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© Silvia Rossi<br />
INTERVIEW<br />
«Aucune<br />
religion<br />
n’a le droit dejuger<br />
notre identité »<br />
À l’heure où les motions se multiplient pour interdire les thérapies de conversion en<br />
Suisse, Adrian Stiefel se remémore celle qu’il a vécue pour mieux les combattre.<br />
Propos<br />
recueillis<br />
par<br />
Alexandre Lanz<br />
Les thérapies de conversion sont dans le radar. Enfin !<br />
Après Genève qui a accepté la motion visant à interdire<br />
ces pratiques dangereuses et hostiles, une<br />
autre a été déposée au Grand Conseil dans le canton<br />
de Vaud, ainsi qu’à Bâle-Ville. Responsable du pôle<br />
LGBTQ+ au sein de l’Église protestante de Genève,<br />
Adrian Stiefel est un habitué des médias romands.<br />
Bien placé pour connaître les enjeux de la lutte dans<br />
les milieux religieux, il n’hésite pas à partager son<br />
expérience personnelle au bénéfice du combat collectif<br />
auquel il participe activement depuis plusieurs<br />
années. Interview à cœur ouvert.<br />
Quels sont les enjeux des motions que l’on voit apparaître<br />
depuis quelques semaines en Suisse, dont<br />
la première a été acceptée par le Grand Conseil genevois<br />
début mars ?<br />
Les thérapies de conversion ne sont pas interdites<br />
en Suisse actuellement, c’est pourquoi<br />
nous voulons légiférer aujourd’hui. En Suisse<br />
et ailleurs, la prise de conscience de la problématique<br />
n’est que récente, suite à la demande<br />
du Parlement européen de légiférer au niveau<br />
des États. Les enjeux principaux s’articulent<br />
autour de la déconstruction de discriminations<br />
homophobes ou transphobes dont<br />
l’origine se trouve souvent dans la religion.<br />
Quelles ont été les différentes étapes jusqu’à l’acceptation<br />
de la motion à Genève ?<br />
La motion initiale, proposée par le député<br />
Yves de Matteis, a été adaptée à la suite d’une<br />
table ronde sur les thérapies de conversion<br />
que nous avons organisée en 2020 dans le<br />
cadre de la campagne contre l’homophobie<br />
et la transphobie de la Ville de Genève.<br />
En quoi consiste cette adaptation ?<br />
La nouvelle motion invite à mettre sur pied un<br />
groupe de travail pluridisciplinaire (médico-<br />
juridico-socio-ecclésial) pour accompagner<br />
le Conseil d'État dans la rédaction d’un projet<br />
de loi, à ne pas faire de distinction entre<br />
majeurs et mineurs, ainsi qu’à s’assurer de<br />
l’existence d’espaces de reconstruction<br />
pour accompagner les victimes. Le terme<br />
de thérapies de conversion a par ailleurs<br />
été changé pour celui de pratiques visant à<br />
modifier l’orientation sexuelle ou l’identité<br />
de genre.<br />
Pour quelle raison ?<br />
Le terme de thérapies de conversion est trop<br />
restrictif. Certes, ces pratiques existent réellement<br />
sous la forme de camps ou de thérapies<br />
formelles, mais ce n’est qu’une partie<br />
du problème. On se souvient du cas récent<br />
de ce médecin schwytzois – remboursé par<br />
la LAMal – qui prétendait « guérir » l’homosexualité<br />
par l’EMDR, une technique visant à<br />
réduire les traumatismes en travaillant avec<br />
le mouvement oculaire. Mais cela ne permet<br />
pas d’inclure toutes les tentatives de réorientation<br />
sexuelle et identitaire qui découlent de<br />
la pression subie au sein de communautés<br />
religieuses ou autres. Ces pratiques, moins<br />
formelles et plus insidieuses, sont difficilement<br />
condamnables.<br />
Quels sont les principaux objectifs aujourd’hui ?<br />
Il est nécessaire que l’interdiction des pratiques<br />
visant à modifier l’orientation sexuelle<br />
ou l’identité de genre soit inscrite dans la loi.<br />
Mais il est également important de proposer<br />
des espaces de reconstruction identitaire,<br />
psychologique et spirituelle et de favoriser<br />
l’éducation et la conscientisation à un niveau<br />
sociétal et ecclésial.<br />
Qu’en est-il de l’homosexualité féminine ?<br />
C’est une question importante. Même si l’on<br />
entend plus souvent parler de témoignages<br />
d’hommes dans les cas de thérapies de<br />
conversion, l’homosexualité féminine a été<br />
en grande partie invisibilisée, ce qui représente<br />
un autre problème. C’est quelque<br />
chose qu’il faut mettre en avant, construire<br />
une place pour ces femmes qui ont souffert<br />
et qui sont moins mises sur le devant de la<br />
scène aujourd’hui.<br />
Comment expliquez-vous cette invisibilisation ?<br />
Les milieux religieux condamnent souvent<br />
l’homosexualité masculine en se basant sur<br />
la sodomie. L’acte pénétratif, qui est le point<br />
d’orgue du « péché de l’homosexualité », est<br />
considéré par les Églises qui prônent une lecture<br />
littérale des textes sacrés comme une<br />
abomination contre nature.<br />
Et les personnes trans* ?<br />
Il reste un travail énorme à faire en termes de<br />
prise en compte de la question du genre, ainsi<br />
que de la reconnaissance et de l’accueil des<br />
personnes trans* dans les milieux religieux.<br />
En Suisse, on a tendance à assimiler ce type de pratique<br />
à un phénomène américain…<br />
Cela se passe aussi ici dans des centres<br />
de réorientation sexuelle tels que Torrents<br />
de vie, basé à Bussigny. Rappelons que<br />
les tentatives de réorientation sexuelle<br />
ne s’articulent pas uniquement autour de<br />
l’homosexualité. C’est parfois très insidieux.<br />
Certaines Églises fondamentalistes<br />
condamnent toute sexualité hors mariage<br />
hétérosexuel, toutes formes de perversions<br />
et de débauches dont font partie le désir homosexuel<br />
selon leurs principes. C’est d’ailleurs<br />
sous ce couvert-là qu’on a essayé de<br />
m’aider à fouiller dans mon vécu personnel et<br />
mon histoire familiale pour trouver la source<br />
du « démon de l’homosexualité » dans ma vie.<br />
Justement, vous n’hésitez pas à mettre votre expérience<br />
personnelle au profit du combat collectif auquel<br />
vous participez activement.<br />
J’ai effectivement vécu une thérapie de<br />
conversion au sens formel de mon propre gré<br />
quand j’avais 19 ans. C’était la somme d’années<br />
de conditionnement qui m’ont donné<br />
envie de changer pour devenir « normal ». De<br />
Londres où je vivais, je suis parti aux États-<br />
Unis pour suivre une semaine de thérapie<br />
avec un pseudo thérapeute/pasteur dans le<br />
Maryland. Pendant six heures par jour, il identifiait<br />
la source des comportements jugés<br />
déviants et m’en libérait par des techniques<br />
mêlant psychanalyse, prières de guérison et<br />
libération de liens spirituels.<br />
Avez-vous douté à un moment de votre propre homosexualité<br />
?<br />
Très sincèrement, je pensais être déviant<br />
jusqu’à passé 30 ans. La question de la programmation<br />
et de l’endoctrinement est très<br />
complexe. Quand on te martèle depuis l’adolescence<br />
que ce que tu ressens est une déviance,<br />
que la source vient d’une enfance difficile ou de<br />
certains abus que tu as pu subir, évidemment tu<br />
as envie de changer et de devenir hétéro pour<br />
être considéré dans la norme acceptable. Une<br />
fois que ces idées sont programmées en toi, la<br />
volonté de changer vient de toi !<br />
Aujourd’hui, que diriez-vous au jeune homme de 19<br />
ans que vous étiez ?<br />
Je lui dirais qu’il doit s’accepter tel qu’il est.<br />
Personne, aucun individu, aucune communauté,<br />
aucune religion, aucune divinité n’a le<br />
droit de porter un jugement sur son identité,<br />
cette essence même qui lui appartient.<br />
L’acceptation première doit se faire de l’intérieur,<br />
c’est le plus important. Aussi, je lui dirais<br />
que d’autres personnes sont passées par là<br />
et qu’elles sont prêtes à l’aider à avancer sur<br />
le chemin de sa reconstruction identitaire,<br />
psychologique et spirituelle.<br />
Lire la suite de l’interview<br />
sur 360.ch<br />
6 ACTUS<br />
360 AVRIL <strong>2021</strong> N 202 ACTUS<br />
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