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360° Magazine / avril 2021

No.202 MODE

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Pressé de confectionner l’avenir, Franco Moschino meurt à 44 ans en 1994 après<br />

avoir façonné une vision de la mode du nouveau millénaire avec 30 ans d’avance.<br />

Par<br />

SIDA : 40 ANS DÉJÀ<br />

Alexandre<br />

Lanz<br />

Le spectre du sida entre avec fracas dans nos vies en 1981. Une des pires tragédies<br />

du 20 e siècle. Quarante ans plus tard, les auteur·e·x·s de 360˚ se souviennent<br />

des artistes qui les ont marqué·e·x·s et qui sont parti·e·x·s trop tôt.<br />

L’âme<br />

Moschino<br />

Les humains vont et viennent, les images restent. En<br />

1994, des rêves pleins la tête à 22 ans, je file à Lugano<br />

pour étudier la mode et goûter à la dolce vita. Si le<br />

Tessin s’avère aussi excitant qu’une carte postale,<br />

l’Italie voisine me fait lourdement de l’œil. Côme le<br />

jour, Milan la nuit, ma petite bande de « club kids » et<br />

moi, on attend le weekend avec impatience pour aller<br />

danser jusqu’au bout de la nuit dans les clubs gay La<br />

Segreta et Pape Satàn. Dans la capitale de la mode<br />

italienne, les vitrines rivalisent de glamour. Tout est<br />

plus beau, tout est plus haut qu’ailleurs. Découvrir<br />

l’éclat du chic et l’art souverain de l’apparence Via<br />

Monte Napoleone, l’expérience est étourdissante et<br />

inoubliable pour le petit Suisse que je suis. Rentrer<br />

chez Versace s’avère alors aussi hasardeux que de<br />

pénétrer au Berghain à Berlin, les physionomistes ne<br />

laissent entrer que les « rich & famous » dans l’antre à<br />

la méduse. Donatella est encore dans l’ombre de son<br />

frère Gianni. Gucci renaît alors de ses cendres sous<br />

l’impulsion de l’américain Tom Ford et son esthétique<br />

porn chic. Dolce & Gabbana gouverne le monde avec<br />

ses collections pour l’homme, la femme et ses parfums<br />

sexy. Mon instinct pop me guide naturellement<br />

chez Fiorucci. Mais le nom qui me marque le plus,<br />

c’est Moschino. En lettres capitales.<br />

ALLURE DE MAFIOSO SEXY<br />

Éduqué culturellement par les frasques parisiennes<br />

et le curseur stylistique d’ultra-genré<br />

à non-genré de Jean-Paul Gaultier, je trouve<br />

en Moschino son pendant italien. À l’instar du<br />

couturier français, Franco Moschino excelle<br />

dans l’art de déjouer les codes. Il voulait devenir<br />

peintre, il est devenu un des designers<br />

les plus marquants de son époque. À travers<br />

ses collections, il met son pays face à sa schizophrénie,<br />

entre un caractère ultra-sensuel<br />

et des croyances religieuses profondément<br />

ancrées. Moschino est à la base de la déflagration<br />

pop dont le classicisme italien a<br />

tant besoin. Surtout, il s’amuse. Derrière sa<br />

moustache et son regard de mafioso sexy,<br />

Franco érige Olive Oyl, la fiancée de Popeye,<br />

en icône de mode absolue et égérie du parfum<br />

de sa ligne Cheap & Chic.<br />

À contre-courant, Franco adopte une posture typiquement<br />

dada en appelant à un arrêt du système de<br />

la mode par le biais de ses publicités dans les magazines.<br />

Il ne craint rien. Discret sur sa vie privée, il provoque<br />

la pudibonde Italie avec sa mode sous forme<br />

de manifeste. Il est une inspiration pour toute une<br />

génération de personnes LGBTQ+. Une révélation<br />

pour moi. Le 18 septembre de la même année, Franco<br />

meurt dans sa villa au bord d’un lac à Brianza. Il a 44<br />

ans. Après sa mort à la suite de complications dues à<br />

une tumeur abdominale, il est déclaré publiquement<br />

qu’il était atteint du sida. Oui, les humains s’en vont.<br />

Mais les images restent.<br />

L’HUMEUR DE LÉON SALIN<br />

J’AI TRANSITIONNÉ D’HOMO<br />

À HÉTÉRO<br />

Léon est un activiste transgenre. Il tient le compte<br />

Instagram @salinleon dans lequel il lutte pour plus de<br />

représentation positive des personnes transgenres.<br />

Dès l’adolescence, je prenais la rue comme une<br />

zone de guerre. Je m’affichais en tant qu’homosexuel<br />

dans les rues de Lausanne. À deux, nous<br />

osions montrer notre identité et affirmer notre fierté.<br />

Il fallait avoir les épaules solides. Je gardais la tête<br />

haute car mon champ de bataille ne se cantonnait<br />

pas uniquement à la rue ; il trans-gressait ces<br />

frontières en béton pour arriver dans mes sphères<br />

privées. Là aussi, soldat servant la cause queer, je<br />

me battais contre mes proches pour leur affirmer<br />

qu’être homosexuel n’était pas un choix de vie douteux,<br />

mais bien une identité légitime.<br />

Le conflit durait, personne ne daignait<br />

baisser les bras. Un jour, je vis la lumière<br />

au bout du tunnel ; être homo ça devenait<br />

cool. Enfin, j’allais pouvoir prendre ma retraite.<br />

Or, il se trouve que ce n’était qu’un<br />

cessez-le-feu. Tout de suite, une balle<br />

m'atteignait droit au cœur en m’annonçant<br />

que je n’étais pas homosexuel, mais<br />

transgenre. Ça y est, le combat reprend<br />

encore plus intensément qu’auparavant.<br />

Je me retrouve sur un front déserté de<br />

soldats, seul contre une arme redoutable :<br />

la transphobie. Arraché de mon identité<br />

homo, je perds tout repère dans ces nouvelles<br />

tranchées. Je m’efforce à oublier<br />

cette balle qui a percé mon cœur. Alors<br />

débute l’hémorragie. Je choisis un nouveau<br />

prénom à consonance masculine<br />

et je me lance sur le champ de bataille. Je<br />

fais à peine deux pas quand une bombe<br />

explose, l’acouphène perce mes oreilles.<br />

Ainsi, à genoux et en sang, je réalise que<br />

j’ai le droit de changer mon apparence,<br />

de prendre de la testostérone et d’exiger<br />

qu’on me genre au masculin. Je me relève<br />

plus fort que jamais; l’ennemi se retrouve<br />

ébloui par ma force grandissante. Je<br />

réalise enfin que je dispose de l’arme décisive<br />

du conflit : la conviction que mon<br />

identité transgenre a le droit d’exister.<br />

30 CULTURE<br />

360 AVRIL <strong>2021</strong> N 202 CULTURE<br />

31

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