Désolé j'ai ciné #6
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Sexe, mensonges<br />
et video<br />
Premier long-métrage tourné en très peu de temps par un Soderbergh d’à peine 26 ans, “Sexe, mensonges<br />
et vidéo” intrigue. D’autant qu’il a été couronné d’une Palme d’or, faisant de son réalisateur le plus jeune<br />
détenteur de la récompense cannoise suprême. Trente ans plus tard, que reste-t-il de cette œuvre intimiste<br />
mettant à mal l’”American way of life” ?<br />
Réflexion sur la sexualité dans une Amérique puritaine, “Sexe, mensonges et vidéo” met en parallèle des<br />
personnages renfermés, qui hésitent, tergiversent, et d’autres gouvernés par leurs pulsions, qui foncent<br />
bille en tête. Ann (Andie MacDowell, desperate housewife avant l’heure) fait partie des premiers alors que<br />
son mari John (Peter Gallagher) compte parmi les seconds : ne pouvant satisfaire toutes ses envies avec sa<br />
femme, il batifole avec Cynthia (Laura San Giacomo), la sœur de cette dernière, plus à l’écoute de son corps<br />
que son aînée. Un trio boiteux, mais qui fonctionne, sauvegardant les apparences de bonheur conjugal.<br />
Cette harmonie de façade, c’est – comme souvent – un élément extérieur qui va venir la bousculer. Fauteur<br />
de troubles de prime abord inoffensif, Graham (James Spader, prix d’interprétation à Cannes) est un ami<br />
de John, perdu de vue depuis des années. Comme Ann, il fait partie des gens qui doutent, observent et<br />
ont tendance à vivre dans leurs fantasmes. Pour satisfaire ses désirs, il filme des femmes se confiant sur<br />
leur sexualité, vidéos qu’il se repasse en boucle sur son magnétoscope. Tel “Le Voyeur” de Michael Powell,<br />
il utilise sa caméra comme une protection contre le monde, un écran derrière lequel il se sent à l’abri des<br />
regards et des corps. Graham n’ira certes pas aussi loin que le Mark du film du maître britannique, qui fait<br />
de sa caméra une arme de mort ; il n’en reste pas moins que c’est par elle que se révéleront les personnages<br />
de “Sexe, mensonges et vidéo”… à leurs risques et périls.<br />
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Avec sa mise en scène minimaliste créatrice d’une atmosphère froide, à la limite du clinique, Soderbergh<br />
nous invite, notamment, à pénétrer la psyché féminine, les deux sœurs de l’histoire se laissant convaincre<br />
par l’intérêt de la séance de «thérapie» de Graham. Le poids des interdits qui gangrènent la société<br />
américaine – le film reste très américano-américain – est prégnant, mais nul besoin d’attendre les moments<br />
de confessions pour le comprendre. Des frustrations d’Ann aux préjugés dont est très certainement victime<br />
Cynthia, la femme est toujours coincée, avec pour seule alternative le rôle de la maman ou de la putain.<br />
Si le personnage d’Ann, tout comme celui de Graham, est bien traité, ceux de Cynthia et John sont à<br />
peine effleurés, sortes de caricatures de la jeune femme délurée hippie sur les bords et du riche avocat<br />
opportuniste chaud bouillant. Ces deux-là sont clairement mis de côté pour laisser s’épanouir leurs doubles<br />
plus introvertis. Dans sa dernière partie, le film, dont la trame scénaristique est somme toute assez mince,<br />
gagne en intensité : lors de sa séance de «confession», Ann, poussée à bout par les événements, sort de son<br />
rôle de femme soumise, qui attend et observe pour s’imposer, prendre la caméra des mains de Graham et<br />
lui retourner ses fameuses questions en plein visage. Un moment salvateur, tant pour elle que pour lui, qui<br />
donne à ce premier long-métrage une saveur particulière.<br />
Trente ans après sa sortie, force est de constater que “Sexe, mensonges et vidéo” fait toujours son petit<br />
effet. Intrigant et malin, le premier long de Soderbergh n’est cependant pas le chef-d’œuvre que laisse<br />
espérer sa réputation.<br />
Vanessa Bonet