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360° Magazine / avril 2021

No.202 MODE

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© Silvia Rossi<br />

INTERVIEW<br />

«Aucune<br />

religion<br />

n’a le droit dejuger<br />

notre identité »<br />

À l’heure où les motions se multiplient pour interdire les thérapies de conversion en<br />

Suisse, Adrian Stiefel se remémore celle qu’il a vécue pour mieux les combattre.<br />

Propos<br />

recueillis<br />

par<br />

Alexandre Lanz<br />

Les thérapies de conversion sont dans le radar. Enfin !<br />

Après Genève qui a accepté la motion visant à interdire<br />

ces pratiques dangereuses et hostiles, une<br />

autre a été déposée au Grand Conseil dans le canton<br />

de Vaud, ainsi qu’à Bâle-Ville. Responsable du pôle<br />

LGBTQ+ au sein de l’Église protestante de Genève,<br />

Adrian Stiefel est un habitué des médias romands.<br />

Bien placé pour connaître les enjeux de la lutte dans<br />

les milieux religieux, il n’hésite pas à partager son<br />

expérience personnelle au bénéfice du combat collectif<br />

auquel il participe activement depuis plusieurs<br />

années. Interview à cœur ouvert.<br />

Quels sont les enjeux des motions que l’on voit apparaître<br />

depuis quelques semaines en Suisse, dont<br />

la première a été acceptée par le Grand Conseil genevois<br />

début mars ?<br />

Les thérapies de conversion ne sont pas interdites<br />

en Suisse actuellement, c’est pourquoi<br />

nous voulons légiférer aujourd’hui. En Suisse<br />

et ailleurs, la prise de conscience de la problématique<br />

n’est que récente, suite à la demande<br />

du Parlement européen de légiférer au niveau<br />

des États. Les enjeux principaux s’articulent<br />

autour de la déconstruction de discriminations<br />

homophobes ou transphobes dont<br />

l’origine se trouve souvent dans la religion.<br />

Quelles ont été les différentes étapes jusqu’à l’acceptation<br />

de la motion à Genève ?<br />

La motion initiale, proposée par le député<br />

Yves de Matteis, a été adaptée à la suite d’une<br />

table ronde sur les thérapies de conversion<br />

que nous avons organisée en 2020 dans le<br />

cadre de la campagne contre l’homophobie<br />

et la transphobie de la Ville de Genève.<br />

En quoi consiste cette adaptation ?<br />

La nouvelle motion invite à mettre sur pied un<br />

groupe de travail pluridisciplinaire (médico-<br />

juridico-socio-ecclésial) pour accompagner<br />

le Conseil d'État dans la rédaction d’un projet<br />

de loi, à ne pas faire de distinction entre<br />

majeurs et mineurs, ainsi qu’à s’assurer de<br />

l’existence d’espaces de reconstruction<br />

pour accompagner les victimes. Le terme<br />

de thérapies de conversion a par ailleurs<br />

été changé pour celui de pratiques visant à<br />

modifier l’orientation sexuelle ou l’identité<br />

de genre.<br />

Pour quelle raison ?<br />

Le terme de thérapies de conversion est trop<br />

restrictif. Certes, ces pratiques existent réellement<br />

sous la forme de camps ou de thérapies<br />

formelles, mais ce n’est qu’une partie<br />

du problème. On se souvient du cas récent<br />

de ce médecin schwytzois – remboursé par<br />

la LAMal – qui prétendait « guérir » l’homosexualité<br />

par l’EMDR, une technique visant à<br />

réduire les traumatismes en travaillant avec<br />

le mouvement oculaire. Mais cela ne permet<br />

pas d’inclure toutes les tentatives de réorientation<br />

sexuelle et identitaire qui découlent de<br />

la pression subie au sein de communautés<br />

religieuses ou autres. Ces pratiques, moins<br />

formelles et plus insidieuses, sont difficilement<br />

condamnables.<br />

Quels sont les principaux objectifs aujourd’hui ?<br />

Il est nécessaire que l’interdiction des pratiques<br />

visant à modifier l’orientation sexuelle<br />

ou l’identité de genre soit inscrite dans la loi.<br />

Mais il est également important de proposer<br />

des espaces de reconstruction identitaire,<br />

psychologique et spirituelle et de favoriser<br />

l’éducation et la conscientisation à un niveau<br />

sociétal et ecclésial.<br />

Qu’en est-il de l’homosexualité féminine ?<br />

C’est une question importante. Même si l’on<br />

entend plus souvent parler de témoignages<br />

d’hommes dans les cas de thérapies de<br />

conversion, l’homosexualité féminine a été<br />

en grande partie invisibilisée, ce qui représente<br />

un autre problème. C’est quelque<br />

chose qu’il faut mettre en avant, construire<br />

une place pour ces femmes qui ont souffert<br />

et qui sont moins mises sur le devant de la<br />

scène aujourd’hui.<br />

Comment expliquez-vous cette invisibilisation ?<br />

Les milieux religieux condamnent souvent<br />

l’homosexualité masculine en se basant sur<br />

la sodomie. L’acte pénétratif, qui est le point<br />

d’orgue du « péché de l’homosexualité », est<br />

considéré par les Églises qui prônent une lecture<br />

littérale des textes sacrés comme une<br />

abomination contre nature.<br />

Et les personnes trans* ?<br />

Il reste un travail énorme à faire en termes de<br />

prise en compte de la question du genre, ainsi<br />

que de la reconnaissance et de l’accueil des<br />

personnes trans* dans les milieux religieux.<br />

En Suisse, on a tendance à assimiler ce type de pratique<br />

à un phénomène américain…<br />

Cela se passe aussi ici dans des centres<br />

de réorientation sexuelle tels que Torrents<br />

de vie, basé à Bussigny. Rappelons que<br />

les tentatives de réorientation sexuelle<br />

ne s’articulent pas uniquement autour de<br />

l’homosexualité. C’est parfois très insidieux.<br />

Certaines Églises fondamentalistes<br />

condamnent toute sexualité hors mariage<br />

hétérosexuel, toutes formes de perversions<br />

et de débauches dont font partie le désir homosexuel<br />

selon leurs principes. C’est d’ailleurs<br />

sous ce couvert-là qu’on a essayé de<br />

m’aider à fouiller dans mon vécu personnel et<br />

mon histoire familiale pour trouver la source<br />

du « démon de l’homosexualité » dans ma vie.<br />

Justement, vous n’hésitez pas à mettre votre expérience<br />

personnelle au profit du combat collectif auquel<br />

vous participez activement.<br />

J’ai effectivement vécu une thérapie de<br />

conversion au sens formel de mon propre gré<br />

quand j’avais 19 ans. C’était la somme d’années<br />

de conditionnement qui m’ont donné<br />

envie de changer pour devenir « normal ». De<br />

Londres où je vivais, je suis parti aux États-<br />

Unis pour suivre une semaine de thérapie<br />

avec un pseudo thérapeute/pasteur dans le<br />

Maryland. Pendant six heures par jour, il identifiait<br />

la source des comportements jugés<br />

déviants et m’en libérait par des techniques<br />

mêlant psychanalyse, prières de guérison et<br />

libération de liens spirituels.<br />

Avez-vous douté à un moment de votre propre homosexualité<br />

?<br />

Très sincèrement, je pensais être déviant<br />

jusqu’à passé 30 ans. La question de la programmation<br />

et de l’endoctrinement est très<br />

complexe. Quand on te martèle depuis l’adolescence<br />

que ce que tu ressens est une déviance,<br />

que la source vient d’une enfance difficile ou de<br />

certains abus que tu as pu subir, évidemment tu<br />

as envie de changer et de devenir hétéro pour<br />

être considéré dans la norme acceptable. Une<br />

fois que ces idées sont programmées en toi, la<br />

volonté de changer vient de toi !<br />

Aujourd’hui, que diriez-vous au jeune homme de 19<br />

ans que vous étiez ?<br />

Je lui dirais qu’il doit s’accepter tel qu’il est.<br />

Personne, aucun individu, aucune communauté,<br />

aucune religion, aucune divinité n’a le<br />

droit de porter un jugement sur son identité,<br />

cette essence même qui lui appartient.<br />

L’acceptation première doit se faire de l’intérieur,<br />

c’est le plus important. Aussi, je lui dirais<br />

que d’autres personnes sont passées par là<br />

et qu’elles sont prêtes à l’aider à avancer sur<br />

le chemin de sa reconstruction identitaire,<br />

psychologique et spirituelle.<br />

Lire la suite de l’interview<br />

sur 360.ch<br />

6 ACTUS<br />

360 AVRIL <strong>2021</strong> N 202 ACTUS<br />

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