écho<br />
à la Women’s March.<br />
Donald Trump n'était<br />
pas leur cible prioritaire.<br />
Elles se révoltaient contre<br />
l’agression de nombreuses<br />
femmes, à Bangalore,<br />
lors de la nuit du nouvel<br />
an… des agressions<br />
perpétrées malgré<br />
la présence de 15 000<br />
policier.ère.s qui n’ont pas<br />
réagi. Deux responsables<br />
politiques les ont même<br />
rendues responsables<br />
des attouchements<br />
et brutalités endurés,<br />
soit parce qu’elles étaient<br />
habillées à l’occidentale,<br />
soit parce qu’elles avaient<br />
osé sortir après le coucher<br />
du soleil… Vu l'ampleur<br />
de la réponse, le hashtag<br />
#IWillGoOut (je vais sortir)<br />
étant devenu viral, les deux<br />
élus ont dû comprendre !<br />
des hommes et 34 % des femmes britanniques estiment<br />
qu’une femme qui sort tard, ivre et porte une jupe<br />
courte est “totalement ou partiellement responsable”<br />
si elle est agressée sexuellement, a révélé une étude<br />
publiée par la Fawcett Society, la plus importante<br />
association du Royaume-Uni dédiée aux droits des<br />
femmes et à l’égalité. “Il n’y a pas d’autre crime pour<br />
lequel nous serions aussi prompts à rendre la victime<br />
responsable du comportement de son agresseur”,<br />
commente San Smethers, directrice de l’association.<br />
Selon une autre enquête, publiée en novembre,<br />
un.e Européen.ne sur cinq culpabilise une femme<br />
victime de violences. Une tendance qui tend<br />
heureusement à se réduire chez les jeunes.
PORTRAIT<br />
DEBORAH PARDO<br />
PÔLE POSITION<br />
Deborah Pardo est la seule scientifique<br />
française à avoir embarqué dans<br />
la première et la plus vaste expédition<br />
internationale en Antarctique composée<br />
exclusivement de chercheuses.<br />
Ces soixante-seize pionnières en sont<br />
revenues décidées à changer le monde.<br />
Et sont bien parties pour le faire.<br />
Texte de Sandrine Boucher<br />
Deborah Pardo parle vite, très vite, aussi bien dans cet<br />
anglais “pointu” de Cambridge où elle travaille depuis<br />
2013, qu’en français, avec le léger accent qu’elle a gardé<br />
de sa ville d’origine, Marseille. Elle va très vite aussi.<br />
Enfant, elle voulait exercer un métier en lien avec les<br />
animaux. Elle s’oriente vers des études de biologie, où<br />
rapidement la jeune femme “s’ennuie un peu”. Deborah Pardo<br />
file alors poursuivre son cursus à Uppsala, en Suède. Une<br />
“première révélation” où elle découvre un mode d’apprentissage<br />
“plus collaboratif” que dans notre pays et l’intérêt d’élargir son<br />
regard vers l’international. De retour en France, elle intègre<br />
le très exigeant master Biodiversité Écologie Évolution à<br />
Montpellier, puis est reçue à l’université Pierre et Marie Curie<br />
pour préparer une thèse sur la démographie des populations<br />
d’albatros. Pourquoi les albatros ? Parce qu’ils offrent<br />
“le meilleur jeu de données au monde pour étudier l’évolution<br />
des effectifs à long terme sous l’effet des activités humaines”.<br />
Deuxième révélation lors d’un séjour de trois mois, seule,<br />
sur les îles Kerguelen, dans les terres australes françaises :<br />
le dépaysement est complet et, lorsqu’elle voit la première<br />
fois de près ces grands oiseaux (3,50 m d’envergure…),<br />
l’émotion lui coupe le souffle. Elle obtient son doctorat avec<br />
les félicitations du jury. Deborah Pardo réalise alors son<br />
rêve en décrochant, début 2013, un contrat de chercheuse<br />
dans le prestigieux institut polaire de Cambridge. Ses travaux<br />
conduisent notamment à faire reconnaître à un type d’albatros<br />
le statut d’espèce à conservation prioritaire, ce qui permet<br />
de dégager des financements pour sa protection. Cela aurait<br />
pu être le couronnement d’un parcours sans faute, ce ne fut<br />
qu’une étape.<br />
#18 I MARS-AVRIL 2017 I Portrait I 69
Deborah Pardo devient mère et pense mettre à profit son<br />
congé maternité de dix mois pour s’avancer dans son travail.<br />
“C’était une illusion”. La jeune chercheuse<br />
confie que cette période de sa vie a été<br />
“assez difficile”. Entre deux tétées, elle<br />
fait tourner des modèles mathématiques,<br />
dévore des documentaires et s’interroge.<br />
“Je me suis posée beaucoup de questions<br />
sur le bonheur, l’environnement, sur ce<br />
que les femmes pouvaient apporter en<br />
étant des scientifiques ambitieuses et<br />
respectées”. Deborah Pardo apprend par hasard l’existence d’un<br />
projet un peu fou mené par une conseillère en leadership, Fabian<br />
Dattner. Celle-ci explique qu’à la fin de l’année 2014, alors qu’elle<br />
déjeunait en compagnie d’un groupe de chercheuses en sciences<br />
polaires, elles ont plaisanté sur le fait qu’il était indispensable<br />
d’avoir “une barbe” pour espérer percer dans leur domaine.<br />
“Je suis rentrée chez moi en colère”, se souvient Fabian Dattner.<br />
De cette révolte naît le projet Homeward Bound (“retour à la<br />
maison” en anglais), autour de l’idée que la "Terre Mère" a besoin<br />
de ses filles. Objectif : emmener plusieurs dizaines de femmes<br />
en Antarctique pour accroître et faire reconnaître le rôle central<br />
des femmes dans l’élaboration de solutions face aux enjeux<br />
contemporains, en particulier environnementaux. “L’Antarctique<br />
paraît loin, mais c’est là que les traces de notre impact sont les<br />
plus évidentes”, résume Deborah Pardo.<br />
La chercheuse se porte candidate. Elle fait partie des soixanteseize<br />
femmes, et la seule Française, sélectionnée parmi<br />
250 pour faire partie de l’expédition prévue en décembre 2016.<br />
Plus d’un an de préparation l’attend avant de pouvoir mettre le<br />
pied sur le brise-glace qui les conduira au Pôle Sud. Deborah<br />
Pardo se découvre des ressources aussi insoupçonnées<br />
qu’inépuisables. Elle apprend à défendre son projet auprès<br />
de financeurs privés, parvient à rassembler les 20 000 euros<br />
nécessaires à son voyage, devient lauréate du concours<br />
Femmes en vue qui vise à donner plus de place aux expertes<br />
dans les médias… “Cela paraissait insurmontable. En<br />
fait, il suffit d’oser dépasser ses limites, développer son<br />
réseau et rester authentique. Ce n’est pas si difficile”. Cette<br />
première étape “transforme (sa) vie et la place sur une courbe<br />
d’apprentissage exponentielle”.<br />
Toujours dans la perspective de l’expédition,<br />
Deborah Pardo mène une recherche avec<br />
quatre autres participantes sur l’influence<br />
des femmes dans les politiques liées au<br />
réchauffement de la planète. Point de départ :<br />
parce qu’elles assurent l’approvisionnement<br />
en eau, qu’elles forment la majorité des<br />
petit.e.s paysan.ne.s et qu’elles peuvent<br />
représenter jusqu’à 90 % des victimes de<br />
catastrophes naturelles, les femmes sont<br />
les plus vulnérables aux changements<br />
climatiques. Or, “il existe un lien entre les<br />
performances environnementales d’un<br />
pays, quel que soit son niveau de PIB, et<br />
l’égalité des sexes dans ce pays. Autrement<br />
dit, plus le gender gap est faible dans une<br />
société, plus cette société investit dans les<br />
politiques de protection de la nature, plus elle<br />
est stable et durable. Le leadership féminin<br />
permet d’améliorer les droits des femmes,<br />
de contribuer au bonheur global et de mieux<br />
respecter notre environnement”. L’expédition<br />
reçoit le soutien de scientifiques d’exception<br />
comme la primatologue Jane Goodall ou la<br />
biologiste Sylvia Earle.<br />
“CELA PARAISSAIT INSURMONTABLE. EN FAIT,<br />
IL SUFFIT D’OSER DÉPASSER SES LIMITES, DÉVELOPPER<br />
SON RÉSEAU ET RESTER AUTHENTIQUE.<br />
”<br />
Les trois semaines en Antarctique, du 2 au 21 décembre, au<br />
cours de l’été austral où le soleil ne se couche jamais sur le pôle,<br />
sont intenses. Près de quatre-vingts professionnelles venues<br />
de quatre continents se retrouvent littéralement dans le<br />
même bateau, sur ces terres de l’extrême où elles ont été quasi<br />
inexistantes jusqu’aux années cinquante. Il y a des scientifiques,<br />
des militantes d’ONG, des responsables des Nations unies,<br />
des représentantes de communautés rurales, des ingénieures,<br />
des médecins… Les sorties quotidiennes sur le terrain se<br />
doublent de formations en leadership dans la perspective de<br />
développer des projets collectifs. “On n’a pas beaucoup dormi”,<br />
rit Deborah Pardo. “Chacune a apporté le meilleur d’elle-même.<br />
L’expérience a été incroyablement forte. Nous avons développé<br />
des liens qui ne se dénoueront plus, ouvert des pistes de<br />
collaboration internationale entre nos différentes disciplines.<br />
Le but était d’accroître la visibilité des femmes dans leurs<br />
compétences, d’apporter un souffle nouveau pour l’avenir de<br />
notre planète et de démontrer par l’exemple l’importance de<br />
l’intelligence collective”.<br />
Des publications scientifiques et un film documentaire, prévu<br />
pour la fin 2017, vont retracer cette première expérience de<br />
pionnières. Une nouvelle expédition est déjà en préparation.<br />
Elle aura lieu début 2018. L’ambition d’Homeward Bound est de<br />
mettre en place, en dix ans, un réseau d’un millier de femmes<br />
scientifiques et décisionnaires qui uniront leurs compétences<br />
pour devenir le moteur d’un indispensable changement d’ère.<br />
“Ce n’est que le début”, promet Deborah Pardo, qui dès son<br />
retour d’Antarctique, a lâché la recherche académique pour<br />
s’investir dans une ONG environnementale. Sa conclusion ?<br />
“Foncez ! N’ayez pas peur ! On a toutes à y gagner.” n
Dans les médias, 80 % des personnes<br />
dont il est question sont des hommes.<br />
UNE INFORMATION DIFFÉRENTE<br />
POUR VOIR LE MONDE AUTREMENT
ELLES<br />
ONT ÉCRIT<br />
L’HISTOIRE<br />
HEDY LAMARR (1914-2000)<br />
Inventrice du wifi<br />
Difficile d’imaginer à quoi ressemblerait notre quotidien sans<br />
Hedy Lamarr. Née en 1914 à Vienne, elle quitte mari et patrie<br />
pour les États-Unis au début des années 1930. Sa carrière<br />
d’actrice, prometteuse, devient fulgurante à Hollywood.<br />
Mais l'histoire n'a retenu que la star, pas la scientifique.<br />
Avec son ami Georges Antheil, compositeur d’avant-garde,<br />
Hedy Lamarr se passionne pour la communication par<br />
ondes radios et propose de l’appliquer au téléguidage des<br />
torpilles. Ils conçoivent un système d’émission-réception<br />
avec un signal changeant de fréquence, ce qui rend l’attaque<br />
indétectable. Ils en déposent le brevet en 1941. Cette<br />
invention est appliquée à partir des années 1960 par l’armée<br />
américaine, puis par l’industrie. La technique Lamarr a ainsi<br />
servi à développer les liaisons cryptées, les communications<br />
spatiales, la téléphonie mobile, le GPS ou le wifi ! n<br />
www.editions-8mars.com<br />
Bimestriel vendu<br />
sur abonnement<br />
9,90 € TTC<br />
l'unité