Désolé j'ai ciné #6
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Retour sur une<br />
franchise historique<br />
mais aussi : rétro soderbergh, l’instant séries, blackkklansman, naissance d’une nation...
2
3<br />
eDiTo<br />
Cet été promet d’être<br />
«Sauvage»…<br />
Ce mois d’août sera placé sous le signe<br />
de la Croisette avec pas moins de cinq<br />
films présentés cette année au Festival<br />
et qui seront diffusés dans nos chères<br />
salles climatisées. Ne vous inquiétez pas,<br />
il y en aura pour tous les goûts et toutes<br />
les couleurs mais s’il y a bien un film qui<br />
retient notre attention c’est le premier<br />
long-métrage de Camille Vidal-Naquet.<br />
Formidable portrait d’un homme aussi<br />
libre, que sauvage et amoureux au coeur<br />
de la prostitution masculine. Nous avons<br />
pu discuter avec le réalisateur et ses deux<br />
acteurs principaux malheureusement<br />
nous sommes trop courts pour pouvoir<br />
vous dévoiler l’entrevue mais il n’empêche<br />
qu’on ne peut que chaudement vous le<br />
conseiller. Spike Lee quant à lui dévoile<br />
son côté sauvage avec le bouillonnant<br />
BlacKkKlansman, inspiré d’une histoire<br />
vraie et véritable film à charge contre<br />
l’Amérique «so-white» de Donald Trump.<br />
L’été est là, nous sommes champions du<br />
monde, il fait beau, aimez-vous, soyez<br />
heureux, soyez sauvages.<br />
Margaux Maekelberg
4
5<br />
sOmMaIrE<br />
P.6 P.20 P.72<br />
P.80 P.104 P.108<br />
P.18 • Crazy rich asians : 25 ans c’est long !<br />
P.40 • Critiques<br />
P.75 • David Robert Mitchell<br />
P.92 • Naissance d’une nation<br />
P.116 • Alison brie : Lutter pour mieux<br />
exploser<br />
P.120 • Instant séries<br />
DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : MARGAUX MAEKELBERG<br />
MISE EN PAGE : MARGAUX MAEKELBERG<br />
RÉDACTEURS : JONATHAN CHEVRIER, MARION CRITIQUE, TANGUY RENAULT, TANGUY BOSSELLI, VANESSA BONET<br />
& WADE EATON<br />
MERCI À NOTRE TIPEUR THIBAULT !
6<br />
MISSION : IMPOSSIBLE<br />
LA SAGA DE TOUS LES POSSIBLES
SANS L’OMBRE D’UN DOUTE, LA FRUCTUEUSE FRANCHISE “MISSION :<br />
IMPOSSIBLE” ET SES NOMBREUSES SUITES, EST LE SYMBOLE PARFAIT DE<br />
LA TOUTE-PUISSANCE DE TOM CRUISE, ET DE SON POUVOIR DÉCISIONNAIRE<br />
DANS LA CITÉ DES VICES HOLLYWOODIENS.<br />
CINQ CARTONS PLUS OU MOINS FRACASSANTS (QUI EN APPELLENT<br />
ÉVIDEMMENT UN SIXIÈME D’ICI AOÛT PROCHAIN), MAIS SURTOUT SIX<br />
PRODUCTIONS AUSSI FASCINANTES QU’ELLES FURENT SOUVENT HOULEUSES,<br />
QUI ONT CONSTITUÉS RIEN DE MOINS QUE L’UNE DES FRANCHISES LES PLUS<br />
SINGULIÈRES DU SEPTIÈME ART RICAIN, TANT CHAQUE CINÉASTE IMPOSÉ À<br />
SA BARRE, A SU SUBTILEMENT IMPOSER SA MARQUE AU FIL DES ÉPISODES.<br />
par jonathan chevrier<br />
7
8<br />
Tout commence avec une série télévisée, “Mission : Impossible”,<br />
show culte des 60’s ayant fait la gloire de la chaîne CBS durant<br />
sept saisons, avant de connaître un court reboot sur une chaîne<br />
concurrente, ABC, entre<br />
1988 et 1990 - “Mission<br />
impossible, 20 ans<br />
après”, dont le seul vrai<br />
lien est la présence de<br />
Peter Graves dans la<br />
peau du MIF -<br />
Mission Impossible<br />
Force -, une équipe<br />
d’agents secrets<br />
américains détachés de<br />
la CIA, membres de l’IMF<br />
(Impossible Missions<br />
Force) à qui l’on réserve<br />
les missions les plus<br />
délicates.<br />
Culte de chez culte (le générique d’ouverture<br />
et la musique de Lalo Schifrin sont entrés<br />
dans la légende), la série avait longtemps<br />
réussi à passer<br />
entre les mailles<br />
du filet des<br />
adaptations sur<br />
grand écran,<br />
avant que<br />
Tom Cruise,<br />
fraîchement<br />
auréolé du carton<br />
surprenant de<br />
“La Firme” en<br />
1993, ne décide<br />
de se jeter<br />
dessus.<br />
Wannabe next big thing Hollywoodienne<br />
qui accumule les succès avec une<br />
frénésie proprement indécente (“Risky<br />
Business”, “Top Gun”, “Jour de Tonnerre”,<br />
“La Couleur de l’Argent”, “Né un 4 Juillet”,<br />
“Des Hommes d’Honneurs”), le - toujours<br />
- jeune Tom désire pourtant prendre un<br />
petit peu plus de galons dans le système,<br />
en initiant par lui-même un projet<br />
ambitieux dont il serait l’acteur vedette<br />
(cascades perso comprises), tout en le<br />
produisant aux côtés de son amie et agent<br />
Paula Wagner, via leur toute pimpante<br />
nouvelle société : C/W Productions.
Hébergé<br />
chez<br />
Paramount,<br />
Cruise pense<br />
instinctivement à<br />
confier le projet à Sydney<br />
Pollack, histoire de reformer le<br />
trio magique de “La Firme”, mais<br />
peu de temps après s’être attelé au<br />
Mission Adaptation<br />
projet, le papa de “12 Hommes en Colère” jette l’éponge tant la<br />
direction que prend la production ne lui convainc plus.<br />
Pas de panique pour autant, l’acteur arrive sensiblement à attirer<br />
dans ses filets à l’aube du début d’année 1994, le grand Brian De Palma,<br />
qui engage dans la foulée Steven Zaillian (qui vient tout juste de chiper un<br />
oscar pour “La Liste de Schindler”) et David Koepp (avec qui il vient de travailler<br />
sur l”’Impasse”) pour s’occuper du scénario, avant que Robert Towne (“Chinatown”,<br />
“La Dernière Corvée”) ne vienne peaufiner l’ultime jet à quelques heures du début de<br />
tournage.<br />
Malgré les désaccords entre le <strong>ciné</strong>aste et son acteur vedette (De Palma a longtemps bataillé<br />
pour booster le budget de 50M$ et faire en sorte que le film ait une impressionnante scène<br />
d’action finale), les gros travers en interne (De Palma ne participera pas à la promotion du film, le<br />
compositeur Danny Elfman remplacera en pleine postproduction Alan Silvestri) et la polémique<br />
monstrueuse causée par les comédiens de la série originale (qui renie férocement le film, surtout<br />
le traitement osé du personnage de Jim Phelps), “Mission : Impossible” débarque dans les salles<br />
obscures en 1996, et incarne sans forcer l’un des plus gros succès de la saison des blockbusters.<br />
Thriller De Palma-esque en diable (le <strong>ciné</strong>ma même du <strong>ciné</strong>aste se base sur les apparences<br />
trompeuses, un suspense intense et la dénonciation de la tromperie par l’image), reprenant<br />
le ton général du matériau d’origine (des missions d’espionnages supposément impossibles<br />
in fine réalisées par des agents surentraînés) et le personnage phare du show original pour<br />
mieux articuler une nouvelle équipe autour du personnage d’Ethan Hunt (totalement créé pour<br />
l’occasion), quitte a totalement trahir les fans - qui s’en sont bien remis -; “Mission : Impossible”,<br />
maîtrisé de bout en bout, alignant fulgurances de réalisation et les moments de bravoure<br />
dantesque (le vol de la liste des agents de la CIA est anthologique) jusque dans un final qui<br />
dénote complètement du reste du métrage, est un savoureux jeu de dupes et de trahisons où<br />
tout le monde est souvent berné - même le spectateur -, malgré les nombreux indices disséminés<br />
dès le générique d’introduction.<br />
Percutant et brillant, même si la majorité des critiques US de l’époque, mauvaises langues<br />
évidentes, jugeront son intrigue totalement incompréhensible...<br />
9
10<br />
Mission HK style
11<br />
Sans trop de surprise face au succès monstre du<br />
film (450 M$ de recettes au B.O. international pour<br />
80 M$ de budget), la Paramount donne très vite le<br />
feu vert à Cruise pour enclencher la production d’un<br />
second opus, un temps promis à Oliver Stone (qui<br />
avait dirigé le big Tom quelques années auparavant<br />
pour “Né un 4 Juillet”), avant que le projet ne<br />
prenne un retard conséquent suite à l’engagement<br />
de l’acteur vedette au dernier long-métrage de feu<br />
Stanley Kubrick, “Eyes Wide Shut”, qui s’est étalé<br />
sur plus d’un an et demi outre-Manche.<br />
De retour au pays de l’Oncle Sam, le comédien<br />
confiera in fine le bébé à John Woo, qui vient tout<br />
juste de connaître son premier vrai gros succès<br />
outre-Atlantique, le jouissif “Volte/Face”, histoire de<br />
pleinement démarquer cette suite du premier long<br />
- pas difficile vu les habitudes de mise en scène du<br />
<strong>ciné</strong>aste hongkongais.<br />
Avec toujours Robert Towne au scénario, obligé de<br />
taire son envie de remake officieux des “Enchainés”<br />
de king Hitchcock pour composer comme il le peut,<br />
une histoire au milieu des nombreuses scènes<br />
d’action imposées par Woo, “Mission : Impossible<br />
2” va connaître comme son aîné, plus d’une galère<br />
durant son tournage, occupant une bonne partie<br />
de l’année 1999 : réécriture de scénario à l’arrache<br />
(jugé au final trop simple) qui casse les prises de<br />
vues, divergences artistiques entre l’acteur et son<br />
metteur en scène (notamment sur la violence du<br />
film, qui ne colle pas à l’esprit PG-13 voulu par<br />
Cruise) et nombreux reports de sorties.<br />
Il n’empêche que malgré tous ses tracas, “M:I 2”<br />
sort en pleine été 2000 et cartonne au box-office,<br />
explosant même les scores du film original... mais<br />
pas sa qualité.<br />
Blockbuster ricain dans toute sa splendeur,<br />
férocement régressif autant qu’il est un brillant<br />
exercice de style quand Woo laisse s’exprimer<br />
tout le lyrisme de son <strong>ciné</strong>ma (ici totalement<br />
décomplexé et démesuré), souvent tronqué<br />
par la faiblesse de son intrigue (qui privilégie<br />
l’action à la psychologie de ses personnages, plus<br />
caricaturaux tu meurs) mais visuellement superbe<br />
et grisant; le film, nerveux et prévisible, qui dénote<br />
complètement de la vision de De Palma (sobre et<br />
imprévisible, avec une vraie mission impossible à<br />
la clé), peut aisément se voir comme le maillon<br />
faible de la saga, aussi spectaculaire et plaisant à<br />
voir soit-il.<br />
Ce qui n’empêche pas Tom Cruise de planifier un<br />
“M:I 3” dans la foulée, lui qui contrôle de la tête et<br />
des épaules, la franchise, sa franchise.
12<br />
Dès 2002, Cruise annonce au<br />
monde que le génial David<br />
Fincher, nom totalement<br />
improbable mais férocement<br />
bandant sur le papier, sera le<br />
papa de “Mission : Impossible<br />
III”. Le hic, c’est que le<br />
comédien, qui n’a jamais<br />
travaillé avec le papa de “Fight<br />
Club” auparavant, va très vite<br />
être confronté à la vision<br />
profondément sombre du<br />
<strong>ciné</strong>aste, et être totalement<br />
rebuté par son idée mère,<br />
pourtant alléchante : impliqué<br />
Hunt dans une enquête sur le<br />
trafic d’organes en Afrique.<br />
Jugé trop sombre par l’acteur,<br />
le jet de Fincher sera vite mis<br />
au placard, obligeant de facto<br />
le <strong>ciné</strong>aste à tourner les talons,<br />
avant que Cruise ne se rabatte<br />
sur l’un des jeunes <strong>ciné</strong>astes en<br />
vue à l’époque, Joe Carnahan,<br />
qui vient tout juste de faire<br />
son trou dans l’industrie avec<br />
l’excellent “Narc”.<br />
Toutes les étoiles semblaient<br />
alignées, un tournage était<br />
même prévu pour l’été 2004,<br />
mais à quelques heures des<br />
premières prises de vues, la<br />
collaboration entre Carnahan et<br />
la production suit la même lignée<br />
que celle entre elle et Fincher<br />
: le futur papa de l’adaptation<br />
<strong>ciné</strong> d’”Agence Tous Risques”<br />
est proprement éjecté du projet<br />
pour divergences artistique, son<br />
script (axé sur les mouvements<br />
politiques d’extrêmes droites<br />
américains) étant lui aussi jugé<br />
trop dark pour l’agent Hunt.<br />
Repoussé d’un an - Cruise<br />
partant tourner “La Guerre des<br />
Mondes” -, “M : I : III” sera au final<br />
confié au bleu J.J. Abrams, dont<br />
la série “Alias” avait sensiblement<br />
séduit le comédien.<br />
Modifié de A à Z par le <strong>ciné</strong>aste, le<br />
script change complètement de<br />
tournure et zappe totalement le<br />
casting d’origine (adieu Carrie-<br />
Anne Moss, Scarlett Johansson<br />
et Kenneth Branagh) pour<br />
judicieusement lui en préférer<br />
un nouveau (feu le grand Philip<br />
Seymour Hoffman, Maggie Q<br />
et Billy Crudup), et débarque<br />
à la vitesse de la lumière dans<br />
les salles obscures pour l’été<br />
des blockbusters 2006, où<br />
il se paye un accueil glacial,<br />
officieusement causé par les<br />
dérives médiatiques d’un Tom<br />
Cruise visiblement très (trop<br />
?) content d’avoir conquis le<br />
coeur de la pétillante Katie<br />
Holmes. Un échec injuste tant<br />
l’opus, de loin le plus fidèle à la<br />
série, renouait avec l’essence<br />
même du thriller d’espionnage<br />
profondément explosif initié<br />
par De Palma.<br />
Haletant avec son scénario<br />
à tiroirs passionnant (entre<br />
kidnappings, traques et<br />
sauvetages divers) et<br />
profondément ancré dans<br />
la réalité, porté par un vrai<br />
méchant imposant - Owen<br />
Davian - et à la hauteur de la<br />
stature imposante de Hunt<br />
(plus humain, déterminé et<br />
invincible que jamais); le film,<br />
qui n’hésite jamais à mettre<br />
(enfin) son héros au pied du<br />
mur, se démarque tout du<br />
long de M: I 2 et impose les<br />
nouveaux codes de la saga<br />
: un film d’espionnage et<br />
d’action populaire, qui ne<br />
bride pas son histoire au profit<br />
du spectaculaire, et qui injecte<br />
continuellement de nouveaux<br />
visages.
13<br />
Mission : Renaissance<br />
Moins performant que les premiers films au<br />
box-office (400M$ au B.O mondial), “Mission :<br />
Impossible 3” marquera la fin (pour un temps)<br />
de la collaboration entre la Paramount et Tom<br />
Cruise, la firme étant sensiblement lassée (pour<br />
être poli) des apparitions publiques - entre folie<br />
furieuse et défense féroce de la scientologie - de<br />
son mégalomane d’acteur vedette.<br />
Officieusement, la petite histoire veut que ce soit<br />
la (jeune) femme de Sumner Redstone, big boss<br />
de la Paramount à l’époque, pas fan du comédien,<br />
qui aurait poussé son PDG de mari à se séparer<br />
de Cruise, doutant fortement de son pouvoir<br />
d’attraction auprès du public.<br />
Après trois ans d’une brouille sans nom, où<br />
Cruise cherchera à reprendre les rênes du studio<br />
United Artist (“Lions et Agneaux”, “Walkyrie”,<br />
“Night and Day”), sans forcément retrouver son<br />
succès d’antan, le rabibochage se fera presque<br />
naturellement, ouvrant sensiblement dans la<br />
foulée, la porte à un “Mission : Impossible 4”, entre<br />
reboot et vraie suite de la franchise.<br />
Toujours chapeauté de loin par J.J. Abrams,<br />
uniquement producteur même s’il impose Josh<br />
Appelbaum et André Nemec au script (“Alias”), dit<br />
script qui sera retravaillé par - déjà - Christopher<br />
McQuarrie (“Usual Suspect”, “Walkyrie”), “Protocole<br />
Fantôme” étonnera surtout par la grosse prise<br />
de risques entreprise par Cruise : imposer le<br />
talentueux Brad Bird, loin d’être rompu au<br />
tournage live à l’époque, à la réalisation; <strong>ciné</strong>aste<br />
avec lequel il avoue avoir toujours voulu travailler.<br />
Infiniment plus physique pour Cruise d’un point<br />
de vue scène d’action (l’acteur avait tout à<br />
prouver après son gros passage à vide), plaçant<br />
le curseur encore un petit peu plus haut en terme<br />
de spectaculaire (tempêtes de sable, acrobaties<br />
sur le plus haut gratte-ciel du monde,...) tout en<br />
hésitant pas à foutre un bordel monstre dans la<br />
storyline de la saga (le MIF est désavoué suite à<br />
un attentat au Kremlin, obligeant ses agents à<br />
agir sous les radars pour contrer leur principal<br />
opposant : le Syndicat), sans forcément rendre<br />
son pitch plus complexe que les précédents (la<br />
notion de groupe est de nouveau au centre des<br />
débats); “Mission : Impossible - Ghost Protocol”,<br />
volontairement plus drôle (humour pince-sans-rire<br />
et présence renforcée de Simon Pegg à la clé) et<br />
détournant avec malice les passages obligés de la<br />
saga, est un menu Best-Of transpirant pleinement<br />
la patte virtuose de Bird, qui n’aura eu aucune<br />
peine à trouver son auditoire en salles, à l’aube<br />
des fêtes de Noël 2011.<br />
694,7 M$ à l’international en bout de course et<br />
des critiques unanimes, Ethan Hunt renaît de ses<br />
cendres de manière totalement improbable, avant<br />
de prouver qu’un vrai héros (tout comme s’affirme<br />
Cruise à l’écran) ne meurt jamais.
Impossible<br />
is<br />
nothing<br />
14<br />
Véritable tout foutraque qui<br />
tient admirablement bien la<br />
route en fin de compte, la<br />
franchise “Mission : Impossible”<br />
s’offrait en 2015, un cinquième<br />
opus autant espéré que mérité<br />
après le retour en grande pompe<br />
opéré via “Protocole Fantôme”.<br />
Offert au nouveau BFF de<br />
Cruise, Christopher McQuarrie,<br />
passé de scénariste talentueux<br />
à honnête faiseur de rêve avec<br />
Jack Reacher (déjà porté par<br />
l’éternel interprète de Maverick),<br />
et déjà derrière les retouches<br />
scénaristique du quatrième<br />
opus, “Mission : Impossible -<br />
Rogue Nation”.<br />
Volontairement plus old school<br />
et incarnant une suite directe -<br />
une première dans la saga - du<br />
film de Bird puisqu’il prolonge la<br />
lutte du MIF contre le Syndicat<br />
(et que, tout comme lui, il<br />
s’attache de nouveau à suivre au<br />
plus près les aléas du destin de<br />
Hunt tout en faisant revenir la<br />
majorité des personnages), tout<br />
en créant une vraie continuité au<br />
sein de la saga, “Rogue Nation”
15<br />
s’échine à conter cette poursuite vers l’inconnu, vers cet ennemi<br />
de l’ombre là où le MIF, pourtant constamment en danger, se voit<br />
finalement démantelé par une CIA ne digérant plus les loupés des<br />
missions passées (l’explosion du Kremlin dans “Ghost Protocol”, le<br />
piratage de l’agence dans “Mission : Impossible”).<br />
Pire, symbole même de cette section de l’impossible, Ethan Hunt ici<br />
élevé au rang de légende vivante, se verra traqué par la CIA pour en<br />
faire un fugitif - tout comme ses petits camarades.<br />
Tout convergeait donc presque, pour que ce cinquième film soit le<br />
dernier de la saga, un épisode définitif avec des citations avouées<br />
à la saga et des ressemblances frappantes (Sean Harris/Solomon<br />
Lane s’impose comme un négatif de Hunt, tout comme Dougray<br />
Scott/Sean Ambrose), appuyées par une intrigue Hitchockienne<br />
aux vérités floues que n’aurait pas renié Brian De Palma.<br />
Ce qu’il n’est finalement pas, évidemment (surtout que la Paramount<br />
avait annoncé avant même sa sortie, la mise en chantier d’un “M :<br />
I - 6”).<br />
Vrai film d’espionnage aux enjeux solides et captivants, d’une<br />
tension de chaque instant magnifié par des scènes d’action toutes<br />
plus renversantes les unes que les autres - défiant aussi bien la<br />
concurrence que les standards imposés par les films précédents -,<br />
qu’une étude des personnages franchement remarquable (Ethan<br />
Hunt arrive à prendre encore un peu plus d’ampleur malgré cinq<br />
films au compteur, et chacun a droit à son moment de gloire);<br />
“Rogue Nation” est un délice de chaque instant aussi maîtrisé<br />
qu’exigeant, un véritable sommet de dramatisme et d’esthétisme<br />
(la scène de l’Opéra de Vienne reste un must-see indécent) old<br />
school et moderne à la fois, où tout est est dosé à la perfection,<br />
de la fluidité de la narration à la caractérisation des personnages<br />
(tous merveilleusement joués), du montage nerveux au suspense<br />
savamment millimétré, de la rugosité des scènes d’action à la finesse<br />
de son humour et de ses émotions.<br />
Une réussite exemplaire, qui convaincra Cruise que son duo formé<br />
avec Christopher McQuarrie, se devait de revenir une ultime fois<br />
à la barre d’une mission impossible, quitte à totalement renier le<br />
mode de fonctionnement de la franchise jusqu’alors (un film : un<br />
réalisateur différent).
16
17<br />
Fallout...<br />
the end ?<br />
Après quelques petits soucis de production visant à faire<br />
gonfler le chèque de Tom Cruise (les négociations assez<br />
tendues, ont durées plusieurs mois), puis quelques soucis<br />
de tournage avec la blessure d’un big Tom plus casse-cou<br />
que jamais, “Mission : Impossible - Fallout” est enfin appelé<br />
à atteindre nos salles obscures d’ici le 1er août prochain,<br />
suite une nouvelle fois direct de “Protocole Fantôme” et<br />
“Rogue Nation”, qui aura «encore plus de décors et de<br />
cascades incroyables, et une histoire très divertissante et<br />
convaincante», dixit Hunt himself.<br />
Et à la vue de son excellente campagne promotionnelle,<br />
on ne peut que le croire sur parole, cette ultime (avant<br />
la septième ?) mission se voulant comme une conclusion<br />
pétaradante et haletante et totale de la lutte entre le MIF<br />
et le Syndicat.<br />
Célébré, conspué, boycotté avant d’être revenu des limbes<br />
d’Hollywood plus fort que jamais... plus les opus passent,<br />
plus Tom Cruise est à l’aise avec un héros pour lequel<br />
il ne rechigne plus de dévoiler les failles (son mariage<br />
douloureux, son envie de tout quitter) tout autant que<br />
son statut iconique (il se bat pour préserver le bien du<br />
mal, même si la frontière entre les deux est difficile à<br />
percevoir) et cartoonesque de quasi-Superman légendaire,<br />
dont l’invincibilité a rarement été aussi mis en image que<br />
rudement mis à l’épreuve.<br />
Vingt-deux ans et cinq films plus tard, Ethan Hunt n’a<br />
jamais paru aussi populaire et adoré que jamais, mais<br />
surtout, la franchise “Mission : Impossible” a subtilement<br />
su, à la différence de nombreuses sagas d’action misant<br />
sur la quantité au détriment de la qualité (coucou “Fast<br />
and Furious”), s’installer comme une référence du <strong>ciné</strong>ma<br />
d’action racé et intelligent, aux côtés, entre autres, de la<br />
saga (trilogie hein) “Die Hard”.<br />
Dire donc que l’on attend le premier août avec une<br />
impatience folle, est un put*** d’euphémisme...
18<br />
Crazy<br />
À l’heure où le <strong>ciné</strong>ma<br />
commence à se faire secouer le<br />
derrière que ce soit par les femmes<br />
bien décidées à prendre les choses<br />
en mains ou des communautés qui<br />
aspirent à plus de représentation<br />
- «Noire n’est pas mon métier», un<br />
ouvrage co-écrit par seize actrices noires<br />
pour éveiller les consciences sur la sousreprésentation<br />
des femmes de couleur au<br />
<strong>ciné</strong>ma -, «Crazy Rich Asians» tombe à point<br />
nommé.<br />
Adapté du roman éponyme de Kevin Kwan - gros<br />
succès de 2003 -, «Crazy Rich Asians» fait parler<br />
de lui surtout pour son casting composé à 100%<br />
d’acteurs et actrices asiatiques (Constance Wu,<br />
Henry Golding, Gemma Chan & Lisa Lu entre autres).<br />
De quoi réveiller un peu l’industrie hollywoodienne qui<br />
n’avait pas proposé de film avec un tel casting depuis…<br />
25 ans («Le Club de la chance» de Wayne Wang, 1993).<br />
De quoi - peut-être - éveiller les consciences sur le manque<br />
de représentation de la communauté asiatique au <strong>ciné</strong>ma<br />
qui avait déjà secoué les réseaux sociaux il y a quelques<br />
temps à travers le hashtag #ExpressiveAsians en réponse<br />
à un directeur de casting expliquant que les asiatiques<br />
n’étaient pas choisis car pas assez expressifs. Une pratique du<br />
«whitewashing» d’ailleurs encore récemment pointée du doigt<br />
lors de la sortie de «Ghost in the shell» et que révèle également<br />
Kevin Kwan, auteur du best-seller, qui a expliqué qu’un producteur<br />
25 ans c’est
19<br />
Rich Asians<br />
a essayé de le convaincre de transformer son héroïne principale<br />
en une jeune femme caucasienne.<br />
Réalisé par Jon M. Chu - à qui l’on doit notamment<br />
«Insaisissables 2» -, «Crazy Rich Asians» suit les<br />
extravagantes vacances d’été de Rachel Chu, professeur<br />
d’économie, et son petit ami Nicholas Young à<br />
Singapour. La seule chose dont Rachel n’était pas au<br />
courant, c’est que son compagnon est le fils d’une<br />
des familles les plus riches du pays. De quoi attiser<br />
la jalousie de certaines, prêtes à tout pour mettre<br />
le grappin sur le jeune homme.<br />
Cette véritable romcom assumée n’est<br />
cependant pas non plus épargnée par la<br />
critique, de nombreuses personnes accusant<br />
le film de ne représenter qu’une minorité des<br />
asiatiques - à la peau claire - et finalement<br />
très peu d’asiatiques du sud avec la peau<br />
plus foncée. Le film, qui sort en salles<br />
le 29 aout prochain, aura au moins le<br />
mérite de faire parler de lui et de faire<br />
un premier - petit - pas en avant<br />
concernant la représentation de la<br />
communauté asiatique au <strong>ciné</strong>ma.<br />
Margaux Maekelberg<br />
long !
20<br />
la rétro de
la rédac<br />
21
Sexe, mensonges<br />
et video<br />
Premier long-métrage tourné en très peu de temps par un Soderbergh d’à peine 26 ans, “Sexe, mensonges<br />
et vidéo” intrigue. D’autant qu’il a été couronné d’une Palme d’or, faisant de son réalisateur le plus jeune<br />
détenteur de la récompense cannoise suprême. Trente ans plus tard, que reste-t-il de cette œuvre intimiste<br />
mettant à mal l’”American way of life” ?<br />
Réflexion sur la sexualité dans une Amérique puritaine, “Sexe, mensonges et vidéo” met en parallèle des<br />
personnages renfermés, qui hésitent, tergiversent, et d’autres gouvernés par leurs pulsions, qui foncent<br />
bille en tête. Ann (Andie MacDowell, desperate housewife avant l’heure) fait partie des premiers alors que<br />
son mari John (Peter Gallagher) compte parmi les seconds : ne pouvant satisfaire toutes ses envies avec sa<br />
femme, il batifole avec Cynthia (Laura San Giacomo), la sœur de cette dernière, plus à l’écoute de son corps<br />
que son aînée. Un trio boiteux, mais qui fonctionne, sauvegardant les apparences de bonheur conjugal.<br />
Cette harmonie de façade, c’est – comme souvent – un élément extérieur qui va venir la bousculer. Fauteur<br />
de troubles de prime abord inoffensif, Graham (James Spader, prix d’interprétation à Cannes) est un ami<br />
de John, perdu de vue depuis des années. Comme Ann, il fait partie des gens qui doutent, observent et<br />
ont tendance à vivre dans leurs fantasmes. Pour satisfaire ses désirs, il filme des femmes se confiant sur<br />
leur sexualité, vidéos qu’il se repasse en boucle sur son magnétoscope. Tel “Le Voyeur” de Michael Powell,<br />
il utilise sa caméra comme une protection contre le monde, un écran derrière lequel il se sent à l’abri des<br />
regards et des corps. Graham n’ira certes pas aussi loin que le Mark du film du maître britannique, qui fait<br />
de sa caméra une arme de mort ; il n’en reste pas moins que c’est par elle que se révéleront les personnages<br />
de “Sexe, mensonges et vidéo”… à leurs risques et périls.<br />
22<br />
Avec sa mise en scène minimaliste créatrice d’une atmosphère froide, à la limite du clinique, Soderbergh<br />
nous invite, notamment, à pénétrer la psyché féminine, les deux sœurs de l’histoire se laissant convaincre<br />
par l’intérêt de la séance de «thérapie» de Graham. Le poids des interdits qui gangrènent la société<br />
américaine – le film reste très américano-américain – est prégnant, mais nul besoin d’attendre les moments<br />
de confessions pour le comprendre. Des frustrations d’Ann aux préjugés dont est très certainement victime<br />
Cynthia, la femme est toujours coincée, avec pour seule alternative le rôle de la maman ou de la putain.<br />
Si le personnage d’Ann, tout comme celui de Graham, est bien traité, ceux de Cynthia et John sont à<br />
peine effleurés, sortes de caricatures de la jeune femme délurée hippie sur les bords et du riche avocat<br />
opportuniste chaud bouillant. Ces deux-là sont clairement mis de côté pour laisser s’épanouir leurs doubles<br />
plus introvertis. Dans sa dernière partie, le film, dont la trame scénaristique est somme toute assez mince,<br />
gagne en intensité : lors de sa séance de «confession», Ann, poussée à bout par les événements, sort de son<br />
rôle de femme soumise, qui attend et observe pour s’imposer, prendre la caméra des mains de Graham et<br />
lui retourner ses fameuses questions en plein visage. Un moment salvateur, tant pour elle que pour lui, qui<br />
donne à ce premier long-métrage une saveur particulière.<br />
Trente ans après sa sortie, force est de constater que “Sexe, mensonges et vidéo” fait toujours son petit<br />
effet. Intrigant et malin, le premier long de Soderbergh n’est cependant pas le chef-d’œuvre que laisse<br />
espérer sa réputation.<br />
Vanessa Bonet
23
24
25<br />
Ocean’s Eleven<br />
Début des années 2000. Dans ce premier opus de la fameuse trilogie<br />
des “Ocean”, Steven Soderbergh impose son œuvre comme étant une véritable<br />
référence dans les films de braquage. Porté par un casting quatre<br />
étoiles, “Ocean’s eleven” s’inscrit dans l’histoire du <strong>ciné</strong>ma comme étant<br />
un film subtilement classe et savoureux. Le pitch est simple mais férocement<br />
efficace : Danny Ocean retrouve sa liberté après avoir été emprisonné<br />
durant deux années pour vol. À sa sortie, il ne perd pas une minute<br />
pour mettre en place un plan mûrement réfléchi (chaque détail est intelligemment<br />
pensé). Ce casse sera le casse du siècle et Danny compte bien<br />
arriver là où beaucoup d’autres se sont royalement plantés avant lui. Pour<br />
se faire, il s’entoure d’une dizaine de malfrats expérimentés dans leur domaine<br />
de prédilection. L’objectif est clair : cambrioler simultanément les<br />
trois plus imposants casinos de Las Vegas et ce, malgré leur grande sécurité.<br />
Steven Soderbergh possède un sens incroyable de la mise en scène<br />
et le prouve avec ce film divertissant, sans prétention. Tout s’enchaîne<br />
de manière plutôt fluide, rythmé par quelques rebondissements, le tout<br />
enveloppé par cette incroyable bande originale signée David Holmes (qui<br />
renforce d’ailleurs le côté glamour de l’oeuvre). Les acteurs sont géniaux<br />
et semblent réellement s’amuser dans ce qui paraît être une véritable réunion<br />
de famille, nous offrant alors un plaisir vraiment communicatif. La<br />
classe légendaire de George Clooney est par ailleurs brillamment mise en<br />
avant dans un rôle qui lui colle véritablement à la peau. “Ocean’s eleven”<br />
réunit les ingrédients parfaits pour passer un bon moment et fait défiler<br />
le temps à vitesse grand V tant on ne s’ennuie pas une seule seconde<br />
durant 116 minutes. Un thriller comique et culte, véritable pionnier dans<br />
son genre ; un habile coup de maître.<br />
Marion Critique.
26<br />
Full<br />
Frontal
27<br />
Le <strong>ciné</strong>ma de Steven Soderbergh depuis “Hors d’atteinte” essaie de repousser les limites de la condition<br />
de l’auteur, mêlant dès lors des œuvres grand public, telles la trilogie “Ocean’s” et d’autres expérimentales<br />
de la tête au pied. “Full Frontal”, sorti en 2002, méconnu et considéré assez injustement comme le film de<br />
vacances de son réalisateur entre ses blockbusters, fait donc partie de la deuxième partie de sa filmographie.<br />
Réputé pour être un <strong>ciné</strong>aste de l’instantanéité, entre ses supports filmiques novateurs et sa direction<br />
d’acteurs plus ou moins régulée, Soderbergh atteint ici l’extrême de son obsession dans la diégèse,<br />
superposant des strates de récit où se mélangent la réalité et la fiction, l’improvisation et l’écriture. De cette<br />
configuration naît une satire hollywoodienne, où toute tentative de sortir du carcan habituel et morose<br />
ouvre malheureusement une dimension dramatique inattendue. Le grain de la pellicule 35mm du film de<br />
Constantine Alexander inclus dans le film de Steven Soderbergh – est-ce clair ? – préfigure alors l’artificialité<br />
du <strong>ciné</strong>ma, réduit à l’époque à une texture unidimensionnelle déviant du réel. Ici, un seul rempart peut<br />
lutter contre ce manque de vie : la caméra-épaule, quasiment cachée du réalisateur, filme en DV via la<br />
caméra numérique Canon XL-1s; et intercepte les coulisses d’une société rongée de l’intérieur. Pour autant,<br />
l’un répond à l’autre par les rebondissements scénaristiques, quoique asymétriques. Hollywood devient<br />
alors un mécanisme enjoliveur de la vérité : ces ressorts dramatiques qui bouleversent les rapports et les<br />
liens n’offrent dans le réel numérique de Steven Soderbergh qu’un ralentissement narratif et jamais un<br />
basculement total.<br />
Au-delà de cette obsession de signifier la captation de l’instant et la fréquente vacuité de celui-ci, Steven<br />
Soderbergh fait de “Full Frontal” sa déclinaison personnelle du Dogme 95, pour faciliter les intentions et les<br />
cohésions entre les acteurs, inciter à l’improvisation et donc prendre de soi pour trouver sa place dans cet<br />
univers choral à deux mouvements. Malgré l’extrême durée du film au vu de ce qu’il raconte, et la cohérence<br />
narrative assez vaine sur la durée, le geste ici puise sa source dans la production originale effectuée, à<br />
base de restrictions de codes pourtant classiques, comme l’absence d’équipe HMC (Habillage-Maquillage-<br />
Coiffure), de loges ou de transports privés payés par les studios. Ce pacte, fait de dix commandements<br />
questionne alors la limite de l’acting et son remplacement par, uniquement, la persona de l’Homme derrière<br />
l’Acteur. L’engagement sur la traite des Noirs, le manque de réussite dans la ville des Étoiles, le producteurshowman<br />
qui fait de son poste un rôle <strong>ciné</strong>matographique… L’ensemble des métiers et des rôles présents<br />
dans Full Frontal se retrouve dilué pour n’offrir qu’un message : être, peut aussi être synonyme de jouer.<br />
Tanguy Bosselli
28
29<br />
Haywire (Piegee)<br />
Aussi fou que cela puisse paraître, le premier - et unique - passage dans le <strong>ciné</strong>ma d’action de<br />
Steven Soderbergh, “Haywire”, est totalement passé inaperçu ou presque, la faute à une sortie<br />
estivale maladroite en 2012 (quelques semaines avant son plus populaire “Magic Mike”) et un<br />
squattage intense sur les plateformes de téléchargements avant même que sa campagne<br />
promotionnelle hexagonale ne débute.<br />
Une petite bombe condamnée à l’oubli donc, un comble quand on sait la manie fort louable<br />
du papa de “Hors d’Atteinte”, de constamment révolutionner son <strong>ciné</strong>ma et de disséquer des<br />
genres qui ne lui sont pas forcément familiers.<br />
Partant d’un postulat assez basique (une machine de combat qui monnaye ses talents, décide<br />
de partir à la retraite, et ça ne plait pas du tout du tout à son employeur qui veut l’éliminer...<br />
) tout en étant porté par une pro de la tatane encore novice dans le business (la sublime<br />
Gina Carano, ex-championne du monde à l’UFC), Soderbergh délivre un thriller d’action<br />
sympatoche, aux combats renversants (mais un peu courts), mais qui ne décolle jamais. Car si<br />
l’intrusion de flashforwards/flashbacks et l’approche frontale et expérimentale de l’itinéraire<br />
pas comme les autres d’une femme pas comme les autres sent bon la « Soderbergh Touch<br />
«, la courte durée du métrage, ses lacunes (et déviances) scénaristiques ainsi que le manque<br />
de profondeur des persos masculins (incarnés par un casting de talent proprement indécent)<br />
empêchent au film de réellement emballer le spectateur et de pleinement exploser à l’écran<br />
comme toute bonne série B qui se respecte.<br />
Un peu trop terre à terre, même s’il est nerveusement découpé et qu’il a le mérite de rendre<br />
Barcelone et Dublin plus accessible que jamais, la péloche ne vaut au final que pour ses<br />
moments de bravoure « fightés «, son cast de mâles qui fait beau au générique, et pour<br />
l’envoûtante Gina.<br />
Un problème en soi ? Pas vraiment, tant le mélange des trois reste un cocktail certes imparfait<br />
mais des plus jouissifs sur un peu moins de 90 minutes, et que la partition physique puissante<br />
et hors du commun de Carano, parachève de rendre infiniment charmant ce petit moment<br />
de <strong>ciné</strong>ma rondement bien mené et suffisamment dosé en action pure et frontale, pour<br />
qu’il mérite qu’on lui prête un minimum d’attention, entre tous les bijoux qui parsèment la<br />
filmographie du bonhomme.<br />
Jonathan Chevrier
30<br />
Contagion<br />
Matt Damon, Jude Law, Gwyneth Paltrow, Laurence Fishburne, Marion Cotillard, Bryan<br />
Cranston… Difficile de s’entourer d’un meilleur casting que celui-ci pour un tel thriller dramatique<br />
international. Écrit en 2011 par Scott Z. Burns, peu de temps après que l’épidémie H1N1 n’ait<br />
inquiété le monde entier, “Contagion” offre à Soderbergh l’opportunité de porter un regard<br />
plus réaliste que jamais sur les rapports sociaux qui se font et se défont à l’approche d’une<br />
épidémie mortelle dont l’origine nous est inconnue.<br />
Avec son approche aux antipodes des standards des films de virus sortis au même moment,<br />
“Contagion” préfère se concentrer sur le destin de quelques individus uniquement, n’ayant au<br />
départ aucun lien entre eux mais qui, sans le savoir, vont finir par influencer les destins d’autrui<br />
par le biais de leurs actes, aussi anodins soient-ils. Ainsi, les conséquences de cette épidémie<br />
nous sont ici relatées à travers une exploration de classes sociales radicalement opposées<br />
l’une de l’autre, allant du père de famille sans histoire au blogueur conspirationniste jusqu’aux<br />
grandes pontes politiques de la santé, en théorie sécurisées par leurs privilèges.
31<br />
Cette opposition sociale constante permet au film de traiter ce sujet à échelle mondiale à<br />
travers un minimalisme saisissant et sans artifice, privilégiant la force émotionnelle de ses<br />
comédiens (Matt Damon en tête) et le point de vue plus que pessimiste de l’écriture de Burns.<br />
Soderbergh, quant à lui, complète cette vision d’une humanité vouée à l’échec par une mise<br />
en scène à la fois épurée mais en lien avec son exploration de la paranoïa qui entoure ses<br />
personnages et qui prend ici deux formes : une paranoïa d’abord épidémique mais qui va de<br />
plus en plus laisser place à une paranoïa diplomatique.<br />
Enfin, cette épuration à l’extrême de l’intrigue, sans surplus ni tentative émotionnelle en trop,<br />
permet tout justement à “Contagion” d’être une des œuvres les plus réalistes que l’on ait pu<br />
voir dans le genre de l’épidémie. Une course contre la montre désespérée orchestrée par la<br />
musique angoissante de Cliff Martinez et qui nous laisse aussi terrifié que marqué devant ce<br />
flash-back final incendiaire.<br />
Tanguy Renault
32<br />
Magic Mike<br />
Dans la filmographie bien riche de Soderbergh s’il y a bien un film<br />
auquel on ne s’attendait pas forcément c’est bien «Magic Mike». Le<br />
destin de Mike vivant de petits boulots la journée et qui enfile son<br />
- non - costume de strip-teaseur la nuit dans un club de Floride.<br />
L’outsider qui se rêvait plus que simple objet du désir féminin chaque<br />
soir - il souhaiterait fabriquer des meubles et devenir entrepreneur<br />
-. Un jour il tombe sur Adam, un jeune qui travaille avec lui sur un<br />
chantier la journée et décide de le prendre sous son aile et l’intègre<br />
au club.<br />
Là où ne brille pas forcément le film est dans sa forme. Aussi correct<br />
qu’il est prévisible, le film de Soderbergh brille avant tout par son<br />
casting sur-vitaminé entre un Channing Tatum qui capte toute<br />
l’attention - nouveau chouchou de Soderbergh vu également dans<br />
«Piégée» et «Effets Secondaires» -, big beast à l’origine de ce projet<br />
puisque le bonhomme bodybuilé était strip-teaseur lorsqu’il avait 19<br />
ans. Les seconds couteaux sont loin d’être en reste entre un Matthew<br />
McConaughey qu’on découvre sous un nouveau jour ainsi que le<br />
poulain Alex Pettyfer qui trouve enfin un rôle à sa hauteur après<br />
être passé par divers teen movies à la qualité plus que discutable.<br />
Sur la forme, «Magic Mike» n’a rien de bien transcendant outre les<br />
scènes tournées dans la boîte lors des divers shows de Mike et sa<br />
bande pour leur offrir un côté spectaculaire et rythmé loin d’être<br />
déplaisant mais outre ça, le film se perd dans des sous-intrigues<br />
inutiles entre la boîte qui cherche à s’agrandir à Miami et le jeune<br />
Adam qui se retrouve mêlé à une affaire de trafic de drogues -<br />
prévisible -.<br />
Une petite coquille vide bien loin d’être à la hauteur de ses autres<br />
films mais qui a le mérite de rester divertissant. Ce qui ne l’a d’ailleurs<br />
pas empêché de récolter plus de 112M de dollars de recettes au<br />
box-office.<br />
Margaux Maekelberg
33
34<br />
Ma vie avec<br />
Liberace<br />
Censé être son ultime péloche avant un repos du guerrier bien<br />
mérité (SPOILERS pas du tout connu de tous : il est sortie de sa<br />
retraite peu de temps après), “Ma Vie avec Liberace”, officiellement<br />
téléfilm de la HBO mais vraie proposition de <strong>ciné</strong>ma à part entière,<br />
était surtout la meilleure des manières pour Steven Soderbergh, de<br />
traiter au plus près deux de ses thèmes les plus chers : le paraître et<br />
le mensonge, via le prisme de la love story décadente entre Walter<br />
Liberace, king du kitsch absolu (même Elton John ne rivalise pas<br />
avec lui) et le jeune Scott Thorson.<br />
Sans voyeurisme ni effets mélodramatiques superflus, intime,<br />
captivant et d’un humour délectable, la péloche pourrait même<br />
clairement se voir comme une version gay de “Gatsby le Magnifique”,<br />
avec qui il partage énormément de points communs (même monde<br />
pimpant et luxueux, même atmosphère pleine de solitude, même<br />
personnages, soit un candide fas<strong>ciné</strong> d’un riche et populaire homme<br />
qui le fait goûter à sa vie dorée,...).<br />
Classique dans sa structure - et du coup, assez prévisible -, ultrakitsch<br />
et haut en couleur mais surtout profondément soigné (des<br />
décors rococo aux costumes et accessoires, le travail abattu est<br />
dantesque) et maîtrisé, le film, d’apparence dramatique (Liberace<br />
était un pianiste virtuose, un être aussi fantasque que solitaire,<br />
qui mourut du sida sans n’avoir jamais fait son coming-out de son<br />
vivant), s’avère in fine un biopic déluré et franchement irrésistible,<br />
d’un outrancier toujours assumé, à l’ironie autant piquante que sa<br />
tendresse est bouleversante.<br />
Porté par un duo de comédiens surréalistes et à la limite de la<br />
caricature, Matt Damon (qui joue avec délectation de sa virilité, en<br />
amant désespéré et un peu en retrait) et Michael Douglas (immense,<br />
tout en excentricité et en générosité), “Ma Vie avec Liberace”,<br />
glamour et fou - dans tous les sens du terme -, est une romance<br />
bouleversante et universelle, une observation tendre d’un freak<br />
bigger than life, rongé par la solitude et une constante bataille pour<br />
sauver la face aux yeux du monde.<br />
Jonathan Chevrier
35
36<br />
The Knick<br />
ou quand le passe nous renvoie le futur<br />
Metteur en scène touche à tout, Steven Soderbergh ne pouvait reste<br />
éloigné ad vitam aeternam du petit écran. De “Fallen Angels” (Steven<br />
Golin, 1993-1995) dont il réalise deux épisodes, à “K Street” (2003) en<br />
passant par “Mosaic” (2018), le talent de l’Américain s’est exporté sans<br />
soucis. Pour autant, c’est bien dans “The Knick” (Jack Amiel et Michael<br />
Begler, 2014-2015) que sondit talent s’exprime sans doute le mieux sur<br />
le poste. Réalisateur, monteur (en tant que Mary Ann Bernard), chef<br />
opérateur (en tant que Peter Andrews) et producteur exécutif, le style<br />
du natif d’Atlanta est visible dans tous les recoins de cette série prenant<br />
place au Knickerbocker Hospital du New York de 1900.<br />
Regard historique autant que moderne sur un monde qui nous sépare<br />
de plus d’un siècle : “The Knick” est un univers étourdissant où divers<br />
enjeux et critiques se chevauchent (hubris, cupidité, sexisme et racisme)<br />
sur fond d’une médecine qui ne cesse de se muer cadavres à l’appui.<br />
Emmené par un casting bouleversant, une bande-son électro envoûtante<br />
qui rompt avec l’archaïsme médical, un scénario composé de plusieurs<br />
excroissances captivantes et une mise en scène sublime, “The Knick” est<br />
un véritable petit bijou. Par-delà son intérêt documentaire évident, pardelà<br />
la reconstitution diablement crédible ou la leçon de sociologie, la<br />
série réalisée par Steven Soderbergh parvient à nous rappeler à ceux et<br />
celles qui en doutaient que la télévision est le huitième art.<br />
On a regretté que la chaîne Cinémax (petite sœur d’HBO) n’ait souhaité<br />
prolonger l’aventure au sein de l’hôpital new-yorkais, mais après réflexion,<br />
il apparaît que cette difficile décision fut la bonne. Qui d’autre que le<br />
<strong>ciné</strong>aste de l’expérimentation et de la contagion aurait pu donner vie à un<br />
tel bébé ? Personne et surtout par ces yes man mortifères…<br />
Wade Eaton
37
38<br />
Logan Lucky<br />
Quatre ans après une pseudo-retraite qui l’a vu jouer, plus que jamais,<br />
les touche-à-tout un peu partout, Soderbergh revenait l’an passé frais<br />
comme un gardon avec “Logan Lucky”, sorte de “Ocean’s Eleven” au pays<br />
des rednecks prenant les atours cocasses d’une satire plus ou moins<br />
féroce du pays de l’Oncle Sam (encore plus pertinente depuis l’avènement<br />
à la présidence de Trump), sympathique et fun film de casse transpirant<br />
de tous ses pores son <strong>ciné</strong>ma si unique.<br />
S’il joue logiquement sur le même terrain de jeu que Joel et Ethan Coen<br />
- le pays des rednecks - dans une étude assez fine et (volontairement)<br />
bordélique de ces oubliés de l’American Dream, et qu’il recycle habilement<br />
les codes et clichés inhérents d’un genre qu’il a abordé plus d’une fois<br />
dans sa carrière, Soderbergh n’en fait pas moins de son dernier essai en<br />
date, un film qui lui ressemble de A à Z.<br />
Que ce soit dans son montage très découpé (le <strong>ciné</strong>aste n’a rien perdu<br />
de son habitude à aligner les ellipses à la pelle), ses dialogues ciselés, ses<br />
portraits soignés et humains de personnages franchement singuliers, ou<br />
sa manière de jouer autant avec son scénario classique (et c’est loin d’être<br />
un défaut) que la perception qu’en a le spectateur; “Logan Lucky” est un<br />
film Soderberghien sur le bout des ongles.<br />
Prenant tout du long - sans ne jamais les juger - fait et cause de son<br />
attachante bande de bras cassés - dans tous les sens du terme -<br />
cherchant à faire le coup parfait et s’offrir le petit brin de réussite que la<br />
vie leur refuse, tout en accumulant les foirades jouissivement absurdes,<br />
le <strong>ciné</strong>aste signe une excellente, ironique et modeste comédie noire, une<br />
grosse récréation au casting impliqué (Daniel Craig en tête, en parfait<br />
contre-emploi).<br />
Bref, sans faire de bruit, le grand Steven Soderbergh revenait dans nos<br />
salles obscures, et cela fait franchement du bien.<br />
Jonathan Chevrier
39
40<br />
C’est l’histoire d’un projet que plus personne<br />
n’attendait, mais qui ressurgit subitement<br />
en 2015. Steven Soderbergh allait-il<br />
relancer en même temps que “Ghostbusters”<br />
de Paul Feig et “ExpendaBelles” de Robert<br />
Luketic sa célèbre franchise “Ocean’s”,<br />
mais uniquement avec des personnages féminins<br />
? Alors que le premier reçut un accueil<br />
entre le mitigé et le glacial, et le deuxième<br />
en est encore au stade de gestation<br />
; le troisième sort en juin, réalisé par l’élève<br />
de la plus jeune Palme d’Or de l’Histoire du<br />
<strong>ciné</strong>ma, Gary Ross. Exit le casting original,<br />
bienvenue à Sandra Bullock, Cate Blanchett,<br />
Anne Hathaway ou encore Rihanna pour un<br />
nouveau tour de piste, espéré classique… Et<br />
classieux.<br />
Malheureusement, le talent de Gary Ross<br />
s’étant interrompu à “Pleasantville”, il est compliqué<br />
pour ce réalisateur de tirer à nouveau une<br />
épingle du jeu dans une imagerie visuelle allant<br />
complètement à l’encontre de ce que son scénario<br />
raconte. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que<br />
plus qu’une bande de potes, la trilogie menée<br />
par Danny Ocean dévoile au fil des films un programme<br />
abstractisant sa trame narrative pour ne<br />
faire accroître que de la suffisance volontaire de<br />
tous ses protagonistes. Ainsi, “Ocean’s Twelve”<br />
et le sous-estimé “Thirteen” se retrouvent être<br />
un terreau d’expérimentations pastichées, alignant<br />
les genres et les techniques <strong>ciné</strong>matographiques<br />
comme les perles pour faire les personnages<br />
du film eux-mêmes des personnages<br />
dont ils prennent progressivement conscience,<br />
dans des saynètes où ils se donnent la réplique.<br />
Leurs archétypes définissent dès lors le changement<br />
de leur mentalité, où la nécessité et l’urgence<br />
deviennent vaines au détriment de leurs<br />
postures et leurs légendes désormais connues<br />
dans la diégèse et chez le spectateur dans la<br />
salle. Il était évident qu’un biopic se devait d’effacer<br />
ces caractéristiques pour reconstruire un<br />
univers, mais le chemin arpenté par la narratologie<br />
se révèle bien trop usée par les tics de la<br />
saga qu’il reboote et les clins d’œil putassiers se<br />
révèle bien dangereux pour proposer un nouveau<br />
segment de qualité. Si l’idée de se dire «<br />
Les femmes peuvent très bien faire ce que les<br />
hommes font » est louable, l’absence de gentrification<br />
de la trilogie originelle – franchement,<br />
que ce soit des hommes ou des femmes, le résultat<br />
aurait été le même – et la reprise quasi scène<br />
par scène de la moitié des actions des trois précédents<br />
métrages inquiètent sur les bienfaits de<br />
cette réadaptation.<br />
La pénibilité de la mise en scène de Gary Ross<br />
fait également bien défaut, réduisant ses actrices<br />
à des archétypes qu’il est difficile de comprendre,<br />
du fait d’un manque de progression<br />
caractérielle. Seule Anne Hathaway tire son
41<br />
13/06<br />
Ocean’s 8<br />
DE GARY ROSS. AVEC SANDRA BULLOCK, CATE BLANCHETT... 1H50<br />
épingle du jeu dans son rôle de jet-setteuse archétypale<br />
mais à la palette actorale étonnamment<br />
bien contrastée. Dans l’imagerie primaire<br />
du film résident aussi de nombreuses failles :<br />
l’absence de déclinaison des logos de Warner et<br />
Village Roadshow Pictures, à associer bien évidemment<br />
aux premières images du film pour en<br />
obtenir la confirmation, promettaient – et c’était<br />
une réelle surprise ! – un film plus réaliste et<br />
terre-à-terre. Le braquage confirme cela, ne se<br />
contentant que de suivre sans jamais perdre de<br />
vue tous les protagonistes pour fluidifier le braquage<br />
et le rendre crédible. De plus là où l’envie<br />
de localiser le film uniquement à New York aurait<br />
pu promettre un pastiche, cette fois-ci, des<br />
drames satiriques New-Yorkais contemporains,<br />
des œuvres de Woody Allen à “Mad Love in New<br />
York” des frères Safdie, il n’en reste qu’au stade<br />
premier, très lisse et aseptisé. Si le manque de<br />
grammaire <strong>ciné</strong>matographique se retrouve vite<br />
flagrant et tuant dans l’œuf la possibilité de voir<br />
ceci (un comble, de la part d’un réalisateur qui<br />
a pu signer “Pleasantville”, pastiche très réussi<br />
d’un sitcom classique et empli de codes vétustes),<br />
il ne semble pas non plus comprendre<br />
la volonté de son scénario d’accentuer un geste<br />
réaliste, en parasitant son long-métrage d’incompréhensibles<br />
transitions en volet. Le geste<br />
même du réalisateur se trouve alors coincé dans<br />
un paradoxe, entre l’émancipation et la citation,<br />
qui poussent sans cesse à sortir du film tout en<br />
donnant une infime légitimité à des flash-backs<br />
poussifs et d’une utilité encore très questionnable.<br />
Il est toujours étonnant de voir qu’un heist-movie<br />
au casting all-star soit souvent signe d’un<br />
pilotage automatique. Cela devient bien plus<br />
alarmant quand la saga la plus absurde de ce<br />
sous-genre, volontairement vide et abstraite, se<br />
retrouve piégée par l’auto-référence, aux thématiques<br />
– osons le terme – sans double-fond…<br />
Tanguy Bosselli
42<br />
13/06<br />
Désobéissance
43<br />
Pour les amateurs de ces deux actrices aussi belles que talentueuses, un film avec<br />
l’une des deux Rachel, McAdams et Weisz, ça s’attend toujours avec une certaine impatience.<br />
Mais un film avec les deux actrices ensemble, sous la caméra d’un <strong>ciné</strong>aste<br />
talentueux déjà organisé, Sebastian Lelio (“A Fantastic Woman”), le projet devient<br />
tout de suite gentiment immanquable.<br />
Adaptation du roman éponyme de Naomi Alderman, et plaçant son intrigue au sein<br />
de la communauté juive-orthodoxe de Londres, où les libertés individuelles sont sacrifiées<br />
sur l’autel de la croyance et de la tradition, “Désobéissance» s’attache au retour<br />
forcé (suite au décès de son père, éminent rabbin apprécié de tous) dans ce cadre<br />
rigide et restrictif de Ronit, dont l’apparence physique et la vie personnelle (elle est<br />
photographe à New-York), dénote complètement avec ses anciens contemporains.<br />
Presque paria d’une communauté qu’elle a quitté pour d’obscures raisons (mais faciles<br />
à déceler) et qui la renie poliment - sans forcément être hostiles comme d’autres<br />
communautés -, elle y retrouvera deux amis de jeunesse, Dovid, devenu disciple du<br />
rabbin, et sa femme Esti, avant de très vite troubler la quiétude et la discrétion de<br />
leur quotidien...<br />
Tragédie sentimentale bouleversante et nécessaire sur un amour impossible entre<br />
deux êtres malades de ne pas pouvoir établir la moindre connexion par manque<br />
de liberté (ce qui tranche avec les premiers mots de l’ouverture, annonçant que les<br />
humains au contraire des anges et des démons, sont libres de choisir leur destinée),<br />
malades de ne pas pouvoir assumer, être ce qu’elles sont réellement tant elles sont<br />
enfermées dans un mode de vie trop formel et ritualisé pour elles. Deux âmes perdues<br />
et divisées, qui se retrouvent, se connectent, se dévorent du regard dans un<br />
balai des sens aussi romantique qu’il est puissant de désir inassouvi.<br />
Véritable homme de la situation (remember son fantastique “Gloria”), Sebastian Lelio,<br />
jamais juge ni bourreau pour ses personnages, transcende la certaine prévisibilité de<br />
son oeuvre (qui peut douter qu’Esti résistera à la tentation incarnée par Ronit ?) pour<br />
en faire un beau drame humain à l’atmosphère aussi bouillante qu’anxiogène, où la<br />
complexité des émotions est le ciment d’un conflit inévitable, où l’idée de suivre son<br />
coeur peut avoir des conséquences proprement dévastatrices.<br />
Authentique, intense et forcément intime, pas exempt de quelques longueurs (surtout<br />
dans sa seconde moitié) mais à l’épilogue étonnamment ouvert, criant de vérité<br />
sans aligner une pluie de dialogues, «Désobéissance» magnifie la retranscription de la<br />
passion sur grand écran, et ne serait pourtant rien sans les prestations ahurissantes<br />
de justesse de Rachel Weisz (flamboyante), Alessandro Nivola (juste et touchant)<br />
mais surtout de Rachel McAdams (parfaite), véritable pivot dramatique du métrage<br />
en femme tiraillée au plus profond de son coeur.<br />
La désobéissance et l’amour ont un prix, l’honnêteté encore plus.<br />
Jonathan Chevrier<br />
DE SEBASTIAN LELIO. AVEC RACHEL WEISZ, RACHEL MCADAMS... 1H54
13/06<br />
hérédité DE<br />
ARI LESTER. AVEC TONI COLETTE, GABRIEL BYRNE... 2H06<br />
44<br />
Aussi étrange que cela puisse paraître, le <strong>ciné</strong>ma<br />
de genre US qui, passé quelques années de disette<br />
ou seulement quelques pépites arrivaient à<br />
surnager au-dessus des radars du nauséabond<br />
et du cruellement classique, se paye depuis peu<br />
une cure de jouvence non négligeable, nous envoie<br />
à une semaine d’intervalle à peine, deux de<br />
ses péloches horrifiques les plus célébrées et<br />
buzzées du moment : «Hérédité» d’Ari Aster ces<br />
jours-ci, et «Sans un Bruit» de John Krasinski la<br />
semaine prochaine. Deux films plaçant la cellule<br />
familiale en son coeur (berceau fertile pour les<br />
mystères et les secrets les plus fous), en s’ancrant<br />
solidement dans le réel pour mieux glisser<br />
dans l’horreur pure et laisser la terreur s’y immiscer<br />
avec une virtuosité proprement indécente.<br />
Mais si le film de Krasinski rappelle les premières<br />
heures (glorieuses) du <strong>ciné</strong>ma de M. Night Shyamalan,<br />
celui d’Aster lui, se place instinctivement<br />
dans les pas tutélaires des oeuvres phares de<br />
l’horreur : «Psychose» d’Alfred Hitchcock et «Les<br />
Innocents» de Jack Clayton en tête.<br />
Plongée angoissante dans l’intimité d’une famille<br />
à l’équilibre plus qu’incertain (et dont le quotidien<br />
est déjà gangrené par l’incommunicabilité entre<br />
tous ses membres), les Graham, tourné comme<br />
une tragédie dramatique sur les névroses familiales<br />
virant tranquillement mais sûrement dans<br />
son second tiers vers le cataclysme funeste profondément<br />
oppressant où chacun des personnages<br />
est prisonnier de son sort et n’a aucun<br />
contrôle sur un destin déjà tracé; «Hérédité» déjoue<br />
constamment les attentes de son auditoire<br />
(qu’il manipule autant que ses personnages,<br />
finement croqués) pour mieux l’emprisonner<br />
dans un cauchemar follement introspectif à la<br />
précision scénaristique et aux visions horrifiques<br />
d’une puissance graphique rare, visions dont on<br />
ne se remet jamais vraiment même longtemps<br />
après avoir quitté son siège.<br />
Magistral, imprévisible, hypnotique et totalement<br />
désespéré, jamais écrasé par ses nombreuses<br />
références (parfaitement digérées) et<br />
thèmes aussi forts que casse-gueule (la transmission<br />
comme le suggère le titre, la paranoïa,<br />
la schizophrénie ou même l’occultisme) tout en<br />
étant constamment sublimé par une direction<br />
d’acteurs appliquée (Toni Colette trouve aisément<br />
ici l’un de ses plus beaux rôles à ce jour);<br />
«Hérédité» est de ces petits miracles sur pellicule<br />
aussi fou et hallu<strong>ciné</strong> qu’hallucinant, dont<br />
la maîtrise diabolique de son jeune <strong>ciné</strong>aste, ne<br />
peut que laisser pantois.<br />
Pour son premier passage derrière la caméra,<br />
Ari Aster fait (très) mal, et s’inscrit instinctivement<br />
dans la liste des jeunes <strong>ciné</strong>astes ricains à<br />
suivre de près, au même titre que Jordan Peele<br />
et Trey Edward Shults.<br />
Jonathan Chevrier
45<br />
13/06<br />
midnight sun<br />
DE SCOTT SPEER. AVEC BELLA THORNE, PATRICK SCHWARZENEGGER... 1H33<br />
Dans l’étonnamment riche catégorie des comédiens<br />
« fils de cherchant à se démarquer de<br />
l’image imposante de leur paternel tout en se<br />
rattachant à des projets qu’eux n’auraient jamais<br />
touchés même sobres « (oui, c’est un gros intitulé),<br />
Patrick Schwarzenegger se pose bien là, juste<br />
derrière un Scott Eastwood qui accumule autant<br />
les mauvais choix que les prestations difficilement<br />
défendables. Essayant de faire son trou<br />
comme il peut à Hollywood et n’ayant ni l’accent<br />
gentiment prononcé - pour être poli - ni les<br />
put*** de biscottos monstrueux de son papounet,<br />
le voilà en vedette de la bluette adulescente<br />
de ce (presque) début d’été : «Midnight Sun», où<br />
il tente de vivre une love story ‘’impossible mais<br />
pas trop’’ aux côtés de la craquante chanteuse/<br />
actrice Bella Thorne, au C.V plus fourni mais pas<br />
forcément plus foufou non plus.<br />
Porté par un pitch un poil abracadabrantesque<br />
badigeonné de guimauve, tiré d’un film japonais<br />
- «Taiyo No Uta» de Norihiro Koizumi - qu’il<br />
pille sans vergogne et basant une nouvelle fois<br />
son intrigue (coucou syndrome “Love Story”)<br />
sur une potentielle maladie orpheline/tragique<br />
de son héroïne amoureuse - elle ne peut pas<br />
être exposée à la lumière du jour sous risque<br />
d’être frappée par un cancer foudroyant -, tout<br />
en jouant des talents de chanteuse de son actrice<br />
vedette (coucou syndrome «Le Temps d’un<br />
Automne»); «Midnight Sun», qui se rêve évidemment<br />
original, recycle sans frémir tous les poncifs<br />
du genre et les clichés romanesques pour<br />
accoucher d’une bande à la limite de l’orgie du<br />
mauvais goût, sommet de fadeur pataude dans<br />
lequel se perd un couple vedette mal assorti et<br />
jouant constamment avec les pieds (Arnie doit<br />
payer des cours d’acting à son rejeton fissa),<br />
pire que dans la plus nunuche et bas du front<br />
des telenovelas mal doublées.<br />
Teen movie sur un amour condamné prévisible<br />
et lisse comme ce n’est pas permis, partiellement<br />
émouvant, beaucoup trop niais et shooté<br />
aux bons sentiments pour causer plus l’empathie<br />
que la consternation, «Midnight Sun», qui<br />
cherche tout du long les chaudes larmes de son<br />
auditoire mais ne récolte qu’un ennui poli, incarne<br />
le nivellement vers le bas d’un genre qui<br />
pourtant, parfois quand toutes les étoiles sont<br />
bien alignées, arrive à faire mouche (merci John<br />
Green, mais pas que). Toutes les étoiles se sont<br />
gentiment fait la malle cette fois...<br />
Jonathan Chevrier
46<br />
20/06<br />
sans un bruit
47<br />
Printemps 2017, une petite bombe indépendante («Get Out») concoctée<br />
par un jeune <strong>ciné</strong>aste que l’on n’a pas vu venir (Jordan Peele) offrait un<br />
coup de fouet non négligeable à un <strong>ciné</strong>ma de genre ricain qui en avait<br />
bien besoin, tout en faisant gentiment exploser le box-office mondial.<br />
Printemps 2018... bis repetita.<br />
Passé deux premiers essais qui n’ont pas forcément fait grand bruit («Brief<br />
Interviews with Hideous Men» et le sympathique «La Famille Hollar»), le<br />
génial John Krasinski passe à la vitesse supérieure avec «Sans un Bruit»,<br />
film de monstres tendu comme la ficelle d’un string, dont l’excellence est<br />
appelée à marquer son époque.<br />
Sommet de survival/terreur intime alignant les sursauts traumatiques avec<br />
une justesse rare, distillant avec parcimonie de vrais morceaux de terreur<br />
tétanisant tout en puisant sa force autant dans une rigueur scénaristique<br />
exceptionnelle qui nous préserve majoritairement des habituelles facilités<br />
du genre (même si Krasinski se perd un peu plus dans le dernier acte, et<br />
qu’il est obligé de se laisser aller à quelques jumps scares dispensables)<br />
dans une réalisation inspirée et totalement vouée à la mise en valeur du<br />
hors-champ et de l’inconnu; “Sans un Bruit», tout en suggestion, revient au<br />
fondement du suspense horrifique adulte au classicisme formel imparable.<br />
Articulant son oeuvre sur deux artifices simples au sein d’un cadre faussement<br />
apocalyptique (une invasion de monstres à l’ouïe hyper développée<br />
et la nécessité d’une famille à ne pas faire de bruit pour survivre) et enlacé<br />
au plus près de ses personnages, volontairement ordinaires (pour accentuer<br />
l’empathie et la charge émotionnelle du récit), «A Quiet Place» ne révolutionne<br />
jamais le genre, mais va constamment à l’essentiel et exécute son<br />
électrochoc avec une telle minutie - proche de la perfection -, qu’il exhale<br />
une angoisse sourde et obsédante qui ne peut que marquer durablement<br />
son auditoire.<br />
Cauchemar sur pellicule singulier, silencieux - évidemment - et authentique,<br />
à la photographie crépusculaire et interprété à la perfection (Krasinski et<br />
Blunt sont convaincants en parents aimants mais fermes, Millicent Simmonds<br />
confirme tout le bien que l’on pense d’elle depuis «Wonderstruck»),<br />
«Sans un Bruit» est un petit bijou au charme subtil, un bel exemple de divertissement<br />
racé et intelligent à la synthèse minimaliste, qui n’est pas sans<br />
rappeler les premières oeuvres pré-craquage égocentrique, de M. Night<br />
Shyamalan. Vivement le prochain long de John Krasinski...<br />
Jonathan Chevrier<br />
DE JOHN KRASINSKI. AVEC JOHN KRASINSKI, EMILY BLUNT... 1H30
20/06<br />
how to talk to<br />
girls at parties<br />
Cinéaste au <strong>ciné</strong>ma profondément singulier, véritable amoureux de la culture punk<br />
s’étant sensiblement assagi avec son dernier long-métrage en date, le douloureux<br />
«Rabbit Hole» (déjà avec Nicole Kidman), John Cameron Mitchell a volontairement pris<br />
son temps pour revenir dans nos salles obscures, mais le bonhomme y a mis les formes,<br />
avec un retour aux sources improbable et férocement jubilatoire. Avec «How To Talk To<br />
Girls at Parties» (passé par la Croisette... l’an dernier), Mitchell renoue avec la folie de<br />
ses débuts pour adapter le pitch WTF-esque de la nouvelle d’un auteur lui aussi gentiment<br />
barré, Neil Gaman («Sandman», «American Gods»), dans laquelle trois lascars<br />
cherchent, dans le Londres de 1977, un after (mais surtout des filles) et se retrouvent in<br />
fine dans une fête avec un paquet de créatures venues d’ailleurs sexys et fan de latex.<br />
Gros trip <strong>ciné</strong>philique façon teen movie SF shooté au cultissime «The Rocky Horror<br />
Pictures Show», le quatrième long-métrage de Mitchell a beau être plus sage et moins<br />
politiquement incorrect/tordu que «Hedwig and The Angry Inch» et «Shortbus», il n’en<br />
est pas moins une petite bulle de légèreté et de lyrisme savoureusement kitsch, aussi<br />
bien ancré dans son époque (contestataire, l’aspect anarchique du rock et du mouvement<br />
punk, étant à son zénith) qu’elle fait continuellement la part belle à l’humour et à<br />
la romance au sein d’une bizarrerie pop et nostalgique délirante, porté par un couple<br />
vedette Elle Fanning/Alex Sharp joliment empathique.<br />
Autant récit initiatique et ode à la liberté et à l’anticonformisme que vrai trip loufoque<br />
à l’inventivité exceptionnelle, drôle (certaines privates jokes sont awesome), profondément<br />
impertinent et énergique (B.O d’enfer en prime), «How To Talk To Girls at Parties»<br />
est un petit OFNI inclassable, merveilleusement bordélique, excessif et enchanteur.<br />
Bref, le petit film insolite que notre été avait besoin, entre deux blockbusters ricains<br />
rutilants et pas toujours bandants...<br />
Jonathan Chevrier<br />
DE JOHN CAMERON MITCHELL. AVEC ELLE FANNING, NICOLE KIDMAN... 1H42<br />
48
49
50<br />
budapest<br />
DE<br />
XAVIER GEN
S. AVEC MANU PAYET, JONATHAN COHEN... 1H42<br />
51<br />
27/06<br />
Comme une sorte de rencontre au sommet entre trois<br />
figures phares de l’humour français issu de la culture internet,<br />
“Budapest s’avère être une comédie bien moins<br />
creuse qu’il n’y paraît. Si son premier quart peut d’abord<br />
nous faire craindre un “Very Bad Trip sorti 10 ans trop<br />
tard, il se détache finalement assez vite de son esprit beauf<br />
pour, à l’inverse, se remettre en question et prendre du<br />
recul sur les conséquences néfastes de cette vision vulgarisée<br />
du monde extérieur.<br />
De même, la réalisation de Xavier Gens (plutôt habitué<br />
aux films d’horreur à la subtilité relative) sied à l’atmosphère<br />
du scénario de Manu Payet et de Simon Moutairou<br />
d’une belle manière, oscillant toujours entre une stylisation<br />
clipesque de la folie nocturne de la capitale hongroise<br />
et un maintien constant du retour insidieux vers<br />
la réalité, personnifié ici par les génialement garces Alice<br />
Belaïdi et Alix Poisson.<br />
Néanmoins, c’est bien l’alchimie du trio Manu Payet/Jonathan<br />
Cohen/Monsieur Poulpe qui porte véritablement<br />
le film, lui donnant une ambiance décontractée, rafraîchissante<br />
et souvent drôle, mettant l’accent sur le grand<br />
talent d’improvisation de ces trois têtes d’affiche. Tous<br />
ces éléments permettent au final à “Budapest” d’être un<br />
moment agréable qui, à défaut d’être marquant sur le<br />
long terme, a le mérite de se suivre sans déplaisir et d’éviter<br />
de tomber dans le piège de l’œuvre gratuitement provocatrice.<br />
Tanguy Renault
27/06<br />
love, simon<br />
Outre quelques divagations romantico-légères pas toujours très digestes, gageons que le<br />
giron du teen movie US cher à feu John Hughes va bien, voire même de mieux en mieux,<br />
soyons fou. Et, entre un “13 Reasons Why” qui joue du buzz et un “Midnight Sun” qui fait<br />
franchement peine à voir, “Love Simon” n’y est décemment pas étranger à ce net regain de<br />
forme. Estampillé premier vrai film d’ado gay porté de manière totalement improbable par<br />
une grosse major - la FOX -, le film de Greg Berlanti (scénariste sur la référence “Dawson”)<br />
est surtout, enfin, une chronique adolescente qui compte sur grand écran.<br />
Une mini-révolution LGBT, un vrai coup de pied dans la fourmilière visant autant à divertir<br />
le spectateur qu’à faire résonner une belle vérité en lui : celle d’un coming out aussi touchant<br />
qu’il est d’une légèreté salvatrice, opéré entre les casiers d’un lycée (grille de lecture/<br />
extension cruelle de la vie courante) où les existences sont déjà rudement conditionnées.<br />
Greg Berlanti a totalement conscience de l’importance de sa péloche, et il fait les choses<br />
bien dans son adaptation du roman populaire “Moi, Simon, 16 ans, Homo Sapiens” de Becky<br />
Albertalli, recyclant habilement tous les codes habituels du genre tout en déjouant également<br />
les clichés faciles associés à l’homosexualité, pour mieux étayer un propos simple et<br />
symbolique du teen movie - l’acceptation de soi-même pour mieux se faire accepter des<br />
autres et trouver sa place -, au sein d’un joli récit mi-initiatique mi-love-story semblables aux<br />
autres, pétrie de drôlerie et d’intelligence, mais qui se démarque par la justesse d’un souffle<br />
émotionnel vibrant et universel.<br />
Bienveillant (trop peut-être, on n’est décemment pas chez Gregg Araki et son réalisme douloureux)<br />
dans sa déclinaison inédite et nécessaire de la chronique adolescente, solidement<br />
interprété (Nick Robinson en impose pour son premier vrai grand rôle), comique et à la<br />
mécanique bien huilée (même si le climax est trop shooté à la guimauve), “Love, Simon” est<br />
un beau et lucide petit moment de <strong>ciné</strong>ma certes pas exempt de quelques facilités, mais qui<br />
s’assume tel qu’il est, tout comme son attachant héros.<br />
Bref, le teen movie ricain fait enfin son coming out de manière publique sur grand écran, il<br />
était (vraiment) temps.<br />
Jonathan Chevrier<br />
52<br />
DE GREG BERLANTI. AVEC NICK ROBINSON, KATHERINE LANGFORD... 1H50
53<br />
27/06<br />
parvana<br />
Parfois, entre quelques divertissements amusant grandement nos petites têtes blondes -<br />
mais pas que -, le giron animé du septième art nous offre quelques petites pépites que l’on<br />
ne voit pas forcément venir, mais qui nous marque longtemps après vision.<br />
Et dans la riche année <strong>ciné</strong> 2018, qui est en passe d’entamer sa mi-course, le sublime<br />
“Parvana, Une Enfance en Afghanistan” de Nora Twomey, sera décemment de ceux-là.<br />
Adaptation tout en délicatesse et dureté du premier tome de la saga littéraire de Deborah<br />
Ellis, l’histoire suit celle de la jeune Parvana dans l’Afghanistan du début des années 2000,<br />
obligée de se grimer en garçon pour travailler (son père à été emprisonné pour avoir éduquer<br />
les femmes de son foyer) et ne pas subir de plein fouet la tyrannie des Talibans qui nie avec<br />
violence, le droit des femmes.<br />
Conte universel, onirique et touchant jamais moraliste malgré la gravité de son sujet<br />
(compréhensible par tous, et qui pousse instinctivement son auditoire à la réflexion), jamais<br />
trop douloureux et se permettant même quelques envolées tendres et drôles tout en ne<br />
masquant pas la barbarie (in)humaine de son cadre, “Parvana”, esthétiquement remarquable,<br />
est une vraie ode à l’imaginaire et au féminisme, à la résistance face à l’oppression et à la<br />
misogynie assumée d’un régime abusivement - et le mot est faible - autoritaire.<br />
À travers le combat vibrant de sa jeune héroïne humaniste, Nora Twomey nous rappelle à<br />
une vérité bien réelle, et nous touche en plein coeur avec un second essai aussi réaliste et<br />
politique qu’il est merveilleusement poétique.<br />
Jonathan Chevrier<br />
DE NORA TWOMEY. 1H33
54<br />
Tully DE<br />
27/06<br />
JASON REITMAN. AVEC CHARLIZE THERON, MACKENZIE DAVIS... 1H36
55<br />
On avait laissé le <strong>ciné</strong>ma de Jason Reitman pas forcément au beau fixe il y a un tout petit<br />
peu plus de trois ans maintenant avec le peu fameux «Men, Women and Children», tentative<br />
désespérée de revenir aux sources de son <strong>ciné</strong>ma bienveillant (que beaucoup n’hésiteront<br />
pas à taxer de surcoté et complètement inoffensif) au regard hautement affuté, mais sans<br />
la présence tutélaire de Diablo Cody au scénario.<br />
Un manque que n’aura décemment pas son retour sur grand écran, «Tully», puisque le bonhomme<br />
a fait en sorte de réunir autour de lui le duo magique qui avait fait de son brillant<br />
et amer «Young Adult», son dernier grand film : Cody au scénario et Charlize Theron face<br />
caméra; pour une vision loin d’être idyllique de l’accomplissement maternel.<br />
Décortiquant l’envers du décor de ce moment de grâce qu’est le miracle de donner la vie,<br />
le septième long-métrage de Reitman ne se prive jamais de montrer les mille et une difficultés<br />
que peut rencontrer toute femme choisissant d’être mère, de la fatigue accumulée à<br />
la cadence infernale des habitudes d’un quotidien presque ingérable appelées à se répéter<br />
sans cesse (une exploration prenante des thèmes de l’épuisement parental et de la dépression<br />
postpartum). Avec une approche intimiste proche du documentaire, «Tully», plus<br />
encore que «Young Adult», appelle au droit à l’imperfection de ses super-héroïnes de la vie<br />
de tous les jours, obligées de plier sous le poids d’exigences impossibles, et Marlo (Charlize<br />
Theron, fantastique et douloureusement empathique), la mère courage au bout du rouleau<br />
du métrage, a cruellement besoin d’aide. Une aide qui prendra les traits angéliques de Tully<br />
(Mackenzie Davis, touchante), une baby-sitter tout en énergie et en délicatesse, qui viendra<br />
prendre le relai une fois la nuit venue, et qui bouleversera dans les grandes largeurs le quotidien<br />
de la matriarche fraîchement quarantenaire.<br />
Comédie acerbe et inspirée glissant tendrement vers la tragédie mélancolique, plongeant<br />
souvent tête la première dans les scènes attendues et les tics de tout drame indépendant<br />
US tout en épousant, à travers certains dialogues, une vérité aussi brutale que nécessaire,<br />
sublimé par des comédiennes totalement impliquées; «Tully» s’inscrit dans la droite lignée<br />
du précédent long du trio Reitman/Diablo/Theron (et peut-être même de «Juno», au fond),<br />
et incarne un portrait tendre et humain de la quarantaine, de cet âge du milieu de vie tiraillé<br />
par les questionnements et les conséquences de nos choix passés.<br />
Un beau film simple, vrai, mature et joliment bouleversant, qui nous réconcilie clairement<br />
avec le <strong>ciné</strong>ma du rejeton d’Ivan Reitman.<br />
Jonathan Chevrier
56<br />
27/06<br />
pur-sang
57<br />
PaDire que l’on donnerait presque le bon Dieu sans confession à la magnifique<br />
Olivia Cooke est presque un doux euphémisme, tant la jeune comédienne<br />
a réussi à faire de son joli minois, l’un des plus plaisants à suivre ces<br />
dernières années, aussi bien sur le petit que sur le grand écran.<br />
Et alors qu’elle est en passe de s’offrir un joli billet pour la renommée suite au<br />
carton d’estime du méchamment jouissif “Ready Player One” du roi Steven<br />
Spielberg, et au triomphe critique du formidable premier essai de Wayne<br />
Roberts, “Katie Says Goodbye” (où elle est extraordinaire), c’est au tour de<br />
“Thoroughbreds”, sortie dans l’anonymat le plus complet malgré un buzz<br />
positif intense outre-Atlantique, que les amateurs de l’actrice se doivent de<br />
porter leur attention en ces premières heures d’un été bien plus riche que<br />
l’on aurait pu le croire.<br />
Premier film du <strong>ciné</strong>aste Cory Finley (mais surtout dernier de feu le regretté<br />
Anton Yelchin), sorte de teen movie noir scindé en plusieurs parties/chapitres,<br />
sur une amitié orageuse/fusionnelle entre deux ados BCBG supposément<br />
opposées (l’animalité glaciale face à la candeur attachante) mais<br />
complémentaires, qui s’associent dans le crime pour liquider le beau-père<br />
prétentieux de l’une des deux; “Thoroughbreds” - titré “Pur-Sang” par chez<br />
nous -, se rêve tout du long comme un sommet de thriller ambiguë et tendu<br />
comme la ficelle d’un string, sur une jeunesse aussi froide qu’inquiétante<br />
(trompant l’ennui de leurs quartiers huppés en concoctant l’impensable,<br />
troublante mise en images de la vie inerte de la « haute société « contemporaine),<br />
mais se perd continuellement dans un amas de bavardage à peine<br />
divertissant (même si le duo Cooke/Taylor-Joy en impose) qui amenuise<br />
considérablement l’aspect foncièrement étrange d’un script tortueux mais<br />
bancal, un jeu de massacre boitant jusqu’à un dernier acte jamais marquant<br />
ni déstabilisant.<br />
Coming-of-age movie façon conte macabre maladroit et singulier à l’ambiance<br />
pourtant enivrante grâce à la photographie soignée de Lyle Vincent<br />
(“The Bad Batch”, “A Girl Walks Home Alone at Night”), n’embrassant jamais<br />
assez sa part d’ombre - prometteuse - et son immoralité pour pleinement<br />
convaincre (même si la jeunesse dorée dépeinte inspiré bel et bien le sentiment<br />
de dégoût recherché), “Pur-Sang”, belle déception cynique vu les<br />
talents impliqués, ne vaut alors que pour l’alchimie magnétique et électrique<br />
d’Anya Taylor-Joy et Olivia Cooke, deux étoiles montantes d’un septième art<br />
ricain qui serait bien avisé de les faire jouer le plus possible.<br />
N’est pas Bret Easton Ellis qui veut...<br />
Jonathan Chevrier<br />
DE CORY FINLEY. AVEC ANYA TAYLOR-JOY, OLIVIA COOKE... 1H33
58<br />
OuIl y avait énormément de quoi tiquer sur le papier, à l’idée de voir débarquer dans les<br />
salles obscures, une suite au formidable “Sicario” de Denis Villeneuve, cornaqué non plus<br />
par le bonhomme mais par un autre <strong>ciné</strong>aste, Stefano « Gomorra « Sollima (pas un étranger<br />
du crime organisé donc), le tout avec une histoire occultant complètement l’héroïne du<br />
film original, campée par la sublime Emily Blunt, pour totalement se focaliser sur celui, au<br />
demeurant plus mystérieux et passionnant, d’Alejandro campé par Benicio « Fucking « Del<br />
Toro - avec celui de Josh Brolin également.<br />
Quelque part entre la violence décomplexée et anxiogène du sous-estimé “Cartel” de Ridley<br />
Scott, et le réalisme d’exécution du grand “Miami Vice” de Michael Mann (l’un des meilleurs<br />
polars de ces dix dernières années), le tout en rappelant l’intensité criante du film d’origine,<br />
“Sicario La Guerre des Cartels”, prenant place quelques années après les évènements de<br />
Juarez, enfonce le clou du divertissement racé et intelligent instauré par l’écriture majestueuse<br />
de Taylor Sheridan (qui s’impose de plus en plus en digne héritier du grand Sam<br />
Peckinpah), pour mieux incarner une oeuvre coup de poing; un uppercut sondant autant<br />
les traumas de la société contemporaine US (dont la situation politique n’a jamais été aussi<br />
houleuse et hypocrite) que les tréfonds de l’âme humaine via le prisme d’une humanisation<br />
salvatrice - même si un poil forcé - d’un homme charismatique en pleine quête de rédemption<br />
après une existence engluée dans l’enfer des cartels - mais pas que.<br />
Un antihéros crépusculaire presque d’un autre temps (un héros westernien, cher à Sheridan,<br />
qui n’est pas sans rappeler le Leon de Luc Besson, sous certains aspects), confrontant<br />
la violence bruyante par une autre, plus sourde mais pas moins destructrice.<br />
Manipulant à sa guise son spectateur avec un propos aussi corrosif qu’il est humain et<br />
criant de vérité (la peur du terrorisme, la question de l’immigration comme véhicule de la<br />
violence, la différence incroyable entre deux pays aussi proches physiquement qu’éloignés<br />
dans leurs politiques), tout en enrobant sa charge avec une action marquée et cadrée à la<br />
perfection (et on pense, instinctivement, à la référence “Heat”) par une mise en scène stylisée<br />
et enlevée (d’ailleurs, la direction d’acteurs s’aligne sur le même niveau de qualité), ainsi<br />
qu’une atmosphère dense et suffocante aux douloureuses allures de descente aux enfers<br />
saisissante; “Sicario La Guerre des Cartels”, qui prend le contre-pied du premier film tout<br />
en lui offrant un prolongement aussi atypique que solide et cohérent (le personnage de<br />
Brolin, passionnant d’ambiguïté morale, en sort grandit), est un divertissement calibré pour<br />
les amateurs de B movie, un moment de <strong>ciné</strong>ma percutant et nihiliste à souhait, au rythme<br />
volontairement infernal.<br />
S’il subit évidemment la concurrence avec son glorieux aîné (moins populaire dans sa facture,<br />
parfois plus irréaliste et métaphorique) et que sa nécessité/légitimité pourra toujours<br />
être discuté par beaucoup, il n’en est pas moins une franche - et étonnante - réussite.<br />
Jonathan Chevrier<br />
DE STEFANO SOLLIMA. AVEC BENICIO DEL TORO, JOSH BROLIN... 2H02
59<br />
27/06<br />
Sicario<br />
La Guerre des Cartels
60<br />
DE BRAD BIRD. AVEC LES VOIX DE DE GÉRARD LA<br />
Passé la (petite) frustration de voir que la tant attendue<br />
suite du bijou de Brad Bird s’inscrit directement à la suite<br />
du premier opus (on aurait adoré voir Jack-Jack grandir<br />
et les enfants prendre un peu de bouteille), impossible<br />
pour tout amoureux des premières bandes de la firme à<br />
la lampe, de ne pas être épris d’une nostalgie folle à la vision<br />
des premières secondes des “Indestructibles 2”, tant<br />
la famille Parr, même quatorze ans après, n’a pas pris une<br />
seule ride - à la différence de nous hein.<br />
Et si le premier opus offrait une radiographie pleine de<br />
sens du genre super-héroïque (avec une intrigue au beau<br />
milieu des 60’s, entre film de super-héros et film d’espionnage<br />
‘’Bondien’’), en plein essor à l’époque (la concurrence<br />
était considérablement réduite en comparaison à<br />
aujourd’hui), ce second film - produit un poil à la va-vite -<br />
arrive carrément au coeur de la bataille, à une heure où la<br />
demande devient de manière totalement contradictoire,<br />
aussi lassante qu’enthousiasmante.<br />
Mûrement réfléchi, bien ancré dans son époque en renversant<br />
- mais pas que - gentiment les rôles en s’attachant<br />
au prisme de la vie de foyer du point de vue du<br />
père de famille (c’est à Bob, vite dépassé, de s’occuper<br />
des enfants et à Hélène cette fois-ci, de bouter du méchant)<br />
et en rayant le concept d’image publique (à une<br />
heure où les réseaux sociaux font rage), encore plus ‘’spy<br />
movie’ et volontairement vintage que le précédent et<br />
déjouant pleinement la règle du ‘’bigger and louder’’ de<br />
toute suite made in Hollywood; “Les Indestructibles 2” enfonce<br />
le clou du bon goût jusqu’au fondement et incarne<br />
une suite aussi étonnante et visuellement impeccable<br />
que brillante, plaçant la famille, et non les super-pouvoirs<br />
(tous symboliques de la dynamique familiale), au coeur<br />
des débats, poussant de facto l’empathie et l’attachement<br />
du spectateur pour les Parr à son paroxysme au<br />
sein d’une intrigue certes un poil prévisible, mais tout du<br />
long prenante.<br />
Vrai/faux film de super-héros inventif et thématiquement<br />
dingue, rythmée façon pure comédie familiale sur la banalité<br />
du quotidien la guerre des genres, portée par des<br />
séquences d’action anthologiques et un score cuivré virtuose<br />
de Michael Giacchino, “Les Indestructibles 2” a bon<br />
à tous les niveaux, sublime les envolées cartoonesques<br />
autant que les vrais moments de bravoure de ses héros.<br />
Bref, Brad Bird prend à contre-pied la production actuelle<br />
et tue une nouvelle fois le game avec un petit bout de<br />
<strong>ciné</strong>ma sincère, magique et drôle, tout simplement.<br />
Jonathan Chevrier
NVIN, LOUANE EMERA... 1H58<br />
61<br />
04/07<br />
les indestructibles 2
62<br />
à la dérive<br />
Baltasar Kormákur ou définitivement l’un des plus honnêtes et sympathiques faiseurs<br />
de séries B de ces dix dernières années au sein de la jungle Hollywoodienne, un bonhomme<br />
au talent certain qui aligne les péloches jouissives et qualitatives à la pelle.<br />
Bref, un ami de la famille quoi.<br />
Habitué des survivals en terre hostile (il est le papa du mésestimé “Everest”), le voilà de<br />
retour en ces premières heures de juillet avec son “All is Lost” à lui, “À la Dérive” (oui, le<br />
même titre que le tâcheron de Guy Ritchie avec son ex-femme Madonna) aka “Adrift”,<br />
mise en images du véritable calvaire vécu en mer par Tami Oldham et Richard Sharp.<br />
Moins puissant que le chef-d’oeuvre de J.C Chandor, qui puisait autant sa force de son<br />
récit intime et épuré - dans tous les sens du terme - que dans la prestation habitée de<br />
la légende Redford (parfait) et définitivement loin d’être tourné vers le même public<br />
(malgré la présence solaire de Shailene Woodley), “À la Dérive” joue sur l’émotion (facile)<br />
que suscite ce calvaire en plein désert maritime, et s’avère même presque vibrant<br />
quand il ne se perd pas dans une pluie de flashbacks visant à maladroitement aérer<br />
une intense et éprouvante quête de survie (la nature est et restera le plus terrifiant et<br />
crédible des antagonistes au <strong>ciné</strong>ma).<br />
Et c’est bien là que le bât blesse : la volonté de faire de cette incroyable histoire vraie<br />
un prétexte à une romance racoleuse pour un public facilement influençable (tout
63<br />
04/07<br />
DE BALTASAR KORMÀKUR. AVEC SHAILENE WOODLEY ET SAM CLAFLIN... 1H38<br />
comme le récent “La Montagne entre Nous”, avec le bien plus talentueux couple Kate<br />
Winslet/Idris Elba) plutôt que de se focaliser pleinement sur cette miraculeuse survie<br />
(et pourtant loin d’être original sur grand écran), la force de vivre merveilleuse transpirant<br />
de cette femme courage qui va se battre jusqu’au bout pour sauver sa peau et<br />
celle de l’homme qu’elle aime.<br />
Vaincre la morosité d’un présent terrible et (presque) sans espoir en le contrebalançant<br />
avec le passé proche et les prémices d’une romance qui mènera inéluctablement les<br />
jeunes héros vers le premier cas de figure, l’idée est plutôt créative, et le choix aurait<br />
même pu être payant si le réalisateur, plutôt solide derrière la caméra - et auteur de<br />
quelques plans plutôt enlevés-, arrivait à nous impliquer un minimum dans son histoire<br />
et l’amour - jamais empathique - qui unit ses deux tourtereaux.<br />
Si nous n’avons pas envie de croire en eux, pourquoi se passionner pour leur quête de<br />
survie ?<br />
C’est la grosse question qui entoure donc cet honnête survival, plus romantique qu’existentiel,<br />
qui ne renouvelle décemment pas le genre (malgré une scène de tempête réellement<br />
terrifiante), mais qui divertit gentiment son monde.<br />
On a vu pire, mais on a surtout - évidemment - vu mieux.<br />
Jonathan Chevrier
64<br />
04/07<br />
joueurs<br />
Alors que beaucoup (pour ne pas dire la majorité) de comédiens et comédiennes ne choisissent<br />
leurs rôles qu’en fonction de la notoriété ou du nombre conséquent de billets verts<br />
qu’ils peuvent en tirer, certains se montrent en revanche, beaucoup moins égocentriques<br />
et cherchent avant tout à relever des défis... comme Tahar Rahim, dont la carrière singulière<br />
et en dehors des clous, parle définitivement en sa faveur.<br />
Passé un “Marie-Madeleine” douloureusement maladroit (où il campait rien de moins que<br />
Judas) sortie fin mars dernier, le voilà de retour dans les salles obscures en ces douces premières<br />
heures d’été aux côtés de la délicate Stacy Martin, avec “Joueurs” de Marie Monge<br />
(qui a fait un petit tour sur la Croisette en mai dernier, du côté de la Quinzaine des Réalisateurs),<br />
attendue comme une plongée inédite dans le septième art hexagonal, au coeur du<br />
monde du jeu et de l’addiction qu’il suscite chez certains, une addiction qui peut prendre le<br />
pas sur tout - même l’amour.<br />
Une vision pimpante et underground du Paris by Night où jouer ne rime jamais vraiment<br />
avec gagner, capté via le prisme enchanteur d’un couple supposément mal assorti (Tahar<br />
Rahim, irrésistible, et Stacy Martin, parfaite), mais fou l’un de l’autre; deux coeurs gangrenés<br />
par un milieu où il est impossible de ne pas payer, que ce soit de son compte en banque<br />
ou carrément de sa personne.<br />
Filmé comme un polar noir réaliste (plus que dans un reportage télévisé racoleur) et stylisé<br />
plus ou moins virtuose (mention au montage dynamique couplé à la belle photographie de<br />
Paul Guillaume), n’ayant jamais peur de se perdre dans le volontairement outrancier sans<br />
trop crouler sous ses nombreuses références (les films de Marty Scorsese en tête), vraie<br />
chronique sombre où le romantisme se mêle à la violence et l’excitation du jeu (joli parallèle<br />
entre les deux relations loin d’être si différente) de manière palpable; “Joueurs”, sorte de<br />
True Romance - toute propension gardée -, est un thriller aussi prenant qu’énergique, pas<br />
dénué de quelques défauts dommageable certes, mais un habile petit moment de <strong>ciné</strong>ma<br />
porté par un couple, une belle paire d’as, séduisant en diable.<br />
Encore un premier long à ajouter à la jolie liste des réussites du <strong>ciné</strong>ma hexagonale de cette<br />
(très) bonne cuvée 2018.<br />
Jonathan Chevrier<br />
DE MARIE MONGE. AVEC TAHAR RAHIM ET STACY MARTIN... 1H45
65<br />
04/07<br />
american nightmare :<br />
les origines<br />
Avec “The First Purge” (“Les Origines”) réalisé par Gerard McMurray, la série de films “The<br />
Purge” (“American Nightmare” chez nous) de James DeMonaco (2013-) prend un tournant<br />
diablement politique abandonnant la bourgeoisie de Los Angeles pour la «capitale du crime»<br />
: New York.<br />
Agissant comme un prequel, James DeMonaco et Gerard McMurray nous expliquent avec<br />
“Les Origines” comment nous en sommes venu.e.s à un monde où les États-Unis d’Amérique<br />
autorisent douze heures par an un déchaînement de violences non réprimées intitulé la<br />
purge par ses participant.e.s (sorte de « deux minutes de haine » orwellienne). Afin de voir<br />
si l’expérience serait concluante, le site new-yorkais de Staten Island est choisi : population<br />
noire et taux de pauvreté conséquent se côtoient. Un choix idéal pour les conservateurs<br />
nouvellement élus (les Nouveaux Pères Fondateurs) : le but étant d’amener à l’anarchie (au<br />
sens néfaste) et justifier une purge nationale l’année suivant l’épisode de Staten Island.<br />
Pour se faire, quoi de mieux que de profiter de la pauvreté et de la stigmatisation du<br />
lieu ? Entre arrangements et incitations à la participation, les Nouveaux Pères Fondateurs<br />
accomplissent tout ce qui est en leurs pouvoirs pour que les classes sociales les plus faibles<br />
s’éliminent entre elles. Un « plan pauvreté » avant l’heure ?<br />
Si la force de la série de James DeMonaco n’a jamais été <strong>ciné</strong>matographique, malheureusement,<br />
sa véracité sociologique est tout à fait édifiante. On serait presque à se demander si “American<br />
Nightmare : Les Origines” ne va pas plus loin que le “Black Panther” de Ryan Coggler (2018)<br />
dans sa vision des minorités. Et pour cause, le film est en parfaite non-mixité, érige les<br />
blancs bourgeois comme les véritables (et seuls) ennemis, convoque explicitement l’épisode<br />
tragique de Ferguson (et tant d’autres) ainsi que le mouvement Black Lives Matter (« Nigga,<br />
we gon’ be alright ») !<br />
Wade Eaton<br />
DE MARIE MONGE. AVEC TAHAR RAHIM ET STACY MARTIN... 1H45
66<br />
11/07<br />
dogman<br />
Pas qu’un petit personnage ce Matteo Garrone, papa des excellents “Gomorra” et “Reality”,<br />
tous deux primés par le Grand Prix à Cannes (en 2008 et 2012), mais surtout chef de file du<br />
renouveau du <strong>ciné</strong>ma transalpin qui avait bien besoin d’un regain de fraîcheur. À l’image du<br />
génial Nanni Moretti, le bonhomme a fait de la Croisette son nouveau terrain de jeu d’exception,<br />
pas forcément une bonne chose au souvenir de son hautement mitigé “Tale of Tales”.<br />
Trois ans plus tard et toujours aussi ambitieux, il revenait toujours sur la Croisette avec<br />
“Dogman”, thriller crépusculaire façon western urbain aux doux contours de huis clos puissant<br />
engoncé dans un cadre proprement apocalyptique et totalement coupé du monde<br />
(telle une véritable forteresse de solitude face à la mer); où un père aimant/dresseur de<br />
chiens capable d’amadouer le plus dur des chiens, se fait brutaliser par un ‘’ami’’, ancien<br />
boxeur accro à la cocaïne sortie de prison.<br />
Plus tôt dans l’année, Samuel Benchetrit adaptait son propre roman pour faire de “Chien”,<br />
une fable politico-ironique surréaliste sur la déshumanisation de la société contemporaine<br />
par le biais d’un homme devenant peu à peu, un chien docile.<br />
Garrone, tout aussi inspiré, s’attaque à une descente aux enfers similaires mais infiniment<br />
plus psychologique et tendue, d’un homme entraîné dans une spirale de violence implacable<br />
et devant, comme un animal acculé par la peur et l’incapacité d’encaisser plus qu’il<br />
ne l’a déjà trop fait, répondre en suivant la voie de la colère. Parce que tout appelle, dès les<br />
premières minutes, à ce que cette douloureuse histoire finisse mal.<br />
Noir, désespéré, retors, surréaliste - parfois à la limite de l’absurde -, formellement sublime,<br />
offrant une auscultation proprement déroutante des laissés-pour-compte et porté par des<br />
comédiens habités (Marcello Fonte, chien battu au regard crève-coeur, est formidable),<br />
“Dogman”, mécanique huilée à la perfection, est un drame humain tragique et cathartique<br />
à la tension permanente, un uppercut que l’on voit tout du long venir, mais qui nous met<br />
k.o sans le moindre effort.<br />
Jonathan Chevrier<br />
DE MATTEO GARRONE. AVEC MARCELLO FONTE, EDOARDO PESCE... 1H42
11/07<br />
paranoïa<br />
Passé une « plus ou moins « retraite qui a vu le bonhomme avoir un emploi du temps au<br />
final aussi chargé qu’avant, le touche-à-tout de génie Steven Soderbergh revenait aux affaires<br />
et derrière la caméra l’an dernier avec le jouissif “Logan Lucky”. Toujours prêt pour<br />
les expérimentations les plus folles pour mieux réinventer son art, le bonhomme suit les pas<br />
de Sean Baker et son “Tangerine”, en tournant son nouveau long-métrage, “Unsane” - “Paranoïa”<br />
par chez nous - entièrement à l’iPhone.<br />
Un sacré challenge technologique visant à rendre encore plus immersive et troublante<br />
(surtout) cette nouvelle incursion dans le thriller psychologique à forte tendance horrifique<br />
(huit ans après le magistral “Contagion”), contant les aléas d’une femme flanquée accidentellement<br />
- ou pas - dans un hôpital psychiatrique, et qui désespère de prouver sa bonne<br />
santé mentale avant de se voir frapper par un fantôme du passé bien décidé à la hanter.<br />
Sur le papier, cette plongée intime et labyrinthique dans les arcanes du système hospitalier<br />
et du calvaire intime d’une patiente façon” Vol au-dessus d’un nid de coucou” infernal à forte<br />
tendance Lynchienne - avec la très demandée Claire Foy en vedette -, vendait suffisamment<br />
de rêve pour qu’on soit un minimum attiré par la chose au-delà même de la présence de<br />
Soderbergh derrière la caméra.<br />
A l’écran en revanche, la déception pointe (très) vite le bout de son nez aussi bien d’un<br />
point de vue visuelle (l’image est terne et souvent mal cadrée malgré quelques plans un poil<br />
recherché plaçant instinctivement le spectateur en position de voyeur, le découpage est<br />
archaïque...) que scénaristique, tant ce huis-clos paranoïaque et cauchemardesque dévoile<br />
de manière bien trop précoce son jeu, ramant dès lors péniblement à développer l’intérêt<br />
pour une intrigue minimaliste aussi peu originale que paresseuse - voire même limite ennuyeuse<br />
-, manquant cruellement d’ampleur (un peu comme son “Effets Secondaires”, thriller<br />
à tiroirs qui alignait les twists sans saveur) et n’exploitant jamais vraiment les nombreux<br />
thèmes abordés, jusqu’à un final plus convenu tu meurs.<br />
Privilégiant maladroitement la forme (bancale mais osée) au fond (jamais crédible ni prenant,<br />
le cul coincé entre deux sièges dans son mélange des genres), “Unsane”, qui se rêve<br />
aussi tortueux et ambiguë qu’un “Shutter Island” ou “L’Échelle de Jacob”, ne vaut alors que<br />
pour la partition impliquée - et le mot est faible - d’une Claire Foy lumineuse, qui semble<br />
tout du long croire en la force viscérale du métrage, vraie prise de risque assumée même<br />
dans ses nombreux travers. Et elle est (sûrement) bien la seule.<br />
Jonathan Chevrier<br />
DE STEVEN SODERBERGH. AVEC CLAIRE FOY, JOSHUA LEONARD... 1H41<br />
67
68<br />
18/07<br />
come as you are<br />
Au sein de la plus ou moins riche sélection du dernier CEFF, qui vient tout juste de signer<br />
son clap de fin, “Come As You Are”, au même titre qu’un “Piercing” ou même qu’un “Paranoïa”<br />
(“Unsane”) de Steven Soderbergh, apparaissait aisément aux yeux des <strong>ciné</strong>philes avertis,<br />
comme l’une des séances les plus immanquables, en bonne bête de festivals qu’il est.<br />
Avec la grosse étiquette ‘’Sundance Approved’’ collée sur le coin de la pellicule, et celle<br />
encore plus imposante - mais moins rassurante - d’adaptation de roman YA - “The Miseducation<br />
of Cameron Post” d’Emily Danforth -, le tout porté par un casting de jeunes talents<br />
alléchant, le second long-métrage de Desiree Akhavan s’attaque à un sujet costaud sur le<br />
papier : l’apprentissage et l’affirmation de la sexualité chez les adolescents, poussés littéralement<br />
au redressement dans un sinistre camp de ‘’conversion gay’’ évangélique quand<br />
ceux-ci éprouvent une attirance pour un jeune du même sexe; une tare qu’il faut corriger<br />
en poussant constamment au self shaming et au matraquage psychologique (lavages de<br />
cerveau, humiliations publiques etc...).<br />
Vrai drame façon fable coming-of-age sur l’acceptation de soi, reflet honnête et amer de<br />
l’incertitude déchirante de l’identité et de la sexualité adolescente tout en étant étonnamment<br />
ouvert à la compréhension et à la réflexion sur tous les points de vue (le film ne charge<br />
jamais à outrance le camp des oppresseurs pieux, et la ferveur religieuse n’est jamais moquée),<br />
“Come As You Are”, teen movie autant provocateur et sombre qu’il est infiniment poignant,<br />
traite frontalement et avec une vérité cru l’enfer ‘’pavé de bonnes intentions’’ vécu<br />
par une poignée d’ados combattant tout du long dans un cadre répressif, pour s’affirmer<br />
tels qu’ils sont réellement.<br />
D’une candeur et d’une sincérité rafraîchissante tout en s’amusant continuellement à déjouer<br />
les attentes du spectateur avec quelques pointes d’humour salvatrices, solidement<br />
interprété (Jennifer Ehle et Chloé Grace Moretz y trouvent leurs plus beaux rôles), le film<br />
de Desiree Akhavan est un beau et modeste moment de <strong>ciné</strong>ma, qui peut offrir une contreséance<br />
parfaite au plus bienveillant - mais pas moins pertinent - “Love, Simon” de Greg<br />
Berlanti.<br />
Jonathan Chevrier<br />
DE DESIREE AKHAVAN. AVEC CHLOÉ GRACE MORETZ, SASHA LANE... 1H31
69
70<br />
Un boulevard s’ouvre pour la comédie française cet été entre<br />
quelques sorties de blockbusters made in USA. Tandis que certains<br />
films sont assez attendus («Au Poste !», «Neuilly sa mère, sa mère» ou<br />
encore «Le Monde est à toi»), on redoute également la sortie d’autres<br />
comédies françaises qui sont bien loin de donner ne serait-ce qu’une<br />
once d’envie (coucou «Christ(off)» et «Ma Reum»). Et c’est donc dans<br />
cette - petite - vague estivale de comédies que débarque Julien Guetta<br />
et son premier long-métrage «Roulez Jeunesse».<br />
Oscillant constamment entre drame et comédie avec une facilité assez<br />
déconcertante pour quelqu’un qui réalise là son premier film, «Roulez<br />
Jeunesse» tient surtout grâce à la composition d’Eric Judor - absolument<br />
sous-estimé l’année dernière avec son dernier film «Problemos» - qui<br />
trouve ici certainement l’un de ses plus beaux rôles. Abandonnant<br />
ainsi tous ses tics et l’humour qu’on lui connaissait pour nous offrir<br />
un véritable rôle de composition qui nous prouve que le bonhomme<br />
en a sous le pied, et bien plus qu’on le pense même. À contre-courant<br />
de tout ce qu’il a pu nous proposer auparavant - à contrario de son<br />
comparse de toujours Ramzy Bedia qui s’est déjà essayé plusieurs<br />
fois, avec succès, au drame -, l’acteur de 48 ans trouve dans ce film<br />
un nouveau terrain de jeu où le spectateur peut apprécier une palette<br />
de jeu époustouflante, beaucoup plus dans la retenue. Eric Judor c’est<br />
Alex, 43 ans, dépanneur automobile dans le garage de sa mère, qui se<br />
retrouve du jour au lendemain avec deux gosses et une adolescente<br />
sur les bras après un coup foireux d’une nuit.<br />
Corde tendue entre la comédie dans sa première moitié de film avant<br />
de basculer un petit peu plus vers le drame avec de vrais moments<br />
bouleversants, «Roulez Jeunesse» réussit cependant à rester dans<br />
le feel-good movie profondément humain et tendre envers tous ses<br />
personnages. D’ailleurs pour l’épauler, Erico judo peut compter sur<br />
une belle brochette d’acteurs et actrices dont la formidable Laure<br />
Calamy ainsi que le jeune Ilan Debrabant d’une candeur à croquer.<br />
Véritable surprise de cet été, «Roulez Jeunesse» est une bouffée d’air<br />
frais dans la comédie française plutôt indigeste ces derniers temps.<br />
En plus de confirmer les talents d’Eric Judor, il permet surtout à Julien<br />
Guetta d’imposer sa patte dans le <strong>ciné</strong>ma français avec ce véritable<br />
bonbon aussi sucré que subtilement acidulé.<br />
Margaux Maekelberg<br />
DE JULIEN GUETTA. AVEC ERIC JUDOR, LAURE CALAMY... 1H24
71<br />
25/07<br />
roulez<br />
jeunesse
72<br />
ERIC JUDOR<br />
L’HURLUBERLU INCOMPRIS
73<br />
Il y aura quelque chose<br />
d’assez fou, voire même<br />
d’assez révoltant, dans le fait<br />
de lire durant ces prochains jours,<br />
des papiers professionnels - ou non -<br />
affirmer avec un aplomb assuré, que le<br />
mésestimé Eric Judor casse enfin son<br />
image de clown amusant (ou con, pour<br />
les mauvaises langues) en signant un<br />
rôle aussi dramatique qu’adulte dans<br />
l’excellent premier essai de Julien<br />
Guetta, «Roulez Jeunesse»; comme<br />
si l’éternel binôme de Ramzy Bedia<br />
n’avait justement pas essayé depuis<br />
plus d’une décennie maintenant, à<br />
se renouveler, à s’éloigner de sa zone<br />
de confort en proposant autre chose<br />
que des comédies volontairement<br />
régressives qui ont fait son succès - et<br />
celui de Ramzy, évidemment.<br />
Un oubli volontaire de la conscience<br />
collective, à l’instar de ceux ayant<br />
frappés des carrières plus prestigieuses<br />
comme celles de Jim Carrey ou même<br />
de Jack Black, furieusement injuste<br />
pour ce touche à tout aussi génial<br />
qu’ambitieux, symbole comique de<br />
toute une génération.<br />
Souvent là au bon moment (Fun Radio,<br />
M6 avec les mots puis Canal + avec<br />
«H»), membre important de la nouvelle<br />
vague humoristique qui passera de la<br />
scène et du petit écran au plus grand<br />
au début des années 2000 à coups de<br />
comédies pas toujours défendables -<br />
mais cultes -, Eric a beau ne pas avoir<br />
toujours eu le nez fin (notamment<br />
dans sa courte phase parodique avec<br />
le jouissif «La Tour Montparnasse<br />
Infernale» et les moins bons «Double<br />
Zéro» et «Les Dalton»), il a néanmoins<br />
su se constituer un vrai <strong>ciné</strong>ma en<br />
solo, par la force d’implication dans<br />
des projets singuliers - chez Quentin<br />
Dupieux en tête - et surtout, par la force<br />
de sa propre plume.<br />
Vrai auteur à part entière qui n’a pas<br />
peur d’assumer sa vision burlesque et<br />
satirique (mais également teintée de<br />
douceur) du monde et de l’industrie au<br />
sein de la merveilleuse série «Platane»<br />
(dont la troisième saison est à l’écriture)<br />
ou encore du brillant «Problemos»<br />
(furieusement Judor-esque même si<br />
le scénario est de Blanche Gardin et<br />
Noé Debré), et qui n’hésite même pas<br />
à littéralement décortiqué le concept<br />
même de suite d’une comédie débile<br />
en le rendant encore plus follement<br />
absurde (l’hybride «La Tour 2 Contrôle<br />
Infernale»); Eric Judor a beau tordre les<br />
limites de la comédie jusqu’à l’extrême,<br />
il remporte constamment l’adhésion en<br />
rendant - comme les frangins Farrelly<br />
- l’intégralité de ses personnages<br />
réellement empathiques, même quand<br />
ils sont indéfendables («Platane» again).<br />
Alors tant pis s’il semble se perdre encore<br />
un peu dans le divertissement populaire<br />
de masse («Les Nouvelles Aventures<br />
d’Aladdin» et sa suite «Alad’2», où il<br />
retrouvera Jamel Debbouze et Ramzy),<br />
Eric Judor est un vrai artisan de l’humour,<br />
au manque de reconnaissance un poil<br />
ingrat, qui n’a pas peur de faire fausse<br />
route mais qui surtout, n’a pas peur de<br />
faire rire de tout, quitte à ne pas faire rire<br />
tout le monde.<br />
Jonathan Chevrier
08/08<br />
under the<br />
silver lake<br />
C’était l’événement de la compétition cannoise,<br />
bien au-dessus des retours en fanfare de Matteo<br />
Garrone, Nuri Bilge Ceylan ou encore Jean-Luc<br />
Godard : David Robert Mitchell est enfin de retour,<br />
trois ans après l’excellent “It Follows”, avec<br />
“Under The Silver Lake”, relecture décalée du film<br />
Noir post-moderne des années 70. Si le choix du<br />
genre peut surprendre quitte à s’inquiéter de<br />
la cohérence thématique de son auteur, pas de<br />
panique : l’adolescence, le nihilisme et le refoulement<br />
reviennent ici au centre du récit, focalisé<br />
sur un Andrew Garfield méconnaissable.<br />
Pour autant, le bât blesse très vite, le réalisateur<br />
américain n’arrivant jamais à remodeler ses<br />
messages dans les travers de sa narration alambiquée.<br />
Bien qu’assez passionnant par rapport à<br />
son personnage principal complètement allumé<br />
et faible, mal rasé et un peu bedonnant, David<br />
Robert Mitchell manque de liant entre toutes<br />
ses thématiques, quitte à complètement délaisser<br />
le lien possible entre sa définition de la ville<br />
de Los Angeles, espace <strong>ciné</strong>matographique dédié<br />
uniquement à l’image et au paraître, et son<br />
personnage en proie à une crise amoureuse et<br />
identitaire, ne le résumant qu’à de simples tautologies.<br />
Blindé de références pour définir ses<br />
espaces, comme dit précédemment, le réalisateur<br />
use de la citation jusque dans son mouvement<br />
de caméra (les couleurs et la musique en<br />
hommage à Hitchcock côtoient la brutalité du<br />
cadre et du cut chez Terrence Malick) mais a du<br />
mal à se façonner une identité qui aurait pu, au<br />
travers de tout ce système, faire naître un piratage<br />
à l’intérieur de celui-ci. Le long-métrage<br />
manque alors de mordant et suit inlassablement<br />
un système narratif sans variations, emprunté<br />
à Lynch mais trop usé et trop timide, pour n’en<br />
sortir qu’en 140 minutes le message de la fin<br />
de l’adolescence et d’un siècle entier de révolutions<br />
religieuses, <strong>ciné</strong>matographiques et technologiques.<br />
A24 a, après la projection de “Under<br />
The Silver Lake” à Cannes, rapatrié le film pour le<br />
sortir dans six mois au lieu des deux prévus. Un<br />
remontage serait alors envisageable pour réorganiser,<br />
raccourcir et peut-être relever quelques<br />
idées mal amenées ou malvenues. Et si le cas<br />
étant, grand bien leur en fasse…<br />
Tanguy Bosselli<br />
DE DAVID ROBERT MITCHELL. AVEC ANDREW GARFIELD, RILEY KEOUGH... 2H19<br />
74
75<br />
DAVID<br />
ROBERT<br />
MITCHELL<br />
Avant de parler à un public, le<br />
<strong>ciné</strong>ma est très souvent un art où<br />
l’on parle de soi. De notre point de<br />
vue politique, du monde dans lequel<br />
on évolue, de nos angoisses ou bien<br />
encore de notre passé. David Robert<br />
Mitchell, à bien des égards, s’est<br />
axé sur cette dernière thématique<br />
mais à l’inverse de toute cette mode<br />
de revival eighties qui fleurit un peu<br />
partout, il va surtout questionner le<br />
sens caché derrière la culture de<br />
son passé, de sorte à la remettre au<br />
goût du jour et proposer quelque<br />
chose de plus surprenant et plus<br />
entouré de mystère.
76<br />
U n mystère qui<br />
débute même<br />
par l’origine de son réalisateur.<br />
David Robert Mitchell ne<br />
laisse filtrer que très peu<br />
d’informations sur sa vie<br />
privée. Tout juste nous savons<br />
qu’il est né en 1974 dans le<br />
Michigan et qu’il est parvenu<br />
à atteindre les hautes sphères<br />
du <strong>ciné</strong>ma grâce à son petit<br />
boulot de monteur de bandesannonces.<br />
C’est justement ce<br />
manque total d’informations<br />
sur le personnage qui nous<br />
fait dire que nous avons là un<br />
<strong>ciné</strong>phile comme les autres,<br />
ayant sûrement bénéficié d’un<br />
peu de chance mais ayant<br />
surtout évolué dans une culture<br />
américaine propice à générer<br />
toutes sortes de fantasmes et<br />
de créativité.<br />
Après trois court-métrages<br />
remarqués dans plusieurs<br />
festivals dans le début des<br />
années 2000 (“Flashbulb Kiss”,<br />
“Fourth of July” et “Virgin”), c’est<br />
en 2010 que sort son premier<br />
long-métrage, “The Myth of<br />
The American Sleepover”.<br />
Instantané d’une soirée<br />
lycéenne comme les autres<br />
mais où de simples événements<br />
seront majeurs pour ces jeunes<br />
adultes à en devenir, ce premier<br />
essai synthétise d’ores-etdéjà<br />
la fascination de son<br />
réalisateur pour l’imaginaire<br />
de l’adolescence évoluant sans<br />
véritable but dans une banlieue<br />
délabrée. Pas de grande ville<br />
ici, toute l’action de ses films<br />
se concentre sur de petits<br />
quartiers sans histoire, effacés<br />
par les grandes métropoles, là<br />
où les légendes urbaines se<br />
créent. De même, l’aspect visuel<br />
si léché de ses films prend déjà<br />
origine ici, avant de connaître<br />
son véritable essor sur son film<br />
suivant : “It Follows”.<br />
Quiconque s’intéresse de près<br />
ou de loin au <strong>ciné</strong>ma d’horreur<br />
n’a pas pu passer à côté du<br />
film qui a véritablement fait<br />
émerger David Robert Mitchell<br />
sous les projecteurs. Multirécompensé<br />
et acclamé dans<br />
le monde entier, “It Follows” est<br />
assurément destiné à devenir<br />
culte dans les années à venir.<br />
Comme une sorte de mise à<br />
jour de “La Féline” à la sauce<br />
John Carpenter, le réalisateur<br />
prolonge son exploration<br />
thématique du teen-movie, en<br />
l’occurrence ici la sexualité,<br />
mais le confronte avec des<br />
problématiques actuelles. D’un<br />
concept si simple et pourtant<br />
si efficace (une malédiction<br />
sexuellement transmissible qui<br />
va poursuivre éternellement<br />
notre jeune héroïne), c’est une<br />
véritable leçon de suspense et<br />
de mise en scène qui défile sous<br />
nos yeux, mettant en valeur<br />
aussi bien la menace constante<br />
qui rôde sur nos personnages<br />
que le Detroit à l’abandon dans<br />
lequel ils
77<br />
évoluent, sachant toujours à merveille quand et comment surprendre et<br />
terrifier son audience.<br />
Difficile de succéder à un tel engouement critique et public et il aura fallu<br />
attendre presque 4 ans pour que Mitchell revienne sur le devant de la<br />
scène avec un film nettement plus ambitieux, intitulé “Under The Silver<br />
Lake”. Si cet opus a pu être vu comme une déception lors de son passage<br />
au dernier Festival de Cannes, il n’en demeure pas moins une continuité<br />
parfaite de l’exploration de l’envers de l’imaginaire culturel américain, ici<br />
dans sa dimension la plus absurde et paranoïaque. Toujours aussi multiréférencé,<br />
“Under The Silver Lake” est un film volontairement étouffant,<br />
bordélique et fourre-tout. A mi-chemin entre du Alfred Hitchcock et du<br />
Gregg Araki, le film semble clôturer une sorte de « trilogie de la pop-culture<br />
pré-2000 », atteignant ici la limite des années 90 avec un personnage<br />
enfin adulte, tout du moins en théorie, ayant quitté son nid d’enfance<br />
pour un Los Angeles tout aussi labyrinthique.<br />
Il ne reste plus qu’à prédire (ou espérer) que son quatrième film partira<br />
vers une toute autre direction. On sait qu’il a longtemps travaillé sur un<br />
projet relatant les 24h d’une jeune femme venant de se faire larguer<br />
mais qui sait ce que le bougre peut nous réserver de plus surprenant à<br />
l’avenir. Ses films ont beau ne pas tout le temps faire l’unanimité, il est<br />
indéniable que sa maîtrise sans faille de son héritage, qu’il soit littéraire,<br />
musical, <strong>ciné</strong>matographique ou même vidéo-ludique, fait de lui un des<br />
porte-paroles d’une génération ayant envie de faire enfin bouger les<br />
choses, sans pour autant renier là d’où ils viennent vraiment.<br />
Tanguy Renault
15/08<br />
le monde<br />
est à toi<br />
Dans la continuité de son premier long-métrage “Notre Jour Viendra”,<br />
imparfait mais rempli d’idée, Romain Gavras prolonge l’exploration de<br />
son univers visuel barré, directement influencé par l’imagerie fantasmée<br />
de la banlieue ainsi que par sa carrière polémique dans le clip-vidéo.<br />
Avec comme prétexte une histoire à base de Mr. Freeze au Maghreb, nous<br />
sommes embarqués dans une sorte de pastiche du film de gangster absurde<br />
à l’extrême, porté par des personnages tous plus stupides les uns<br />
que les autres, mais néanmoins sincères et jusqu’au-boutistes dans leurs<br />
démarches. Il faut à ce titre saluer l’immense force de frappe de l’intégralité<br />
du casting, choisi à la perfection et dont les performances sont<br />
absolument jouissives, tout particulièrement Vincent Cassel et Isabelle<br />
Adjani, totalement en décalage avec son image habituelle et aussi détestable<br />
qu’attendrissante.<br />
Ce cocktail d’éléments détonants donne ainsi une comédie d’action sans<br />
repères préconçus, avançant toujours là où on ne l’attend pas (malgré<br />
quelques passages scénaristiques obligés) et adoptant constamment<br />
un ton grinçant et insolent sur de nombreux thèmes politiques actuels,<br />
sans jamais toutefois se moquer des clichés qu’il convoque, riant plutôt<br />
de l’absurdité des oppresseurs que de celle des opprimés. Un OVNI décalé<br />
qui (se) fait plaisir, entre esthétique bling-bling et comédie douceamer,<br />
sur fond de Booba, de Toto et de Daniel Balavoine.<br />
Tanguy Renault<br />
DE ROMAIN GAVRAS. AVEC KARIM LEKLOU, ISABELLE ADJANI... 1H34<br />
78
79
80<br />
ADAM DRIVER<br />
Melody revêt sa robe d’avocate pour prendre la défense<br />
d’Adam Driver. Formidable touche à tout et désormais<br />
figure incontournable du <strong>ciné</strong>ma américain, le bonhomme<br />
a injustement été critiqué pour sa performance dans<br />
la nouvelle saga Star Wars. Prochainement à l’affiche<br />
du BlacKkKlansman de Spike Lee, Melody nous prouve<br />
- s’il faillait seulement le prouver -, qu’Adam Driver<br />
est certainement l’un des meilleurs acteurs de sa<br />
génération.<br />
SUR TOU
S LES FRONTS<br />
81
82<br />
A<br />
dam Driver est un des meilleurs<br />
acteurs de cette génération. Et je pèse mes mots.<br />
Si son nom vous est familier, c’est parce<br />
que, quels que soient vos goûts en matière de<br />
<strong>ciné</strong>ma ou séries, vous avez forcément déjà<br />
entendu parler de lui. C’est un acteur touche à<br />
tout qui a œuvré aussi bien dans des drames<br />
que dans des comédies ou de la saga spatiale.<br />
Peu d’acteurs ayant moins de dix ans de carrière<br />
peuvent se vanter d’avoir tourné avec autant<br />
de grands noms : Clint Eastwood, J.J. Abrams,<br />
Steven Spielberg, les Frères Coen, Jim Jarmush,<br />
Martin Scorsese, Terry Gilliam, ou encore<br />
prochainement Spike Lee font partie de son CV<br />
déjà bien rempli.<br />
Pourtant, Adam Driver n’était pas destiné à<br />
une carrière de comédien. Né en Californie<br />
en 1983, il rejoint les US Marine Corps après<br />
les attentats du 11 septembre 2001, mais est<br />
démobilisé pour raisons médicales deux ans<br />
plus tard, quelques mois avant que son unité ne<br />
parte pour l’Irak. Il retourne alors à l’Université,<br />
puis étudie le théâtre à la célèbre Julliard School<br />
pendant quatre ans. Il s’installe à New-York, où il<br />
enchaîne les castings, et les apparitions dans des<br />
séries TV, avant d’apparaître pour la première<br />
fois sur grand écran en 2011 dans le biopic «J.<br />
Edgar», de Clint Eastwood (pour un premier rôle<br />
au <strong>ciné</strong>ma, excusez du peu).<br />
En 2012, après avoir notamment fait partie de<br />
la distribution de «Lincoln» de Steven Spielberg<br />
et «Frances Ha» de Noah Baumbach, il décroche<br />
l’un des rôles principaux de la série de Lena<br />
Dunham, «Girls». La série fait beaucoup parler,<br />
et son interprétation du très étrange Adam<br />
Sackler attire l’attention.
83<br />
Il enchaîne d’autres films notables, tels que le<br />
formidable «Inside Llewyn Davis» des Frères<br />
Coen ou «While We’re Young» où il retrouve<br />
Noah Baumbach, avant de tourner son premier<br />
blockbuster : il est casté pour interpréter<br />
l’antagoniste de la nouvelle trilogie «Star War»s,<br />
Kylo Ren, dans le nouvel opus réalisé par J.J.<br />
Abrams, «Le Réveil de la Force».<br />
Son implication dans le space opera ne l’empêche<br />
pas de tourner d’autres excellents films, bien au<br />
contraire, puisqu’il agrandit sa filmographie avec,<br />
entre autres : le film de science-fiction «Midnight<br />
Special» de Jeff Nichols, le poétique «Paterson»<br />
de Jim Jarmush, le sublime «Silence» de Martin<br />
Scorsese, ou encore le loufoque «Logan Lucky»<br />
de Steven Soderbergh, avant de reprendre son<br />
rôle de Kylo Ren dans «Les Derniers Jedi», réalisé<br />
par Rian Johnson.<br />
Dernièrement, il est l’un des rôles principaux<br />
de «L’Homme Qui Tua Don Quichotte», le film de<br />
Terry Gilliam au parcours tumultueux, et il sera<br />
bientôt à l’affiche du nouveau film de Spike Lee,<br />
«BlacKkKlansman». On ne peut pas dire que le<br />
jeune homme chôme.
84<br />
Quand je vous disais en début d’article<br />
qu’Adam Driver est un des meilleurs<br />
acteurs de cette génération, et surtout<br />
si j’ai précisé que je pèse mes mots, c’est<br />
parce que je trouve son talent beaucoup<br />
trop sous-estimé.<br />
J’ai vu la grande majorité de sa<br />
filmographie, et honnêtement, rarement<br />
un acteur m’a convaincue dans autant<br />
de rôles différents. Qu’il joue un petitami<br />
inquiétant, un prêtre évangéliste, un<br />
barman braqueur à ses heures perdues,<br />
un chanteur de country, un réalisateur<br />
impliqué, un chauffeur de bus poète<br />
ou un antagoniste tiraillé, il n’y a pas<br />
UN rôle où il n’est pas d’une justesse<br />
irréprochable.<br />
A en voir sa filmographie, évidemment<br />
que son talent est reconnu par la<br />
profession, et ce n’est que justice. Les<br />
grands réalisateurs ne se trompent<br />
pas en lui confiant des rôles de plus en<br />
plus importants dans leurs œuvres, et<br />
gageons que c’est loin d’être terminé.<br />
Mais je suis très surprise de ne pas le<br />
voir plus récompensé pour ses rôles. Je<br />
sais bien qu’on ne mesure pas le talent<br />
d’un acteur au nombre de trophées qu’il<br />
déposera sur sa cheminée, mais j’estime<br />
que certains de ses rôles auraient mérité<br />
d’être vraiment récompensés.<br />
Pour prendre un exemple récent : son<br />
rôle de Kylo Ren dans Les Derniers Jedi<br />
est pour moi probablement sa meilleure<br />
performance en tant qu’acteur.<br />
Etant une grande fan de Star Wars, je<br />
suis obligée de faire un petit aparté sur<br />
le sujet. Je vais vous le dire directement :<br />
Kylo Ren est mon antagoniste préféré de<br />
toute la saga. Pourquoi ? Parce qu’il est<br />
tiraillé, il a des failles, et c’est justement<br />
cette fragilité qui rend le personnage<br />
intéressant. Ce n’est pas juste un grand<br />
méchant pur. Il a basculé du côté obscur,<br />
mais on sent les failles et le tiraillement.<br />
On les ressentait déjà dans «Le Réveil de<br />
la Force», et elles ne sont que renforcées<br />
dans «Les Derniers Jedi».<br />
Une scène illustre particulièrement pour<br />
moi tout le tiraillement du personnage :<br />
cette scène des «Derniers Jedi», que<br />
l’on voyait déjà dans le trailer du film,<br />
où Kylo Ren ressent la présence de sa<br />
mère Leia sur le vaisseau, et hésite à tirer<br />
pour le faire exploser, avant de renoncer<br />
au dernier moment. Adam Driver et<br />
la regrettée Carrie Fisher font une<br />
performance absolument remarquable<br />
dans cette scène. Il n’y a pas besoin de<br />
mots, absolument tout passe dans leurs<br />
regards. Toute la tension du moment,<br />
toute l’émotion, se dégagent uniquement<br />
de leurs regards. Brillant.<br />
Tout le reste du film, Kylo Ren passe<br />
d’un extrême à l’autre, en se liant<br />
progressivement avec Rey, jusqu’à tuer<br />
lui-même son maître, puis en reprenant<br />
la tête du Premier Ordre lorsque Rey<br />
refuse de s’allier à lui. Et pourtant, même<br />
là, si on en juge par la dernière scène<br />
du personnage (où là encore, tout se
85<br />
passe dans les regards de Driver et Daisy<br />
Ridley), on peut voir que son destin<br />
n’est pas scellé et que le tiraillement est<br />
toujours présent. On ne peut clairement<br />
pas prédire comment l’arc narratif de<br />
ce personnage va se clore, et c’est<br />
sûrement ce qui va rendre le neuvième<br />
opus de la saga passionnant. Dieu que ce<br />
personnage est classe.<br />
Pourtant, ce rôle de Kylo Ren, s’il l’a fait<br />
vraiment connaître auprès d’un public<br />
plus large, n’a hélas pas apporté à Adam<br />
Driver que des admirateurs, et ce, dès<br />
«Le Réveil de la Force».<br />
« Kylo Ren est moche LOL, il aurait dû<br />
garder son casque MDR, et l’acteur est<br />
trop pas crédible. » Je me permets de<br />
synthétiser les nombreux commentaires<br />
négatifs que j’ai lus à son sujet. Déjà,<br />
on passera sur l’attaque absolument<br />
gratuite sur le physique (parce que bon,<br />
juger un acteur uniquement parce que<br />
son physique ne vous sied pas, c’est un<br />
peu faible). D’autant plus que je sais que<br />
c’est subjectif, et que chacun son point<br />
de vue, mais non, Adam Driver n’est<br />
pas moche. Loin de là. Et son physique<br />
atypique fait justement tout son charme.<br />
C’est mon avis. Mais là n’est pas la<br />
question. Je voudrais surtout lever ici<br />
une tribune de défense pour son talent.<br />
Adam Driver confère à ce personnage de<br />
Kylo Ren/Ben Solo toute sa subtilité de<br />
jeu, parfaite pour ce rôle d’antagoniste<br />
fragile (dans le bon sens du terme). C’était<br />
déjà visible dans «Le Réveil de la Force»,<br />
et c’est encore plus mis en avant dans<br />
«Les Derniers Jedi», à tel point que je<br />
pense sincèrement qu’il livre la meilleure<br />
performance de tout le casting.
86<br />
Je défendais déjà le personnage de Kylo Ren après «Le Réveil de la Force», tout en<br />
laissant dire les critiques. Mais après «Les Derniers Jedi», je refuse catégoriquement<br />
d’entendre dire que Kylo Ren n’est pas un personnage passionnant. Même, vous<br />
savez ce qui m’a fait vraiment plaisir quand le film est sorti ? De lire ou d’entendre<br />
ça et là que certaines personnes qui n’aimaient pas le personnage dans l’épisode VII<br />
l’ont trouvé génial dans le VIII, et ont revu leur jugement.<br />
Adam Driver est bon. Il est même excellent. Et c’est pourquoi je ne comprends<br />
toujours pas que sa performance dans ce rôle, et spécialement dans Les Derniers<br />
Jedi, n’est pas plus été récompensée, ou au moins nommée, alors que toutes ses costars<br />
dans le film l’ont été, à de multiples reprises (et je suis très fière pour eux, mais<br />
Adam Driver deserves it too).<br />
Pour toutes ces raisons, et parce que je sais qu’Adam Driver n’est qu’au début d’une<br />
carrière déjà très prometteuse, je n’aurais de cesse de défendre le talent encore trop<br />
sous-estimé, à mon sens, de cet acteur en tous points remarquable.<br />
Melody Revers
87
88<br />
22/08
89<br />
BlacKkKlansman :<br />
Spike Lee enragé
90<br />
Disparu des radars cannois depuis 2002 dans la<br />
section Un Certain Regard avec «Ten Minutes Older»,<br />
Spike Lee a fait un retour en grandes pompes<br />
sur la Croisette en amenant son dernier film «BlacKkKlansman»<br />
directement en Compétition officielle et<br />
grand bien lui fasse puisque le réalisateur est reparti<br />
avec entre ses mains le Grand Prix. Une distinction<br />
éminemment politique faisant autant écho au passé<br />
qu’à l’Amérique «so white» de Donald Trump.<br />
«BlacKkKlansman» c’est l’histoire vraie de Ron<br />
Stallworth, premier officier Noir américain du Colorado<br />
Springs Police Department qui, bien décidé<br />
à faire bouger les choses dans une société encore<br />
réfractaire aux droits des noir·e·s au début des années<br />
70, se lance dans une mission quasi-suicide :<br />
infiltrer le Ku Klux Klan et dénoncer ses malversations.<br />
A travers des échanges téléphoniques, Ron<br />
réussit à intégrer l’Organisation - comme ils aiment<br />
s’appeler - et devient un interlocuteur privilégié avec<br />
Davis Duke, «Grand Wizard» du KKK alors que c’est<br />
son collègue Flip Zimmerman qui est en charge de<br />
prendre la place de Ron lors des rendez-vous avec<br />
les membres du Klan. Au cours de cette enquête<br />
périlleuse, Stallworth et Zimmerman découvriront la<br />
tactique du KKK consistant à épurer son discours<br />
pour le faire passer en douceur auprès du plus grand<br />
nombre tandis que d’autres membres préparent une<br />
attaque meurtrière envers un groupe d’afro-américain•e•s<br />
revendiquant leurs droits.<br />
À l’heure où l’Amérique de Donald Trump est encore<br />
marquée par les terribles évènements survenus<br />
à Charlottesville, Spike Lee s’invite dans la danse<br />
pour mettre un bon coup de pieds dans les corones<br />
du gouvernement US et malgré l’action se déroulant<br />
dans les années 70, le réalisateur n’hésite pas<br />
à envoyer quelques piques bien senties à l’actuel<br />
président avec notamment des reprises de ses plus<br />
célèbres phrases avec par exemple un des membres
91<br />
du KKK clamant vouloir redonner sa grandeur au<br />
pays («give back America her greatness») ou encore<br />
lors de cette scène d’ouverture avec un Alec Baldwin<br />
- qu’on rappelle presque imitateur officiel de Donald<br />
Trump dans le Saturday Night Live - vociférant<br />
des insanités sur fond de Naissance d’une nation<br />
(1915). La charge est immense - et tristement d’actualité<br />
- pour Spike Lee qui veut son film comme une<br />
réponse au racisme non seulement aux Etats-Unis<br />
mais également dans le monde entier. Mais loin de<br />
faire seulement de «BlacKkKsman» un film politique,<br />
c’est également - et peut-être avant tout - une véritable<br />
comédie prête à tourner au ridicule racistes et<br />
extrémistes en tout genre.<br />
Porté par un duo aussi drôle que dynamique et charismatique<br />
Adam Driver/John David Washington et<br />
des seconds couteaux loin d’être en reste que ce<br />
soit le grand manitou David Duke (Topher Grace)<br />
certain de différencier un noir d’un blanc à sa façon<br />
de s’exprimer ou encore Felix Kendrickson (Jasper<br />
Pääkkönen), extrémiste parmi les extrémistes.<br />
S’il fallait lui trouver un défaut à ce «BlacKkKlansman»<br />
il résiderait dans sa conclusion en total décalage<br />
avec l’esprit du film où s’enchaîne images<br />
terribles de manifestations, de violences envers les<br />
minorités et ces terribles images de Charlottesville<br />
lorsqu’une voiture a foncé sur des manifestants anti-racisme<br />
faisant un mort, une jeune femme à qui<br />
le film est dédié. Malgré les portes déjà grandes ouvertes<br />
que Spike Lee défonce à la fin de son film -<br />
appuyant un sous-texte déjà limpide -, on ne pourra<br />
pas lui retirer une chose : le réalisateur de 61 ans n’a<br />
toujours rien perdu de sa hargne et ça nous rassure.<br />
Margaux Maekelberg
92
LE «BLACKKKLANSMAN» DE SPIKE LEE S’OUVRE SUR UN ALEC BALDWIN INCARNANT UN SU-<br />
DISTE DÉBLATÉRANT INEPTIES SUR INEPTIES ALORS QUE LES IMAGES DE «NAISSANCE D’UNE<br />
NATION» DÉFILENT SUR SON VISAGE. CE FILM DE 1915 EST UN JALON DANS L’HISTOIRE AU-<br />
TANT POLITIQUE QU’ARTISTIQUE DES ETATS-UNIS. OEUVRE OUVERTEMENT RACISTE QUI SUS-<br />
CITA POLÉMIQUES SUR POLÉMIQUES PENDANT DES ANNÉES ET PARADOXALEMENT OEUVRE<br />
FONDAMENTALE DANS L’HISTOIRE DU CINÉMA, SES TECHNIQUES ET VÉRITABLE RAZ-DE-MA-<br />
RÉE AU BOX-OFFICE, RETOUR SUR LE FILM QUI AURA DES RETOMBÉES INESPÉRÉES SUR LE<br />
PAYS - ET LE CINÉMA EN GÉNÉRAL -.<br />
MARGAUX MAEKELBERG<br />
93
94<br />
Thomas Dixon<br />
Encore récemment se posait la question «Peut-on<br />
séparer l’artiste de l’oeuvre ?» après les soulèvements<br />
et vents de contestation qu’ont provoqués les<br />
mouvements #MeToo #BalanceTonPorc… Mais<br />
qu’en est-il d’une oeuvre sur la forme absolument<br />
révolutionnaire mais complètement abjecte sur<br />
le fond ? La question peut encore faire débat<br />
aujourd’hui.<br />
Entre 1902 et 1907, Thomas Dixon - ancien acteur<br />
député de la Caroline du Nord - a publié une trilogie<br />
littéraire («The Leopard’s Spots», «The Clansman» et<br />
«The Traitor») dans lesquels s’entremêlent histoires<br />
d’amour, mise en avant du Ku Klux Klan comme une<br />
alternative efficace contre l’oppression faite contre<br />
la race blanche et des propos baignant dans un<br />
racisme indigeste. Des oeuvres qui lui ont valu bon<br />
nombre de critiques à l’époque. Et comme si ça ne<br />
suffisait pas, Dixon rajoute de l’huile sur le feu en<br />
adaptant ses deux premiers romans dans une pièce<br />
prénommée «The Clansman». Absolument admiratif<br />
de la manière dont le Ku Klux Klan a été décrit par<br />
Dixon dans sa pièce - les preux chevaliers au secours<br />
des pauvres blancs agressés par des noirs -, D.W<br />
Griffith achète les droits à Dixon pour la modique<br />
somme de 2 500$ auxquels s’ajoutent 25% sur les<br />
recettes totales du film. Sans savoir qu’il serait un<br />
succès au box-office, Dixon est ainsi devenu l’auteur<br />
ayant reçu le salaire le plus élevé pour une cession<br />
de droits pour une adaptation <strong>ciné</strong>matographique.<br />
Bien joué le Dixon !
95<br />
extrait de ‘‘naissance d’une nation’’<br />
Le tournage début le 4 juillet 1914 pour une durée de neuf semaines et une sortie prévue en<br />
février de l’année d’après. On comptabilisera environ 500 figurants et un budget avoisinant les<br />
110 000 dollars. Un film à petit budget comparé aux millions qu’il engrangera - la polémique<br />
aidant largement -. Le film suit le destin croisé de deux familles : les Stoneman au Nord et les<br />
Cameron au Sud tout en s’appuyant sur ce qui se passe avant, pendant et juste après la guerre<br />
de Sécession (1861 - 1865). Griffith fait dans l’inédit en proposant un long-métrage d’une<br />
durée - exorbitante - de 3h15 pour dépeindre les différents problèmes que rencontrent ces<br />
deux familles. Au casting on y retrouve de grands noms du <strong>ciné</strong>ma muet comme Lillian Gish<br />
- avec qui il tournera 13 films - ou encore Mae Marsh. Griffith use de ses talents - oui il faut le<br />
reconnaître - de réalisateur et de metteur en scène pour crée un montage qui permet au film<br />
de supporter ses trois heures et ainsi garder un certain fil tendu tout au long de l’histoire. Que<br />
ce soit en utilisant les flashbacks, les gros plans et - quelques - travellings (la plupart du temps<br />
nous étions face à une caméra fixe), Griffith sait utiliser les procédés mis à sa disposition pour<br />
donner à «Naissance d’une nation» presque des allures de documentaire. Alternant fiction et<br />
encarts historiques (cf. L’assassinat d’Abraham Lincoln multipliant les points de vue est filmé<br />
de manière très intéressante et d’ailleurs la plupart des reconstructions historiques tiennent<br />
d’une grande minutie), le film de Griffith a des allures de superproduction pour son époque<br />
avec ses scènes de batailles, et notamment dans sa seconde partie - plus que contestable sur<br />
son fond évidemment - où le rythme et le montage défilent à une cadence folle et notamment<br />
dans son dernier quart d’heure de par un montage alterné entre Ku Klux Klan libérant les<br />
blancs oppressés et début de révolte chez les noirs.
96<br />
Véritable révolution dans le <strong>ciné</strong>ma,<br />
«Naissance d’une nation» n’en reste pas<br />
moins une oeuvre contestable dans son<br />
propos - propos qui lui vaudra d’ailleurs bien<br />
des ennuis après sa sortie - qui engendra<br />
des changements autant au <strong>ciné</strong>ma que<br />
dans les plus hautes sphères politiques.<br />
Si l’on outrepasse l’aspect purement<br />
technique du film, de nombreux points ont<br />
de quoi en choquer plus d’un. Notamment<br />
la représentation des noirs qui apparaissent<br />
comme de simples sauvages, pilleurs,<br />
destructeurs, violeurs et avides de pouvoir<br />
- le Quinté gagnant - tandis que l’Américain<br />
caucasien - et bourge évidemment - apparaît<br />
comme le sauveur de la population et le Ku<br />
Klux Klan comme les Chevaliers de la table<br />
ronde dans un élan patriotique défiant toute<br />
concurrence. Le tout avec un casting 100%<br />
blanc - les noirs étant tout simplement des<br />
acteurs blancs maquillés -, Griffith coche<br />
toutes les cases du film 100% raciste. Bingo.<br />
Lorsque la NAACP (National Association<br />
for the Advancement of Colored People) a<br />
eu vent de la sortie de ce film, elle a tout<br />
fait pour l’interdire - connaissant déjà les<br />
précédentes oeuvres de Dixon - avant même<br />
de l’avoir vu. Malheureusement leurs craintes<br />
rassemblement de la NAACP<br />
se sont confirmées lorsqu’ils ont finalement<br />
pu visionner le film. À la suite de quoi, elle<br />
demande au siège nationale de la NAACP à<br />
New-York d’agir.<br />
« [Le film est] historiquement inexact<br />
et, avec un certain génie, conçu pour<br />
excuser et justifier les lynchages et<br />
autres actes de violences commis à<br />
l’encontre du Nègre. »<br />
Les diverses branches de l’association<br />
mettent en place des campagnes<br />
pour interdire la diffusion du film. Des<br />
contestations dont les voix se font de plus<br />
en plus fortes poussent même le président<br />
Woodrow Wilson à nier d’avoir approuvé ce<br />
film - alors qu’il l’a diffusé à la Maison Blanche<br />
pour faire plaisir à Thomas Dixon qui était<br />
un ancien camarade de lycée -. D’un autre<br />
côté, ce vent de colère attise aussi l’ennemi.<br />
On recense régulièrement des accrochages<br />
et agressions dont la mort d’un lycée noir de<br />
15 ans, abattu par un homme blanc sortant<br />
du film à Lafayette dans l’Indiana.<br />
Cependant, la NAACP se retrouve bien vite<br />
prise à son propre piège quant à la demande<br />
de censure de «Naissance d’une nation», les
97<br />
organisations fébriles à l’idée que des manifestations se transforment en publicité gratuite pour<br />
le film. Et après de moult efforts, la récompense est loin d’être à la hauteur du travail fourni<br />
puisque dans la plupart des états le film est diffusé après qu’il ai subi quelques légères coupes<br />
(la poursuite de Flora Cameron par un noir, le harcèlement que subit Elsie Stoneman de la part<br />
de Silas Lynch et la vengeance du Ku Klux Klan contre celui qui a provoqué le suicide de Flora)<br />
excepté dans l’Ohio et le Kansas où le film est interdit. Néanmoins il faut souligner le fait que les<br />
plus grandes craintes des hauts dirigeants de la NAACP ne se sont pas réalisés c’est-à-dire des<br />
assassinats de masse ou des émeutes raciales. Et d’ailleurs bien des années plus tard, le film fut<br />
interdit dans plusieurs Etats durant la Première Guerre mondiale afin d’éviter des tensions entre<br />
soldats noirs et blancs.<br />
extrait de ‘‘naissance d’une nation’’<br />
Non, le dégât le plus important<br />
qu’a provoqué «Naissance<br />
d’une nation» est bel et bien<br />
la renaissance du Ku Klux Klan<br />
impulsé par William J. Simmons<br />
- enseignant en Alabama -<br />
qui tira du film l’image qu’on<br />
connaît aujourd’hui du Klan,<br />
celle d’un cavalier avec une<br />
croix en feu. Les publicitaires<br />
du film s’en donnent alors à<br />
coeur joie en créant produits<br />
dérivés sur produits dérivés<br />
en passant par les coiffes, les<br />
robes et s’offrant même les<br />
services de cavaliers vêtus de la<br />
tenue ‘’officielle’’ du Klan pour<br />
promouvoir le film. Même si le<br />
film n’a pas eu d’impact direct<br />
sur le nombre d’adhérents - il<br />
n’augmentera qu’après 1921<br />
lors que le Klan se lancera dans<br />
le recrutement professionnel -,<br />
Simmons avoue que le film a eu<br />
un effet bénéfique pour le KKK.<br />
Un Ku Klux Klan qui, il faut le<br />
noter, a changé son idéologie<br />
pour l’élargir et ainsi attiré le<br />
plus d’Américains possibles -<br />
blancs évidemment - contre une<br />
menace extérieure (et non plus<br />
seulement intramuros) venait<br />
notamment de l’Europe.
98
99<br />
Mais là où le paradoxe est finalement assez drôle, c’est<br />
lorsque Griffith - réalisateur considéré alors plus que<br />
«bankable» pour son époque - sort en 1916 «Intolérance»,<br />
un pamphlet sur l’acceptation de l’autre. Ironique non ? Ce<br />
film signera d’ailleurs le déclin de la carrière d’un homme qui<br />
finalement, a peut-être juste voulu faire du <strong>ciné</strong>ma.<br />
Car là où Thomas Dixon avec ses oeuvres littéraires se<br />
proclamait haut et fort chef de file de la propagande - il<br />
n’hésite d’ailleurs pas à souhaiter que «tous les Nègres<br />
[soient] chassés des Etats-Unis» et affirme que sa pièce<br />
«The Clansman» avait pour but premier de «développer<br />
un sentiment de répulsion chez les personnes de race<br />
blanche, et particulièrement chez les femmes, contre les<br />
hommes de couleur… d’éviter les mélanges entre le sang<br />
blanc et le sang nègre par le biais des mariages mixtes» -,<br />
D.W Griffith ne cherchait qu’à faire du <strong>ciné</strong>ma. D’ailleurs à<br />
bien y lire l’introduction de sa seconde partie : «Ceci est une<br />
représentation historique de la Guerre Civile et de la Période<br />
de Reconstruction, et n’a pour but de refléter aucune race<br />
ou population d’aujourd’hui.»<br />
Alors simple égarement, maladresse ou foutage de gueule<br />
complet ? On ne le saura jamais. Il n’empêche qu’on le<br />
veuille ou non, «Naissance d’une nation» aura marqué bien<br />
plus qu’un pays, il aura autant révolutionné le <strong>ciné</strong>ma muet<br />
que secoué les cercles politiques de l’époque dont le statut<br />
est reste flou mais au moins on pourra se mettre d’accord<br />
sur une chose : Griffith aura posé l’un des fondements du<br />
<strong>ciné</strong>ma, celui de susciter des débats encore bien des années<br />
après.
100<br />
29/08
101<br />
Sauvage<br />
La Semaine de la critique recèle très souvent de jolis morceaux de<br />
<strong>ciné</strong>ma et a largement confirmé son statut de dénicheur de perles<br />
que ce soit avec «Grave» (Julia Ducournau), «Ava» (Léa Mysius) ou<br />
encore «Oh Lucy !» (Atsuko Hirayanagi). Et cette année le film qui a<br />
fait trembler la Croisette est français cocorico ! Premier long-métrage<br />
de Camille Vidal-Naquet, «Sauvage» cache plutôt bien son jeu derrière<br />
son scénar aussi simple qu’il est brut de décoffrage : un jeune homme<br />
de 22 ans qui se prostitue pour (sur)vivre cherche désespérément<br />
l’amour sans jamais le trouver.
102<br />
Nous allons de surprise en surprise avec «Sauvage», quel paradoxe qu’est<br />
ce film. Aussi doux qu’il est âpre, aussi tendre qu’il est violent… Le long-métrage<br />
de Vidal-Naquet est absolument sans concession - au sens propre<br />
comme au sens figuré -, plongée intimiste au coeur de la prostitution masculine<br />
à travers Léo, un jeune homme de 22 ans qui enchaîne rencontres<br />
sur rencontres alors que le garçon est clairement en recherche d’amour.<br />
Il craque d’abord pour Ahd, un autre jeune homme qui se prostitue mais<br />
qui ne l’aime pas en retour - il le clame même haut et fort, il n’est pas<br />
gay - et cherche juste un homme plus âgé pour se sortir de cette galère.<br />
Ensuite il s’éprend pour un autre garçon avant de se résigner - plus ou<br />
moins - à vivre aux crochets de Claude. Sauf qu’entre-temps, Léo galère<br />
pas mal entre des rencontres qui ne finissent pas toujours bien, un organisme<br />
qui le lâche à petit feu et cette envie consumante de connaître<br />
l’amour avec un gigantesque A. Un trop plein de sentiments qui joue de<br />
mauvais tours à Léo, le menant de désillusion en désillusion.<br />
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Vidal-Naquet ne passe pas par<br />
quatre chemins. Complètement brut de décoffrage, le film se permet d’aller<br />
là où personne ne va jamais - le terrain de la prostitution masculine<br />
bien plus tabou que la féminine - avec une attention et un regard profondément<br />
humain, jamais moralisateur sur ces hommes tapis dans l’ombre<br />
à la lisière de la forêt, survivant comme ils peuvent, chacun avec sa personnalité<br />
entre un qui cherche l’amour, l’autre l’argent ou encore un autre<br />
qui fait ça pour le plaisir. La caméra filme les corps aussi abruptement<br />
que sensuellement dans des scènes aussi torrides que violentes - aussi<br />
physiquement que psychologiquement -. Et au coeur de ce déchaînement<br />
corporel, une lueur d’espoir pour Léo, celle d’aimer et surtout d’être<br />
aimé en retour : par un homme surtout, mais même la moindre marque<br />
d’affection lui conviendra - cette longue étreinte entre Leo et le docteur<br />
qui le soigne - et tant pis s’il doit être roué de coups pour y parvenir, il<br />
s’accroche jusqu’au bout.<br />
«Sauvage» est une formidable pépite du <strong>ciné</strong>ma français porté par un<br />
Félix Maritaud (déjà aperçu dans «120 BPM») transcendant de justesse et<br />
d’émotion et récompensé - à juste titre - du Prix Fondation Louis Roederer<br />
de la Révélation. Une découverte de l’amour, une découverte de soi,<br />
un formidable film où se côtoie les extrêmes et où les corps et les coeurs<br />
abîmés sont perpetuellement en quête de ce quelque chose qui semble<br />
toujours innacessible.<br />
Margaux Maekelberg
DE CAMILLE VIDAL-NAQUET. AVEC FÉLIX MARITAUD, ERIC BERNARD... 1H39<br />
103
104<br />
Félix Maritaud :<br />
À corps et à sang
105<br />
Il ouvrira et clôturera cet été 2018 : le 27 juin avec<br />
«Un Couteau dans le coeur» et le 29 août avec<br />
«Sauvage» dans lequel il tient le rôle principal. Félix<br />
Maritaud avait déjà attiré les projecteurs l’année<br />
dernière en tenant un rôle dans le film coup de<br />
poing 120 Battements par minute mais cette année<br />
il revient seul à la barre dans le tout premier longmétrage<br />
de Camille Vidal-Naquet. À seulement 25<br />
ans, le jeune homme s’est donné corps et âme pour<br />
son premier grand rôle, une performance qui marque<br />
certainement le début d’une grande carrière.<br />
Pourtant les débuts du natif d’un petit village du<br />
Berry ne sont pas de tout repos comme le relate Le<br />
Monde. Parti parcourir l’Europe et vivant de petits<br />
boulots dégotés par ci par là, il entre finalement<br />
aux Beaux-Arts de Bourges avant de quitter sa<br />
formation faute de moyens et de retourner vivre<br />
chez ses parents. C’est finalement un coup de fil qui<br />
va bouleverser tous ses plans de carrière alors qu’il<br />
avait accepté un travail de jardinier pour la ville de<br />
Metz. Un appel où on lui propose de se présenter<br />
au casting de «120 battements par minute». Le<br />
hasard faisait finalement bien ses choses, Félix<br />
Maritaud est retenu pour jouer le rôle de Max. Un<br />
tournage de 33 jours pour un film qui aura eu un<br />
retentissement incroyable sur la Croisette avec une<br />
critique dithyrambique que ce soit en France ou à<br />
l’international - à défaut de récupérer la Palme d’Or<br />
-.<br />
« Dès le premier jour du tournage, on savait<br />
tous qu’on allait faire un grand film. Le<br />
tournage, c’est une aventure collective.<br />
Celle-ci a été énorme. »<br />
Le garçon enchaîne les tournages de courts-métrages<br />
dont le premier «Les îles» s’est fait sous la direction de<br />
Yann Gonzalez, réalisateur qu’il retrouvera encore cette<br />
année à Cannes puisqu’il joue dans son dernier longmétrage<br />
«Un Couteau dans le coeur» avec notamment<br />
Vanessa Paradis. Mais c’est bel et bien à la semaine<br />
de la critique que le garçon brille de mille feux. Dans<br />
«Sauvage» il incarné Léo, un jeune prostitué de 22 ans<br />
libre, fougueux et amoureux. Un rôle aussi physique<br />
que psychologique pour l’acteur qui a pris des cours<br />
de danse avec le chorégraphe Romano Bottinelli pour<br />
appréhender son corps et sa façon de tomber au sol.<br />
« Quand j’ai lu le scénario la première fois, je<br />
pense que je suis tombé amoureux de lui dans<br />
le sens où j’étais devant un mec en dehors de<br />
toute convention. »<br />
Véritable film qui s’est joué à l’instinct pour<br />
Félix Maritaud et qui ne l’a pas laissé totalement<br />
indemne. Lui qui a l’habitude d’être plus dans le<br />
mental, il a du faire tomber ses barrières pour se<br />
jeter à corps perdu dans ce rôle et ressentir son<br />
personnage non plus avec l’esprit mais avec le<br />
corps. Un tournage qui fut fatigant pour le jeune<br />
homme dont le corps a été mis à rude épreuve et<br />
qui a eu besoin d’un petit temps de ré-adaptation<br />
et ré-appropriation de soi. Il revient d’ailleurs sur<br />
un moment marquant dans ce tournage : «J’ai<br />
perdu le contrôle une fois, et j’ai chialé toute une<br />
demi-heure après une prise sans comprendre ce<br />
qui se passait. C’était intense.»<br />
Nouvelle gueule - prometteuse - du <strong>ciné</strong>ma<br />
français, Félix Maritaud ne compte certainement<br />
pas s’arrête en si bon chemin puisqu’il se lance<br />
dans une nouvelle aventure : celle de l’écriture en<br />
préparant un long-métrage tiré d’un livre de Jean<br />
Genet qu’il tournera d’ici quatre ans. En tout cas<br />
on a déjà hâte.<br />
Margaux Maekelberg
106<br />
29/08<br />
guy<br />
Après “Le talent de mes amis” (2015), Alex Lutz revient derrière la caméra avec “Guy”,<br />
film de clôture de cette 57e Semaine de la Critique à Cannes. Faux documentaire qui se<br />
consacre à un chanteur de variété rappelant Claude François, “Guy” est une très belle mélancolie<br />
s’abandonnant à la nostalgie.<br />
En filmant Guy Jamet (Alex Lutz), cet artiste has been depuis plusieurs années, Gauthier<br />
(Tom Dingler), jeune journaliste enquête aussi sur ce qui pourrait s’avérer être son père<br />
suite à mystérieux mot laissé par sa mère. Inévitablement le film joue sur ce faux qui devient<br />
vrai (ou ce vrai qui devient faux), malheureusement, la chose n’est pas assez poussée<br />
à cause du générique d’introduction qui évacue rapidement les doutes. Cela est regrettable,<br />
car il y a un réel travail de toute l’équipe pour amener à une totale immersion et un fort<br />
réalisme dans cet univers si singulier.<br />
Car, outre quête évidente du père de Gauthier ou celle de Guy Jamet pour renouveler son<br />
public autant que l’entretenir, c’est la quête d’Alex Lutz pour raviver un passé pas tout à fait<br />
mort, mais plus tout à fait vivant : celui de la variété française qui nous intéressera le plus.<br />
Genre musical singulier qui a vu éclore France Gall, Claude François et tant d’autres ! De ces<br />
recherches diverses, mais ayant le même but, la même volonté : découvrir qui sont-ils, d’où<br />
viennent-ils, Gauthier, Guy et Alex dégagent une tendresse certaine face à un monde qui se<br />
dérobe à eux. Pire même, qui les fuit. Tout le contraire de la mise en scène d’Alex Lutz qui<br />
nous confronte directement à ces personnages. Impossible d’échapper à leur misère, leur<br />
détresse, leurs questionnements, leurs moments de joie ou ceux d’égarement. Et au fond,<br />
veut-on y échapper ? Le cocon formé par “Guy” nous rend à notre tour nostalgique et nous<br />
rappelle à notre bon vouloir ces paradis perdus que chacun.e tente, un jour ou l’autre, de<br />
retrouver.<br />
Wade Eaton<br />
DE ALEX LUTZ. AVEC ALEX LUTZ, TOM DINGLER, PASCALE ARBILLOT... 1H41
107
108<br />
Douze hommes<br />
en colere
LITTÉRALEMENT PARLANT, LE TERME HUIS CLOS SIGNIFIE ‘’PORTES ET FENÊTRES CLOSES’’<br />
AINSI, L’ACTION DOIT SE DÉROULER DANS UN SEUL ET MÊME LIEU TOUT AU LONG D’UNE ŒUVRE.<br />
UNE ISSUE SUR LE MONDE EXTÉRIEUR SE FERME ALORS, CLOISONNANT LES PERSONNAGES<br />
ENTRE EUX. UN VÉRITABLE PROCÉDÉ THÉÂTRAL QUI SE REFUSE D’UTILISER LES LIBERTÉS<br />
DE DÉCORS VARIÉS POSSIBLES AU CINÉMA POUR SE RÉDUIRE À UN UNIVERS PROCHE DE LA<br />
SCÈNE. LE HUIS CLOS EST ANCRÉ DANS LE SEPTIÈME ART DEPUIS DES ANNÉES COMME ÉTANT<br />
UN VÉRITABLE SOUS-GENRE CINÉMATOGRAPHIQUE À PART ENTIÈRE, GRÂCE NOTAMMENT À<br />
CETTE MANIÈRE SUBTILE QU’IL A DE SUBLIMER L’INTIME ET LE PRIVÉ.<br />
MARION CRITIQUE<br />
109
110<br />
“Douze hommes en colère” respecte d’une main de maître les règles fondamentales d’un<br />
parfait huis clos, bien souvent cité comme étant la référence absolue du genre. Le rideau<br />
s’ouvre sur une salle d’audience qui traite d’un véritable drame familial. Un jeune homme,<br />
originaire d’un milieu pauvre, est accusé d’avoir assassiné son père en lui plantant un couteau<br />
dans le cœur. Les preuves sont formelles et accablantes. Les douze jurés se retirent alors<br />
dans la salle de délibération pour juger à l’unanimité de la culpabilité du jeune homme. S’il<br />
est prononcé coupable, ce dernier sera condamné à la chaise électrique. Dans un premier<br />
temps, la totalité des jurés sont persuadés que le jeune homme a bel et bien assassiné son<br />
père, excepté le juré numéro huit. Celui-ci est bien décidé à ne pas être responsable de la<br />
mort de l’accusé, sans avoir pris le temps d’en discuter sérieusement. S’ensuit alors une<br />
incroyable remise en question générale et une féroce bousculade de convictions.<br />
Le premier long-métrage de Sidney Lumet persiste et signe après plus de soixante ans en<br />
traversant les années et en conservant son unicité et sa légende. Toute la force du film réside<br />
dans les personnages qui nous offrent un florilège de personnalités remarquablement bien<br />
étudiées. Les douze hommes aux origines sociales variées, sont tous différents, cependant<br />
chacun a son rôle à jouer quant à l’avancée de la délibération. Les interventions des uns et<br />
des autres pour convaincre l’assemblée sont subtilement menées et mettent en avant une<br />
véritable bataille entre les influents et les influençables. L’objectif même du film n’est pas
111<br />
réellement de connaître la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, mais bel et bien d’analyser<br />
les différentes réactions des jurés. Sidney Lumet en véritable chef d’orchestre, nous montre<br />
à quel point l’humanité et la force de conviction d’un seul homme peut parfois tout faire<br />
basculer et mettre en doute des certitudes personnelles.<br />
“Douze hommes en colère” tient son public en haleine et ne perd pas de son intensité durant<br />
quatre-vingt-quinze minutes de film. Le suspense est acharné pendant que les indécisions<br />
et les remises en question surplombent les esprits. Le spectateur devient donc le treizième<br />
juré et se retrouve à s’interroger en même temps que les douze hommes qui débattent sur<br />
la culpabilité du jeune accusé. La morale de l’histoire s’installe alors; le dénouement d’une<br />
vie peut-elle se décider sur un seul mot : ‘’coupable’’ ? Avec son œuvre, Sidney Lumet<br />
marque au fer rouge l’histoire du <strong>ciné</strong>ma et prouve que le Huis clos est un procédé riche et<br />
intense malgré une certaine simplicité. Henry Fonda crève l’écran et porte le film dans son<br />
rôle d’agitateur d’esprits, grâce notamment à son charisme légendaire et son jeu qui frôle la<br />
perfection. “Douze hommes en colère” est un plaidoyer en faveur de l’abolition de la peine<br />
de mort qui dénonce l’égoïsme détaché de certains à pouvoir envoyer un accusé à la mort,<br />
sans états-d’âme, ni prise de temps. Un véritable diamant brut qui n’a pas perdu de son<br />
éclat, coupable d’être un parfait chef-d’œuvre éternel.
112<br />
Buried Rodrigo<br />
Cortés (2010)<br />
Débrouillard dans sa manière de maximiser la petitesse de son budget et de son cadre,<br />
minimaliste à l’extrême (un cercueil... et c’est tout), intelligent dans sa critique virulente du<br />
système gouvernemental contemporain (la bureaucratie en prend plein la poire) et plus<br />
directement de la politique du pays de l’Oncle Sam (les implications morales de ses politiciens<br />
dans les conflits internationaux en tête) tout en traitant sobrement du sujet bouillant du<br />
terrorisme, effrayant - surtout pour les claustrophobes -, et au final jusqu’au-boutiste et<br />
déchirant; le film de Cortés nous fait le témoin privilégié d’un cauchemar six pieds sous<br />
terre tendu à l’extrême, en nous pliant complètement dans tous les sens, alors que le tout<br />
se passe, uniquement, dans une petite boite. Singulier, réglé comme une horlogerie suisse<br />
(pas de flashbacks, d’aérations inutiles ou de divers stratagèmes visuels, on y voit juste<br />
un homme, son téléphone, ceux qui sont au bout du fil, et son cercueil) et Hitchockien en<br />
diable (on pense instinctivement aux brillants “La Corde” et “Lifeboat”), “Buried” ne serait<br />
cependant rien sans la partition habitée d’un Ryan Reynolds proprement monstrueux (son<br />
plus beau rôle à ce jour). Avec son sens du timing hors du commun - il ne joue pas Paul<br />
Conroy, il il l’est -, littéralement au bord de la rupture (mentalement et physiquement, ses<br />
doigts étaient en sang et son corps rempli de terre quasiment à chaque fin de journée de<br />
tournage), l’acteur se détruit littéralement en dévoilant face caméra toute la rage, la peur,<br />
la colère, le désespoir et la frustration d’un homme injustement condamné à mort. Bref, un<br />
pur trip claustro qui en impose et qui tient méchamment en haleine durant une heure et<br />
demi, tout simplement.<br />
Jonathan Chevrier
113<br />
John Carpenter (1983)<br />
the thing<br />
Après avoir foulé le genre avec une certaine réussite pour le bouillant et engagé Assault,<br />
relecture moderne et totalement assumée du cultissime “Rio Bravo” de son idole Howard<br />
Hawks, et ayant vu sa côte méchamment grimpé à Hollywood avec le carton maousse<br />
costaud d’”Halloween, La Nuit des Masques”; le roi John Carpenter était revenu au huis clos<br />
horrifique avec rien de moins que son meilleur film : “The Thing”, remake de “La chose d’un<br />
autre monde” de Christian Nyby et... Howard Hawks. Sommet d’horreur paranoïaque incisif<br />
autant sur le fond que sur sa forme, s’attachant au destin funeste d’une équipe de chercheurs<br />
américains basé en Antarctique, attaquée par une forme de vie extraterrestre métamorphe;<br />
“The Thing” est un pur chef d’oeuvre qui prend le parti de la suspicion généralisée et de<br />
l’absence de solidarité dans le groupe pour incarner un moment de <strong>ciné</strong>ma aussi tendu qu’il<br />
est radical et effrayant, une lente descente aux enfers dont personne ne peut sortir sain et<br />
sauf (pas même le spectateur).<br />
Sobre et sans happy-end plombant, avec une distribution exclusivement masculine (Kurt<br />
Russell et Keith David en tête), des effets spéciaux hallucinants signés par un Bob Bottin<br />
alors au sommet de son art, une image nihiliste de l’âme humaine et une musique composée<br />
par Ennio Morricone, le métrage est d’une perfection quasi absolue; un bijou de huis clos qui<br />
sera pourtant adoubé sur le tard par les <strong>ciné</strong>philes ayant in fine attendu sa sortie en VHS<br />
pour en faire un monument du culte. Mieux vaut tard que jamais comme on dit..<br />
Jonathan Chevrier
114<br />
locke Steven<br />
Knight (2014)<br />
Terre à terre, minimaliste, emplit de pudeur et follement immersif, à travers cette chronique<br />
dans la banalité du quotidien sous forme de marathon/cauchemar éveillé dans lequel on ne<br />
peut se réveiller complètement indemne, “Locke” nous offre toute une tranche de vie d’un<br />
homme bien sur qui tout le monde compte, mais qui se voit rattrapé par les conséquences<br />
d’un acte isolé, remettant en jeu tous les fondamentaux de son existence : son mariage,<br />
ses enfants, son travail et même sa relation avec lui-même et sa conscience. Odyssée<br />
puissante et passionnante dans les recoins de la conscience d’un être intègre, rationnel,<br />
au calme permanent, confronté au poids d’un passé (aussi bien son moment d’égarement<br />
une ancienne conquête d’un soir prête à accoucher, que son enfance avec l’image d’un<br />
père absent qu’il ne veut pas reproduire), qui ressurgit abruptement et qui l’oblige à vivre<br />
des moments de vérité dévastateurs (tout dire à sa femme, qui ne voudra plus lui parler, et<br />
même à son patron, alors qu’il est attendu le lendemain à la tête d’un projet architectural<br />
très important), même s’il cherchera tout du long à tout contrôler et nuire à personne. Filmé<br />
en temps réel, vite débarrassé des limites de son unique et exigu unité de lieu (une voiture),<br />
de temps et de personnage, en nourrissant son suspense habilement écrit par une mise<br />
en scène discrète et inventive ainsi que par la partition dantesque d’un Tom Hardy fort<br />
et vulnérable à la fois; “Locke” est une vraie expérience émotionnelle - les larmes ne sont<br />
jamais loin -, personnelle (la notion des valeurs morales), intense et haletante, à la solitude<br />
constamment palpable.<br />
Jonathan Chevrier
Le saviez-vous ?<br />
DOUZE HOMMES EN COLÈRE (SIDNEY LUMET, 1957)<br />
- “DOUZE HOMMES EN COLÈRE” EST L’ADAPTATION D’UNE PIÈCE THÉÂTRALE DU MÊME NOM, ÉCRITE PAR REGINALD ROSE.<br />
L’ŒUVRE EST ÉGALEMENT À L’ORIGINE DE DIVERSES ADAPTATIONS DEPUIS SON SUCCÈS (DONT CELLES RÉALISÉES PAR NIKITA<br />
MIKHALKOV OU BIEN WILIAM FRIEDKIN).<br />
- HENRY FONDA, QUI TIENT LE RÔLE PRINCIPAL DU FILM, EN EST ÉGALEMENT LE PRODUCTEUR. IL CONFIE ALORS LA RÉALISATION<br />
À SIDNEY LUMET ET LUI OFFRE DONC SON PREMIER EXERCICE. IL S’AGIT DONC DES PRÉMICES D’UNE IMMENSE CARRIÈRE<br />
CINÉMATOGRAPHIQUE.<br />
- SOUCIEUX DE RESTER FIDÈLE À LA TECHNIQUE THÉÂTRALE, “DOUZE HOMMES EN COLÈRE” RESPECTE À LA LETTRE LA RÈGLE<br />
CLASSIQUE DES TROIS UNITÉS : UNITÉ DE LIEU, D’ACTION ET DE TEMPS.<br />
- DURANT L’INTÉGRALITÉ DU LONG-MÉTRAGE, AUCUN PATRONYME N’EST RÉVÉLÉ. EN EFFET, LES PROTAGONISTES NE SE<br />
NOMMENT QUE PAR LEUR NUMÉRO DE JURÉ. LE SPECTATEUR DÉCOUVRIRA CEPENDANT LES NOMS DES DEUX PREMIERS<br />
PERSONNAGES EN FAVEUR DE LA NON-CULPABILITÉ DE L’ACCUSÉ LORSQUE CES DERNIERS QUITTERONT LA SALLE D’AUDIENCE.<br />
BURIED (RODRIGO CORTÉS, 2010)<br />
- HISTOIRE D’APPROFONDIR LE RÉALISME DU FILM, DES PRISES DE SIX MINUTES SANS AUCUNE COUPE DE RYAN REYNOLDS ONT<br />
ÉTÉ ENREGISTRÉES. L’INVESTISSEMENT DE CE DERNIER A ÉTÉ SI INTENSE QU’IL A QUITTÉ LE TOURNAGE ÉMOTIONNELLEMENT<br />
ET PHYSIQUEMENT ÉPROUVÉ.<br />
- SUITE À CELA, RYAN REYNOLDS A D’AILLEURS DÉCLARÉ « JE NE ME PLAINDRAI PLUS JAMAIS SUR UN TOURNAGE (…) »,<br />
TANT LA DURETÉ DE CET EXERCICE SEMBLE L’AVOIR PROFONDÉMENT MARQUÉ. CEPENDANT, LE TOURNAGE N’A DURÉ QU’UNE<br />
DIZAINE DE JOURS DANS UN STUDIO À BARCELONE, EN ESPAGNE.<br />
THE THING (JOHN CARPENTER, 1983)<br />
- L’ENSEMBLE DE L’ÉQUIPE DE TOURNAGE PRÉSENTE SUR LE PLATEAU ÉTAIT SEULEMENT COMPOSÉE D’HOMMES (LES ACTEURS<br />
AINSI QUE LES TECHNICIENS). L’UNIQUE FEMME POTENTIELLEMENT PRÉSENTE EST TOMBÉE ENCEINTE BIEN AVANT LE TOURNAGE<br />
ET A ÉTÉ REMPLACÉE PAR UN HOMME.<br />
- CLINT EASTWOOD ÉTAIT TOUT D’ABORD PRESSENTI POUR INTERPRÉTER LE RÔLE PRINCIPAL DE MACREADY. CEPENDANT,<br />
JOHN CARPENTER S’EST FINALEMENT TOURNÉ VERS KURT RUSSEL, SON ACTEUR FAVORIS.<br />
- “THE THING” EST SORTI DANS LES SALLES OBSCURES LE 25 JUIN 1982, TOUT COMME UN AUTRE FILM CULTE DE SCIENCE-<br />
FICTION : “BLADE RUNNER”.<br />
- LA VOIX VIRTUELLE FÉMININE DE L’ORDINATEUR DE MACREADY EST CELLE D’ADRIENNE BARBEAU, ANCIENNE ÉPOUSE DE<br />
JOHN CARPENTER.<br />
115
116<br />
Alison Brie :<br />
Lutter pour<br />
mieux exploser<br />
« J’ai suivi un entraînement vocal à la Cal Arts où on nous a fait travailler la<br />
langue, le palais et tout le reste. Une discipline qui m’aura bien servi par la<br />
suite, car, de tous les atouts dont on dispose en tant qu’actrice, le corps est<br />
assurément le plus important. »
Elle n’a pas si tort que cela,<br />
la Brie, dont le joli minois<br />
aura assurément marqué<br />
les amoureux de la sitcom<br />
“Community” - mais pas que.<br />
Comme toute wannabe actrice<br />
désireuse de faire son trou à<br />
Hollywood et de perfectionner<br />
son acting avant de, peut-être,<br />
taper dans l’oeil des producteurs<br />
et des pontes des grosses<br />
majors (une bonne initiative que<br />
devrait suivre bon nombres de<br />
jeunes comédiens/comédiennes<br />
qui pointent chaque année le<br />
bout de leur nez dans divers<br />
blockbusters), c’est par la petite<br />
lucarne que la belle Alison fera<br />
ses gammes et remplira les<br />
premières lignes de son C.V<br />
bien fourni, après une double<br />
formation dramatique à la Cal<br />
Arts (California Institute of Arts)<br />
et la Royal Scottish Academy of<br />
Music and Drama.<br />
Passée par «Hannah Montana»<br />
(ouch), la web-série «My Alibi»<br />
(mieux) et la cultissime «Mad<br />
Men» (quasi-jackpot), c’est in<br />
fine avec le rôle d’Annie Edison<br />
dans le show «Community»<br />
des frangins Russo, véritable<br />
vivier de talents, que l’actuelle<br />
madame Dave Franco à la ville,<br />
se paiera son billet pour attirer<br />
les regards sur grand écran.<br />
Inconditionnelle des covers<br />
musicaux (avec les actrices de<br />
la web-série «My Alib «, Cyrina<br />
117
118
119<br />
Fiallo et Julianna Guill, elle a formé le cover<br />
band «The Girls», spécialisé dans les reprises de<br />
chansons célèbres) mais aussi de la franchise<br />
«Scream» de feu Wes Craven, son premier grand<br />
rôle après quelques bifurcations dans le cinoche<br />
indé ricain, se fera justement au casting du<br />
quatrième - et excellent - opus de la saga, où elle<br />
ne fera malheureusement pas long feu.<br />
« Adolescente, j’étais accro aux «Scream»,<br />
dont je connaissais les dialogues par coeur, et<br />
je me souviens qu’ils ont tourné le second près<br />
de chez moi. Je suis allé voir le tournage, et les<br />
voir travailler comme ça, tard dans la nuit,<br />
c’était vraiment cool. J’étais vraiment obsédée<br />
par la trilogie, et avec des amis, on a même<br />
tourné une petite parodie en vidéo intitulée<br />
Yell. Quelque part en jouant dans le quatrième<br />
film, la boucle est bouclée. »<br />
Mais loin de s’enterrer dans un potentiel statut de<br />
Scream Queen qui ne réussit guère à la majorité<br />
des jeunes comédiennes, c’est tout naturellement<br />
vers la comédie que sa personnalité pétillante<br />
va faire des ravages, autant en tant que second<br />
couteau de luxe («5 ans de Réflexion», «The<br />
King of Summer», «En Taule : Mode d’Emploi»,<br />
«Les Bonnes Soeurs», «The Disaster Artist»), que<br />
premier rôle remarqué (l’excellent «Jamais entre<br />
Amis», le moins défendable «Célibataire : Mode<br />
d’Emploi»).<br />
«GLOW» (dont la seconde saison est actuellement<br />
disponible sur la plateforme), où elle joue<br />
une actrice désespérément au chômage se<br />
reconvertissant en catcheuse professionnelle<br />
pour les besoins d’un show télévisé de plus en plus<br />
populaire (son lien avec Netflix s’étend même avec<br />
sa présence au casting vocal de la merveilleuse<br />
série animée «BoJack Horseman»), elle s’est offert<br />
une apparition chez rien de moins que Steven<br />
Spielberg, dans le brillant «Pentagon Papers»,<br />
sortie plus tôt cette année et reparti étonnamment<br />
bredouille de la course aux statuettes dorées.<br />
En attendant qu’un <strong>ciné</strong>aste de renom - ou pas<br />
- lui offre enfin le grand rôle qui lui permettrait<br />
de pleinement exploser au sein de la jungle<br />
Hollywoodienne et aux yeux des <strong>ciné</strong>philes du<br />
monde entier, l’actrice, trente-cinq au compteur<br />
(elle ne les fait pas), balade tranquillement mais<br />
sûrement son joli minois sur les deux médiums<br />
majeurs.<br />
D’ailleurs, on la retrouvera à nouveau, vocalement,<br />
d’ici février prochain au casting du très attendu<br />
«La Grande Aventure LEGO 2».<br />
Et force est d’avouer que, même si beaucoup<br />
d’entre nous n’aiment pas forcément le brie, il est<br />
nettement plus difficile de ne pas vraiment adorer<br />
la Brie (désolé...) !<br />
Jonathan Chevrier<br />
Mieux, alors qu’elle porte sur ses larges épaules<br />
la série originale - et vraiment délirante - Netflix
120<br />
Instant
séries<br />
121
122<br />
g ow<br />
On ne va pas se mentir, hormis un chef d’oeuvre bouillant et émouvant,<br />
mettant en lumière la carrière - et la vie - brisée d’un catcheur en bout<br />
de course, tout autant que la passion évidente de la lutte qui transpire<br />
d’un circuit indépendant rude, peu gratifiant et littéralement écraser par<br />
la surpuissance de la WWE - “The Wrestler” de Darren Aronofsky -; on ne<br />
peut pas vraiment dire que le monde de la lutte et du catch spectacle a<br />
réellement été mis en valeur autant sur le petit que sur le grand écran au<br />
fil des décennies.<br />
Et ce malgré, il est vrai, quelques essais remarquables (le dernier tiers de “La<br />
Taverne de l’Enfer” de Sylvester Stallone en tête) qui ne viendront pourtant<br />
pas rattraper quelques tâcherons bien gras - “No Holds Barred” avec Hulk<br />
Hogan...
Alors, voir que Netflix se lançait tête baissée sur le sujet<br />
l’an dernier, via un versant pas forcément attractif pour<br />
les non initiés sur le papier - une division de catch féminin<br />
dans les 80’s -, à une époque compliquée où l’âge d’or du<br />
catch semble un poil révolu (gageons sur les années 2000<br />
furent son dernier gros temps fort) et où les femmes n’ont<br />
pas toujours les moyens de truster quasiment tous les rôlestitres<br />
d’un show; “GLOW” avait tout du pari casse-gueule,<br />
même si les années 80 semblent férocement réussir à Netflix<br />
(“Strangers Things”).<br />
Chapeautée par le duo Liz Flahive/Carly Mensch (“Weeds”,<br />
“Nurse Jackie”) et de loin par Jenji “Orange is The New Black”<br />
Kohan, la série s’avérait in fine être l’une des plus belles<br />
surprises de 2017, comptant avec punch les coulisses de l’un<br />
des shows les plus ovniesques de la télévision US : Gorgeous<br />
Ladies of Wrestling aka GLOW, qui avait su se frayer un petit<br />
bout de chemin à l’antenne à une époque où les fans de<br />
catch ne vibraient - uniquement ou presque - que pour les<br />
«Wwwwhhhhooooo « de la légende Rick Flair, ou le charisme<br />
incroyable du roi Hogan - sans qui le catch ne serait pas ce<br />
qu’il est aujourd’hui.<br />
123
124<br />
Loin de n’être qu’une simple émission sur la lutte, ou quatorze<br />
femmes (actrices, top modèles, danseuses, cascadeuses,...) se<br />
crêpent le chignon en tenues colorées et sexy, ou poussaient<br />
même la chansonnette pour divertir des milliers de téléspectateurs<br />
: “GLOW” était avant tout une fenêtre de vision incroyable pour<br />
une poignée de femmes talentueuses, qui ont construites toutes<br />
seules leur route vers le succès.<br />
Dans la droite lignée d’”Orange is The New Black” avec sa galerie de<br />
personnages féminins hétéroclites et hautes en couleurs, véritables<br />
outsiders hors normes selon les conventions sociales, appelées<br />
à dévorer le petit écran à chaque épisode, la série, spectacle<br />
dans le spectacle, était une intelligente dramédie, attachante et<br />
férocement nostalgique (la reconstitution des 80’s est certes facile,<br />
mais franchement convaincante), totalement tournée vers sa pluie<br />
d’héroïnes en quête d’émancipation, elles-mêmes se déjouant<br />
continuellement des clichés qu’elles sont supposées incarner -<br />
autant dans le catch que dans la société US des années Reagan -;<br />
un condensé de loufoquerie franchement prenant, dominé par une<br />
Alison Brie étincelante, dans un premier rôle (celui de l’enthousiaste<br />
mais instable leader du groupe, Ruth, pas si éloignée de la Piper
de OITNB) enfin à la mesure de son talent - et ce, sans pour autant<br />
qu’elle vampirise le reste du casting.<br />
Véritable ode au girl power drôle (vraiment), énergique et<br />
émouvante, aussi subtilement engagée et politique qu’elle est<br />
didactique (notamment sur les arcanes artificielles du catch<br />
business), folle (mais pas autant que les comédies sportives de<br />
l’inégalable Will Ferrell, même si l’on pense souvent à “Semi-Pro”)<br />
et d’un charme fou; “GLOW”, évidemment loin des canons de la<br />
désormais vénérée Netflix (le moule de sa production commence<br />
tout de même à sentir le réchauffé, malgré des pitchs originaux),<br />
n’en était pas moins un excellent show qui frappe juste et fort<br />
(surtout quand il se déplace entre les cordes), et qui enchante par<br />
son infinie légèreté et la finesse de son écriture, magnifiée par un<br />
casting impeccable.<br />
Succès oblige, elle passe la seconde ces jours-ci et enfonce le clou<br />
du bon goût en transcendant les bons points de sa première salve<br />
d’épisodes pour rendre encore plus attachantes et consistantes ses<br />
vedettes (dont les ambitions diverses sont encore plus développés),<br />
cette fois-ci bien ancrée dans les joies de la télévision US - à une<br />
heure pas simple pour autant pour capter l’audience.<br />
125
126<br />
Féminine jusqu’au bout des ongles, avec sa mise en lumière criante de<br />
vérité d’une poignée de femmes tentant de s’imposer dans un monde<br />
du showbusiness à la dominance masculine abusive, férocement 80’s<br />
dans sa facture sans pour autant décliner une once d’engagement bien<br />
moderne (l’ombre de l’affaire Weinstein est plus ou moins directement<br />
citée, avec le big boss détestable de la chaîne); la saison 2 de “GLOW”,<br />
politique et cynique en diable, tord encore plus les préjugés entre<br />
les cordes avec malice, même si la dynamique de groupe laisse ici<br />
plus volontiers la priorité aux personnages forts de la troupe (une<br />
fois encore, c’est Ruth/Alison Brie qui en sort grande gagnante de la<br />
saison).<br />
Sans trembler, cette seconde cuvée, aussi addictive que la précédente<br />
- voire plus -, tient bon le compte de trois et prouve que le combat<br />
d’une femme pour exister dans la société ne se limite jamais qu’à<br />
travers un cadre bien précis, mais bien au jour le jour, 24h sur 24h.<br />
Vivement une troisième saison, si Netflix ne joue pas la carte de<br />
l’abandon ou de la disqualification...<br />
Jonathan Chevrier
127
128<br />
Cloak and Dagger<br />
Marvel a (enfin) trouvé son teen<br />
drama référence
129<br />
On ne reviendra pas sur la qualité hautement discutable des shows<br />
Marvel qui, hors Netflix (et encore, on n’oublie pas la calamiteuse “Iron<br />
Fist”, dont la seconde saison est plus que jamais dans les tuyaux),<br />
aura aligné plus de déceptions (“The Gifted”, “The Runaways”, “The<br />
Inhumans”,...) que de shows vraiment immanquables (“Legion”); reste<br />
adaptation d’une aventure papier sur le petit écran, un événement à<br />
part entière... et encore plus quand ledit comics n’est pas forcément<br />
connu du grand public.<br />
Librement adapté du plus ou moins confidentiel “La Cape et L’Épée”<br />
et chapoté par Joe Pokaski (scénariste de “Heroes” et de “Daredevil”),<br />
qui en modifie grandement la substance (changement de lieu, de<br />
background pour la naissance des pouvoirs et du statut social des<br />
héros en tête), “Cloak and Dagger” se paye également un pitch plutôt<br />
couillu pour un show de la firme : l’itinéraire de deux adolescents issus<br />
de milieux sociaux différent, Tyrone Johnson et Tandy Bowen, qui<br />
se découvrent des super pouvoirs les liant mystérieusement l’un à<br />
l’autre (le premier peut générer une étrange substance qui lui permet<br />
de se téléporter, la seconde peut faire jaillir des lames brillantes de<br />
ses paumes), dit pouvoirs qui sont encore plus imposants quand ils<br />
sont associés, mais qui pourraient presque s’apparenter à un fardeau<br />
commun.<br />
Transcendant son simple statut de show super-héroïque, la série<br />
s’impose dès son excellent épisode pilote comme un solide et grisant<br />
teen drama férocement ancré dans son époque et son cadre (la<br />
Nouvelle-Orléans, dont les stigmates de l’ouragan Katrina sont toujours<br />
bien présents), tant il traite avec justesse des maux douloureux qui<br />
gangrènent l’Amérique sous Trump : les inégalités sociales, le racisme,<br />
la pauvreté et la violence sous toutes ses formes (les gangs, la police,<br />
l’école,...).<br />
Un monde empoisonné où la vie d’adulte, même dans les quartiers<br />
plus huppés, s’appréhende à la dure; un réalisme rafraîchissant<br />
auquel le show ajoute une description étonnamment profonde de<br />
ses personnages et de leur mal-être évident, renforçant de facto le<br />
sentiment d’empathie envers eux que peut ressentir un spectateur<br />
conquis par ce regard juste et désespéré de l’adolescence, et cette<br />
romance contrariée.<br />
Sans vrai nemesis (pour le moment tout du moins) pas dénué de<br />
quelques clichés mais porté avec conviction par un couple Olivia Holt/<br />
Aubrey Joseph à l’alchimie étincelante, “Cloak and Dagger” est un<br />
teen drama cohérent, tendu, mature et bien rythmé, une belle petite<br />
surprise que l’on n’attendait pas et qui démontre que quand Marvel y<br />
met les formes, la qualité ne peut qu’être au rendez-vous...<br />
Jonathan Chevrier
130<br />
Luke Cage saison 2<br />
Passé une première réunion commune - “The<br />
Defenders” - franchement pas bandante pour un<br />
sou, où aucun héros de la bande n’a vraiment pu<br />
tirer son épingle du jeu au cours d’une intrigue<br />
partagée maladroite et d’un ennui poli (sans<br />
compter qu’elle prenait vraiment, vraiment son<br />
temps pour démarrer), et une seconde salve<br />
d’épisodes plutôt réussie autour de la merveilleuse<br />
Jessica Jones (même si la première saison reste un<br />
gros cran au-dessus), le MCU sauce Netflix entame<br />
pleinement sa phase 2 avec le retour en grande<br />
pompe du Power Man number one de New-York,<br />
Luke Cage, pour une seconde saison que l’on<br />
espérait un poil moins mitigée que la précédente.<br />
Suite directe des évènements du shared universe,<br />
toujours politiquement aussi engagé et plaçant<br />
une nouvelle fois les thèmes de la famille et de<br />
l’affirmation de soi au coeur des débats (et non, le<br />
baraqué bonhomme n’en a toujours pas fini avec<br />
son passé, et ce n’est pas le seul dans ce cas),<br />
les nouveaux épisodes de “Luke Cage” ne perdent<br />
pas de temps pour rentrer dans le vif du sujet<br />
et démontrer de manière flagrante aussi bien les<br />
grandes lignes fortes de ce retour, que ces infinies<br />
faiblesses, en plaçant Harlem - point fort - au<br />
coeur d’une guerre des gangs entre le Harlem’s<br />
Paradise (géré désormais par Mariah Strokes/<br />
Dillard depuis qu’elle a zigouillée son cousin), et les
131<br />
Stylers, un gang de jamaïcains<br />
mené par le charismatique<br />
Bushmaster (vilain majeur de<br />
la saison, qui a d’ailleurs plus<br />
d’un point commun avec Cage<br />
malgré une caractérisation<br />
opérée à la truelle); le tout -<br />
point faible - arbitré par un big<br />
Luke de plus en plus « Batmanesque<br />
«, qui assume pleinement<br />
son statut de symbole/vigilante<br />
pour sa communauté, au point<br />
de dangereusement glisser du<br />
côté obscur de la justice, malgré<br />
l’aide de sa BFF Misty Knight -<br />
l’alchimie Mike Colter et Simone<br />
Missick est encore plus éclatante<br />
cette saison.<br />
Pur western urbain façon polar<br />
radical, groovy et référencé<br />
(“Blaxploitation”, “The Wire” ou<br />
encore le <strong>ciné</strong>ma de Quentin<br />
Tarantino, jusque dans ses<br />
longues et jouissives tirades),<br />
moins Shakespearien mais<br />
toujours totalement conscient<br />
de son héritage culturel et<br />
développant à merveille sa<br />
propre musicalité (autant du<br />
point de vue du style que de sa<br />
bande originale, encore au poil),<br />
cette seconde salve d’épisodes,<br />
au demeurant divertissante,<br />
souffre néanmoins encore et<br />
toujours des mêmes tares que<br />
son illustre aînée : une écriture<br />
souvent pataude qui étire en<br />
longueur des thèmes et intrigues<br />
convenues (sans oublier une<br />
pluie de nouveaux personnages<br />
jetés à l’écran sans être un<br />
minimum esquissé), un rythme<br />
décousu, un aspect bavard - voir<br />
sur écrit - et une action parfois<br />
un poil trop mécanique.<br />
Dommage car, à l’instar<br />
de Mahershala Ali dans la<br />
saison une, Mustafa Shakir<br />
crève l’écran en némésis<br />
charismatique en diable (tout<br />
autant que Colter, mais avec un<br />
temps de présence nettement<br />
moindre), et vole la vedette à<br />
tout le monde, Alfre Woodard<br />
en tête (entre cabotinage forcé<br />
et vrai jeu nuancé); tandis que<br />
le showrunner Chao Hodair<br />
Coker interroge subtilement<br />
son auditoire sur ces sujets<br />
d’actualités encore bouillants<br />
(Black Lives Matter, le racisme<br />
et la violence policière, sans<br />
oublier la corruption politique).<br />
Baraqué mais encore fragile et<br />
passif dans le ton - et même<br />
le contenu -, déclinant avec<br />
intelligence ses bonnes bases<br />
sans forcément consolider<br />
les nombreuses fissures qui<br />
parsèment son édifice (à la<br />
différence de “Daredevil”), la<br />
seconde saison de “Luke Cage”<br />
frappe fort, presque autant que<br />
celle de “Jessica Jones”, mais pâti<br />
terriblement de la comparaison<br />
autant avec sa première saison,<br />
qu’avec les autres shows de la<br />
firme (excepté le tâcheron “Iron<br />
Fist”, présent ici pour un court -<br />
mais fun - épisode).<br />
On reste fan, et le personnage<br />
n’a rien perdu de son potentiel<br />
iconique, mais si troisième<br />
saison il y a, on est clairement<br />
en droit d’en attendre un peu<br />
plus des aventures de Power<br />
Man, surtout quand on sait que<br />
le Punisher lui, ne ménage pas<br />
ses efforts pour être le nouveau<br />
show-stealer du MCU made in<br />
Netflix...<br />
Jonathan Chevrier