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Désolé j'ai ciné #6

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Retour sur une<br />

franchise historique<br />

mais aussi : rétro soderbergh, l’instant séries, blackkklansman, naissance d’une nation...


2


3<br />

eDiTo<br />

Cet été promet d’être<br />

«Sauvage»…<br />

Ce mois d’août sera placé sous le signe<br />

de la Croisette avec pas moins de cinq<br />

films présentés cette année au Festival<br />

et qui seront diffusés dans nos chères<br />

salles climatisées. Ne vous inquiétez pas,<br />

il y en aura pour tous les goûts et toutes<br />

les couleurs mais s’il y a bien un film qui<br />

retient notre attention c’est le premier<br />

long-métrage de Camille Vidal-Naquet.<br />

Formidable portrait d’un homme aussi<br />

libre, que sauvage et amoureux au coeur<br />

de la prostitution masculine. Nous avons<br />

pu discuter avec le réalisateur et ses deux<br />

acteurs principaux malheureusement<br />

nous sommes trop courts pour pouvoir<br />

vous dévoiler l’entrevue mais il n’empêche<br />

qu’on ne peut que chaudement vous le<br />

conseiller. Spike Lee quant à lui dévoile<br />

son côté sauvage avec le bouillonnant<br />

BlacKkKlansman, inspiré d’une histoire<br />

vraie et véritable film à charge contre<br />

l’Amérique «so-white» de Donald Trump.<br />

L’été est là, nous sommes champions du<br />

monde, il fait beau, aimez-vous, soyez<br />

heureux, soyez sauvages.<br />

Margaux Maekelberg


4


5<br />

sOmMaIrE<br />

P.6 P.20 P.72<br />

P.80 P.104 P.108<br />

P.18 • Crazy rich asians : 25 ans c’est long !<br />

P.40 • Critiques<br />

P.75 • David Robert Mitchell<br />

P.92 • Naissance d’une nation<br />

P.116 • Alison brie : Lutter pour mieux<br />

exploser<br />

P.120 • Instant séries<br />

DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : MARGAUX MAEKELBERG<br />

MISE EN PAGE : MARGAUX MAEKELBERG<br />

RÉDACTEURS : JONATHAN CHEVRIER, MARION CRITIQUE, TANGUY RENAULT, TANGUY BOSSELLI, VANESSA BONET<br />

& WADE EATON<br />

MERCI À NOTRE TIPEUR THIBAULT !


6<br />

MISSION : IMPOSSIBLE<br />

LA SAGA DE TOUS LES POSSIBLES


SANS L’OMBRE D’UN DOUTE, LA FRUCTUEUSE FRANCHISE “MISSION :<br />

IMPOSSIBLE” ET SES NOMBREUSES SUITES, EST LE SYMBOLE PARFAIT DE<br />

LA TOUTE-PUISSANCE DE TOM CRUISE, ET DE SON POUVOIR DÉCISIONNAIRE<br />

DANS LA CITÉ DES VICES HOLLYWOODIENS.<br />

CINQ CARTONS PLUS OU MOINS FRACASSANTS (QUI EN APPELLENT<br />

ÉVIDEMMENT UN SIXIÈME D’ICI AOÛT PROCHAIN), MAIS SURTOUT SIX<br />

PRODUCTIONS AUSSI FASCINANTES QU’ELLES FURENT SOUVENT HOULEUSES,<br />

QUI ONT CONSTITUÉS RIEN DE MOINS QUE L’UNE DES FRANCHISES LES PLUS<br />

SINGULIÈRES DU SEPTIÈME ART RICAIN, TANT CHAQUE CINÉASTE IMPOSÉ À<br />

SA BARRE, A SU SUBTILEMENT IMPOSER SA MARQUE AU FIL DES ÉPISODES.<br />

par jonathan chevrier<br />

7


8<br />

Tout commence avec une série télévisée, “Mission : Impossible”,<br />

show culte des 60’s ayant fait la gloire de la chaîne CBS durant<br />

sept saisons, avant de connaître un court reboot sur une chaîne<br />

concurrente, ABC, entre<br />

1988 et 1990 - “Mission<br />

impossible, 20 ans<br />

après”, dont le seul vrai<br />

lien est la présence de<br />

Peter Graves dans la<br />

peau du MIF -<br />

Mission Impossible<br />

Force -, une équipe<br />

d’agents secrets<br />

américains détachés de<br />

la CIA, membres de l’IMF<br />

(Impossible Missions<br />

Force) à qui l’on réserve<br />

les missions les plus<br />

délicates.<br />

Culte de chez culte (le générique d’ouverture<br />

et la musique de Lalo Schifrin sont entrés<br />

dans la légende), la série avait longtemps<br />

réussi à passer<br />

entre les mailles<br />

du filet des<br />

adaptations sur<br />

grand écran,<br />

avant que<br />

Tom Cruise,<br />

fraîchement<br />

auréolé du carton<br />

surprenant de<br />

“La Firme” en<br />

1993, ne décide<br />

de se jeter<br />

dessus.<br />

Wannabe next big thing Hollywoodienne<br />

qui accumule les succès avec une<br />

frénésie proprement indécente (“Risky<br />

Business”, “Top Gun”, “Jour de Tonnerre”,<br />

“La Couleur de l’Argent”, “Né un 4 Juillet”,<br />

“Des Hommes d’Honneurs”), le - toujours<br />

- jeune Tom désire pourtant prendre un<br />

petit peu plus de galons dans le système,<br />

en initiant par lui-même un projet<br />

ambitieux dont il serait l’acteur vedette<br />

(cascades perso comprises), tout en le<br />

produisant aux côtés de son amie et agent<br />

Paula Wagner, via leur toute pimpante<br />

nouvelle société : C/W Productions.


Hébergé<br />

chez<br />

Paramount,<br />

Cruise pense<br />

instinctivement à<br />

confier le projet à Sydney<br />

Pollack, histoire de reformer le<br />

trio magique de “La Firme”, mais<br />

peu de temps après s’être attelé au<br />

Mission Adaptation<br />

projet, le papa de “12 Hommes en Colère” jette l’éponge tant la<br />

direction que prend la production ne lui convainc plus.<br />

Pas de panique pour autant, l’acteur arrive sensiblement à attirer<br />

dans ses filets à l’aube du début d’année 1994, le grand Brian De Palma,<br />

qui engage dans la foulée Steven Zaillian (qui vient tout juste de chiper un<br />

oscar pour “La Liste de Schindler”) et David Koepp (avec qui il vient de travailler<br />

sur l”’Impasse”) pour s’occuper du scénario, avant que Robert Towne (“Chinatown”,<br />

“La Dernière Corvée”) ne vienne peaufiner l’ultime jet à quelques heures du début de<br />

tournage.<br />

Malgré les désaccords entre le <strong>ciné</strong>aste et son acteur vedette (De Palma a longtemps bataillé<br />

pour booster le budget de 50M$ et faire en sorte que le film ait une impressionnante scène<br />

d’action finale), les gros travers en interne (De Palma ne participera pas à la promotion du film, le<br />

compositeur Danny Elfman remplacera en pleine postproduction Alan Silvestri) et la polémique<br />

monstrueuse causée par les comédiens de la série originale (qui renie férocement le film, surtout<br />

le traitement osé du personnage de Jim Phelps), “Mission : Impossible” débarque dans les salles<br />

obscures en 1996, et incarne sans forcer l’un des plus gros succès de la saison des blockbusters.<br />

Thriller De Palma-esque en diable (le <strong>ciné</strong>ma même du <strong>ciné</strong>aste se base sur les apparences<br />

trompeuses, un suspense intense et la dénonciation de la tromperie par l’image), reprenant<br />

le ton général du matériau d’origine (des missions d’espionnages supposément impossibles<br />

in fine réalisées par des agents surentraînés) et le personnage phare du show original pour<br />

mieux articuler une nouvelle équipe autour du personnage d’Ethan Hunt (totalement créé pour<br />

l’occasion), quitte a totalement trahir les fans - qui s’en sont bien remis -; “Mission : Impossible”,<br />

maîtrisé de bout en bout, alignant fulgurances de réalisation et les moments de bravoure<br />

dantesque (le vol de la liste des agents de la CIA est anthologique) jusque dans un final qui<br />

dénote complètement du reste du métrage, est un savoureux jeu de dupes et de trahisons où<br />

tout le monde est souvent berné - même le spectateur -, malgré les nombreux indices disséminés<br />

dès le générique d’introduction.<br />

Percutant et brillant, même si la majorité des critiques US de l’époque, mauvaises langues<br />

évidentes, jugeront son intrigue totalement incompréhensible...<br />

9


10<br />

Mission HK style


11<br />

Sans trop de surprise face au succès monstre du<br />

film (450 M$ de recettes au B.O. international pour<br />

80 M$ de budget), la Paramount donne très vite le<br />

feu vert à Cruise pour enclencher la production d’un<br />

second opus, un temps promis à Oliver Stone (qui<br />

avait dirigé le big Tom quelques années auparavant<br />

pour “Né un 4 Juillet”), avant que le projet ne<br />

prenne un retard conséquent suite à l’engagement<br />

de l’acteur vedette au dernier long-métrage de feu<br />

Stanley Kubrick, “Eyes Wide Shut”, qui s’est étalé<br />

sur plus d’un an et demi outre-Manche.<br />

De retour au pays de l’Oncle Sam, le comédien<br />

confiera in fine le bébé à John Woo, qui vient tout<br />

juste de connaître son premier vrai gros succès<br />

outre-Atlantique, le jouissif “Volte/Face”, histoire de<br />

pleinement démarquer cette suite du premier long<br />

- pas difficile vu les habitudes de mise en scène du<br />

<strong>ciné</strong>aste hongkongais.<br />

Avec toujours Robert Towne au scénario, obligé de<br />

taire son envie de remake officieux des “Enchainés”<br />

de king Hitchcock pour composer comme il le peut,<br />

une histoire au milieu des nombreuses scènes<br />

d’action imposées par Woo, “Mission : Impossible<br />

2” va connaître comme son aîné, plus d’une galère<br />

durant son tournage, occupant une bonne partie<br />

de l’année 1999 : réécriture de scénario à l’arrache<br />

(jugé au final trop simple) qui casse les prises de<br />

vues, divergences artistiques entre l’acteur et son<br />

metteur en scène (notamment sur la violence du<br />

film, qui ne colle pas à l’esprit PG-13 voulu par<br />

Cruise) et nombreux reports de sorties.<br />

Il n’empêche que malgré tous ses tracas, “M:I 2”<br />

sort en pleine été 2000 et cartonne au box-office,<br />

explosant même les scores du film original... mais<br />

pas sa qualité.<br />

Blockbuster ricain dans toute sa splendeur,<br />

férocement régressif autant qu’il est un brillant<br />

exercice de style quand Woo laisse s’exprimer<br />

tout le lyrisme de son <strong>ciné</strong>ma (ici totalement<br />

décomplexé et démesuré), souvent tronqué<br />

par la faiblesse de son intrigue (qui privilégie<br />

l’action à la psychologie de ses personnages, plus<br />

caricaturaux tu meurs) mais visuellement superbe<br />

et grisant; le film, nerveux et prévisible, qui dénote<br />

complètement de la vision de De Palma (sobre et<br />

imprévisible, avec une vraie mission impossible à<br />

la clé), peut aisément se voir comme le maillon<br />

faible de la saga, aussi spectaculaire et plaisant à<br />

voir soit-il.<br />

Ce qui n’empêche pas Tom Cruise de planifier un<br />

“M:I 3” dans la foulée, lui qui contrôle de la tête et<br />

des épaules, la franchise, sa franchise.


12<br />

Dès 2002, Cruise annonce au<br />

monde que le génial David<br />

Fincher, nom totalement<br />

improbable mais férocement<br />

bandant sur le papier, sera le<br />

papa de “Mission : Impossible<br />

III”. Le hic, c’est que le<br />

comédien, qui n’a jamais<br />

travaillé avec le papa de “Fight<br />

Club” auparavant, va très vite<br />

être confronté à la vision<br />

profondément sombre du<br />

<strong>ciné</strong>aste, et être totalement<br />

rebuté par son idée mère,<br />

pourtant alléchante : impliqué<br />

Hunt dans une enquête sur le<br />

trafic d’organes en Afrique.<br />

Jugé trop sombre par l’acteur,<br />

le jet de Fincher sera vite mis<br />

au placard, obligeant de facto<br />

le <strong>ciné</strong>aste à tourner les talons,<br />

avant que Cruise ne se rabatte<br />

sur l’un des jeunes <strong>ciné</strong>astes en<br />

vue à l’époque, Joe Carnahan,<br />

qui vient tout juste de faire<br />

son trou dans l’industrie avec<br />

l’excellent “Narc”.<br />

Toutes les étoiles semblaient<br />

alignées, un tournage était<br />

même prévu pour l’été 2004,<br />

mais à quelques heures des<br />

premières prises de vues, la<br />

collaboration entre Carnahan et<br />

la production suit la même lignée<br />

que celle entre elle et Fincher<br />

: le futur papa de l’adaptation<br />

<strong>ciné</strong> d’”Agence Tous Risques”<br />

est proprement éjecté du projet<br />

pour divergences artistique, son<br />

script (axé sur les mouvements<br />

politiques d’extrêmes droites<br />

américains) étant lui aussi jugé<br />

trop dark pour l’agent Hunt.<br />

Repoussé d’un an - Cruise<br />

partant tourner “La Guerre des<br />

Mondes” -, “M : I : III” sera au final<br />

confié au bleu J.J. Abrams, dont<br />

la série “Alias” avait sensiblement<br />

séduit le comédien.<br />

Modifié de A à Z par le <strong>ciné</strong>aste, le<br />

script change complètement de<br />

tournure et zappe totalement le<br />

casting d’origine (adieu Carrie-<br />

Anne Moss, Scarlett Johansson<br />

et Kenneth Branagh) pour<br />

judicieusement lui en préférer<br />

un nouveau (feu le grand Philip<br />

Seymour Hoffman, Maggie Q<br />

et Billy Crudup), et débarque<br />

à la vitesse de la lumière dans<br />

les salles obscures pour l’été<br />

des blockbusters 2006, où<br />

il se paye un accueil glacial,<br />

officieusement causé par les<br />

dérives médiatiques d’un Tom<br />

Cruise visiblement très (trop<br />

?) content d’avoir conquis le<br />

coeur de la pétillante Katie<br />

Holmes. Un échec injuste tant<br />

l’opus, de loin le plus fidèle à la<br />

série, renouait avec l’essence<br />

même du thriller d’espionnage<br />

profondément explosif initié<br />

par De Palma.<br />

Haletant avec son scénario<br />

à tiroirs passionnant (entre<br />

kidnappings, traques et<br />

sauvetages divers) et<br />

profondément ancré dans<br />

la réalité, porté par un vrai<br />

méchant imposant - Owen<br />

Davian - et à la hauteur de la<br />

stature imposante de Hunt<br />

(plus humain, déterminé et<br />

invincible que jamais); le film,<br />

qui n’hésite jamais à mettre<br />

(enfin) son héros au pied du<br />

mur, se démarque tout du<br />

long de M: I 2 et impose les<br />

nouveaux codes de la saga<br />

: un film d’espionnage et<br />

d’action populaire, qui ne<br />

bride pas son histoire au profit<br />

du spectaculaire, et qui injecte<br />

continuellement de nouveaux<br />

visages.


13<br />

Mission : Renaissance<br />

Moins performant que les premiers films au<br />

box-office (400M$ au B.O mondial), “Mission :<br />

Impossible 3” marquera la fin (pour un temps)<br />

de la collaboration entre la Paramount et Tom<br />

Cruise, la firme étant sensiblement lassée (pour<br />

être poli) des apparitions publiques - entre folie<br />

furieuse et défense féroce de la scientologie - de<br />

son mégalomane d’acteur vedette.<br />

Officieusement, la petite histoire veut que ce soit<br />

la (jeune) femme de Sumner Redstone, big boss<br />

de la Paramount à l’époque, pas fan du comédien,<br />

qui aurait poussé son PDG de mari à se séparer<br />

de Cruise, doutant fortement de son pouvoir<br />

d’attraction auprès du public.<br />

Après trois ans d’une brouille sans nom, où<br />

Cruise cherchera à reprendre les rênes du studio<br />

United Artist (“Lions et Agneaux”, “Walkyrie”,<br />

“Night and Day”), sans forcément retrouver son<br />

succès d’antan, le rabibochage se fera presque<br />

naturellement, ouvrant sensiblement dans la<br />

foulée, la porte à un “Mission : Impossible 4”, entre<br />

reboot et vraie suite de la franchise.<br />

Toujours chapeauté de loin par J.J. Abrams,<br />

uniquement producteur même s’il impose Josh<br />

Appelbaum et André Nemec au script (“Alias”), dit<br />

script qui sera retravaillé par - déjà - Christopher<br />

McQuarrie (“Usual Suspect”, “Walkyrie”), “Protocole<br />

Fantôme” étonnera surtout par la grosse prise<br />

de risques entreprise par Cruise : imposer le<br />

talentueux Brad Bird, loin d’être rompu au<br />

tournage live à l’époque, à la réalisation; <strong>ciné</strong>aste<br />

avec lequel il avoue avoir toujours voulu travailler.<br />

Infiniment plus physique pour Cruise d’un point<br />

de vue scène d’action (l’acteur avait tout à<br />

prouver après son gros passage à vide), plaçant<br />

le curseur encore un petit peu plus haut en terme<br />

de spectaculaire (tempêtes de sable, acrobaties<br />

sur le plus haut gratte-ciel du monde,...) tout en<br />

hésitant pas à foutre un bordel monstre dans la<br />

storyline de la saga (le MIF est désavoué suite à<br />

un attentat au Kremlin, obligeant ses agents à<br />

agir sous les radars pour contrer leur principal<br />

opposant : le Syndicat), sans forcément rendre<br />

son pitch plus complexe que les précédents (la<br />

notion de groupe est de nouveau au centre des<br />

débats); “Mission : Impossible - Ghost Protocol”,<br />

volontairement plus drôle (humour pince-sans-rire<br />

et présence renforcée de Simon Pegg à la clé) et<br />

détournant avec malice les passages obligés de la<br />

saga, est un menu Best-Of transpirant pleinement<br />

la patte virtuose de Bird, qui n’aura eu aucune<br />

peine à trouver son auditoire en salles, à l’aube<br />

des fêtes de Noël 2011.<br />

694,7 M$ à l’international en bout de course et<br />

des critiques unanimes, Ethan Hunt renaît de ses<br />

cendres de manière totalement improbable, avant<br />

de prouver qu’un vrai héros (tout comme s’affirme<br />

Cruise à l’écran) ne meurt jamais.


Impossible<br />

is<br />

nothing<br />

14<br />

Véritable tout foutraque qui<br />

tient admirablement bien la<br />

route en fin de compte, la<br />

franchise “Mission : Impossible”<br />

s’offrait en 2015, un cinquième<br />

opus autant espéré que mérité<br />

après le retour en grande pompe<br />

opéré via “Protocole Fantôme”.<br />

Offert au nouveau BFF de<br />

Cruise, Christopher McQuarrie,<br />

passé de scénariste talentueux<br />

à honnête faiseur de rêve avec<br />

Jack Reacher (déjà porté par<br />

l’éternel interprète de Maverick),<br />

et déjà derrière les retouches<br />

scénaristique du quatrième<br />

opus, “Mission : Impossible -<br />

Rogue Nation”.<br />

Volontairement plus old school<br />

et incarnant une suite directe -<br />

une première dans la saga - du<br />

film de Bird puisqu’il prolonge la<br />

lutte du MIF contre le Syndicat<br />

(et que, tout comme lui, il<br />

s’attache de nouveau à suivre au<br />

plus près les aléas du destin de<br />

Hunt tout en faisant revenir la<br />

majorité des personnages), tout<br />

en créant une vraie continuité au<br />

sein de la saga, “Rogue Nation”


15<br />

s’échine à conter cette poursuite vers l’inconnu, vers cet ennemi<br />

de l’ombre là où le MIF, pourtant constamment en danger, se voit<br />

finalement démantelé par une CIA ne digérant plus les loupés des<br />

missions passées (l’explosion du Kremlin dans “Ghost Protocol”, le<br />

piratage de l’agence dans “Mission : Impossible”).<br />

Pire, symbole même de cette section de l’impossible, Ethan Hunt ici<br />

élevé au rang de légende vivante, se verra traqué par la CIA pour en<br />

faire un fugitif - tout comme ses petits camarades.<br />

Tout convergeait donc presque, pour que ce cinquième film soit le<br />

dernier de la saga, un épisode définitif avec des citations avouées<br />

à la saga et des ressemblances frappantes (Sean Harris/Solomon<br />

Lane s’impose comme un négatif de Hunt, tout comme Dougray<br />

Scott/Sean Ambrose), appuyées par une intrigue Hitchockienne<br />

aux vérités floues que n’aurait pas renié Brian De Palma.<br />

Ce qu’il n’est finalement pas, évidemment (surtout que la Paramount<br />

avait annoncé avant même sa sortie, la mise en chantier d’un “M :<br />

I - 6”).<br />

Vrai film d’espionnage aux enjeux solides et captivants, d’une<br />

tension de chaque instant magnifié par des scènes d’action toutes<br />

plus renversantes les unes que les autres - défiant aussi bien la<br />

concurrence que les standards imposés par les films précédents -,<br />

qu’une étude des personnages franchement remarquable (Ethan<br />

Hunt arrive à prendre encore un peu plus d’ampleur malgré cinq<br />

films au compteur, et chacun a droit à son moment de gloire);<br />

“Rogue Nation” est un délice de chaque instant aussi maîtrisé<br />

qu’exigeant, un véritable sommet de dramatisme et d’esthétisme<br />

(la scène de l’Opéra de Vienne reste un must-see indécent) old<br />

school et moderne à la fois, où tout est est dosé à la perfection,<br />

de la fluidité de la narration à la caractérisation des personnages<br />

(tous merveilleusement joués), du montage nerveux au suspense<br />

savamment millimétré, de la rugosité des scènes d’action à la finesse<br />

de son humour et de ses émotions.<br />

Une réussite exemplaire, qui convaincra Cruise que son duo formé<br />

avec Christopher McQuarrie, se devait de revenir une ultime fois<br />

à la barre d’une mission impossible, quitte à totalement renier le<br />

mode de fonctionnement de la franchise jusqu’alors (un film : un<br />

réalisateur différent).


16


17<br />

Fallout...<br />

the end ?<br />

Après quelques petits soucis de production visant à faire<br />

gonfler le chèque de Tom Cruise (les négociations assez<br />

tendues, ont durées plusieurs mois), puis quelques soucis<br />

de tournage avec la blessure d’un big Tom plus casse-cou<br />

que jamais, “Mission : Impossible - Fallout” est enfin appelé<br />

à atteindre nos salles obscures d’ici le 1er août prochain,<br />

suite une nouvelle fois direct de “Protocole Fantôme” et<br />

“Rogue Nation”, qui aura «encore plus de décors et de<br />

cascades incroyables, et une histoire très divertissante et<br />

convaincante», dixit Hunt himself.<br />

Et à la vue de son excellente campagne promotionnelle,<br />

on ne peut que le croire sur parole, cette ultime (avant<br />

la septième ?) mission se voulant comme une conclusion<br />

pétaradante et haletante et totale de la lutte entre le MIF<br />

et le Syndicat.<br />

Célébré, conspué, boycotté avant d’être revenu des limbes<br />

d’Hollywood plus fort que jamais... plus les opus passent,<br />

plus Tom Cruise est à l’aise avec un héros pour lequel<br />

il ne rechigne plus de dévoiler les failles (son mariage<br />

douloureux, son envie de tout quitter) tout autant que<br />

son statut iconique (il se bat pour préserver le bien du<br />

mal, même si la frontière entre les deux est difficile à<br />

percevoir) et cartoonesque de quasi-Superman légendaire,<br />

dont l’invincibilité a rarement été aussi mis en image que<br />

rudement mis à l’épreuve.<br />

Vingt-deux ans et cinq films plus tard, Ethan Hunt n’a<br />

jamais paru aussi populaire et adoré que jamais, mais<br />

surtout, la franchise “Mission : Impossible” a subtilement<br />

su, à la différence de nombreuses sagas d’action misant<br />

sur la quantité au détriment de la qualité (coucou “Fast<br />

and Furious”), s’installer comme une référence du <strong>ciné</strong>ma<br />

d’action racé et intelligent, aux côtés, entre autres, de la<br />

saga (trilogie hein) “Die Hard”.<br />

Dire donc que l’on attend le premier août avec une<br />

impatience folle, est un put*** d’euphémisme...


18<br />

Crazy<br />

À l’heure où le <strong>ciné</strong>ma<br />

commence à se faire secouer le<br />

derrière que ce soit par les femmes<br />

bien décidées à prendre les choses<br />

en mains ou des communautés qui<br />

aspirent à plus de représentation<br />

- «Noire n’est pas mon métier», un<br />

ouvrage co-écrit par seize actrices noires<br />

pour éveiller les consciences sur la sousreprésentation<br />

des femmes de couleur au<br />

<strong>ciné</strong>ma -, «Crazy Rich Asians» tombe à point<br />

nommé.<br />

Adapté du roman éponyme de Kevin Kwan - gros<br />

succès de 2003 -, «Crazy Rich Asians» fait parler<br />

de lui surtout pour son casting composé à 100%<br />

d’acteurs et actrices asiatiques (Constance Wu,<br />

Henry Golding, Gemma Chan & Lisa Lu entre autres).<br />

De quoi réveiller un peu l’industrie hollywoodienne qui<br />

n’avait pas proposé de film avec un tel casting depuis…<br />

25 ans («Le Club de la chance» de Wayne Wang, 1993).<br />

De quoi - peut-être - éveiller les consciences sur le manque<br />

de représentation de la communauté asiatique au <strong>ciné</strong>ma<br />

qui avait déjà secoué les réseaux sociaux il y a quelques<br />

temps à travers le hashtag #ExpressiveAsians en réponse<br />

à un directeur de casting expliquant que les asiatiques<br />

n’étaient pas choisis car pas assez expressifs. Une pratique du<br />

«whitewashing» d’ailleurs encore récemment pointée du doigt<br />

lors de la sortie de «Ghost in the shell» et que révèle également<br />

Kevin Kwan, auteur du best-seller, qui a expliqué qu’un producteur<br />

25 ans c’est


19<br />

Rich Asians<br />

a essayé de le convaincre de transformer son héroïne principale<br />

en une jeune femme caucasienne.<br />

Réalisé par Jon M. Chu - à qui l’on doit notamment<br />

«Insaisissables 2» -, «Crazy Rich Asians» suit les<br />

extravagantes vacances d’été de Rachel Chu, professeur<br />

d’économie, et son petit ami Nicholas Young à<br />

Singapour. La seule chose dont Rachel n’était pas au<br />

courant, c’est que son compagnon est le fils d’une<br />

des familles les plus riches du pays. De quoi attiser<br />

la jalousie de certaines, prêtes à tout pour mettre<br />

le grappin sur le jeune homme.<br />

Cette véritable romcom assumée n’est<br />

cependant pas non plus épargnée par la<br />

critique, de nombreuses personnes accusant<br />

le film de ne représenter qu’une minorité des<br />

asiatiques - à la peau claire - et finalement<br />

très peu d’asiatiques du sud avec la peau<br />

plus foncée. Le film, qui sort en salles<br />

le 29 aout prochain, aura au moins le<br />

mérite de faire parler de lui et de faire<br />

un premier - petit - pas en avant<br />

concernant la représentation de la<br />

communauté asiatique au <strong>ciné</strong>ma.<br />

Margaux Maekelberg<br />

long !


20<br />

la rétro de


la rédac<br />

21


Sexe, mensonges<br />

et video<br />

Premier long-métrage tourné en très peu de temps par un Soderbergh d’à peine 26 ans, “Sexe, mensonges<br />

et vidéo” intrigue. D’autant qu’il a été couronné d’une Palme d’or, faisant de son réalisateur le plus jeune<br />

détenteur de la récompense cannoise suprême. Trente ans plus tard, que reste-t-il de cette œuvre intimiste<br />

mettant à mal l’”American way of life” ?<br />

Réflexion sur la sexualité dans une Amérique puritaine, “Sexe, mensonges et vidéo” met en parallèle des<br />

personnages renfermés, qui hésitent, tergiversent, et d’autres gouvernés par leurs pulsions, qui foncent<br />

bille en tête. Ann (Andie MacDowell, desperate housewife avant l’heure) fait partie des premiers alors que<br />

son mari John (Peter Gallagher) compte parmi les seconds : ne pouvant satisfaire toutes ses envies avec sa<br />

femme, il batifole avec Cynthia (Laura San Giacomo), la sœur de cette dernière, plus à l’écoute de son corps<br />

que son aînée. Un trio boiteux, mais qui fonctionne, sauvegardant les apparences de bonheur conjugal.<br />

Cette harmonie de façade, c’est – comme souvent – un élément extérieur qui va venir la bousculer. Fauteur<br />

de troubles de prime abord inoffensif, Graham (James Spader, prix d’interprétation à Cannes) est un ami<br />

de John, perdu de vue depuis des années. Comme Ann, il fait partie des gens qui doutent, observent et<br />

ont tendance à vivre dans leurs fantasmes. Pour satisfaire ses désirs, il filme des femmes se confiant sur<br />

leur sexualité, vidéos qu’il se repasse en boucle sur son magnétoscope. Tel “Le Voyeur” de Michael Powell,<br />

il utilise sa caméra comme une protection contre le monde, un écran derrière lequel il se sent à l’abri des<br />

regards et des corps. Graham n’ira certes pas aussi loin que le Mark du film du maître britannique, qui fait<br />

de sa caméra une arme de mort ; il n’en reste pas moins que c’est par elle que se révéleront les personnages<br />

de “Sexe, mensonges et vidéo”… à leurs risques et périls.<br />

22<br />

Avec sa mise en scène minimaliste créatrice d’une atmosphère froide, à la limite du clinique, Soderbergh<br />

nous invite, notamment, à pénétrer la psyché féminine, les deux sœurs de l’histoire se laissant convaincre<br />

par l’intérêt de la séance de «thérapie» de Graham. Le poids des interdits qui gangrènent la société<br />

américaine – le film reste très américano-américain – est prégnant, mais nul besoin d’attendre les moments<br />

de confessions pour le comprendre. Des frustrations d’Ann aux préjugés dont est très certainement victime<br />

Cynthia, la femme est toujours coincée, avec pour seule alternative le rôle de la maman ou de la putain.<br />

Si le personnage d’Ann, tout comme celui de Graham, est bien traité, ceux de Cynthia et John sont à<br />

peine effleurés, sortes de caricatures de la jeune femme délurée hippie sur les bords et du riche avocat<br />

opportuniste chaud bouillant. Ces deux-là sont clairement mis de côté pour laisser s’épanouir leurs doubles<br />

plus introvertis. Dans sa dernière partie, le film, dont la trame scénaristique est somme toute assez mince,<br />

gagne en intensité : lors de sa séance de «confession», Ann, poussée à bout par les événements, sort de son<br />

rôle de femme soumise, qui attend et observe pour s’imposer, prendre la caméra des mains de Graham et<br />

lui retourner ses fameuses questions en plein visage. Un moment salvateur, tant pour elle que pour lui, qui<br />

donne à ce premier long-métrage une saveur particulière.<br />

Trente ans après sa sortie, force est de constater que “Sexe, mensonges et vidéo” fait toujours son petit<br />

effet. Intrigant et malin, le premier long de Soderbergh n’est cependant pas le chef-d’œuvre que laisse<br />

espérer sa réputation.<br />

Vanessa Bonet


23


24


25<br />

Ocean’s Eleven<br />

Début des années 2000. Dans ce premier opus de la fameuse trilogie<br />

des “Ocean”, Steven Soderbergh impose son œuvre comme étant une véritable<br />

référence dans les films de braquage. Porté par un casting quatre<br />

étoiles, “Ocean’s eleven” s’inscrit dans l’histoire du <strong>ciné</strong>ma comme étant<br />

un film subtilement classe et savoureux. Le pitch est simple mais férocement<br />

efficace : Danny Ocean retrouve sa liberté après avoir été emprisonné<br />

durant deux années pour vol. À sa sortie, il ne perd pas une minute<br />

pour mettre en place un plan mûrement réfléchi (chaque détail est intelligemment<br />

pensé). Ce casse sera le casse du siècle et Danny compte bien<br />

arriver là où beaucoup d’autres se sont royalement plantés avant lui. Pour<br />

se faire, il s’entoure d’une dizaine de malfrats expérimentés dans leur domaine<br />

de prédilection. L’objectif est clair : cambrioler simultanément les<br />

trois plus imposants casinos de Las Vegas et ce, malgré leur grande sécurité.<br />

Steven Soderbergh possède un sens incroyable de la mise en scène<br />

et le prouve avec ce film divertissant, sans prétention. Tout s’enchaîne<br />

de manière plutôt fluide, rythmé par quelques rebondissements, le tout<br />

enveloppé par cette incroyable bande originale signée David Holmes (qui<br />

renforce d’ailleurs le côté glamour de l’oeuvre). Les acteurs sont géniaux<br />

et semblent réellement s’amuser dans ce qui paraît être une véritable réunion<br />

de famille, nous offrant alors un plaisir vraiment communicatif. La<br />

classe légendaire de George Clooney est par ailleurs brillamment mise en<br />

avant dans un rôle qui lui colle véritablement à la peau. “Ocean’s eleven”<br />

réunit les ingrédients parfaits pour passer un bon moment et fait défiler<br />

le temps à vitesse grand V tant on ne s’ennuie pas une seule seconde<br />

durant 116 minutes. Un thriller comique et culte, véritable pionnier dans<br />

son genre ; un habile coup de maître.<br />

Marion Critique.


26<br />

Full<br />

Frontal


27<br />

Le <strong>ciné</strong>ma de Steven Soderbergh depuis “Hors d’atteinte” essaie de repousser les limites de la condition<br />

de l’auteur, mêlant dès lors des œuvres grand public, telles la trilogie “Ocean’s” et d’autres expérimentales<br />

de la tête au pied. “Full Frontal”, sorti en 2002, méconnu et considéré assez injustement comme le film de<br />

vacances de son réalisateur entre ses blockbusters, fait donc partie de la deuxième partie de sa filmographie.<br />

Réputé pour être un <strong>ciné</strong>aste de l’instantanéité, entre ses supports filmiques novateurs et sa direction<br />

d’acteurs plus ou moins régulée, Soderbergh atteint ici l’extrême de son obsession dans la diégèse,<br />

superposant des strates de récit où se mélangent la réalité et la fiction, l’improvisation et l’écriture. De cette<br />

configuration naît une satire hollywoodienne, où toute tentative de sortir du carcan habituel et morose<br />

ouvre malheureusement une dimension dramatique inattendue. Le grain de la pellicule 35mm du film de<br />

Constantine Alexander inclus dans le film de Steven Soderbergh – est-ce clair ? – préfigure alors l’artificialité<br />

du <strong>ciné</strong>ma, réduit à l’époque à une texture unidimensionnelle déviant du réel. Ici, un seul rempart peut<br />

lutter contre ce manque de vie : la caméra-épaule, quasiment cachée du réalisateur, filme en DV via la<br />

caméra numérique Canon XL-1s; et intercepte les coulisses d’une société rongée de l’intérieur. Pour autant,<br />

l’un répond à l’autre par les rebondissements scénaristiques, quoique asymétriques. Hollywood devient<br />

alors un mécanisme enjoliveur de la vérité : ces ressorts dramatiques qui bouleversent les rapports et les<br />

liens n’offrent dans le réel numérique de Steven Soderbergh qu’un ralentissement narratif et jamais un<br />

basculement total.<br />

Au-delà de cette obsession de signifier la captation de l’instant et la fréquente vacuité de celui-ci, Steven<br />

Soderbergh fait de “Full Frontal” sa déclinaison personnelle du Dogme 95, pour faciliter les intentions et les<br />

cohésions entre les acteurs, inciter à l’improvisation et donc prendre de soi pour trouver sa place dans cet<br />

univers choral à deux mouvements. Malgré l’extrême durée du film au vu de ce qu’il raconte, et la cohérence<br />

narrative assez vaine sur la durée, le geste ici puise sa source dans la production originale effectuée, à<br />

base de restrictions de codes pourtant classiques, comme l’absence d’équipe HMC (Habillage-Maquillage-<br />

Coiffure), de loges ou de transports privés payés par les studios. Ce pacte, fait de dix commandements<br />

questionne alors la limite de l’acting et son remplacement par, uniquement, la persona de l’Homme derrière<br />

l’Acteur. L’engagement sur la traite des Noirs, le manque de réussite dans la ville des Étoiles, le producteurshowman<br />

qui fait de son poste un rôle <strong>ciné</strong>matographique… L’ensemble des métiers et des rôles présents<br />

dans Full Frontal se retrouve dilué pour n’offrir qu’un message : être, peut aussi être synonyme de jouer.<br />

Tanguy Bosselli


28


29<br />

Haywire (Piegee)<br />

Aussi fou que cela puisse paraître, le premier - et unique - passage dans le <strong>ciné</strong>ma d’action de<br />

Steven Soderbergh, “Haywire”, est totalement passé inaperçu ou presque, la faute à une sortie<br />

estivale maladroite en 2012 (quelques semaines avant son plus populaire “Magic Mike”) et un<br />

squattage intense sur les plateformes de téléchargements avant même que sa campagne<br />

promotionnelle hexagonale ne débute.<br />

Une petite bombe condamnée à l’oubli donc, un comble quand on sait la manie fort louable<br />

du papa de “Hors d’Atteinte”, de constamment révolutionner son <strong>ciné</strong>ma et de disséquer des<br />

genres qui ne lui sont pas forcément familiers.<br />

Partant d’un postulat assez basique (une machine de combat qui monnaye ses talents, décide<br />

de partir à la retraite, et ça ne plait pas du tout du tout à son employeur qui veut l’éliminer...<br />

) tout en étant porté par une pro de la tatane encore novice dans le business (la sublime<br />

Gina Carano, ex-championne du monde à l’UFC), Soderbergh délivre un thriller d’action<br />

sympatoche, aux combats renversants (mais un peu courts), mais qui ne décolle jamais. Car si<br />

l’intrusion de flashforwards/flashbacks et l’approche frontale et expérimentale de l’itinéraire<br />

pas comme les autres d’une femme pas comme les autres sent bon la « Soderbergh Touch<br />

«, la courte durée du métrage, ses lacunes (et déviances) scénaristiques ainsi que le manque<br />

de profondeur des persos masculins (incarnés par un casting de talent proprement indécent)<br />

empêchent au film de réellement emballer le spectateur et de pleinement exploser à l’écran<br />

comme toute bonne série B qui se respecte.<br />

Un peu trop terre à terre, même s’il est nerveusement découpé et qu’il a le mérite de rendre<br />

Barcelone et Dublin plus accessible que jamais, la péloche ne vaut au final que pour ses<br />

moments de bravoure « fightés «, son cast de mâles qui fait beau au générique, et pour<br />

l’envoûtante Gina.<br />

Un problème en soi ? Pas vraiment, tant le mélange des trois reste un cocktail certes imparfait<br />

mais des plus jouissifs sur un peu moins de 90 minutes, et que la partition physique puissante<br />

et hors du commun de Carano, parachève de rendre infiniment charmant ce petit moment<br />

de <strong>ciné</strong>ma rondement bien mené et suffisamment dosé en action pure et frontale, pour<br />

qu’il mérite qu’on lui prête un minimum d’attention, entre tous les bijoux qui parsèment la<br />

filmographie du bonhomme.<br />

Jonathan Chevrier


30<br />

Contagion<br />

Matt Damon, Jude Law, Gwyneth Paltrow, Laurence Fishburne, Marion Cotillard, Bryan<br />

Cranston… Difficile de s’entourer d’un meilleur casting que celui-ci pour un tel thriller dramatique<br />

international. Écrit en 2011 par Scott Z. Burns, peu de temps après que l’épidémie H1N1 n’ait<br />

inquiété le monde entier, “Contagion” offre à Soderbergh l’opportunité de porter un regard<br />

plus réaliste que jamais sur les rapports sociaux qui se font et se défont à l’approche d’une<br />

épidémie mortelle dont l’origine nous est inconnue.<br />

Avec son approche aux antipodes des standards des films de virus sortis au même moment,<br />

“Contagion” préfère se concentrer sur le destin de quelques individus uniquement, n’ayant au<br />

départ aucun lien entre eux mais qui, sans le savoir, vont finir par influencer les destins d’autrui<br />

par le biais de leurs actes, aussi anodins soient-ils. Ainsi, les conséquences de cette épidémie<br />

nous sont ici relatées à travers une exploration de classes sociales radicalement opposées<br />

l’une de l’autre, allant du père de famille sans histoire au blogueur conspirationniste jusqu’aux<br />

grandes pontes politiques de la santé, en théorie sécurisées par leurs privilèges.


31<br />

Cette opposition sociale constante permet au film de traiter ce sujet à échelle mondiale à<br />

travers un minimalisme saisissant et sans artifice, privilégiant la force émotionnelle de ses<br />

comédiens (Matt Damon en tête) et le point de vue plus que pessimiste de l’écriture de Burns.<br />

Soderbergh, quant à lui, complète cette vision d’une humanité vouée à l’échec par une mise<br />

en scène à la fois épurée mais en lien avec son exploration de la paranoïa qui entoure ses<br />

personnages et qui prend ici deux formes : une paranoïa d’abord épidémique mais qui va de<br />

plus en plus laisser place à une paranoïa diplomatique.<br />

Enfin, cette épuration à l’extrême de l’intrigue, sans surplus ni tentative émotionnelle en trop,<br />

permet tout justement à “Contagion” d’être une des œuvres les plus réalistes que l’on ait pu<br />

voir dans le genre de l’épidémie. Une course contre la montre désespérée orchestrée par la<br />

musique angoissante de Cliff Martinez et qui nous laisse aussi terrifié que marqué devant ce<br />

flash-back final incendiaire.<br />

Tanguy Renault


32<br />

Magic Mike<br />

Dans la filmographie bien riche de Soderbergh s’il y a bien un film<br />

auquel on ne s’attendait pas forcément c’est bien «Magic Mike». Le<br />

destin de Mike vivant de petits boulots la journée et qui enfile son<br />

- non - costume de strip-teaseur la nuit dans un club de Floride.<br />

L’outsider qui se rêvait plus que simple objet du désir féminin chaque<br />

soir - il souhaiterait fabriquer des meubles et devenir entrepreneur<br />

-. Un jour il tombe sur Adam, un jeune qui travaille avec lui sur un<br />

chantier la journée et décide de le prendre sous son aile et l’intègre<br />

au club.<br />

Là où ne brille pas forcément le film est dans sa forme. Aussi correct<br />

qu’il est prévisible, le film de Soderbergh brille avant tout par son<br />

casting sur-vitaminé entre un Channing Tatum qui capte toute<br />

l’attention - nouveau chouchou de Soderbergh vu également dans<br />

«Piégée» et «Effets Secondaires» -, big beast à l’origine de ce projet<br />

puisque le bonhomme bodybuilé était strip-teaseur lorsqu’il avait 19<br />

ans. Les seconds couteaux sont loin d’être en reste entre un Matthew<br />

McConaughey qu’on découvre sous un nouveau jour ainsi que le<br />

poulain Alex Pettyfer qui trouve enfin un rôle à sa hauteur après<br />

être passé par divers teen movies à la qualité plus que discutable.<br />

Sur la forme, «Magic Mike» n’a rien de bien transcendant outre les<br />

scènes tournées dans la boîte lors des divers shows de Mike et sa<br />

bande pour leur offrir un côté spectaculaire et rythmé loin d’être<br />

déplaisant mais outre ça, le film se perd dans des sous-intrigues<br />

inutiles entre la boîte qui cherche à s’agrandir à Miami et le jeune<br />

Adam qui se retrouve mêlé à une affaire de trafic de drogues -<br />

prévisible -.<br />

Une petite coquille vide bien loin d’être à la hauteur de ses autres<br />

films mais qui a le mérite de rester divertissant. Ce qui ne l’a d’ailleurs<br />

pas empêché de récolter plus de 112M de dollars de recettes au<br />

box-office.<br />

Margaux Maekelberg


33


34<br />

Ma vie avec<br />

Liberace<br />

Censé être son ultime péloche avant un repos du guerrier bien<br />

mérité (SPOILERS pas du tout connu de tous : il est sortie de sa<br />

retraite peu de temps après), “Ma Vie avec Liberace”, officiellement<br />

téléfilm de la HBO mais vraie proposition de <strong>ciné</strong>ma à part entière,<br />

était surtout la meilleure des manières pour Steven Soderbergh, de<br />

traiter au plus près deux de ses thèmes les plus chers : le paraître et<br />

le mensonge, via le prisme de la love story décadente entre Walter<br />

Liberace, king du kitsch absolu (même Elton John ne rivalise pas<br />

avec lui) et le jeune Scott Thorson.<br />

Sans voyeurisme ni effets mélodramatiques superflus, intime,<br />

captivant et d’un humour délectable, la péloche pourrait même<br />

clairement se voir comme une version gay de “Gatsby le Magnifique”,<br />

avec qui il partage énormément de points communs (même monde<br />

pimpant et luxueux, même atmosphère pleine de solitude, même<br />

personnages, soit un candide fas<strong>ciné</strong> d’un riche et populaire homme<br />

qui le fait goûter à sa vie dorée,...).<br />

Classique dans sa structure - et du coup, assez prévisible -, ultrakitsch<br />

et haut en couleur mais surtout profondément soigné (des<br />

décors rococo aux costumes et accessoires, le travail abattu est<br />

dantesque) et maîtrisé, le film, d’apparence dramatique (Liberace<br />

était un pianiste virtuose, un être aussi fantasque que solitaire,<br />

qui mourut du sida sans n’avoir jamais fait son coming-out de son<br />

vivant), s’avère in fine un biopic déluré et franchement irrésistible,<br />

d’un outrancier toujours assumé, à l’ironie autant piquante que sa<br />

tendresse est bouleversante.<br />

Porté par un duo de comédiens surréalistes et à la limite de la<br />

caricature, Matt Damon (qui joue avec délectation de sa virilité, en<br />

amant désespéré et un peu en retrait) et Michael Douglas (immense,<br />

tout en excentricité et en générosité), “Ma Vie avec Liberace”,<br />

glamour et fou - dans tous les sens du terme -, est une romance<br />

bouleversante et universelle, une observation tendre d’un freak<br />

bigger than life, rongé par la solitude et une constante bataille pour<br />

sauver la face aux yeux du monde.<br />

Jonathan Chevrier


35


36<br />

The Knick<br />

ou quand le passe nous renvoie le futur<br />

Metteur en scène touche à tout, Steven Soderbergh ne pouvait reste<br />

éloigné ad vitam aeternam du petit écran. De “Fallen Angels” (Steven<br />

Golin, 1993-1995) dont il réalise deux épisodes, à “K Street” (2003) en<br />

passant par “Mosaic” (2018), le talent de l’Américain s’est exporté sans<br />

soucis. Pour autant, c’est bien dans “The Knick” (Jack Amiel et Michael<br />

Begler, 2014-2015) que sondit talent s’exprime sans doute le mieux sur<br />

le poste. Réalisateur, monteur (en tant que Mary Ann Bernard), chef<br />

opérateur (en tant que Peter Andrews) et producteur exécutif, le style<br />

du natif d’Atlanta est visible dans tous les recoins de cette série prenant<br />

place au Knickerbocker Hospital du New York de 1900.<br />

Regard historique autant que moderne sur un monde qui nous sépare<br />

de plus d’un siècle : “The Knick” est un univers étourdissant où divers<br />

enjeux et critiques se chevauchent (hubris, cupidité, sexisme et racisme)<br />

sur fond d’une médecine qui ne cesse de se muer cadavres à l’appui.<br />

Emmené par un casting bouleversant, une bande-son électro envoûtante<br />

qui rompt avec l’archaïsme médical, un scénario composé de plusieurs<br />

excroissances captivantes et une mise en scène sublime, “The Knick” est<br />

un véritable petit bijou. Par-delà son intérêt documentaire évident, pardelà<br />

la reconstitution diablement crédible ou la leçon de sociologie, la<br />

série réalisée par Steven Soderbergh parvient à nous rappeler à ceux et<br />

celles qui en doutaient que la télévision est le huitième art.<br />

On a regretté que la chaîne Cinémax (petite sœur d’HBO) n’ait souhaité<br />

prolonger l’aventure au sein de l’hôpital new-yorkais, mais après réflexion,<br />

il apparaît que cette difficile décision fut la bonne. Qui d’autre que le<br />

<strong>ciné</strong>aste de l’expérimentation et de la contagion aurait pu donner vie à un<br />

tel bébé ? Personne et surtout par ces yes man mortifères…<br />

Wade Eaton


37


38<br />

Logan Lucky<br />

Quatre ans après une pseudo-retraite qui l’a vu jouer, plus que jamais,<br />

les touche-à-tout un peu partout, Soderbergh revenait l’an passé frais<br />

comme un gardon avec “Logan Lucky”, sorte de “Ocean’s Eleven” au pays<br />

des rednecks prenant les atours cocasses d’une satire plus ou moins<br />

féroce du pays de l’Oncle Sam (encore plus pertinente depuis l’avènement<br />

à la présidence de Trump), sympathique et fun film de casse transpirant<br />

de tous ses pores son <strong>ciné</strong>ma si unique.<br />

S’il joue logiquement sur le même terrain de jeu que Joel et Ethan Coen<br />

- le pays des rednecks - dans une étude assez fine et (volontairement)<br />

bordélique de ces oubliés de l’American Dream, et qu’il recycle habilement<br />

les codes et clichés inhérents d’un genre qu’il a abordé plus d’une fois<br />

dans sa carrière, Soderbergh n’en fait pas moins de son dernier essai en<br />

date, un film qui lui ressemble de A à Z.<br />

Que ce soit dans son montage très découpé (le <strong>ciné</strong>aste n’a rien perdu<br />

de son habitude à aligner les ellipses à la pelle), ses dialogues ciselés, ses<br />

portraits soignés et humains de personnages franchement singuliers, ou<br />

sa manière de jouer autant avec son scénario classique (et c’est loin d’être<br />

un défaut) que la perception qu’en a le spectateur; “Logan Lucky” est un<br />

film Soderberghien sur le bout des ongles.<br />

Prenant tout du long - sans ne jamais les juger - fait et cause de son<br />

attachante bande de bras cassés - dans tous les sens du terme -<br />

cherchant à faire le coup parfait et s’offrir le petit brin de réussite que la<br />

vie leur refuse, tout en accumulant les foirades jouissivement absurdes,<br />

le <strong>ciné</strong>aste signe une excellente, ironique et modeste comédie noire, une<br />

grosse récréation au casting impliqué (Daniel Craig en tête, en parfait<br />

contre-emploi).<br />

Bref, sans faire de bruit, le grand Steven Soderbergh revenait dans nos<br />

salles obscures, et cela fait franchement du bien.<br />

Jonathan Chevrier


39


40<br />

C’est l’histoire d’un projet que plus personne<br />

n’attendait, mais qui ressurgit subitement<br />

en 2015. Steven Soderbergh allait-il<br />

relancer en même temps que “Ghostbusters”<br />

de Paul Feig et “ExpendaBelles” de Robert<br />

Luketic sa célèbre franchise “Ocean’s”,<br />

mais uniquement avec des personnages féminins<br />

? Alors que le premier reçut un accueil<br />

entre le mitigé et le glacial, et le deuxième<br />

en est encore au stade de gestation<br />

; le troisième sort en juin, réalisé par l’élève<br />

de la plus jeune Palme d’Or de l’Histoire du<br />

<strong>ciné</strong>ma, Gary Ross. Exit le casting original,<br />

bienvenue à Sandra Bullock, Cate Blanchett,<br />

Anne Hathaway ou encore Rihanna pour un<br />

nouveau tour de piste, espéré classique… Et<br />

classieux.<br />

Malheureusement, le talent de Gary Ross<br />

s’étant interrompu à “Pleasantville”, il est compliqué<br />

pour ce réalisateur de tirer à nouveau une<br />

épingle du jeu dans une imagerie visuelle allant<br />

complètement à l’encontre de ce que son scénario<br />

raconte. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que<br />

plus qu’une bande de potes, la trilogie menée<br />

par Danny Ocean dévoile au fil des films un programme<br />

abstractisant sa trame narrative pour ne<br />

faire accroître que de la suffisance volontaire de<br />

tous ses protagonistes. Ainsi, “Ocean’s Twelve”<br />

et le sous-estimé “Thirteen” se retrouvent être<br />

un terreau d’expérimentations pastichées, alignant<br />

les genres et les techniques <strong>ciné</strong>matographiques<br />

comme les perles pour faire les personnages<br />

du film eux-mêmes des personnages<br />

dont ils prennent progressivement conscience,<br />

dans des saynètes où ils se donnent la réplique.<br />

Leurs archétypes définissent dès lors le changement<br />

de leur mentalité, où la nécessité et l’urgence<br />

deviennent vaines au détriment de leurs<br />

postures et leurs légendes désormais connues<br />

dans la diégèse et chez le spectateur dans la<br />

salle. Il était évident qu’un biopic se devait d’effacer<br />

ces caractéristiques pour reconstruire un<br />

univers, mais le chemin arpenté par la narratologie<br />

se révèle bien trop usée par les tics de la<br />

saga qu’il reboote et les clins d’œil putassiers se<br />

révèle bien dangereux pour proposer un nouveau<br />

segment de qualité. Si l’idée de se dire «<br />

Les femmes peuvent très bien faire ce que les<br />

hommes font » est louable, l’absence de gentrification<br />

de la trilogie originelle – franchement,<br />

que ce soit des hommes ou des femmes, le résultat<br />

aurait été le même – et la reprise quasi scène<br />

par scène de la moitié des actions des trois précédents<br />

métrages inquiètent sur les bienfaits de<br />

cette réadaptation.<br />

La pénibilité de la mise en scène de Gary Ross<br />

fait également bien défaut, réduisant ses actrices<br />

à des archétypes qu’il est difficile de comprendre,<br />

du fait d’un manque de progression<br />

caractérielle. Seule Anne Hathaway tire son


41<br />

13/06<br />

Ocean’s 8<br />

DE GARY ROSS. AVEC SANDRA BULLOCK, CATE BLANCHETT... 1H50<br />

épingle du jeu dans son rôle de jet-setteuse archétypale<br />

mais à la palette actorale étonnamment<br />

bien contrastée. Dans l’imagerie primaire<br />

du film résident aussi de nombreuses failles :<br />

l’absence de déclinaison des logos de Warner et<br />

Village Roadshow Pictures, à associer bien évidemment<br />

aux premières images du film pour en<br />

obtenir la confirmation, promettaient – et c’était<br />

une réelle surprise ! – un film plus réaliste et<br />

terre-à-terre. Le braquage confirme cela, ne se<br />

contentant que de suivre sans jamais perdre de<br />

vue tous les protagonistes pour fluidifier le braquage<br />

et le rendre crédible. De plus là où l’envie<br />

de localiser le film uniquement à New York aurait<br />

pu promettre un pastiche, cette fois-ci, des<br />

drames satiriques New-Yorkais contemporains,<br />

des œuvres de Woody Allen à “Mad Love in New<br />

York” des frères Safdie, il n’en reste qu’au stade<br />

premier, très lisse et aseptisé. Si le manque de<br />

grammaire <strong>ciné</strong>matographique se retrouve vite<br />

flagrant et tuant dans l’œuf la possibilité de voir<br />

ceci (un comble, de la part d’un réalisateur qui<br />

a pu signer “Pleasantville”, pastiche très réussi<br />

d’un sitcom classique et empli de codes vétustes),<br />

il ne semble pas non plus comprendre<br />

la volonté de son scénario d’accentuer un geste<br />

réaliste, en parasitant son long-métrage d’incompréhensibles<br />

transitions en volet. Le geste<br />

même du réalisateur se trouve alors coincé dans<br />

un paradoxe, entre l’émancipation et la citation,<br />

qui poussent sans cesse à sortir du film tout en<br />

donnant une infime légitimité à des flash-backs<br />

poussifs et d’une utilité encore très questionnable.<br />

Il est toujours étonnant de voir qu’un heist-movie<br />

au casting all-star soit souvent signe d’un<br />

pilotage automatique. Cela devient bien plus<br />

alarmant quand la saga la plus absurde de ce<br />

sous-genre, volontairement vide et abstraite, se<br />

retrouve piégée par l’auto-référence, aux thématiques<br />

– osons le terme – sans double-fond…<br />

Tanguy Bosselli


42<br />

13/06<br />

Désobéissance


43<br />

Pour les amateurs de ces deux actrices aussi belles que talentueuses, un film avec<br />

l’une des deux Rachel, McAdams et Weisz, ça s’attend toujours avec une certaine impatience.<br />

Mais un film avec les deux actrices ensemble, sous la caméra d’un <strong>ciné</strong>aste<br />

talentueux déjà organisé, Sebastian Lelio (“A Fantastic Woman”), le projet devient<br />

tout de suite gentiment immanquable.<br />

Adaptation du roman éponyme de Naomi Alderman, et plaçant son intrigue au sein<br />

de la communauté juive-orthodoxe de Londres, où les libertés individuelles sont sacrifiées<br />

sur l’autel de la croyance et de la tradition, “Désobéissance» s’attache au retour<br />

forcé (suite au décès de son père, éminent rabbin apprécié de tous) dans ce cadre<br />

rigide et restrictif de Ronit, dont l’apparence physique et la vie personnelle (elle est<br />

photographe à New-York), dénote complètement avec ses anciens contemporains.<br />

Presque paria d’une communauté qu’elle a quitté pour d’obscures raisons (mais faciles<br />

à déceler) et qui la renie poliment - sans forcément être hostiles comme d’autres<br />

communautés -, elle y retrouvera deux amis de jeunesse, Dovid, devenu disciple du<br />

rabbin, et sa femme Esti, avant de très vite troubler la quiétude et la discrétion de<br />

leur quotidien...<br />

Tragédie sentimentale bouleversante et nécessaire sur un amour impossible entre<br />

deux êtres malades de ne pas pouvoir établir la moindre connexion par manque<br />

de liberté (ce qui tranche avec les premiers mots de l’ouverture, annonçant que les<br />

humains au contraire des anges et des démons, sont libres de choisir leur destinée),<br />

malades de ne pas pouvoir assumer, être ce qu’elles sont réellement tant elles sont<br />

enfermées dans un mode de vie trop formel et ritualisé pour elles. Deux âmes perdues<br />

et divisées, qui se retrouvent, se connectent, se dévorent du regard dans un<br />

balai des sens aussi romantique qu’il est puissant de désir inassouvi.<br />

Véritable homme de la situation (remember son fantastique “Gloria”), Sebastian Lelio,<br />

jamais juge ni bourreau pour ses personnages, transcende la certaine prévisibilité de<br />

son oeuvre (qui peut douter qu’Esti résistera à la tentation incarnée par Ronit ?) pour<br />

en faire un beau drame humain à l’atmosphère aussi bouillante qu’anxiogène, où la<br />

complexité des émotions est le ciment d’un conflit inévitable, où l’idée de suivre son<br />

coeur peut avoir des conséquences proprement dévastatrices.<br />

Authentique, intense et forcément intime, pas exempt de quelques longueurs (surtout<br />

dans sa seconde moitié) mais à l’épilogue étonnamment ouvert, criant de vérité<br />

sans aligner une pluie de dialogues, «Désobéissance» magnifie la retranscription de la<br />

passion sur grand écran, et ne serait pourtant rien sans les prestations ahurissantes<br />

de justesse de Rachel Weisz (flamboyante), Alessandro Nivola (juste et touchant)<br />

mais surtout de Rachel McAdams (parfaite), véritable pivot dramatique du métrage<br />

en femme tiraillée au plus profond de son coeur.<br />

La désobéissance et l’amour ont un prix, l’honnêteté encore plus.<br />

Jonathan Chevrier<br />

DE SEBASTIAN LELIO. AVEC RACHEL WEISZ, RACHEL MCADAMS... 1H54


13/06<br />

hérédité DE<br />

ARI LESTER. AVEC TONI COLETTE, GABRIEL BYRNE... 2H06<br />

44<br />

Aussi étrange que cela puisse paraître, le <strong>ciné</strong>ma<br />

de genre US qui, passé quelques années de disette<br />

ou seulement quelques pépites arrivaient à<br />

surnager au-dessus des radars du nauséabond<br />

et du cruellement classique, se paye depuis peu<br />

une cure de jouvence non négligeable, nous envoie<br />

à une semaine d’intervalle à peine, deux de<br />

ses péloches horrifiques les plus célébrées et<br />

buzzées du moment : «Hérédité» d’Ari Aster ces<br />

jours-ci, et «Sans un Bruit» de John Krasinski la<br />

semaine prochaine. Deux films plaçant la cellule<br />

familiale en son coeur (berceau fertile pour les<br />

mystères et les secrets les plus fous), en s’ancrant<br />

solidement dans le réel pour mieux glisser<br />

dans l’horreur pure et laisser la terreur s’y immiscer<br />

avec une virtuosité proprement indécente.<br />

Mais si le film de Krasinski rappelle les premières<br />

heures (glorieuses) du <strong>ciné</strong>ma de M. Night Shyamalan,<br />

celui d’Aster lui, se place instinctivement<br />

dans les pas tutélaires des oeuvres phares de<br />

l’horreur : «Psychose» d’Alfred Hitchcock et «Les<br />

Innocents» de Jack Clayton en tête.<br />

Plongée angoissante dans l’intimité d’une famille<br />

à l’équilibre plus qu’incertain (et dont le quotidien<br />

est déjà gangrené par l’incommunicabilité entre<br />

tous ses membres), les Graham, tourné comme<br />

une tragédie dramatique sur les névroses familiales<br />

virant tranquillement mais sûrement dans<br />

son second tiers vers le cataclysme funeste profondément<br />

oppressant où chacun des personnages<br />

est prisonnier de son sort et n’a aucun<br />

contrôle sur un destin déjà tracé; «Hérédité» déjoue<br />

constamment les attentes de son auditoire<br />

(qu’il manipule autant que ses personnages,<br />

finement croqués) pour mieux l’emprisonner<br />

dans un cauchemar follement introspectif à la<br />

précision scénaristique et aux visions horrifiques<br />

d’une puissance graphique rare, visions dont on<br />

ne se remet jamais vraiment même longtemps<br />

après avoir quitté son siège.<br />

Magistral, imprévisible, hypnotique et totalement<br />

désespéré, jamais écrasé par ses nombreuses<br />

références (parfaitement digérées) et<br />

thèmes aussi forts que casse-gueule (la transmission<br />

comme le suggère le titre, la paranoïa,<br />

la schizophrénie ou même l’occultisme) tout en<br />

étant constamment sublimé par une direction<br />

d’acteurs appliquée (Toni Colette trouve aisément<br />

ici l’un de ses plus beaux rôles à ce jour);<br />

«Hérédité» est de ces petits miracles sur pellicule<br />

aussi fou et hallu<strong>ciné</strong> qu’hallucinant, dont<br />

la maîtrise diabolique de son jeune <strong>ciné</strong>aste, ne<br />

peut que laisser pantois.<br />

Pour son premier passage derrière la caméra,<br />

Ari Aster fait (très) mal, et s’inscrit instinctivement<br />

dans la liste des jeunes <strong>ciné</strong>astes ricains à<br />

suivre de près, au même titre que Jordan Peele<br />

et Trey Edward Shults.<br />

Jonathan Chevrier


45<br />

13/06<br />

midnight sun<br />

DE SCOTT SPEER. AVEC BELLA THORNE, PATRICK SCHWARZENEGGER... 1H33<br />

Dans l’étonnamment riche catégorie des comédiens<br />

« fils de cherchant à se démarquer de<br />

l’image imposante de leur paternel tout en se<br />

rattachant à des projets qu’eux n’auraient jamais<br />

touchés même sobres « (oui, c’est un gros intitulé),<br />

Patrick Schwarzenegger se pose bien là, juste<br />

derrière un Scott Eastwood qui accumule autant<br />

les mauvais choix que les prestations difficilement<br />

défendables. Essayant de faire son trou<br />

comme il peut à Hollywood et n’ayant ni l’accent<br />

gentiment prononcé - pour être poli - ni les<br />

put*** de biscottos monstrueux de son papounet,<br />

le voilà en vedette de la bluette adulescente<br />

de ce (presque) début d’été : «Midnight Sun», où<br />

il tente de vivre une love story ‘’impossible mais<br />

pas trop’’ aux côtés de la craquante chanteuse/<br />

actrice Bella Thorne, au C.V plus fourni mais pas<br />

forcément plus foufou non plus.<br />

Porté par un pitch un poil abracadabrantesque<br />

badigeonné de guimauve, tiré d’un film japonais<br />

- «Taiyo No Uta» de Norihiro Koizumi - qu’il<br />

pille sans vergogne et basant une nouvelle fois<br />

son intrigue (coucou syndrome “Love Story”)<br />

sur une potentielle maladie orpheline/tragique<br />

de son héroïne amoureuse - elle ne peut pas<br />

être exposée à la lumière du jour sous risque<br />

d’être frappée par un cancer foudroyant -, tout<br />

en jouant des talents de chanteuse de son actrice<br />

vedette (coucou syndrome «Le Temps d’un<br />

Automne»); «Midnight Sun», qui se rêve évidemment<br />

original, recycle sans frémir tous les poncifs<br />

du genre et les clichés romanesques pour<br />

accoucher d’une bande à la limite de l’orgie du<br />

mauvais goût, sommet de fadeur pataude dans<br />

lequel se perd un couple vedette mal assorti et<br />

jouant constamment avec les pieds (Arnie doit<br />

payer des cours d’acting à son rejeton fissa),<br />

pire que dans la plus nunuche et bas du front<br />

des telenovelas mal doublées.<br />

Teen movie sur un amour condamné prévisible<br />

et lisse comme ce n’est pas permis, partiellement<br />

émouvant, beaucoup trop niais et shooté<br />

aux bons sentiments pour causer plus l’empathie<br />

que la consternation, «Midnight Sun», qui<br />

cherche tout du long les chaudes larmes de son<br />

auditoire mais ne récolte qu’un ennui poli, incarne<br />

le nivellement vers le bas d’un genre qui<br />

pourtant, parfois quand toutes les étoiles sont<br />

bien alignées, arrive à faire mouche (merci John<br />

Green, mais pas que). Toutes les étoiles se sont<br />

gentiment fait la malle cette fois...<br />

Jonathan Chevrier


46<br />

20/06<br />

sans un bruit


47<br />

Printemps 2017, une petite bombe indépendante («Get Out») concoctée<br />

par un jeune <strong>ciné</strong>aste que l’on n’a pas vu venir (Jordan Peele) offrait un<br />

coup de fouet non négligeable à un <strong>ciné</strong>ma de genre ricain qui en avait<br />

bien besoin, tout en faisant gentiment exploser le box-office mondial.<br />

Printemps 2018... bis repetita.<br />

Passé deux premiers essais qui n’ont pas forcément fait grand bruit («Brief<br />

Interviews with Hideous Men» et le sympathique «La Famille Hollar»), le<br />

génial John Krasinski passe à la vitesse supérieure avec «Sans un Bruit»,<br />

film de monstres tendu comme la ficelle d’un string, dont l’excellence est<br />

appelée à marquer son époque.<br />

Sommet de survival/terreur intime alignant les sursauts traumatiques avec<br />

une justesse rare, distillant avec parcimonie de vrais morceaux de terreur<br />

tétanisant tout en puisant sa force autant dans une rigueur scénaristique<br />

exceptionnelle qui nous préserve majoritairement des habituelles facilités<br />

du genre (même si Krasinski se perd un peu plus dans le dernier acte, et<br />

qu’il est obligé de se laisser aller à quelques jumps scares dispensables)<br />

dans une réalisation inspirée et totalement vouée à la mise en valeur du<br />

hors-champ et de l’inconnu; “Sans un Bruit», tout en suggestion, revient au<br />

fondement du suspense horrifique adulte au classicisme formel imparable.<br />

Articulant son oeuvre sur deux artifices simples au sein d’un cadre faussement<br />

apocalyptique (une invasion de monstres à l’ouïe hyper développée<br />

et la nécessité d’une famille à ne pas faire de bruit pour survivre) et enlacé<br />

au plus près de ses personnages, volontairement ordinaires (pour accentuer<br />

l’empathie et la charge émotionnelle du récit), «A Quiet Place» ne révolutionne<br />

jamais le genre, mais va constamment à l’essentiel et exécute son<br />

électrochoc avec une telle minutie - proche de la perfection -, qu’il exhale<br />

une angoisse sourde et obsédante qui ne peut que marquer durablement<br />

son auditoire.<br />

Cauchemar sur pellicule singulier, silencieux - évidemment - et authentique,<br />

à la photographie crépusculaire et interprété à la perfection (Krasinski et<br />

Blunt sont convaincants en parents aimants mais fermes, Millicent Simmonds<br />

confirme tout le bien que l’on pense d’elle depuis «Wonderstruck»),<br />

«Sans un Bruit» est un petit bijou au charme subtil, un bel exemple de divertissement<br />

racé et intelligent à la synthèse minimaliste, qui n’est pas sans<br />

rappeler les premières oeuvres pré-craquage égocentrique, de M. Night<br />

Shyamalan. Vivement le prochain long de John Krasinski...<br />

Jonathan Chevrier<br />

DE JOHN KRASINSKI. AVEC JOHN KRASINSKI, EMILY BLUNT... 1H30


20/06<br />

how to talk to<br />

girls at parties<br />

Cinéaste au <strong>ciné</strong>ma profondément singulier, véritable amoureux de la culture punk<br />

s’étant sensiblement assagi avec son dernier long-métrage en date, le douloureux<br />

«Rabbit Hole» (déjà avec Nicole Kidman), John Cameron Mitchell a volontairement pris<br />

son temps pour revenir dans nos salles obscures, mais le bonhomme y a mis les formes,<br />

avec un retour aux sources improbable et férocement jubilatoire. Avec «How To Talk To<br />

Girls at Parties» (passé par la Croisette... l’an dernier), Mitchell renoue avec la folie de<br />

ses débuts pour adapter le pitch WTF-esque de la nouvelle d’un auteur lui aussi gentiment<br />

barré, Neil Gaman («Sandman», «American Gods»), dans laquelle trois lascars<br />

cherchent, dans le Londres de 1977, un after (mais surtout des filles) et se retrouvent in<br />

fine dans une fête avec un paquet de créatures venues d’ailleurs sexys et fan de latex.<br />

Gros trip <strong>ciné</strong>philique façon teen movie SF shooté au cultissime «The Rocky Horror<br />

Pictures Show», le quatrième long-métrage de Mitchell a beau être plus sage et moins<br />

politiquement incorrect/tordu que «Hedwig and The Angry Inch» et «Shortbus», il n’en<br />

est pas moins une petite bulle de légèreté et de lyrisme savoureusement kitsch, aussi<br />

bien ancré dans son époque (contestataire, l’aspect anarchique du rock et du mouvement<br />

punk, étant à son zénith) qu’elle fait continuellement la part belle à l’humour et à<br />

la romance au sein d’une bizarrerie pop et nostalgique délirante, porté par un couple<br />

vedette Elle Fanning/Alex Sharp joliment empathique.<br />

Autant récit initiatique et ode à la liberté et à l’anticonformisme que vrai trip loufoque<br />

à l’inventivité exceptionnelle, drôle (certaines privates jokes sont awesome), profondément<br />

impertinent et énergique (B.O d’enfer en prime), «How To Talk To Girls at Parties»<br />

est un petit OFNI inclassable, merveilleusement bordélique, excessif et enchanteur.<br />

Bref, le petit film insolite que notre été avait besoin, entre deux blockbusters ricains<br />

rutilants et pas toujours bandants...<br />

Jonathan Chevrier<br />

DE JOHN CAMERON MITCHELL. AVEC ELLE FANNING, NICOLE KIDMAN... 1H42<br />

48


49


50<br />

budapest<br />

DE<br />

XAVIER GEN


S. AVEC MANU PAYET, JONATHAN COHEN... 1H42<br />

51<br />

27/06<br />

Comme une sorte de rencontre au sommet entre trois<br />

figures phares de l’humour français issu de la culture internet,<br />

“Budapest s’avère être une comédie bien moins<br />

creuse qu’il n’y paraît. Si son premier quart peut d’abord<br />

nous faire craindre un “Very Bad Trip sorti 10 ans trop<br />

tard, il se détache finalement assez vite de son esprit beauf<br />

pour, à l’inverse, se remettre en question et prendre du<br />

recul sur les conséquences néfastes de cette vision vulgarisée<br />

du monde extérieur.<br />

De même, la réalisation de Xavier Gens (plutôt habitué<br />

aux films d’horreur à la subtilité relative) sied à l’atmosphère<br />

du scénario de Manu Payet et de Simon Moutairou<br />

d’une belle manière, oscillant toujours entre une stylisation<br />

clipesque de la folie nocturne de la capitale hongroise<br />

et un maintien constant du retour insidieux vers<br />

la réalité, personnifié ici par les génialement garces Alice<br />

Belaïdi et Alix Poisson.<br />

Néanmoins, c’est bien l’alchimie du trio Manu Payet/Jonathan<br />

Cohen/Monsieur Poulpe qui porte véritablement<br />

le film, lui donnant une ambiance décontractée, rafraîchissante<br />

et souvent drôle, mettant l’accent sur le grand<br />

talent d’improvisation de ces trois têtes d’affiche. Tous<br />

ces éléments permettent au final à “Budapest” d’être un<br />

moment agréable qui, à défaut d’être marquant sur le<br />

long terme, a le mérite de se suivre sans déplaisir et d’éviter<br />

de tomber dans le piège de l’œuvre gratuitement provocatrice.<br />

Tanguy Renault


27/06<br />

love, simon<br />

Outre quelques divagations romantico-légères pas toujours très digestes, gageons que le<br />

giron du teen movie US cher à feu John Hughes va bien, voire même de mieux en mieux,<br />

soyons fou. Et, entre un “13 Reasons Why” qui joue du buzz et un “Midnight Sun” qui fait<br />

franchement peine à voir, “Love Simon” n’y est décemment pas étranger à ce net regain de<br />

forme. Estampillé premier vrai film d’ado gay porté de manière totalement improbable par<br />

une grosse major - la FOX -, le film de Greg Berlanti (scénariste sur la référence “Dawson”)<br />

est surtout, enfin, une chronique adolescente qui compte sur grand écran.<br />

Une mini-révolution LGBT, un vrai coup de pied dans la fourmilière visant autant à divertir<br />

le spectateur qu’à faire résonner une belle vérité en lui : celle d’un coming out aussi touchant<br />

qu’il est d’une légèreté salvatrice, opéré entre les casiers d’un lycée (grille de lecture/<br />

extension cruelle de la vie courante) où les existences sont déjà rudement conditionnées.<br />

Greg Berlanti a totalement conscience de l’importance de sa péloche, et il fait les choses<br />

bien dans son adaptation du roman populaire “Moi, Simon, 16 ans, Homo Sapiens” de Becky<br />

Albertalli, recyclant habilement tous les codes habituels du genre tout en déjouant également<br />

les clichés faciles associés à l’homosexualité, pour mieux étayer un propos simple et<br />

symbolique du teen movie - l’acceptation de soi-même pour mieux se faire accepter des<br />

autres et trouver sa place -, au sein d’un joli récit mi-initiatique mi-love-story semblables aux<br />

autres, pétrie de drôlerie et d’intelligence, mais qui se démarque par la justesse d’un souffle<br />

émotionnel vibrant et universel.<br />

Bienveillant (trop peut-être, on n’est décemment pas chez Gregg Araki et son réalisme douloureux)<br />

dans sa déclinaison inédite et nécessaire de la chronique adolescente, solidement<br />

interprété (Nick Robinson en impose pour son premier vrai grand rôle), comique et à la<br />

mécanique bien huilée (même si le climax est trop shooté à la guimauve), “Love, Simon” est<br />

un beau et lucide petit moment de <strong>ciné</strong>ma certes pas exempt de quelques facilités, mais qui<br />

s’assume tel qu’il est, tout comme son attachant héros.<br />

Bref, le teen movie ricain fait enfin son coming out de manière publique sur grand écran, il<br />

était (vraiment) temps.<br />

Jonathan Chevrier<br />

52<br />

DE GREG BERLANTI. AVEC NICK ROBINSON, KATHERINE LANGFORD... 1H50


53<br />

27/06<br />

parvana<br />

Parfois, entre quelques divertissements amusant grandement nos petites têtes blondes -<br />

mais pas que -, le giron animé du septième art nous offre quelques petites pépites que l’on<br />

ne voit pas forcément venir, mais qui nous marque longtemps après vision.<br />

Et dans la riche année <strong>ciné</strong> 2018, qui est en passe d’entamer sa mi-course, le sublime<br />

“Parvana, Une Enfance en Afghanistan” de Nora Twomey, sera décemment de ceux-là.<br />

Adaptation tout en délicatesse et dureté du premier tome de la saga littéraire de Deborah<br />

Ellis, l’histoire suit celle de la jeune Parvana dans l’Afghanistan du début des années 2000,<br />

obligée de se grimer en garçon pour travailler (son père à été emprisonné pour avoir éduquer<br />

les femmes de son foyer) et ne pas subir de plein fouet la tyrannie des Talibans qui nie avec<br />

violence, le droit des femmes.<br />

Conte universel, onirique et touchant jamais moraliste malgré la gravité de son sujet<br />

(compréhensible par tous, et qui pousse instinctivement son auditoire à la réflexion), jamais<br />

trop douloureux et se permettant même quelques envolées tendres et drôles tout en ne<br />

masquant pas la barbarie (in)humaine de son cadre, “Parvana”, esthétiquement remarquable,<br />

est une vraie ode à l’imaginaire et au féminisme, à la résistance face à l’oppression et à la<br />

misogynie assumée d’un régime abusivement - et le mot est faible - autoritaire.<br />

À travers le combat vibrant de sa jeune héroïne humaniste, Nora Twomey nous rappelle à<br />

une vérité bien réelle, et nous touche en plein coeur avec un second essai aussi réaliste et<br />

politique qu’il est merveilleusement poétique.<br />

Jonathan Chevrier<br />

DE NORA TWOMEY. 1H33


54<br />

Tully DE<br />

27/06<br />

JASON REITMAN. AVEC CHARLIZE THERON, MACKENZIE DAVIS... 1H36


55<br />

On avait laissé le <strong>ciné</strong>ma de Jason Reitman pas forcément au beau fixe il y a un tout petit<br />

peu plus de trois ans maintenant avec le peu fameux «Men, Women and Children», tentative<br />

désespérée de revenir aux sources de son <strong>ciné</strong>ma bienveillant (que beaucoup n’hésiteront<br />

pas à taxer de surcoté et complètement inoffensif) au regard hautement affuté, mais sans<br />

la présence tutélaire de Diablo Cody au scénario.<br />

Un manque que n’aura décemment pas son retour sur grand écran, «Tully», puisque le bonhomme<br />

a fait en sorte de réunir autour de lui le duo magique qui avait fait de son brillant<br />

et amer «Young Adult», son dernier grand film : Cody au scénario et Charlize Theron face<br />

caméra; pour une vision loin d’être idyllique de l’accomplissement maternel.<br />

Décortiquant l’envers du décor de ce moment de grâce qu’est le miracle de donner la vie,<br />

le septième long-métrage de Reitman ne se prive jamais de montrer les mille et une difficultés<br />

que peut rencontrer toute femme choisissant d’être mère, de la fatigue accumulée à<br />

la cadence infernale des habitudes d’un quotidien presque ingérable appelées à se répéter<br />

sans cesse (une exploration prenante des thèmes de l’épuisement parental et de la dépression<br />

postpartum). Avec une approche intimiste proche du documentaire, «Tully», plus<br />

encore que «Young Adult», appelle au droit à l’imperfection de ses super-héroïnes de la vie<br />

de tous les jours, obligées de plier sous le poids d’exigences impossibles, et Marlo (Charlize<br />

Theron, fantastique et douloureusement empathique), la mère courage au bout du rouleau<br />

du métrage, a cruellement besoin d’aide. Une aide qui prendra les traits angéliques de Tully<br />

(Mackenzie Davis, touchante), une baby-sitter tout en énergie et en délicatesse, qui viendra<br />

prendre le relai une fois la nuit venue, et qui bouleversera dans les grandes largeurs le quotidien<br />

de la matriarche fraîchement quarantenaire.<br />

Comédie acerbe et inspirée glissant tendrement vers la tragédie mélancolique, plongeant<br />

souvent tête la première dans les scènes attendues et les tics de tout drame indépendant<br />

US tout en épousant, à travers certains dialogues, une vérité aussi brutale que nécessaire,<br />

sublimé par des comédiennes totalement impliquées; «Tully» s’inscrit dans la droite lignée<br />

du précédent long du trio Reitman/Diablo/Theron (et peut-être même de «Juno», au fond),<br />

et incarne un portrait tendre et humain de la quarantaine, de cet âge du milieu de vie tiraillé<br />

par les questionnements et les conséquences de nos choix passés.<br />

Un beau film simple, vrai, mature et joliment bouleversant, qui nous réconcilie clairement<br />

avec le <strong>ciné</strong>ma du rejeton d’Ivan Reitman.<br />

Jonathan Chevrier


56<br />

27/06<br />

pur-sang


57<br />

PaDire que l’on donnerait presque le bon Dieu sans confession à la magnifique<br />

Olivia Cooke est presque un doux euphémisme, tant la jeune comédienne<br />

a réussi à faire de son joli minois, l’un des plus plaisants à suivre ces<br />

dernières années, aussi bien sur le petit que sur le grand écran.<br />

Et alors qu’elle est en passe de s’offrir un joli billet pour la renommée suite au<br />

carton d’estime du méchamment jouissif “Ready Player One” du roi Steven<br />

Spielberg, et au triomphe critique du formidable premier essai de Wayne<br />

Roberts, “Katie Says Goodbye” (où elle est extraordinaire), c’est au tour de<br />

“Thoroughbreds”, sortie dans l’anonymat le plus complet malgré un buzz<br />

positif intense outre-Atlantique, que les amateurs de l’actrice se doivent de<br />

porter leur attention en ces premières heures d’un été bien plus riche que<br />

l’on aurait pu le croire.<br />

Premier film du <strong>ciné</strong>aste Cory Finley (mais surtout dernier de feu le regretté<br />

Anton Yelchin), sorte de teen movie noir scindé en plusieurs parties/chapitres,<br />

sur une amitié orageuse/fusionnelle entre deux ados BCBG supposément<br />

opposées (l’animalité glaciale face à la candeur attachante) mais<br />

complémentaires, qui s’associent dans le crime pour liquider le beau-père<br />

prétentieux de l’une des deux; “Thoroughbreds” - titré “Pur-Sang” par chez<br />

nous -, se rêve tout du long comme un sommet de thriller ambiguë et tendu<br />

comme la ficelle d’un string, sur une jeunesse aussi froide qu’inquiétante<br />

(trompant l’ennui de leurs quartiers huppés en concoctant l’impensable,<br />

troublante mise en images de la vie inerte de la « haute société « contemporaine),<br />

mais se perd continuellement dans un amas de bavardage à peine<br />

divertissant (même si le duo Cooke/Taylor-Joy en impose) qui amenuise<br />

considérablement l’aspect foncièrement étrange d’un script tortueux mais<br />

bancal, un jeu de massacre boitant jusqu’à un dernier acte jamais marquant<br />

ni déstabilisant.<br />

Coming-of-age movie façon conte macabre maladroit et singulier à l’ambiance<br />

pourtant enivrante grâce à la photographie soignée de Lyle Vincent<br />

(“The Bad Batch”, “A Girl Walks Home Alone at Night”), n’embrassant jamais<br />

assez sa part d’ombre - prometteuse - et son immoralité pour pleinement<br />

convaincre (même si la jeunesse dorée dépeinte inspiré bel et bien le sentiment<br />

de dégoût recherché), “Pur-Sang”, belle déception cynique vu les<br />

talents impliqués, ne vaut alors que pour l’alchimie magnétique et électrique<br />

d’Anya Taylor-Joy et Olivia Cooke, deux étoiles montantes d’un septième art<br />

ricain qui serait bien avisé de les faire jouer le plus possible.<br />

N’est pas Bret Easton Ellis qui veut...<br />

Jonathan Chevrier<br />

DE CORY FINLEY. AVEC ANYA TAYLOR-JOY, OLIVIA COOKE... 1H33


58<br />

OuIl y avait énormément de quoi tiquer sur le papier, à l’idée de voir débarquer dans les<br />

salles obscures, une suite au formidable “Sicario” de Denis Villeneuve, cornaqué non plus<br />

par le bonhomme mais par un autre <strong>ciné</strong>aste, Stefano « Gomorra « Sollima (pas un étranger<br />

du crime organisé donc), le tout avec une histoire occultant complètement l’héroïne du<br />

film original, campée par la sublime Emily Blunt, pour totalement se focaliser sur celui, au<br />

demeurant plus mystérieux et passionnant, d’Alejandro campé par Benicio « Fucking « Del<br />

Toro - avec celui de Josh Brolin également.<br />

Quelque part entre la violence décomplexée et anxiogène du sous-estimé “Cartel” de Ridley<br />

Scott, et le réalisme d’exécution du grand “Miami Vice” de Michael Mann (l’un des meilleurs<br />

polars de ces dix dernières années), le tout en rappelant l’intensité criante du film d’origine,<br />

“Sicario La Guerre des Cartels”, prenant place quelques années après les évènements de<br />

Juarez, enfonce le clou du divertissement racé et intelligent instauré par l’écriture majestueuse<br />

de Taylor Sheridan (qui s’impose de plus en plus en digne héritier du grand Sam<br />

Peckinpah), pour mieux incarner une oeuvre coup de poing; un uppercut sondant autant<br />

les traumas de la société contemporaine US (dont la situation politique n’a jamais été aussi<br />

houleuse et hypocrite) que les tréfonds de l’âme humaine via le prisme d’une humanisation<br />

salvatrice - même si un poil forcé - d’un homme charismatique en pleine quête de rédemption<br />

après une existence engluée dans l’enfer des cartels - mais pas que.<br />

Un antihéros crépusculaire presque d’un autre temps (un héros westernien, cher à Sheridan,<br />

qui n’est pas sans rappeler le Leon de Luc Besson, sous certains aspects), confrontant<br />

la violence bruyante par une autre, plus sourde mais pas moins destructrice.<br />

Manipulant à sa guise son spectateur avec un propos aussi corrosif qu’il est humain et<br />

criant de vérité (la peur du terrorisme, la question de l’immigration comme véhicule de la<br />

violence, la différence incroyable entre deux pays aussi proches physiquement qu’éloignés<br />

dans leurs politiques), tout en enrobant sa charge avec une action marquée et cadrée à la<br />

perfection (et on pense, instinctivement, à la référence “Heat”) par une mise en scène stylisée<br />

et enlevée (d’ailleurs, la direction d’acteurs s’aligne sur le même niveau de qualité), ainsi<br />

qu’une atmosphère dense et suffocante aux douloureuses allures de descente aux enfers<br />

saisissante; “Sicario La Guerre des Cartels”, qui prend le contre-pied du premier film tout<br />

en lui offrant un prolongement aussi atypique que solide et cohérent (le personnage de<br />

Brolin, passionnant d’ambiguïté morale, en sort grandit), est un divertissement calibré pour<br />

les amateurs de B movie, un moment de <strong>ciné</strong>ma percutant et nihiliste à souhait, au rythme<br />

volontairement infernal.<br />

S’il subit évidemment la concurrence avec son glorieux aîné (moins populaire dans sa facture,<br />

parfois plus irréaliste et métaphorique) et que sa nécessité/légitimité pourra toujours<br />

être discuté par beaucoup, il n’en est pas moins une franche - et étonnante - réussite.<br />

Jonathan Chevrier<br />

DE STEFANO SOLLIMA. AVEC BENICIO DEL TORO, JOSH BROLIN... 2H02


59<br />

27/06<br />

Sicario<br />

La Guerre des Cartels


60<br />

DE BRAD BIRD. AVEC LES VOIX DE DE GÉRARD LA<br />

Passé la (petite) frustration de voir que la tant attendue<br />

suite du bijou de Brad Bird s’inscrit directement à la suite<br />

du premier opus (on aurait adoré voir Jack-Jack grandir<br />

et les enfants prendre un peu de bouteille), impossible<br />

pour tout amoureux des premières bandes de la firme à<br />

la lampe, de ne pas être épris d’une nostalgie folle à la vision<br />

des premières secondes des “Indestructibles 2”, tant<br />

la famille Parr, même quatorze ans après, n’a pas pris une<br />

seule ride - à la différence de nous hein.<br />

Et si le premier opus offrait une radiographie pleine de<br />

sens du genre super-héroïque (avec une intrigue au beau<br />

milieu des 60’s, entre film de super-héros et film d’espionnage<br />

‘’Bondien’’), en plein essor à l’époque (la concurrence<br />

était considérablement réduite en comparaison à<br />

aujourd’hui), ce second film - produit un poil à la va-vite -<br />

arrive carrément au coeur de la bataille, à une heure où la<br />

demande devient de manière totalement contradictoire,<br />

aussi lassante qu’enthousiasmante.<br />

Mûrement réfléchi, bien ancré dans son époque en renversant<br />

- mais pas que - gentiment les rôles en s’attachant<br />

au prisme de la vie de foyer du point de vue du<br />

père de famille (c’est à Bob, vite dépassé, de s’occuper<br />

des enfants et à Hélène cette fois-ci, de bouter du méchant)<br />

et en rayant le concept d’image publique (à une<br />

heure où les réseaux sociaux font rage), encore plus ‘’spy<br />

movie’ et volontairement vintage que le précédent et<br />

déjouant pleinement la règle du ‘’bigger and louder’’ de<br />

toute suite made in Hollywood; “Les Indestructibles 2” enfonce<br />

le clou du bon goût jusqu’au fondement et incarne<br />

une suite aussi étonnante et visuellement impeccable<br />

que brillante, plaçant la famille, et non les super-pouvoirs<br />

(tous symboliques de la dynamique familiale), au coeur<br />

des débats, poussant de facto l’empathie et l’attachement<br />

du spectateur pour les Parr à son paroxysme au<br />

sein d’une intrigue certes un poil prévisible, mais tout du<br />

long prenante.<br />

Vrai/faux film de super-héros inventif et thématiquement<br />

dingue, rythmée façon pure comédie familiale sur la banalité<br />

du quotidien la guerre des genres, portée par des<br />

séquences d’action anthologiques et un score cuivré virtuose<br />

de Michael Giacchino, “Les Indestructibles 2” a bon<br />

à tous les niveaux, sublime les envolées cartoonesques<br />

autant que les vrais moments de bravoure de ses héros.<br />

Bref, Brad Bird prend à contre-pied la production actuelle<br />

et tue une nouvelle fois le game avec un petit bout de<br />

<strong>ciné</strong>ma sincère, magique et drôle, tout simplement.<br />

Jonathan Chevrier


NVIN, LOUANE EMERA... 1H58<br />

61<br />

04/07<br />

les indestructibles 2


62<br />

à la dérive<br />

Baltasar Kormákur ou définitivement l’un des plus honnêtes et sympathiques faiseurs<br />

de séries B de ces dix dernières années au sein de la jungle Hollywoodienne, un bonhomme<br />

au talent certain qui aligne les péloches jouissives et qualitatives à la pelle.<br />

Bref, un ami de la famille quoi.<br />

Habitué des survivals en terre hostile (il est le papa du mésestimé “Everest”), le voilà de<br />

retour en ces premières heures de juillet avec son “All is Lost” à lui, “À la Dérive” (oui, le<br />

même titre que le tâcheron de Guy Ritchie avec son ex-femme Madonna) aka “Adrift”,<br />

mise en images du véritable calvaire vécu en mer par Tami Oldham et Richard Sharp.<br />

Moins puissant que le chef-d’oeuvre de J.C Chandor, qui puisait autant sa force de son<br />

récit intime et épuré - dans tous les sens du terme - que dans la prestation habitée de<br />

la légende Redford (parfait) et définitivement loin d’être tourné vers le même public<br />

(malgré la présence solaire de Shailene Woodley), “À la Dérive” joue sur l’émotion (facile)<br />

que suscite ce calvaire en plein désert maritime, et s’avère même presque vibrant<br />

quand il ne se perd pas dans une pluie de flashbacks visant à maladroitement aérer<br />

une intense et éprouvante quête de survie (la nature est et restera le plus terrifiant et<br />

crédible des antagonistes au <strong>ciné</strong>ma).<br />

Et c’est bien là que le bât blesse : la volonté de faire de cette incroyable histoire vraie<br />

un prétexte à une romance racoleuse pour un public facilement influençable (tout


63<br />

04/07<br />

DE BALTASAR KORMÀKUR. AVEC SHAILENE WOODLEY ET SAM CLAFLIN... 1H38<br />

comme le récent “La Montagne entre Nous”, avec le bien plus talentueux couple Kate<br />

Winslet/Idris Elba) plutôt que de se focaliser pleinement sur cette miraculeuse survie<br />

(et pourtant loin d’être original sur grand écran), la force de vivre merveilleuse transpirant<br />

de cette femme courage qui va se battre jusqu’au bout pour sauver sa peau et<br />

celle de l’homme qu’elle aime.<br />

Vaincre la morosité d’un présent terrible et (presque) sans espoir en le contrebalançant<br />

avec le passé proche et les prémices d’une romance qui mènera inéluctablement les<br />

jeunes héros vers le premier cas de figure, l’idée est plutôt créative, et le choix aurait<br />

même pu être payant si le réalisateur, plutôt solide derrière la caméra - et auteur de<br />

quelques plans plutôt enlevés-, arrivait à nous impliquer un minimum dans son histoire<br />

et l’amour - jamais empathique - qui unit ses deux tourtereaux.<br />

Si nous n’avons pas envie de croire en eux, pourquoi se passionner pour leur quête de<br />

survie ?<br />

C’est la grosse question qui entoure donc cet honnête survival, plus romantique qu’existentiel,<br />

qui ne renouvelle décemment pas le genre (malgré une scène de tempête réellement<br />

terrifiante), mais qui divertit gentiment son monde.<br />

On a vu pire, mais on a surtout - évidemment - vu mieux.<br />

Jonathan Chevrier


64<br />

04/07<br />

joueurs<br />

Alors que beaucoup (pour ne pas dire la majorité) de comédiens et comédiennes ne choisissent<br />

leurs rôles qu’en fonction de la notoriété ou du nombre conséquent de billets verts<br />

qu’ils peuvent en tirer, certains se montrent en revanche, beaucoup moins égocentriques<br />

et cherchent avant tout à relever des défis... comme Tahar Rahim, dont la carrière singulière<br />

et en dehors des clous, parle définitivement en sa faveur.<br />

Passé un “Marie-Madeleine” douloureusement maladroit (où il campait rien de moins que<br />

Judas) sortie fin mars dernier, le voilà de retour dans les salles obscures en ces douces premières<br />

heures d’été aux côtés de la délicate Stacy Martin, avec “Joueurs” de Marie Monge<br />

(qui a fait un petit tour sur la Croisette en mai dernier, du côté de la Quinzaine des Réalisateurs),<br />

attendue comme une plongée inédite dans le septième art hexagonal, au coeur du<br />

monde du jeu et de l’addiction qu’il suscite chez certains, une addiction qui peut prendre le<br />

pas sur tout - même l’amour.<br />

Une vision pimpante et underground du Paris by Night où jouer ne rime jamais vraiment<br />

avec gagner, capté via le prisme enchanteur d’un couple supposément mal assorti (Tahar<br />

Rahim, irrésistible, et Stacy Martin, parfaite), mais fou l’un de l’autre; deux coeurs gangrenés<br />

par un milieu où il est impossible de ne pas payer, que ce soit de son compte en banque<br />

ou carrément de sa personne.<br />

Filmé comme un polar noir réaliste (plus que dans un reportage télévisé racoleur) et stylisé<br />

plus ou moins virtuose (mention au montage dynamique couplé à la belle photographie de<br />

Paul Guillaume), n’ayant jamais peur de se perdre dans le volontairement outrancier sans<br />

trop crouler sous ses nombreuses références (les films de Marty Scorsese en tête), vraie<br />

chronique sombre où le romantisme se mêle à la violence et l’excitation du jeu (joli parallèle<br />

entre les deux relations loin d’être si différente) de manière palpable; “Joueurs”, sorte de<br />

True Romance - toute propension gardée -, est un thriller aussi prenant qu’énergique, pas<br />

dénué de quelques défauts dommageable certes, mais un habile petit moment de <strong>ciné</strong>ma<br />

porté par un couple, une belle paire d’as, séduisant en diable.<br />

Encore un premier long à ajouter à la jolie liste des réussites du <strong>ciné</strong>ma hexagonale de cette<br />

(très) bonne cuvée 2018.<br />

Jonathan Chevrier<br />

DE MARIE MONGE. AVEC TAHAR RAHIM ET STACY MARTIN... 1H45


65<br />

04/07<br />

american nightmare :<br />

les origines<br />

Avec “The First Purge” (“Les Origines”) réalisé par Gerard McMurray, la série de films “The<br />

Purge” (“American Nightmare” chez nous) de James DeMonaco (2013-) prend un tournant<br />

diablement politique abandonnant la bourgeoisie de Los Angeles pour la «capitale du crime»<br />

: New York.<br />

Agissant comme un prequel, James DeMonaco et Gerard McMurray nous expliquent avec<br />

“Les Origines” comment nous en sommes venu.e.s à un monde où les États-Unis d’Amérique<br />

autorisent douze heures par an un déchaînement de violences non réprimées intitulé la<br />

purge par ses participant.e.s (sorte de « deux minutes de haine » orwellienne). Afin de voir<br />

si l’expérience serait concluante, le site new-yorkais de Staten Island est choisi : population<br />

noire et taux de pauvreté conséquent se côtoient. Un choix idéal pour les conservateurs<br />

nouvellement élus (les Nouveaux Pères Fondateurs) : le but étant d’amener à l’anarchie (au<br />

sens néfaste) et justifier une purge nationale l’année suivant l’épisode de Staten Island.<br />

Pour se faire, quoi de mieux que de profiter de la pauvreté et de la stigmatisation du<br />

lieu ? Entre arrangements et incitations à la participation, les Nouveaux Pères Fondateurs<br />

accomplissent tout ce qui est en leurs pouvoirs pour que les classes sociales les plus faibles<br />

s’éliminent entre elles. Un « plan pauvreté » avant l’heure ?<br />

Si la force de la série de James DeMonaco n’a jamais été <strong>ciné</strong>matographique, malheureusement,<br />

sa véracité sociologique est tout à fait édifiante. On serait presque à se demander si “American<br />

Nightmare : Les Origines” ne va pas plus loin que le “Black Panther” de Ryan Coggler (2018)<br />

dans sa vision des minorités. Et pour cause, le film est en parfaite non-mixité, érige les<br />

blancs bourgeois comme les véritables (et seuls) ennemis, convoque explicitement l’épisode<br />

tragique de Ferguson (et tant d’autres) ainsi que le mouvement Black Lives Matter (« Nigga,<br />

we gon’ be alright ») !<br />

Wade Eaton<br />

DE MARIE MONGE. AVEC TAHAR RAHIM ET STACY MARTIN... 1H45


66<br />

11/07<br />

dogman<br />

Pas qu’un petit personnage ce Matteo Garrone, papa des excellents “Gomorra” et “Reality”,<br />

tous deux primés par le Grand Prix à Cannes (en 2008 et 2012), mais surtout chef de file du<br />

renouveau du <strong>ciné</strong>ma transalpin qui avait bien besoin d’un regain de fraîcheur. À l’image du<br />

génial Nanni Moretti, le bonhomme a fait de la Croisette son nouveau terrain de jeu d’exception,<br />

pas forcément une bonne chose au souvenir de son hautement mitigé “Tale of Tales”.<br />

Trois ans plus tard et toujours aussi ambitieux, il revenait toujours sur la Croisette avec<br />

“Dogman”, thriller crépusculaire façon western urbain aux doux contours de huis clos puissant<br />

engoncé dans un cadre proprement apocalyptique et totalement coupé du monde<br />

(telle une véritable forteresse de solitude face à la mer); où un père aimant/dresseur de<br />

chiens capable d’amadouer le plus dur des chiens, se fait brutaliser par un ‘’ami’’, ancien<br />

boxeur accro à la cocaïne sortie de prison.<br />

Plus tôt dans l’année, Samuel Benchetrit adaptait son propre roman pour faire de “Chien”,<br />

une fable politico-ironique surréaliste sur la déshumanisation de la société contemporaine<br />

par le biais d’un homme devenant peu à peu, un chien docile.<br />

Garrone, tout aussi inspiré, s’attaque à une descente aux enfers similaires mais infiniment<br />

plus psychologique et tendue, d’un homme entraîné dans une spirale de violence implacable<br />

et devant, comme un animal acculé par la peur et l’incapacité d’encaisser plus qu’il<br />

ne l’a déjà trop fait, répondre en suivant la voie de la colère. Parce que tout appelle, dès les<br />

premières minutes, à ce que cette douloureuse histoire finisse mal.<br />

Noir, désespéré, retors, surréaliste - parfois à la limite de l’absurde -, formellement sublime,<br />

offrant une auscultation proprement déroutante des laissés-pour-compte et porté par des<br />

comédiens habités (Marcello Fonte, chien battu au regard crève-coeur, est formidable),<br />

“Dogman”, mécanique huilée à la perfection, est un drame humain tragique et cathartique<br />

à la tension permanente, un uppercut que l’on voit tout du long venir, mais qui nous met<br />

k.o sans le moindre effort.<br />

Jonathan Chevrier<br />

DE MATTEO GARRONE. AVEC MARCELLO FONTE, EDOARDO PESCE... 1H42


11/07<br />

paranoïa<br />

Passé une « plus ou moins « retraite qui a vu le bonhomme avoir un emploi du temps au<br />

final aussi chargé qu’avant, le touche-à-tout de génie Steven Soderbergh revenait aux affaires<br />

et derrière la caméra l’an dernier avec le jouissif “Logan Lucky”. Toujours prêt pour<br />

les expérimentations les plus folles pour mieux réinventer son art, le bonhomme suit les pas<br />

de Sean Baker et son “Tangerine”, en tournant son nouveau long-métrage, “Unsane” - “Paranoïa”<br />

par chez nous - entièrement à l’iPhone.<br />

Un sacré challenge technologique visant à rendre encore plus immersive et troublante<br />

(surtout) cette nouvelle incursion dans le thriller psychologique à forte tendance horrifique<br />

(huit ans après le magistral “Contagion”), contant les aléas d’une femme flanquée accidentellement<br />

- ou pas - dans un hôpital psychiatrique, et qui désespère de prouver sa bonne<br />

santé mentale avant de se voir frapper par un fantôme du passé bien décidé à la hanter.<br />

Sur le papier, cette plongée intime et labyrinthique dans les arcanes du système hospitalier<br />

et du calvaire intime d’une patiente façon” Vol au-dessus d’un nid de coucou” infernal à forte<br />

tendance Lynchienne - avec la très demandée Claire Foy en vedette -, vendait suffisamment<br />

de rêve pour qu’on soit un minimum attiré par la chose au-delà même de la présence de<br />

Soderbergh derrière la caméra.<br />

A l’écran en revanche, la déception pointe (très) vite le bout de son nez aussi bien d’un<br />

point de vue visuelle (l’image est terne et souvent mal cadrée malgré quelques plans un poil<br />

recherché plaçant instinctivement le spectateur en position de voyeur, le découpage est<br />

archaïque...) que scénaristique, tant ce huis-clos paranoïaque et cauchemardesque dévoile<br />

de manière bien trop précoce son jeu, ramant dès lors péniblement à développer l’intérêt<br />

pour une intrigue minimaliste aussi peu originale que paresseuse - voire même limite ennuyeuse<br />

-, manquant cruellement d’ampleur (un peu comme son “Effets Secondaires”, thriller<br />

à tiroirs qui alignait les twists sans saveur) et n’exploitant jamais vraiment les nombreux<br />

thèmes abordés, jusqu’à un final plus convenu tu meurs.<br />

Privilégiant maladroitement la forme (bancale mais osée) au fond (jamais crédible ni prenant,<br />

le cul coincé entre deux sièges dans son mélange des genres), “Unsane”, qui se rêve<br />

aussi tortueux et ambiguë qu’un “Shutter Island” ou “L’Échelle de Jacob”, ne vaut alors que<br />

pour la partition impliquée - et le mot est faible - d’une Claire Foy lumineuse, qui semble<br />

tout du long croire en la force viscérale du métrage, vraie prise de risque assumée même<br />

dans ses nombreux travers. Et elle est (sûrement) bien la seule.<br />

Jonathan Chevrier<br />

DE STEVEN SODERBERGH. AVEC CLAIRE FOY, JOSHUA LEONARD... 1H41<br />

67


68<br />

18/07<br />

come as you are<br />

Au sein de la plus ou moins riche sélection du dernier CEFF, qui vient tout juste de signer<br />

son clap de fin, “Come As You Are”, au même titre qu’un “Piercing” ou même qu’un “Paranoïa”<br />

(“Unsane”) de Steven Soderbergh, apparaissait aisément aux yeux des <strong>ciné</strong>philes avertis,<br />

comme l’une des séances les plus immanquables, en bonne bête de festivals qu’il est.<br />

Avec la grosse étiquette ‘’Sundance Approved’’ collée sur le coin de la pellicule, et celle<br />

encore plus imposante - mais moins rassurante - d’adaptation de roman YA - “The Miseducation<br />

of Cameron Post” d’Emily Danforth -, le tout porté par un casting de jeunes talents<br />

alléchant, le second long-métrage de Desiree Akhavan s’attaque à un sujet costaud sur le<br />

papier : l’apprentissage et l’affirmation de la sexualité chez les adolescents, poussés littéralement<br />

au redressement dans un sinistre camp de ‘’conversion gay’’ évangélique quand<br />

ceux-ci éprouvent une attirance pour un jeune du même sexe; une tare qu’il faut corriger<br />

en poussant constamment au self shaming et au matraquage psychologique (lavages de<br />

cerveau, humiliations publiques etc...).<br />

Vrai drame façon fable coming-of-age sur l’acceptation de soi, reflet honnête et amer de<br />

l’incertitude déchirante de l’identité et de la sexualité adolescente tout en étant étonnamment<br />

ouvert à la compréhension et à la réflexion sur tous les points de vue (le film ne charge<br />

jamais à outrance le camp des oppresseurs pieux, et la ferveur religieuse n’est jamais moquée),<br />

“Come As You Are”, teen movie autant provocateur et sombre qu’il est infiniment poignant,<br />

traite frontalement et avec une vérité cru l’enfer ‘’pavé de bonnes intentions’’ vécu<br />

par une poignée d’ados combattant tout du long dans un cadre répressif, pour s’affirmer<br />

tels qu’ils sont réellement.<br />

D’une candeur et d’une sincérité rafraîchissante tout en s’amusant continuellement à déjouer<br />

les attentes du spectateur avec quelques pointes d’humour salvatrices, solidement<br />

interprété (Jennifer Ehle et Chloé Grace Moretz y trouvent leurs plus beaux rôles), le film<br />

de Desiree Akhavan est un beau et modeste moment de <strong>ciné</strong>ma, qui peut offrir une contreséance<br />

parfaite au plus bienveillant - mais pas moins pertinent - “Love, Simon” de Greg<br />

Berlanti.<br />

Jonathan Chevrier<br />

DE DESIREE AKHAVAN. AVEC CHLOÉ GRACE MORETZ, SASHA LANE... 1H31


69


70<br />

Un boulevard s’ouvre pour la comédie française cet été entre<br />

quelques sorties de blockbusters made in USA. Tandis que certains<br />

films sont assez attendus («Au Poste !», «Neuilly sa mère, sa mère» ou<br />

encore «Le Monde est à toi»), on redoute également la sortie d’autres<br />

comédies françaises qui sont bien loin de donner ne serait-ce qu’une<br />

once d’envie (coucou «Christ(off)» et «Ma Reum»). Et c’est donc dans<br />

cette - petite - vague estivale de comédies que débarque Julien Guetta<br />

et son premier long-métrage «Roulez Jeunesse».<br />

Oscillant constamment entre drame et comédie avec une facilité assez<br />

déconcertante pour quelqu’un qui réalise là son premier film, «Roulez<br />

Jeunesse» tient surtout grâce à la composition d’Eric Judor - absolument<br />

sous-estimé l’année dernière avec son dernier film «Problemos» - qui<br />

trouve ici certainement l’un de ses plus beaux rôles. Abandonnant<br />

ainsi tous ses tics et l’humour qu’on lui connaissait pour nous offrir<br />

un véritable rôle de composition qui nous prouve que le bonhomme<br />

en a sous le pied, et bien plus qu’on le pense même. À contre-courant<br />

de tout ce qu’il a pu nous proposer auparavant - à contrario de son<br />

comparse de toujours Ramzy Bedia qui s’est déjà essayé plusieurs<br />

fois, avec succès, au drame -, l’acteur de 48 ans trouve dans ce film<br />

un nouveau terrain de jeu où le spectateur peut apprécier une palette<br />

de jeu époustouflante, beaucoup plus dans la retenue. Eric Judor c’est<br />

Alex, 43 ans, dépanneur automobile dans le garage de sa mère, qui se<br />

retrouve du jour au lendemain avec deux gosses et une adolescente<br />

sur les bras après un coup foireux d’une nuit.<br />

Corde tendue entre la comédie dans sa première moitié de film avant<br />

de basculer un petit peu plus vers le drame avec de vrais moments<br />

bouleversants, «Roulez Jeunesse» réussit cependant à rester dans<br />

le feel-good movie profondément humain et tendre envers tous ses<br />

personnages. D’ailleurs pour l’épauler, Erico judo peut compter sur<br />

une belle brochette d’acteurs et actrices dont la formidable Laure<br />

Calamy ainsi que le jeune Ilan Debrabant d’une candeur à croquer.<br />

Véritable surprise de cet été, «Roulez Jeunesse» est une bouffée d’air<br />

frais dans la comédie française plutôt indigeste ces derniers temps.<br />

En plus de confirmer les talents d’Eric Judor, il permet surtout à Julien<br />

Guetta d’imposer sa patte dans le <strong>ciné</strong>ma français avec ce véritable<br />

bonbon aussi sucré que subtilement acidulé.<br />

Margaux Maekelberg<br />

DE JULIEN GUETTA. AVEC ERIC JUDOR, LAURE CALAMY... 1H24


71<br />

25/07<br />

roulez<br />

jeunesse


72<br />

ERIC JUDOR<br />

L’HURLUBERLU INCOMPRIS


73<br />

Il y aura quelque chose<br />

d’assez fou, voire même<br />

d’assez révoltant, dans le fait<br />

de lire durant ces prochains jours,<br />

des papiers professionnels - ou non -<br />

affirmer avec un aplomb assuré, que le<br />

mésestimé Eric Judor casse enfin son<br />

image de clown amusant (ou con, pour<br />

les mauvaises langues) en signant un<br />

rôle aussi dramatique qu’adulte dans<br />

l’excellent premier essai de Julien<br />

Guetta, «Roulez Jeunesse»; comme<br />

si l’éternel binôme de Ramzy Bedia<br />

n’avait justement pas essayé depuis<br />

plus d’une décennie maintenant, à<br />

se renouveler, à s’éloigner de sa zone<br />

de confort en proposant autre chose<br />

que des comédies volontairement<br />

régressives qui ont fait son succès - et<br />

celui de Ramzy, évidemment.<br />

Un oubli volontaire de la conscience<br />

collective, à l’instar de ceux ayant<br />

frappés des carrières plus prestigieuses<br />

comme celles de Jim Carrey ou même<br />

de Jack Black, furieusement injuste<br />

pour ce touche à tout aussi génial<br />

qu’ambitieux, symbole comique de<br />

toute une génération.<br />

Souvent là au bon moment (Fun Radio,<br />

M6 avec les mots puis Canal + avec<br />

«H»), membre important de la nouvelle<br />

vague humoristique qui passera de la<br />

scène et du petit écran au plus grand<br />

au début des années 2000 à coups de<br />

comédies pas toujours défendables -<br />

mais cultes -, Eric a beau ne pas avoir<br />

toujours eu le nez fin (notamment<br />

dans sa courte phase parodique avec<br />

le jouissif «La Tour Montparnasse<br />

Infernale» et les moins bons «Double<br />

Zéro» et «Les Dalton»), il a néanmoins<br />

su se constituer un vrai <strong>ciné</strong>ma en<br />

solo, par la force d’implication dans<br />

des projets singuliers - chez Quentin<br />

Dupieux en tête - et surtout, par la force<br />

de sa propre plume.<br />

Vrai auteur à part entière qui n’a pas<br />

peur d’assumer sa vision burlesque et<br />

satirique (mais également teintée de<br />

douceur) du monde et de l’industrie au<br />

sein de la merveilleuse série «Platane»<br />

(dont la troisième saison est à l’écriture)<br />

ou encore du brillant «Problemos»<br />

(furieusement Judor-esque même si<br />

le scénario est de Blanche Gardin et<br />

Noé Debré), et qui n’hésite même pas<br />

à littéralement décortiqué le concept<br />

même de suite d’une comédie débile<br />

en le rendant encore plus follement<br />

absurde (l’hybride «La Tour 2 Contrôle<br />

Infernale»); Eric Judor a beau tordre les<br />

limites de la comédie jusqu’à l’extrême,<br />

il remporte constamment l’adhésion en<br />

rendant - comme les frangins Farrelly<br />

- l’intégralité de ses personnages<br />

réellement empathiques, même quand<br />

ils sont indéfendables («Platane» again).<br />

Alors tant pis s’il semble se perdre encore<br />

un peu dans le divertissement populaire<br />

de masse («Les Nouvelles Aventures<br />

d’Aladdin» et sa suite «Alad’2», où il<br />

retrouvera Jamel Debbouze et Ramzy),<br />

Eric Judor est un vrai artisan de l’humour,<br />

au manque de reconnaissance un poil<br />

ingrat, qui n’a pas peur de faire fausse<br />

route mais qui surtout, n’a pas peur de<br />

faire rire de tout, quitte à ne pas faire rire<br />

tout le monde.<br />

Jonathan Chevrier


08/08<br />

under the<br />

silver lake<br />

C’était l’événement de la compétition cannoise,<br />

bien au-dessus des retours en fanfare de Matteo<br />

Garrone, Nuri Bilge Ceylan ou encore Jean-Luc<br />

Godard : David Robert Mitchell est enfin de retour,<br />

trois ans après l’excellent “It Follows”, avec<br />

“Under The Silver Lake”, relecture décalée du film<br />

Noir post-moderne des années 70. Si le choix du<br />

genre peut surprendre quitte à s’inquiéter de<br />

la cohérence thématique de son auteur, pas de<br />

panique : l’adolescence, le nihilisme et le refoulement<br />

reviennent ici au centre du récit, focalisé<br />

sur un Andrew Garfield méconnaissable.<br />

Pour autant, le bât blesse très vite, le réalisateur<br />

américain n’arrivant jamais à remodeler ses<br />

messages dans les travers de sa narration alambiquée.<br />

Bien qu’assez passionnant par rapport à<br />

son personnage principal complètement allumé<br />

et faible, mal rasé et un peu bedonnant, David<br />

Robert Mitchell manque de liant entre toutes<br />

ses thématiques, quitte à complètement délaisser<br />

le lien possible entre sa définition de la ville<br />

de Los Angeles, espace <strong>ciné</strong>matographique dédié<br />

uniquement à l’image et au paraître, et son<br />

personnage en proie à une crise amoureuse et<br />

identitaire, ne le résumant qu’à de simples tautologies.<br />

Blindé de références pour définir ses<br />

espaces, comme dit précédemment, le réalisateur<br />

use de la citation jusque dans son mouvement<br />

de caméra (les couleurs et la musique en<br />

hommage à Hitchcock côtoient la brutalité du<br />

cadre et du cut chez Terrence Malick) mais a du<br />

mal à se façonner une identité qui aurait pu, au<br />

travers de tout ce système, faire naître un piratage<br />

à l’intérieur de celui-ci. Le long-métrage<br />

manque alors de mordant et suit inlassablement<br />

un système narratif sans variations, emprunté<br />

à Lynch mais trop usé et trop timide, pour n’en<br />

sortir qu’en 140 minutes le message de la fin<br />

de l’adolescence et d’un siècle entier de révolutions<br />

religieuses, <strong>ciné</strong>matographiques et technologiques.<br />

A24 a, après la projection de “Under<br />

The Silver Lake” à Cannes, rapatrié le film pour le<br />

sortir dans six mois au lieu des deux prévus. Un<br />

remontage serait alors envisageable pour réorganiser,<br />

raccourcir et peut-être relever quelques<br />

idées mal amenées ou malvenues. Et si le cas<br />

étant, grand bien leur en fasse…<br />

Tanguy Bosselli<br />

DE DAVID ROBERT MITCHELL. AVEC ANDREW GARFIELD, RILEY KEOUGH... 2H19<br />

74


75<br />

DAVID<br />

ROBERT<br />

MITCHELL<br />

Avant de parler à un public, le<br />

<strong>ciné</strong>ma est très souvent un art où<br />

l’on parle de soi. De notre point de<br />

vue politique, du monde dans lequel<br />

on évolue, de nos angoisses ou bien<br />

encore de notre passé. David Robert<br />

Mitchell, à bien des égards, s’est<br />

axé sur cette dernière thématique<br />

mais à l’inverse de toute cette mode<br />

de revival eighties qui fleurit un peu<br />

partout, il va surtout questionner le<br />

sens caché derrière la culture de<br />

son passé, de sorte à la remettre au<br />

goût du jour et proposer quelque<br />

chose de plus surprenant et plus<br />

entouré de mystère.


76<br />

U n mystère qui<br />

débute même<br />

par l’origine de son réalisateur.<br />

David Robert Mitchell ne<br />

laisse filtrer que très peu<br />

d’informations sur sa vie<br />

privée. Tout juste nous savons<br />

qu’il est né en 1974 dans le<br />

Michigan et qu’il est parvenu<br />

à atteindre les hautes sphères<br />

du <strong>ciné</strong>ma grâce à son petit<br />

boulot de monteur de bandesannonces.<br />

C’est justement ce<br />

manque total d’informations<br />

sur le personnage qui nous<br />

fait dire que nous avons là un<br />

<strong>ciné</strong>phile comme les autres,<br />

ayant sûrement bénéficié d’un<br />

peu de chance mais ayant<br />

surtout évolué dans une culture<br />

américaine propice à générer<br />

toutes sortes de fantasmes et<br />

de créativité.<br />

Après trois court-métrages<br />

remarqués dans plusieurs<br />

festivals dans le début des<br />

années 2000 (“Flashbulb Kiss”,<br />

“Fourth of July” et “Virgin”), c’est<br />

en 2010 que sort son premier<br />

long-métrage, “The Myth of<br />

The American Sleepover”.<br />

Instantané d’une soirée<br />

lycéenne comme les autres<br />

mais où de simples événements<br />

seront majeurs pour ces jeunes<br />

adultes à en devenir, ce premier<br />

essai synthétise d’ores-etdéjà<br />

la fascination de son<br />

réalisateur pour l’imaginaire<br />

de l’adolescence évoluant sans<br />

véritable but dans une banlieue<br />

délabrée. Pas de grande ville<br />

ici, toute l’action de ses films<br />

se concentre sur de petits<br />

quartiers sans histoire, effacés<br />

par les grandes métropoles, là<br />

où les légendes urbaines se<br />

créent. De même, l’aspect visuel<br />

si léché de ses films prend déjà<br />

origine ici, avant de connaître<br />

son véritable essor sur son film<br />

suivant : “It Follows”.<br />

Quiconque s’intéresse de près<br />

ou de loin au <strong>ciné</strong>ma d’horreur<br />

n’a pas pu passer à côté du<br />

film qui a véritablement fait<br />

émerger David Robert Mitchell<br />

sous les projecteurs. Multirécompensé<br />

et acclamé dans<br />

le monde entier, “It Follows” est<br />

assurément destiné à devenir<br />

culte dans les années à venir.<br />

Comme une sorte de mise à<br />

jour de “La Féline” à la sauce<br />

John Carpenter, le réalisateur<br />

prolonge son exploration<br />

thématique du teen-movie, en<br />

l’occurrence ici la sexualité,<br />

mais le confronte avec des<br />

problématiques actuelles. D’un<br />

concept si simple et pourtant<br />

si efficace (une malédiction<br />

sexuellement transmissible qui<br />

va poursuivre éternellement<br />

notre jeune héroïne), c’est une<br />

véritable leçon de suspense et<br />

de mise en scène qui défile sous<br />

nos yeux, mettant en valeur<br />

aussi bien la menace constante<br />

qui rôde sur nos personnages<br />

que le Detroit à l’abandon dans<br />

lequel ils


77<br />

évoluent, sachant toujours à merveille quand et comment surprendre et<br />

terrifier son audience.<br />

Difficile de succéder à un tel engouement critique et public et il aura fallu<br />

attendre presque 4 ans pour que Mitchell revienne sur le devant de la<br />

scène avec un film nettement plus ambitieux, intitulé “Under The Silver<br />

Lake”. Si cet opus a pu être vu comme une déception lors de son passage<br />

au dernier Festival de Cannes, il n’en demeure pas moins une continuité<br />

parfaite de l’exploration de l’envers de l’imaginaire culturel américain, ici<br />

dans sa dimension la plus absurde et paranoïaque. Toujours aussi multiréférencé,<br />

“Under The Silver Lake” est un film volontairement étouffant,<br />

bordélique et fourre-tout. A mi-chemin entre du Alfred Hitchcock et du<br />

Gregg Araki, le film semble clôturer une sorte de « trilogie de la pop-culture<br />

pré-2000 », atteignant ici la limite des années 90 avec un personnage<br />

enfin adulte, tout du moins en théorie, ayant quitté son nid d’enfance<br />

pour un Los Angeles tout aussi labyrinthique.<br />

Il ne reste plus qu’à prédire (ou espérer) que son quatrième film partira<br />

vers une toute autre direction. On sait qu’il a longtemps travaillé sur un<br />

projet relatant les 24h d’une jeune femme venant de se faire larguer<br />

mais qui sait ce que le bougre peut nous réserver de plus surprenant à<br />

l’avenir. Ses films ont beau ne pas tout le temps faire l’unanimité, il est<br />

indéniable que sa maîtrise sans faille de son héritage, qu’il soit littéraire,<br />

musical, <strong>ciné</strong>matographique ou même vidéo-ludique, fait de lui un des<br />

porte-paroles d’une génération ayant envie de faire enfin bouger les<br />

choses, sans pour autant renier là d’où ils viennent vraiment.<br />

Tanguy Renault


15/08<br />

le monde<br />

est à toi<br />

Dans la continuité de son premier long-métrage “Notre Jour Viendra”,<br />

imparfait mais rempli d’idée, Romain Gavras prolonge l’exploration de<br />

son univers visuel barré, directement influencé par l’imagerie fantasmée<br />

de la banlieue ainsi que par sa carrière polémique dans le clip-vidéo.<br />

Avec comme prétexte une histoire à base de Mr. Freeze au Maghreb, nous<br />

sommes embarqués dans une sorte de pastiche du film de gangster absurde<br />

à l’extrême, porté par des personnages tous plus stupides les uns<br />

que les autres, mais néanmoins sincères et jusqu’au-boutistes dans leurs<br />

démarches. Il faut à ce titre saluer l’immense force de frappe de l’intégralité<br />

du casting, choisi à la perfection et dont les performances sont<br />

absolument jouissives, tout particulièrement Vincent Cassel et Isabelle<br />

Adjani, totalement en décalage avec son image habituelle et aussi détestable<br />

qu’attendrissante.<br />

Ce cocktail d’éléments détonants donne ainsi une comédie d’action sans<br />

repères préconçus, avançant toujours là où on ne l’attend pas (malgré<br />

quelques passages scénaristiques obligés) et adoptant constamment<br />

un ton grinçant et insolent sur de nombreux thèmes politiques actuels,<br />

sans jamais toutefois se moquer des clichés qu’il convoque, riant plutôt<br />

de l’absurdité des oppresseurs que de celle des opprimés. Un OVNI décalé<br />

qui (se) fait plaisir, entre esthétique bling-bling et comédie douceamer,<br />

sur fond de Booba, de Toto et de Daniel Balavoine.<br />

Tanguy Renault<br />

DE ROMAIN GAVRAS. AVEC KARIM LEKLOU, ISABELLE ADJANI... 1H34<br />

78


79


80<br />

ADAM DRIVER<br />

Melody revêt sa robe d’avocate pour prendre la défense<br />

d’Adam Driver. Formidable touche à tout et désormais<br />

figure incontournable du <strong>ciné</strong>ma américain, le bonhomme<br />

a injustement été critiqué pour sa performance dans<br />

la nouvelle saga Star Wars. Prochainement à l’affiche<br />

du BlacKkKlansman de Spike Lee, Melody nous prouve<br />

- s’il faillait seulement le prouver -, qu’Adam Driver<br />

est certainement l’un des meilleurs acteurs de sa<br />

génération.<br />

SUR TOU


S LES FRONTS<br />

81


82<br />

A<br />

dam Driver est un des meilleurs<br />

acteurs de cette génération. Et je pèse mes mots.<br />

Si son nom vous est familier, c’est parce<br />

que, quels que soient vos goûts en matière de<br />

<strong>ciné</strong>ma ou séries, vous avez forcément déjà<br />

entendu parler de lui. C’est un acteur touche à<br />

tout qui a œuvré aussi bien dans des drames<br />

que dans des comédies ou de la saga spatiale.<br />

Peu d’acteurs ayant moins de dix ans de carrière<br />

peuvent se vanter d’avoir tourné avec autant<br />

de grands noms : Clint Eastwood, J.J. Abrams,<br />

Steven Spielberg, les Frères Coen, Jim Jarmush,<br />

Martin Scorsese, Terry Gilliam, ou encore<br />

prochainement Spike Lee font partie de son CV<br />

déjà bien rempli.<br />

Pourtant, Adam Driver n’était pas destiné à<br />

une carrière de comédien. Né en Californie<br />

en 1983, il rejoint les US Marine Corps après<br />

les attentats du 11 septembre 2001, mais est<br />

démobilisé pour raisons médicales deux ans<br />

plus tard, quelques mois avant que son unité ne<br />

parte pour l’Irak. Il retourne alors à l’Université,<br />

puis étudie le théâtre à la célèbre Julliard School<br />

pendant quatre ans. Il s’installe à New-York, où il<br />

enchaîne les castings, et les apparitions dans des<br />

séries TV, avant d’apparaître pour la première<br />

fois sur grand écran en 2011 dans le biopic «J.<br />

Edgar», de Clint Eastwood (pour un premier rôle<br />

au <strong>ciné</strong>ma, excusez du peu).<br />

En 2012, après avoir notamment fait partie de<br />

la distribution de «Lincoln» de Steven Spielberg<br />

et «Frances Ha» de Noah Baumbach, il décroche<br />

l’un des rôles principaux de la série de Lena<br />

Dunham, «Girls». La série fait beaucoup parler,<br />

et son interprétation du très étrange Adam<br />

Sackler attire l’attention.


83<br />

Il enchaîne d’autres films notables, tels que le<br />

formidable «Inside Llewyn Davis» des Frères<br />

Coen ou «While We’re Young» où il retrouve<br />

Noah Baumbach, avant de tourner son premier<br />

blockbuster : il est casté pour interpréter<br />

l’antagoniste de la nouvelle trilogie «Star War»s,<br />

Kylo Ren, dans le nouvel opus réalisé par J.J.<br />

Abrams, «Le Réveil de la Force».<br />

Son implication dans le space opera ne l’empêche<br />

pas de tourner d’autres excellents films, bien au<br />

contraire, puisqu’il agrandit sa filmographie avec,<br />

entre autres : le film de science-fiction «Midnight<br />

Special» de Jeff Nichols, le poétique «Paterson»<br />

de Jim Jarmush, le sublime «Silence» de Martin<br />

Scorsese, ou encore le loufoque «Logan Lucky»<br />

de Steven Soderbergh, avant de reprendre son<br />

rôle de Kylo Ren dans «Les Derniers Jedi», réalisé<br />

par Rian Johnson.<br />

Dernièrement, il est l’un des rôles principaux<br />

de «L’Homme Qui Tua Don Quichotte», le film de<br />

Terry Gilliam au parcours tumultueux, et il sera<br />

bientôt à l’affiche du nouveau film de Spike Lee,<br />

«BlacKkKlansman». On ne peut pas dire que le<br />

jeune homme chôme.


84<br />

Quand je vous disais en début d’article<br />

qu’Adam Driver est un des meilleurs<br />

acteurs de cette génération, et surtout<br />

si j’ai précisé que je pèse mes mots, c’est<br />

parce que je trouve son talent beaucoup<br />

trop sous-estimé.<br />

J’ai vu la grande majorité de sa<br />

filmographie, et honnêtement, rarement<br />

un acteur m’a convaincue dans autant<br />

de rôles différents. Qu’il joue un petitami<br />

inquiétant, un prêtre évangéliste, un<br />

barman braqueur à ses heures perdues,<br />

un chanteur de country, un réalisateur<br />

impliqué, un chauffeur de bus poète<br />

ou un antagoniste tiraillé, il n’y a pas<br />

UN rôle où il n’est pas d’une justesse<br />

irréprochable.<br />

A en voir sa filmographie, évidemment<br />

que son talent est reconnu par la<br />

profession, et ce n’est que justice. Les<br />

grands réalisateurs ne se trompent<br />

pas en lui confiant des rôles de plus en<br />

plus importants dans leurs œuvres, et<br />

gageons que c’est loin d’être terminé.<br />

Mais je suis très surprise de ne pas le<br />

voir plus récompensé pour ses rôles. Je<br />

sais bien qu’on ne mesure pas le talent<br />

d’un acteur au nombre de trophées qu’il<br />

déposera sur sa cheminée, mais j’estime<br />

que certains de ses rôles auraient mérité<br />

d’être vraiment récompensés.<br />

Pour prendre un exemple récent : son<br />

rôle de Kylo Ren dans Les Derniers Jedi<br />

est pour moi probablement sa meilleure<br />

performance en tant qu’acteur.<br />

Etant une grande fan de Star Wars, je<br />

suis obligée de faire un petit aparté sur<br />

le sujet. Je vais vous le dire directement :<br />

Kylo Ren est mon antagoniste préféré de<br />

toute la saga. Pourquoi ? Parce qu’il est<br />

tiraillé, il a des failles, et c’est justement<br />

cette fragilité qui rend le personnage<br />

intéressant. Ce n’est pas juste un grand<br />

méchant pur. Il a basculé du côté obscur,<br />

mais on sent les failles et le tiraillement.<br />

On les ressentait déjà dans «Le Réveil de<br />

la Force», et elles ne sont que renforcées<br />

dans «Les Derniers Jedi».<br />

Une scène illustre particulièrement pour<br />

moi tout le tiraillement du personnage :<br />

cette scène des «Derniers Jedi», que<br />

l’on voyait déjà dans le trailer du film,<br />

où Kylo Ren ressent la présence de sa<br />

mère Leia sur le vaisseau, et hésite à tirer<br />

pour le faire exploser, avant de renoncer<br />

au dernier moment. Adam Driver et<br />

la regrettée Carrie Fisher font une<br />

performance absolument remarquable<br />

dans cette scène. Il n’y a pas besoin de<br />

mots, absolument tout passe dans leurs<br />

regards. Toute la tension du moment,<br />

toute l’émotion, se dégagent uniquement<br />

de leurs regards. Brillant.<br />

Tout le reste du film, Kylo Ren passe<br />

d’un extrême à l’autre, en se liant<br />

progressivement avec Rey, jusqu’à tuer<br />

lui-même son maître, puis en reprenant<br />

la tête du Premier Ordre lorsque Rey<br />

refuse de s’allier à lui. Et pourtant, même<br />

là, si on en juge par la dernière scène<br />

du personnage (où là encore, tout se


85<br />

passe dans les regards de Driver et Daisy<br />

Ridley), on peut voir que son destin<br />

n’est pas scellé et que le tiraillement est<br />

toujours présent. On ne peut clairement<br />

pas prédire comment l’arc narratif de<br />

ce personnage va se clore, et c’est<br />

sûrement ce qui va rendre le neuvième<br />

opus de la saga passionnant. Dieu que ce<br />

personnage est classe.<br />

Pourtant, ce rôle de Kylo Ren, s’il l’a fait<br />

vraiment connaître auprès d’un public<br />

plus large, n’a hélas pas apporté à Adam<br />

Driver que des admirateurs, et ce, dès<br />

«Le Réveil de la Force».<br />

« Kylo Ren est moche LOL, il aurait dû<br />

garder son casque MDR, et l’acteur est<br />

trop pas crédible. » Je me permets de<br />

synthétiser les nombreux commentaires<br />

négatifs que j’ai lus à son sujet. Déjà,<br />

on passera sur l’attaque absolument<br />

gratuite sur le physique (parce que bon,<br />

juger un acteur uniquement parce que<br />

son physique ne vous sied pas, c’est un<br />

peu faible). D’autant plus que je sais que<br />

c’est subjectif, et que chacun son point<br />

de vue, mais non, Adam Driver n’est<br />

pas moche. Loin de là. Et son physique<br />

atypique fait justement tout son charme.<br />

C’est mon avis. Mais là n’est pas la<br />

question. Je voudrais surtout lever ici<br />

une tribune de défense pour son talent.<br />

Adam Driver confère à ce personnage de<br />

Kylo Ren/Ben Solo toute sa subtilité de<br />

jeu, parfaite pour ce rôle d’antagoniste<br />

fragile (dans le bon sens du terme). C’était<br />

déjà visible dans «Le Réveil de la Force»,<br />

et c’est encore plus mis en avant dans<br />

«Les Derniers Jedi», à tel point que je<br />

pense sincèrement qu’il livre la meilleure<br />

performance de tout le casting.


86<br />

Je défendais déjà le personnage de Kylo Ren après «Le Réveil de la Force», tout en<br />

laissant dire les critiques. Mais après «Les Derniers Jedi», je refuse catégoriquement<br />

d’entendre dire que Kylo Ren n’est pas un personnage passionnant. Même, vous<br />

savez ce qui m’a fait vraiment plaisir quand le film est sorti ? De lire ou d’entendre<br />

ça et là que certaines personnes qui n’aimaient pas le personnage dans l’épisode VII<br />

l’ont trouvé génial dans le VIII, et ont revu leur jugement.<br />

Adam Driver est bon. Il est même excellent. Et c’est pourquoi je ne comprends<br />

toujours pas que sa performance dans ce rôle, et spécialement dans Les Derniers<br />

Jedi, n’est pas plus été récompensée, ou au moins nommée, alors que toutes ses costars<br />

dans le film l’ont été, à de multiples reprises (et je suis très fière pour eux, mais<br />

Adam Driver deserves it too).<br />

Pour toutes ces raisons, et parce que je sais qu’Adam Driver n’est qu’au début d’une<br />

carrière déjà très prometteuse, je n’aurais de cesse de défendre le talent encore trop<br />

sous-estimé, à mon sens, de cet acteur en tous points remarquable.<br />

Melody Revers


87


88<br />

22/08


89<br />

BlacKkKlansman :<br />

Spike Lee enragé


90<br />

Disparu des radars cannois depuis 2002 dans la<br />

section Un Certain Regard avec «Ten Minutes Older»,<br />

Spike Lee a fait un retour en grandes pompes<br />

sur la Croisette en amenant son dernier film «BlacKkKlansman»<br />

directement en Compétition officielle et<br />

grand bien lui fasse puisque le réalisateur est reparti<br />

avec entre ses mains le Grand Prix. Une distinction<br />

éminemment politique faisant autant écho au passé<br />

qu’à l’Amérique «so white» de Donald Trump.<br />

«BlacKkKlansman» c’est l’histoire vraie de Ron<br />

Stallworth, premier officier Noir américain du Colorado<br />

Springs Police Department qui, bien décidé<br />

à faire bouger les choses dans une société encore<br />

réfractaire aux droits des noir·e·s au début des années<br />

70, se lance dans une mission quasi-suicide :<br />

infiltrer le Ku Klux Klan et dénoncer ses malversations.<br />

A travers des échanges téléphoniques, Ron<br />

réussit à intégrer l’Organisation - comme ils aiment<br />

s’appeler - et devient un interlocuteur privilégié avec<br />

Davis Duke, «Grand Wizard» du KKK alors que c’est<br />

son collègue Flip Zimmerman qui est en charge de<br />

prendre la place de Ron lors des rendez-vous avec<br />

les membres du Klan. Au cours de cette enquête<br />

périlleuse, Stallworth et Zimmerman découvriront la<br />

tactique du KKK consistant à épurer son discours<br />

pour le faire passer en douceur auprès du plus grand<br />

nombre tandis que d’autres membres préparent une<br />

attaque meurtrière envers un groupe d’afro-américain•e•s<br />

revendiquant leurs droits.<br />

À l’heure où l’Amérique de Donald Trump est encore<br />

marquée par les terribles évènements survenus<br />

à Charlottesville, Spike Lee s’invite dans la danse<br />

pour mettre un bon coup de pieds dans les corones<br />

du gouvernement US et malgré l’action se déroulant<br />

dans les années 70, le réalisateur n’hésite pas<br />

à envoyer quelques piques bien senties à l’actuel<br />

président avec notamment des reprises de ses plus<br />

célèbres phrases avec par exemple un des membres


91<br />

du KKK clamant vouloir redonner sa grandeur au<br />

pays («give back America her greatness») ou encore<br />

lors de cette scène d’ouverture avec un Alec Baldwin<br />

- qu’on rappelle presque imitateur officiel de Donald<br />

Trump dans le Saturday Night Live - vociférant<br />

des insanités sur fond de Naissance d’une nation<br />

(1915). La charge est immense - et tristement d’actualité<br />

- pour Spike Lee qui veut son film comme une<br />

réponse au racisme non seulement aux Etats-Unis<br />

mais également dans le monde entier. Mais loin de<br />

faire seulement de «BlacKkKsman» un film politique,<br />

c’est également - et peut-être avant tout - une véritable<br />

comédie prête à tourner au ridicule racistes et<br />

extrémistes en tout genre.<br />

Porté par un duo aussi drôle que dynamique et charismatique<br />

Adam Driver/John David Washington et<br />

des seconds couteaux loin d’être en reste que ce<br />

soit le grand manitou David Duke (Topher Grace)<br />

certain de différencier un noir d’un blanc à sa façon<br />

de s’exprimer ou encore Felix Kendrickson (Jasper<br />

Pääkkönen), extrémiste parmi les extrémistes.<br />

S’il fallait lui trouver un défaut à ce «BlacKkKlansman»<br />

il résiderait dans sa conclusion en total décalage<br />

avec l’esprit du film où s’enchaîne images<br />

terribles de manifestations, de violences envers les<br />

minorités et ces terribles images de Charlottesville<br />

lorsqu’une voiture a foncé sur des manifestants anti-racisme<br />

faisant un mort, une jeune femme à qui<br />

le film est dédié. Malgré les portes déjà grandes ouvertes<br />

que Spike Lee défonce à la fin de son film -<br />

appuyant un sous-texte déjà limpide -, on ne pourra<br />

pas lui retirer une chose : le réalisateur de 61 ans n’a<br />

toujours rien perdu de sa hargne et ça nous rassure.<br />

Margaux Maekelberg


92


LE «BLACKKKLANSMAN» DE SPIKE LEE S’OUVRE SUR UN ALEC BALDWIN INCARNANT UN SU-<br />

DISTE DÉBLATÉRANT INEPTIES SUR INEPTIES ALORS QUE LES IMAGES DE «NAISSANCE D’UNE<br />

NATION» DÉFILENT SUR SON VISAGE. CE FILM DE 1915 EST UN JALON DANS L’HISTOIRE AU-<br />

TANT POLITIQUE QU’ARTISTIQUE DES ETATS-UNIS. OEUVRE OUVERTEMENT RACISTE QUI SUS-<br />

CITA POLÉMIQUES SUR POLÉMIQUES PENDANT DES ANNÉES ET PARADOXALEMENT OEUVRE<br />

FONDAMENTALE DANS L’HISTOIRE DU CINÉMA, SES TECHNIQUES ET VÉRITABLE RAZ-DE-MA-<br />

RÉE AU BOX-OFFICE, RETOUR SUR LE FILM QUI AURA DES RETOMBÉES INESPÉRÉES SUR LE<br />

PAYS - ET LE CINÉMA EN GÉNÉRAL -.<br />

MARGAUX MAEKELBERG<br />

93


94<br />

Thomas Dixon<br />

Encore récemment se posait la question «Peut-on<br />

séparer l’artiste de l’oeuvre ?» après les soulèvements<br />

et vents de contestation qu’ont provoqués les<br />

mouvements #MeToo #BalanceTonPorc… Mais<br />

qu’en est-il d’une oeuvre sur la forme absolument<br />

révolutionnaire mais complètement abjecte sur<br />

le fond ? La question peut encore faire débat<br />

aujourd’hui.<br />

Entre 1902 et 1907, Thomas Dixon - ancien acteur<br />

député de la Caroline du Nord - a publié une trilogie<br />

littéraire («The Leopard’s Spots», «The Clansman» et<br />

«The Traitor») dans lesquels s’entremêlent histoires<br />

d’amour, mise en avant du Ku Klux Klan comme une<br />

alternative efficace contre l’oppression faite contre<br />

la race blanche et des propos baignant dans un<br />

racisme indigeste. Des oeuvres qui lui ont valu bon<br />

nombre de critiques à l’époque. Et comme si ça ne<br />

suffisait pas, Dixon rajoute de l’huile sur le feu en<br />

adaptant ses deux premiers romans dans une pièce<br />

prénommée «The Clansman». Absolument admiratif<br />

de la manière dont le Ku Klux Klan a été décrit par<br />

Dixon dans sa pièce - les preux chevaliers au secours<br />

des pauvres blancs agressés par des noirs -, D.W<br />

Griffith achète les droits à Dixon pour la modique<br />

somme de 2 500$ auxquels s’ajoutent 25% sur les<br />

recettes totales du film. Sans savoir qu’il serait un<br />

succès au box-office, Dixon est ainsi devenu l’auteur<br />

ayant reçu le salaire le plus élevé pour une cession<br />

de droits pour une adaptation <strong>ciné</strong>matographique.<br />

Bien joué le Dixon !


95<br />

extrait de ‘‘naissance d’une nation’’<br />

Le tournage début le 4 juillet 1914 pour une durée de neuf semaines et une sortie prévue en<br />

février de l’année d’après. On comptabilisera environ 500 figurants et un budget avoisinant les<br />

110 000 dollars. Un film à petit budget comparé aux millions qu’il engrangera - la polémique<br />

aidant largement -. Le film suit le destin croisé de deux familles : les Stoneman au Nord et les<br />

Cameron au Sud tout en s’appuyant sur ce qui se passe avant, pendant et juste après la guerre<br />

de Sécession (1861 - 1865). Griffith fait dans l’inédit en proposant un long-métrage d’une<br />

durée - exorbitante - de 3h15 pour dépeindre les différents problèmes que rencontrent ces<br />

deux familles. Au casting on y retrouve de grands noms du <strong>ciné</strong>ma muet comme Lillian Gish<br />

- avec qui il tournera 13 films - ou encore Mae Marsh. Griffith use de ses talents - oui il faut le<br />

reconnaître - de réalisateur et de metteur en scène pour crée un montage qui permet au film<br />

de supporter ses trois heures et ainsi garder un certain fil tendu tout au long de l’histoire. Que<br />

ce soit en utilisant les flashbacks, les gros plans et - quelques - travellings (la plupart du temps<br />

nous étions face à une caméra fixe), Griffith sait utiliser les procédés mis à sa disposition pour<br />

donner à «Naissance d’une nation» presque des allures de documentaire. Alternant fiction et<br />

encarts historiques (cf. L’assassinat d’Abraham Lincoln multipliant les points de vue est filmé<br />

de manière très intéressante et d’ailleurs la plupart des reconstructions historiques tiennent<br />

d’une grande minutie), le film de Griffith a des allures de superproduction pour son époque<br />

avec ses scènes de batailles, et notamment dans sa seconde partie - plus que contestable sur<br />

son fond évidemment - où le rythme et le montage défilent à une cadence folle et notamment<br />

dans son dernier quart d’heure de par un montage alterné entre Ku Klux Klan libérant les<br />

blancs oppressés et début de révolte chez les noirs.


96<br />

Véritable révolution dans le <strong>ciné</strong>ma,<br />

«Naissance d’une nation» n’en reste pas<br />

moins une oeuvre contestable dans son<br />

propos - propos qui lui vaudra d’ailleurs bien<br />

des ennuis après sa sortie - qui engendra<br />

des changements autant au <strong>ciné</strong>ma que<br />

dans les plus hautes sphères politiques.<br />

Si l’on outrepasse l’aspect purement<br />

technique du film, de nombreux points ont<br />

de quoi en choquer plus d’un. Notamment<br />

la représentation des noirs qui apparaissent<br />

comme de simples sauvages, pilleurs,<br />

destructeurs, violeurs et avides de pouvoir<br />

- le Quinté gagnant - tandis que l’Américain<br />

caucasien - et bourge évidemment - apparaît<br />

comme le sauveur de la population et le Ku<br />

Klux Klan comme les Chevaliers de la table<br />

ronde dans un élan patriotique défiant toute<br />

concurrence. Le tout avec un casting 100%<br />

blanc - les noirs étant tout simplement des<br />

acteurs blancs maquillés -, Griffith coche<br />

toutes les cases du film 100% raciste. Bingo.<br />

Lorsque la NAACP (National Association<br />

for the Advancement of Colored People) a<br />

eu vent de la sortie de ce film, elle a tout<br />

fait pour l’interdire - connaissant déjà les<br />

précédentes oeuvres de Dixon - avant même<br />

de l’avoir vu. Malheureusement leurs craintes<br />

rassemblement de la NAACP<br />

se sont confirmées lorsqu’ils ont finalement<br />

pu visionner le film. À la suite de quoi, elle<br />

demande au siège nationale de la NAACP à<br />

New-York d’agir.<br />

« [Le film est] historiquement inexact<br />

et, avec un certain génie, conçu pour<br />

excuser et justifier les lynchages et<br />

autres actes de violences commis à<br />

l’encontre du Nègre. »<br />

Les diverses branches de l’association<br />

mettent en place des campagnes<br />

pour interdire la diffusion du film. Des<br />

contestations dont les voix se font de plus<br />

en plus fortes poussent même le président<br />

Woodrow Wilson à nier d’avoir approuvé ce<br />

film - alors qu’il l’a diffusé à la Maison Blanche<br />

pour faire plaisir à Thomas Dixon qui était<br />

un ancien camarade de lycée -. D’un autre<br />

côté, ce vent de colère attise aussi l’ennemi.<br />

On recense régulièrement des accrochages<br />

et agressions dont la mort d’un lycée noir de<br />

15 ans, abattu par un homme blanc sortant<br />

du film à Lafayette dans l’Indiana.<br />

Cependant, la NAACP se retrouve bien vite<br />

prise à son propre piège quant à la demande<br />

de censure de «Naissance d’une nation», les


97<br />

organisations fébriles à l’idée que des manifestations se transforment en publicité gratuite pour<br />

le film. Et après de moult efforts, la récompense est loin d’être à la hauteur du travail fourni<br />

puisque dans la plupart des états le film est diffusé après qu’il ai subi quelques légères coupes<br />

(la poursuite de Flora Cameron par un noir, le harcèlement que subit Elsie Stoneman de la part<br />

de Silas Lynch et la vengeance du Ku Klux Klan contre celui qui a provoqué le suicide de Flora)<br />

excepté dans l’Ohio et le Kansas où le film est interdit. Néanmoins il faut souligner le fait que les<br />

plus grandes craintes des hauts dirigeants de la NAACP ne se sont pas réalisés c’est-à-dire des<br />

assassinats de masse ou des émeutes raciales. Et d’ailleurs bien des années plus tard, le film fut<br />

interdit dans plusieurs Etats durant la Première Guerre mondiale afin d’éviter des tensions entre<br />

soldats noirs et blancs.<br />

extrait de ‘‘naissance d’une nation’’<br />

Non, le dégât le plus important<br />

qu’a provoqué «Naissance<br />

d’une nation» est bel et bien<br />

la renaissance du Ku Klux Klan<br />

impulsé par William J. Simmons<br />

- enseignant en Alabama -<br />

qui tira du film l’image qu’on<br />

connaît aujourd’hui du Klan,<br />

celle d’un cavalier avec une<br />

croix en feu. Les publicitaires<br />

du film s’en donnent alors à<br />

coeur joie en créant produits<br />

dérivés sur produits dérivés<br />

en passant par les coiffes, les<br />

robes et s’offrant même les<br />

services de cavaliers vêtus de la<br />

tenue ‘’officielle’’ du Klan pour<br />

promouvoir le film. Même si le<br />

film n’a pas eu d’impact direct<br />

sur le nombre d’adhérents - il<br />

n’augmentera qu’après 1921<br />

lors que le Klan se lancera dans<br />

le recrutement professionnel -,<br />

Simmons avoue que le film a eu<br />

un effet bénéfique pour le KKK.<br />

Un Ku Klux Klan qui, il faut le<br />

noter, a changé son idéologie<br />

pour l’élargir et ainsi attiré le<br />

plus d’Américains possibles -<br />

blancs évidemment - contre une<br />

menace extérieure (et non plus<br />

seulement intramuros) venait<br />

notamment de l’Europe.


98


99<br />

Mais là où le paradoxe est finalement assez drôle, c’est<br />

lorsque Griffith - réalisateur considéré alors plus que<br />

«bankable» pour son époque - sort en 1916 «Intolérance»,<br />

un pamphlet sur l’acceptation de l’autre. Ironique non ? Ce<br />

film signera d’ailleurs le déclin de la carrière d’un homme qui<br />

finalement, a peut-être juste voulu faire du <strong>ciné</strong>ma.<br />

Car là où Thomas Dixon avec ses oeuvres littéraires se<br />

proclamait haut et fort chef de file de la propagande - il<br />

n’hésite d’ailleurs pas à souhaiter que «tous les Nègres<br />

[soient] chassés des Etats-Unis» et affirme que sa pièce<br />

«The Clansman» avait pour but premier de «développer<br />

un sentiment de répulsion chez les personnes de race<br />

blanche, et particulièrement chez les femmes, contre les<br />

hommes de couleur… d’éviter les mélanges entre le sang<br />

blanc et le sang nègre par le biais des mariages mixtes» -,<br />

D.W Griffith ne cherchait qu’à faire du <strong>ciné</strong>ma. D’ailleurs à<br />

bien y lire l’introduction de sa seconde partie : «Ceci est une<br />

représentation historique de la Guerre Civile et de la Période<br />

de Reconstruction, et n’a pour but de refléter aucune race<br />

ou population d’aujourd’hui.»<br />

Alors simple égarement, maladresse ou foutage de gueule<br />

complet ? On ne le saura jamais. Il n’empêche qu’on le<br />

veuille ou non, «Naissance d’une nation» aura marqué bien<br />

plus qu’un pays, il aura autant révolutionné le <strong>ciné</strong>ma muet<br />

que secoué les cercles politiques de l’époque dont le statut<br />

est reste flou mais au moins on pourra se mettre d’accord<br />

sur une chose : Griffith aura posé l’un des fondements du<br />

<strong>ciné</strong>ma, celui de susciter des débats encore bien des années<br />

après.


100<br />

29/08


101<br />

Sauvage<br />

La Semaine de la critique recèle très souvent de jolis morceaux de<br />

<strong>ciné</strong>ma et a largement confirmé son statut de dénicheur de perles<br />

que ce soit avec «Grave» (Julia Ducournau), «Ava» (Léa Mysius) ou<br />

encore «Oh Lucy !» (Atsuko Hirayanagi). Et cette année le film qui a<br />

fait trembler la Croisette est français cocorico ! Premier long-métrage<br />

de Camille Vidal-Naquet, «Sauvage» cache plutôt bien son jeu derrière<br />

son scénar aussi simple qu’il est brut de décoffrage : un jeune homme<br />

de 22 ans qui se prostitue pour (sur)vivre cherche désespérément<br />

l’amour sans jamais le trouver.


102<br />

Nous allons de surprise en surprise avec «Sauvage», quel paradoxe qu’est<br />

ce film. Aussi doux qu’il est âpre, aussi tendre qu’il est violent… Le long-métrage<br />

de Vidal-Naquet est absolument sans concession - au sens propre<br />

comme au sens figuré -, plongée intimiste au coeur de la prostitution masculine<br />

à travers Léo, un jeune homme de 22 ans qui enchaîne rencontres<br />

sur rencontres alors que le garçon est clairement en recherche d’amour.<br />

Il craque d’abord pour Ahd, un autre jeune homme qui se prostitue mais<br />

qui ne l’aime pas en retour - il le clame même haut et fort, il n’est pas<br />

gay - et cherche juste un homme plus âgé pour se sortir de cette galère.<br />

Ensuite il s’éprend pour un autre garçon avant de se résigner - plus ou<br />

moins - à vivre aux crochets de Claude. Sauf qu’entre-temps, Léo galère<br />

pas mal entre des rencontres qui ne finissent pas toujours bien, un organisme<br />

qui le lâche à petit feu et cette envie consumante de connaître<br />

l’amour avec un gigantesque A. Un trop plein de sentiments qui joue de<br />

mauvais tours à Léo, le menant de désillusion en désillusion.<br />

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Vidal-Naquet ne passe pas par<br />

quatre chemins. Complètement brut de décoffrage, le film se permet d’aller<br />

là où personne ne va jamais - le terrain de la prostitution masculine<br />

bien plus tabou que la féminine - avec une attention et un regard profondément<br />

humain, jamais moralisateur sur ces hommes tapis dans l’ombre<br />

à la lisière de la forêt, survivant comme ils peuvent, chacun avec sa personnalité<br />

entre un qui cherche l’amour, l’autre l’argent ou encore un autre<br />

qui fait ça pour le plaisir. La caméra filme les corps aussi abruptement<br />

que sensuellement dans des scènes aussi torrides que violentes - aussi<br />

physiquement que psychologiquement -. Et au coeur de ce déchaînement<br />

corporel, une lueur d’espoir pour Léo, celle d’aimer et surtout d’être<br />

aimé en retour : par un homme surtout, mais même la moindre marque<br />

d’affection lui conviendra - cette longue étreinte entre Leo et le docteur<br />

qui le soigne - et tant pis s’il doit être roué de coups pour y parvenir, il<br />

s’accroche jusqu’au bout.<br />

«Sauvage» est une formidable pépite du <strong>ciné</strong>ma français porté par un<br />

Félix Maritaud (déjà aperçu dans «120 BPM») transcendant de justesse et<br />

d’émotion et récompensé - à juste titre - du Prix Fondation Louis Roederer<br />

de la Révélation. Une découverte de l’amour, une découverte de soi,<br />

un formidable film où se côtoie les extrêmes et où les corps et les coeurs<br />

abîmés sont perpetuellement en quête de ce quelque chose qui semble<br />

toujours innacessible.<br />

Margaux Maekelberg


DE CAMILLE VIDAL-NAQUET. AVEC FÉLIX MARITAUD, ERIC BERNARD... 1H39<br />

103


104<br />

Félix Maritaud :<br />

À corps et à sang


105<br />

Il ouvrira et clôturera cet été 2018 : le 27 juin avec<br />

«Un Couteau dans le coeur» et le 29 août avec<br />

«Sauvage» dans lequel il tient le rôle principal. Félix<br />

Maritaud avait déjà attiré les projecteurs l’année<br />

dernière en tenant un rôle dans le film coup de<br />

poing 120 Battements par minute mais cette année<br />

il revient seul à la barre dans le tout premier longmétrage<br />

de Camille Vidal-Naquet. À seulement 25<br />

ans, le jeune homme s’est donné corps et âme pour<br />

son premier grand rôle, une performance qui marque<br />

certainement le début d’une grande carrière.<br />

Pourtant les débuts du natif d’un petit village du<br />

Berry ne sont pas de tout repos comme le relate Le<br />

Monde. Parti parcourir l’Europe et vivant de petits<br />

boulots dégotés par ci par là, il entre finalement<br />

aux Beaux-Arts de Bourges avant de quitter sa<br />

formation faute de moyens et de retourner vivre<br />

chez ses parents. C’est finalement un coup de fil qui<br />

va bouleverser tous ses plans de carrière alors qu’il<br />

avait accepté un travail de jardinier pour la ville de<br />

Metz. Un appel où on lui propose de se présenter<br />

au casting de «120 battements par minute». Le<br />

hasard faisait finalement bien ses choses, Félix<br />

Maritaud est retenu pour jouer le rôle de Max. Un<br />

tournage de 33 jours pour un film qui aura eu un<br />

retentissement incroyable sur la Croisette avec une<br />

critique dithyrambique que ce soit en France ou à<br />

l’international - à défaut de récupérer la Palme d’Or<br />

-.<br />

« Dès le premier jour du tournage, on savait<br />

tous qu’on allait faire un grand film. Le<br />

tournage, c’est une aventure collective.<br />

Celle-ci a été énorme. »<br />

Le garçon enchaîne les tournages de courts-métrages<br />

dont le premier «Les îles» s’est fait sous la direction de<br />

Yann Gonzalez, réalisateur qu’il retrouvera encore cette<br />

année à Cannes puisqu’il joue dans son dernier longmétrage<br />

«Un Couteau dans le coeur» avec notamment<br />

Vanessa Paradis. Mais c’est bel et bien à la semaine<br />

de la critique que le garçon brille de mille feux. Dans<br />

«Sauvage» il incarné Léo, un jeune prostitué de 22 ans<br />

libre, fougueux et amoureux. Un rôle aussi physique<br />

que psychologique pour l’acteur qui a pris des cours<br />

de danse avec le chorégraphe Romano Bottinelli pour<br />

appréhender son corps et sa façon de tomber au sol.<br />

« Quand j’ai lu le scénario la première fois, je<br />

pense que je suis tombé amoureux de lui dans<br />

le sens où j’étais devant un mec en dehors de<br />

toute convention. »<br />

Véritable film qui s’est joué à l’instinct pour<br />

Félix Maritaud et qui ne l’a pas laissé totalement<br />

indemne. Lui qui a l’habitude d’être plus dans le<br />

mental, il a du faire tomber ses barrières pour se<br />

jeter à corps perdu dans ce rôle et ressentir son<br />

personnage non plus avec l’esprit mais avec le<br />

corps. Un tournage qui fut fatigant pour le jeune<br />

homme dont le corps a été mis à rude épreuve et<br />

qui a eu besoin d’un petit temps de ré-adaptation<br />

et ré-appropriation de soi. Il revient d’ailleurs sur<br />

un moment marquant dans ce tournage : «J’ai<br />

perdu le contrôle une fois, et j’ai chialé toute une<br />

demi-heure après une prise sans comprendre ce<br />

qui se passait. C’était intense.»<br />

Nouvelle gueule - prometteuse - du <strong>ciné</strong>ma<br />

français, Félix Maritaud ne compte certainement<br />

pas s’arrête en si bon chemin puisqu’il se lance<br />

dans une nouvelle aventure : celle de l’écriture en<br />

préparant un long-métrage tiré d’un livre de Jean<br />

Genet qu’il tournera d’ici quatre ans. En tout cas<br />

on a déjà hâte.<br />

Margaux Maekelberg


106<br />

29/08<br />

guy<br />

Après “Le talent de mes amis” (2015), Alex Lutz revient derrière la caméra avec “Guy”,<br />

film de clôture de cette 57e Semaine de la Critique à Cannes. Faux documentaire qui se<br />

consacre à un chanteur de variété rappelant Claude François, “Guy” est une très belle mélancolie<br />

s’abandonnant à la nostalgie.<br />

En filmant Guy Jamet (Alex Lutz), cet artiste has been depuis plusieurs années, Gauthier<br />

(Tom Dingler), jeune journaliste enquête aussi sur ce qui pourrait s’avérer être son père<br />

suite à mystérieux mot laissé par sa mère. Inévitablement le film joue sur ce faux qui devient<br />

vrai (ou ce vrai qui devient faux), malheureusement, la chose n’est pas assez poussée<br />

à cause du générique d’introduction qui évacue rapidement les doutes. Cela est regrettable,<br />

car il y a un réel travail de toute l’équipe pour amener à une totale immersion et un fort<br />

réalisme dans cet univers si singulier.<br />

Car, outre quête évidente du père de Gauthier ou celle de Guy Jamet pour renouveler son<br />

public autant que l’entretenir, c’est la quête d’Alex Lutz pour raviver un passé pas tout à fait<br />

mort, mais plus tout à fait vivant : celui de la variété française qui nous intéressera le plus.<br />

Genre musical singulier qui a vu éclore France Gall, Claude François et tant d’autres ! De ces<br />

recherches diverses, mais ayant le même but, la même volonté : découvrir qui sont-ils, d’où<br />

viennent-ils, Gauthier, Guy et Alex dégagent une tendresse certaine face à un monde qui se<br />

dérobe à eux. Pire même, qui les fuit. Tout le contraire de la mise en scène d’Alex Lutz qui<br />

nous confronte directement à ces personnages. Impossible d’échapper à leur misère, leur<br />

détresse, leurs questionnements, leurs moments de joie ou ceux d’égarement. Et au fond,<br />

veut-on y échapper ? Le cocon formé par “Guy” nous rend à notre tour nostalgique et nous<br />

rappelle à notre bon vouloir ces paradis perdus que chacun.e tente, un jour ou l’autre, de<br />

retrouver.<br />

Wade Eaton<br />

DE ALEX LUTZ. AVEC ALEX LUTZ, TOM DINGLER, PASCALE ARBILLOT... 1H41


107


108<br />

Douze hommes<br />

en colere


LITTÉRALEMENT PARLANT, LE TERME HUIS CLOS SIGNIFIE ‘’PORTES ET FENÊTRES CLOSES’’<br />

AINSI, L’ACTION DOIT SE DÉROULER DANS UN SEUL ET MÊME LIEU TOUT AU LONG D’UNE ŒUVRE.<br />

UNE ISSUE SUR LE MONDE EXTÉRIEUR SE FERME ALORS, CLOISONNANT LES PERSONNAGES<br />

ENTRE EUX. UN VÉRITABLE PROCÉDÉ THÉÂTRAL QUI SE REFUSE D’UTILISER LES LIBERTÉS<br />

DE DÉCORS VARIÉS POSSIBLES AU CINÉMA POUR SE RÉDUIRE À UN UNIVERS PROCHE DE LA<br />

SCÈNE. LE HUIS CLOS EST ANCRÉ DANS LE SEPTIÈME ART DEPUIS DES ANNÉES COMME ÉTANT<br />

UN VÉRITABLE SOUS-GENRE CINÉMATOGRAPHIQUE À PART ENTIÈRE, GRÂCE NOTAMMENT À<br />

CETTE MANIÈRE SUBTILE QU’IL A DE SUBLIMER L’INTIME ET LE PRIVÉ.<br />

MARION CRITIQUE<br />

109


110<br />

“Douze hommes en colère” respecte d’une main de maître les règles fondamentales d’un<br />

parfait huis clos, bien souvent cité comme étant la référence absolue du genre. Le rideau<br />

s’ouvre sur une salle d’audience qui traite d’un véritable drame familial. Un jeune homme,<br />

originaire d’un milieu pauvre, est accusé d’avoir assassiné son père en lui plantant un couteau<br />

dans le cœur. Les preuves sont formelles et accablantes. Les douze jurés se retirent alors<br />

dans la salle de délibération pour juger à l’unanimité de la culpabilité du jeune homme. S’il<br />

est prononcé coupable, ce dernier sera condamné à la chaise électrique. Dans un premier<br />

temps, la totalité des jurés sont persuadés que le jeune homme a bel et bien assassiné son<br />

père, excepté le juré numéro huit. Celui-ci est bien décidé à ne pas être responsable de la<br />

mort de l’accusé, sans avoir pris le temps d’en discuter sérieusement. S’ensuit alors une<br />

incroyable remise en question générale et une féroce bousculade de convictions.<br />

Le premier long-métrage de Sidney Lumet persiste et signe après plus de soixante ans en<br />

traversant les années et en conservant son unicité et sa légende. Toute la force du film réside<br />

dans les personnages qui nous offrent un florilège de personnalités remarquablement bien<br />

étudiées. Les douze hommes aux origines sociales variées, sont tous différents, cependant<br />

chacun a son rôle à jouer quant à l’avancée de la délibération. Les interventions des uns et<br />

des autres pour convaincre l’assemblée sont subtilement menées et mettent en avant une<br />

véritable bataille entre les influents et les influençables. L’objectif même du film n’est pas


111<br />

réellement de connaître la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, mais bel et bien d’analyser<br />

les différentes réactions des jurés. Sidney Lumet en véritable chef d’orchestre, nous montre<br />

à quel point l’humanité et la force de conviction d’un seul homme peut parfois tout faire<br />

basculer et mettre en doute des certitudes personnelles.<br />

“Douze hommes en colère” tient son public en haleine et ne perd pas de son intensité durant<br />

quatre-vingt-quinze minutes de film. Le suspense est acharné pendant que les indécisions<br />

et les remises en question surplombent les esprits. Le spectateur devient donc le treizième<br />

juré et se retrouve à s’interroger en même temps que les douze hommes qui débattent sur<br />

la culpabilité du jeune accusé. La morale de l’histoire s’installe alors; le dénouement d’une<br />

vie peut-elle se décider sur un seul mot : ‘’coupable’’ ? Avec son œuvre, Sidney Lumet<br />

marque au fer rouge l’histoire du <strong>ciné</strong>ma et prouve que le Huis clos est un procédé riche et<br />

intense malgré une certaine simplicité. Henry Fonda crève l’écran et porte le film dans son<br />

rôle d’agitateur d’esprits, grâce notamment à son charisme légendaire et son jeu qui frôle la<br />

perfection. “Douze hommes en colère” est un plaidoyer en faveur de l’abolition de la peine<br />

de mort qui dénonce l’égoïsme détaché de certains à pouvoir envoyer un accusé à la mort,<br />

sans états-d’âme, ni prise de temps. Un véritable diamant brut qui n’a pas perdu de son<br />

éclat, coupable d’être un parfait chef-d’œuvre éternel.


112<br />

Buried Rodrigo<br />

Cortés (2010)<br />

Débrouillard dans sa manière de maximiser la petitesse de son budget et de son cadre,<br />

minimaliste à l’extrême (un cercueil... et c’est tout), intelligent dans sa critique virulente du<br />

système gouvernemental contemporain (la bureaucratie en prend plein la poire) et plus<br />

directement de la politique du pays de l’Oncle Sam (les implications morales de ses politiciens<br />

dans les conflits internationaux en tête) tout en traitant sobrement du sujet bouillant du<br />

terrorisme, effrayant - surtout pour les claustrophobes -, et au final jusqu’au-boutiste et<br />

déchirant; le film de Cortés nous fait le témoin privilégié d’un cauchemar six pieds sous<br />

terre tendu à l’extrême, en nous pliant complètement dans tous les sens, alors que le tout<br />

se passe, uniquement, dans une petite boite. Singulier, réglé comme une horlogerie suisse<br />

(pas de flashbacks, d’aérations inutiles ou de divers stratagèmes visuels, on y voit juste<br />

un homme, son téléphone, ceux qui sont au bout du fil, et son cercueil) et Hitchockien en<br />

diable (on pense instinctivement aux brillants “La Corde” et “Lifeboat”), “Buried” ne serait<br />

cependant rien sans la partition habitée d’un Ryan Reynolds proprement monstrueux (son<br />

plus beau rôle à ce jour). Avec son sens du timing hors du commun - il ne joue pas Paul<br />

Conroy, il il l’est -, littéralement au bord de la rupture (mentalement et physiquement, ses<br />

doigts étaient en sang et son corps rempli de terre quasiment à chaque fin de journée de<br />

tournage), l’acteur se détruit littéralement en dévoilant face caméra toute la rage, la peur,<br />

la colère, le désespoir et la frustration d’un homme injustement condamné à mort. Bref, un<br />

pur trip claustro qui en impose et qui tient méchamment en haleine durant une heure et<br />

demi, tout simplement.<br />

Jonathan Chevrier


113<br />

John Carpenter (1983)<br />

the thing<br />

Après avoir foulé le genre avec une certaine réussite pour le bouillant et engagé Assault,<br />

relecture moderne et totalement assumée du cultissime “Rio Bravo” de son idole Howard<br />

Hawks, et ayant vu sa côte méchamment grimpé à Hollywood avec le carton maousse<br />

costaud d’”Halloween, La Nuit des Masques”; le roi John Carpenter était revenu au huis clos<br />

horrifique avec rien de moins que son meilleur film : “The Thing”, remake de “La chose d’un<br />

autre monde” de Christian Nyby et... Howard Hawks. Sommet d’horreur paranoïaque incisif<br />

autant sur le fond que sur sa forme, s’attachant au destin funeste d’une équipe de chercheurs<br />

américains basé en Antarctique, attaquée par une forme de vie extraterrestre métamorphe;<br />

“The Thing” est un pur chef d’oeuvre qui prend le parti de la suspicion généralisée et de<br />

l’absence de solidarité dans le groupe pour incarner un moment de <strong>ciné</strong>ma aussi tendu qu’il<br />

est radical et effrayant, une lente descente aux enfers dont personne ne peut sortir sain et<br />

sauf (pas même le spectateur).<br />

Sobre et sans happy-end plombant, avec une distribution exclusivement masculine (Kurt<br />

Russell et Keith David en tête), des effets spéciaux hallucinants signés par un Bob Bottin<br />

alors au sommet de son art, une image nihiliste de l’âme humaine et une musique composée<br />

par Ennio Morricone, le métrage est d’une perfection quasi absolue; un bijou de huis clos qui<br />

sera pourtant adoubé sur le tard par les <strong>ciné</strong>philes ayant in fine attendu sa sortie en VHS<br />

pour en faire un monument du culte. Mieux vaut tard que jamais comme on dit..<br />

Jonathan Chevrier


114<br />

locke Steven<br />

Knight (2014)<br />

Terre à terre, minimaliste, emplit de pudeur et follement immersif, à travers cette chronique<br />

dans la banalité du quotidien sous forme de marathon/cauchemar éveillé dans lequel on ne<br />

peut se réveiller complètement indemne, “Locke” nous offre toute une tranche de vie d’un<br />

homme bien sur qui tout le monde compte, mais qui se voit rattrapé par les conséquences<br />

d’un acte isolé, remettant en jeu tous les fondamentaux de son existence : son mariage,<br />

ses enfants, son travail et même sa relation avec lui-même et sa conscience. Odyssée<br />

puissante et passionnante dans les recoins de la conscience d’un être intègre, rationnel,<br />

au calme permanent, confronté au poids d’un passé (aussi bien son moment d’égarement<br />

une ancienne conquête d’un soir prête à accoucher, que son enfance avec l’image d’un<br />

père absent qu’il ne veut pas reproduire), qui ressurgit abruptement et qui l’oblige à vivre<br />

des moments de vérité dévastateurs (tout dire à sa femme, qui ne voudra plus lui parler, et<br />

même à son patron, alors qu’il est attendu le lendemain à la tête d’un projet architectural<br />

très important), même s’il cherchera tout du long à tout contrôler et nuire à personne. Filmé<br />

en temps réel, vite débarrassé des limites de son unique et exigu unité de lieu (une voiture),<br />

de temps et de personnage, en nourrissant son suspense habilement écrit par une mise<br />

en scène discrète et inventive ainsi que par la partition dantesque d’un Tom Hardy fort<br />

et vulnérable à la fois; “Locke” est une vraie expérience émotionnelle - les larmes ne sont<br />

jamais loin -, personnelle (la notion des valeurs morales), intense et haletante, à la solitude<br />

constamment palpable.<br />

Jonathan Chevrier


Le saviez-vous ?<br />

DOUZE HOMMES EN COLÈRE (SIDNEY LUMET, 1957)<br />

- “DOUZE HOMMES EN COLÈRE” EST L’ADAPTATION D’UNE PIÈCE THÉÂTRALE DU MÊME NOM, ÉCRITE PAR REGINALD ROSE.<br />

L’ŒUVRE EST ÉGALEMENT À L’ORIGINE DE DIVERSES ADAPTATIONS DEPUIS SON SUCCÈS (DONT CELLES RÉALISÉES PAR NIKITA<br />

MIKHALKOV OU BIEN WILIAM FRIEDKIN).<br />

- HENRY FONDA, QUI TIENT LE RÔLE PRINCIPAL DU FILM, EN EST ÉGALEMENT LE PRODUCTEUR. IL CONFIE ALORS LA RÉALISATION<br />

À SIDNEY LUMET ET LUI OFFRE DONC SON PREMIER EXERCICE. IL S’AGIT DONC DES PRÉMICES D’UNE IMMENSE CARRIÈRE<br />

CINÉMATOGRAPHIQUE.<br />

- SOUCIEUX DE RESTER FIDÈLE À LA TECHNIQUE THÉÂTRALE, “DOUZE HOMMES EN COLÈRE” RESPECTE À LA LETTRE LA RÈGLE<br />

CLASSIQUE DES TROIS UNITÉS : UNITÉ DE LIEU, D’ACTION ET DE TEMPS.<br />

- DURANT L’INTÉGRALITÉ DU LONG-MÉTRAGE, AUCUN PATRONYME N’EST RÉVÉLÉ. EN EFFET, LES PROTAGONISTES NE SE<br />

NOMMENT QUE PAR LEUR NUMÉRO DE JURÉ. LE SPECTATEUR DÉCOUVRIRA CEPENDANT LES NOMS DES DEUX PREMIERS<br />

PERSONNAGES EN FAVEUR DE LA NON-CULPABILITÉ DE L’ACCUSÉ LORSQUE CES DERNIERS QUITTERONT LA SALLE D’AUDIENCE.<br />

BURIED (RODRIGO CORTÉS, 2010)<br />

- HISTOIRE D’APPROFONDIR LE RÉALISME DU FILM, DES PRISES DE SIX MINUTES SANS AUCUNE COUPE DE RYAN REYNOLDS ONT<br />

ÉTÉ ENREGISTRÉES. L’INVESTISSEMENT DE CE DERNIER A ÉTÉ SI INTENSE QU’IL A QUITTÉ LE TOURNAGE ÉMOTIONNELLEMENT<br />

ET PHYSIQUEMENT ÉPROUVÉ.<br />

- SUITE À CELA, RYAN REYNOLDS A D’AILLEURS DÉCLARÉ « JE NE ME PLAINDRAI PLUS JAMAIS SUR UN TOURNAGE (…) »,<br />

TANT LA DURETÉ DE CET EXERCICE SEMBLE L’AVOIR PROFONDÉMENT MARQUÉ. CEPENDANT, LE TOURNAGE N’A DURÉ QU’UNE<br />

DIZAINE DE JOURS DANS UN STUDIO À BARCELONE, EN ESPAGNE.<br />

THE THING (JOHN CARPENTER, 1983)<br />

- L’ENSEMBLE DE L’ÉQUIPE DE TOURNAGE PRÉSENTE SUR LE PLATEAU ÉTAIT SEULEMENT COMPOSÉE D’HOMMES (LES ACTEURS<br />

AINSI QUE LES TECHNICIENS). L’UNIQUE FEMME POTENTIELLEMENT PRÉSENTE EST TOMBÉE ENCEINTE BIEN AVANT LE TOURNAGE<br />

ET A ÉTÉ REMPLACÉE PAR UN HOMME.<br />

- CLINT EASTWOOD ÉTAIT TOUT D’ABORD PRESSENTI POUR INTERPRÉTER LE RÔLE PRINCIPAL DE MACREADY. CEPENDANT,<br />

JOHN CARPENTER S’EST FINALEMENT TOURNÉ VERS KURT RUSSEL, SON ACTEUR FAVORIS.<br />

- “THE THING” EST SORTI DANS LES SALLES OBSCURES LE 25 JUIN 1982, TOUT COMME UN AUTRE FILM CULTE DE SCIENCE-<br />

FICTION : “BLADE RUNNER”.<br />

- LA VOIX VIRTUELLE FÉMININE DE L’ORDINATEUR DE MACREADY EST CELLE D’ADRIENNE BARBEAU, ANCIENNE ÉPOUSE DE<br />

JOHN CARPENTER.<br />

115


116<br />

Alison Brie :<br />

Lutter pour<br />

mieux exploser<br />

« J’ai suivi un entraînement vocal à la Cal Arts où on nous a fait travailler la<br />

langue, le palais et tout le reste. Une discipline qui m’aura bien servi par la<br />

suite, car, de tous les atouts dont on dispose en tant qu’actrice, le corps est<br />

assurément le plus important. »


Elle n’a pas si tort que cela,<br />

la Brie, dont le joli minois<br />

aura assurément marqué<br />

les amoureux de la sitcom<br />

“Community” - mais pas que.<br />

Comme toute wannabe actrice<br />

désireuse de faire son trou à<br />

Hollywood et de perfectionner<br />

son acting avant de, peut-être,<br />

taper dans l’oeil des producteurs<br />

et des pontes des grosses<br />

majors (une bonne initiative que<br />

devrait suivre bon nombres de<br />

jeunes comédiens/comédiennes<br />

qui pointent chaque année le<br />

bout de leur nez dans divers<br />

blockbusters), c’est par la petite<br />

lucarne que la belle Alison fera<br />

ses gammes et remplira les<br />

premières lignes de son C.V<br />

bien fourni, après une double<br />

formation dramatique à la Cal<br />

Arts (California Institute of Arts)<br />

et la Royal Scottish Academy of<br />

Music and Drama.<br />

Passée par «Hannah Montana»<br />

(ouch), la web-série «My Alibi»<br />

(mieux) et la cultissime «Mad<br />

Men» (quasi-jackpot), c’est in<br />

fine avec le rôle d’Annie Edison<br />

dans le show «Community»<br />

des frangins Russo, véritable<br />

vivier de talents, que l’actuelle<br />

madame Dave Franco à la ville,<br />

se paiera son billet pour attirer<br />

les regards sur grand écran.<br />

Inconditionnelle des covers<br />

musicaux (avec les actrices de<br />

la web-série «My Alib «, Cyrina<br />

117


118


119<br />

Fiallo et Julianna Guill, elle a formé le cover<br />

band «The Girls», spécialisé dans les reprises de<br />

chansons célèbres) mais aussi de la franchise<br />

«Scream» de feu Wes Craven, son premier grand<br />

rôle après quelques bifurcations dans le cinoche<br />

indé ricain, se fera justement au casting du<br />

quatrième - et excellent - opus de la saga, où elle<br />

ne fera malheureusement pas long feu.<br />

« Adolescente, j’étais accro aux «Scream»,<br />

dont je connaissais les dialogues par coeur, et<br />

je me souviens qu’ils ont tourné le second près<br />

de chez moi. Je suis allé voir le tournage, et les<br />

voir travailler comme ça, tard dans la nuit,<br />

c’était vraiment cool. J’étais vraiment obsédée<br />

par la trilogie, et avec des amis, on a même<br />

tourné une petite parodie en vidéo intitulée<br />

Yell. Quelque part en jouant dans le quatrième<br />

film, la boucle est bouclée. »<br />

Mais loin de s’enterrer dans un potentiel statut de<br />

Scream Queen qui ne réussit guère à la majorité<br />

des jeunes comédiennes, c’est tout naturellement<br />

vers la comédie que sa personnalité pétillante<br />

va faire des ravages, autant en tant que second<br />

couteau de luxe («5 ans de Réflexion», «The<br />

King of Summer», «En Taule : Mode d’Emploi»,<br />

«Les Bonnes Soeurs», «The Disaster Artist»), que<br />

premier rôle remarqué (l’excellent «Jamais entre<br />

Amis», le moins défendable «Célibataire : Mode<br />

d’Emploi»).<br />

«GLOW» (dont la seconde saison est actuellement<br />

disponible sur la plateforme), où elle joue<br />

une actrice désespérément au chômage se<br />

reconvertissant en catcheuse professionnelle<br />

pour les besoins d’un show télévisé de plus en plus<br />

populaire (son lien avec Netflix s’étend même avec<br />

sa présence au casting vocal de la merveilleuse<br />

série animée «BoJack Horseman»), elle s’est offert<br />

une apparition chez rien de moins que Steven<br />

Spielberg, dans le brillant «Pentagon Papers»,<br />

sortie plus tôt cette année et reparti étonnamment<br />

bredouille de la course aux statuettes dorées.<br />

En attendant qu’un <strong>ciné</strong>aste de renom - ou pas<br />

- lui offre enfin le grand rôle qui lui permettrait<br />

de pleinement exploser au sein de la jungle<br />

Hollywoodienne et aux yeux des <strong>ciné</strong>philes du<br />

monde entier, l’actrice, trente-cinq au compteur<br />

(elle ne les fait pas), balade tranquillement mais<br />

sûrement son joli minois sur les deux médiums<br />

majeurs.<br />

D’ailleurs, on la retrouvera à nouveau, vocalement,<br />

d’ici février prochain au casting du très attendu<br />

«La Grande Aventure LEGO 2».<br />

Et force est d’avouer que, même si beaucoup<br />

d’entre nous n’aiment pas forcément le brie, il est<br />

nettement plus difficile de ne pas vraiment adorer<br />

la Brie (désolé...) !<br />

Jonathan Chevrier<br />

Mieux, alors qu’elle porte sur ses larges épaules<br />

la série originale - et vraiment délirante - Netflix


120<br />

Instant


séries<br />

121


122<br />

g ow<br />

On ne va pas se mentir, hormis un chef d’oeuvre bouillant et émouvant,<br />

mettant en lumière la carrière - et la vie - brisée d’un catcheur en bout<br />

de course, tout autant que la passion évidente de la lutte qui transpire<br />

d’un circuit indépendant rude, peu gratifiant et littéralement écraser par<br />

la surpuissance de la WWE - “The Wrestler” de Darren Aronofsky -; on ne<br />

peut pas vraiment dire que le monde de la lutte et du catch spectacle a<br />

réellement été mis en valeur autant sur le petit que sur le grand écran au<br />

fil des décennies.<br />

Et ce malgré, il est vrai, quelques essais remarquables (le dernier tiers de “La<br />

Taverne de l’Enfer” de Sylvester Stallone en tête) qui ne viendront pourtant<br />

pas rattraper quelques tâcherons bien gras - “No Holds Barred” avec Hulk<br />

Hogan...


Alors, voir que Netflix se lançait tête baissée sur le sujet<br />

l’an dernier, via un versant pas forcément attractif pour<br />

les non initiés sur le papier - une division de catch féminin<br />

dans les 80’s -, à une époque compliquée où l’âge d’or du<br />

catch semble un poil révolu (gageons sur les années 2000<br />

furent son dernier gros temps fort) et où les femmes n’ont<br />

pas toujours les moyens de truster quasiment tous les rôlestitres<br />

d’un show; “GLOW” avait tout du pari casse-gueule,<br />

même si les années 80 semblent férocement réussir à Netflix<br />

(“Strangers Things”).<br />

Chapeautée par le duo Liz Flahive/Carly Mensch (“Weeds”,<br />

“Nurse Jackie”) et de loin par Jenji “Orange is The New Black”<br />

Kohan, la série s’avérait in fine être l’une des plus belles<br />

surprises de 2017, comptant avec punch les coulisses de l’un<br />

des shows les plus ovniesques de la télévision US : Gorgeous<br />

Ladies of Wrestling aka GLOW, qui avait su se frayer un petit<br />

bout de chemin à l’antenne à une époque où les fans de<br />

catch ne vibraient - uniquement ou presque - que pour les<br />

«Wwwwhhhhooooo « de la légende Rick Flair, ou le charisme<br />

incroyable du roi Hogan - sans qui le catch ne serait pas ce<br />

qu’il est aujourd’hui.<br />

123


124<br />

Loin de n’être qu’une simple émission sur la lutte, ou quatorze<br />

femmes (actrices, top modèles, danseuses, cascadeuses,...) se<br />

crêpent le chignon en tenues colorées et sexy, ou poussaient<br />

même la chansonnette pour divertir des milliers de téléspectateurs<br />

: “GLOW” était avant tout une fenêtre de vision incroyable pour<br />

une poignée de femmes talentueuses, qui ont construites toutes<br />

seules leur route vers le succès.<br />

Dans la droite lignée d’”Orange is The New Black” avec sa galerie de<br />

personnages féminins hétéroclites et hautes en couleurs, véritables<br />

outsiders hors normes selon les conventions sociales, appelées<br />

à dévorer le petit écran à chaque épisode, la série, spectacle<br />

dans le spectacle, était une intelligente dramédie, attachante et<br />

férocement nostalgique (la reconstitution des 80’s est certes facile,<br />

mais franchement convaincante), totalement tournée vers sa pluie<br />

d’héroïnes en quête d’émancipation, elles-mêmes se déjouant<br />

continuellement des clichés qu’elles sont supposées incarner -<br />

autant dans le catch que dans la société US des années Reagan -;<br />

un condensé de loufoquerie franchement prenant, dominé par une<br />

Alison Brie étincelante, dans un premier rôle (celui de l’enthousiaste<br />

mais instable leader du groupe, Ruth, pas si éloignée de la Piper


de OITNB) enfin à la mesure de son talent - et ce, sans pour autant<br />

qu’elle vampirise le reste du casting.<br />

Véritable ode au girl power drôle (vraiment), énergique et<br />

émouvante, aussi subtilement engagée et politique qu’elle est<br />

didactique (notamment sur les arcanes artificielles du catch<br />

business), folle (mais pas autant que les comédies sportives de<br />

l’inégalable Will Ferrell, même si l’on pense souvent à “Semi-Pro”)<br />

et d’un charme fou; “GLOW”, évidemment loin des canons de la<br />

désormais vénérée Netflix (le moule de sa production commence<br />

tout de même à sentir le réchauffé, malgré des pitchs originaux),<br />

n’en était pas moins un excellent show qui frappe juste et fort<br />

(surtout quand il se déplace entre les cordes), et qui enchante par<br />

son infinie légèreté et la finesse de son écriture, magnifiée par un<br />

casting impeccable.<br />

Succès oblige, elle passe la seconde ces jours-ci et enfonce le clou<br />

du bon goût en transcendant les bons points de sa première salve<br />

d’épisodes pour rendre encore plus attachantes et consistantes ses<br />

vedettes (dont les ambitions diverses sont encore plus développés),<br />

cette fois-ci bien ancrée dans les joies de la télévision US - à une<br />

heure pas simple pour autant pour capter l’audience.<br />

125


126<br />

Féminine jusqu’au bout des ongles, avec sa mise en lumière criante de<br />

vérité d’une poignée de femmes tentant de s’imposer dans un monde<br />

du showbusiness à la dominance masculine abusive, férocement 80’s<br />

dans sa facture sans pour autant décliner une once d’engagement bien<br />

moderne (l’ombre de l’affaire Weinstein est plus ou moins directement<br />

citée, avec le big boss détestable de la chaîne); la saison 2 de “GLOW”,<br />

politique et cynique en diable, tord encore plus les préjugés entre<br />

les cordes avec malice, même si la dynamique de groupe laisse ici<br />

plus volontiers la priorité aux personnages forts de la troupe (une<br />

fois encore, c’est Ruth/Alison Brie qui en sort grande gagnante de la<br />

saison).<br />

Sans trembler, cette seconde cuvée, aussi addictive que la précédente<br />

- voire plus -, tient bon le compte de trois et prouve que le combat<br />

d’une femme pour exister dans la société ne se limite jamais qu’à<br />

travers un cadre bien précis, mais bien au jour le jour, 24h sur 24h.<br />

Vivement une troisième saison, si Netflix ne joue pas la carte de<br />

l’abandon ou de la disqualification...<br />

Jonathan Chevrier


127


128<br />

Cloak and Dagger<br />

Marvel a (enfin) trouvé son teen<br />

drama référence


129<br />

On ne reviendra pas sur la qualité hautement discutable des shows<br />

Marvel qui, hors Netflix (et encore, on n’oublie pas la calamiteuse “Iron<br />

Fist”, dont la seconde saison est plus que jamais dans les tuyaux),<br />

aura aligné plus de déceptions (“The Gifted”, “The Runaways”, “The<br />

Inhumans”,...) que de shows vraiment immanquables (“Legion”); reste<br />

adaptation d’une aventure papier sur le petit écran, un événement à<br />

part entière... et encore plus quand ledit comics n’est pas forcément<br />

connu du grand public.<br />

Librement adapté du plus ou moins confidentiel “La Cape et L’Épée”<br />

et chapoté par Joe Pokaski (scénariste de “Heroes” et de “Daredevil”),<br />

qui en modifie grandement la substance (changement de lieu, de<br />

background pour la naissance des pouvoirs et du statut social des<br />

héros en tête), “Cloak and Dagger” se paye également un pitch plutôt<br />

couillu pour un show de la firme : l’itinéraire de deux adolescents issus<br />

de milieux sociaux différent, Tyrone Johnson et Tandy Bowen, qui<br />

se découvrent des super pouvoirs les liant mystérieusement l’un à<br />

l’autre (le premier peut générer une étrange substance qui lui permet<br />

de se téléporter, la seconde peut faire jaillir des lames brillantes de<br />

ses paumes), dit pouvoirs qui sont encore plus imposants quand ils<br />

sont associés, mais qui pourraient presque s’apparenter à un fardeau<br />

commun.<br />

Transcendant son simple statut de show super-héroïque, la série<br />

s’impose dès son excellent épisode pilote comme un solide et grisant<br />

teen drama férocement ancré dans son époque et son cadre (la<br />

Nouvelle-Orléans, dont les stigmates de l’ouragan Katrina sont toujours<br />

bien présents), tant il traite avec justesse des maux douloureux qui<br />

gangrènent l’Amérique sous Trump : les inégalités sociales, le racisme,<br />

la pauvreté et la violence sous toutes ses formes (les gangs, la police,<br />

l’école,...).<br />

Un monde empoisonné où la vie d’adulte, même dans les quartiers<br />

plus huppés, s’appréhende à la dure; un réalisme rafraîchissant<br />

auquel le show ajoute une description étonnamment profonde de<br />

ses personnages et de leur mal-être évident, renforçant de facto le<br />

sentiment d’empathie envers eux que peut ressentir un spectateur<br />

conquis par ce regard juste et désespéré de l’adolescence, et cette<br />

romance contrariée.<br />

Sans vrai nemesis (pour le moment tout du moins) pas dénué de<br />

quelques clichés mais porté avec conviction par un couple Olivia Holt/<br />

Aubrey Joseph à l’alchimie étincelante, “Cloak and Dagger” est un<br />

teen drama cohérent, tendu, mature et bien rythmé, une belle petite<br />

surprise que l’on n’attendait pas et qui démontre que quand Marvel y<br />

met les formes, la qualité ne peut qu’être au rendez-vous...<br />

Jonathan Chevrier


130<br />

Luke Cage saison 2<br />

Passé une première réunion commune - “The<br />

Defenders” - franchement pas bandante pour un<br />

sou, où aucun héros de la bande n’a vraiment pu<br />

tirer son épingle du jeu au cours d’une intrigue<br />

partagée maladroite et d’un ennui poli (sans<br />

compter qu’elle prenait vraiment, vraiment son<br />

temps pour démarrer), et une seconde salve<br />

d’épisodes plutôt réussie autour de la merveilleuse<br />

Jessica Jones (même si la première saison reste un<br />

gros cran au-dessus), le MCU sauce Netflix entame<br />

pleinement sa phase 2 avec le retour en grande<br />

pompe du Power Man number one de New-York,<br />

Luke Cage, pour une seconde saison que l’on<br />

espérait un poil moins mitigée que la précédente.<br />

Suite directe des évènements du shared universe,<br />

toujours politiquement aussi engagé et plaçant<br />

une nouvelle fois les thèmes de la famille et de<br />

l’affirmation de soi au coeur des débats (et non, le<br />

baraqué bonhomme n’en a toujours pas fini avec<br />

son passé, et ce n’est pas le seul dans ce cas),<br />

les nouveaux épisodes de “Luke Cage” ne perdent<br />

pas de temps pour rentrer dans le vif du sujet<br />

et démontrer de manière flagrante aussi bien les<br />

grandes lignes fortes de ce retour, que ces infinies<br />

faiblesses, en plaçant Harlem - point fort - au<br />

coeur d’une guerre des gangs entre le Harlem’s<br />

Paradise (géré désormais par Mariah Strokes/<br />

Dillard depuis qu’elle a zigouillée son cousin), et les


131<br />

Stylers, un gang de jamaïcains<br />

mené par le charismatique<br />

Bushmaster (vilain majeur de<br />

la saison, qui a d’ailleurs plus<br />

d’un point commun avec Cage<br />

malgré une caractérisation<br />

opérée à la truelle); le tout -<br />

point faible - arbitré par un big<br />

Luke de plus en plus « Batmanesque<br />

«, qui assume pleinement<br />

son statut de symbole/vigilante<br />

pour sa communauté, au point<br />

de dangereusement glisser du<br />

côté obscur de la justice, malgré<br />

l’aide de sa BFF Misty Knight -<br />

l’alchimie Mike Colter et Simone<br />

Missick est encore plus éclatante<br />

cette saison.<br />

Pur western urbain façon polar<br />

radical, groovy et référencé<br />

(“Blaxploitation”, “The Wire” ou<br />

encore le <strong>ciné</strong>ma de Quentin<br />

Tarantino, jusque dans ses<br />

longues et jouissives tirades),<br />

moins Shakespearien mais<br />

toujours totalement conscient<br />

de son héritage culturel et<br />

développant à merveille sa<br />

propre musicalité (autant du<br />

point de vue du style que de sa<br />

bande originale, encore au poil),<br />

cette seconde salve d’épisodes,<br />

au demeurant divertissante,<br />

souffre néanmoins encore et<br />

toujours des mêmes tares que<br />

son illustre aînée : une écriture<br />

souvent pataude qui étire en<br />

longueur des thèmes et intrigues<br />

convenues (sans oublier une<br />

pluie de nouveaux personnages<br />

jetés à l’écran sans être un<br />

minimum esquissé), un rythme<br />

décousu, un aspect bavard - voir<br />

sur écrit - et une action parfois<br />

un poil trop mécanique.<br />

Dommage car, à l’instar<br />

de Mahershala Ali dans la<br />

saison une, Mustafa Shakir<br />

crève l’écran en némésis<br />

charismatique en diable (tout<br />

autant que Colter, mais avec un<br />

temps de présence nettement<br />

moindre), et vole la vedette à<br />

tout le monde, Alfre Woodard<br />

en tête (entre cabotinage forcé<br />

et vrai jeu nuancé); tandis que<br />

le showrunner Chao Hodair<br />

Coker interroge subtilement<br />

son auditoire sur ces sujets<br />

d’actualités encore bouillants<br />

(Black Lives Matter, le racisme<br />

et la violence policière, sans<br />

oublier la corruption politique).<br />

Baraqué mais encore fragile et<br />

passif dans le ton - et même<br />

le contenu -, déclinant avec<br />

intelligence ses bonnes bases<br />

sans forcément consolider<br />

les nombreuses fissures qui<br />

parsèment son édifice (à la<br />

différence de “Daredevil”), la<br />

seconde saison de “Luke Cage”<br />

frappe fort, presque autant que<br />

celle de “Jessica Jones”, mais pâti<br />

terriblement de la comparaison<br />

autant avec sa première saison,<br />

qu’avec les autres shows de la<br />

firme (excepté le tâcheron “Iron<br />

Fist”, présent ici pour un court -<br />

mais fun - épisode).<br />

On reste fan, et le personnage<br />

n’a rien perdu de son potentiel<br />

iconique, mais si troisième<br />

saison il y a, on est clairement<br />

en droit d’en attendre un peu<br />

plus des aventures de Power<br />

Man, surtout quand on sait que<br />

le Punisher lui, ne ménage pas<br />

ses efforts pour être le nouveau<br />

show-stealer du MCU made in<br />

Netflix...<br />

Jonathan Chevrier

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