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Pressé de confectionner l’avenir, Franco Moschino meurt à 44 ans en 1994 après<br />
avoir façonné une vision de la mode du nouveau millénaire avec 30 ans d’avance.<br />
Par<br />
SIDA : 40 ANS DÉJÀ<br />
Alexandre<br />
Lanz<br />
Le spectre du sida entre avec fracas dans nos vies en 1981. Une des pires tragédies<br />
du 20 e siècle. Quarante ans plus tard, les auteur·e·x·s de 360˚ se souviennent<br />
des artistes qui les ont marqué·e·x·s et qui sont parti·e·x·s trop tôt.<br />
L’âme<br />
Moschino<br />
Les humains vont et viennent, les images restent. En<br />
1994, des rêves pleins la tête à 22 ans, je file à Lugano<br />
pour étudier la mode et goûter à la dolce vita. Si le<br />
Tessin s’avère aussi excitant qu’une carte postale,<br />
l’Italie voisine me fait lourdement de l’œil. Côme le<br />
jour, Milan la nuit, ma petite bande de « club kids » et<br />
moi, on attend le weekend avec impatience pour aller<br />
danser jusqu’au bout de la nuit dans les clubs gay La<br />
Segreta et Pape Satàn. Dans la capitale de la mode<br />
italienne, les vitrines rivalisent de glamour. Tout est<br />
plus beau, tout est plus haut qu’ailleurs. Découvrir<br />
l’éclat du chic et l’art souverain de l’apparence Via<br />
Monte Napoleone, l’expérience est étourdissante et<br />
inoubliable pour le petit Suisse que je suis. Rentrer<br />
chez Versace s’avère alors aussi hasardeux que de<br />
pénétrer au Berghain à Berlin, les physionomistes ne<br />
laissent entrer que les « rich & famous » dans l’antre à<br />
la méduse. Donatella est encore dans l’ombre de son<br />
frère Gianni. Gucci renaît alors de ses cendres sous<br />
l’impulsion de l’américain Tom Ford et son esthétique<br />
porn chic. Dolce & Gabbana gouverne le monde avec<br />
ses collections pour l’homme, la femme et ses parfums<br />
sexy. Mon instinct pop me guide naturellement<br />
chez Fiorucci. Mais le nom qui me marque le plus,<br />
c’est Moschino. En lettres capitales.<br />
ALLURE DE MAFIOSO SEXY<br />
Éduqué culturellement par les frasques parisiennes<br />
et le curseur stylistique d’ultra-genré<br />
à non-genré de Jean-Paul Gaultier, je trouve<br />
en Moschino son pendant italien. À l’instar du<br />
couturier français, Franco Moschino excelle<br />
dans l’art de déjouer les codes. Il voulait devenir<br />
peintre, il est devenu un des designers<br />
les plus marquants de son époque. À travers<br />
ses collections, il met son pays face à sa schizophrénie,<br />
entre un caractère ultra-sensuel<br />
et des croyances religieuses profondément<br />
ancrées. Moschino est à la base de la déflagration<br />
pop dont le classicisme italien a<br />
tant besoin. Surtout, il s’amuse. Derrière sa<br />
moustache et son regard de mafioso sexy,<br />
Franco érige Olive Oyl, la fiancée de Popeye,<br />
en icône de mode absolue et égérie du parfum<br />
de sa ligne Cheap & Chic.<br />
À contre-courant, Franco adopte une posture typiquement<br />
dada en appelant à un arrêt du système de<br />
la mode par le biais de ses publicités dans les magazines.<br />
Il ne craint rien. Discret sur sa vie privée, il provoque<br />
la pudibonde Italie avec sa mode sous forme<br />
de manifeste. Il est une inspiration pour toute une<br />
génération de personnes LGBTQ+. Une révélation<br />
pour moi. Le 18 septembre de la même année, Franco<br />
meurt dans sa villa au bord d’un lac à Brianza. Il a 44<br />
ans. Après sa mort à la suite de complications dues à<br />
une tumeur abdominale, il est déclaré publiquement<br />
qu’il était atteint du sida. Oui, les humains s’en vont.<br />
Mais les images restent.<br />
L’HUMEUR DE LÉON SALIN<br />
J’AI TRANSITIONNÉ D’HOMO<br />
À HÉTÉRO<br />
Léon est un activiste transgenre. Il tient le compte<br />
Instagram @salinleon dans lequel il lutte pour plus de<br />
représentation positive des personnes transgenres.<br />
Dès l’adolescence, je prenais la rue comme une<br />
zone de guerre. Je m’affichais en tant qu’homosexuel<br />
dans les rues de Lausanne. À deux, nous<br />
osions montrer notre identité et affirmer notre fierté.<br />
Il fallait avoir les épaules solides. Je gardais la tête<br />
haute car mon champ de bataille ne se cantonnait<br />
pas uniquement à la rue ; il trans-gressait ces<br />
frontières en béton pour arriver dans mes sphères<br />
privées. Là aussi, soldat servant la cause queer, je<br />
me battais contre mes proches pour leur affirmer<br />
qu’être homosexuel n’était pas un choix de vie douteux,<br />
mais bien une identité légitime.<br />
Le conflit durait, personne ne daignait<br />
baisser les bras. Un jour, je vis la lumière<br />
au bout du tunnel ; être homo ça devenait<br />
cool. Enfin, j’allais pouvoir prendre ma retraite.<br />
Or, il se trouve que ce n’était qu’un<br />
cessez-le-feu. Tout de suite, une balle<br />
m'atteignait droit au cœur en m’annonçant<br />
que je n’étais pas homosexuel, mais<br />
transgenre. Ça y est, le combat reprend<br />
encore plus intensément qu’auparavant.<br />
Je me retrouve sur un front déserté de<br />
soldats, seul contre une arme redoutable :<br />
la transphobie. Arraché de mon identité<br />
homo, je perds tout repère dans ces nouvelles<br />
tranchées. Je m’efforce à oublier<br />
cette balle qui a percé mon cœur. Alors<br />
débute l’hémorragie. Je choisis un nouveau<br />
prénom à consonance masculine<br />
et je me lance sur le champ de bataille. Je<br />
fais à peine deux pas quand une bombe<br />
explose, l’acouphène perce mes oreilles.<br />
Ainsi, à genoux et en sang, je réalise que<br />
j’ai le droit de changer mon apparence,<br />
de prendre de la testostérone et d’exiger<br />
qu’on me genre au masculin. Je me relève<br />
plus fort que jamais; l’ennemi se retrouve<br />
ébloui par ma force grandissante. Je<br />
réalise enfin que je dispose de l’arme décisive<br />
du conflit : la conviction que mon<br />
identité transgenre a le droit d’exister.<br />
30 CULTURE<br />
360 AVRIL <strong>2021</strong> N 202 CULTURE<br />
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