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DÉVELOPPEMENT<br />
SORTIR RENFORCÉ<br />
DE LA CRISE<br />
CAPITALE<br />
DAKAR<br />
VISE L’AVENIR<br />
OLYMPISME<br />
À QUATRE ANS<br />
DES JOJ<br />
Travel Guide<br />
BUZZ, SPOTS<br />
ET BONNES<br />
ADRESSES<br />
Un hors-série<br />
FÉVRIER 2022<br />
L 13978 - 14 H - F: 5,90 € - RD<br />
SÉNÉGAL<br />
UN VOYAGE DE 156 PAGES AU PAYS<br />
DES LIONS DE LA TERANGA : ENJEUX, POUVOIRS,<br />
BUSINESS, CULTURE, ARTS, LIFESTYLE…<br />
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 €<br />
Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $<br />
Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 500 FCFA ISSN 0998-9307X0
2022<br />
L’ innovation<br />
se poursuit<br />
« À l’aube de cette nouvelle année, l’ensemble de l’équipe<br />
de Expresso Business se joint à moi<br />
pour vous souhaiter nos meilleurs vœux.<br />
Puisse 2022 être l’année de la résilience, de l’impact et de<br />
l’utile.<br />
Plus d’impact orienté vers vos entreprises<br />
Un impact centré sur le soutien à la compétitivité de vos<br />
entreprises avec des offres spécifiques.<br />
Nous démarrons 2022 avec des offres attractives, des<br />
terminaux robustes, des solutions innovantes, des liaisons<br />
spécialisées à une vitesse grand V, un réseau mobile de<br />
plus en plus performant.<br />
Conscients des mutations de nos sociétés modernes, sachiez<br />
que nous sommes résolument tournés vers la transformation<br />
digitale pour une expérience client simplifiée.<br />
Cette année 2022 sera marquée, par cette double exigence<br />
d’innovation produits et de support client le long du<br />
parcours, le tout porté par une ambition d’être un levier de<br />
croissance pour les entreprises.<br />
Que 2022 soit l’année des succès et de la réalisation de tous<br />
vos projets. »<br />
Fatou Sow KANE,<br />
Directrice Commerciale Pôle Entreprise.
édito<br />
PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />
CH<strong>AM</strong>PION D’AFRIQUE !<br />
Le football a des vertus magiques. Le 6 février,<br />
dans la nuit chaude de Yaoundé, pour cette finale<br />
au bout du suspense, au bout des prolongations, au<br />
bout des tirs au but, Sadio Mané n’aura pas tremblé.<br />
Le Sénégal est champion d’Afrique de football ! Un<br />
moment unique de rédemption triomphante après<br />
les échecs douloureux du passé. La victoire fut belle<br />
et la fête fut énorme. Avec des millions de gens dans<br />
les rues de Dakar, des autres villes et des villages, des<br />
éclats de joie dans toutes les diasporas à travers le<br />
monde. Comme s’il fallait se retrouver uni, autour de<br />
cette nouvelle « sénégalité » nationale, marquée par<br />
la victoire. Comme si les Sénégalais avaient besoin<br />
d’« être ensemble ». Comme pour dépasser, juste un<br />
temps, juste un moment, les tensions et les déchirements<br />
de la scène politique, les débats électoraux.<br />
Comme aussi pour souligner les nouvelles ambitions<br />
d’une nation souvent montrée en exemple, mais dont<br />
le dynamisme économique et l’émergence semblaient<br />
comme contraints, freinés, en attente.<br />
La symbolique du foot, celle des Lions de la<br />
Teranga, et la réalité se rejoignent. Après de très<br />
longues années de croissance en dents de scie, le<br />
Sénégal s’est engagé depuis 2012 dans une politique<br />
d’investissements, de grands travaux, de réformes pour<br />
se montrer plus compétitif. Le secteur privé est appelé<br />
à croître et à y croire. L’objectif est d’aller plus vite, plus<br />
loin et se poser enfin comme l’un des champions du<br />
continent, un hub incontournable. Les chemins de<br />
cette émergence sont exigeants. Nous sommes ici<br />
dans l’une des économies les plus dynamiques du<br />
monde sur le plan de la croissance, mais l’on vient<br />
de loin. La 21 e du continent et la 4 e de la sous-région<br />
ouest-africaine, après le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le<br />
Ghana, doit se moderniser à marche forcée. C’est le<br />
rôle du Plan Sénégal Emergent. Et c’est la ligne directrice<br />
du président Macky Sall, élu en 2012 et réélu en<br />
2019. Il faut gérer de front tous les sujets : compétitivité,<br />
croissance, exportations, équipements, changements<br />
climatiques, développement durable, inclusion<br />
sociale, protection des plus modestes… Le Sénégal<br />
aura aussi subi de plein fouet la crise du Covid-19, cette<br />
disruption stupéfiante à l’échelle planétaire, l’impact<br />
sanitaire et social, la fermeture des frontières, le tarissement<br />
des échanges et des financements. Dans cette<br />
période particulièrement difficile, douloureuse, le pays<br />
a su se montrer résilient. Et aussi innovateur. L’une des<br />
premières usines de vaccins d’Afrique francophone<br />
ouvrira dans les mois à venir à Dakar. Et symbole d’une<br />
ambition à plus long terme, en 2026 devraient se tenir<br />
à Dakar les 4 es Jeux olympiques de la jeunesse, une<br />
première historique pour le continent !<br />
Tout se retrouve. Le Sénégal, c’est aussi cette<br />
formidable vivacité culturelle, littéraire, musicale, cette<br />
« empreinte » qui va loin, celle d’un véritable soft power<br />
quasiment inégalé en Afrique. C’est la terre des contradictions<br />
créatives entre la tradition et le changement,<br />
celle de sociétés civiles actives, d’une jeunesse engagée<br />
et revendicative.<br />
Ce numéro d’Ensuite, collection de horsséries<br />
d’Afrique Magazine, vous emmène donc à<br />
Dakar et au-delà, à la rencontre d’un pays ambitieux,<br />
en mouvement. À la découverte de cette nation complexe,<br />
multiple, sahélienne, et déjà ouverte sur les tropiques,<br />
à la fois orientée vers le cœur du continent et<br />
vers le grand large de l’Atlantique, marquée par l’histoire<br />
tragique de la traite négrière, celle des révoltés du<br />
camp Thiaroye et des poèmes de Senghor, de ce Sénégal<br />
tout à la fois mystique, religieux et laïc. Ensuite s’intéresse<br />
au monde qui vient, à ce qui change, à ce qui<br />
évolue, à ces frontières de l’émergence, où se jouent<br />
une grande partie de l’avenir de l’humanité. Chaque<br />
parution se dirige vers une ville, un pays, ou s’empare<br />
d’un thème, qui incarne les défis auxquels nous faisons<br />
face, les changements que nous devons comprendre<br />
et les opportunités auxquelles nous pouvons prétendre.<br />
Le Sénégal se trouve sur ces lignes de crête.<br />
Bon voyage ! ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 3
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 €<br />
Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $<br />
Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0<br />
SÉNÉGAL<br />
DÉVELOPPEMENT<br />
SORTIR RENFORCÉ<br />
DE LA CRISE<br />
L 13978 - 14 H - F: 5,90 € - RD<br />
CAPITALE<br />
DAKAR<br />
VISE L’AVENIR<br />
OLYMPISME<br />
À QUATRE ANS<br />
DES JOJ<br />
Un hors-série<br />
Travel Guide<br />
BUZZ, SPOTS<br />
ET BONNES<br />
ADRESSES<br />
SÉNÉGAL<br />
UN VOYAGE DE 156 PAGES AU PAYS<br />
DES LIONS DE LA TERANGA : ENJEUX, POUVOIRS,<br />
BUSINESS, CULTURE, ARTS, LIFESTYLE…<br />
NEW <strong>AM</strong><strong>HS</strong> Couv.indd 1 09/02/2022 19:22<br />
PHOTO DE COUVERTURE :<br />
ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />
FÉVRIER 2022<br />
P.22<br />
FÉVRIER 2022 Un hors-série<br />
3 ÉDITO<br />
Champion d’Afrique<br />
par Zyad Limam<br />
6 ZOOM<br />
DES GRANDS ANGLES<br />
ET DES IMAGES<br />
POUR VOUS RACONTER<br />
par Zyad Limam<br />
14 COMPRENDRE<br />
TENDANCES, CHIFFRES<br />
ET ÉVOLUTIONS<br />
par Zyad Limam<br />
22 MELTING-POT<br />
LES GENS, LES LIEUX,<br />
LES SONS ET LES COULEURS<br />
Mohamed Mbougar Sarr,<br />
Goncourt du pays sérère<br />
130 PORTFOLIO<br />
L’art du portrait<br />
par Alexandra Fisch<br />
154 POUR CONCLURE<br />
Nangadef !<br />
par Emmanuelle Pontié<br />
P.38<br />
P.74<br />
TEMPS FORTS<br />
38 Sortir renforcé de la crise<br />
par Jean-Michel Meyer<br />
46 Abdou Karim Fofana :<br />
« L’industrialisation se trouve<br />
au cœur de nos ambitions »<br />
propos recueillis<br />
par Emmanuelle Pontié<br />
52 Dakar vise l’avenir<br />
par Jérémie Vaudaux<br />
60 Baïdy Agne :<br />
« Lorsque les entreprises<br />
s’unissent, tout est possible »<br />
propos recueillis<br />
par Zyad Limam<br />
66 Sahid Yallou :<br />
« Vous pouvez investir<br />
en toute confiance »<br />
propos recueillis<br />
par Jérémie Vaudaux<br />
70 Moustapha Sow :<br />
« L’heure de l’aide<br />
au développement<br />
est révolue ! »<br />
propos recueillis<br />
par Emmanuelle Pontié<br />
74 À l’épreuve de la donne<br />
climatique<br />
par Djiby Sambou<br />
80 Dakar s’échauffe<br />
à quatre ans des JOJ<br />
par Jérémie Vaudaux<br />
86 Mamadou Diagna Ndiaye :<br />
« Les JOJ donneront à voir<br />
la richesse et la diversité<br />
de l’Afrique »<br />
propos recueillis<br />
par Zyad Limam<br />
<strong>AM</strong>ANDA ROUGIER - SYLVAIN CHERKAOUI POUR JEUNE AFRIQUE - SYLVAIN CHERKAOUI/GCCA+/EU 2018<br />
4 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
FONDÉ EN 1983 (38 e ANNÉE)<br />
31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE<br />
Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />
redaction@afriquemagazine.com<br />
XINHUA/LI MING/ABACAPRESS.COM - SADAK SOUICI - EL JUNIO - STEPHAN GLADIEU/FIGAROPHOTO.COM<br />
P.90<br />
90 L’âge des rêves<br />
et de l’action<br />
par Estelle Ndjandjo<br />
98 Pour un voyage<br />
new-look<br />
par Jérémie Vaudaux<br />
102 Samir Rahal :<br />
« Nous avons tout ce<br />
qu’il faut pour réussir »<br />
propos recueillis<br />
par Emmanuelle Pontié<br />
104 La belle musique<br />
de Saint-Louis<br />
par Olivia Marsaud<br />
110 Jean-Pierre<br />
Langellier :<br />
« La qualité<br />
du débat<br />
démocratique<br />
au Sénégal<br />
doit beaucoup<br />
à Senghor »<br />
propos recueillis<br />
par Cédric Gouverneur<br />
116 Le flow des dames<br />
par Sophie Rosemont<br />
120 Felwine Sarr :<br />
« Il faut sortir<br />
la francophonie<br />
de son carcan<br />
institutionnel »<br />
propos recueillis<br />
par Astrid Krivian<br />
124 Sénégal design<br />
par Luisa Nannipieri<br />
137 LE TRAVELER GUIDE<br />
LE VOYAGE, LES SPOTS,<br />
LES GENS !<br />
par les voyageurs<br />
de la rédaction<br />
P.124<br />
P.80<br />
P.104<br />
ANNONCEURS<br />
Expresso p. 2 – APIX p. 20-21 - CBAO p. 27 - Ellipse Projects p. 36-37 - Port Autonome de Dakar p. 58-59 - Plan<br />
Sénégal Emergent p. 72-73 – CSE p. 85 – Senegal Supply Base p. 96-97 – Ageroute p. 136 - Ecobank p. 155 - Port<br />
Autonome de Dakar p. 156.<br />
Zyad Limam<br />
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION<br />
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION<br />
zlimam@afriquemagazine.com<br />
Assisté de Laurence Limousin<br />
llimousin@afriquemagazine.com<br />
RÉDACTION<br />
Emmanuelle Pontié<br />
DIRECTRICE ADJOINTE<br />
DE LA RÉDACTION<br />
epontie@afriquemagazine.com<br />
Isabella Meomartini<br />
DIRECTRICE ARTISTIQUE<br />
imeomartini@afriquemagazine.com<br />
Jessica Binois<br />
PREMIÈRE SECRÉTAIRE<br />
DE RÉDACTION<br />
sr@afriquemagazine.com<br />
Amanda Rougier PHOTO<br />
arougier@afriquemagazine.com<br />
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO<br />
Alexandra Fisch, Virginie Gazon, Cédric<br />
Gouverneur, François Guibert, Astrid<br />
Krivian, Jean-Michel Meyer, Luisa<br />
Nannipieri, Estelle Ndjandjo, Olivia<br />
Marsaud, Sophie Rosemont, Djiby<br />
Sambou, Jérémie Vaudaux.<br />
VENTES<br />
EXPORT Laurent Boin<br />
TÉL. : (33) 6 87 31 88 65<br />
FRANCE Destination Media<br />
66, rue des Cévennes - 75015 Paris<br />
TÉL. : (33) 1 56 82 12 00<br />
ABONNEMENTS<br />
Com&Com/Afrique Magazine<br />
18-20, av. Édouard-Herriot<br />
92350 Le Plessis-Robinson<br />
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COMMUNICATION ET PUBLICITÉ<br />
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<strong>AM</strong> International<br />
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AFRIQUE MAGAZINE<br />
EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR<br />
31, rue Poussin - 75016 Paris.<br />
SAS au capital de 768 200 euros.<br />
PRÉSIDENT : Zyad Limam.<br />
Compogravure : Open Graphic<br />
Média, Bagnolet.<br />
Imprimeur : Léonce Deprez, ZI,<br />
Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.<br />
Commission paritaire : 0224 D 85602.<br />
Dépôt légal : février 2022.<br />
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos<br />
reçus. Les indications de marque et les adresses figurant<br />
dans les pages rédactionnelles sont données à titre<br />
d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction,<br />
même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique<br />
Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction.<br />
© Afrique Magazine 2022.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 5
ZOOM<br />
Des grands-angles et des images pour vous raconter<br />
présenté par Zyad Limam<br />
6 AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019
UNE PERSPECTIVE VERS LE FUTUR<br />
ELLE EST CONSUBSTANTIELLE À DAKAR, cette fameuse<br />
corniche, bordée par l’océan Atlantique, chaussée spectaculaire,<br />
parfois chaotique, souvent encombrée, objet des convoitises<br />
immobilières et champ de lutte avec associations de riverains<br />
et protecteurs de la nature. La corniche, c’est aussi un<br />
renouvellement permanent. Le nouveau projet prévoit une<br />
réhabilitation sur plus de 9 kilomètres, avec une remise à niveau<br />
des équipements sportifs, du marché de Soumbédioune, la<br />
revégétalisation de l’ensemble, la lutte contre l’érosion. Et face<br />
à la fameuse Université Cheikh Anta Diop, un forum tout<br />
à la fois symbolique et efficace qui pourra accueillir près de<br />
200 étudiants par jour, et même une fois le soleil couché. ■<br />
DR<br />
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019 7
ZOOM<br />
CH<strong>AM</strong>PIONS AU BOUT DE LA NUIT<br />
FINALE DE LA COUPE D’AFRIQUE DES NATIONS, à Yaoundé, 6 février 2022.<br />
Un ultime tir au but, tout en puissance, pour crucifier l’infranchissable<br />
gardien égyptien. Sadio Mané, capitaine triomphant des Lions de la<br />
Teranga, n’a pas tremblé, portant son équipe au sommet du football<br />
africain. Une enthousiasmante revanche après l’échec de 2002 et celui de<br />
2019. Le Sénégal s’est libéré d’une ombre envahissante, celle d’une équipe<br />
de toutes les promesses, qui rentre sans trophée. Ce fut donc une fête<br />
magnifique pour tout un pays, et pour toutes les diasporas disséminées<br />
aux quatre coins du monde, soudées dans ce moment de gloire. ■<br />
8 AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019
MOH<strong>AM</strong>ED ABD EL GHANY/FILE PHOTO/REUTERS<br />
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019 9
AU CŒUR DE TOUBA, SIX MINARETS<br />
S’ÉLÈVENT VERS LE CIEL<br />
ICI, À TOUBA, résonnent toujours les mots de Cheikh Ahmadou<br />
Bamba, fondateur de la confrérie mouride, à la fin du xix e siècle.<br />
Particulièrement implanté au Sénégal et en Gambie, le mouridisme<br />
ne cache pas sa forte influence sur la vie sociale, économique et<br />
religieuse. Incarnation de ce rayonnement, la Grande Mosquée,<br />
l’une des plus vastes d’Afrique, dont les minarets peuvent se voir à des<br />
kilomètres de la ville. La construction, décidée en 1926 par le premier<br />
fils d’Ahmadou Bamba, fut épique, entre crise économique mondiale,<br />
manœuvres coloniales françaises et Seconde Guerre mondiale.<br />
Le voyage de Touba est à faire à l’occasion du grand Magal, stupéfiante<br />
fête religieuse qui peut rassembler près de 3 millions de pèlerins. ■<br />
10 AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019
PAPA MATAR DIOP/PRÉSIDENCE SÉNÉGAL<br />
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019 11
ZOOM<br />
OUSMANE SOW ET LES SIENS<br />
IL N’IMAGINAIT PAS SCULPTER AILLEURS qu’au Sénégal.<br />
Il travaillait sur des armatures de fer, en utilisant une alchimie<br />
quasi secrète de matières, donnant vie à des personnages<br />
à la fois monumentaux et fragiles. Ousmane Sow nous a quittés<br />
le 1 er décembre 2016 et reste probablement le plus grand artiste<br />
contemporain du pays. Lui et une multitude d’autres talents<br />
incarnent une étonnante modernité artistique, un foisonnement<br />
et une rare liberté créative qui fait souvent contrepoids au<br />
conservatisme social. Une dualité tout à fait sénégalaise. ■<br />
12 AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019
Sculptures faisant partie de<br />
la série « Peul » (1993) : de gauche<br />
à droit, Scène de jeu amoureux,<br />
L'Adolescent et le bélier, Scène<br />
familiale, Scène de tressage<br />
et Scène du sacrifice.<br />
BÉATRICE SOULÉ/ROGER-VIOLLET<br />
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019 13
COMPRENDRE<br />
Tendances, chiffres et évolutions<br />
par Zyad Limam<br />
Politique<br />
Macky Sall<br />
au centre<br />
du jeu<br />
CE N’EST PAS SIMPLE, c’est le moins que l’on puisse dire, les débats sont souvent vifs, excessifs,<br />
la tension sociale accentue les clivages et l’opportunisme de certains, la presse ne ménage<br />
personne, et souvent le fond cède la place au « verbe » et à la forme. Mais le Sénégal reste une<br />
démocratie, même en construction. Un exemple dans une région où les reculs sont frappants.<br />
Un pays où les élections ont encore du sens. Comme celles toutes récentes, municipales et<br />
départementales, qui ont eu lieu le dimanche 23 janvier. Et qui ont souligné la vigueur des<br />
oppositions, le caractère frondeur des grandes villes, comme Dakar et Ziguinchor, dont le<br />
premier édile est désormais Ousmane Sonko, ténor de l’opposition, pressenti pour être l’un<br />
des principaux candidats à l’élection présidentielle de 2024. Macky Sall sait que le chemin<br />
est ardu, avec comme prochaine étape des élections législatives en juillet 2022.<br />
L’enfant de Fatick, né le 11 décembre 1961 dans une grande famille du Fouta-Toro (région<br />
de l'extrême nord et nord-est), élu président une première fois en 2012 contre le supposé<br />
indéboulonnable Abdoulaye Wade, va vite prendre ses marques dans une société politique<br />
particulièrement compétitive et imposer son autorité. Macky Sall est un « omniprésident »,<br />
impliqué dans tous les dossiers, avec un agenda chargé du matin au soir. Il suit avec attention<br />
les projets qui lui tiennent à cœur, et ceux qui le côtoient dans le travail retrouvent le<br />
sens du détail propre à sa formation d’ingénieur géologue. Les ministres sont « marqués »<br />
de près, et tout ce qui compte ou presque remonte vers un arbitrage présidentiel. Il navigue<br />
avec habileté dans les différents Sénégal, à l’aise à l’intérieur du pays, attaché aux traditions,<br />
au confrérisme, à la culture religieuse, tout en étant décidé, dans une forme de « en même<br />
temps », à réformer le pays, à le moderniser vraiment sur le plan économique. Macky Sall<br />
aime la politique, le contact, il ne craint pas le rapport de force. Mais il veut être avant tout<br />
le président de l’émergence.<br />
Il prend le temps d’« écouter » une scène en constante évolution, mais on sent un chef de<br />
l’exécutif dans une forme d’urgence, urgence de faire avancer les réformes, les projets, de<br />
contrôler l’avancement, de conclure les travaux, d’aller plus vite dans la mise en place des<br />
infrastructures, des réalisations, dans la concrétisation des promesses. Il faut que ça bouge<br />
dans un pays où les résistances peuvent être multiples. Et le président est jeune. Il aura 62 ans<br />
en 2024 à l’échéance de son mandat, on ne sent pas une personnalité usée par le pouvoir,<br />
bien au contraire.<br />
Il y a bien sûr le débat sur le possible troisième mandat présidentiel qui agite la classe<br />
politique. Macky Sall réserve sa décision, tout en soulignant, malgré les vives oppositions,<br />
que le droit lui ouvre cette possibilité (avec la mise en place de la réforme constitutionnelle<br />
de 2016). Et tout en martelant que le moment n’est pas venu, que la priorité, c’est le travail.<br />
Macky Sall connaît son pays, mesure l’importance de cette décision. Trop tôt ou trop tard, et<br />
tout peut basculer. Trop tôt ou trop tard, et la substance de son pouvoir pourrait lui échapper<br />
au profit d’une classe politique où les ambitions ne manquent pas. Il mesure aussi son<br />
influence sur la scène internationale, de Paris à Washington, il sait qu’il fait partie des éléments<br />
clés, stabilisateurs d’une région aux prises avec la menace djihadiste et la résurgence<br />
des coups d’État. Le mandat qui s’ouvre à la présidence de l’Union africaine (UA) lui permettra<br />
de s’investir à l’échelle continentale, de prendre du champ. Et le poste de Premier ministre<br />
supprimé au lendemain de l’élection présidentielle de 2019, devrait être très bientôt rétabli.<br />
L’échéance est dans un peu plus de deux ans, Macky Sall prend son temps, les transitions et<br />
les successions sont toujours complexes, et la décision sera historique. En attendant, il restera<br />
fermement au centre du jeu, chef d’État et chef politique.<br />
14 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Le président<br />
de la République,<br />
à Dakar.<br />
YOURI LENQUETTE POUR JEUNE AFRIQUE<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 15
COMPRENDRE<br />
Diplomatie<br />
Un mandat<br />
au service<br />
de l’Afrique<br />
EN PRENANT SON MANDAT à la tête de l’Union africaine (UA), Macky Sall hérite de multiples<br />
dossiers particulièrement brûlants. Coups d’État au Mali, au Burkina Faso, en Guinée,<br />
transition dynastique au Tchad, crise des processus démocratiques, menaces terroristes au<br />
Sahel, crise sanitaire et économique liée au Covid-19… L’organisation panafricaine ne peut<br />
pas faire de miracle. Mais la présidence annuelle reste pourtant une précieuse occasion<br />
de porter un message fort, de tracer des lignes directrices. D’« énergiser » et de rassembler<br />
l’Afrique à un moment particulièrement critique. Macky Sall se prépare depuis des mois<br />
à cette quatrième présidence sénégalaise de l’UA. L’Éthiopie, pays hôte de l’Union, géant<br />
multiethnique, champion de la croissance, est confrontée à une crise véritablement existentielle.<br />
Et la tenue d’un sommet à Addis-Abeba semble encore incertaine au moment où ces<br />
lignes sont écrites. Sommet menacé également par les nouvelles vagues de Covid-19, et le<br />
variant à haute transmission Omicron. La vaccination du continent reste un enjeu majeur,<br />
et il faudra certainement une voix déterminée pour souligner l’égoïsme des pays riches qui<br />
accumulent les doses, alors que 10 % de la population africaine seulement est entièrement<br />
vaccinée. La souveraineté vaccinale du continent s’impose comme une priorité. Dans cette<br />
affaire du siècle, le Sénégal est en avance. À Dakar, l’Institut Pasteur doit commencer d’ici<br />
fin 2022 une production locale avec un objectif de 300 millions de doses. Derrière la crise<br />
sanitaire se profile aussi l’urgence d’une relance économique massive pour une Afrique<br />
frappée de plein fouet. L’Afrique aura fait la preuve d’une relative résilience sanitaire, mais<br />
elle aura connu la pire crise économique depuis un demi-siècle. Pour Macky Sall, l’enjeu est<br />
réel. Il faudra pousser les pays riches, qui croulent sous les liquidités, à transformer leurs<br />
promesses en apports réels.<br />
Cette question d’une plus grande justice pour le continent pourrait également motiver<br />
le président sur un dossier qui lui tient particulièrement à cœur : la représentation de<br />
l’Afrique au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Depuis des années, elle demande<br />
deux sièges de membres permanents, représentatifs de sa population. Il est temps que ce<br />
dossier bouge.<br />
Influences<br />
Un soft power<br />
à la recherche<br />
de son nouvel<br />
équilibre<br />
L’IMAGE, LA PERCEPTION, la résonance Sénégal dépasse largement ses frontières. Le monde<br />
entier ou presque connaît le nom de Sénégal, le pays de l’île de Gorée et de sa maison des<br />
esclaves, le pays africain d’une démocratie relative mais durable, le pays de Léopold Sédar<br />
Senghor, incarnation du mouvement de la négritude. Le pays de Saint-Louis aussi, ville des<br />
confins du Nord, tout aussi puissante dans l’imaginaire que Dakar, le pays de l’aéropostale<br />
et des tirailleurs sénégalais, le pays de la tragédie de Thiaroye, presque fondatrice des<br />
premiers mouvements anticolonialistes. Le pays aussi de cette étonnante mixité religieuse,<br />
où se croisent islam et chrétienté, syncrétisme et confrérie. Ce pays d’Afrique, phare de la<br />
francophonie, où pourtant l’on parle plus souvent wolof que français. C’est le pays du Paris-<br />
Dakar, le vrai et le seul, avec l’arrivée sur le lac Rose. C’est le pays du mbalax, la première<br />
des musiques globales africaines, le pays de Youssou N’Dour. Le pays de l’immense Ousmane<br />
Sow, sculpteur de la matière aux secrets inviolés. Le pays d’une nouvelle génération d’artistes,<br />
de musiciens, de photographes, de peintres, d’écrivains, comme le tout récent prix Goncourt,<br />
Mohamed Mbougar Sarr, qui tentent tous de fusionner tradition et audace contemporaine.<br />
Le pays aussi d’une diaspora impliquée, soucieuse du retour permanent.<br />
Ces fulgurances, cette diversité, cette profondeur sont souvent remises en question par<br />
les conservatismes, le poids des traditions et des dogmes religieux. Le Sénégal est encore<br />
dual, mais la lutte pour son centre de gravité est réelle, sans concession.<br />
16 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Macky Sall a pris<br />
la tête de l’Union<br />
africaine le 5 février,<br />
pour un an. Ici, le siège<br />
de l'organisation,<br />
à Addis-Abeba,<br />
en Éthiopie.<br />
TIKSA NEGERI/REUTERS<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 17
COMPRENDRE<br />
Trajectoire<br />
Le défi de la<br />
croissance et<br />
de l’inclusivité<br />
ENTRE 2014 ET 2019, le Sénégal a enregistré une croissance annuelle supérieure à 6 %.<br />
L’arrivée au pouvoir de Macky Sall en 2012 aura enclenché un véritable processus d’ambition<br />
économique après de longues années de performances en dents de scie, soumises<br />
aux aléas de la climatologie et des cours de l’arachide. Avec la mise en place du Plan<br />
Sénégal Emergent (PSE), le pays se dote dès la fin 2012 d’une vision à long terme. Avec<br />
des projets novateurs dans le domaine des infrastructures, des services, des transports,<br />
de l’agriculture… Objectif : accéder au statut d’économie émergente d’ici 2035. Les jeunes<br />
entrepreneurs, femmes et hommes, bousculent l’ordre établi et se montrent audacieux dans<br />
des secteurs d’innovation comme la tech ou les télécommunications. Pour le Sénégal, le<br />
positionnement affiché est de s’imposer comme le hub principal de l’Afrique de l’Ouest. Un<br />
véritable changement de paradigme.<br />
La pandémie de Covid a donné un coup de frein brutal à ce cycle prometteur. Elle a<br />
souligné aussi les faiblesses structurelles du pays. Avec un PIB global de 25 milliards de<br />
dollars et un revenu par habitant de 1 500 dollars par an, l’économie demeure contrainte<br />
par la pauvreté. La crise sanitaire est venue assécher les capacités budgétaires de l’État, les<br />
ressources du tourisme, et impacter frontalement le secteur informel. Les événements de<br />
mars 2011 ont montré à quel point la rue pouvait être réactive à ce cocktail détonnant de<br />
précarité économique et de discours populistes d’une partie de l’opposition.<br />
Le pays a su se mobiliser autour du programme de résilience économique et sociale et<br />
d’une réorientation des objectifs du PSE vers des secteurs plus inclusifs de l’économie. La<br />
sortie de crise s’organise : 2022 devrait être une année de reprise de la croissance. L’espoir<br />
à plus long terme est réel, à condition que le rythme des réformes, l’impératif d’inclusivité<br />
et la stabilité politique restent les clés de ce nouveau modèle sénégalais.<br />
Dynamique<br />
Un pays<br />
jeune<br />
aujourd’hui<br />
et demain<br />
PRÈS DE 54 % DE LA POPULATION A MOINS DE 19 ANS (et plus de 40 % moins de 14 ans).<br />
Les taux de fécondité restent élevés (avec toujours 4 à 5 enfants par femme) dans un pays<br />
où la limitation des naissances et le débat sur la contraception restent des tabous puissants.<br />
En 2030, le Sénégal pourrait compter plus de 22 millions d’habitants (dont l’âge médian sera<br />
d’un peu plus de 20 ans). Et atteindre les 35 millions d’habitants en 2050. Cette jeunesse est<br />
à la fois une formidable opportunité, une source de créativité, d’énergie, la possibilité aussi<br />
de développement d’un marché intérieur plus dynamique [voir pp. 90-95]. Ils et elles croient<br />
en l’avenir, ont confiance, selon des études récentes. Mais cette jeunesse, c’est aussi une formidable<br />
pression sur l’appareil social et politique. Il faut former et éduquer ces centaines de<br />
milliers d’enfants, créer les emplois nécessaires, aménager les règles sociales sur les relations<br />
amoureuses, le mariage, mettre fin au « grand frérisme » dans les sphères publique et privée,<br />
favoriser l’autonomie. Leur (re)donner confiance dans le système politique, les faire adhérer<br />
durablement au processus démocratique. Et les éloigner des tentations mortifères, celle de la<br />
violence ou de l’exil, quel que soit le danger. Pour le Sénégal, comme pour l’Afrique, l’enjeu<br />
de la jeunesse est essentiel. Sans emplois, sans perspectives, sans enthousiasme, le risque<br />
de dérapage social est immense.<br />
C’est dans ce pays intrinsèquement jeune qu’auront lieu, en 2026, les 4 es Jeux olympiques<br />
de la jeunesse (JOJ) [voir pp. 80-89]. Une première historique et olympique pour l’Afrique.<br />
Un symbole pour le Sénégal. Un véritable défi logistique, financier, humain également. Le<br />
défi aussi justement de mobiliser autour de cet événement hors norme. Il reste quatre ans<br />
pour que la fête commence et qu’elle soit réussie. ■<br />
18 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Le futur stade de Diamniadio<br />
accueillera les Jeux olympiques<br />
de la jeunesse de 2026.<br />
DR<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 19
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22 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
PHÉNOMÈNE<br />
Mohamed<br />
Mbougar Sarr<br />
GONCOURT<br />
DU PAYS SÉRÈRE<br />
Le romancier de 31 ans, à la discipline d’ascète, a obtenu, en novembre<br />
2021, la PLUS PRESTIGIEUSE DISTINCTION LITTÉRAIRE française.<br />
Portrait intime signé Elgas, un autre jeune talent de la scène sénégalaise.<br />
DR<br />
PARIS, quartier des Grands Boulevards, le 3 novembre 2021,<br />
19 heures. Dans ce bar-restaurant de la rue Rougemont,<br />
à quelques pas du siège de l’éditeur Philippe Rey, la fête<br />
commence. On y attend dans l’effervescence l’homme du jour.<br />
L’émotion est palpable, la joie contagieuse. Domine plus encore<br />
le sentiment de vivre une soirée déjà historique. Ne manque<br />
que le bouquet final : l’homme lui-même, happé, pour l’heure,<br />
par le tourbillon médiatique. C’est d’abord le plateau du Journal<br />
de 20 h, La Grande Librairie en direct ensuite, après l’après-midi<br />
au restaurant Drouant. Amis, proches, collègues du Paris<br />
littéraire, tous sont là pour le féliciter. Vers 22 heures, il arrive,<br />
sous les vivats. Sa silhouette longiligne domine l’assistance.<br />
Embrassades, accolades, mercis en rafales, il improvise sur les<br />
marches un discours, où la pudeur émue le dispute à l’humilité.<br />
Une certaine candeur le sauve de la gloire ivre. Mohamed<br />
Mbougar Sarr vient, à 31 ans, d’accrocher le plus prestigieux<br />
prix littéraire français à son palmarès : le Goncourt.<br />
Toujours dans ce même quartier des Grands Boulevards.<br />
Cette fois, tout près du Rex. Un soir de juin 2012. Le décor<br />
est tout autre, l’ambiance moins survoltée. Dans ce petit bar<br />
où nous avons rendez-vous, c’est un post-adolescent timide,<br />
frêle, qui s’avance. La tête dans les nuages, le pas lent, l’allure<br />
rêveuse. Pourtant, déjà, derrière lui, une sacrée réputation.<br />
Meilleur élève du Sénégal en 2009, lauréat de plusieurs prix au<br />
Concours général – fabrique de la crème de la crème du pays –,<br />
plume remarquée de La Voix de l’étudiant, journal du Prytanée<br />
militaire de Saint-Louis, lycée d’excellence. Ce parcours<br />
prodigieux lui a ouvert les portes de la prépa du lycée Pierre<br />
d’Ailly, à Compiègne. Il y passera trois ans d’apprentissage,<br />
nouant des liens forts avec des professeurs d’exception,<br />
devenus mentors. Des honneurs, il en a à revendre, lui qui,<br />
pourtant, n’en fait jamais trop. L’écriture s’affirme comme sa<br />
vocation. Comme enseignant ou écrivain ? Le rêve est-il déjà là,<br />
silencieux ? Après un échec à l’École normale supérieure (ENS),<br />
c’est l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)<br />
qui l’accueille, et avec lui, Paris, ses mythes, ses mirages. Ce<br />
jour de 2012, dans ce café, la discussion roule sur Balzac, notre<br />
premier amour commun, l’un des premiers modèles du jeune<br />
Sérère. Chez lui, on dissèque, on commente, avec toujours<br />
l’exigence de la parure. Puis le football et l’Euro sont à l’ordre<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 23
MELTING-POT<br />
Il a été récompensé<br />
le 3 novembre dernier pour<br />
son roman La Plus Secrète<br />
Mémoire des hommes.<br />
du jour. Quand nous nous quittons, je gagne un camarade,<br />
mieux, un complice.<br />
Quelques centaines de textes lancés sur un blog – au titre<br />
repris de Victor Hugo, Choses revues –, et c’est la première<br />
grande folie du jeune homme : un manuscrit sur le djihadisme<br />
au Mali en 2013. Un coup d’essai et un coup de maître :<br />
Terre ceinte paraît à la fin de 2014 et conquiert le jury du<br />
prix Kourouma, bluffé par l’âge de l’auteur et l’épaisseur<br />
philosophique du texte. Il y fait dialoguer le Bien et le Mal, dans<br />
une ode à la résistance. Le propos est nuancé, mesuré, mature,<br />
et entre en écho avec l’actualité, en cette année du triomphe du<br />
film Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako. S’ensuivront d’autres<br />
récompenses (le prix du roman métis, celui de la<br />
Porte dorée, le prix Littérature-monde du festival<br />
Étonnants voyageurs…), pour quasiment tous<br />
ses livres. La toile de sa belle réputation se tisse<br />
sous des honneurs qui en appellent d’autres.<br />
Il est décoré par le président Macky Sall. Il suscite<br />
l’admiration et, fait plus rare, l’unanimité, sans<br />
jamais tomber dans la connivence ou la complaisance. Malgré<br />
cette besace pleine, le Paris littéraire le méconnaît. Il est encore<br />
dans le « ghetto ». Trois livres ne l’ont pas encore affranchi<br />
de son statut de promesse africaine ou francophone.<br />
Pour ce forgeron de l’écriture, ce n’est qu’une question de<br />
temps. Le talent est une donnée comme une autre chez lui, pas<br />
un privilège qui dispense de travailler. Seul, il est vain. Il faut<br />
donc lire, beaucoup, jusqu’à l’obsession, faire allégeance aux<br />
maîtres. Seulement après, peut-être, essayer de marcher sur<br />
leurs pas. L’écriture sera vie, malgré la précarité de la vocation<br />
et les angoisses alimentaires. Il s’y adonne corps et âme, en<br />
théoricien et en praticien. La thèse de doctorat qu’il commence<br />
sur trois livres de l’année symbolique de 1968 – Le Devoir de<br />
violence, du Malien Yambo Ouologuem, La Plaie, du Sénégalais<br />
Malick Fall, Les Soleils des indépendances, de l’Ivoirien Amadou<br />
Kourouma – attendra. Il finira par la suspendre, mais un<br />
tel corpus, celui de la désillusion, de la disparition, n’est pas<br />
anodin dans sa trajectoire. Étape décisive pour comprendre<br />
sa charpente littéraire et son rapport à la littérature africaine,<br />
Il suscite<br />
l’unanimité<br />
sans jamais<br />
tomber dans la<br />
complaisance.<br />
tant ces figures ont incarné à la fois la solitude, le retrait,<br />
la gloire la plus établie, mais aussi l’opprobre. C’est donc<br />
en lecteur qu’il se pose d’abord, en vrai lecteur qui tient les<br />
livres pour sacrés. Ce regard de chercheur sur son objet de<br />
cœur, cette immersion étofferont son regard et son approche.<br />
La lumière du vocatus ainsi allumée se fera de plus en plus<br />
vive au long de l’apprentissage. Silence du chœur (2017), son<br />
deuxième livre, séduit aussi en plein drame migratoire, ses<br />
héros siciliens confortent sa fibre humaniste. Il peaufine son<br />
style. Les rares critiques pointent une écriture « khâgneuse »,<br />
sage et gentiment classique, il leur tord le cou dans De purs<br />
hommes (2018), audacieuse confrontation avec le tabou<br />
ultime de la société sénégalaise : l’homosexualité. Il devance<br />
les critiques. S’arme contre les flèches à venir, immanquables,<br />
quand la gloire arrive et qu’elle suscite la malveillance. Ce<br />
n’est donc rien de moins qu’une rentrée littéraire dans laquelle<br />
il se lance en août 2021, donnant une saveur épique au défi.<br />
Se dépatouiller dans la forêt des 600 livres promis à l’oubli.<br />
Et ce, sans grand réseau derrière. Un pari fou, gagné haut<br />
la main. Avec une presse dithyrambique et des éloges, qui<br />
l’ont vu en bonne place sur les prix littéraires d’automne.<br />
Demeure, en trame de fond, cette candeur du refuge au pays<br />
de la littérature, malgré les urgences. Pour ce footballeur<br />
intermittent et doué, fan de Zidane, amateur de passements<br />
de jambes et de tacles fulgurants, bon vivant et rigolard,<br />
amoureux fou du mafé – moins du chou –, les rues de Paris sont<br />
autant de tableaux sociologiques, de livres, des<br />
sources ouvertes. Dandy sans le sou, il en a goûté<br />
les errances, souvent nocturnes et solitaires.<br />
Il les a pourtant embrassées, sans la folie propre<br />
des héros balzaciens, avec mesure, patience,<br />
en stratège, comme sûr que son heure était<br />
à l’horizon. Ses romans, son application d’ascète,<br />
lui ont pavé la voie à des rencontres fondatrices, mentors, amis,<br />
toujours séduits par son génie et sa personnalité. L’ancrage<br />
en pays sérère est un élément fondateur de son identité. Né<br />
en 1990, Mohamed Mbougar Sarr est l’aîné d’une fratrie de<br />
sept garçons. Père médecin et maman au foyer. Il grandit<br />
entre Diourbel, Mbour et Saint-Louis. Il s’est nourri d’une<br />
langue, de mythes, de valeurs, qui sont devenus chez lui<br />
des marqueurs. Point un hasard si La Plus Secrète Mémoire<br />
des hommes, le livre de la grande consécration, puise une<br />
partie de son histoire au cœur de ce pays sérère, ce berceau<br />
où il va souvent en pèlerinage. Si sa tête a toujours côtoyé les<br />
nuages du haut de son cérémonial mètre 91, les pieds, eux,<br />
sont restés bien sur terre, enracinés. Il doit cette humilité,<br />
entre autres, à son tempérament d’une naturelle pondération.<br />
Laquelle, sur les Grands Boulevards, est restée presque<br />
imperturbable malgré le fracas. Tout gagner à l’aube de la vie<br />
est bien désarmant, il faut survivre au Goncourt pour tutoyer<br />
d’autres sommets. Et s’il est un écrivain capable de s’ouvrir<br />
à de nouveaux horizons, c’est précisément celui-là. ■ Elgas<br />
AURORE THIBAULT/HANS LUCAS/HANS LUCAS VIA AFP<br />
24 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Une rétrospective<br />
des œuvres de<br />
tissu du plasticien<br />
Abdoulaye<br />
Konaté (à droite)<br />
est annoncée.<br />
DR - COURTESY THE ARTIST AND BLAIN SOUTHERN, PHOTO PETER MALLET<br />
DAKAR,<br />
ÉVÉNEMENT<br />
CAPITALE<br />
ARTISTIQUE<br />
Après son annulation en 2020,<br />
Dak’Art, principale biennale<br />
d’art contemporain du continent,<br />
fait un RETOUR EN BEAUTÉ.<br />
L’ENGOUEMENT EST REVENU, la 14 e édition aura bien<br />
lieu en 2022, du 19 mai au 21 juin. Le thème, « Indaffa#/<br />
Forger/Out of the Fire », a été conservé. « La biennale se fixe<br />
pour objectif de refuser la forme telle qu’elle est donnée<br />
et de forger les sens qui sont encore informes », explique<br />
le directeur artistique, Malick Ndiaye. Homme du sérail<br />
– il est conservateur du musée Théodore Monod d’art africain<br />
et enseignant-chercheur à l’Institut fondamental d’Afrique<br />
noire (IFAN) de Dakar –, il porte l’orientation artistique et<br />
scientifique de la manifestation. La sélection initiale des<br />
59 artistes visuels (individuels ou collectifs) a été gardée, mais<br />
le choix des œuvres a évolué. « La pandémie a marqué tout<br />
le monde, y compris les artistes. On ne pouvait pas l’ignorer.<br />
Cela se traduit dans leurs créations », explique-t-il, avant<br />
de préciser : « Par rapport au thème d’origine “Indaffa”, nous<br />
avons ajouté le hashtag pour montrer que des expériences<br />
ont été traversées et que le glissement vers une nouvelle<br />
ère s’est fait. » Une nouvelle ère qui se ressent aussi dans<br />
l’invitation faite à quatre femmes commissaires d’expositions :<br />
la Sud-Africaine Greer Odile Valley, la Canadienne Lou Mo,<br />
la Ghanéenne Nana Oforiatta Ayim et la Marocaine Syham<br />
Weigant. Pendant un mois, Dakar va vivre au rythme des<br />
vernissages, débats et autres festivités. Certains temps<br />
forts sont annoncés, comme « Doxantu » (« promenade »<br />
en wolof), une exposition de sculptures, d’installations et<br />
de design prévue sur la corniche ouest d’artistes reconnus à<br />
l’international, avec un mot d’ordre : monumental. Pour Malick<br />
Ndiaye, « exposer l’art dans les lieux de déambulations » est<br />
une façon de le partager plus largement, de toucher surtout<br />
d’autres publics. Instaurer l’art dans l’espace public est une<br />
volonté de la biennale, financée en majorité par l’État. Le « in »<br />
prendra place dans plusieurs lieux emblématiques : le musée<br />
des Civilisations noires, le musée Théodore Monod, ou encore<br />
l’ancien palais de Justice sis au cap Manuel (le maître malien<br />
Abdoulaye Konaté doit y être exposé). Des projets spéciaux<br />
sont prévus, comme une exposition du collectif des Ateliers<br />
de troubles épistémologiques sur le dialogue entre collections<br />
muséales et art contemporain, un projet porté par la résidence<br />
Black Rock, ou encore l’installation monumentale composée<br />
de 343 pièces d’Ousmane Dia, plasticien sénégalo-suisse.<br />
Quant au « off », la programmation est plus libre, avec des<br />
centaines de manifestations essaimées sur un territoire plus<br />
large, grâce aux galeries, hôtels ou centres culturels régionaux<br />
de Saint-Louis, Mbour ou Ziguinchor. ■ Alexandra Fisch<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 25
MELTING-POT<br />
Ndokette Session,<br />
Untitled,<br />
Ibrahima Ndome,<br />
2019.<br />
MÉCÉNAT<br />
DIALOGUE ENTRE LES CULTURES<br />
Quand ELLIPSE PROJECTS, entreprise de construction présente<br />
en Afrique et en Asie, décide de créer une fondation, cela donne<br />
un nouveau prix qui impulse la jeunesse artistique émergente.<br />
PENDANT LE CONFINEMENT PARISIEN de mars 2020,<br />
Laura Picard et Victoria Jaunasse pensent une façon de<br />
« nouer des liens autres » que ceux qui unissent l’entreprise<br />
aux pays qu’elle équipe. Leur mantra : « Utiliser l’art comme<br />
expression du dialogue entre les cultures. » L’idée prend<br />
rapidement forme en un prix décerné chaque année dans<br />
un pays différent. Une façon de soutenir les jeunes artistes,<br />
de leur donner accès au circuit international de l’art<br />
contemporain. La première édition s’est tenue au Sénégal<br />
en juin 2021. La fondation a rassemblé un jury de grands<br />
noms du milieu. Parmi eux : Wagane Gueye, commissaire<br />
d’exposition, Ken Aïcha Sy, fondatrice de la plate-forme<br />
Wakh’Art, ou encore Bénédicte Alliot, directrice de la Cité<br />
internationale des arts, à Paris. Une soixantaine de candidats<br />
ont répondu à l’appel à candidatures, dont Ibrahima Ndome,<br />
du collectif Atelier Ndokette, l’heureux lauréat. Avec ses<br />
deux acolytes, Safi Niang et Souleymane Bachir Diaw, il a<br />
remporté une résidence de trois mois à Paris et l’exposition<br />
de son travail à la foire d’art contemporain africain Akaa<br />
en novembre 2021. Une impulsion bienvenue pour le jeune<br />
designer-costumier qui cherche, à travers le stylisme et la<br />
photographie, à « initier une remise en question chez les gens,<br />
les amener à questionner leur présent ». Pour la prochaine<br />
édition, rendez-vous en 2022 en Côte d’Ivoire. ■ A.F.<br />
XOULIXOOL<br />
26 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
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AÏSSA DIONE<br />
LA FIBRE DU DESIGN<br />
La pionnière du textile sénégalais de luxe est une ENTREPRENEURE<br />
ENGAGÉE pour la renaissance d’une industrie manufacturière locale.<br />
ARTISTE, GALERISTE, designeuse<br />
et cheffe d’entreprise : Aïssa Dione<br />
multiplie les casquettes. Formée<br />
aux Beaux-Arts de Paris, elle lance,<br />
en 1992, à Dakar, Aïssa Dione Tissus. Et<br />
démontre que les pagnes traditionnels,<br />
originaires du Sénégal, du Cap-Vert<br />
ou de la Guinée-Bissau, ont toute leur<br />
place sur la scène internationale du luxe,<br />
s’ils sont de qualité. D’où le soin avec<br />
lequel elle choisit la matière première<br />
de ses créations : le fil de coton, qu’elle<br />
mélange avec de la soie, du raphia ou<br />
de la viscose, tissé ensuite par d’habiles<br />
artisans. Elle allie alors savoir-faire<br />
et traditions locales tout en les<br />
modernisant. Cette marque de fabrique<br />
fait sa renommée, les commandes<br />
fusent. Parmi ses clients figurent<br />
Hermès, Rose Tarlow ou le groupe<br />
LVMH, mais aussi des décorateurs<br />
prestigieux qui « habillent » boutiques<br />
et hôtels de luxe. Persévérance, passion<br />
et créativité permettent à Aïssa Dione<br />
d’être toujours au sommet après<br />
trente ans de carrière. Sa capacité<br />
à innover l’a poussée à modifier le<br />
métier à tisser traditionnel, pour<br />
pouvoir proposer des bandes de textile<br />
adaptées au marché international.<br />
BRUNO DEMÉOCQ<br />
28 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Sa marque de fabrique : allier savoir-faire<br />
et traditions locales tout en les modernisant.<br />
Elle collabore avec des artisans et l’État afin d’avoir<br />
un fil de qualité, et fait travailler une centaine d’employés<br />
dans son atelier de Rufisque.<br />
BRUNO DEMÉOCQ/ATISS - DR - BRUNO DEMÉOCQ - DR<br />
Ou à se lancer dans la conception<br />
et la fabrication de meubles en bois<br />
haut de gamme, il y a quinze ans.<br />
Ce projet l’a amenée à collaborer<br />
avec le campus des Gobelins et a fait<br />
germer l’idée de créer un Institut des<br />
métiers d’arts au Sénégal. Pour celle<br />
qui voit dans le design « un moyen<br />
de développer la société dans son<br />
ensemble », former les nouvelles<br />
générations est une priorité. Des<br />
workshops sont lancés en 2019 avec<br />
l’école Boulle et soutenus par un<br />
partenariat public-privé. En parallèle,<br />
la reprise des activités de filature<br />
de l’usine textile de Domitexka à<br />
Kaolack, en 2021, s’inscrit dans son<br />
engagement pour la relance du secteur<br />
textile. Qu’elle crée de nouveaux<br />
tissus pour la mode dans son atelier<br />
de Rufisque – où travaillent une<br />
centaine d’employés – ou qu’elle<br />
organise des résidences artistiques<br />
en prévision de la biennale de Dakar<br />
depuis sa galerie d’art, Aïssa Dione<br />
collabore avec des artisans et l’État<br />
sénégalais pour obtenir un fil de<br />
qualité. « L’enjeu est de taille », expliquet-elle,<br />
rappelant que le coton produit<br />
en Afrique de l’Ouest est presque<br />
entièrement exporté en Asie pour être<br />
revendu en Europe. Elle-même est<br />
obligée d’acheter ses fils en Égypte.<br />
Si le projet aboutit, ce sera un pas de<br />
plus vers une « soft industrie », concept<br />
cher à la créatrice, qui prône la qualité<br />
du produit plutôt que la quantité<br />
et qui fait du design une véritable<br />
force motrice. ■ Luisa Nannipieri<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 29
MELTING-POT<br />
CULTURE<br />
Chercher,<br />
créer,<br />
diffuser<br />
Ces dernières années,<br />
les RÉSIDENCES D’ARTISTES<br />
se multiplient dans le pays,<br />
accueillant des talents<br />
du monde entier.<br />
PIONNIÈRE EN LA MATIÈRE, l’équipe de Raw<br />
Material Company (rawmaterialcompany.org) a<br />
lancé en 2011 son programme Ker Issa, qui peut<br />
accueillir deux résidents simultanément. Depuis,<br />
plus de 40 artistes, écrivains, commissaires<br />
d’exposition, chercheurs, musiciens ou encore<br />
étudiants venus du monde entier ont été accueillis<br />
dans le quartier de Baobab, à deux pas du siège<br />
de ce centre d’art et de recherche pluridisciplinaire<br />
indépendant créé à Dakar par la curatrice Koyo<br />
Kouoh. Les derniers résidents en date, Hamedine<br />
Kane et Stéphane Verlet-Bottéro, ont présenté le<br />
fruit de leurs travaux au cours du Partcours 2021.<br />
En 2015, deux autres lieux de résidence ont vu<br />
le jour. Thread a été lancé par la fondation américaine<br />
Josef & Anni Albers à Sinthian, petit village rural<br />
du Fouta (450 km au sud-est de Dakar), près de<br />
Tambacounda. Le bâtiment épuré, dessiné par<br />
l’architecte japonaise Toshiko Mori, a été sélectionné<br />
à la Biennale de Venise 2014. L’artiste invité peut<br />
passer entre quatre et huit semaines, et son projet doit<br />
DR<br />
30 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
La Villa Ndar,<br />
au sein de l’Institut<br />
français de<br />
Saint-Louis,<br />
peut accueillir<br />
simultanément<br />
trois invités.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 31
MELTING-POT<br />
s’intégrer à l’environnement du village<br />
et de ses habitants. Parmi les résidents,<br />
on peut citer la designeuse textile<br />
Johanna Bramble, venue explorer les<br />
techniques de tissage, et le réalisateur<br />
franco-portugais Pierre Primetens,<br />
qui a été l’un des derniers avant<br />
la pandémie de Covid-19.<br />
Quant à la Fondation Blachère, dont<br />
le siège à Apt (dans le sud de la France)<br />
accueille des artistes en<br />
résidence de création,<br />
elle a créé une extension<br />
à La Somone, près de<br />
Dakar. Les invités de<br />
2021, les photographes<br />
Lou Escobar, Charlotte<br />
Yonga et Malika Diagana,<br />
Surplombant<br />
la mer,<br />
l’adresse<br />
de Kehinde<br />
Wiley offre un<br />
confort XXL.<br />
exposeront leurs œuvres à Apt, en 2022.<br />
À la tête de la Compagnie<br />
sahélienne d’entreprises (CSE), poids<br />
lourd du BTP, Oumar Sow est aussi<br />
un collectionneur d’art contemporain<br />
et possède plus de 400 œuvres.<br />
Il invite régulièrement des artistes<br />
en résidence chez lui, à Pointe-Sarène,<br />
au sud de Mbour, épaulé par le designer<br />
Bibi Seck. Ensemble, ils ont monté<br />
la galerie Quatorzerohuit, à deux pas<br />
de la Place de l’Indépendance, où ont<br />
lieu les restitutions de ces résidences.<br />
Jems Koko Bi et Pascal Nampémanla<br />
Traoré font partie des artistes<br />
déjà exposés.<br />
Enfin, parmi les dernières nées,<br />
il y a la Villa Ndar (villandar.ifs.sn),<br />
lieu de résidence<br />
pluridisciplinaire<br />
qui a ouvert ses portes<br />
au sein de l’Institut<br />
français de Saint-Louis<br />
en juin 2019 et peut<br />
accueillir simultanément<br />
trois invités pour une<br />
durée d’un à trois mois. La belle<br />
et grande bâtisse, construite pour<br />
l’occasion, a déjà permis de recevoir<br />
plus de 20 plasticiens, écrivains,<br />
danseurs, musiciens… sans<br />
distinction d’âge ni de nationalité,<br />
sélectionnés par un comité d’experts<br />
pour la qualité et la pertinence de leur<br />
pratique dans le contexte saint-louisien,<br />
sénégalais, voire sous-régional.<br />
Black Rock (blackrocksenegal.org),<br />
résidence de luxe fondée à Dakar par<br />
le portraitiste américain d’origine<br />
nigériane Kehinde Wiley, a accueilli<br />
ses premiers invités en novembre 2019,<br />
dans le superbe bâtiment conçu par<br />
Abib Djenné à Yoff Virage. Surplombant<br />
la mer, il offre un confort XXL et une<br />
équipe d’encadrement très dynamique,<br />
qui aide les invités dans la construction<br />
de leur projet. Ayant jusqu’à présent<br />
accueilli une majorité d’anglophones,<br />
la résidence a largement diffusé son<br />
dernier appel à candidatures auprès<br />
des artistes sénégalais. ■ O.M.<br />
Le complexe<br />
Black Rock, créé<br />
par Kehinde Wiley.<br />
KYLIE CORWIN (2)<br />
32 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
SCIENCES<br />
MAR<strong>AM</strong> KAIRE<br />
PAR-DELÀ LES ÉTOILES<br />
Depuis juin 2021, UN ASTÉROÏDE découvert<br />
en 1998 porte le nom de cet astronome.<br />
DR<br />
PASSIONNÉ DES ASTRES depuis<br />
l’âge de 12 ans, le président<br />
de l’Association sénégalaise<br />
pour la promotion de<br />
l’astronomie (ASPA)<br />
est un autodidacte dans<br />
ce domaine, diplômé en<br />
ingénierie des systèmes<br />
informatiques. Maram<br />
Kaire observe le ciel,<br />
beaucoup, avec des amis, de<br />
plus en plus nombreux. Avec l’ASPA,<br />
créée en 2006, ils se fédèrent et parcourent<br />
les écoles, font des conférences et organisent<br />
même le festival Saint-Louis sous les étoiles<br />
entre 2008 et 2015. Leur motivation ? Vulgariser<br />
la discipline, la partager avec le grand public.<br />
Puis, en 2018, l’astronome est proposé par<br />
un confrère, David Baratoux, pour la mission<br />
New Horizon de la Nasa. Il s’agit d’observer<br />
une occultation stellaire (phénomène qui<br />
désigne le passage d’un astéroïde devant une<br />
étoile), visible depuis le Sénégal. Six mois de<br />
préparation et 2 tonnes de matériel plus tard,<br />
la mission est un succès. S’ensuit une autre<br />
en 2020 – un véritable challenge, car organisée<br />
en pleine pandémie. À l’issue de celle-ci, Alain<br />
Maury lui annonce qu’il a demandé à l’Union<br />
astronomique internationale (UAI) de donner<br />
son nom à l’astéroïde (35462) 1998 DW23,<br />
qu’il a découvert en 1998. Une reconnaissance<br />
inattendue pour le scientifique et un<br />
rayonnement pour tout un pays. Enthousiaste<br />
et inépuisable, Maram Kaire a coordonné une<br />
troisième mission en octobre 2021 pour la sonde<br />
spatiale Lucy. Nommé coordinateur national<br />
de l’astronomie pour l’éducation au Sénégal<br />
par l’UAI, il continue de militer en parallèle<br />
pour l’intégration complète de l’astronomie dans<br />
le programme scolaire. Et, pourquoi pas, voir<br />
enfin son projet d’observatoire aboutir ? ■ A.F.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 33
MELTING-POT<br />
34 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
ÉVASION<br />
LA ROUTE<br />
DE CAP<br />
SKIRRING<br />
LES LARGES PLAGES DE L’ATLANTIQUE…<br />
Rendez-vous à l’opposé de la pointe<br />
de Saint-Louis, 700 kilomètres plus bas,<br />
dans l’extrême sud-ouest du Sénégal.<br />
JACQUES SIERPINSKI/SAIF IMAGES<br />
AU NORD donc du pays, c’est le Sahel.<br />
À l’opposé, c’est Cap Skirring, les tropiques,<br />
les plages de sable blanc, l’eau turquoise,<br />
les grands cocotiers, la végétation riche<br />
et débordante. Lieu des villégiatures des<br />
Ziguinchorois et de quelques expatriés à<br />
la fin des années 1960, Cap Skirring devient<br />
une destination célèbre avec l’ouverture<br />
du Club Med en 1973. C’est le début d’une<br />
belle histoire et de l’arrivée des touristes<br />
européens, de golfeurs, de pêcheurs, une<br />
clientèle souvent fidélisée qui revient d’une<br />
année sur l’autre. Une foule de personnes<br />
attirées par la douceur du<br />
climat pendant la « période<br />
d’hiver » (d’octobre à mai), la beauté<br />
naturelle, les eaux limpides, ainsi que<br />
les ambiances festives et musicales de la nuit.<br />
Cap Skirring, c’est aussi la découverte<br />
du fleuve Casamance, qui permet de se<br />
perdre dans les mangroves et les bolongs<br />
(ces îles qui abritent des milliers d’oiseaux).<br />
Et de partir à la rencontre des mystères<br />
et des richesses de la culture diola.<br />
Les temps n’ont pas toujours été faciles. La<br />
Casamance est comme géographiquement<br />
coupée du pays par la Gambie. Et<br />
l’irrédentisme de certains alimente un<br />
mouvement de guérilla multiple et divisée<br />
depuis près de quarante ans. La paix reste<br />
fragile. La pandémie de Covid-19 et ses<br />
restrictions sur les voyages ont stoppé le<br />
tourisme, avec un impact social sérieux sur<br />
l’emploi et les populations environnantes.<br />
Mais depuis janvier, et malgré la persistance<br />
de la pandémie, l’ambiance est à l’optimisme.<br />
La piste d’atterrissage de Cap Skirring a été<br />
remise à neuf, en attendant des travaux plus<br />
conséquents. Et le célèbre Club Med, avec<br />
ses 83 hectares, vient de rouvrir ses portes<br />
après vingt et un mois de fermeture. Il est<br />
temps de s’envoler pour une parenthèse<br />
dans un coin de paradis. ■ Zyad Limam<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 35
Le Centre hospitalier<br />
universitaire de Touba,<br />
inauguré le 18septembre<br />
dernier par le Président<br />
Macky Sall.<br />
Ellipse Projects, engagée<br />
pour la santé au Sénégal<br />
Créée en 2011, l’entreprise française est spécialisée<br />
dans la conception, la réalisation et le financement de<br />
projets clés en main. Rencontre avec son fondateur.<br />
Les infrastructures sont l’une des clés de<br />
l’avenir du continent. Quelle est la spécificité<br />
de l’offre d’Ellipse Projects dans<br />
ce domaine ?<br />
Olivier Picard : L’offre d’Ellipse Projects<br />
recouvre trois aspects spécifiques :<br />
➔ Ellipse Projects travaille avec ses<br />
clients très en amont des projets et de<br />
manière itérative. Cette méthode permet<br />
à nos clients de vraiment définir<br />
leurs besoins opérationnels sans passer<br />
Depuis 2018, Ellipse Projects a signé et mis en vigueur les projets suivants<br />
➔ Au Sénégal : 1CHU de<br />
300lits et 3 CHR de 150 lits pour<br />
un montant de 150millions€ ;<br />
69 bâtiments pour le ministère<br />
de la Justice du Sénégal pour<br />
unmontant de 380millions€.<br />
Olivier Picard<br />
Le président d’Ellipse<br />
Projects réalise des<br />
projets qui participent à<br />
l’amélioration du niveau<br />
de vie des populations<br />
et contribuent au<br />
développement de l’activité<br />
économique locale.<br />
➔ Au Ghana : 2CHR.<br />
Le premier de 120 lits<br />
pour un montant de<br />
23millions€. Et le second<br />
de 285 lits pour un montant<br />
de 70millions€.<br />
➔ En Côte d’Ivoire :<br />
279 établissements sanitaires<br />
de premier contact (ESPC)<br />
pour un montant de<br />
120millions€ (60 fermes<br />
et 60 optionnels).<br />
des années à commander des études et<br />
à retarder ainsi la réponse aux besoins<br />
urgents des populations. Par ailleurs,<br />
Ellipse Projects finance l’intégralité des<br />
études amont, des études architecturales,<br />
des études environnementales et<br />
sociales. Ces études amont représentent<br />
un investissement lourd, risqué mais<br />
indispensable pour bâtir un partenariat<br />
avec les pays africains.<br />
➔ Ellipse Projects accompagne toujours<br />
ses offres techniques et commerciales<br />
d’une offre de financement. Grâce à son<br />
réseau et sa connaissance des institutions<br />
financières européennes et américaines,<br />
Ellipse Projects parvient toujours<br />
à proposer l’offre de financement<br />
la plus attractive compte tenu des spécificités<br />
et de la situation financière de<br />
chaque pays.<br />
➔ Ellipse Projects propose des projets<br />
clés en main, que ce soit dans le domaine<br />
de la santé ou du digital. Cette<br />
approche est nouvelle en Afrique, en<br />
particulier dans le domaine de la santé<br />
où l’on avait l’habitude de construire<br />
des bâtiments, puis de se poser la question<br />
des équipements nécessaires à leur
Des hôpitaux dotés<br />
d’équipements<br />
modernes, comme des<br />
scanners (ci-dessus)<br />
ou des unités de soins<br />
dentaires complets<br />
(ci-dessous).<br />
fonctionnement. Aujourd’hui, lorsque<br />
Ellipse Projects délivre un hôpital, les<br />
patients peuvent être accueillis et les<br />
équipes médicales travailler dans les<br />
jours qui suivent.<br />
Votre entreprise est fortement active<br />
au Sénégal. Quelles sont les raisons de<br />
cette implantation stratégique ?<br />
O.P. : Le Sénégal est, avec la Côte<br />
d’Ivoire, le pays le plus dynamique<br />
d’Afrique de l’Ouest et l’un des plus<br />
prometteurs d’Afrique. Par ailleurs,<br />
c’est un pays démocratique et extrêmement<br />
stable, ce qui est important<br />
lorsque l’on investit sur le long terme.<br />
Enfin, c’est un pays où le niveau d’éducation<br />
est élevé, ce qui est important<br />
pour nous car nous développons des<br />
infrastructures complexes avec un fort<br />
contenu local.<br />
Vous avez réalisé un programme de 4hôpitaux.<br />
Aujourd’hui, vous êtes chargé<br />
d’un vaste projet de réhabilitation des<br />
infrastructures de la justice. Comment<br />
assurez-vous la polyvalence des équipes<br />
et du savoir-faire sur des projets de nature<br />
si différente ?<br />
O.P. : Bien sûr, les projets sont différents,<br />
mais pas tant que cela. D’un côté,<br />
le projet des 4 hôpitaux ne comprend,<br />
comme son nom l’indique, que 4 très<br />
grands bâtiments. Le projet du ministère<br />
de la Justice comprend 69 bâtiments<br />
pour la plupart plus modestes ;<br />
mais il s’agit d’un véritable défi, car nous<br />
devons construire ces 69 ouvrages en<br />
6 ans, contre 3 ans pour les 4 hôpitaux.<br />
D’un autre côté, il y a beaucoup de similitudes<br />
: les hôpitaux comme les bâtiments<br />
du ministère de la Justice sont<br />
des projets clés en main qui seront<br />
prêts à fonctionner dès leur livraison,<br />
les 69 bâtiments comme les 4 hôpitaux<br />
sont construits aux quatre coins<br />
du Sénégal. Enfin, les deux projets ont<br />
créé des milliers d’emplois pour les<br />
Sénégalais pendant plusieurs années.<br />
En résumé, c’est l’expérience que nos<br />
équipes ont acquise sur le programme<br />
des 4 hôpitaux qui va nous permettre<br />
de construire dans les temps les 69 ouvrages<br />
du ministère de la Justice.<br />
Peut-on garantir des infrastructures de<br />
qualité, de niveau international, tout en<br />
étant particulièrement compétitif sur les<br />
prix et les délais ?<br />
O.P. : Oui, bien sûr, en ayant des équipes<br />
intègres en France comme au Sénégal,<br />
en ayant recours aux dernières technologies<br />
et en travaillant en étroite collaboration<br />
avec nos clients. Les prix que<br />
“Le Sénégal est un pays démocratique<br />
et extrêmement stable, ce qui est important<br />
lorsque l’on investit sur le long terme.”<br />
nous proposons sont parmi les plus<br />
compétitifs du marché, et il faut noter<br />
que pour le programme des 4 hôpitaux,<br />
nous avons terminé dans les délais et<br />
sans jamais demander de modification<br />
du prix global.<br />
Le financement est l’un des éléments<br />
essentiels d’un projet d’infrastructure.<br />
Quelles sont les solutions apportées par<br />
Ellipse Projects dans ce domaine ?<br />
O.P. : Il y a, pour faire simple, deux<br />
grands types de financement :<br />
➔ Les financements exports, qui<br />
consistent pour un pays comme le Sénégal<br />
à emprunter pour avoir des infrastructures.<br />
C’est ce type de financement<br />
qui a permis de construire les<br />
4 hôpitaux. Ces financements sont<br />
très intéressants, car ce sont des financements<br />
à long terme et avec des taux<br />
faibles. Dans ce cas, notre mission est<br />
de trouver en Europe ou aux États-Unis<br />
le financement le moins coûteux pour<br />
le Sénégal. Ce type de financement<br />
a pour inconvénient d’augmenter la<br />
dette souveraine.<br />
➔ Les investissements directs et les partenariats<br />
public-privé, où les financements<br />
sont proposés par des investisseurs<br />
privés et le risque est partagé, c’est<br />
ce que nous avons proposé pour le projet<br />
du ministère de la Justice.<br />
Dans les deux cas, tout repose sur la<br />
confiance dans l’avenir économique du<br />
Sénégal et dans sa stabilité politique.<br />
www.ellipseprojects.com<br />
L’entrée du CHR<br />
de Kaffrine, dans<br />
le centre-ouest<br />
du Sénégal.<br />
PUBLI-REPORTAGE
développement<br />
SORTIR<br />
RENFORCÉ<br />
DE LA CRISE<br />
38 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Résister à court terme et préparer le long terme.<br />
C’est l’objectif, pour viser l’émergence à l’horizon 2035.<br />
Études de cas, de l’aérien au pétrole, en passant<br />
par les ports et les transports. par Jean-Michel Meyer<br />
Résister et rebondir. C’est le mot d’ordre du<br />
gouvernement pour affronter la crise planétaire.<br />
Après une croissance moyenne de 6 %<br />
par an entre 2014 et 2019, le pays a connu<br />
un trou d’air en 2020, avec une croissance<br />
poussive de 0,8 %. Mais, déjà, la Banque<br />
mondiale table sur une progression du PIB<br />
du Sénégal de 4,7 % en 2021 et de 5,5 % en 2022, « grâce à<br />
l’expansion de l’agriculture et des mines ainsi qu’au rebond du<br />
secteur des services, les entreprises adaptant leurs opérations<br />
à l’environnement du Covid-19. L’inflation devrait rester faible,<br />
autour de 2 %, et diminuer à 1,5 % en 2023 ». Si le Sénégal a<br />
limité la casse, c’est grâce au Programme de résilience économique<br />
et sociale (PRES) lancé en 2020 et doté de 1,5 milliard<br />
d’euros, soit 7 % du PIB injecté dans l’économie pour soutenir les<br />
ménages, les entreprises et préserver le cadre macroéconomique<br />
du pays. Mais l’économie a surtout résisté grâce au travail de<br />
fond entamé depuis 2014 avec le Plan Sénégal Emergent (PSE)<br />
qui court jusqu’en 2023. Plus de 7 milliards de dollars ont été<br />
investis dans les infrastructures, l’agriculture, l’industrie agroalimentaire,<br />
les mines et le tourisme. Pour réduire la fragilité d’une<br />
économie trop dépendante de l’extérieur, le PSE a été renforcé de<br />
22,4 milliards d’euros, dont un tiers doit être apporté par le secteur<br />
privé, pour assurer « la souveraineté alimentaire, sanitaire<br />
et pharmaceutique, et booster l’industrialisation, le numérique,<br />
le tourisme, le logement », a précisé le président Macky Sall.<br />
L’objectif est « d’accélérer la marche vers l’émergence en 2035 »,<br />
en visant dès 2023 une croissance de 8,7 %. Dans ce but, le<br />
PSE doit bâtir un socle d’infrastructures solides, dans l’aviation,<br />
le chemin de fer, l’industrie chimique, le pétrole et le gaz.<br />
Avec un État actionnaire à 100 %, la compagnie<br />
Air Sénégal est en pleine expansion :<br />
sept nouvelles destinations, deux vols<br />
hebdomadaires vers les États-Unis, et une flotte<br />
enrichie de huit moyen-courriers d'ici 2024.<br />
LIONEL XXXXXXXXX<br />
MANDEIX/PRÉSIDENCE<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 39
DÉVELOPPEMENT<br />
Plan de vol ambitieux<br />
pour Air Sénégal<br />
Avec sept nouvelles destinations en 2021, dont<br />
les États-Unis, la compagnie reprend son envol,<br />
dans un pays qui ambitionne de devenir<br />
le premier hub aérien et touristique ouest-africain.<br />
Avec l’espoir d’un salaire jusqu’à quatre fois plus élevé qu’à<br />
Tunisair, 15 pilotes tunisiens ont rejoint Air Sénégal. Un exil qui<br />
souligne l’attractivité de cette compagnie en pleine expansion.<br />
Lancée en 2018 par la volonté du président Macky Sall, Air Sénégal<br />
est une pièce maîtresse du PSE. « Je rêve d’une compagnie qui<br />
sera d’ici vingt ans l’alter ego d’Ethiopian Airlines, a-t-il confié.<br />
Je surveille personnellement et particulièrement le développement<br />
d’Air Sénégal. Je veux que cela soit une réussite, et c’est<br />
possible. » Après trois ans, la compagnie dessert, au départ du<br />
hub de l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD), une quinzaine<br />
de destinations en Afrique et en Europe, avec une flotte de<br />
huit avions. Celle-ci devrait s’enrichir de huit moyen-courriers<br />
A220 pour plus de 730 millions d’euros. Le premier appareil a<br />
été livré le 29 décembre dernier. En 2021, Air Sénégal tablait<br />
sur 500 000 passagers transportés – plus qu’en 2019 (495 000).<br />
Sept nouvelles destinations ont été ouvertes, dont Milan, Lyon,<br />
Cotonou, Douala, Libreville. Le transporteur a inauguré, en septembre,<br />
deux vols hebdomadaires vers les États-Unis, opérés en<br />
Airbus A330-900, à destination de New York JFK et de Baltimore.<br />
La compagnie comptait transporter 42 224 passagers dès<br />
2021, soit un coefficient d’occupation moyen de 70 %. Cela en<br />
fait la cinquième compagnie africaine à proposer des vols directs<br />
vers les États-Unis. De nouvelles lignes sont attendues en 2022<br />
vers Londres et Genève. Le trou d’air de la pandémie serait<br />
presque oublié. La fermeture des frontières, le 20 mars 2020, a<br />
fait perdre à Air Sénégal cette année-là 25 % de son chiffre d’affaires,<br />
qui était de 76,2 millions d’euros en 2019. Mais à l’inverse<br />
de plusieurs compagnies africaines, elle a bénéficié du soutien<br />
de l’État, qui lui a octroyé une dotation de 68 millions d’euros.<br />
L’envol d’Air Sénégal ne serait pas réussi sans la complémentarité<br />
de la compagnie avec l’AIBD, inauguré à la fin de 2017, après dix<br />
ans de travaux et plus de 610 millions d’euros investis. « Notre<br />
objectif est d’être un hub entre l’Europe et l’Afrique et entre les<br />
États-Unis et l’Afrique », martèle Doudou Ka, directeur général<br />
de l’AIBD. En parallèle, 13 aéroports du pays (Saint-Louis,<br />
Matam-Ourossogui, Kédougou, Cap Skirring…) sont en cours<br />
de rénovation pour permettre au transporteur national d’assurer<br />
une desserte régionale. Avec un État actionnaire à 100 %,<br />
le modèle économique d’Air Sénégal, dotée d’un capital initial<br />
de 40 milliards de francs CFA (61 millions d’euros), lui a permis<br />
de décoller rapidement. Demain, l’État pourra-t-il suivre le<br />
rythme élevé des investissements dans l’aérien ? Officieusement,<br />
la compagnie dirigée par Ibrahima Kane cherche un partenaire<br />
stratégique. Les pronostics sont ouverts.<br />
Essais du TER au site<br />
de maintenance<br />
et de remisage<br />
à Colobane, avant<br />
sa mise en circulation<br />
le 27 décembre 2021.<br />
À Dakar, le TER<br />
rétrécit le temps<br />
C’est à 160 km/h que le Train express régional<br />
avale, depuis le 27 décembre 2021, les 36 kilomètres<br />
séparant la gare centrale de Dakar à Diamniadio.<br />
Un second tronçon doit relier la capitale au nouvel<br />
aéroport international.<br />
Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Annoncé pour la<br />
fin 2018, puis en 2019 et en avril 2020, le Train express régional<br />
(TER) de Dakar quittait finalement le quai à la fin 2021. Un<br />
cadeau tombé du ciel ? « Rendez-vous a été donné aux Sénégalais<br />
le 24 décembre 2021 [il a finalement été mis en circulation le<br />
27, ndlr] pour leur cadeau de Noël, avec un début d’exploitation<br />
du TER, qui constitue un legs important pour les générations<br />
futures », avait annoncé Abdou Ndéné Sall, le directeur général<br />
de la Société nationale de gestion du patrimoine du TER (Sen-<br />
Ter). Initié par le président de la République Macky Sall, il s’agit<br />
du premier projet ferroviaire depuis l’indépendance du pays.<br />
40 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
SYLVAIN CHERKAOUI POUR JEUNE AFRIQUE<br />
« Le TER n’est pas seulement un moyen de transport rapide.<br />
Il nous projette à grande vitesse dans le temps de la modernité<br />
», assurait le chef d'État en 2019, évoquant le projet phare<br />
en matière d’infrastructures du PSE.<br />
Réalisé en deux phases, le TER avalera en trente-cinq<br />
minutes, dans un premier temps, les 36 kilomètres séparant<br />
la gare centrale de Dakar à la ville nouvelle de Diamniadio. Le<br />
tronçon de voies ferrées – réalisé par le français Eiffage, le turc<br />
Yapi Merkezi et la Compagnie sahélienne d’entreprises (CSE),<br />
un acteur local – est terminé. Et les 15 rames (22 à terme),<br />
fabriquées par le français Alstom, ont été réceptionnées. Le premier<br />
tronçon a coûté 656 milliards de FCFA (1 milliard d’euros).<br />
L’État sénégalais a apporté 142 milliards de FCFA, tandis que<br />
la Banque africaine de développement (BAD), la Banque islamique<br />
de développement (BID) et l’Agence française de développement<br />
(AFD) assuraient le reste du financement. Dans un<br />
second temps, le trajet de 18 kilomètres, bénéficiant déjà d’une<br />
convention de financement avec les mêmes bailleurs, annoncée<br />
autour de 300 millions d’euros, doit relier Diamniadio à<br />
l’AIBD. L’exploitation et la maintenance des deux phases seront<br />
assurées pendant cinq ans par la SNCF et la RATP. Lancés<br />
à une vitesse de pointe de 160 km/h, les trains climatisés,<br />
équipes de la wi-fi et transportant jusqu’à 565 passagers chacun,<br />
seront l’arme fatale pour désembouteiller la capitale.<br />
Le TER accueillera 115 000 passagers par jour dès cette<br />
année et 215 000 à l’horizon de 2025, tout en économisant<br />
19 000 tonnes de CO 2<br />
par an. Quant aux usagers, ils gagneront<br />
près de quarante-cinq minutes sur leur temps de trajet et les<br />
automobilistes reconvertis économiseront 1,32 million d’heures<br />
par an. « Le trajet de Dakar à Diamniadio coûtera 1 200 FCFA.<br />
Nous serons les moins chers par rapport aux autres moyens<br />
de transport », assure Abdou Ndéné Sall, précisant que les prix<br />
ont été subventionnés par la volonté du président Macky Sall.<br />
Ce qui n’affectera pas la rentabilité, avec un taux de rentabilité<br />
interne compris entre 11,9 % et 14,9 %. À ceux qui dénoncent le<br />
coût très élevé du projet, ses promoteurs rétorquent que, « selon<br />
une étude de la Banque mondiale, la congestion de Dakar coûte<br />
100 milliards de FCFA (152,5 millions d’euros) par an. Ne rien<br />
faire pendant sept ans équivaudrait à perdre 700 milliards qui<br />
auraient pu financer le TER ». CQFD.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 41
DÉVELOPPEMENT<br />
Les bus rapides, remède<br />
contre les embouteillages<br />
Reliant Dakar à Guédiawaye, les 144 bus<br />
rapides du projet BRT doivent transporter,<br />
sur un espace dédié, 300 000 passagers<br />
par an à partir de la fin 2022.<br />
Asphyxiée par des embouteillages monstres : l’image qui<br />
colle à la peau de Dakar sera bientôt révolue. Sur une distance<br />
de 18,3 kilomètres, les 144 bus BRT – de l’anglais Bus Rapid<br />
Transit, traduit en français par Bus à haut niveau de service<br />
(BHNS) – relieront en quarante-cinq minutes, sur une route<br />
dédiée, le centre de Dakar à la ville côtière de Guédiawaye,<br />
en passant par Grand-Médine, contre quatre-vingt-dix minutes<br />
actuellement. Si les travaux lancés en octobre 2019, qui devaient<br />
s’achever en mai 2021, sont toujours en cours, le chantier « sera<br />
livré au plus tard en décembre 2022 », assure Mansour Faye,<br />
le ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et<br />
du Désenclavement. Les bus traverseront alors 14 communes<br />
et transporteront 300 000 voyageurs par jour, à un coût bien<br />
inférieur à la construction d’un tram. « Ce projet emblématique<br />
entre dans le cadre du PSE, précise le ministre. Le président<br />
Macky Sall compte révolutionner le transport urbain. Chantier<br />
majeur, le BRT consacrera le transport de masse à Dakar. Il va<br />
changer le visage de la capitale et en désenclaver une bonne<br />
partie. » Aujourd’hui, dans une désorganisation totale, les<br />
transports collectifs, inefficaces, polluants, peu fiables et sûrs,<br />
assurent 80 % des transports motorisés : opérateur public Dakar<br />
Dem Dikk, minibus AFTU (« Tata »), minibus artisanaux Cars<br />
Rapides et Ndiaga-Ndiaye, taxis clandos, surnommés par les<br />
Dakarois « S’en fout la mort », « 1 000 kilos » ou « 22 places »…<br />
Décongestionner la ville est un défi majeur. Avec 3,6 millions<br />
d’habitants, la région de Dakar abrite 25 % de la population du<br />
pays, 50 % des urbains et 70 % du parc automobile immatriculé<br />
sur 0,3 % du territoire. Confinée sur l’étroite presqu’île du Cap-<br />
Vert, l’agglomération enregistre l’arrivée de 100 000 nouveaux<br />
habitants par an. « En 2040, nous serons 7 millions à Dakar, et<br />
le réseau du trafic routier est déjà saturé », relève Thierno Birahim<br />
Aw, directeur général du Conseil exécutif des transports<br />
urbains de Dakar (CETUD), pilote du projet BRT. D’ici un an,<br />
la ville devrait à nouveau respirer. L’initiative du BRT s’inscrit<br />
au titre des engagements du Sénégal dans le cadre de l’accord<br />
de Paris sur le climat, pour rendre la capitale « plus verte et<br />
propre ». Une étude de la Direction de l’environnement et des<br />
établissements classés (DEEC) estime d’ailleurs que le BRT fera<br />
« économiser 446 480 tonnes de CO 2<br />
d’ici 2035 ». Il sera aussi<br />
une passerelle vers l’emploi en favorisant « l’accès de près de la<br />
moitié des habitants aux faibles ressources économiques à plus<br />
de 8 000 emplois supplémentaires », selon une étude. Financé<br />
à hauteur de 457 millions d’euros par la Banque mondiale, la<br />
Banque européenne d’investissement et le Fonds vert pour le<br />
climat ou l’Agence française pour le développement, le BRT doit<br />
être rentable. Un rapport socio-économique de l’Institut international<br />
du développement durable (IISD) a démontré une très<br />
bonne rentabilité économique du projet, avec un TRI de 14 %<br />
à 16 %. À confirmer.<br />
Un futur port en eau<br />
profonde au service<br />
de la sous-région<br />
Stratégique pour le développement du pays<br />
et de l’hinterland, l’activité portuaire quittera<br />
Dakar d’ici 2024 pour le nouveau port en eau<br />
profonde de Ndayane. Un investissement<br />
de plus de 1 milliard de dollars.<br />
La bataille fait rage en Afrique de l’Ouest pour faire<br />
émerger du sable le hub portuaire le plus attractif du Golfe de<br />
Guinée. À Dakar, Abidjan, Lagos, Lomé, Tema ou encore Cotonou,<br />
c’est la course aux infrastructures. Poumon économique<br />
du pays, le port autonome de Dakar (PAD) a traité 19,3 millions<br />
de tonnes de marchandises en 2020, au troisième rang<br />
dans la sous-région pour le tonnage manipulé, derrière Abidjan<br />
(26 millions de tonnes) et Lomé (23 millions). Géré par<br />
l’émirati DP World depuis 2007, le PAD a généré un chiffre<br />
d’affaires de 91 millions d’euros en 2020 et un résultat net de<br />
16,1 millions d’euros. Il capte 95 % des échanges commerciaux<br />
du pays et constitue 95 % des recettes douanières de l’État. Le<br />
port joue également un rôle clé pour le Mali : 65 % du trafic<br />
à destination du pays enclavé transite par Dakar. Installée au<br />
bout de la presqu’île du Cap-Vert, l’activité portuaire est idéalement<br />
située au confluent des routes maritimes internationales.<br />
Mais aujourd’hui, les infrastructures sont vieillissantes et le<br />
PAD est coincé au cœur de la capitale. Étouffé par Dakar, il<br />
manque d’espace pour se développer. Le sujet est une priorité du<br />
PSE. « Si nous résolvons l’équation de la congestion, le Sénégal<br />
DR<br />
42 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Pour décongestionner le PAD,<br />
une partie de l’activité sera<br />
transférée vers le futur port<br />
en eaux profondes de<br />
Ndayane, sur la Petite-Côte,<br />
à 50 kilomètres au sud<br />
de Dakar.<br />
SYLVAIN XXXXXXXXX CHERKAOUI/COSMOS POUR JEUNE AFRIQUE<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 43
DÉVELOPPEMENT<br />
La mine de phosphate,<br />
dans la région de Taïba.<br />
sera en mesure d’enregistrer une progression de trois points<br />
de croissance supplémentaires », assure le directeur général du<br />
PAD, Aboubacar Sédikh Bèye. D’ici quelques années, le port<br />
existant sera converti pour l’exploitation d’un terminal de croisières<br />
et réaménagé en un front de mer résidentiel et commercial.<br />
Pour décongestionner le PAD, une partie de l’activité sera<br />
transférée vers le futur port en eaux profondes de Ndayane,<br />
sur la Petite-Côte, à 50 kilomètres au sud de Dakar. Géré par<br />
DP World avec le PAD, il doit s’ouvrir sur l’océan en 2024. Le<br />
port sera adossé à une zone économique spéciale de 600 hectares<br />
et connecté à celle du pôle urbain de Diamniadio ainsi<br />
qu’à l’aéroport international Blaise Diagne afin de former « le<br />
triangle de la prospérité ».<br />
« Ces équipements permettront à Dakar de jouer son rôle<br />
de hub logistique pour le Sénégal, mais aussi et surtout pour la<br />
sous-région », prédit Aboubacar Sédikh Bèye. Fin 2020, l’opérateur<br />
portuaire DP World et l’État ont conclu un accord dans ce<br />
sens. Dans un premier temps, l’émirati investira 837 millions<br />
de dollars dans la construction d’un nouveau terminal à conteneurs<br />
sur 300 hectares, doté d’un quai de 840 mètres et d’un<br />
nouveau chenal maritime de 5 kilomètres pour accueillir des<br />
navires de 366 mètres. Puis, un quai à conteneur de 410 mètres<br />
sera ajouté afin de traiter des navires de 400 mètres de long<br />
pour un investissement de 290 millions de dollars. « Ce sera le<br />
plus grand investissement portuaire de DP World en Afrique »,<br />
a souligné le sultan Ahmed bin Sulayem, PDG de l'entreprise.<br />
« C’est le plus important investissement privé de l’histoire du<br />
Sénégal, ce qui va attirer un grand nombre d’investisseurs et<br />
contribuer à la création de milliers d’emplois pour la jeunesse<br />
du pays », a promis Macky Sall.<br />
Le grand réveil des ICS<br />
Les Industries chimiques du Sénégal sont devenues<br />
le troisième producteur d’engrais phosphatés<br />
d’Afrique, avec l’appui de l’indonésien Indorama.<br />
C’est le grand retour des Industries chimiques du Sénégal<br />
(ICS). À l’agonie en 2014, l’ex-fleuron de l’industrie lourde du<br />
pays croule alors sous une dette de 320 millions de dollars,<br />
lorsque le géant indonésien de la chimie Indorama en rachète<br />
78 % du capital. Les ICS emploient 1 600 salariés sur trois sites :<br />
la mine de phosphate, à 100 kilomètres de Dakar ; l’usine<br />
d’acide phosphorique, à Darou, d’une capacité de production de<br />
600 000 tonnes par an ; et l’usine d’engrais, à Mbao, qui en<br />
produit 250 000 tonnes par an. Dès 2018, le groupe retrouve<br />
une production de 1,782 million de tonnes de phosphate pour<br />
une capacité de 2 millions de tonnes. « C’est la plus grosse production<br />
de phosphate des quinze dernières années. Et, en 2018,<br />
nous avons produit 549 000 tonnes d’acide phosphorique, qui<br />
est aussi la plus grosse production de ces quinze dernières<br />
années », précisait le directeur général des ICS, Alassane Diallo.<br />
L’acide phosphorique est surtout exporté vers l’Inde, tandis que<br />
les engrais, dont les prix ont doublé en un an, sont destinés au<br />
marché national et à la sous-région. « Le chiffre d’affaires<br />
tourne autour de 450 millions de dollars, et il augmente, ce qui<br />
fait des ICS la principale entreprise pourvoyeuse de devises au<br />
Sénégal, assurait-il en 2020. Nous jouons un rôle important,<br />
car nous commandons pour près de 50 milliards de FCFA<br />
chaque année aux entreprises locales. » Toutefois, le temps où<br />
les ICS représentaient 16 % du PIB (en 2004) paraît révolu,<br />
même si le groupe « est devenu le premier producteur d’engrais<br />
YOURI LENQUETTE<br />
44 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Mise à l’eau, à la fin d’avril 2021,<br />
du premier des 21 caissons béton<br />
du projet Grand Tortue Ahmeyim,<br />
sur la frontière maritime<br />
sénégalo-mauritanienne.<br />
DR<br />
phosphatés d’Afrique subsaharienne et le troisième du continent<br />
». Une renaissance pilotée à coup de « plusieurs centaines<br />
de millions de dollars », injectés par l’actionnaire Indorama, un<br />
groupe industriel ayant son siège à Singapour, qui possède plus<br />
de 20 sites (engrais, polyéthylène, textiles, etc.) dans neuf pays<br />
et emploie plus de 18 000 personnes. Ombres au tableau : les<br />
ICS sont accusées de pollution, et l’extension de l’un de ses sites,<br />
à Tobène, rencontre l’hostilité des habitants.<br />
Une puissance<br />
pétrolière en 2023<br />
Après plusieurs reports, l’exploitation doit débuter<br />
l'année prochaine. La manne pourrait déjà<br />
rapporter 30 milliards de dollars sur trente ans.<br />
Le compte à rebours est engagé et les perspectives sont très<br />
prometteuses, sauf si… « En 2023, nous connaîtrons les premiers<br />
mètres cubes de gaz et barils de pétrole », s’est réjoui, le<br />
28 octobre, le ministre des Finances et du Budget, Abdoulaye<br />
Daouda Diallo. Le Sénégal basculera alors du statut de pays<br />
qui consacre autour de 10 % de son PIB à sa facture pétrolière<br />
à celui d’un État qui regorge d’or noir et de gaz, lesquels<br />
devraient rapporter au pays l’équivalent de 6 à 7 % de points<br />
de PIB sur vingt ans, selon le FMI. Avant les premières découvertes<br />
de pétrole offshore en 2014 et de gisements de gaz en<br />
2017, plus de 20 compagnies pétrolières ont réalisé en vain, à<br />
terre et en mer, près de 168 forages de 1952 à 2014, pour plus<br />
de 760 millions d’euros investis. Désormais, les gains financiers<br />
de l’État pourraient s’élever à 30 milliards d’euros sur trente<br />
ans. D’après le ministre, la demande domestique du pays en<br />
hydrocarbure devrait être satisfaite et un taux de croissance de<br />
« 13,7 % est attendu dès 2023, avec le début de l’exploitation ».<br />
Selon la ministre du Pétrole et des Énergies, Sophie Gladima, les<br />
découvertes actuelles de gaz sont de 910 milliards de m 3 et d’un<br />
peu plus de 1 milliard de barils de pétrole avec le projet Grand<br />
Tortue Ahmeyim (GTA), mené par BP sur la frontière maritime<br />
sénégalo-mauritanienne, le champ gazier de Yakaar-Téranga<br />
et le champ pétrolier offshore de Sangomar. « Le potentiel<br />
réel du bassin sédimentaire sénégalais nous a convaincus de<br />
poursuivre sa promotion pour avoir d’autres découvertes », a<br />
confié la ministre, le 3 octobre. Toutefois, l’exploitation a déjà<br />
été retardée en raison de la chute des cours du pétrole, puis de<br />
la pandémie. À 16 dollars au début de la crise sanitaire, le prix<br />
du baril dépasse les 80 dollars et pourrait franchir la barre des<br />
100 dollars en 2022. Idem pour le prix du gaz naturel, au plus<br />
haut depuis 2014. Mais la versatilité des cours tend les relations<br />
entre l’État et les groupes pétroliers, sur des investissements<br />
(3,6 milliards de dollars pour BP dans GTA) qui engagent pour<br />
vingt à trente ans. Ce qui n’empêche pas les autorités sénégalaises<br />
de réfléchir à l’utilisation des revenus des hydrocarbures,<br />
qu’une loi en préparation doit redistribuer. « Une partie des revenus<br />
sera réservée au budget de l’État pour des investissements<br />
dans la santé, l’éducation, etc. Une autre partie sera réservée<br />
aux générations futures, à travers un fonds intergénérationnel.<br />
Et une part reviendra au Fonds de stabilisation, pour parer aux<br />
fluctuations des cours du baril », résume la ministre du Pétrole.<br />
De son côté, l’Initiative pour la transparence dans les industries<br />
extractives (ITIE) a demandé davantage de lumière, le<br />
20 octobre, dans « l’octroi des contrats et licences ». ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 45
interview<br />
Abdou Karim Fofana<br />
« L’industrialisation se trouve<br />
au cœur de nos ambitions »<br />
Le ministre en charge du suivi du Plan Sénégal Emergent (PSE)<br />
évoque les défis de la deuxième phase, qui s’étendra jusqu’en 2023.<br />
propos recueillis par Emmanuelle Pontié, envoyée spéciale
ERICK AHOUNOU
INTERVIEW<br />
<strong>AM</strong> : Vous êtes en charge du PSE depuis un an.<br />
À votre arrivée, la phase 1 du plan était censée<br />
être terminée. Quel bilan peut-on en tirer ?<br />
Abdou Karim Fofana : Le PSE a été mis en place en 2014. Il<br />
apporte en premier lieu de la planification. Auparavant, nous<br />
fonctionnions avec des études prospectives sur vingt ans et<br />
des plans quinquennaux. Mais nous n’avions pas une véritable<br />
vision sur une génération. Le PSE procède par priorisations. Si<br />
nous voulons avoir un pays qui entre dans l’émergence, il faut<br />
transformer notre économie, mais aussi développer notre capital<br />
humain, encourager la solidarité, mieux préparer les générations<br />
futures aux défis du monde qui vient, et travailler sur la<br />
paix et la sécurité. Le PSE nous permet de disposer d’un plan<br />
global, qui ne parle pas seulement d’économie ou de croissance.<br />
Il parle de défis sociaux, de questions de sécurité, de soucis de<br />
bon voisinage. Il s’agit d’un plan global sur le long terme, sur un<br />
horizon de vingt ans (2014-2035). Et ce plan est séquencé. Tous<br />
les cinq ans, nous mettons en place un plan d’action prioritaire.<br />
Le premier était destiné à la transformation<br />
structurelle de l’économie. Pour y<br />
parvenir, nous avons dû régler le problème<br />
de nos capacités productives. Je<br />
vous donne un exemple : en 2012, le<br />
Sénégal, c’était 500 mégawatts de capacité<br />
de production d’électricité. On a<br />
connu en 2011 ce que l’on a appelé les<br />
« émeutes de l’électricité ». Il fallait agir<br />
vite pour que le pays puisse disposer<br />
d’électricité en quantité suffisante et<br />
qu’elle soit produite à un coût compétitif.<br />
Le président de la République a d’abord<br />
veillé au redressement des finances<br />
publiques. Nous avons mis le curseur<br />
sur les infrastructures et les capacités<br />
productives, pour faire en sorte que<br />
l’on produise davantage d’électricité à<br />
un prix plus raisonnable. Et puis, nous<br />
avons élargi la base de la croissance.<br />
Avant 2012, nous avions deux moteurs de croissance, le duo<br />
services financiers et télécommunications. Mais 60 % de notre<br />
population vit de l’agriculture. Dans la première phase du PSE,<br />
nous avons réussi à faire en sorte que notre agriculture produise<br />
plus et mieux. Pour l’arachide, qui représentait la base de nos<br />
productions, nous sommes passés de 400 000 tonnes à 1,8 million<br />
de tonnes. Pour le riz, que nous importions beaucoup, nous<br />
produisons aujourd’hui localement 1,3 million de tonnes, contre<br />
400 000 auparavant. Cela montre que les bases de notre croissance<br />
ont changé. Nous sommes passés de deux à six moteurs.<br />
Et la croissance du Sénégal entre 2011 et 2019-2020, avant la<br />
pandémie, a été multipliée par quatre. C’est ce que l’on attendait<br />
Malgré<br />
la pandémie,<br />
nous avons<br />
pu maintenir<br />
une croissance<br />
de 1,7 %,<br />
avec un déficit<br />
budgétaire assez<br />
soutenable.<br />
du PSE : changer la structure de notre économie. Remettre l’agriculture<br />
à l’honneur, ainsi que le tourisme, l’habitat…<br />
Quels ont été les nouveaux objectifs<br />
définis lors de votre arrivée ?<br />
Ce qui caractérise le PSE, c’est que l’on détermine des<br />
batailles clés pour construire un Sénégal à l’horizon 2035. Et<br />
quel pays souhaitons-nous en 2035 ? Nous voulons une société<br />
et une économie plus prospères. Une économie plus orientée<br />
vers les services et l’industrie. Une agriculture plus développée.<br />
Avec une productivité plus importante. Mais qu’allons-nous<br />
faire de cette croissance ? Il nous faut en premier lieu de l’équité<br />
territoriale. Il y avait des zones qui n’étaient pas sur la côte<br />
atlantique, mais qui avaient du mal à avoir les voies de communication<br />
nécessaires pour être connectées au reste du pays.<br />
Ainsi que des zones où l’eau et l’électricité étaient un problème,<br />
et d’autres où les équipements pour l’éducation ou la santé<br />
n’étaient pas suffisants. Les fruits de la croissance doivent aider<br />
à rétablir cette équité territoriale. Chaque zone doit bénéficier<br />
de sa part de croissance et de notre<br />
ambition nationale d’émergence. Et<br />
puis, nous devons nous occuper de<br />
toutes les questions liées à l’avenir<br />
du Sénégal. Par exemple, nous avons<br />
construit deux universités : la nouvelle<br />
université de Dakar et celle du Sine<br />
Saloum, qui a déjà commencé à fonctionner.<br />
Pour information, de 1960 à<br />
2018, l’université Cheikh Anta Diop, à<br />
Dakar, a augmenté sa capacité de lits<br />
d’étudiants à 4 000 unités. Entre 2018<br />
et 2020, nous avons doublé cette<br />
dernière. Les tarifs de restauration<br />
dans les universités n’ont pas bougé,<br />
nous proposons toujours un tarif de<br />
100 francs CFA par repas. Un prix<br />
incomparable par rapport aux pays<br />
de la sous-région. Notre croissance<br />
doit servir à développer les infrastructures,<br />
préparer l’industrialisation, aider les étudiants à travailler<br />
mieux. Aider aussi les couches les plus vulnérables. C’est tout<br />
cela la promesse du PSE.<br />
Le plan, dont la deuxième phase doit s’étendre<br />
jusqu’en 2023, a dû tenir compte des retards à cause<br />
du Covid-19. A-t-il aussi été réorienté à cet effet ?<br />
Tout à fait. Entre 2020 et 2021, les économies du monde<br />
entier ont subi de plein fouet les effets de la pandémie. Même<br />
si le Sénégal fait partie des pays qui ont le mieux résisté. Nous<br />
avons pu maintenir une croissance de 1,5 %, 1,7 %, avec<br />
un déficit budgétaire assez soutenable. Mais en 2021, nous<br />
devons retrouver une croissance de 5 %, et l’année prochaine,<br />
48 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Entre 2018 et 2020, grâce au PSE, le nombre de lits d’étudiants à l’université Cheikh Anta Diop, à Dakar, est passé de 4 000 à 8 000.<br />
SYLVAIN CHERKAOUI<br />
elle devrait atteindre environ 5,5 %. Cela prouve que notre<br />
économie est résiliente. Mais il est vrai que certains projets<br />
ont été retardés.<br />
Lesquels ?<br />
Nos autoroutes surtout. Nous devions réaliser celle qui relie<br />
Thiès à Saint-Louis. Ou encore l’axe Fatick-Kaolack. Il y a eu un<br />
peu de retard. Et bien sûr, nous avons dû opérer un recadrage<br />
de nos politiques économiques, car le monde n’est plus ce qu’il<br />
est. La nouvelle priorité est de diminuer notre dépendance visà-vis<br />
de l’extérieur. Dans le domaine alimentaire, de nombreux<br />
produits ont subi de plein fouet des augmentations de prix, car<br />
les containers ou les moyens de transport n’étaient plus disponibles.<br />
Un motif de plus pour produire davantage local pour<br />
notre consommation. Nous devons plus orienter nos jeunes vers<br />
l’entrepreneuriat social et solidaire, vers des métiers innovants.<br />
On le constate à Dakar, où tous ont l’ambition d’avoir leur société<br />
et d’être présents dans des secteurs où, en général, on ne voit pas<br />
de Sénégalais. La digitalisation a beaucoup aidé dans ce sens.<br />
Les jeunes n’attendent plus d’être salariés ou d’entrer dans la<br />
fonction publique. C’est la raison pour laquelle l’État a mis en<br />
place la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide (DER),<br />
où un système de nano-crédit a été créé à l’intention des jeunes<br />
et des femmes qui ont une activité quotidienne, comme vendre<br />
du poisson. Elles arrivent à obtenir des petits crédits de 75 ou<br />
150 euros pour leur activité durant la semaine, puis elles remboursent<br />
et reprennent un nano-crédit. Notre économie et nos<br />
systèmes financiers sont en train de s’adapter aux réalités de<br />
notre monde. Autre constat post-Covid, nous avons compris que<br />
pour nous soigner, nous sommes en queue de file. Il faut par<br />
exemple attendre que certains pays vaccinent toute leur population<br />
avant que d’autres en reçoivent. Et au-delà des vaccins,<br />
nous avons prix conscience que 90 % des médicaments que<br />
nous consommons sont importés. Le marché du médicament au<br />
Sénégal, c’est 150 milliards de FCFA. Le président de la République<br />
a lancé un appel aux entrepreneurs, aux spécialistes des<br />
questions médicales. Il a donné l’exemple en construisant de<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 49
INTERVIEW<br />
grands hôpitaux dans des zones où il n’en existait pas, comme la<br />
région de Kaffrine, Kédougou, Touba… Et il y en aura d’autres.<br />
Mais nous devons aussi fabriquer nos médicaments. Pour le<br />
Sénégal et pour l’Afrique de l’Ouest.<br />
Quels sont les chantiers en cours dans ce domaine ?<br />
Tout d’abord, il faut rappeler que notre pays a une longue<br />
tradition de production de produits pharmaceutiques. L’usine<br />
Médis, à Thiaroye, fabriquait des médicaments. Le Fonds souverain<br />
d’investissements stratégiques avait investi dans l’usine<br />
de solutés Parenterus. Et avec le Covid, nous avons appris que<br />
les États devraient faire autant d’efforts pour se protéger médicalement<br />
que militairement. C’est la raison pour laquelle nous<br />
avons inauguré quatre hôpitaux en deux années. En 2012, nous<br />
disposions de deux centres de dialyse, aujourd’hui il y en a 10.<br />
Et l’objectif d’ici 2024, c’est qu’il y en ait 16. Chaque région doit<br />
avoir le sien. Au-delà des questions médicales, nous avons aussi<br />
mis en place la couverture maladie universelle, afin que tous les<br />
Sénégalais aient accès aux soins. Vous cotisez<br />
5 euros par an, et vous avez droit à une<br />
prise en charge de vos dépenses de santé à<br />
hauteur de 80 % pour les actes médicaux<br />
et les médicaments génériques. C’est une<br />
grosse avancée. Et qu’avons-nous constaté ?<br />
Entre 2012 et 2019, nous sommes passés de<br />
20 % à 50 % de personnes disposant d’une<br />
assurance maladie. Il nous faut donc avancer<br />
petit à petit dans la fabrication locale. Notre<br />
objectif est de passer à 30 % de production<br />
en 2030. Et d’arriver à 50 % en 2035. Nous<br />
ne voulons plus dépendre de l’extérieur. Nos<br />
entreprises doivent profiter de cet énorme<br />
marché du médicament que nous offrons,<br />
tout en générant du savoir faire local.<br />
Où en est le projet d’usine<br />
Nous<br />
avons une<br />
perspective<br />
heureuse et<br />
prometteuse<br />
avec la<br />
découverte<br />
du gaz et<br />
du pétrole.<br />
de fabrication de vaccins ?<br />
La firme BioNTech, qui a découvert le<br />
premier vaccin à ARN messager pour le Covid, a décidé de<br />
nouer des partenariats avec deux pays en Afrique : le Rwanda<br />
et le Sénégal. Elle nous a choisis parce que l’Institut Pasteur de<br />
Dakar est réputé dans le monde, avec son passé de producteur<br />
de vaccins pour la fièvre jaune. Un investissement de 200 millions<br />
de dollars est en cours, provenant de plusieurs pays, dont<br />
le Sénégal qui participera à hauteur de 10 millions de dollars,<br />
les États-Unis, certains pays de l’Union européenne, etc. L’idée<br />
est de produire des vaccins à partir de l’Afrique pour l’Afrique.<br />
Nous disposons du savoir-faire et de l’historicité en la matière.<br />
Nous produirons des vaccins contre le Covid. Et d’autres aussi.<br />
Quelles sont les autres priorités de la deuxième phase ?<br />
Cette deuxième phase, c’est le Plan d’action prioritaire<br />
numéro 2 (PAP 2). Normalement, il devait s’étendre de 2019 à<br />
2023. Mais à cause de la crise du Covid, nous l’avons renommé<br />
« PAP 2A » : Plan d’actions prioritaires ajusté et accéléré. Le<br />
PAP 2A fait référence à notre souveraineté. Il nous faut produire<br />
davantage chez nous ce que nous consommons pour ne<br />
pas subir des événements malheureux comme la pandémie, qui<br />
crée beaucoup d’incertitudes. On ne sait pas si le riz importé<br />
va arriver à l’heure, si l’on va subir les effets des marchés internationaux,<br />
etc. C’est pour cela que je parle de souveraineté<br />
alimentaire et d’économie sociale et solidaire, de donner aux<br />
jeunes des formations utiles, de lancer la fabrication locale<br />
de médicaments pour ne plus être dépendant, etc. Ce sont les<br />
priorités du PAP 2A. Auxquelles il faut ajouter le PSE vert, qui<br />
gère la question de la reforestation. En 2019, le président a expliqué<br />
que le Sénégal faisait partie des pays qui perdaient beaucoup<br />
de forêts. Et qu’il fallait agir sur l’environnement. Nous<br />
avons une politique de reforestation, à travers un programme<br />
dédié, qui doit aussi créer un écosystème environnemental.<br />
L’industrialisation se trouve également au<br />
cœur de nos ambitions. L’État du Sénégal a<br />
posé des actes forts. Comme la mise en place<br />
d’agropoles au sud et au centre, avec des<br />
produits identifiés et prioritaires. Il s’agit de<br />
zones où les producteurs agricoles peuvent<br />
échanger avec les industriels, vendre leurs<br />
produits qui sont transformés sur place,<br />
puis exportés ou mis en vente sur les marchés<br />
locaux.<br />
Quels sont les principaux produits<br />
manufacturés localement aujourd’hui ?<br />
L’arachide en premier, qui est transformée<br />
et exportée. Mais nous souhaitons compter<br />
sur davantage de produits manufacturés. Et<br />
exporter plus de denrées dont nous disposons.<br />
Par exemple, nous produisons beaucoup de<br />
sel. C’est une véritable filière qui est en train<br />
de se développer dans la région de Fatick. Si<br />
vous prenez le Nigeria, le pays importe environ 1 000 milliards<br />
de francs CFA de sel par an. Et il vient principalement de l’Inde<br />
ou du Brésil, alors que nous disposons d’un énorme potentiel sur<br />
notre sol. Parfois, nous en perdons, parce que nous n’avons pas<br />
les marchés en face ou les équipements nécessaires à la conservation<br />
et la transformation. Aujourd’hui, ces industries sont<br />
appuyées par l’État. Autre exemple, nous importons beaucoup<br />
d’huile de palme, alors que nous possédons des espaces et des<br />
terres dans certaines zones disposant d’une bonne pluviométrie.<br />
L’idée est donc de retravailler ces filières, en créer davantage à<br />
haute valeur ajoutée, dans l’aquaculture, dans l’élevage. Nous<br />
sommes devenus autosuffisants en ce qui concerne la pomme<br />
de terre ou l’oignon. Autant de produits que nous importions<br />
beaucoup auparavant.<br />
50 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
ELLIPSES - PAPA MATAR DIOP/PRÉSIDENCE<br />
Le nouvel hôpital régional de Kaffrine.<br />
Revenons sur la bataille cruciale<br />
de l’énergie. Elle semble gagnée à Dakar,<br />
où les délestages ont pratiquement disparu.<br />
Qu’en est-il du reste du pays ? Et quel type<br />
d’énergie privilégiez-vous pour demain ?<br />
L’énergie est un gros défi. Nous avons fait un véritable<br />
bond en avant, puisque nous sommes passés de<br />
576 mégawatts à plus de 1529 mégawatts. Nous avons<br />
presque triplé notre capacité en moins de dix ans.<br />
L’autre point, c’est que nous avons réussi le mix énergétique.<br />
Avec 30 % d’énergie renouvelable. Et nous<br />
avons une perspective heureuse et prometteuse avec<br />
la découverte du gaz et du pétrole. Nous sommes en<br />
train de préparer cela avec des centrales à gaz. Aujourd’hui,<br />
West African Energy, une entreprise portée par des investisseurs<br />
sénégalais, est en passe d’être l’une des premières sociétés<br />
de production et de transformation d’électricité à gaz. C’est<br />
une révolution. Cela nous permettra d’être encore plus souverains<br />
dans notre capacité de production. Et de maîtriser nos<br />
coûts. Des tarifs plus bas nous permettront d’être plus compétitifs,<br />
surtout pour notre monde industriel. Sur le plan de<br />
l’accès à l’ électricité, il existe deux segments : l’électrification<br />
urbaine, pour laquelle nous affichons un taux très élevé qui<br />
tourne autour de 92 %, et l’électrification rurale où nous en<br />
sommes à 55 %. Entre 2012 – où nous en étions à 24 % – et<br />
aujourd’hui, nous avons plus que doublé le taux d’accès. C’est<br />
un très bon taux. Mais le président de la République souhaite<br />
que davantage de Sénégalais aient accès à l’électricité. Et nous<br />
y travaillons. Le taux de l’électrification nationale tourne<br />
autour de 76 %, et je pense que c’est l’un des plus élevés en<br />
Afrique subsaharienne.<br />
Inauguration<br />
par Macky Sall,<br />
le 10 juillet 2021,<br />
de la troisième<br />
usine d’eau potable<br />
de Keur Momar<br />
Sarr (KMS).<br />
L’accès à l’eau semble plus compliqué.<br />
Les Sénégalais se plaignent de nombreuses<br />
coupures. Quelles en sont les raisons ?<br />
Tout d’abord, nous avons subi des retards d’investissement<br />
dans la décennie 2000-2010. Ils nous ont rattrapés. Mais nous<br />
avons su faire les investissements nécessaires avec l’usine de<br />
Keur Momar Sarr, qui injecte 200000 m 3 d’eau par jour dans le<br />
réseau. Le taux d’accès en milieu urbain est très élevé. Il avance<br />
bien en milieu rural aussi. La grande région de Dakar, qui compte<br />
plus de 3 millions d’habitants, concentre 60 % de l’activité économique<br />
du pays. La population croît. Elle est de plus en plus<br />
jeune, avec 75 % de moins de 35 ans. Cela crée des besoins. Les<br />
coupures à Dakar n’existent plus. Quand il y en a, elles sont ponctuelles,<br />
et liées à des travaux d’adaptation sur le réseau. L’eau<br />
est l’un des secteurs prioritaires, très surveillé. Nous sommes en<br />
train de préparer un projet de dessalement de l’eau de mer pour<br />
renforcer encore davantage la capacité de production du pays,<br />
surtout en milieu urbain et dans la région de Dakar. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 51
52 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Les limites<br />
de Dakar reculent,<br />
poussées par<br />
une urbanisation<br />
galopante qui met<br />
sous pression<br />
un écosystème<br />
fragilisé. Son futur<br />
se dessine<br />
urbanitéDAKAR pourtant fort.<br />
VISE L’AVENIR<br />
par Jérémie Vaudaux<br />
XXXXXXXXX<br />
SHUTTERSTOCK<br />
La route de la Corniche,<br />
en allant vers le Plateau.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 53
URBANITÉ<br />
Dakar est gargantuesque. La presqu’île du<br />
Cap-Vert, qui a vu naître le destin hors<br />
norme de la capitale du Sénégal, a fait<br />
les frais de sa faim dévorante. Si l’Atlantique<br />
qui borde la Corniche contient<br />
son appétit, à l’est il n’y a pas d’entrave.<br />
Aujourd’hui, Dakar, métropole<br />
qui cache encore administrativement<br />
son nom, semble n’avoir ni fin ni cesse. Ses limites régionales<br />
reculent devant les assauts répétés d’une urbanisation qui<br />
englobe aujourd’hui près de 820 km 2 , une partie de l’espace<br />
naturel humide des Niayes et de la région voisine de Thiès. Les<br />
alizés battant les flancs de la capitale auraient-ils aiguisé son<br />
appétit ? À moins que la faute n’incombe à la formidable capacité<br />
polarisatrice d’une ville-monde qui ne cache plus ses ambitions.<br />
Se mettre à la même table qu’Abidjan et Lomé. Se positionner<br />
comme le principal carrefour de la sous-région ouest-africaine et<br />
rayonner au-delà même de ses frontières continentales. En 2017,<br />
l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD) ouvre ses portes.<br />
Portée par la dernière-née des compagnies nationales, Air Sénégal,<br />
Dakar se rapproche des grandes métropoles d’Europe et des<br />
États-Unis : Paris, Milan, Londres, Washington et New York. En<br />
2027, la mise en service du port multifonctionnel en eau profonde<br />
de Ndayane – le troisième du continent –, situé à 60 kilomètres<br />
au sud de la capitale, devrait désengorger le port actuel<br />
situé au centre-ville. Et assouvir peut-être la boulimie d’une ville<br />
tournée vers l’ailleurs et l’avenir.<br />
Le paisible quotidien de pêcheurs lébous, dont les villages<br />
rythmaient les côtes du Cap-Vert au XVIII e siècle, appartient<br />
aux livres d’histoire – ceux sommeillant dans la bibliothèque<br />
de la prestigieuse, quoique régulièrement taxée de décadente,<br />
Université Cheikh Anta Diop (UCAD). La région concentre<br />
aujourd’hui 90 % des emplois permanents, contribue à 80 %<br />
du produit intérieur brut (PIB) et s’est imposée comme la tête<br />
de pont du Sénégal émergent. Il suffit de jeter un œil au sommet<br />
des immeubles qui bordent la place de l’Indépendance, dans<br />
Peinture murale pour sensibiliser<br />
la population aux gestes barrières<br />
contre le Covid-19.<br />
le quartier d'affaires du Plateau : Banque centrale des États de<br />
l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), bureau régional de la Banque africaine<br />
de développement (BAD), celui de l’UNESCO… Autant<br />
d’organisations qui participent au prestige d’une capitale cosmopolite<br />
dont le rayonnement est aussi culturel. En témoigne<br />
la tenue d’événements de prestige, comme la biennale d’art<br />
contemporain africain ou la Dakar Fashion Week.<br />
Là où son dynamisme s’observe le mieux, c’est pourtant au<br />
quotidien, dans les rues que se partagent 4 millions d’habitants<br />
– soit près du quart de la population sénégalaise qui s’entasse<br />
sur 0,3 % du territoire national. Une tête d’épingle, en somme,<br />
mais chauffée à blanc par un dynamisme démographique galopant.<br />
Aujourd’hui, un Dakarois sur deux a moins de 20 ans.<br />
Il faut, pour en saisir l’ampleur, s’immerger dans les artères<br />
bouillonnantes du marché Soumbédioune où tout se trouve,<br />
du poisson à la chaîne hi-fi, longer les locaux industriels de la<br />
baie de Hann qui, concentrant 80 % des industries de Dakar,<br />
semblent ne jamais dormir. Il faut prendre la pleine mesure du<br />
secteur informel qui occupait en 2013 un Dakarois actif sur<br />
deux, entre motos-taxis, vendeurs à la sauvette et restaurants<br />
clandestins. Le crépuscule venu, il faut s’attarder aux abords de<br />
la plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest, nommée Les Chemins<br />
du paradis, vers laquelle convergent des milliers de fidèles.<br />
Il faut enfin, sans craindre les contrastes, s’enfoncer dans la nuit<br />
et écumer la Corniche, où la jeunesse dorée vogue de club en<br />
club jusqu’à l’aube.<br />
Dakar abrite des mondes qui se frôlent parfois, mais se<br />
croisent rarement. L’apparent dynamisme de la capitale cache<br />
mal une ségrégation sociospatiale marquée, dont l’origine<br />
remonte aux politiques hygiénistes du temps des colonies. Une<br />
épidémie de peste servira de prétexte pour mettre à l’écart les<br />
populations indigènes. Le quartier de la Medina est ainsi créé<br />
en 1914, séparé du Plateau par un cordon sanitaire. L’inopérabilité<br />
des visions planificatrices du développement urbain<br />
au cours de la deuxième moitié du XX e siècle fera perdurer la<br />
dichotomie sociospatiale à Dakar. L’enjeu, actuel, est celui du<br />
vivre-ensemble.<br />
ÉTALEMENT URBAIN DIFFÉRENCIÉ<br />
Dans les années 1970, la cité implose. Les<br />
intenses sécheresses qui sévissent au Sénégal<br />
ainsi que les mirages de la capitale provoquent un<br />
exode rural massif. Entre 1955 et 1976, la population<br />
de la région de Dakar triple pour atteindre<br />
799 000 habitants. Précaires, les néo-arrivants<br />
s’installent de façon illégale dans une zone non<br />
ædificandi inondable : la Grande Niaye, une zone<br />
humide de dépression interdunaire où affleure la<br />
nappe phréatique mise en valeur par l’agriculture,<br />
mais alors majoritairement réserve de biodiversité.<br />
Y naissent les villes de Pikine et Guédiawaye,<br />
situées à une quinzaine de kilomètres du nord-est<br />
SADAK SOUICI/LE PICTORIUM<br />
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
La Chambre de commerce,<br />
d’industrie et d’agriculture<br />
est située sur la place<br />
de l’Indépendance, au cœur<br />
du quartier d’affaires du Plateau.<br />
ERICK CHRISTIAN AHOUNOU/AID<br />
de Dakar. Elles s’y étendent aussi. Au risque, chaque année,<br />
lors de la saison des pluies, que ses habitants se réveillent les<br />
pieds dans l’eau.<br />
À force de déguerpissements, d’assainissements et de relogements<br />
via la Société immobilière du Cap-Vert (SICAP) et la<br />
Société nationale des habitations à loyer modéré (SNHLM), une<br />
partie des habitants a pu s’installer dans l’extension de Pikine<br />
et, dans une moindre mesure, dans les immeubles des quartiers<br />
populaires, plus centraux, de SICAP et de HLM. Il n’en demeure<br />
pas moins qu’en 2012, après les inondations, près de 75 % des<br />
400 000 habitants du quartier de Pikine Irrégulier Sud ont été<br />
portés sinistrés. Bien que des mesures de réduction des risques<br />
naturels aient été prises dans le cadre du Plan Sénégal Émergent<br />
(PSE) adopté en 2012, elles demeurent en deçà des réalités<br />
de l’urbanisation illégale, qui s’accroît encore aujourd’hui<br />
dans les zones à risque. Le département de Pikine a désormais<br />
dépassé celui de Dakar en nombre d’habitants – sans rattraper<br />
son niveau de vie. Transiter de Pikine aux Almadies, pour bien<br />
comprendre, revient à tenter un grand écart. Les quartiers résidentiels<br />
de l’ouest dakarois, prisé notamment par les expatriés<br />
occidentaux, sont le siège des couches nanties. Les rues arborées,<br />
pour la plupart carrelées ou goudronnées, font la belle<br />
place aux villas gardées par les sociétés de sécurité privées et<br />
aux 4x4 rutilants malgré la poussière ambiante – repoussée à<br />
la sueur du front des employés de maison. Près d’un tiers des<br />
Là où son dynamisme<br />
s’observe le mieux,<br />
c’est au quotidien,<br />
dans les rues<br />
que se partagent<br />
4 millions d’habitants.<br />
ménages des quartiers résidentiels percevaient en 2015 plus<br />
de 600 000 francs CFA (environ 910 euros), selon une enquête<br />
du sociologue Ibrahima Ndiaye, affilié à l’UCAD. À Pikine et à<br />
Guédiawaye, cette part plafonnait à 2 %. Aussi, lorsque l’on met<br />
en corrélation la disparité des revenus avec l’intense pression<br />
immobilière dont Dakar fait l’objet, on a l’impression d’écouter<br />
l’histoire du serpent qui se mord la queue. Entraînée par une<br />
augmentation des loyers de 256 % par rapport à 1994, la dynamique<br />
de perpétuation des discriminations sociospatiales ne<br />
connaît, pour le moment, pas de frein. Année après année, la<br />
ville pousse les classes les plus pauvres dans ses marges. Et cela,<br />
même alors que le Plan directeur d’urbanisme (PDU) de Dakar<br />
à l’horizon de 2035 prône l’inclusivité.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 55
URBANITÉ<br />
REDESSINER LA VILLE<br />
Dakar pourrait pourtant bien tirer son épingle du jeu<br />
en renversant les notions mêmes de centre et de périphérie.<br />
Aujourd’hui, la concentration monopolaire des activités de<br />
commerces et de services met sous pression une infrastructure<br />
urbaine qui se caractérise par de monstrueux embouteillages<br />
pendulaires. Chaque matin, la ville est témoin de migrations<br />
massives des travailleurs issus des quartiers populaires convergeant<br />
vers le Plateau. Se retrouver dans l’interminable file de<br />
voitures s’étirant sur la Corniche, lundi matin sous un soleil<br />
de plomb, coupe l’envie de se perdre dans la contemplation<br />
de l’océan.<br />
L’heure n’est pourtant pas à la fatalité. Avec la mise en<br />
service du Train express régional (TER), le 27 décembre dernier,<br />
le président Macky Sall a posé la première pierre d’un<br />
vaste projet de restructuration des modes de communication<br />
dans la capitale. Le tracé relie la gare centrale de Dakar à<br />
Pikine, la ville encore en projet de Diamniadio [voir encadré<br />
ci-dessous], puis, à terme, l’AIBD. Selon les chiffres officiels,<br />
115 000 passagers quotidiens pourraient profiter des services<br />
hypermodernes du TER – reste à savoir si le prix plancher<br />
de 500 francs CFA (0,76 euro) du billet ne sera pas trop onéreux<br />
pour la frange populaire des habitants, habituée aux<br />
faibles tarifs des cars rapides et des bus Tata. Afin d’épauler le<br />
TER dans sa mission de désengorgement des axes routiers, la<br />
municipalité planche aussi sur un projet de Bus Rapid Transit<br />
(BRT), dont les navettes circuleront dans des corridors réservés.<br />
En 2022, elles relieront les communes de Keur Massar,<br />
Guédiawaye, Pikine Nord et Dakar. Le chiffre de 300 000 usagers<br />
quotidiens est avancé [voir pp. 40-41].<br />
Faciliter la mobilité dans l’agglomération : l’objectif est<br />
assumé. Mieux encore, en cascade, son accomplissement<br />
favoriserait la décentralisation et l’émergence de deux nouveaux<br />
pôles de croissance urbaine, Diamniadio et Daga Kholpa.<br />
Si le premier est en phase de devenir réalité à l’horizon de 2024,<br />
le second se heurte, pour l’heure, aux résistances des habitants.<br />
Ceux-ci ne s’estiment pas assez concertés et craignent<br />
des spoliations de territoire. Et ce, bien que le PDU indique<br />
« la coexistence des villages existants et des zones urbaines<br />
modernes » dans un territoire de 3 891 hectares, qui n’accueillait<br />
en 2020 que 33 000 habitants… et dont l’aménagement<br />
vise à en accueillir 190 000.<br />
Une densité qui pèse aussi sur les questions agricoles. Alors<br />
que l’alimentation représente près de 50 % des dépenses des<br />
ménages modestes, l’agriculture périurbaine est menacée. En<br />
cause, l’extension du bâti, l’appauvrissement des sols dû à la<br />
pollution et les difficultés d’accès à l’eau. « Comment imaginer<br />
l’avenir d’une métropole comme Dakar sans la conditionner<br />
à une agriculture […] qui permette de concilier la sécurité<br />
foncière et écologique des territoires ? », alertait en 2015 la<br />
Fondation Nicolas Hulot à l’origine d’un rapport réalisé avec<br />
le GRDR. La région, pourtant, ne manque pas de potentiel.<br />
Située sur la zone humide et fertile des Niayes, elle fournit<br />
un tiers de la production agricole nationale en maraîchage<br />
et approvisionne la ville à plus de 90 % de sa consommation<br />
en fruits et légumes, selon le dernier recensement national<br />
de l’agriculture en 2013. Face à l’importation des produits de<br />
première nécessité comme le riz, dont 70 % de la consommation<br />
dakaroise provient d’Asie, la préservation des surfaces<br />
d’agriculture périurbaine devient indispensable.<br />
Désengorgement et décentralisation, donc, sont les maîtresmots<br />
d’une nouvelle politique de gouvernance qui œuvre<br />
également pour préserver l’écosystème mis sous pression par<br />
l’anthropisation de la région de Dakar, dont près de 97 % de<br />
Diamniadio, la cité qui s’invente<br />
Située au carrefour de<br />
l’agglomération dakaroise et<br />
du reste du pays, Diamniadio<br />
cristallise les espoirs d’une<br />
réponse à une urbanisation devenue<br />
incontrôlable. Un projet pharaonique<br />
de 1644 hectares adossé à une Zone<br />
économique spéciale intégrée (ZESI).<br />
Voilà ce que promet l’État du Sénégal,<br />
qui a déjà déboursé 600000 milliards<br />
de francs CFA (914 millions d’euros)<br />
dans la phase de démarrage du<br />
projet – les opérateurs privés, pour la<br />
plupart turcs, chinois et sénégalais,<br />
ont, eux, pris le relais en 2020 de<br />
la phase de développement. Le futur<br />
pôle urbain devrait, à terme, compter<br />
300 000 habitants. « Diamniadio<br />
servira de modèle urbain pour<br />
le Sénégal, en tant que ville<br />
soigneusement planifiée », assure la<br />
Délégation générale à la promotion des<br />
pôles urbains (DGPU), en charge du<br />
suivi opérationnel. Reste qu’une ville,<br />
si elle peut s’inventer, doit devenir un<br />
objet de désir pour ses futurs habitants.<br />
La présence de voisins prestigieux<br />
pourrait enjoindre les Dakarois<br />
à franchir le pas : la Dakar Arena,<br />
ce complexe sportif multifonctionnel<br />
de 15 000 places, est l’un d’eux. La<br />
nouvelle université Amadou Makhtar<br />
Mbow, la Cité ministérielle et la<br />
Maison des Nations unies aussi. Quant<br />
à la qualité de vie d’une cité scindée en<br />
deux par l’autoroute, la DGPU l’assure :<br />
Diamniadio sera durable. La ville sera<br />
dotée en infrastructures faisant la<br />
part belle à la mobilité douce et aux<br />
espaces verts. Résiliente, elle sera<br />
équipée notamment de technologies<br />
de surveillance et de planification<br />
56 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
la surface est urbanisée. Une goutte d’eau, diront certains, au<br />
regard des enjeux écologiques auquel la capitale fait déjà face.<br />
Dakar serait en passe de devenir une bombe écologique. La<br />
plage de Yoff, située au nord, sur la commune éponyme, en est<br />
l’un des symboles. Mis de côté les sportifs, les promeneurs, les<br />
mouettes par le poisson alléchées et le soleil couchant, restent<br />
les déchets domestiques. Ceux déchargés sauvagement. Ceux<br />
drainés par les flots. Pour pallier la pression toujours plus<br />
grande que les déchets solides impriment sur la capitale, la<br />
municipalité a lancé en 2019 la campagne citoyenne « Dakar<br />
ville propre ». Chaque parcelle de quartier nettoyée par ses<br />
habitants est abondamment partagée sur les réseaux sociaux,<br />
non sans soulever quelques interrogations – les bonnes volontés<br />
des Dakarois ne s’avèrent-elles pas insuffisantes si elles ne<br />
sont pas adossées à une solide gouvernance publique ? Que<br />
peut faire de plus l’Unité de coordination de la gestion des<br />
déchets solides (UCG) ? L’organisme compétent dans la collecte<br />
et la prise en charge de 2 100 tonnes de déchets quotidiens n’a<br />
d’autre choix que d’envoyer ceux-ci dans les 75 hectares de la<br />
décharge à ciel ouvert de Mbeubeuss, adossée à l’une des plus<br />
grandes zones maraîchères de la région, dans la commune de<br />
Malika. Aucun remplaçant crédible n’a, pour l’heure, été trouvé<br />
à Mbeubeuss, bien qu’un site d’enfouissement des déchets, plus<br />
écologique, ait été ouvert en 2015 dans la commune de Sindia,<br />
soixante kilomètres au sud de la ville.<br />
FACE À SON ENVIRONNEMENT<br />
Si Dakar salit, Dakar consomme aussi – de l’eau et de l’électricité,<br />
en des quantités toujours plus importantes. La demande<br />
en électricité était estimée à 348 MW en 2013. Les projections<br />
indiquent plus du quintuple à l’horizon de 2035, soit 1 810 MW.<br />
Quant à l’eau, alors que les ménages consommaient en moyenne<br />
près de 280 000 m 3 d’eau par jour, le PDU table sur le double en<br />
2035, soit 595 000 m 3 . Les installations peinent pourtant déjà<br />
à tenir le choc. La société Sen’Eau, opérée par le groupe français<br />
Suez, qui gère et exploite la distribution de l’eau au Sénégal<br />
depuis 2020, doit régulièrement s’excuser via les réseaux<br />
sociaux : les travaux de maintenance sur le système d’approvisionnement<br />
sous-dimensionné occasionnent des pénuries à<br />
Dakar depuis quelques années. En cause, aussi, un manque de<br />
diversification des ressources : la consommation des ménages<br />
dépend à 45 % du lac de Guiers, situé à plus de 250 kilomètres<br />
au nord de la capitale. Les 55 % restants proviennent des<br />
forages puisant dans les nappes phréatiques de Thiaroye et<br />
de Pout, dans la région de Dakar – des nappes surexploitées<br />
et surpolluées qui, en l’absence d’un réseau d’assainissement<br />
suffisant, sont caractérisées par un taux de nitrate et de matière<br />
fécale dans des taux 10 fois supérieurs à ceux recommandés<br />
par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour tenter de<br />
diversifier les sources de production, une usine de dessalement<br />
d’eau dans le quartier des Mamelles a été financée par l’Agence<br />
japonaise de coopération internationale (JICA). Sa capacité de<br />
100 000 m 3 quotidienne pourrait soulager des nappes phréatiques<br />
rendues exsangues par la soif d’une ville insatiable.<br />
C’est sans doute là le prix fort que Dakar doit payer.<br />
Son rayonnement et la polarisation dont la ville fait l’objet<br />
aujourd’hui risquent de la déconnecter de son écosystème<br />
qui, pourtant, ne cesse de se rappeler à elle. Après de folles<br />
années caractérisées par l’euphorie des débuts, la capitale,<br />
afin de conserver son aura et offrir à ses habitants un cadre<br />
de vie digne de la teranga sénégalaise, n’a plus d’autre choix<br />
que d’entrer de plain-pied dans l’âge de raison en se dotant<br />
d’une gouvernance solide – et ainsi faire face à son cortège<br />
de responsabilités. ■<br />
La prestigieuse<br />
Dakar Arena,<br />
complexe<br />
sportif de<br />
15 000 places.<br />
SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA<br />
intelligentes, afin de s’adapter<br />
aux inondations et au changement<br />
climatique. Inclusive, enfin, elle<br />
proposera 15 000 habitations à loyer<br />
modéré. Les louables intentions des<br />
plaquettes commerciales, cependant,<br />
ne font aucune mention de la pression<br />
mise sur l’économie locale et des<br />
expropriations des agriculteurs dont<br />
les exploitations préexistaient à<br />
l’implantation de la ville futuriste. Les<br />
conflits fonciers, s’ils étaient résolus,<br />
pourraient bien ouvrir la voie à Dakar<br />
qui, en préparant son futur, aurait<br />
aussi tiré des leçons de son passé. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 57
PLAN SÉNÉGAL EMERGENT<br />
Image virtuelle<br />
du futur terminal<br />
à conteneurs du<br />
port multifonction<br />
deNdayane.<br />
Un Port du Futur<br />
à Ndayane<br />
Distance entre<br />
leport de Dakar et<br />
le port de Ndayane<br />
(50km) sur la côte.<br />
La société nationale du Port Autonome<br />
de Dakar, par une convention<br />
datée du 8 octobre 2007, a<br />
concédé à DP World FZE l’aménagement,<br />
l’équipement, l’exploitation, la<br />
gestion et la maintenance des terminaux<br />
à conteneurs existant en zone<br />
nord du Port de Dakar (premier volet<br />
du projet comprenant une superficie de<br />
29 hectares pour une durée de 25 ans<br />
renouvelable).<br />
Ladite convention prévoyait, à partir<br />
d’un seuil de trafic de 412 000 EVP qui<br />
serait atteint dès 2009, la construction,<br />
à proximité de l’actuel Port de Dakar,<br />
Objectifs du projet<br />
Ce port de commerce sera réalisé<br />
en trois phases :<br />
➔ Phase 1 : Terminal à conteneurs<br />
et terminal RORO<br />
➔ Phase 2 : Terminal<br />
conventionnel destiné au vrac<br />
alimentaire et autres trafics<br />
➔ Phase 3 : Création d’une zone<br />
logistique portuaire (zone<br />
économique spéciale)
Terminal à<br />
conteneurs avec<br />
une augmentation<br />
du trafic EVP.<br />
du Port du Futur, à partir de 2009 pour<br />
être opérationnel en 2012. La croissance<br />
soutenue du trafic, la congestion,<br />
le tirant d’eau très limité, l’atteinte des<br />
limites du volume de la concession du<br />
terminal à conteneurs prévu en 2021, le<br />
manque de réserve foncière sur le site<br />
actuel du Port de Dakar, font du Port<br />
de Ndayane un projet incontournable<br />
pour l’adaptation et le développement<br />
de l’offre portuaire du Sénégal. Le projet<br />
de construction du développement<br />
du Port du Futur ou Port de Dakar à<br />
Ndayane est une partie intégrante du<br />
Plan Sénégal Emergent (PSE).<br />
Infrastructure maritime<br />
➔ Un chenal de 5 kilomètres<br />
➔ Intérieur : 18,7 mètres de<br />
profondeur et 164 mètres de large<br />
➔ Extérieur : 21,5 mètres de<br />
profondeur et 266 mètres de large<br />
➔ Un épi de 1 300 mètres de long<br />
(à partir du mur de quai)<br />
➔ Un bassin d’évitage de 600 mètres<br />
et 18,7 mètres de profondeur<br />
➔ Une zone de mouillage au large<br />
de 18,5 kilomètres de diamètre<br />
Les composantes du projet<br />
Développer une plate-forme logistique<br />
portuaire moderne et performante pourra<br />
satisfaire aux tendances lourdes de l’environnement<br />
et aux objectifs nationaux<br />
etrégionaux :<br />
➔ Créer un hub logistique moteur du PSE<br />
➔ Une plate-forme portuaire moderne<br />
➔ Décongestionner la ville de Dakar<br />
➔ Créer de nouveaux pôles de<br />
développement économique<br />
Image 3D<br />
du terminal<br />
àconteneurs.<br />
PUBLI-REPORTAGE
interview<br />
Baïdy Agne<br />
« Lorsque<br />
les entreprises<br />
s’unissent,<br />
tout est<br />
possible »<br />
Croissance, emploi, exportation,<br />
agriculture, numérique…<br />
Le président du Conseil national<br />
du patronat se montre confiant.<br />
propos recueillis par Zyad Limam<br />
<strong>AM</strong> : La transformation structurelle, l’amélioration de la<br />
productivité et la compétitivité du secteur privé sont au<br />
cœur du Plan Sénégal Emergent (PSE). En cette période<br />
pandémique, les priorités ont-elles changé ? Le secteur<br />
privé reste-t-il le moteur principal de l’émergence ?<br />
Baïdy Agne : Les crises mondiales dévoilent l’architecture<br />
ainsi que les fractures des systèmes économiques, financiers et<br />
sociaux. La pandémie de Covid-19 a mis en exergue notre forte<br />
capacité nationale de résilience économique et à faire face aux<br />
urgences sanitaires, à mobiliser des ressources financières pour<br />
préserver notre secteur productif national et les emplois. Les<br />
orientations du PSE n’ont pas changé, par contre il a été surtout
DR
INTERVIEW<br />
question d’accélérer la mise en œuvre des politiques sectorielles<br />
visant trois objectifs : réduire notre fragilité et notre dépendance<br />
extérieure des secteurs vitaux tels que la santé, l’alimentation,<br />
l’énergie ; atteindre les 17 Objectifs de développement durable<br />
(ODD) au cœur de l’Agenda 2030 ; et renforcer la présence du<br />
secteur privé national dans le secteur productif tout en rendant<br />
attractif plus d’investissement direct étranger. Cela s’est traduit<br />
par une mise à niveau du cadre réglementaire et juridique de<br />
contractualisation des projets de partenariat public-privé (PPP),<br />
mais aussi par une responsabilisation plus grande du secteur<br />
privé national dans la réalisation des projets structurants du PSE.<br />
La forte croissance économique depuis 2013-2014,<br />
par rapport aux longues années de stagnation<br />
précédentes, a-t-elle bénéficié, d’une manière ou<br />
d’une autre, aux entreprises privées sénégalaises ?<br />
La dynamique forte de croissance<br />
économique constatée entre 2013 (3,5 %)<br />
et 2014 (6,2 %), puis maintenue jusqu’à<br />
l’avènement de la pandémie de Covid-<br />
19, nous a donné une moyenne d’environ<br />
6,5 % de croissance du PIB. Cette<br />
trajectoire de croissance, qui en fait<br />
l’un des pays d’Afrique subsaharienne<br />
les plus performants, témoigne d’une<br />
amorce de la transformation structurelle<br />
sous-tendue par des réformes axées sur<br />
l’amélioration du climat de l’investissement,<br />
de la gouvernance et des investissements.<br />
Cette période correspond<br />
également à la mise en œuvre du PSE,<br />
qui a eu un impact positif sur les entreprises<br />
privées sénégalaises des secteurs<br />
d’activité tels que le BTP, le transport,<br />
l’hôtellerie et la restauration, l’industrie<br />
Il suffit<br />
de prendre<br />
conscience<br />
des nouveaux<br />
enjeux et défis<br />
mondiaux,<br />
et ensuite,<br />
d’agir avec<br />
l’État.<br />
et l’agro-industrie, le commerce, l’agriculture, la pêche, les services,<br />
etc. Bien entendu, les performances enregistrées par les<br />
entreprises privées sont aussi tributaires de facteurs comme le<br />
processus managérial et la gouvernance interne.<br />
Le Sénégal figurait à la 123 e place dans le classement<br />
du Doing Business en 2020. Cela reflète encore<br />
les difficultés de fonctionnement et de compétitivité<br />
du secteur privé. Quels sont les principaux<br />
écueils auxquels vous devez faire face ?<br />
Le Sénégal a en effet été classé 123 e , mais il faut noter le<br />
progrès par rapport au classement de 2019, où nous occupions<br />
la 141 e place. Le Doing Business n’est pas un indicateur de<br />
compétitivité et de performances économiques ni des entreprises<br />
ni des pays. Il permet avant tout d’apprécier l’évolution d’une<br />
catégorie bien déterminée de réformes sur l’environnement<br />
des affaires, dont celles portant sur la création d’entreprises<br />
et la protection des investisseurs. Pour ce qui est du Sénégal,<br />
il a été possible d’améliorer notre climat des affaires et surtout<br />
de prendre en compte les préoccupations du secteur privé. De<br />
nouvelles juridictions commerciales ont été mises en place,<br />
permettant de désengorger nos tribunaux avec un traitement<br />
plus rapide des contentieux commerciaux. La dématérialisation<br />
des services à l’entreprise a aussi été faite, notamment les<br />
télédéclarations et télépaiements aussi bien fiscaux que douaniers.<br />
Et vous avez les cadres législatifs, réglementaires et juridiques<br />
relatifs à des secteurs comme le pétrole et le gaz, l’électricité,<br />
les contrats de PPP, etc. Une plus grande importance est donnée<br />
à la promotion et au renforcement des capacités du secteur<br />
privé national, à travers des textes et instruments régissant<br />
la notion de « contenu local » dans des secteurs stratégiques<br />
de croissance inclusive que nous impulsons dans le cadre<br />
d’un dialogue public-privé conséquent, et<br />
surtout suite à une directive du chef de l’État,<br />
Macky Sall. Ce mouvement de réformes sur<br />
l’environnement des entreprises est permanent,<br />
autant que l’exige la mondialisation. Ce qui<br />
compte, c’est le renforcement de nos capacités<br />
productives pour mieux nous insérer dans<br />
l’économie-monde.<br />
De nombreux observateurs soulignent<br />
le rôle encore très largement<br />
dominant de l’État, du secteur public,<br />
des entreprises publiques, le poids<br />
d’une réglementation contraignante.<br />
Quelle est votre analyse ?<br />
Je ne pense pas que l’on puisse parler de<br />
prédominance de l’État en ce qui concerne<br />
les activités marchandes. Au contraire, notre<br />
pays s’est lancé très tôt dans des contrats de<br />
délégations pour la gestion de services publics<br />
et le développement des infrastructures. Je rappelle ainsi que,<br />
déjà, en 1996, il y avait un contrat d’affermage dans le secteur<br />
de l’eau. Puis nous avons eu divers build-operate- transfer<br />
(BOT) ou build-own-operate-transfer (BOOT) dans d’autres<br />
secteurs comme ceux de l’électricité, des infrastructures, etc.<br />
Ensuite, nous sommes passés à une nouvelle étape, avec des<br />
contrats de concessions portuaires, aéroportuaires et routières,<br />
ainsi que des contrats PPP plus adaptés à notre économie. Dire<br />
aujourd’hui que la réglementation est contraignante, ce n’est pas<br />
mon avis, et ce d’autant plus que nous disposons d’une nouvelle<br />
loi PPP avec ses décrets d’application.<br />
Doit-on favoriser le secteur informel ? Faut-il<br />
le formaliser, et si oui, de quelle manière ?<br />
C’est un débat essentiel et complexe. L’attractivité de l’informel<br />
repose sur sa flexibilité et sur sa rapide capacité d’adaptation<br />
aux réalités socio-économiques nationales. La migration<br />
62 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
SYLVAIN CHERKAOUI - SYLVAIN CHERKAOUI POUR JEUNE AFRIQUE<br />
des activités informelles vers le formel,<br />
elle, est perçue en général sous<br />
deux angles : celui de la fiscalité et<br />
celui de la protection sociale au sens<br />
large. Ce qui est, à mon avis, important,<br />
c’est déjà de circonscrire le secteur<br />
informel que l’on pourrait aider<br />
à migrer dans un premier temps. Et<br />
là, je pense aux acteurs qui évoluent<br />
principalement dans la pêche, l’agriculture,<br />
l’élevage et l’artisanat. Ils le pays, le secteur privé doit<br />
À Dakar comme dans tout<br />
être le principal pourvoyeur<br />
regroupent une population d’actifs<br />
d’emplois.<br />
particulièrement jeunes, qu’il faut<br />
davantage former et aider à s’insérer<br />
dans l’activité économique. Cela veut dire<br />
agir sur les leviers suivants : un meilleur accès<br />
aux marchés, y compris la commande publique ;<br />
un encadrement technique approprié pour satisfaire<br />
les exigences des marchés ; des instruments<br />
financiers adaptés à leurs activités ; un régime<br />
fiscal simple et à leur portée ; une base minimale<br />
et évolutive de cotisation sociale couvrant un<br />
minimum de droits sociaux.<br />
Comme souvent en Afrique, l’accès<br />
au financement reste un frein majeur<br />
au développement normal des PME<br />
du pays. Comment peut-on adresser<br />
cette question essentielle ?<br />
C’est vrai, c’est une problématique réelle.<br />
Elle se pose principalement à trois niveaux : les<br />
taux d’intérêt, la durée des crédits, et les sûretés<br />
réelles et personnelles exigées. Alors, là où les PME vous<br />
diront que le coût de l’emprunt est trop élevé et difficilement<br />
supportable, les établissements financiers répondront qu’ils sont<br />
tenus de respecter les ratios prudentiels obligatoires et qu’ils ne<br />
disposent pas assez de ressources longues. C’est donc une situation<br />
assez complexe. À mon avis, l’une des difficultés majeures<br />
provient des accords successifs de Bâle I, II, III et IV. Il s’agit de<br />
normes prudentielles internationales, avec des argumentaires<br />
du risque de crédit, du risque de marché et du risque opérationnel,<br />
qui sont portées à un niveau optimal et qui ne se justifient<br />
pas pour nos pays. Le nœud à dénouer est certainement là. Il<br />
faudra ensuite y ajouter des instruments financiers innovants et<br />
des mécanismes de soutien à l’investissement privé.<br />
Comment concilier « inclusivité sociale », lutte contre<br />
la pauvreté et développement du secteur privé ?<br />
Il suffit de prendre conscience des nouveaux enjeux et défis<br />
mondiaux : la transformation numérique, la nouvelle économie<br />
climatique et le développement durable, le dividende démographique<br />
à capter. Ensuite, il faut agir ensemble, l’État et le secteur<br />
Le Sénégal se positionne<br />
activement sur le secteur<br />
des nouvelles technologies.<br />
privé partageant une vision prospective créatrice de valeur ajoutée<br />
durable et d’emplois décents, agissent ensemble.<br />
Au Sénégal comme dans de nombreux pays émergents,<br />
on assigne au secteur privé une mission d’ampleur<br />
historique : absorber le chômage. Est-ce réaliste ?<br />
Pour nous, il n’y a rien d’historique. Il est tout à fait normal<br />
que le secteur privé soit le principal pourvoyeur d’emplois. Et<br />
dans tous les pays du monde, la création d’emplois dans le secteur<br />
public est fonction du budget national, lui-même dépendant<br />
de diverses ressources, dont la contribution des entreprises.<br />
Comment, selon vous, peut-on gérer le volet<br />
démographique de cette équation ?<br />
En mettant en place, justement, un environnement incitatif<br />
à l’investissement privé et à la création de plus d’emplois-jeunes.<br />
Lors du Conseil présidentiel sur l’insertion des jeunes, j’ai eu<br />
à présenter plusieurs propositions visant à soutenir et accompagner<br />
notre jeunesse nombreuse vers le monde du travail :<br />
intégration de nouveaux critères relatifs à l’emploi et à la<br />
formation des jeunes dans la contractualisation des marchés<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 63
INTERVIEW<br />
publics pour les entreprises, réactualisation de la convention<br />
État-employeurs, accélération de la mise en place des agropoles<br />
pourvoyeurs d’emplois, réalisation du programme de<br />
100 000 logements sociaux – une niche de création de milliers<br />
d’emplois –, renforcement des capacités du dispositif de financement<br />
de la formation professionnelle, mise en œuvre au niveau<br />
national du programme de formation école-entreprise, développement<br />
intensif d’emplois verts avec le projet de la Grande<br />
muraille verte, promotion de solutions pédagogiques de masse<br />
portant sur les métiers agricoles et d’artisanat en utilisant des<br />
simulateurs virtuels, développement de call centers, etc.<br />
De nombreux États, comme le Maroc ou la Tunisie<br />
ont construit leur modèle sur le développement<br />
d’un secteur export performant. Les exportations<br />
traditionnelles, comme l'arachide, sont en relative perte<br />
de vitesse. Quels sont les secteurs porteurs dorénavant ?<br />
Non, l’arachide n’est pas en perte de vitesse à l’exportation.<br />
Au contraire, nous faisons face à une demande exponentielle si<br />
forte de la Chine et d’autres pays d’Asie que<br />
nous avons été obligés de mettre en place un<br />
dispositif pour assurer un minimum d’approvisionnement<br />
à notre industrie locale<br />
et avoir un stock de semencier de sécurité.<br />
Le Sénégal est aussi, toujours, un grand<br />
exportateur de phosphates, d’acide phosphorique,<br />
de produits de la pêche, auxquels<br />
il faut aujourd’hui ajouter l’or et des produits<br />
miniers. Nous disposons également<br />
de secteurs très compétitifs à l’export tels<br />
que l’industrie, le numérique, les télécommunications,<br />
le BTP, etc.<br />
On évoque souvent le potentiel<br />
agricole du pays, et donc<br />
la possibilité de structurer<br />
un véritable secteur agro-industriel…<br />
Nous disposons de terres arables et de ressources en eau<br />
importantes. Nous devons juste continuer notre politique<br />
d’investissement dans ces zones, en formant aussi notre jeunesse<br />
à la pratique d’une agriculture irriguée et un élevage<br />
moderne. Il faut poursuivre la réalisation des infrastructures<br />
de base pour intensifier les flux d’échanges entre nos villes et<br />
leurs hinterlands. Il y a les questions sensibles et inhérentes<br />
au cadastre rural et à la sécurisation foncière. Le projet des<br />
Agropoles Centre, Sud et Nord du PSE contribuera au renforcement<br />
de l’industrialisation du Sénégal à travers les chaînes<br />
de valeur agricoles, la mise à disposition d’infrastructures<br />
durables et d’équipements d’exploitation. Elles réduiront les<br />
disparités entre les régions et créeront les conditions favorables<br />
à des investissements vecteurs de compétitivité. Il faut ainsi<br />
accélérer leur mise en œuvre et en faire, à travers un régime<br />
incitatif à l’investissement privé, un dispositif à haute intensité<br />
de main-d’œuvre.<br />
Le Sénégal se positionne progressivement<br />
sur le secteur des nouvelles technologies et des<br />
industries numériques. Avons-nous l’environnement<br />
J’ai<br />
toujours prôné<br />
le patriotisme<br />
économique<br />
auprès des<br />
hautes autorités<br />
du pays.<br />
nécessaire, les avantages compétitifs ?<br />
S’il y a bien un secteur dynamique où il existe toutes les<br />
compétences professionnelles nationales de qualité et un savoirfaire<br />
qui n’a rien à envier au reste du monde, c’est bien celui-là.<br />
D’ailleurs, l’Organisation professionnelle des technologies de l’information<br />
et de la communication (OPTIC) a réalisé au mois de<br />
septembre 2021 le 1 er salon virtuel immersif de l’économie numérique<br />
en Afrique subsaharienne. Et je souligne que, lorsque la<br />
pandémie sanitaire est venue, nos professionnels du numérique<br />
ont mis en place toutes les plates-formes nécessaires à une gestion<br />
efficiente en partenariat avec les ministères en charge de la<br />
Santé et du Numérique. Quant à l’environnement du numérique,<br />
il est compétitif avec non seulement la qualité de nos infrastructures<br />
de télécommunications, mais<br />
aussi la richesse du dialogue publicprivé,<br />
qui a permis de concevoir très<br />
tôt la stratégie Sénégal numérique<br />
2025 et de mettre en place un Conseil<br />
national du numérique. Aujourd’hui,<br />
nos professionnels du numérique sont<br />
engagés dans la réflexion visant l’élaboration<br />
d’une stratégie nationale sur<br />
l’intelligence artificielle. Et il y a déjà<br />
tout un dispositif législatif et réglementaire<br />
pour l’émergence et le développement<br />
des start-up.<br />
Comment soutenir le secteur<br />
privé sénégalais par rapport aux<br />
grands groupes internationaux ?<br />
Comment définir le nécessaire équilibre ?<br />
J’ai toujours prôné le patriotisme économique auprès des<br />
plus hautes autorités de notre pays. Une prise en compte de<br />
notre environnement socio-économique est nécessaire dans la<br />
promotion des entreprises locales. Lorsque les sociétés privées<br />
sénégalaises acceptent d’unir leurs forces, de se constituer en<br />
conglomérat national, tout est possible. Ensemble, nous sommes<br />
capables de répondre à certains grands appels d’offres, prouvant<br />
ainsi notre capacité à satisfaire les conditions requises, à<br />
nouer des partenariats et alliances stratégiques nécessaires à<br />
la réalisation des investissements et de l’exploitation dans les<br />
contrats d’achat ou de production, et à réduire la dépendance<br />
extérieure de notre secteur productif. Comme je l’ai souligné<br />
précédemment, la loi sur le contenu local et la loi sur les PPP<br />
sont aujourd’hui des dispositifs qui accordent une place particulière<br />
à la promotion du secteur privé national.<br />
64 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Des seccos d’arachides, durant la période de récolte, dans la région du Sine Saloum.<br />
MICHEL RENAUDEAU/ONLYWORLD.NET<br />
Le pétrole et le gaz sont-ils des game changers ?<br />
La découverte d’importants gisements de pétrole et de<br />
gaz a conduit à une réflexion sur l’optimisation du contenu<br />
local. Des rencontres ont été organisées avec l’ensemble des<br />
acteurs socio-économiques du pays pour faire profiter à toutes<br />
les couches de notre population les retombées attendues. Cette<br />
richesse en ressources offre à notre pays de nouvelles opportunités,<br />
mais présente aussi des risques qu’il va falloir circonscrire.<br />
Certains pays s’engagent dans une politique<br />
de soutien et de construction de « champions<br />
nationaux », de construction d’entreprises d’une taille<br />
suffisante. A-t-on la même approche au Sénégal ?<br />
Au Sénégal, il n’y a pas de politique particulière de construction<br />
de champions nationaux comme vous le sous-entendez.<br />
La question préalable de la détermination des critères de choix<br />
dans ce genre de politique est extrêmement importante et<br />
sensible. Cependant, je peux vous assurer que nos fleurons<br />
nationaux, nos porte-drapeaux étoilés, existent et sont bien là.<br />
Ils innovent, investissent et rachètent des entreprises. Ils s’exportent<br />
dans de nombreux pays africains et font la fierté de leurs<br />
compatriotes sénégalais.<br />
Quelles qualités faut-il pour être<br />
un entrepreneur au Sénégal ?<br />
L’entrepreneur sénégalais évolue dans un environnement en<br />
perpétuelle mutation. À ce titre, il doit développer des qualités<br />
propres aux marchés national et sous-régional, et essayer ainsi<br />
d’avoir ce pas d’avance sur la concurrence. Il lui est conseillé<br />
d’agencer toutes les idées qui concernent son projet et de les<br />
approfondir point par point. Il est également indispensable de<br />
s’entourer, dès la phase préparatoire, d’experts-conseils qui<br />
l’appuieront dans la validation de la cohérence économique,<br />
financière et juridique du projet. C’est pourquoi nous avons<br />
aussi fait du développement du mentorat un élément essentiel<br />
de notre dispositif d’accompagnement et d’encadrement des<br />
jeunes entrepreneurs.<br />
Si vous deviez conseiller un(e) jeune futur(e)<br />
entrepreneur(e), quels seraient, selon vous,<br />
les grands secteurs d’avenir où investir :<br />
éducation, tourisme, agriculture, immobilier ?<br />
Les secteurs où investir sont nombreux au Sénégal. Ils vont<br />
de l’agriculture à la pêche, en passant par l’élevage, l’artisanat,<br />
le BTP, le tourisme et les industries culturelles, le transport,<br />
l’économie numérique, les services, ou encore le sport…<br />
Aujourd’hui, notre jeunesse représente une force productive<br />
indispensable à l’amélioration des performances économiques<br />
et sociales de notre pays. C’est pourquoi le développement<br />
de l’auto- entrepreneuriat chez les jeunes peut déboucher en<br />
quelques années sur une TPE/PME, avec un chiffre d’affaires<br />
plus conséquent et une meilleure inclusion dans l’écosystème<br />
économique. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 65
interview<br />
Sahid Yallou<br />
« Vous pouvez investir<br />
en toute confiance »<br />
Selon le directeur général d’Ecobank Sénégal, filiale du premier<br />
groupe bancaire de la zone Union économique et monétaire ouest-africaine<br />
(UEMOA), les conditions institutionnelles favorisent un bon climat<br />
d’affaires. Celui-ci est porté par d’encourageantes transformations<br />
structurelles dans les secteurs du digital et des énergies.<br />
propos recueillis par Jérémie Vaudaux<br />
<strong>AM</strong> : Quelle est l’approche spécifique d’Ecobank<br />
sur le Sénégal ? Que représente ce marché pour<br />
la banque panafricaine ?<br />
Sahid Yallou : Ecobank n’a qu’un marché : l’Afrique. Le cœur<br />
de la stratégie de notre groupe est et restera le développement<br />
du secteur financier sur le continent. Dans ce sillage, le<br />
Sénégal représente un marché de premier ordre. En interne<br />
chez Ecobank, nous le qualifions de grand pays.<br />
Quels sont, du point de vue du banquier<br />
que vous êtes, les secteurs de l’économie<br />
dans lesquels investir ?<br />
En tant que destination économique, le Sénégal commence<br />
à montrer des signes d’une transformation structurelle, notamment<br />
grâce aux dépenses engagées par l’État dans des secteurs<br />
clés de l’énergie, du digital et, depuis très récemment, du pétrole<br />
et du gaz. Quand on considère également le pouvoir d’attraction<br />
de son secteur alimentaire à l’international, on peut noter le<br />
passage d’une agriculture au potentiel limité à un secteur<br />
bien structuré.<br />
Selon vous, l’État serait le moteur dans<br />
la transformation structurelle de l’économie ?<br />
Un certain nombre de dispositions législatives et réglementaires<br />
adoptées dernièrement semblent indiquer une continuité<br />
des politiques publiques. À ce titre, la loi sur le contenu local<br />
[amorcée en 2019 et visant à mettre en place un dispositif législatif,<br />
réglementaire et institutionnel relatif au contenu local dans<br />
le secteur des hydrocarbures, ndlr] est significative dans la poursuite<br />
de l’internalisation de la chaîne de valeurs créées. C’est là<br />
tout l’enjeu du Sénégal : maximiser la production de valeurs par<br />
les acteurs locaux.<br />
Quel rôle le secteur bancaire – et votre établissement<br />
en particulier – peut-il jouer dans la réalisation<br />
des ambitions d’émergence du pays ?<br />
Depuis notre implantation au Sénégal en 1999, nous nous<br />
considérons comme un partenaire de l’État. Notre collaboration<br />
va au-delà d’une simple relation de banque à client, bien que les<br />
financements demeurent intensifs et importants via le marché<br />
ou en direct. Pour preuve, nous avons organisé en 2021 à Dakar<br />
le forum Invest In - Sénégal [l’Africa CEO Forum permet aux<br />
États de présenter leurs stratégies économiques, notamment<br />
sectorielles, les grandes opportunités d’investissement et les<br />
projets de partenariat public-privé les plus importants, ndlr].<br />
Notre message était clair : « Vous pouvez venir investir au<br />
Sénégal en toute confiance. » D’une manière générale, nous<br />
nous efforçons d’accompagner les réformes qui vont dans le<br />
sens de la création de valeur, de la structuration de l’économie<br />
66 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
DR<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 67
INTERVIEW<br />
domestique, et de la captation de valeur au profit des entreprises<br />
locales. Nous savons que les grandes entreprises continueront<br />
de jouer leur rôle de gros investisseurs. Cependant,<br />
l’économie nationale doit être portée par un tissu de petites<br />
et moyennes entreprises/industries (PME/PMI) suffisamment<br />
agiles, solides et bien organisées pour faire le relais de la<br />
croissance. Autrement, l’internalisation de la chaîne de valeur<br />
sera un vœu pieux.<br />
On reproche souvent aux banques de ne pas jouer leur<br />
rôle de financement des PME/PMI, qui sont pourtant le<br />
cœur du tissu économique national. À quelles conditions<br />
pourraient-elles mieux soutenir les entrepreneurs locaux ?<br />
L’expérience montre que nous, banquiers, n’avons pas toujours<br />
eu la bonne approche envers les PME/PMI. En réalité,<br />
le principal problème rencontré était d’ordre informationnel.<br />
Nous ne connaissions pas assez bien ces<br />
PME/PMI, et ne disposions pas toujours<br />
de la capacité de pouvoir les suivre dans<br />
leur exploitation et leur développement.<br />
Nous l’avons compris chez Ecobank. C’est<br />
pourquoi nous nous sommes engagés<br />
dans une approche partenariale avec<br />
les instances étatiques et régionales qui,<br />
ces dernières années, ont mis en place<br />
un ensemble de dispositifs favorable<br />
à l’accompagnement des PME/PMI au<br />
Sénégal. Des moyens importants [9 milliards<br />
de francs CFA, 13,7 millions d’euros<br />
en 2021, ndlr] ont récemment été mis à<br />
la disposition du Fonds de garantie des<br />
investissements prioritaires (FONGIP),<br />
qui permet d’avoir accès à des garanties<br />
institutionnelles dans notre financement<br />
des PME. Aussi, la Banque centrale des<br />
États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a<br />
introduit en 2018 le Dispositif PME,<br />
qui tend à favoriser le financement des<br />
PME/PMI, notamment à travers sa capacité à refinancer leurs<br />
créances bancaires. Ces changements institutionnels nous ont<br />
fait réviser notre stratégie de croissance : aujourd’hui, le financement<br />
des PME/PMI en est le deuxième pilier, après le digital.<br />
Le secteur des fintech est en pleine expansion. Pourtant,<br />
encore une fois, de nombreux observateurs soulignent<br />
le peu de risques pris par les banques pour soutenir<br />
ces « jeunes pousses ». Partagez-vous ce constat ?<br />
À Ecobank, nous ne pratiquons pas la politique de l’autruche<br />
concernant les fintech : nous les invitons à s’approcher de nous<br />
afin de tisser des partenariats. C’est pourquoi nous avons<br />
organisé à Dakar, en 2021, le Forum des fintech. Notre message<br />
était celui-là : chez Ecobank, nous sommes disposés à envisager<br />
un financement pour les start-up en mesure de pouvoir prouver,<br />
via leur business plan, qu’elles produiront des flux de trésorerie<br />
Nous nous<br />
considérons<br />
comme un<br />
partenaire<br />
de l’État. Notre<br />
collaboration<br />
va au-delà<br />
d’une simple<br />
relation de<br />
banque à client.<br />
(cash flows) qui viendront en remboursement du crédit. L’emprunt<br />
bancaire n’est pas toujours la forme de financement la<br />
plus indiquée, car certaines jeunes pousses des fintech, bien<br />
que créant de la valeur, n’ont pas le modèle opérationnel suffisant<br />
pour générer des cash flows lors des premiers exercices.<br />
Quand ce type d’entreprise en vient à faire financer son business<br />
plan, c’est de financement par capital dont elle a besoin. Dans<br />
ce cas, nous les encourageons à rechercher un business angel ou<br />
d’autres types de financements mis en place par l’État.<br />
Quelles sont les réformes urgentes à engager<br />
afin de consolider l’économie sénégalaise ?<br />
Des efforts doivent être consentis dans le domaine de la<br />
baisse des facteurs de production, notamment celui du coût de<br />
l’énergie. C’est un point essentiel du développement de l’investissement.<br />
Aussi, il est de notoriété publique que le défi majeur du<br />
pays est l’emploi des jeunes. Un peu plus<br />
de flexibilité aiderait à détendre le marché<br />
de l’emploi et à créer des opportunités<br />
pour les jeunes, afin d’éviter le drame de<br />
l’immigration clandestine. Le risque, c’est<br />
que la situation sociale ne devienne explosive,<br />
comme en témoignent les émeutes<br />
de mars 2021 [après l’arrestation de l’opposant<br />
politique Ousmane Sonko, accusé<br />
de viol, de sanglantes manifestations ont<br />
éclaté contre les forces de l’ordre et les symboles<br />
de la présence française, sur fond de<br />
révolte sociale, faisant 13 morts, ndlr]. Le<br />
chômage des jeunes est l’un des points critiques<br />
susceptibles de menacer la stabilité<br />
qui fait aujourd’hui la force du Sénégal.<br />
Comment les banques peuvent-elles<br />
participer à la transformation<br />
du secteur informel ?<br />
Nous travaillons activement chez<br />
Ecobank dans le cadre du programme<br />
des 100 000 logements sociaux [une composante<br />
phare du programme zéro bidonville du Plan Sénégal<br />
Emergent, à destination des ménages à revenus faibles et/ou irréguliers,<br />
ndlr]. Et nous aurons, dans le futur, une part importante<br />
à jouer dans le financement du secteur informel pour leur permettre<br />
d’accéder à la propriété. À nous de trouver les formules<br />
adaptées et, sans pouvoir en dire davantage pour le moment,<br />
nous pensons que le digital peut nous y aider.<br />
Le taux de bancarisation de l’économie sénégalaise<br />
est autour de 20 %. Comment l’améliorer et quels progrès<br />
la digitalisation des services bancaires apporterait-elle ?<br />
Lorsqu’on élargit le taux de bancarisation à la microfinance<br />
et à la monnaie électronique, nous nous approchons de 80 %.<br />
L’inclusion financière est une réalité au Sénégal, grâce au développement<br />
des infrastructures de télécommunication. Chez Ecobank,<br />
nous sommes en mesure de servir nos clients partout où il<br />
68 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
La banque panafricaine a son siège à Lomé, au Togo.<br />
MICHEL AVELINE POUR JA/RÉA<br />
y a une possibilité d’avoir accès au réseau mobile grâce au service<br />
Xpress Cash, qui permet d’envoyer de l’argent de manière dématérialisée<br />
en partageant un code de retrait. La digitalisation des<br />
services bancaires n’est pas seulement un facilitateur. Elle crée<br />
aussi de la valeur, et c’est ce que nous souhaitons encourager, à<br />
la faveur de la pandémie de Covid-19. Aujourd’hui, 80 % de nos<br />
transactions passent par nos canaux digitaux. La pandémie a<br />
révélé cette capacité de changement structurel.<br />
Le 9 septembre 2021, Ecobank a lancé Ellever,<br />
une initiative à l’intention des entrepreneuses.<br />
Quel premier bilan peut-on faire de cette action ?<br />
Bien que le programme lancé à l’échelle du groupe soit<br />
jeune, nous sommes confiants, et le bilan est satisfaisant. En<br />
quatre mois, nous avons pu signer une douzaine de partenariats<br />
au Sénégal. Et le 18 janvier, nous avons conclu un accord-cadre<br />
de financement avec la Mairie de Dakar : dans ce sillage, près de<br />
12000 femmes seront accompagnées. L’objectif du programme<br />
Ellever est de participer au financement, au développement,<br />
à la formation ainsi qu’à l’inclusion financière des femmes<br />
entrepreneures, dont l’impact social et de création de valeur<br />
est significatif.<br />
Quels conseils donneriez-vous à un(e) jeune<br />
entrepreneur(e) prêt(e) à se lancer aujourd’hui ?<br />
J’en liste trois. Le premier est de savoir clairement ce que<br />
l’on veut proposer au marché. Le deuxième est de se préparer<br />
mentalement à essuyer des échecs. Un échec ne doit surtout<br />
pas être dissuasif. Le dernier conseil est d’avoir l’ingéniosité de<br />
se former et de profiter du cadre institutionnel et de soutien<br />
favorable aux affaires. En général, on se sent rarement seul<br />
au Sénégal. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 69
interview<br />
Moustapha Sow<br />
« L’heure de l’aide au<br />
développement est révolue !»<br />
Le banquier d’affaires et patron du cabinet de conseil SF Capital<br />
évoque les pistes pour doper la compétitivité de l’économie nationale.<br />
propos recueillis par Emmanuelle Pontié<br />
<strong>AM</strong> : Comment se porte l’économie<br />
du Sénégal selon vous ?<br />
Moustapha Sow : Comme la plupart des économies africaines,<br />
elle se trouve dans une situation pas facile. Nous venons de sortir<br />
de deux années d’inactivité économique mondiale globale.<br />
Résultat, en macro et microéconomie, nous faisons face à d’importants<br />
défis. Sans compter que le Sénégal importe beaucoup<br />
et que la plupart de ses produits de consommation viennent<br />
d’Asie. Parfois d’Europe. Nous connaissons le challenge qui se<br />
pose en matière de transport, engendrant une violente augmentation<br />
de la plupart des produits. Cela dit, restons positifs, car<br />
nombre d’autres nations ont été plus impactées que la nôtre.<br />
Le Covid-19 a montré que l’un des rares avantages d’être un<br />
pays non développé, c’est que l’on est du coup moins frappé<br />
par ce type de crise mondiale. Maintenant, il faut que tous les<br />
acteurs, l’État comme le secteur privé, mettent en place des<br />
programmes de relance qui permettront au Sénégal de compter<br />
davantage sur ses ressources internes que sur ses ressources<br />
externes. En termes macro économiques, on a récemment pu<br />
voir dans le rapport du Fonds monétaire international (FMI)<br />
que le pays commence à sortir la tête de l’eau. Et la construction<br />
des infrastructures est en train d’être relancée. Il existe pas mal<br />
de programmes mis en place par l’État, notamment Xëyu Ndaw<br />
Ñi (le travail pour la jeunesse), une série d’accompagnements<br />
avec l’implication de la Délégation générale à l’entrepreneuriat<br />
rapide (DER) et de nombreuses agences pour permettre une<br />
relance de l’économie.<br />
Pour parler du secteur privé, la loi PPP vient d’être<br />
récemment validée. Qu’est-ce que cela va changer ?<br />
Beaucoup de choses. En Afrique, la plupart des investissements<br />
dans le domaine des infrastructures sont pilotés par<br />
l’État. L’heure est venue pour le secteur privé de prendre le relais.<br />
Attirer les investisseurs dans nos pays est souvent un challenge,<br />
car ils craignent l’instabilité politique, l’insécurité, etc. Un cadre<br />
juridique rassurant a toujours fait défaut. Le fait pour le Sénégal<br />
de mettre en place une loi PPP est extrêmement positif.<br />
En ce qui concerne les partenaires bilatéraux et les<br />
bailleurs de fonds, y a-t-il eu de nouvelles initiatives ?<br />
Oui. Le financement bilatéral est devenu très prisé dans nos<br />
États. La Chine, à travers une politique de partenariat agressive,<br />
a fait plus que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement<br />
ou la Banque islamique de développement. Bien sûr,<br />
ces politiques ont montré des limites. Car la Chine a toujours su<br />
ce qu’elle attendait des Africains, mais eux n’ont jamais su ce<br />
qu’ils attendaient de la Chine. Cela a engendré une relation déséquilibrée.<br />
Et la pandémie a obligé le géant asiatique à revoir ses<br />
priorités. C’est le souci avec les relations bilatérales. Vous comptez<br />
sur un pays, et s’il a des problèmes, vous en faites les frais.<br />
Aujourd’hui, c’est ce que nous vivons sur le continent. Du coup,<br />
ça laisse de la place aux autres partenaires. Le Brexit permet par<br />
exemple au Royaume-Uni de se repositionner sur l’Afrique avec<br />
une stratégie différente. Il a mis en place plusieurs lignes dans<br />
des pays francophones, avec la particularité de permettre aux<br />
États de choisir l’entreprise avec laquelle ils veulent contracter.<br />
Une initiative qui n’existe pas avec les autres pays. Aujourd’hui,<br />
pour bénéficier de l’argent chinois, il faut contracter avec les<br />
Chinois, pour capter un financement de Bpifrance, il faut travailler<br />
avec une entreprise française, etc. Dorénavant, pour avoir<br />
accès au financement de UK Export Finance par exemple, les<br />
États africains ne sont pas obligés de recourir à une entreprise<br />
britannique. Pour le moment, cela ne fonctionne qu’avec les Britanniques,<br />
mais j’espère que les autres bailleurs suivront. Les<br />
70 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
AID/ERICK-CHRISTIAN AHOUNOU<br />
partenaires se sentent ainsi dans une relation gagnant-gagnant.<br />
Et il faudrait que nous changions de mentalité pour relancer utilement<br />
nos économies. Il n’y a qu’en Afrique, par exemple, que<br />
l’on perçoit un programme d’infrastructures comme étant juste<br />
la résultante d’un financement. Aux États-Unis, quand on parle<br />
de réalisations d’infrastructures, on parle surtout de relance<br />
économique, de création d’emplois. Un financement ambitieux,<br />
comme celui de la construction du chemin de fer au Nigeria (qui<br />
s’élèverait à 14,4 milliards de dollars), doit d’abord être perçu<br />
comme une formidable opportunité pour le pays de se relancer,<br />
d’impliquer le maximum de sociétés locales et de favoriser la<br />
création d’emplois, même s’ils sont temporaires. C’est l’approche<br />
que nous devons exiger, et les partenaires bilatéraux accepter.<br />
Idem pour le transfert de technologies qui doit se faire. Nous<br />
entretiendrons ainsi des relations beaucoup plus équilibrées.<br />
Je le dis souvent : l’heure de l’aide au développement<br />
est révolue ! On a fonctionné avec elle pendant<br />
soixante ans. Et je n’ai jamais vu un pays se développer<br />
grâce à elle. Laissons le choix aux Africains de définir<br />
leur propre politique de développement.<br />
Vous êtes membre du Club des<br />
investisseurs sénégalais. Comment<br />
évolue le secteur privé aujourd’hui ?<br />
Nous n’avons pas le secteur le plus dynamique.<br />
Et les responsabilités sont partagées.<br />
L’État est censé mettre en place ce que j’appelle<br />
l’infrastructure de base, c’est-à-dire<br />
l’ensemble des règles qui permettent aux<br />
entreprises locales de pouvoir s’impliquer<br />
davantage. Mais ce serait malhonnête<br />
de mettre toute la faute sur<br />
l’État. Je travaille personnellement<br />
avec de nombreux opérateurs du<br />
secteur privé, pas seulement au<br />
Sénégal. Et c'est souvent plus difficile<br />
de collaborer avec les entreprises<br />
sénégalaises. Je vous donne<br />
un exemple : un promoteur local<br />
avait un projet de 40 milliards,<br />
nous avions signé un mandat,<br />
et je lui avais demandé de me<br />
verser une provision modique,<br />
juste pour sentir son engagement<br />
dans le service que je lui<br />
offrais. Et je lui ai dit : « Si je n’arrive<br />
pas à régler ton problème, je<br />
te rembourse. » Mais il n’a jamais<br />
voulu payer. Résultat, il a perdu<br />
son projet, qui a été saisi par<br />
une banque. Le pire, c’est<br />
que j’avais déjà les partenaires techniques. Juste parce qu’il n’a<br />
pas voulu payer une obole, il perd tout son projet ! Et ça, c’est<br />
typique de la façon de fonctionner de nos entrepreneurs. Il y a de<br />
grosses résistances dans les mentalités. Plus globalement, dans<br />
le secteur du BTP, nous avons encore une approche archaïque.<br />
On s’appuie sur les marchés de l’État. Alors qu’aujourd’hui, on<br />
sait qu'il faut faire de l’engineering procurement construction, et<br />
puis on apporte le financement. Sinon, il n’y a aucun moyen de<br />
survivre. Nous avons essayé d’impulser cette approche à des<br />
entreprises réticentes. Une ou deux se sont ouvertes au processus<br />
et voient aujourd'hui les résultats.<br />
Vous dites souvent que le Sénégal est un pays<br />
compliqué. De manière générale…<br />
Je suis fier d’être sénégalais. Mais c'est une<br />
nation où les 17 millions d'habitants sont tous<br />
des spécialistes ! Chacun a son avis sur tout.<br />
On ne laisse pas les vrais experts s’exprimer.<br />
Comme disait un sage très connu chez<br />
nous : « Notre problème, c’est que ceux qui<br />
savent ne parlent pas et ceux qui parlent<br />
ne savent pas. » Comme si la médiocrité<br />
était méritante. Alors qu'il faut mettre en<br />
avant les gens compétents, qui seront des<br />
repères pour la jeunesse. Sur ce sujet,<br />
c’est toute la société sénégalaise<br />
qui est responsable et devrait<br />
se remettre en cause. ■<br />
71
PLAN SÉNÉGAL EMERGENT<br />
La construction<br />
d’un Sénégal nouveau<br />
Abdou Karim<br />
Fofana, ministre<br />
auprès du président<br />
de la République<br />
en charge du suivi<br />
du Plan Sénégal<br />
Emergent.<br />
Pilier du projet hub<br />
aérien régional, Air<br />
Sénégal a démarré ses<br />
activités commerciales<br />
le 14mai 2018.<br />
Articulé autour de 27 projets phares et<br />
17 réformes, le Plan Sénégal Emergent<br />
est le fruit d’un travail de longue haleine<br />
effectué par de hauts cadres sénégalais,<br />
en relation avec des partenaires techniques<br />
extérieurs. Dès sa phase d’amorçage,<br />
il a mis en cohérence les orientations<br />
et défis urgents du Sénégal dans<br />
un monde en transformation.<br />
Le Bus Rapid<br />
Transit (BRT)<br />
offrira une qualité<br />
de service proche<br />
d’un tramway.<br />
La mise en service de l’AIBD,<br />
le 7décembre 2017, a constitué<br />
une avancée majeure dans<br />
l’exécution du plan de relance<br />
du hub aérien régional, l’un<br />
des projets phares du PSE.
Les autoroutes à péage<br />
Dakar-Diamniadio-AIBD-<br />
Mbour et Dakar-Touba<br />
décongestionnent la capitale<br />
et connectent des territoires<br />
de l’intérieur du pays.<br />
La cohérence consiste en la transformation structurelle<br />
de l’économie avec des bases de croissance<br />
plus élargies passant du couple composé des services<br />
financiers et du numérique à un cercle vertueux<br />
alliant plusieurs moteurs, notamment l’agriculture,<br />
le tourisme, les mines, l’énergie, les infrastructures,<br />
l’habitat.<br />
Le ministre en charge du<br />
suivi du PSE à un atelier de<br />
structuration de l’industrie<br />
pharmaceutique. Le Sénégal<br />
vise une production locale<br />
de 30% de sa consommation<br />
en médicaments en 2030<br />
et50% en 2035.<br />
Le ministre en charge<br />
du suivi du PSE en<br />
visite dans une usine<br />
de production de<br />
sel à Fatick (centre),<br />
dans le cadre de<br />
lastructuration des<br />
filières porteuses<br />
decroissance.<br />
Ce plan adossé à une vision et articulé autour<br />
d’objectifs prioritaires est en train de<br />
redessiner le visage de ce beau pays. L’ambition<br />
demeure la construction d’un Sénégal<br />
nouveau fort de progrès économiques, de<br />
justice sociale et de renforcement de l’État<br />
de droit.<br />
Inauguré le 27décembre<br />
2021, le Train Express<br />
Régional (TER) contribuera<br />
à la restructuration du<br />
système de transport et au<br />
rééquilibrage de l’espace<br />
urbain dans la capitale.<br />
PUBLI-REPORTAGE
environnement<br />
À l’épreuve<br />
de la donne<br />
climatique<br />
Érosion côtière, sécheresse, déforestation,<br />
précipitations erratiques…<br />
Les défis sont quasi existentiels.<br />
Mais la volonté de l'État et des citoyens<br />
de faire face est forte. par Djiby Sambou<br />
Face aux enjeux climatiques, l’État du Sénégal a adopté et<br />
approuvé en décembre 2020 des actions prioritaires d’atténuation<br />
et d’adaptation à travers sa Contribution déterminée<br />
au niveau national (CDN), qui constitue l’engagement du pays<br />
dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat. Dans ce document,<br />
le Sénégal a identifié le transport, les déchets, l’énergie,<br />
l’industrie, la foresterie et l’agriculture comme les secteurs clés<br />
d’émission de gaz à effet de serre. Ainsi que les domaines sensibles,<br />
sur lesquels vont porter les activités prioritaires d’adaptation et de maîtrise<br />
des impacts potentiels du changement climatique, que sont l’érosion côtière, la<br />
pêche, l’élevage, la santé, la biodiversité et les inondations. Deux buts sont visés :<br />
un objectif inconditionnel de réalisation des activités avec les moyens nationaux<br />
(État, collectivités locales, secteur privé, ONG, etc.) et un objectif conditionnel,<br />
qui sera atteint avec le soutien de la communauté internationale. Une enveloppe<br />
de 13 milliards de dollars est prévue pour le financer.<br />
Point de rencontre entre le fleuve Sénégal et l’océan Atlantique, la Langue<br />
de Barbarie forme un cordon sableux s’étirant sur environ 40 kilomètres du sud<br />
de Saint-Louis jusqu’à l’embouchure du fleuve. Son altitude ne dépassant guère<br />
2 mètres, une telle configuration géomorphologique combinée à la dynamique<br />
marine et fluviale expose cet espace aux aléas climatiques, et en particulier<br />
aux inondations. Celle d’octobre 2003 est toujours dans les mémoires. Elle avait<br />
nécessité l’ouverture d’une brèche pour évacuer les eaux pluviales de la ville. De<br />
4 mètres de large au départ, cette brèche atteint aujourd’hui les 7 kilomètres, ce qui<br />
change les caractéristiques biophysiques de la zone. Une erreur de diagnostic de<br />
74 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Sur la ligne de front<br />
du dérèglement climatique,<br />
la fameuse Langue<br />
de Barbarie s’étend sur<br />
environ 40 kilomètres dans<br />
la région de Saint-Louis.<br />
XXXXXXXXX<br />
SYLVAIN CHERKAOUI/GCCA+/EU 2018<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 75
ENVIRONNEMENT<br />
l’État, pressé par l’urgence, qui a eu de graves conséquences. Les<br />
terres du Gandiol, jadis propices au maraîchage, sont désormais<br />
incultivables car affectées par l’eau salée. Les villages de Doun<br />
Baba Dièye et de Keur Bernard ont, eux, purement disparu. Les<br />
surcotes (dépassement anormal du niveau des marées) en 2015,<br />
2017 et 2018 ont ainsi ravagé plusieurs dizaines de maisons<br />
dans la Langue de Barbarie, poussant les autorités à reloger les<br />
familles sinistrées dans des camps à l’intérieur des terres. Le Projet<br />
de relèvement d’urgence et de résilience à Saint-Louis a été<br />
mis en œuvre pour réduire la vulnérabilité de ces populations.<br />
Plusieurs études estiment un recul du trait de côte de<br />
0,35 mètre par an entre 2000 et 2018. Des simulations et prédictions<br />
sur l’élévation du niveau de la mer indiquent que, pour<br />
une hausse de 0,5 mètre, 11 % du territoire de la Langue de<br />
Barbarie serait inondé (soit 199 216 hectares). Les habitants<br />
ont conscience des risques, subissant déjà les effets de l’érosion<br />
côtière : effondrement des habitations et des infrastructures,<br />
inondations des quartiers… Alors ils luttent à leur manière. Les<br />
initiatives individuelles et communautaires correspondent principalement<br />
à des « méthodes douces » : construction de murets<br />
de bois ou de pierre, élévation de digues avec des sacs de sable,<br />
plantation de végétaux pour retenir les sédiments…<br />
Les actions de l’État portent, elles, sur des travaux de plus<br />
grande ampleur, avec la construction de brise-lames faits de sacs<br />
de sable déposés le long du rivage. Ces mesures entamées après<br />
la catastrophe du village de Doun Baba Dièye ont été financées<br />
par le ministère de l’Environnement à hauteur de 525 000 euros,<br />
mais n’ont toutefois pas produit les résultats escomptés. Depuis<br />
lors, la construction d’une colossale barrière de rochers pour<br />
protéger les habitants a été privilégiée dans certains secteurs<br />
côtiers urbanisés, comme les quartiers de Goxu Mbathie et Santhiaba.<br />
Ces ouvrages ont été financés par la France (15 millions<br />
d’euros) et la Banque mondiale (22 millions d’euros).<br />
PLANTER POUR RESTAURER<br />
Le diagnostic du secteur forestier réalisé durant la planification<br />
de la Politique forestière du Sénégal (2005-2025) est sans<br />
appel. Il confirme une tendance à la dégradation et à la régression<br />
des ressources forestières sous l’effet d’une sécheresse<br />
récurrente combinée aux actions anthropiques néfastes telles<br />
que coupes abusives, feux de brousse, surpâturages ou défrichements<br />
agricoles. À cela s’ajoutent les multiples enjeux liés<br />
à la convergence de multinationales étrangères à la recherche<br />
effrénée de terres pour des exploitations à caractère industriel.<br />
L’un des premiers grands projets verts pour restaurer les<br />
fonctions écologiques et économiques des écosystèmes est la<br />
reforestation de la mangrove. Dès 2006, le Sénégal a lancé<br />
dans les estuaires de la Casamance et du Sine Saloum l’une<br />
des plus grandes campagnes mondiales de reforestation de<br />
mangrove, dont 45 000 hectares – soit un quart de la surface<br />
totale – avaient été détruits depuis les années 1970. Les mangroves<br />
réunissent des fonctions nourricières, écologiques et<br />
76 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
XXXXXXXXX<br />
SADAK SOUICI<br />
Dès 2006, le Sénégal<br />
a lancé l’une des plus<br />
grandes campagnes<br />
mondiales de reforestation<br />
de mangrove, dont<br />
45 000 hectares avaient<br />
été détruits depuis<br />
les années 1970.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 77
ENVIRONNEMENT<br />
Priorité aux<br />
énergies vertes<br />
Malgré d’importantes découvertes<br />
de pétrole, le pays souhaite verdir<br />
sa production énergétique.<br />
Avec 3000 heures d’ensoleillement par an, le<br />
Sénégal dispose de l’un des potentiels parmi les<br />
plus élevés au monde pour valoriser l’énergie<br />
solaire. Si cette réserve a longtemps été sousexploitée,<br />
le pays cherche à rattraper le temps perdu.<br />
« L’énergie solaire constitue la source la mieux répartie et<br />
la plus importante sur l’ensemble du territoire, même si,<br />
pour les autres filières, il existe un potentiel considérable,<br />
notamment l’éolien, la biomasse et l’hydraulique »,<br />
relève Djiby Ndiaye, le directeur de l’Agence nationale<br />
pour les énergies renouvelables du Sénégal (ANER).<br />
Une institution qui s’est fixée comme mot d’ordre de<br />
produire « de l’énergie à moindre coût et respectueuse<br />
de l’environnement partout et pour tous ». Aujourd’hui,<br />
les énergies renouvelables représentent 30 % du mix<br />
énergétique du pays (la répartition des différentes<br />
sources d’énergies consommées). La capacité des énergies<br />
vertes installées est estimée à 1500 mégawatts (MW),<br />
contre 500 MW en 2012. Entre 2016 et 2020, plus de<br />
400 MW d’énergies propres ont été ajoutées. Première<br />
source d’énergie renouvelable du Sénégal, le solaire<br />
représente 226 MW, suivi par l’éolien, grâce au parc<br />
de Taïba Ndiaye de 158,7 MW – première centrale<br />
éolienne à grande échelle d’Afrique de l’Ouest, mise en<br />
service en 2020 –, puis de l’hydraulique avec 70 MW.<br />
Alors que 65 % du territoire est électrifié, l’objectif est<br />
d’atteindre un accès universel à l’électricité à l’horizon<br />
de 2025. Il repose sur plusieurs projets de production<br />
décentralisée (mini-réseaux, etc.) intégrant les énergies<br />
renouvelables. Ainsi, dans l’hydroélectrique, des sites<br />
sont à l’étude pour installer près de 1400 MW sur les<br />
fleuves Sénégal et Gambie, ainsi que leurs affluents.<br />
La découverte d’importants gisements de gaz depuis<br />
2017, moins émetteur de gaz à effet de serre que le<br />
pétrole, va faciliter la stratégie du pays à se convertir<br />
à des énergies plus vertes. Avec le programme « Gaz<br />
to Power », lancé en 2018, le Sénégal a notamment<br />
l’ambition de convertir au gaz ses centrales thermiques<br />
polluantes, fonctionnant au fioul, qui assurent encore<br />
67 % de la production d’électricité. ■ Jean-Michel Meyer<br />
économiques : ressources alimentaires, forestières, épuration de<br />
l’eau, protection contre l’érosion et les évènements extrêmes…<br />
Elles abritent également une biodiversité exceptionnelle et<br />
emprisonnent très efficacement le carbone atmosphérique.<br />
Entre 2006 et 2019, plus de 279 millions de palétuviers et<br />
d’arbres ont été plantés sur 32 000 hectares. Selon le Fonds<br />
Carbone Livelihoods, qui a financé 90 % du projet (les 10 % restants<br />
provenant de l’État et d’appels aux dons), la croissance de<br />
la mangrove va permettre d’absorber environ 500 000 tonnes<br />
de carbone sur vingt ans, de produire 18 000 tonnes de poissons<br />
par an et de favoriser le développement des crevettes, des<br />
huîtres et des mollusques. Des études datant de 2019 ont déjà<br />
montré des résultats positifs en Casamance, où la mangrove<br />
regagne du terrain.<br />
RESTAURER LES ÉCOSYSTÈMES<br />
La Grande muraille verte (GMV) est un autre des grands<br />
projets. Lancée en 2009 avec pour objectif de planter une coulée<br />
verte de 7 600 kilomètres de long sur 15 kilomètres de large<br />
entre le Sénégal et Djibouti (11 pays concernés), la GMV doit<br />
ralentir l’avancée du désert, améliorer la gestion des ressources<br />
naturelles et lutter contre la pauvreté, mais également restaurer<br />
100 millions d’hectares, séquestrer 250 millions de tonnes de<br />
carbone et créer 10 millions d’emplois verts à l’horizon 2030.<br />
Le dernier rapport d’évaluation de la mise en œuvre (datant<br />
de septembre 2020) indique que seulement 18 % des objectifs<br />
auraient été atteints. Ce faible taux d’avancement s’explique par<br />
la difficile coordination entre les différentes parties prenantes et<br />
l’insécurité grandissante dans le Sahel à cause du déploiement<br />
des groupes djihadistes.<br />
Au Sénégal, la GMV mesure 545 kilomètres de long sur<br />
15 kilomètres de large et constitue une superficie de 817 500 hectares.<br />
Elle concerne les régions de Louga, Saint-Louis et Matam<br />
(principalement dans la zone sylvopastorale où les précipitations<br />
annuelles ne dépassent guère 400 mm). Les populations<br />
bénéficiaires directes sont estimées à 322 221 habitants. La mise<br />
en œuvre du programme est confiée à l’Agence panafricaine<br />
de la grande muraille verte (APGMV), qui en a fait un projet<br />
multisectoriel. Il s’agit de restaurer les écosystèmes par la plantation<br />
de milliers d’arbres, tout en développant les territoires.<br />
L’approche consiste à mettre en place des jardins polyvalents<br />
adaptés aux conditions du milieu et aux besoins des populations<br />
et de les impliquer pour garantir la durabilité. Des résultats<br />
positifs ont été obtenus.<br />
Entre 2008 et 2015, le pays a reboisé dans ce cadre<br />
33 300 hectares, produit 16 150 000 plants et mis en défens<br />
– clôturé – 13 000 hectares, empêchant ainsi la coupe et le passage<br />
des animaux. Les espèces reboisées sont endémiques à la<br />
zone et résistantes à la sécheresse : il s’agit principalement de<br />
l’acacia Sénégal et du Balanites aegyptiaca, dont les propriétés<br />
et les usages traditionnels (pharmacopée) et domestiques sont<br />
bien connus des habitants.<br />
78 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Ci-contre, sur le tracé<br />
de la Grande Muraille,<br />
des cultures dans<br />
le village de Widou<br />
Thiengoly, région<br />
du Ferlo.<br />
Ci-dessous,<br />
Haïdar El Ali, ancien<br />
ministre de l’Écologie,<br />
connu pour son francparler<br />
et visage de<br />
l’engagement citoyen.<br />
ARNAUD SPANI/HEMIS.FR - SYLVAIN CHERKAOUI/COSMOS<br />
Parallèlement au reboisement, des jardins polyvalents y sont<br />
associés. Celui qui est le plus cité comme exemple de solution<br />
adaptée aux conditions du milieu et aux besoins des populations<br />
est le jardin polyvalent villageois de Widou Thiengoly, dans la<br />
région du Ferlo. D’une surface de 7 hectares, il est cultivé par une<br />
association de 249 femmes. En saison des pluies, elles cultivent<br />
des pastèques, du niébé et des aubergines amères. Et durant la<br />
saison sèche, elles utilisent le système de goutte-à-goutte pour<br />
cultiver des oignons, des carottes, des tomates, des pommes de<br />
terre, des salades. Il y a aussi quelques arbres fruitiers, des manguiers,<br />
des citronniers et des orangers. Cela leur a permis une<br />
diversification de leur nourriture, améliorant ainsi la santé de<br />
leur famille et leur autonomie financière. Le reste des récoltes<br />
est vendu au marché local, et les bénéfices servent à accorder des<br />
prêts aux membres de l’association qui ont des projets.<br />
ENGAGEMENT CITOYEN ET PARTICIPATIF<br />
La prise de conscience de l’urgence de préserver les ressources<br />
naturelles est le cheval de bataille de plusieurs organisations,<br />
groupement de jeunes, associations, ONG, plates-formes<br />
citoyennes… Parmi elles, l’Oceanium de Dakar est une association<br />
spécialisée, depuis plus de dix ans, dans la restauration des<br />
écosystèmes forestiers. Très impliquée dans le projet de reforestation<br />
de la mangrove, elle a permis à travers des pépinières<br />
communautaires la mobilisation citoyenne de 100 000 personnes<br />
provenant de 350 villages et a ainsi contribué au succès<br />
des campagnes de reboisement du littoral en Casamance<br />
et au Sine Saloum. En plus de redonner racine à la mangrove,<br />
cette association a également permis de redévelopper l’écosystème<br />
économique, notamment la culture du riz, fragilisée par<br />
le recul de la forêt. Son fondateur, Haïdar El Ali, est connu<br />
pour son franc-parler, son pragmatisme et son inappétence à la<br />
bureaucratie. Il fut le premier à avoir alerté sur « le génocide écologique<br />
» en Casamance et dénoncer le pillage de la forêt casamançaise<br />
par des réseaux organisés de trafic du bois. Ancien<br />
ministre de l’Écologie, il dirige aujourd’hui l’Agence nationale<br />
de la grande muraille verte (ANGMV) du Sénégal. L’homme est<br />
profondément convaincu que les solutions pour répondre au<br />
défi climatique ne pourront venir que des sociétés elles-mêmes.<br />
Plus locale, l’association Nébéday s’active dans la mise en<br />
place de filières de valorisation des ressources naturelles avec<br />
les femmes. Ses actions sont multiples : maraîchage et arboriculture,<br />
fabrication et diffusion de foyers améliorés à base d’argile<br />
et de bio-charbon à base de paille, protection et valorisation<br />
d’aires protégée ou encore des campagnes d’éducation environnementale<br />
dans les écoles ou de reboisement. Adaptation au<br />
changement climatique et préservation de l’environnement sont<br />
l’alliance essentielle pour un développement humain durable. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 79
performance<br />
DAKAR<br />
S'ÉCHAUFFE<br />
À QUATRE<br />
ANS DES JOJ<br />
80 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
La quatrième édition des Jeux olympiques<br />
de la jeunesse consacrera l’émergence<br />
du Sénégal et le rayonnement de l’Afrique<br />
sur la scène sportive mondiale.<br />
L’occasion, d’ici là, de fédérer le pays<br />
derrière un événement riche en émotions<br />
et en opportunités. par Jérémie Vaudaux<br />
XINHUA/ABACA XXXXXXXXX<br />
La délégation sénégalaise<br />
lors de l'ouverture des JO<br />
de Tokyo 2020, reportés<br />
du 23 juillet au 8 août 2021.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 81
PERFORMANCE<br />
Lors des JOJ de Buenos Aires,<br />
en Argentine, en octobre 2018, le<br />
Sénégal a été désigné officiellement<br />
par les membres du CIO pour<br />
accueillir l'édition suivante.<br />
Ci-contre, le président Macky Sall<br />
et le prince Albert II de Monaco.<br />
Seize ans, trois éditions, deux continents et<br />
une pandémie après leur création, les Jeux<br />
olympiques de la jeunesse d’été auront bien<br />
lieu en 2026 à Dakar, qui sera, le temps d’une<br />
rencontre entre les meilleurs jeunes athlètes<br />
de la planète, l’épicentre du sport mondial.<br />
Certes, les quatrièmes JOJ devaient se tenir<br />
en 2022 ; certes, la pandémie et son cortège<br />
de bouleversements sont passés par<br />
là ; certes, le Comité national olympique et sportif sénégalais<br />
(CNOSS) accuse désormais quatre ans de retard à l’allumage. Il<br />
n’empêche : « Dakar 2026, c’est une victoire de l’Afrique », assurait<br />
en bon fédérateur Mamadou Diagna Ndiaye, président du<br />
CNOSS et membre du Comité international olympique (CIO),<br />
au lendemain du report des JOJ en juillet 2020. Le symbole<br />
est de taille. Jamais l’Afrique n’avait été le théâtre d’une compétition<br />
internationale multisport. Une victoire sénégalaise,<br />
confie Mamadou Diagna Ndiaye, à laquelle le président de la<br />
République Macky Sall a personnellement œuvré : « C’est une<br />
fierté pour le pays, pour le peuple et pour moi-même de voir le<br />
Sénégal organiser les Jeux olympiques de la jeunesse en 2026.<br />
Le Sénégal est pleinement engagé aux côtés du CIO pour offrir<br />
des Jeux historiques », déclarait le chef d'État à l’issue des résultats.<br />
Historiques. Le mot est lâché.<br />
Historique, déjà, était le combat. Il a fallu, pour le pays, se<br />
défaire de ses concurrents : le Botswana, le Nigeria et la Tunisie,<br />
candidats malheureux coiffés au poteau par l’organisation rigoureuse<br />
dont le CNOSS et le Comité d’organisation des Jeux olympiques<br />
de la jeunesse (COJOJ) de Dakar 2026 ont fait preuve.<br />
LES RAISONS DE LA VICTOIRE<br />
« Notre dossier était sans faille. En bons élèves, nous avons<br />
suivi à la lettre chaque exigence du cahier des charges imposé<br />
par le CIO. Tous les acteurs privés et publics ont joué leur partie »,<br />
s'est félicité le président du COJOJ, Ibrahima Wade, rencontré<br />
par Afrique Magazine à Dakar à l’issue d’un comité de pilotage<br />
avec le CIO, fin janvier. Plus largement, selon lui, la candidature<br />
victorieuse du Sénégal repose sur un socle culturel, social et<br />
politique favorable. « L’engouement des Sénégalais pour la discipline<br />
physique est inscrit dans notre ADN. Il n’y a qu’à regarder<br />
l’endurance des éleveurs peuls, qui parcourent des milliers de<br />
kilomètres chaque saison pour guider leurs troupeaux, ou encore<br />
la tradition de lutte féminine de l’ethnie diola, les chorégraphies<br />
sportives… En tant que peuple, nous disposons de qualités physiques<br />
indéniables ! » s’enthousiasme Ibrahima Wade. Et d’ajouter,<br />
lucide, que la stabilité politique dont jouit le Sénégal – aucun<br />
coup d’État depuis l'indépendance en 1960 et plusieurs alternances<br />
démocratiques constatées par les urnes – et la sécurité<br />
garantie pour la bonne tenue des rencontres sportives ont adouci<br />
les sentiments du CIO : « Les votes en ont tenu compte. Ils ont<br />
sanctionné aux yeux du monde entier le Sénégal comme étant<br />
une destination de confiance », reconnaît le président du COJOJ.<br />
LIONEL MANDEIX/PRÉSIDENCE DU SÉNÉGAL<br />
82 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
L'accueil des JOJ est l'occasion<br />
de réhabiliter des infrastructures<br />
sportives, comme la piscine<br />
olympique de Dakar, ci-dessus.<br />
Ci-contre, Thomas Bach, président<br />
du Comité international olympique,<br />
en visite dans la capitale, en 2019.<br />
SHUTTERSTOCK - IOC/GREG MARTIN<br />
« Le Sénégal<br />
est pleinement<br />
engagé aux<br />
côtés du CIO<br />
pour offrir<br />
des Jeux<br />
historiques »,<br />
déclarait<br />
Macky Sall.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 83
PERFORMANCE<br />
UN RÊVE DE TRANSFORMATION<br />
À l’occasion des JOJ 2026, les yeux du monde seront braqués<br />
sur le Sénégal et ses trois villes hôtes ; Dakar, sa capitale historique,<br />
Diamniadio, la nouvelle ville symbole de son émergence,<br />
et Saly, ville de tourisme balnéaire en reconversion. L’occasion<br />
est belle pour le pays de montrer son meilleur visage, son visage<br />
moderne – son visage émergent, pour reprendre un élément de<br />
langage convenu de la communication gouvernementale. Sur<br />
le devant de la scène donc, l’Aéroport international Blaise Diagne<br />
(AIBD), le centre des expositions et la Dakar Arena situés à<br />
Diamniadio et inaugurés en 2018, ainsi que le stade olympique,<br />
qui a vu le jour en février 2022 : « L’idée, c’est de proposer un<br />
effet “waouh” aux sportifs, aux invités et aux spectateurs dès<br />
la descente de l’avion jusqu’aux différents sites des JOJ », confie<br />
Ibrahima Wade.<br />
La recette « waouh » ? Des infrastructures de<br />
transport de qualité. Une bretelle autoroutière<br />
sera créée pour l’occasion, afin de réduire le<br />
temps de trajet entre le village olympique situé<br />
à Diamniadio, dans l’enceinte de la nouvelle<br />
université Amadou Makhtar Mbow et la cité<br />
balnéaire de Saly, qui accueillera les épreuves<br />
de cross-country, de triathlon et pentathlon,<br />
de voile, d’aviron, de canoë, de handball et volley-ball<br />
de plage. Une extension de l’autoroute<br />
A1, qui relie aujourd’hui Dakar à Mbour, desservira<br />
également Saly, distante d’une dizaine<br />
de kilomètres de l’actuel tracé, « afin de faire<br />
durer l’effet “waouh” jusqu’au bout », sourit le<br />
président du COJOJ. Et de préciser : « Bien que<br />
les infrastructures de transport aient été pensées<br />
dans le cadre des JOJ 2026, elles bénéficieront à<br />
terme à toute la population sénégalaise. »<br />
Idem pour les infrastructures sportives. Si<br />
le cahier des charges du CIO impose de ne pas<br />
construire de nouvelles infrastructures pour les<br />
JOJ, le COJOJ s’est fait un point d’honneur à<br />
restaurer les infrastructures sportives existantes<br />
de Dakar, notamment la piscine olympique<br />
et le stade Iba Mar Diop, qui accueilleront respectivement les<br />
épreuves de natation et d’athlétisme. Sans les JOJ, ces infrastructures<br />
auraient été laissées à leur état de décrépitude, assure Ibrahima<br />
Wade, qui pointe une opération gagnante : « Les sites seront<br />
rendus aux sportifs sénégalais en meilleur état qu’avant les JOJ. »<br />
FÉDÉRER ET MOTIVER LES POPULATIONS<br />
Tangible, l’héritage des JOJ de Dakar 2026 sera également<br />
immatériel. 2022, à cet égard, sera décisive : « Nous aurions été<br />
prêts sur le plan organisationnel pour accueillir les Jeux à l’automne<br />
2022, mais nous prenons ce report avec philosophie : nous<br />
emploierons, au COJOJ ces quatre ans à construire un engouement<br />
de la jeunesse derrière les Jeux », explique son président.<br />
Dakar 2026<br />
en chiffres<br />
3 VILLES (Dakar,<br />
Diamniadio, Saly)<br />
19 SITES<br />
35 SPORTS (dont 7 sports<br />
additionnels proposés<br />
par Dakar 2026 : baseball<br />
à cinq, breaking, karaté,<br />
skateboard, escalade,<br />
surf et wushu)<br />
246 ÉVÉNEMENTS<br />
4 676 ATHLÈTES<br />
(15-18 ans)<br />
50 % DE FILLES/50 % DE<br />
GARÇONS<br />
5000 VOLONTAIRES<br />
32500 INVITÉS<br />
150 MILLIONS DE<br />
DOLLARS (budget estimé)<br />
Un legs, en quelque sorte, à destination des jeunes Sénégalais et<br />
Sénégalaises. Si une génération de sportifs se retrouve privée de<br />
Jeux à cause du report de quatre ans dû à la pandémie, l’occasion<br />
est belle de faire pénétrer les valeurs de l’olympisme – excellence,<br />
amitié et respect – au Sénégal, dont 60 % de la population<br />
est âgée de moins de 24 ans. L’enjeu est de taille, au regard des<br />
difficultés et de la perte de sens auxquelles est confrontée la<br />
jeunesse. Chômage de masse, absence de perspective d’avenir,<br />
hystérisation du débat politique, violences… « Nous souhaitons<br />
canaliser cette énergie chez les jeunes, qui peut être créatrice,<br />
afin d’en faire une force pour l’organisation des Jeux », précise<br />
Ibrahima Wade.<br />
Sur les tablettes du Comité d’organisation, une série de<br />
mesures visent à rapprocher les Jeux des jeunes, ou les jeunes<br />
des Jeux, selon par quel bout on prend l’affaire.<br />
Première étape au printemps 2022,<br />
avec l’organisation d’une caravane des JOJ.<br />
Battant le pavillon olympique, elle sillonnera<br />
le pays, notamment les régions les plus<br />
enclavées, telles que Matam, Kédougou, et<br />
Tambacounda, où la notion même de Jeux<br />
olympiques y est aussi parlante que celle d’onglée<br />
un matin d’hiver. Un programme éducatif<br />
leur sera délivré – les valeurs de développement<br />
durable et de citoyenneté figurent en<br />
bonne place.<br />
11 000 écoles du pays seront également<br />
mobilisées à compter d’avril 2022 dans le<br />
cadre de la « Semaine de la jeunesse au<br />
rythme de l’olympisme » : tout est dans le titre<br />
ou presque, puisqu’il s’agira de promouvoir la<br />
pratique sportive chez les jeunes et de mobiliser<br />
la communauté éducative autour des<br />
valeurs citoyennes et sportives. La mise en<br />
place d’un « brevet olympique » visera à mobiliser<br />
les élèves et les professeurs autour d’une<br />
formation d’excellence à l’issue de laquelle<br />
« les meilleures écoles pourront hisser le drapeau<br />
olympique et les détenteurs du brevet<br />
être prioritaires dans la sélection des volontaires lors des Jeux »,<br />
indique le président du COJOJ. Quant à l’opération « Dakar en<br />
Jeux », l'objectif est simple : fédérer et motiver les populations<br />
autour de l’événement, en amont des Jeux.<br />
UNE LOGIQUE DE PARTENARIAT : L'ALLIANCE JOKKO<br />
Les initiatives du Sénégal, aux yeux des observateurs avertis<br />
de l’olympisme, ont un air de déjà-vu. Et pour cause. L’organisation<br />
des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024<br />
reprend nombre de ces mesures et ne s’en cache pas, puisque<br />
les JOJ de Dakar étaient prévus, avant leur report, comme un<br />
laboratoire vivant des JOP de Paris : « On ne parle pas de chaperonnage<br />
de la France sur le Sénégal, ni même d’assistanat car le<br />
84 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
cadre de partenariat qui unit Paris et Dakar a été mis sur pied<br />
en 2019, soit avant le report des JOJ à 2026 », explique Ibrahima<br />
Wade. Tony Estanguet, le président du COJOP de Paris 2024,<br />
ajoute : « Nous avions envie de signer une convention différente<br />
et unique… C’est parce qu’il y a une vraie envie collective, en<br />
France, d’accompagner au mieux le<br />
projet de Dakar 2026. »<br />
À la confluence des deux capitales,<br />
l’Alliance Jokko. Mise sur pied en 2019,<br />
elle « concrétise l’engagement des plus<br />
hautes autorités françaises et sénégalaises,<br />
des élus de nos collectivités territoriales,<br />
des responsables du secteur<br />
privé et des dirigeants du mouvement<br />
olympique et sportif de nos deux pays »,<br />
dans la double perspective des Jeux de Paris et de Dakar, détaille<br />
Ibrahima Wade. L’Institut national du sport, de l’expertise et de<br />
la performance (INSEP) de Paris est dans la boucle, de même<br />
que l’Agence française de développement (AFD) et l’Association<br />
internationale des maires francophones (AIMF). « Nous avons<br />
testé une nouvelle approche – la cocréation – pour une nouvelle<br />
Première étape au printemps<br />
2022, avec l’organisation<br />
d’une caravane qui sillonnera<br />
le pays.<br />
destination – le continent africain. Nous vivons une expérience<br />
fascinante, qui nous permet de proposer des idées novatrices<br />
et de rechercher des solutions intelligentes. Un modèle pour<br />
le Sénégal et les futurs hôtes ! », s’emballait même Christophe<br />
Dubi, directeur exécutif des JO au CIO, à l’occasion du lancement<br />
de l’Alliance Jokko. Pourtant, si la cocréation semble être<br />
le mot d’ordre de la quatrième édition des Jeux olympiques de la<br />
jeunesse, Ibrahima Wade l’assure : « Au COJOJ incombe la tâche<br />
de colorer les Jeux avec les saveurs locales, faites d’authenticité<br />
et d’hospitalité. » Son sourire semble indiquer : détails classés<br />
secret-défense, rendez-vous dans quatre ans. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 85
86 AFRIQUE MAGAZINE I 402 – MARS 2020
interview<br />
Mamadou<br />
Diagna Ndiaye<br />
« Les JOJ donneront<br />
à voir la richesse<br />
et la diversité<br />
de l’Afrique »<br />
Les Jeux olympiques de la jeunesse<br />
auront lieu à Dakar en 2026. C’est la<br />
première fois que le continent accueillera<br />
un événement de cette dimension. Retour<br />
sur les raisons de ce choix et les enjeux de<br />
l’organisation avec le président du Comité<br />
national olympique et sportif sénégalais.<br />
propos recueillis par Zyad Limam<br />
PAPA MATAR DIOP/PRÉSIDENCE DU SÉNÉGAL<br />
Le président<br />
Macky Sall<br />
tenant la torche<br />
olympique<br />
remise par<br />
Mamadou<br />
Diagna Ndiaye,<br />
le 20 novembre<br />
2021, à Dakar.<br />
<strong>AM</strong> : De la part du Comité internationale olympique<br />
(CIO), il s’agit d’un choix historique. Quels étaient les<br />
points forts de la candidature de Dakar et du Sénégal ?<br />
Mamadou Diagna Ndiaye : Le projet proposé, sous la direction<br />
du président de la République, était ambitieux et techniquement<br />
viable. Notre pays, terre de tolérance, d’expression libre de la<br />
pensée, de dialogue, ainsi que sa beauté sont autant de points<br />
qui se sont imposés aux décideurs.<br />
À l’origine, les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ)<br />
devaient se tenir en 2022. Comment justifier<br />
un report de quatre ans ? La pandémie de Covid-19<br />
est-elle la seule explication ?<br />
Oui, c’est la seule explication et la meilleure alternative.<br />
Nous avions le choix entre les décaler ou les annuler. Suivant<br />
la même logique, les Jeux olympiques (JO) de Tokyo ont été<br />
décalés à 2021 après de multiples péripéties. Paris 2024 étant<br />
acté, il nous restait 2026, la date la plus proche pour respecter<br />
la phase séquentielle des deux années qu’imposent les règles.<br />
C’est en responsabilité que le président de la République et le<br />
président du CIO ont décidé, d’un commun accord, du report<br />
87
INTERVIEW<br />
des Jeux olympiques de la jeunesse, dans un contexte sanitaire<br />
mondial incertain et particulièrement volatil.<br />
En quoi ces Jeux seront-ils différents,<br />
« sénégalais », « africains »?<br />
D’abord parce qu’ils sont organisés pour la première fois en<br />
Afrique, le continent de la jeunesse. Pour l’image de l’Afrique,<br />
et qu’on lui fasse davantage confiance dans l’avenir, le Sénégal<br />
doit en réussir l’organisation. Les JOJ, à la différence des JO,<br />
ne sont pas seulement un événement sportif. Ils comportent un<br />
volet culturel tout aussi important. L’Afrique est un continent de<br />
culture. Les expressions artistiques qui seront programmées lors<br />
de ces Jeux donneront à voir la richesse et la diversité de cette<br />
dernière. Ces JOJ sont organisés au Sénégal, mais la dimension<br />
africaine sera un marqueur dans la programmation et dans l’organisation.<br />
L’héritage qu’ils laisseront sera également au profit<br />
de la jeunesse sénégalaise et africaine.<br />
Quelle est leur « architecture »?<br />
Elle demeure la même, autour de l’idéal de l’olympisme, qui<br />
se nourrit du passé et s’enrichit des apports du vécu de tous les<br />
jours pour écrire le futur. Les JOJ sont des jeux multisports, avec<br />
une dimension culturelle et éducative, qui a pour cible les jeunes<br />
gens de 15 à 18 ans. Ils visent à aider à la promotion des activités<br />
sportives, à diffuser et favoriser le partage des valeurs olympiques,<br />
à faire éclore et évoluer des talents et espoirs nouveaux.<br />
Le Stade du Sénégal, à Diamniadio, qui doit être<br />
inauguré prochainement, fera-t-il partie intégrante<br />
des Jeux ?<br />
Le Stade du Sénégal a été pensé comme un cadeau à la<br />
jeunesse et à la communauté sportive du pays, dans le prolongement<br />
de l’attribution des Jeux par le CIO. C’est une infrastructure<br />
remarquable et un atout certain. Au niveau du comité<br />
d’organisation, en rapport avec le CIO, nous sommes en train de<br />
Les jeunes gens<br />
de 15 à 18 ans doivent s’investir<br />
pleinement pour la réussite<br />
de l’événement. C’est leur fête.<br />
réfléchir pour y programmer des compétitions, voire y organiser<br />
la cérémonie d’ouverture, car il présente aussi l’avantage d’être<br />
bien situé. Mais nous verrons en temps utile, après concertations<br />
avec les autorités, l’usage que nous en ferons.<br />
L’État s’est-il totalement investi aux côtés du Comité<br />
d’organisation des Jeux olympiques de la jeunesse<br />
(COJOJ) ? Macky Sall est-il votre principal soutien ?<br />
Le soutien du président Macky Sall se traduit par son implication<br />
personnelle, et cela depuis le début. Il a conduit la délégation<br />
à Buenos Aires en 2018, lors de la désignation de Dakar<br />
comme ville hôte. Depuis, il suit, à travers divers canaux, les<br />
préparatifs. Il a également demandé à tous les services de l’État<br />
de rester mobilisés et de tout mettre en œuvre pour la réussite<br />
de ce premier événement olympique en terre africaine. C’est un<br />
sérieux gage de succès.<br />
Quel rôle joue le CIO sur l’organisation ? Comment<br />
se répartissent les tâches avec le COJOJ ?<br />
Les deux comités sont inscrits depuis la désignation de<br />
Dakar dans un processus de cocréation, afin de délivrer des<br />
Jeux conformes aux attentes de toutes les parties prenantes.<br />
Nous avons défini ensemble une matrice des rôles et responsabilités,<br />
un bel outil de planification qui recense les actions<br />
devant être menées et qui identifie les responsables qui en ont<br />
la charge. Le document a été élaboré sur la base du plan d’édition<br />
signé entre l’État du Sénégal, la Ville de Dakar, le Comité<br />
national olympique et sportif sénégalais (CNOSS), le COJOJ<br />
et le CIO. C’est vraiment dans cet esprit de collaboration et de<br />
partage d’expériences que nous travaillons avec ce dernier pour<br />
une excellente organisation.<br />
Paris 2024 et Dakar 2026 ont signé une convention de<br />
coopération. Quels sont les effets positifs d’un tel accord ?<br />
Le partenariat avec Paris 2024 est bénéfique à plus d’un<br />
titre. Notre collaboration se fait dans un cadre plus élargi<br />
appelé Alliance Jokko, qui regroupe, en plus de Paris 2024<br />
et Dakar 2026, l’Agence française de développement (AFD),<br />
l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance<br />
(INSEP), la Ville de Paris, la Région Île-de-France et bien d’autres<br />
partenaires français. La convention de partenariat Paris 2024-<br />
Dakar 2026 prévoit des échanges qui porteront notamment sur<br />
l’organisation opérationnelle et la livraison des Jeux, la formation<br />
des ressources humaines, la stratégie d’héritage, le plan<br />
de transformation, le développement durable, l’engagement et<br />
la mobilisation de la jeunesse, entre autres<br />
domaines. Avant le report, Paris 2024 devait<br />
hériter de Dakar 2022. Mais, puisque les<br />
JOJ se dérouleront en 2026, c’est Dakar qui<br />
bénéficiera de l’expertise de Paris. Enfin,<br />
cette coopération comporte un volet technique<br />
qui inclut le transfert d’équipements<br />
entre les deux comités d’organisation, dans<br />
une démarche commune de promotion de<br />
l’économie circulaire et de Jeux durables.<br />
Quels sont les principaux challenges que le pays<br />
et le COJOJ doivent relever d’ici 2026 pour assurer<br />
une organisation optimale ?<br />
Le premier défi à relever demeure celui de l’appropriation<br />
et de la participation. C’est la fête de la jeunesse. Il faut que la<br />
population en général, et en particulier les jeunes gens de 15<br />
à 18 ans adhèrent à ce projet et s’investissent pleinement pour<br />
la réussite de l’événement. La question de la sécurité constitue,<br />
dans le contexte global du monde actuel, un second défi majeur.<br />
La participation gagnante de nos athlètes est également, bien<br />
88 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Sur une plage publique de la Corniche, où de nombreux jeunes viennent faire du sport.<br />
SADAK SOUICI<br />
sûr, dans tous les esprits. Il est temps que le Sénégal monte de<br />
nouveau sur le podium des JO. Enfin, l’environnement doit être<br />
de qualité et s’insérer parfaitement dans la politique environnementale<br />
déclinée par le gouvernement.<br />
Comment rentabiliser sur le long terme la plupart<br />
des installations sportives qui auront été construites<br />
pour les JOJ 2026 ?<br />
Historiquement, l’héritage des Jeux olympiques a souvent<br />
posé des problèmes de réaffectation des investissements réalisés.<br />
Au Sénégal, nous avons opté pour une démarche prudentielle, et<br />
mis l’accent sur la réhabilitation et la modernisation de certaines<br />
de nos structures existantes, comme la piscine de Dakar, qui<br />
sera rénovée par l’AFD, ou le stade Iba Mar Diop. La réalisation<br />
du stade de Diamniadio entre dans la programmation du plan<br />
d’équipement en infrastructures modernes de l’État du Sénégal.<br />
Le village olympique, bâti sur le campus de l’Université Amadou<br />
Mahtar Mbow, servira, par la suite, de résidence pour étudiants.<br />
Et les infrastructures complémentaires à Saly combleront en<br />
partie le déficit d’installations sportives des villes de l’intérieur.<br />
Vous êtes investi depuis longtemps dans le mouvement<br />
olympique sénégalais. Vous êtes membre du toutpuissant<br />
CIO. Que représente pour vous le sport ?<br />
Celui-ci est-il réellement un investissement nécessaire ?<br />
Quelle importance a-t-il dans le développement<br />
d’un pays comme le Sénégal ?<br />
Dans ma tendre jeunesse, à Saint-Louis, ma ville natale,<br />
j’ai d’abord été attiré par le sport de rue – comme d’ailleurs la<br />
plupart des enfants. Cette passion qui ne m’a jamais quitté n’est<br />
sans doute pas étrangère à mon parcours : tour à tour président<br />
de fédération, de confédération, du CNOSS, et membre du CIO.<br />
On attribue à Pierre de Coubertin le fait d’avoir redonné vie à<br />
l’expression de Juvénal, « Mens sana in corpore sano », autre-<br />
ment dit « un esprit sain dans un corps sain ». Si cela devait<br />
être la seule vertu du sport, elle vaudrait largement la peine<br />
de s’y investir sans réserve. Mais le sport, langage universel,<br />
nous imprègne, en prime, de toutes les valeurs consubstantielles<br />
au vivre-ensemble, dont la paix, la tolérance et le respect<br />
de l’autre sont le socle intangible qui fonde la cohésion<br />
sociale. Investissement humain et social indispensable, il est<br />
aujourd’hui, par les opportunités économiques qu’il génère, au<br />
cœur des politiques de développement et du rayonnement culturel<br />
de tous les pays.<br />
La jeunesse représente au Sénégal, comme<br />
dans de nombreux pays d’Afrique, à la fois<br />
une fantastique opportunité et un enjeu important.<br />
Comment répondre à cette équation ?<br />
La jeunesse est en effet un levier formidable dans un<br />
processus de développement qui se joue sur le long terme.<br />
La problématique est complexe, les approches plurielles. Il n’y a<br />
pas de solution prête à l’emploi, mais il ne fait de doute pour<br />
personne que les réponses à cet enjeu sociétal de premier ordre<br />
tiennent à notre capacité à faire face ensemble.<br />
Vous êtes un personnage public et, en même<br />
temps, très secret. L’opinion et la rumeur vous accordent<br />
toutes sortes d’ambitions et de relations très haut<br />
placées, au Sénégal et ailleurs. Cette position de patron<br />
du COJOJ Dakar 2026 vous expose politiquement.<br />
Êtes-vous serein ?<br />
« Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être<br />
les organisateurs », disait Jean Cocteau. « Je ne laisse pas les<br />
rumeurs et les critiques influer sur mes choix et mes décisions,<br />
a déclaré l’actrice Emma Watson. Cela me ferait perdre beaucoup<br />
d’opportunités et d’expériences. » C’est vrai, je n’affectionne<br />
pas les rumeurs et les polémiques en carton. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 89
90 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
société<br />
L’AGE<br />
DES<br />
REVES<br />
ET DE<br />
L’ACTION<br />
XXXXXXXXX SADAK SOUICI<br />
Sur l'île de Gorée,<br />
devant la statue<br />
commémorant la libération<br />
de l'esclavage.<br />
Un peu plus de la moitié<br />
de la population a moins<br />
de 20 ans. C’est à la fois<br />
une force, une opportunité<br />
et une exigence. Largement<br />
présente dans les nouveaux<br />
cercles digitaux, comme<br />
au sein du tissu associatif,<br />
cette jeunesse, mise<br />
à mal par la pandémie,<br />
reste réaliste, ambitieuse<br />
et optimiste. par Estelle Ndjandjo<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 91
SOCIÉTÉAu printemps 2021, des manifestations<br />
violentes éclatent dans le pays, à la<br />
suite de l’arrestation de l’opposant<br />
Ousmane Sonko, accusé de viol. De<br />
celles-ci résulte un rassemblement<br />
prodémocratie plus large, mené par<br />
la jeunesse du pays. Ce mouvement<br />
traduit une perte de confiance envers<br />
les institutions. Pourtant, en 2019, une enquête du think tank<br />
Futuribles a montré l’optimisme de la jeunesse face à l’avenir<br />
du pays. Près de 75 % des jeunes ont estimé que la démocratie<br />
participative aura progressé d’ici 2030. Mais la pandémie a<br />
ralenti l’économie informelle, dont dépendent tant de familles<br />
sénégalaises, aggravant encore un peu plus le contexte socioéconomique.<br />
En mars, des milliers de manifestants descendent<br />
alors dans la rue, pour dénoncer le manque de justice sociale et<br />
de démocratie. C’est le lancement du mouvement #FreeSenegal.<br />
Un hashtag devenu viral sur les réseaux sociaux, générant à<br />
partir du 3 mars 2021 plus de 2,8 millions de tweets. Cette mobilisation<br />
virtuelle fait suite aux manifestations opposant jeunes<br />
et forces de l’ordre. Pape Demba Dione est à l’initiative de ce<br />
hashtag. Il est à l’image de cette jeunesse engagée et connectée.<br />
Sous son calme typiquement sénégalais, se cache un redoutable<br />
communicant numérique. Il a compris que la mobilisation africaine<br />
si vite étouffée trouvait sa liberté sur la Toile. Rapidement,<br />
#FreeSenegal est aussi devenu un outil pour lancer des initiatives<br />
citoyennes, afin d’aider les blessés au sein des manifestations.<br />
Il a fallu moins d’une semaine au mouvement pour réunir<br />
10 millions de francs CFA à destination des familles de blessés.<br />
Un appel à la mobilisation a permis, en moins de trois jours, de<br />
récolter 300 pochettes de sang.<br />
La société civile et la jeunesse sont en avance sur les dirigeants<br />
selon Cheikh Fall, le cofondateur d’AfricTivistes, la ligue<br />
africaine des blogueurs et Web activistes pour la démocratie. Il<br />
définit « la démocratie silencieuse comme étant l’expression publique<br />
d’une partie de la population, restée longtemps aphone<br />
et qui se positionne en force de contestation pour des exigences<br />
républicaines ». Des exigences d’une partie de la jeunesse que<br />
Cheikh Fall a récemment exposées au sommet Afrique France,<br />
qui s’est tenu à Montpellier en novembre 2021. Devant le président<br />
français Emmanuel Macron, il a dénoncé avec émotion le<br />
passé colonialiste et néocolonialiste entre la France et l’Afrique.<br />
Il l’a désigné comme « un passé lourd à porter » pour les jeunes<br />
générations. L’activiste panafricain n’en est pas à son coup d’essai<br />
concernant les luttes démocratiques. En 2012, lors des élections<br />
présidentielles, il avait créé la plate-forme Sunu2012.sn,<br />
destinée à surveiller le bon déroulement du scrutin électoral<br />
au Sénégal. Natty Seydi, également cofondateur d'Afric-<br />
Tivistes, souligne cette force numérique qui grandit dans l’espace<br />
public : « Aujourd’hui, si tu as un problème, la première<br />
chose que tu fais, c’est un post sur Internet. Ce que les gens<br />
espèrent, c’est cette relation entre les nouveaux médias et les<br />
médias traditionnels. »<br />
OBJECTIFS : ZÉRO GROSSESSE NON DÉSIRÉE<br />
ET ZÉRO MARIAGE FORCÉ<br />
Les femmes donnent de la voix pour faire respecter leurs<br />
droits. De nombreux collectifs existent partout dans le pays<br />
pour lutter contre les violences faites aux femmes. Certains<br />
encouragent la scolarisation des filles. Sylvie Diack, une étudiante<br />
de 22 ans et animatrice radio de l’organisation Parole<br />
aux jeunes, en a fait son cheval de bataille. Elle milite pour<br />
l’université pour toutes au Sénégal, où une femme sur trois ne<br />
fait pas d’études supérieures. Dans ses émissions diffusées sur<br />
Facebook, elle donne la parole aux filles et aux associations.<br />
Et met en avant les nouvelles initiatives citoyennes féminines.<br />
C’est le cas du pacte de Kolda, mis en place dans la région du<br />
même nom, en Casamance. Ce pacte est un accord signé entre<br />
les parents, qui garantissent à leurs filles de ne pas les marier<br />
avant leurs 18 ans. En retour, celles-ci ne doivent pas tomber<br />
enceintes et assurent pendant leur scolarité un travail de sensibilisation,<br />
comme leaders de communauté. Leur objectif ? Zéro<br />
grossesse non désirée et zéro mariage forcé.<br />
DR<br />
92 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
SADAK SOUICI/LE PICTORIUM - MAX HIRZEL/HAYTH<strong>AM</strong>-REA<br />
À gauche,<br />
l’animatrice<br />
radio Sylvie<br />
Diack milite<br />
pour l’université<br />
pour toutes.<br />
Ci-dessus,<br />
la surfeuse<br />
Khadjou<br />
Sambe, qui<br />
vise les Jeux<br />
olympiques<br />
de la jeunesse<br />
en 2026.<br />
Et ci-contre,<br />
Cheikh Fall,<br />
cofondateur<br />
de la ligue<br />
AfricTivistes.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 93
SOCIÉTÉ<br />
Ce renouveau féministe se retrouve également au niveau<br />
sportif. Enfonçant les portes qui se fermaient à elle, Khadjou<br />
Sambe est devenue la première surfeuse professionnelle du<br />
pays. À 26 ans, elle tente de participer aux prochains Jeux olympiques<br />
de la jeunesse organisés en 2026. Khadjou est originaire<br />
de Ngor, un village de pêcheurs au nord de la ville. Elle a dû<br />
affronter les préjugés pour monter sur sa planche : « J’ai commencé<br />
entre 13 et 14 ans. J’habite tout près de la plage, donc je<br />
voyais les gens partir surfer et je me demandais : “Mais où sont<br />
les filles ?” Je me suis alors dit : “Pourquoi pas surfer en tant<br />
que fille, en tant que Sénégalaise, en tant qu’Africaine.” Je suis<br />
la seule femme qui surfe dans ma famille, pourtant mon oncle,<br />
Kenu, laboratoire<br />
artistique<br />
Ce centre d’art est situé à Ouakam, un<br />
quartier populaire de Dakar. Il a été créé<br />
par Alibeta, un artiste pluridisciplinaire,<br />
qu’il décrit comme un laboratoire des<br />
imaginaires. Kenu signifie « pilier » en wolof. Le centre<br />
joue aussi un rôle communautaire important dans<br />
le quartier auprès des lycéens et étudiants qui le<br />
fréquentent. Cinéma populaire, studio de musique,<br />
scène de théâtre, résidence d’artistes, galerie d’exposition,<br />
Kenu propose un espace où le vivre-ensemble est possible.<br />
La troupe du théâtre-forum est composée de jeunes<br />
Dakarois et Dakaroises. Ils y interprètent, sensibilisent<br />
et s’approprient des sujets de société. ■<br />
mon cousin, mes neveux surfent aussi. » Khadjou Sambe a reçu<br />
l’aide de Black Girls Surf. Cette organisation sportive, fondée<br />
par la surfeuse noire américaine Rhonda Harper, aide les jeunes<br />
filles à devenir pro, grâce à un entraînement de haut niveau.<br />
Comme de nombreux surfeurs à Dakar, Khadjou confie avoir<br />
à maintes reprises ramassé sur sa planche des déchets flottant<br />
dans l’eau.<br />
Cette sensibilisation à la cause environnementale touche<br />
toute sa génération. Quand les opérations de quartier pour nettoyer<br />
les plages se mettent en place dans le sud du pays, les jeunes<br />
Casamançais replantent la mangrove en perdition. Yaro Sarr<br />
est un étudiant en physique-chimie. À Dakar, il a fait partie de<br />
ces premiers jeunes à mobiliser les<br />
autres aux questions écologiques.<br />
À peine sorti de l’adolescence, il<br />
a fait parler de lui en 2019. Alors<br />
qu’il fait du porte-à-porte lors d’une<br />
action de sensibilisation du grand<br />
public, il tombe sur un homme qui<br />
le frappe, le discours environnemental<br />
passant toujours mal dans<br />
un pays où les confréries religieuses<br />
prospèrent. Il finira par porter un<br />
appareil dentaire. Qu’à cela ne<br />
tienne, Yaro Sarr continue et rassemble<br />
de plus en plus d’étudiants<br />
et de lycéens, derrière Fridays For<br />
Future Sénégal, le mouvement<br />
écologiste de Greta Thunberg.<br />
Toujours connectée, la jeunesse<br />
use et abuse des platesformes<br />
numériques, fédérant grâce<br />
aux réseaux sociaux des initiatives<br />
citoyennes. En tête, on retrouve le<br />
compte Save Dakar (Sauvons Dakar), destiné à promouvoir le<br />
vivre-ensemble et l’écologie. Plus qu’un compte sur les réseaux,<br />
c’est une philosophie de vie dans laquelle se reconnaissent<br />
65 000 abonnés.<br />
#DEUILNATIONAL, COMMENT RENDRE<br />
HOMMAGE AUX MORTS EN MER<br />
Agir ici et souvent rêver d’ailleurs. La route vers les îles<br />
Canaries est devenue ces dernières années un passage alternatif<br />
de migration clandestine vers l’Europe. Ces îles espagnoles,<br />
territoire européen le plus proche des côtes ouest-africaines,<br />
voient se multiplier les candidats à l’exil venant du Maroc<br />
comme du Sénégal. En novembre 2020, une embarcation de<br />
plus de 480 Sénégalais a échoué en mer. Un drame relayé par<br />
le hashtag #DeuilNational lancé (également) par Pape Demba<br />
Dione, qui a encouragé les citoyens à rendre hommage et à prier<br />
face à cette tragédie. Un phénomène illustré au cinéma dans<br />
Atlantique, de Mati Diop, sorti en 2019. Sélectionné aux Oscars<br />
DR<br />
94 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Sur le campus de l’université<br />
Cheikh Anta Diop,<br />
l’une des facultés les plus<br />
réputées d’Afrique de l’Ouest.<br />
SYLVAIN CHERKAOUI/COSMOS<br />
dans la catégorie du meilleur film étranger, il avait mis un coup<br />
de projecteur sur le phénomène. Au sein du pays, la question<br />
du départ est un sujet épineux, qui divise. Après avoir interrogé<br />
les membres de la troupe de théâtre-forum [voir encadré<br />
ci-contre] sur la migration clandestine, il est apparu que la majorité<br />
d'entre eux souhaite rester au Sénégal, mais rêve de voyager<br />
sans pouvoir le faire. Pour Mohamed, 19 ans, étudiant, la vie en<br />
Europe ne le fait plus rêver : « Les gens ici pensent que lorsque<br />
tu es en Europe, tu es fortuné, tu as tout l’or du monde, t’es en<br />
paix, alors que ce n’est pas facile. J’ai un cousin qui est là-bas,<br />
il joue au foot et m’a assuré que sa vie était une vraie galère. »<br />
Pour ceux qui restent, l’université au Sénégal reste accessible<br />
et maintient un bon niveau à l’échelle de la sous-région.<br />
Les quartiers de l’université de Dakar attirent même une multitude<br />
de nationalités différentes dans ses résidences étudiantes :<br />
Marocains, Nigérians, Camerounais, Congolais se bousculent<br />
pour étudier la médecine à l’université Cheikh Anta Diop, l’une<br />
des facultés les plus réputées d’Afrique de l’Ouest.<br />
Les étudiants investissent le monde, aussi bien au Maroc,<br />
au Canada qu’en Chine. Dans les hôtels de luxe de la capitale,<br />
il n’est pas rare d’assister à des journées portes ouvertes, entièrement<br />
dédiées aux opportunités nord-américaines. Les classes<br />
les plus aisées envoient leurs enfants à l’Université McGill de<br />
Montréal ou, par exemple, à Vancouver, qui compte déjà une<br />
bonne communauté sénégalaise implantée. L’Europe n’est<br />
plus le passage obligé. Les pays du Nord étant de plus en plus<br />
Les étudiants<br />
investissent le monde,<br />
au Maroc, au<br />
Canada, en Chine.<br />
L’Europe n’est plus<br />
le passage obligé.<br />
sélectifs, l’arrivée d’étudiants extra-européens majoritairement<br />
africains devient difficile. En outre, ces dernières années, les relations<br />
entre le Sénégal et la Chine se sont développées, ouvrant<br />
un horizon à l’Est. Des accords bilatéraux prévoient l’obtention<br />
de bourses d’études pour les étudiants désireux de s’installer en<br />
Chine.<br />
Quand une partie de la jeunesse s’exporte, l’autre,<br />
diasporique d'Europe ou d'Amérique du Nord, projette un retour<br />
au pays des parents – à l'instar des « Sénégaulois », comme on les<br />
appelle, qui tentent l’expérience d’une autre qualité de vie, de<br />
nouvelles opportunités. Ces binationaux sont souvent entrepreneurs,<br />
artistes, travaillent dans des grandes firmes ou s’attellent<br />
à du travail social sur place, pour le rayonnement de leur pays. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 95
Navire de<br />
chargement (PSV)<br />
à quai au niveau<br />
de la Senegal<br />
Supply Base.<br />
Senegal Supply Base<br />
Façonner la chaîne<br />
d’approvisionnement<br />
de demain<br />
Opération de<br />
manutention<br />
d’un conteneur<br />
cargo offshore.<br />
Senegal Supply Base (SSB) a été<br />
créée en 2020 en vue de l’exploitation<br />
du pétrole et du gaz au Sénégal.<br />
Sa base logistique, située dans le<br />
port autonome de Dakar, soutient les<br />
plates-formes d’exploitation offshore.<br />
S’appuyant sur le modèle de centre logistique<br />
à services intégrés développé<br />
partout où a lieu une activité pétrolière,<br />
Senegal Supply Base offre une gamme<br />
complète de services à l’industrie du<br />
pétrole et du gaz au Sénégal. SSB fournit<br />
à chaque entreprise des installations<br />
et des zones dédiées pour la gestion et<br />
l’exploitation de ses activités logistiques<br />
capables de soutenir les opérations<br />
offshore en pleine croissance. Avec un<br />
investissement de 17 millions de dollars,<br />
SSB aura pour première mission<br />
de démontrer une expertise de classe<br />
mondiale et de devenir une base d’approvisionnement<br />
logistique multiutilisateurs<br />
exclusive pour les activités<br />
pétrolières et gazières.<br />
Le Sénégal, un producteur de pétrole<br />
et gaz à grande échelle demain<br />
Les premiers projets pétroliers et gaziers<br />
du Sénégal sont en cours de développement<br />
et la première production<br />
est attendue d’ici un an. L’émergence du<br />
Sénégal en tant que joueur clé de l’industrie<br />
pétrolière et gazière a été remarquable.<br />
Il est important que la communauté<br />
locale soit impliquée dans cette<br />
ambition. Et il est également important
Visite de la base<br />
par les équipes<br />
de Senegal<br />
Supply Base.<br />
Vue aérienne<br />
de la Senegal<br />
Supply Base.<br />
Tests des<br />
dispositifs<br />
deforage, dits<br />
« christmas<br />
trees ».<br />
de créer un environnement favorable<br />
aux investisseurs dans le secteur pétrolier.<br />
Les projets « Fast-Track » seront un<br />
objectif réalisable grâce à l’implication<br />
forte des secteurs privé et public. Le<br />
contenu local est une création de valeurs.<br />
C’est pourquoi le Sénégal a mis<br />
en œuvre des politiques et des cadres<br />
appropriés afin que le bénéfice du développement<br />
de ces nouvelles énergies retombe<br />
sur les investisseurs ainsi que sur<br />
les populations locales.<br />
“L’exploration<br />
et l’exploitation<br />
des ressources<br />
de pétrole<br />
etde gaz nécessitent<br />
desinvestissements<br />
immenses, qui sont hors de<br />
portée du budget national.<br />
Mais la bonne nouvelle,<br />
c’est que la chaîne de<br />
valeur du pétrole et du gaz<br />
offre une large gamme<br />
d’activités génératrices<br />
derevenus et à la portée<br />
dusecteur privé national.”<br />
M. Macky Sall Président de la République<br />
Les engagements<br />
de Senegal<br />
Supply Base<br />
Mission<br />
Fournir des services de qualité<br />
enmatière de logistique intégrée<br />
etdegestion des bases pour soutenir<br />
les acteurs du secteur pétrolier et gazier,<br />
avec sécurité et professionnalisme,<br />
afinde satisfaire les clients.<br />
Vision<br />
Devenir l’entreprise logistique de<br />
référence dans le secteur pétrolier au<br />
Sénégal, dans le respect des ressources.<br />
Valeurs<br />
Sécurité,<br />
santé et environnement,<br />
éthique et intégrité,<br />
valorisation du capital humain,<br />
orientation du client avec performance<br />
et création de valeur,<br />
qualité et professionnalisme.<br />
www.senegalsupplybase.com<br />
PUBLI-REPORTAGE
évasions<br />
POUR UN VOYAGE<br />
NEW-LOOK<br />
Le tourisme est et restera un secteur clé de l’économie du pays.<br />
Avec de véritables perspectives d’avenir post-Covid. À condition<br />
d’affronter les obstacles structurels et de s’inscrire dans un schéma<br />
réellement écologique. par Jérémie Vaudaux<br />
Une pandémie bien opportune ? Alors que<br />
le monde se retranchait derrière ses frontières,<br />
le secteur du tourisme sénégalais<br />
fourbissait ses armes. N’allons pourtant<br />
pas parler d’une bénédiction pour le pays<br />
de la Teranga. Les 300 jours de soleil n’ont<br />
guère réchauffé le cœur des acteurs d’un<br />
secteur sinistré. Et ce, malgré les 157 milliards de francs CFA<br />
(239 millions d’euros) injectés dans les domaines de l’aérien<br />
et du tourisme par le biais du Programme de résilience économique<br />
et solidaire (PRES) en 2020. S’il n’existe pas de statistiques<br />
officielles à propos des faillites d’entreprises touristiques<br />
post- Covid, on ne peut qu’imaginer l’hécatombe dans un secteur<br />
qui reste en partie informel et qui représentait en 2019<br />
le deuxième pourvoyeur d’emplois derrière l’agriculture, avec<br />
300 000 actifs directs et indirects. Entre 2018 et 2020, l’activité<br />
touristique s’est contractée de 78 %. Selon les récentes modélisations<br />
d’une enquête de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD),<br />
2021 et ses incertitudes l’auraient fait reculer de 30 %. N’empêche.<br />
Le secteur veut sortir grandi de la crise sanitaire, afin<br />
d’ouvrir les portes de son pays. Comme un symbole de l’embellie<br />
sénégalaise, le Club Med de Cap Skirring, en Casamance, se<br />
réveillait en décembre 2021 après une torpeur qui durait depuis<br />
près de deux ans. À l’horizon de 2025, le Sénégal souhaite<br />
PICASA<br />
98 HORS-SÉRIE
Le fleuve Sénégal,<br />
long de 1 750 kilomètres.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 99
ÉVASIONS<br />
Des marchés<br />
différents et<br />
complémentaires<br />
La relance du tourisme passe par une<br />
redéfinition des flux. Historiquement,<br />
la France représente le contingent<br />
le plus important de touristes au Sénégal,<br />
ce que confirment les chiffres d’avant la pandémie :<br />
400161 Français avaient plébiscité la destination<br />
en 2018. Des chiffres qui font état d’une forte<br />
dépendance à ce marché émetteur, dont les entrées sont<br />
supérieures à celles de tous les pays d’Afrique réunis<br />
– et plus de 10 fois supérieures aux entrées américaines,<br />
estimées à 34329. Pourtant, pas de statu quo.<br />
L’ouverture en septembre 2021 d’une ligne Air Sénégal<br />
entre Dakar, New York et Washington est censée venir<br />
stimuler un segment de marché porteur – celui du<br />
tourisme mémoriel, centré sur les vestiges patrimoniaux<br />
de la traite négrière au mémorial de Gorée et au Musée<br />
des civilisations noires, notamment. En parallèle,<br />
l’ASPT appuie depuis 2017 la promotion du marché<br />
touristique auprès des résidents. Au programme :<br />
des plages, de la nature et de la culture. Et ça<br />
marche. Entre 2016 et 2018, la part des Sénégalais<br />
dans les arrivées globales hôtelières a augmenté<br />
de 7 %, pour atteindre 32 %. Le site Internet<br />
Taamu Sénégal, bardé d’offres promotionnelles,<br />
initié en 2020 comme rempart à la pandémie et<br />
maintenu en 2022, pourrait bien capitaliser sur<br />
cette bonne dynamique du tourisme interne. ■<br />
L’île de Gorée est une destination très prisée. Ici,<br />
des touristes devant l’église Saint-Charles Borromée.<br />
attirer 4,1 millions de touristes, contre 2,1 millions avant la<br />
pandémie, et dégager 1 000 milliards de FCFA (1,52 milliard<br />
d’euros) de recettes, contre 710 milliards de FCFA (1,08 milliard<br />
d’euros) en 2018. Vertigineux, mais il y a mieux : « Le Sénégal<br />
sera le premier hub aérien et touristique d’Afrique de l’Ouest »,<br />
clamait le président Macky Sall en avril 2021. L’affirmation n’est<br />
pas gratuite. Elle repose sur une stratégie nationale bien rodée.<br />
UNE VOLONTÉ POLITIQUE<br />
En 2019, le secteur participait au produit intérieur brut (PIB)<br />
à hauteur de 8 %, juste derrière les 12 % de celui de la pêche.<br />
C’est à ce titre qu’il a été érigé en priorité nationale dans le cadre<br />
du Plan Sénégal Emergent (PSE), projet de développement<br />
multi sectoriel lancé en 2014, qui est entré dans sa deuxième<br />
phase en 2019. D’ici 2025, les chantiers touristiques auront<br />
englouti 840 milliards de FCFA (1,28 milliard d’euros), sans<br />
compter les 424 milliards de FCFA (646 millions d’euros) dédiés<br />
à la construction de l’aéroport international Blaise Diagne. La<br />
modernisation des infrastructures de transport représente l’un<br />
des cinq axes prioritaires de la modernisation du secteur du<br />
tourisme au Sénégal, complété par le renforcement de la gouvernance,<br />
du tourisme local, du marketing et de l’expérience client.<br />
Malgré le réseau routier relativement dense par rapport<br />
aux autres pays d’Afrique de l’Ouest, certaines zones souffrent<br />
encore d’un relatif enclavement – un état de fait que vise à corriger<br />
le Programme de réhabilitation des aéroports du Sénégal<br />
(PRAS), initié en 2018 avec la rénovation de l’aéroport de<br />
Saint-Louis. En décembre 2021, c’est au tour de l’aéroport de<br />
Cap Skirring d’être réhabilité. Ziguinchor, Kédougou, Podor,<br />
Tambacounda et Ourossogui suivront en 2022. Ces points sont<br />
stratégiques. Ils correspondent aux six zones touristiques décrétées<br />
d’intérêt national par l’Agence sénégalaise de promotion<br />
touristique (ASPT), qui opère sous la houlette du ministère du<br />
Tourisme et des Transports aériens. Chacune d’entre elles sera<br />
adossée à des parts de marché clairement établies – dans des<br />
soucis de lisibilité et de diversification de l’offre touristique,<br />
jusqu’alors trop univoque. Avant la pandémie de Covid-19, 54 %<br />
des flux visaient le tourisme balnéaire, contre seulement 7 % le<br />
tourisme culturel et 6 % l’écotourisme. Quant aux 33 % restants,<br />
ils convergeaient à l’endroit du tourisme d’affaires – un segment<br />
porteur, à la mesure des ambitions d’un Sénégal émergent et sur<br />
lequel l’ASPT souhaite appuyer.<br />
La marge de progression est grande dans le segment des<br />
MICE (acronyme anglais désignant les réunions, les congrès,<br />
les conventions et les voyages de gratification). En 2019,<br />
le classement de l’International Congress and Convention Association<br />
(ICCA), calculé sur la base du nombre d’événements d’affaires<br />
à portée internationale hébergés par pays, faisait pointer<br />
le Sénégal à la 18 e place des destinations africaines avec seulement<br />
cinq rencontres organisées. Le podium, composé de<br />
l’Afrique du Sud, du Maroc et du Rwanda, cumulant à eux trois<br />
180 événements est, pour l’heure, inatteignable. Le voisin<br />
SHUTTERSTOCK<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Symbole de l’embellie économique du pays, le Club Med de Cap Skirring a réouvert le 5 décembre 2021,<br />
après vingt et un mois de fermeture.<br />
DR<br />
ivoirien, fort de 11 événements, figurait à la 12 e place – de quoi<br />
piquer l’orgueil du Sénégal, qui ne cache pas son ambition de<br />
rattraper son rival régional sur ce secteur.<br />
Son principal levier ? Diamniadio. Situé à une trentaine de<br />
kilomètres au sud de Dakar, le pôle urbain encore en gestation<br />
cristallise les derniers investissements du pays – complétés par<br />
des fonds privés – en matière d’infrastructures d’envergure<br />
internationale. Le trio Centre des expositions/Centre international<br />
des conférences Abdou Diouf/Dakar Arena a ainsi vocation<br />
à polariser l’organisation d’événements institutionnels,<br />
artistiques et sportifs de premier ordre dans la sous-région<br />
d’Afrique de l’Ouest : « Toutes ces infrastructures permettent<br />
au Sénégal d’accueillir les plus grands événements du monde »,<br />
soutenait, en 2019, le ministre du Tourisme et des Transports<br />
aériens, Alioune Sarr, à l’occasion du salon touristique Top Resa,<br />
à Paris. Les perspectives récentes semblent lui donner raison.<br />
La programmation multisite du 9 e Forum mondial de l’eau,<br />
prévu en mars 2022, met à l’honneur le trio de Diamniadio.<br />
Initialement prévus en 2022 et reportés pour des raisons de<br />
calendrier bousculé par les contraintes sanitaires, les Jeux olympiques<br />
de la jeunesse (JOJ) auront bien lieu en 2026. Hormis<br />
les structures sportives situées dans la capitale intra-muros, les<br />
JOJ seront hébergés dans la moderne Dakar Arena. Quant à la<br />
ville côtière de Saly Portudal, située sur la Petite-Côte, à une<br />
cinquantaine de kilomètres de Dakar, elle accueillera les compétitions<br />
de natation. Un signal fort de requalification, pour les<br />
observateurs, de cette station balnéaire en perte d’attractivité.<br />
DES LENDEMAINS DURABLES ?<br />
Saly Portudal – qui fut, au lendemain des indépendances,<br />
le fleuron des 718 kilomètres de plage du Sénégal – cristallise<br />
les dangers d’un tourisme de masse sur l’environnement :<br />
« L’ouverture de Saly aux initiatives touristiques a provoqué des<br />
risques de saturation de l’espace. Ce milieu littoral est le théâtre<br />
d’exploitation abusive des ressources naturelles. Au point que<br />
plusieurs chercheurs sénégalais, au cours de ces dernières<br />
décennies, se sont posé avec acuité la question de sa survie »,<br />
pointait, en 2020, Mamadou Diombéra, enseignant-chercheur<br />
à l’université Assane Seck de Ziguinchor. L’étude dénonce le<br />
mitage artificiel du littoral de la Petite-Côte réalisé avec le blancseing<br />
de la Société d’aménagement et de promotion des côtes<br />
et zones touristiques du Sénégal (SAPCO). Après sa création<br />
en 1975, la société publique rattachée au ministère du Tourisme<br />
et des Transports aériens délivre des permis de construire à des<br />
promoteurs qui édifient à Saly des complexes hôteliers à une<br />
cinquantaine de mètres du rivage, frappé de plein fouet par<br />
l’érosion côtière. Les bungalows de l’hôtel Espadon s’en souviennent<br />
: ils durent fermer en 2014, lorsque les vagues commencèrent<br />
à leur lécher les pieds.<br />
Alors, plus jamais ça ? L’histoire pourrait pourtant bégayer<br />
à Pointe-Sarène, la dernière-née des stations balnéaires située<br />
à 20 kilomètres au sud de Saly. Afin de reconstituer les plages<br />
exsangues de cette dernière, l’Agence nationale pour la promotion<br />
des investissements et des grands travaux (APIX) recommande<br />
le dragage du sable au large des côtes de Pointe-Sarène.<br />
« Ses populations, accompagnées par les acteurs de la pêche du<br />
département de Mbour, pensent que les autorités sénégalaises<br />
veulent déshabiller Jean pour habiller Paul », pouvait-on lire dans<br />
le quotidien Enquête+. Les amateurs d’humour noir apprécieront.<br />
Quant aux optimistes, ils préféreront sans doute tourner<br />
la tête du côté du Sine Saloum, du Sénégal oriental ou de la<br />
Casamance. Sous l’impulsion d’acteurs locaux vivote un écotourisme<br />
certes confidentiel, vu le déséquilibre engendré par le<br />
tourisme d’affaires et balnéaire, mais porteur de perspectives<br />
sociales durables. « Au regard de la qualité et de l’importance de<br />
son capital naturel et culturel, le Sénégal gagnerait à développer<br />
l’écotourisme », annonçait, prophétique, une note du ministère<br />
du Tourisme et des Transports aériens en 2013. Neuf ans plus<br />
tard, sur les 27 points d’intérêt mis en avant par l’ASPT dans son<br />
plan de relance, 10 d’entre eux font la part belle aux parcs et<br />
réserves naturelles, aux rencontres ethniques et culturelles. De<br />
quoi augurer des lendemains plus verts, au pays de la Teranga. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 101
interview<br />
Samir Rahal « Nous avons<br />
tout ce qu’il faut pour réussir »<br />
Le directeur général du Terrou-Bi, à Dakar, propose des pistes<br />
pour le développement d’un tourisme haut de gamme.<br />
propos recueillis par Emmanuelle Pontié<br />
À<br />
l’origine un restaurant gastronomique ouvert en<br />
1986, le Terrou-Bi – « débarcadère » en wolof –<br />
est aujourd’hui l’un des fleurons de l’hôtellerie de<br />
luxe du pays. Cette institution familiale a évolué<br />
en hôtel en 2009, proposant plus de 100 chambres<br />
et suites. Agrandi en 2015 avec une extension de 56 nouvelles<br />
clés, le lieu se transforme en complexe avec piscine, nouveau<br />
restaurant et casino. Avec toujours plus de succès et d’étoiles.<br />
Rencontre avec son directeur général (DG).<br />
<strong>AM</strong> : En mars 2020, l’industrie touristique a dû s’arrêter<br />
à cause de la pandémie. Comment traversez-vous<br />
les différentes périodes de cette crise sanitaire mondiale ?<br />
Samir Rahal : Le Covid-19 a fait beaucoup de dégâts, chez nous<br />
comme chez nos concurrents. On attend beaucoup de 2022. Nous<br />
avons eu une véritable reprise depuis le mois d’octobre 2021,<br />
après avoir été plus qu’impactés pendant dix-huit mois. L’hôtel<br />
a été fermé pendant quatre mois [à partir de mars 2020, ndlr].<br />
Puis il nous a fallu six à huit mois pour tout remettre en route,<br />
en s’adaptant aux couvre-feux, de 18 heures puis de 21 heures.<br />
Jusqu’en octobre, nous avons travaillé autour de 40 % de notre<br />
capacité. Et ces dernières semaines, nous sentons un ralentissement<br />
à cause de la vague Omicron et du retour des tests obligatoires,<br />
des rappels pour les pass. C’est une période confuse,<br />
parce que nous n’avons pas de visibilité à court terme. Mais on<br />
ne peut pas se plaindre, car nous avons repris le travail. Le gouvernement<br />
a compris que nous n’avons pas les mêmes moyens<br />
qu’en Europe ou aux États-Unis. Nous ne sommes pas un pays<br />
riche mais en devenir, et si l’on oblige les gens à rester chez eux,<br />
eh bien… Nous sommes un peu obligés de faire avec le virus.<br />
Mais en ce qui concerne notre business, il faut que la clientèle<br />
internationale, qui représente 70 % de notre chiffre d’affaires,<br />
puisse continuer à venir pour que ça marche.<br />
Votre clientèle a-t-elle évolué ?<br />
Au début de la reprise, nous avons surtout accueilli des « touristes<br />
» de loisirs, qui ne pouvaient plus voyager à l’international<br />
et allaient donc en Casamance ou à Saly sur la Petite-Côte, ou<br />
bien à Dakar dans des établissements comme le nôtre avec une<br />
piscine ou une plage. Nous avons reçu un peu de clientèle d’affaires,<br />
venant de pays limitrophes comme le Mali, la Guinée<br />
ou la Mauritanie. Mais sans retrouver le volume enregistré au<br />
Terrou-Bi en vitesse de croisière normale.<br />
Que pensez-vous de l’offre hôtelière actuelle ?<br />
Comment vous positionnez-vous ?<br />
Le Sénégal est une destination idéale pour organiser des<br />
congrès, faire des affaires, grâce au développement fulgurant<br />
des opportunités dans le pays. Nous bénéficions de la vision<br />
du président Macky Sall, qui développe les infrastructures routières,<br />
sportives, de transport, etc. Globalement, je ne pense pas<br />
que la demande doit créer l’offre. C’est plutôt l’offre qui crée la<br />
demande. Et tant que l’on ne disposera pas d’une offre plus large<br />
en matière de capacité hôtelière de standing, nous ne pourrons<br />
pas atteindre un niveau de nuitées suffisant dans le pays. Je ne<br />
vais pas dire que la concurrence n’est pas gênante. Mais il est<br />
vrai que la situation de monopole, idyllique, est dangereuse pour<br />
le secteur, car elle apporte une sorte de tranquillité à l’entreprise,<br />
qui a tendance à s’endormir sur ses lauriers. Nous sommes<br />
deux ou trois acteurs haut de gamme importants dans le secteur,<br />
et si cela ne change pas dans les prochaines années, c’est un<br />
risque. Il faut ouvrir le marché, et pas seulement en créant des<br />
hôtels supplémentaires. Il faudrait aussi alléger les taxes que<br />
les compagnies aériennes subissent pour atterrir au Sénégal,<br />
ouvrir l’espace aérien. Les vols charters ne sont quasiment plus<br />
admis chez nous. On vient à Dakar en classe économique pour<br />
1200 ou 1300 euros. Heureusement, nous avons Air Sénégal<br />
qui monte en puissance, en pratiquant des prix plus cohérents.<br />
Un ciel plus « ouvert » est essentiel si nous voulons développer le<br />
tourisme d’affaires, et surtout le tourisme balnéaire.<br />
À combien s’élève le nombre de lits à Dakar aujourd’hui ?<br />
En hôtels de standing comme le nôtre, nous comptons<br />
le Pullman, les deux Radisson et le King Fahd Palace.<br />
Avec cinq établissements, nous tournons autour de 1100 ou<br />
102 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
KHALIFA HUSSEIN POUR <strong>AM</strong><br />
1200 chambres. C’est dérisoire. Pour le moindre colloque de<br />
3000 ou 4000 personnes, il n’y a pas la capacité d’accueil nécessaire.<br />
Or, aujourd’hui, nous bénéficions d’un climat tempéré<br />
neuf mois sur douze, et notre pays est stable, sécurisé face au<br />
danger terroriste. Nous avons tout ce qu’il faut pour réussir.<br />
Que faudrait-il encore améliorer ?<br />
À la base, le Sénégal est un pays de folklore. Dans les villages,<br />
vous pouvez découvrir des fêtes, des chants, des danses.<br />
Chaque région offre ses propres traditions. Et ça, c’est positif.<br />
L’art également prend une grande place aujourd’hui. Le<br />
pays regorge de créativité, de talents. Mais, en parallèle, une<br />
forme d’anarchie s’est installée. Les transports en commun<br />
sont hors d’âge, les taxis s’arrêtent n’importe où sur les voies<br />
rapides pour charger des clients… Pour les Occidentaux qui<br />
ne sont pas habitués, cela peut être choquant. Il faudrait<br />
trouver un compromis qui rassure les touristes. Je sais que les<br />
autorités y travaillent. Enfin, il y a un autre souci, d’un autre<br />
ordre : c’est le coût de l’argent. Depuis le sommet de l’Organisation<br />
de coopération islamique (OCI) qui s’est déroulé<br />
en 2008 au Sénégal, grâce auquel nous avons bénéficié d’un<br />
accompagnement très intéressant, aucun hôtel n’est sorti de<br />
terre à part le Radisson et le Terrou-Bi. Les projets se sont<br />
bousculés, mais aucun d’entre eux n’a abouti. Nous bénéficions<br />
aujourd’hui d’une structure comme l’Agence nationale<br />
pour la promotion des investissements et des grands travaux<br />
(Apix) qui nous soutient et nous aide, c’est très précieux.<br />
Mais le système bancaire sénégalais est tel qu’on ne peut<br />
pas amortir l’investissement de la construction d’un hôtel.<br />
La logique voudrait que les nationaux investissent dans le<br />
dur et que des groupes étrangers viennent gérer ces entreprises.<br />
Or, avec des crédits accordés sur seulement cinq ou<br />
sept ans – ce qui représente un très court terme, même si<br />
l’on appelle ça ici du « long terme » –, il est impossible de<br />
rembourser l’investissement d’un hôtel 5 étoiles. Le coût<br />
d’une chambre s’élève au minimum à 200000 euros. Si vous<br />
construisez un hôtel de 200 chambres, nous parlons d’un<br />
investissement de 40 millions d’euros. Qui peut rembourser<br />
une telle somme en sept ans ? On peut investir ici, mais grâce<br />
à un financement étranger, qui offre un crédit sur quinze<br />
ans. Les nationaux n’arriveront jamais à investir, seuls les<br />
étrangers pourront le faire. Je sais que l’État a conscience<br />
de ce problème, mais malheureusement, il n’est pas souverain<br />
sur la question. C’est la Banque centrale des États de<br />
l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qui manage les conditions bancaires<br />
imposées par les banques de nos pays. De mon point<br />
de vue, le développement passe obligatoirement par un accès<br />
« pas cher » à l’argent. Tout en encadrant les prêts avec des<br />
conditions draconiennes, pour être sûr que le projet arrive à<br />
terme et sorte de terre.<br />
Quels sont vos projets, en cours ou à venir ?<br />
Tout d’abord, nous allons procéder à une extension, avec<br />
un nouveau bâtiment hôtelier sur le site. Un positionnement<br />
stratégique sur l’avenir, qui offrira l’équivalent d’une capacité<br />
d’environ 150 lits, toujours dans le haut de gamme. Par ailleurs,<br />
notre hôtel fêtera bientôt ses 13 ans, et nous comptons rafraîchir<br />
nos chambres sur les trois années à venir. Pour se préparer à la<br />
concurrence. Preuve que cette dernière est une saine émulation<br />
pour maintenir notre produit à niveau. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 103
La belle<br />
balade<br />
musique<br />
de Saint-Louis<br />
Enserrée entre l’océan et le fleuve, entre hier<br />
et demain, rythmée par les notes de kora<br />
et de jazz, la cité se laisse découvrir pas à pas.<br />
par Olivia Marsaud<br />
104 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Il est des villes qui se regardent, et d’autres qui<br />
s’écoutent et qui chantent plus que d’autres. Saint-<br />
Louis est de celles-ci. Ville archipel, posée à l’embouchure<br />
du fleuve Sénégal, elle se partage entre<br />
la partie continentale, Sor, et l’île Saint-Louis,<br />
reliée par le fameux pont métallique Faidherbe,<br />
devenu emblème de la cité. Un autre pont, plus<br />
modeste, relie l’île à la Langue de Barbarie et au village de<br />
Guet Ndar. Cette « vieille ville française, centre d’élégance<br />
et de bon goût sénégalais », comme le disait joliment l’écrivain<br />
Ousmane Socé Diop (1911-1973), est baignée à la fois<br />
par la mer et le fleuve. Au cœur du quartier historique,<br />
qu’on appelle aussi Ndar, le son clair des sabots des chevaux<br />
rythme la journée. Plus il y a de visiteurs et de touristes<br />
pour prendre les petites calèches peintes à la main, plus on<br />
entend les sabots sonner sur le pavé et le goudron, accompagnés<br />
des interjections des conducteurs. Ils seront remplacés<br />
le soir venu par les appels à la prière, puis les chants<br />
religieux qui s’échappent des cours des maisons jusque tard<br />
dans la nuit. Il n’est pas rare, également, que quelques notes<br />
de jazz s’échappent d’un estaminet, ce mot désuet correspondant<br />
exactement au genre d’endroits que l’on trouve<br />
encore à Saint-Louis, avec ses tabourets de bar en similicuir,<br />
ses lumières néon, son ventilateur qui brasse l’air en saison<br />
chaude et son groupe de blues qui chante aussi bien en<br />
wolof qu’en français ou en anglais. On y entend en outre<br />
le crissement des vélos. « On a le sens du vélo comme on<br />
a l’oreille musicale », résume Meissa Fall, le sculpteur du<br />
quartier sud. Dans son atelier, les pièces détachées rouillent<br />
tranquillement au contact de l’air salé et deviendront des<br />
pièces uniques : masques, sculptures, bougeoirs… « Une<br />
bicyclette, ça se prête, ça se partage, comme on partage<br />
des souvenirs », explique ce fils et petit-fils de réparateur<br />
de vélos. « Je vois dans les cycles des formes humaines et<br />
animales, que je complète au fil de mon imagination. »<br />
À deux pas de l’atelier, le fleuve surgit. C’est lui, bien<br />
sûr, qui donne ce rythme particulier à la ville, ce calme,<br />
cette force tranquille, cette invitation à la rêverie pour le<br />
promeneur, rarement solitaire car souvent sollicité par les<br />
marchands ambulants, les artisans et les conducteurs de<br />
calèches… En cette fin d’hivernage, il est particulièrement<br />
haut, et sa couleur café au lait, dans la poussière de l’harmattan,<br />
se confond avec le beige du ciel. Sur ses rives, on<br />
y trouve à toute heure de la journée des hommes assis<br />
EL JUNIO<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 105
BALADE<br />
en tailleur sur des tapis de prière, ou ce qui peut y ressembler<br />
(un bout de tissu, un bout de carton parfois). Ils y récitent le<br />
Coran pour eux-mêmes, se balançant légèrement d’avant en<br />
arrière, leur souffle se mélangeant à celui du grand fleuve.<br />
Lorsque le soir tombe, on vient y prendre le frais, les amoureux<br />
occupent chastement les bancs publics, les anciens jouent<br />
aux dames. On égrène des chapelets, on chantonne, on médite.<br />
Dans ces moments, l’île a sans conteste une atmosphère qui<br />
n’appartient qu’à elle. De jour, on croise des femmes en voiles<br />
mauritaniens, nous rappelant que la Mauritanie n’est qu’à une<br />
encablure, des jeunes en maillot de foot côtoient de vieux gentlemen<br />
en costume, et il n’est pas rare de croiser quelques chapeaux<br />
de cow-boys, nous donnant l’impression de marcher dans<br />
un film de Moustapha Alassane ou dans le court-métrage très<br />
musical de Laurence Attali, Le Déchaussé, tourné dans la ville<br />
en 2003 avec le chanteur Cheikh Lô. « Saint-Louis est connu<br />
pour être pluriel dans son histoire et les cultures dont la ville a<br />
reçu les multiples empreintes, africaines et française, anglaise<br />
un moment, arabe, dans un emmêlement de toutes ces identités<br />
à la fois et des hybridations qu’elles ont engendrées », écrit le<br />
philosophe Souleymane Bachir Diagne, « enfant de Saint-Louis »,<br />
dans son dernier livre, Le Fagot de ma mémoire.<br />
À l’extrême sud de l’île, les barques de pêcheurs s’alignent<br />
le long de la berge : elles sont des dizaines, formant comme<br />
une arche colorée. Les pélicans se laissent dériver. De l’autre<br />
côté, c’est justement le quartier des pêcheurs, Guet Ndar. Plus<br />
de 25 000 personnes vivent sur cette langue de sable de 200 à<br />
400 mètres de large. Cette communauté de pêcheurs est l'une<br />
des plus importantes d'Afrique de l'Ouest. C'est la plus grande<br />
activité économique de la ville. Sur le continent, c’est la Saint-<br />
Louis travailleuse, populaire, étudiante aussi, avec le campus<br />
de la très réputée université Gaston Berger. C’est sur cette rive,<br />
à Ndiolofène, que le musicien Ablaye Cissoko a décidé d’ouvrir<br />
Le collectionneur et mécène du Musée de la photographie, Amadou Diaw.<br />
son école de kora en 2015. Lorsqu’on a la chance d’observer<br />
une répétition des jeunes recrues, qui ont entre 7 et 10 ans,<br />
la concentration et le sérieux des enfants étonnent. Peut-être<br />
savent-ils qu’il leur faudra sept ans pour maîtriser les bases de<br />
la kora… Le maître est né dans une famille de griots à Kolda,<br />
mais est tombé sous le charme de la ville dès 1985. « Je suis<br />
venu ici avec mes oncles pour une prestation musicale, et j’ai<br />
été happé par sa beauté. J’ai tout de suite senti le côté magique<br />
qu’on lui attribue. Je suis venu pour un jour et n'en suis jamais<br />
reparti. C’est une cité qui a une âme, qu’elle a réussi à conserver.<br />
Elle est unique. C’est une ville de rencontres, et ma musique<br />
appelle justement à l’échange. C’est une ville d’eau, une île<br />
double. Elle m’a donné une famille, je regarde mes enfants y<br />
grandir, et elle est présente en permanence dans ma musique. »<br />
La musique de Saint-Louis pour lui ? « La voix des chanteuses<br />
traditionnelles du Fanal, cet événement traditionnel qui mobilise<br />
toute la cité chaque fin d'année. On est en train de finaliser<br />
un projet ensemble, qui s'appelle Wareef. Ces chanteuses me<br />
parlent beaucoup. »<br />
AU CENTRE DE LA CRÉATION<br />
Le Fanal, c’est aussi la madeleine de Proust pour le danseur,<br />
chorégraphe et plasticien Alioune Diagne. « Pour moi, la<br />
musique de Saint-Louis, c’est celle du défilé du Fanal, avec les<br />
voix saint-louisiennes accompagnées des orchestres de sabar. »<br />
Lors du défilé, chaque 25 décembre, les habitants marchent<br />
en musique, en portant des lampions. « Jusqu’à mes 14 ans, j’ai<br />
participé au Fanal des enfants. On créait notre propre lampion<br />
de bric et de broc pour se joindre au grand Fanal de notre quartier<br />
», se souvient l'artiste, pour qui Saint-Louis est aussi une<br />
ville-muse. Après avoir créé le festival Duo solo danse en 2008,<br />
il a ouvert le Château sur la Langue de Barbarie en 2012, une<br />
superbe bâtisse qui accueille de nombreuses résidences de création,<br />
des spectacles, des chambres en Airbnb. C’est<br />
un lieu de vie, de rencontres, d’échanges.<br />
« Je suis né sur la Langue de Barbarie, j’ai grandi<br />
sur l’île, puis j’ai passé du temps à Sor où j’ai commencé<br />
la danse et à bricoler avec mes mains. C’est<br />
ce quartier qui m’a permis de développer mon côté<br />
artistique et de grandir avec. À 25 ans, je suis revenu<br />
sur l’île, où j’ai notamment beaucoup dansé à l’Institut<br />
français de Saint-Louis. J’ai vécu dans les trois<br />
quartiers. Je suis un pur produit saint-louisien ! Cette<br />
ville nourrit très fortement mon travail, chorégraphique<br />
comme plastique. » On se souvient de son<br />
spectacle autour de Battling Siki, autre enfant de la<br />
cité, boxeur prodige né en 1897 et au destin tragique.<br />
Aujourd’hui, un hôtel-restaurant porte son nom sur<br />
l’île. Alioune, qui a aussi développé une pratique de<br />
plasticien depuis quelques années, ramasse sur la<br />
plage de la Langue de Barbarie des bouts de bois,<br />
des filets de pêches qui iront rejoindre l'une de ses<br />
EL JUNIO<br />
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
C’est le fleuve qui donne ce rythme particulier<br />
à la ville, ce calme, cette force tranquille,<br />
cette invitation à la rêverie pour le promeneur.<br />
ZYAD XXXXXXXXX LIM<strong>AM</strong><br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 107
BALADE<br />
Un archipel<br />
de musées<br />
L’île de Saint-Louis est classée au patrimoine<br />
mondial de l’Unesco depuis 2000. Le quartier<br />
conserve de très nombreuses maisons<br />
typiques de l'époque coloniale, avec leur<br />
façade de chaux, leur double toiture en tuiles, leur<br />
balcon en bois et leur balustrade en fer forgé. Mais<br />
l’état de délabrement de nombreux bâtiments saute<br />
aux yeux… et la plupart des rénovations récentes sont<br />
le fait d’initiatives privées. C’est le cas d'Amadou Diaw,<br />
qui a ouvert le Musée de la photographie (MuPho)<br />
en 2017 pour y loger sa collection de photographies<br />
anciennes et contemporaines. Mama Casset y côtoie<br />
avec bonheur Omar Victor Diop dans une atmosphère<br />
feutrée. Le MuPho a ensuite donné vie à un « archipel<br />
de musées ». Ainsi, le parcours culturel se poursuit<br />
à Kër Lahlou, dédié à l’histoire des indépendances<br />
et de la presse. Kër Thiane est consacré à la musique,<br />
avec une très belle collection de photographies noir<br />
et blanc de tous les grands noms passés par Saint-Louis<br />
et une installation d’instruments de musique dans<br />
un grand entrepôt rénové. On y trouve également<br />
des sculptures de la potière de Casamance Seyni Awa<br />
Camara, des sculptures en fer du plasticien Soly Cissé<br />
et un grand marcheur du sculpteur Ndary Lo. Kër<br />
Hamet Gora est dédié à la mémoire du commerçant<br />
réputé Hamet Gora Diop (1846-1910) et accueillera<br />
bientôt une exposition permanente sur l’histoire des<br />
lettres et de la littérature au Sénégal. Enfin, le Musée<br />
du Souwère propose une belle collection de pièces<br />
anciennes et contemporaines. Mention spéciale à la<br />
salle réalisée par Germaine Anta Gueye, qui donne<br />
une autre dimension à cette technique de peinture<br />
traditionnelle. Amadou Diaw a par ailleurs pour projet<br />
de construire deux autres espaces muséaux. ■<br />
œuvres. « Enfant, je faisais la même chose pour construire les<br />
petites pirogues avec lesquelles nous jouions pour imiter nos<br />
oncles pêcheurs. » C’est d'ailleurs toujours le cas pour les enfants<br />
de Guet Ndar, dans les rues sablonneuses… « Toutes mes créations<br />
en danse sont nées ici. Les idées me viennent ici. La ville me porte,<br />
et je la porte en moi. Elle m’a d’abord apporté la danse et m’a<br />
ouvert les portes du monde entier. »<br />
Alioune Diagne évoque aussi Aminata Fall (1930-2002), l'une<br />
des premières chanteuses de blues et de jazz d’Afrique de l’Ouest.<br />
« Quand j’entends sa voix, j’entends Saint-Louis. Cette ville entretient<br />
une relation très forte avec le jazz et le blues. » De nombreuses<br />
personnes lui trouvent d’ailleurs un air de Nouvelle-Orléans, la<br />
musique constituant une dimension essentielle de la culture des<br />
deux villes. Lors d’un colloque organisé en 2013 sur le sujet, le<br />
musicien Vieux Mac Faye avait reconnu l’influence du blues, en<br />
particulier celui du delta du Mississippi, sur son parcours musical.<br />
Ibrahima Seck, de l’Université Cheikh Anta Diop, avait alors<br />
déclaré : « La musique a voyagé, s’est transformée. Elle est revenue<br />
en Afrique comme un boomerang, et les Africains ont continué<br />
à la reconnaître et à l’adopter. » Le jazz, né de la circulation des<br />
hommes et de leur culture entre les deux rives de l’Atlantique,<br />
a trouvé un terreau fertile à Saint-Louis. L’épopée du Star Jazz,<br />
formé dans les années 1950 par Pape Samba Diop (dit « Mba »),<br />
rejoint ensuite par Aminata Fall et Pape Seck, est encore dans<br />
les mémoires des vieux Saint-Louisiens, ainsi que le mythique<br />
club Le Cocotier dans le quartier Sindoné, dans lequel le groupe<br />
se produisait. On trouve des traces jazzy un peu partout dans<br />
la ville : de la pointe nord, à l’hôtel Keur Dada, où les photos<br />
en noir et blanc évoquent le passage des plus grands noms du<br />
jazz, jusqu’aux Comptoirs du fleuve d’Amadou Diaw, où l’on est<br />
accueillis le plus souvent par de la musique dès la réception, en<br />
passant par le Spoutnik Bar, où « ça va jazzer », comme l'annonce<br />
la devanture.<br />
LE RENDEZ-VOUS DES ARTISTES<br />
Devenu au fil des ans un événement incontournable, le Festival<br />
international de jazz de Saint-Louis a été créé en 1993.<br />
Drainant des passionnés du monde entier, il est connu pour ses<br />
concerts grand format place Faidherbe et ses fêtes mythiques qui<br />
ont souvent débordé jusque sur le pont du bateau de croisière Bou<br />
El Mogdad, amarré au quai nord, entraînant dans son sillage les<br />
bars, restaurants et clubs en fête. La dernière édition, malgré<br />
beaucoup d’incertitudes pour cause de Covid-19, s’est quand même<br />
tenue en juin 2021, avec en tête d’affiche Baaba Maal, Vieux Farka<br />
Touré et Awa Ly. Comme l’ensemble de la ville, le festival a été<br />
touché par les restrictions liées à la pandémie, qui ont frappé de<br />
plein fouet les activités touristiques de l’île. Malgré tout restent les<br />
souvenirs des flamboyantes éditions précédentes. Amadou Diaw,<br />
fondateur de la première école de commerce privée du Sénégal<br />
(Institut supérieur de management), mécène, collectionneur et<br />
fondateur du Forum de Saint-Louis, se souvient de l’Orchestra<br />
Aragon sur la place Faidherbe en 2014 : « Les Saint-Louisiens en<br />
chapeau Torpedo, les Saint- Louisiennes en voile, qui, dans le feu<br />
du concert, jettent leur foulard pour se mettre à danser sur la<br />
musique de leur jeunesse. C’était magique ! » Pour lui, la musique<br />
de Saint-Louis serait un tango, lui, l’amoureux de la cité, qui<br />
danse un pas de deux avec elle.<br />
Oumar Sall, trentenaire avenant, se souvient lui du passage de<br />
la chanteuse mauritanienne Malouma en 2008. Puis de Marcus<br />
Miller, Lokua Kanza, Manu Dibango, Stanley Clarke, Hervé Samb,<br />
Fatoumata Diawara… Il les a tous accueillis dans son café, le Ndar<br />
Ndar Music & Café. « Saint-Louis est une ville de musique, elle est<br />
inspirante. C’est une cité artistique. Le festival de jazz est comme<br />
108 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
La communauté de pêcheurs<br />
est l'une des plus importantes<br />
d'Afrique de l'Ouest.<br />
« J’ai tout de suite senti<br />
le côté magique qu’on<br />
lui attribue. Je suis<br />
venu pour un jour et<br />
n’en suis jamais reparti.<br />
Elle a une âme, qu’elle<br />
a réussi à conserver. »<br />
Ci-dessus, la cathédrale Saint-Louis.<br />
Ci-dessous, l'hôtel de la Poste, adresse mythique.<br />
EL JUNIO (2) - ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />
un pèlerinage qui attire les gens dans le but de communier autour<br />
de la musique et de profiter de la teranga saint-louisienne. Ce<br />
festival se confond avec l’âme de la cité. » Le « boy-Ndar » Oumar<br />
s’est d’abord lancé dans le rap dans les années 1990, lorsqu’il était<br />
au collège. « C’était l’avènement du rap au Sénégal, avec Positive<br />
Black Soul, ou Daara J, dont j’étais fan. Avec mon groupe, Keur<br />
Gouma, on a même fait leurs premières parties. » En 2004, il est<br />
poussé par le hasard et l’amitié aux manettes du seul magasin de<br />
disques de l’île, et y reste jusqu’en 2013, quand il doit déménager<br />
à cause d’Ebola et de la hausse du loyer. Grâce aux membres de<br />
la résidence Waaw – des Finlandais tombés eux aussi amoureux<br />
de Saint-Louis –, il devient barista et, en octobre 2015, ouvre un<br />
café mouchoir de poche dans lequel le comptoir et le mur de CD<br />
prennent toute la place. Le lieu a un charme fou, devient vite<br />
le rendez-vous des artistes et de tous les amateurs de bon café<br />
et de musique de passage dans la ville. Depuis un an, le Ndar<br />
Ndar Music & Café a pris de l’ampleur, en déménageant dans un<br />
lieu plus grand, une belle et ancienne bâtisse peinte en blanc et<br />
gris, au cœur de l’île. Le comptoir et le mur de CD sont toujours<br />
là, mais il y a en plus un espace de coworking et la galerie d’art<br />
Éthiopiques juste à côté. « Nous qui habitons là, nous faisons tout<br />
pour pérenniser le côté culturel de Saint-Louis. Tous les musiciens<br />
viennent chez moi, et je suis toujours content de les accueillir ! »<br />
L’histoire d’amour entre Saint-Louis et la musique ne semble pas<br />
près de s’arrêter. Un single rassemblant une vingtaine de musi-<br />
ciens, « Dëkk Bi », vient d’ailleurs de sortir, pour « appeler à l’unité<br />
et à l’effort pour le développement de la ville », explique Ablaye<br />
Cissoko. Le maître de kora a lancé en octobre dernier un nouveau<br />
festival, Au tour des cordes, qui a rassemblé le temps d’un long<br />
et beau week-end des guitares, des basses, une harpe celtique,<br />
un setar, un qanun et des voix sublimes. Ils ont fait résonner le<br />
lycée de jeunes filles Ameth Fall, le lycée Abdou Diouf et l’Institut<br />
français, communiant une fois de plus avec cette ville singulière,<br />
protégée par un génie tutélaire, Mame Coumba Bang, qui semble<br />
elle aussi aimer la musique, inspirant les plus grands griots qui<br />
chantent son histoire au rythme endiablé des xalam. Cette sirène<br />
à la beauté incomparable peut montrer sa puissance les jours de<br />
tempête. Le reste du temps, elle veille sur les Saint-Louisiens et<br />
la petite musique de leur cœur. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 109
interview<br />
Jean-Pierre Langellier<br />
« La qualité du débat<br />
démocratique au Sénégal<br />
doit beaucoup à Senghor »<br />
Le journaliste français signe une passionnante biographie<br />
de l’illustre poète. Et retrace la lente transformation de cet homme<br />
de lettres en homme politique, puis en chef d’État.<br />
propos recueillis par Cédric Gouverneur<br />
Léopold Sédar<br />
Senghor, Perrin,<br />
400 pages, 24 euros.<br />
De sa jeunesse dans « le<br />
royaume d’enfance » au<br />
cœur du monde rural à<br />
ses études contrariées au<br />
séminaire, de ses années<br />
parisiennes avec ses amis<br />
Georges Pompidou et<br />
Aimé Césaire à son passage<br />
dans l’armée française<br />
en pleine débâcle, toutes les étapes de la vie<br />
du célèbre président sont évoquées dans cette biographie<br />
captivante. Homme de lettres, puis homme<br />
politique, et enfin chef d'État, Léopold Sédar Senghor<br />
« laisse à ses successeurs un héritage aussi rare que<br />
précieux sur le continent »: « la démocratie, le pluralisme,<br />
l’alternance et le goût de la palabre politique,<br />
la recherche de l’accord conciliant, la préservation<br />
de l’unité nationale », énumère Jean-Pierre Langellier,<br />
qui répond aux questions d’Afrique Magazine.<br />
<strong>AM</strong> : Vous racontez que Senghor était « deux<br />
fois minoritaire »: catholique dans un pays<br />
majoritairement musulman, et sérère. Quel<br />
rôle a joué ce statut dans sa vie politique ?<br />
Jean-Pierre Langellier : Être deux fois minoritaire<br />
l’a incité à la prudence, à la tolérance, à jouer un<br />
rôle d’arbitre avec habileté. À noter qu’il était de plus<br />
catholique dans une famille musulmane ! Sa mère,<br />
des frères, des sœurs, des cousins étaient musulmans.<br />
Ce paradoxe l’amusait. Le fait de n’appartenir<br />
à aucune des deux grandes confréries musulmanes<br />
sénégalaises, les Mourides et les Tidjanes, lui a aussi<br />
permis d’être écouté de l’une comme de l’autre, et<br />
d’arbitrer. Senghor a mis beaucoup d’habileté, dès<br />
qu’il a commencé sa carrière politique, à aller chercher<br />
des voix en terre musulmane.<br />
Vous narrez la force de son amitié de plus<br />
d’un demi-siècle avec Georges Pompidou.<br />
Quelle influence ont-ils eue l’un pour l’autre ?<br />
DR (2)<br />
110 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
ROGER-VIOLLET<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 111
INTERVIEW<br />
Son amitié avec Georges Pompidou [Premier ministre français<br />
de 1962 à 1968, puis président de 1969 jusqu’à son décès<br />
en 1974, ndlr] était en effet très forte. À son arrivée en France,<br />
Senghor ne dispose pas encore d’un bagage littéraire solide :<br />
il a été éduqué au Sénégal par des curés bretons, alsaciens et<br />
normands, qui exerçaient une sorte de « censure catholique »<br />
sur les livres accessibles à leurs étudiants. Du fait de l’influence<br />
exercée par ces hommes d’Église, il est même plutôt monarchiste<br />
! Lorsqu’ils se rencontrent en khâgne, Pompidou l’initie à<br />
la lecture des grands auteurs : le jeune homme, alors de gauche,<br />
et issu d’un milieu modeste du sud-ouest de la France, fait<br />
découvrir la méritocratie républicaine à celui qu’il surnomme<br />
« Ghor » (« courageux » en sérère) et l' introduit dans le milieu<br />
intellectuel. Tous deux vont ensemble au théâtre et au cinéma,<br />
avec le troisième membre de leur trio, le futur écrivain vietnamien<br />
Pham Duy Khiêm. Pompidou a en quelque sorte sensibilisé<br />
Senghor à « l’Ailleurs » et a ainsi eu une influence littéraire,<br />
politique et sociale.<br />
Vous rappelez que le concept de « négritude »<br />
a pu être polémique, par exemple avec cette citation<br />
ambiguë : « L’émotion est nègre, la raison est hellène. »<br />
Senghor entendait faire rendre gorge à ce rationalisme occidental,<br />
attaquer les désaccords au coupe-coupe, avec passion.<br />
Il a été emballé par les écrits de l’ethnologue allemand Leo<br />
112 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
C'est un point<br />
très important de sa vie :<br />
à plusieurs reprises,<br />
il a la chance de rencontrer<br />
des gens qui l’ont aidé<br />
à prendre les bonnes décisions.<br />
KEYSTONE-FRANCE/G<strong>AM</strong>MA-RAPHO<br />
Aux côtés de son épouse,<br />
Colette Senghor, et<br />
d'Abdou Diouf (au second<br />
plan), alors Premier ministre,<br />
à l'aéroport de Dakar,<br />
le 7 février 1971.<br />
Frobenius [1873-1938, l'un<br />
des premiers scientifiques<br />
européens à remettre en<br />
cause le colonialisme et ses<br />
prétentions civilisatrices et<br />
racistes, ndlr]. Il écrivait<br />
ce que Senghor attendait,<br />
mais ses écrits ont pu faire<br />
glisser le jeune homme sur<br />
une dangereuse pente, que<br />
l’on qualifierait aujourd’hui<br />
d’« essentialiste ». Il pensait<br />
que le renouveau noir passait<br />
par l’ethnie, et reconnaîtra<br />
ensuite son erreur,<br />
l’attribuant à la passion et<br />
à l’enthousiasme du retour<br />
aux sources.<br />
Il a failli être abattu<br />
à deux reprises : quand<br />
les nazis ont fusillé<br />
des milliers de tirailleurs<br />
sénégalais lors de<br />
la débâcle française, en juin 1940, et dans l’attentat<br />
manqué contre lui au Sénégal, en mars 1967. Il fera<br />
à chaque fois preuve d’un grand sang-froid. Homme de<br />
lettres, homme politique, mais aussi homme d’action ?<br />
En effet ! Et Senghor a également fait preuve d’une très<br />
grande maîtrise, en août 1960, face au coup de force du président<br />
malien Modibo Keita, qui a cherché à absorber le Sénégal.<br />
C'était un homme d’action qui agissait avec sang-froid, un<br />
pragmatique qui avait coutume de dire : « En politique, je ne<br />
faisais pas de poésie. » Il savait réagir rapidement.<br />
La poésie sera pour Senghor sa « voie de salut<br />
pour sublimer sa double fidélité à l’Europe<br />
et à l’Afrique », écrivez-vous. Vous racontez même<br />
qu’en 1946, il hésitera à entrer en politique !<br />
En effet, il ne voulait pas entrer en politique. Pour lui, la<br />
politique était sale, c’était de la magouille. Ce monsieur, dans sa<br />
jeunesse, ne rêvait que d’être curé puis d’être admis au Collège<br />
de France, d’être à la fois prêtre et pédagogue. Senghor avait<br />
des ambitions élevées, spirituelles, intimes et personnelles. Il<br />
a beaucoup hésité à entrer en politique. C’est en retournant<br />
au pays juste après la Seconde Guerre mondiale qu’il réalise<br />
combien son peuple a souffert sous Vichy [entre 1940 et 1944,<br />
les autorités coloniales du Sénégal étaient favorables non pas au<br />
général de Gaulle mais au maréchal Pétain, ndlr]. C'est déjà un<br />
intellectuel très connu, et ils ne sont pas nombreux à disposer<br />
d’un tel profil. Ses amis et sa famille ont su le convaincre. C’est<br />
un point très important de sa vie : à plusieurs reprises, Senghor<br />
a la chance de rencontrer des gens qui l’ont aidé à prendre les<br />
bonnes décisions. Plusieurs exemples : avec l’appui du député<br />
français du Sénégal Blaise Diagne, il décroche une bourse pour<br />
partir étudier dans l'Hexagone. Quand il fait son service militaire<br />
dans l’est, un général lui obtient une place tranquille à<br />
Paris. En 1940, lorsqu’il est fait prisonnier de guerre des Allemands,<br />
un médecin français réussit à le faire libérer. Et ainsi de<br />
suite. Son habileté, son pouvoir de séduction naturel donnaient<br />
aux gens l’envie de l’appuyer. La chance, il faut la mériter.<br />
Senghor en campagne, c’est le candidat<br />
des ruraux, des paysans, des confréries (qui<br />
appuient ce catholique), ainsi que des cheminots<br />
de la ligne Dakar-Niger. Ce fut sa grande force<br />
face à la Section française de l'Internationale<br />
ouvrière (SFIO) de Lamine Gueye ?<br />
Lamine Gueye appréciait surtout les dîners parisiens… Il<br />
a été élu sans effort à Dakar et Saint-Louis, et n’avait pas vraiment<br />
besoin de faire campagne. Senghor avait conscience que<br />
la SFIO était puissante dans les villes sénégalaises, et, lui, a donc<br />
battu campagne. Il n’avait pas besoin de se forcer : en 1978, en<br />
tant que journaliste, j’avais couvert la campagne multipartis de<br />
Senghor, et j’avais pu observer combien il était à l’aise avec les<br />
paysans. Il partageait leur repas. Senghor, rappelez-vous, avait<br />
grandi à la campagne, dans ce qu’il nomme dans ses écrits « le<br />
royaume d’enfance ».<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 113
INTERVIEW<br />
15 faits méconnus<br />
sur sa vie<br />
◗ Léopold Sédar Senghor est né en 1906, mais le jour<br />
précis reste ignoré : était-ce le 15 août ou le 9 octobre ?<br />
◗ « Sédar » signifie « celui que l’on ne peut humilier »:<br />
toute sa vie, Senghor s’efforcera de mériter<br />
son prénom sérère en restant un homme fier.<br />
◗ « Senghor» viendrait du portugais « Senhor»<br />
(« monsieur »).<br />
◗ Son « nom de totem », confié à l’adolescence lors<br />
de son initiation et gardé secret, signifiait « l’Ancêtre<br />
à la peau d’orage sillonnée d’éclairs et de foudre ».<br />
◗ Le suicide d’un palefrenier, après que son père<br />
l'a traité de « menteur », l’a hanté toute sa vie.<br />
◗ À Paris, dans le Quartier latin, les passants se<br />
retournaient sur un trio de joyeux étudiants : un Blanc,<br />
un Noir et un Asiatique. Il s'agissait de Georges<br />
Pompidou, Senghor et Pham Duy Khiêm. Tous trois<br />
auront des destins exceptionnels.<br />
◗ La cadence de l’alexandrin lui évoquant un austère<br />
« défilé militaire », il préfèrait Paul Claudel, dont le<br />
rythme lui rappellait la poésie orale de l’Afrique.<br />
◗ « Je considère un peu Senghor comme une partie<br />
de moi-même », disait Aimé Césaire.<br />
◗ Fait prisonnier en juin 1940, le tirailleur Senghor a<br />
sympathisé avec l'un de ses gardiens – un officier<br />
autrichien secrètement antinazi –, lequel transmettra<br />
discrètement son courrier à ses amis à Paris !<br />
◗ Une femme de ménage avait jeté à la poubelle<br />
par mégarde le brouillon de sa thèse.<br />
◗ Ancien professeur tatillon, le président Senghor a fait<br />
supprimer les apostrophes de certains patronymes<br />
sénégalais (N’Diaye, M’Baye).<br />
◗ Son entêtement à maintenir en détention Mamadou<br />
Dia l’a sans doute privé du prix Nobel de littérature…<br />
◗ Lors de la démocratisation du Sénégal, le président<br />
Senghor a refusé de légaliser le parti de l’historien<br />
Cheikh Anta Diop… Peut-être par rivalité intellectuelle !<br />
◗ Afin de ne pas froisser les confréries, il n’a jamais<br />
invité le pape au Sénégal (la venue de Jean-Paul II<br />
attendra 1992).<br />
◗ Senghor est mort le 20 décembre 2001. Ni le président<br />
français Jacques Chirac, ni son Premier ministre Lionel<br />
Jospin n’ont jugé bon d’interrompre leurs fêtes de fin<br />
d’année pour venir assister à ses funérailles… ■<br />
À l’indépendance, Senghor défendra jusqu’au bout<br />
l’idée d’une fédération ouest-africaine. Ce fédéralisme<br />
fut un échec, mais aurait-il pu fonctionner ?<br />
Cette fédération avait peu de chance de fonctionner, car<br />
trop de protagonistes étaient contre, notamment Guy Mollet<br />
[secrétaire général de la SFIO, plusieurs fois ministre et chef de<br />
gouvernement sous la IV e République, ndlr], De Gaulle, la Mauritanie,<br />
ainsi que le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny.<br />
Vous rappelez d'ailleurs sa rivalité avec ce dernier<br />
dans des anecdotes tragicomiques ! Pourquoi<br />
tant d’animosité entre les deux principaux<br />
leaders de l’Afrique de l’Ouest francophone ?<br />
Les deux hommes étaient si différents : Senghor était un<br />
intellectuel, un poète un peu rêveur, et Houphouët-Boigny,<br />
un planteur enraciné, terre à terre, qui avait pour priorité les<br />
intérêts nationaux. La Côte d’Ivoire s’enrichissant, celui-ci ne<br />
voulait pas d’une redistribution des richesses en faveur du<br />
Sénégal. Il a su prendre les commandes d’un parti régional<br />
multiétatique, le Rassemblement démocratique africain (RDA),<br />
et s’est fait respecter à Paris pour son intelligence politique. Il a<br />
fait en sorte que le RDA soit présent à l’Assemblée constituante<br />
et à l’Assemblée nationale françaises. C’était une très bonne<br />
idée qu’aurait dû rallier Senghor, comme il l’a admis lui-même<br />
par la suite. Félix Houphouët-Boigny considérait ce dernier<br />
comme « un Français noir ». Mais malgré tout, tous les deux<br />
s’estimaient, à défaut de s’apprécier ! Leur rivalité s’est apaisée<br />
quand leurs intérêts communs ont grandi. Dans les archives de<br />
Jacques Foccart [le sulfureux « Monsieur Afrique » des présidents<br />
français, de De Gaulle à Jacques Chirac, ndlr], on lit qu’il a tenté<br />
de les rabibocher… Leur rivalité agaçait à l’Élysée, qui avait<br />
besoin de l’un comme de l’autre !<br />
L’épisode de Mamadou Dia est dramatique.<br />
Après son coup de force raté de décembre 1962,<br />
le président du Conseil est incarcéré plus de onze<br />
ans dans des conditions déplorables… On est étonné<br />
de la dureté de Senghor face à son ancien ami, avec<br />
lequel il avait fondé en 1948 le Bloc démocratique<br />
sénégalais, qui est ensuite devenu son rival, puis<br />
finalement son ennemi. Une dureté collant mal<br />
au reste du personnage. Comment l’expliquer ?<br />
J’ai beaucoup parlé avec l’anthropologue Roland Colin, qui<br />
les a connus tous les deux. Ils étaient très proches, et puis les<br />
circonstances les ont éloignés. Une fois président, Senghor est<br />
devenu moins accessible. Après la condamnation de Dia, il s’est<br />
enfermé dans une attitude de déni, sans comprendre qu’on lui<br />
reproche sa dureté. Il n’a pas apprécié les critiques à ce sujet de<br />
la revue Esprit, dont il se sentait proche. Senghor jugeait indispensable<br />
d’affirmer l’autorité de l’État sénégalais. À la fin des<br />
années 1960, il ne supportait plus qu’on lui parle de la détention<br />
de Dia. Il a fallu attendre qu'il prenne la décision seul, sans qu’il<br />
114 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
FRANK PERRY/AFP<br />
s’y sente contraint, pour que Dia soit<br />
enfin libéré. Félix Houphouët- Boigny<br />
a mis la pression. Roland Colin a<br />
ensuite servi de médiateur. Après sa<br />
libération, Dia n'a revu le président<br />
qu’une unique fois. C’est une histoire<br />
humaine très triste.<br />
Senghor a obtenu ce qu’il voulait :<br />
« L’indépendance dans l’amitié<br />
de la France. » Mais est-il parvenu<br />
à libérer l’économie sénégalaise<br />
de sa trop forte dépendance<br />
à l’arachide et aux entreprises<br />
françaises qui l’exploitaient ?<br />
Poser la question, c’est y<br />
répondre… C’est la fatalité de la<br />
monoculture. Le Sénégal étant alors<br />
pauvre et à 90 % rural, ses possibilités<br />
de développement n’étaient pas<br />
nombreuses. La Côte d’Ivoire, en<br />
comparaison, bénéficiait d’un climat<br />
et d’une géographie plus favorables à<br />
sa fertilité et à sa diversification économique.<br />
Lors de ses visites en Côte<br />
d’Ivoire, Senghor avait été frappé<br />
par la fréquence des pluies… Mais<br />
le Sénégal n’était pas une exception<br />
concernant la puissance des entreprises<br />
françaises sur l’économie. Il<br />
faut également noter que ce n’était<br />
pas un économiste, ce rôle incombant<br />
à Dia. Et non, il n’est pas parvenu à<br />
réduire la dépendance de l’économie<br />
de son pays.<br />
Le Sénégal est désormais<br />
l'une des démocraties les plus solides du monde<br />
africain francophone. En quoi la pratique<br />
du pouvoir par Senghor y a-t-elle contribué ?<br />
Après une période de monopartisme autoritaire, Senghor<br />
a tout fait pour préparer son pays au multipartisme, étape par<br />
étape, en légalisant des partis et en instaurant la liberté de<br />
la presse, dans un relatif respect des droits de l’homme. Sa<br />
pratique du pouvoir s’est caractérisée par la rigueur morale,<br />
l’intégrité, l’absence de népotisme. Ancien professeur, il a également<br />
eu le courage politique d’investir dans l’enseignement<br />
et l’éducation. La qualité de la presse et du débat démocratique<br />
au Sénégal lui doit beaucoup. Enfin, il a quitté le pouvoir<br />
de son plein gré en 1981, sans y être obligé, sans être poussé<br />
vers la sortie. Et ça, c’est une magistrale leçon de démocratie<br />
en Afrique !<br />
Poète<br />
prolifique,<br />
il a été<br />
le premier<br />
Africain<br />
à être élu<br />
à l'Académie<br />
française<br />
en 1983.<br />
Ici, à Tours,<br />
en 1985.<br />
Son empreinte est politique,<br />
mais aussi morale, intellectuelle<br />
et artistique. Il a organisé le<br />
premier Festival mondial des arts<br />
nègres en 1966 et a fait exposer<br />
à Dakar Soulages et Picasso.<br />
Quelle est l’empreinte de Senghor<br />
dans le Sénégal d’aujourd’hui ?<br />
Son empreinte est politique, comme nous venons de le voir,<br />
mais aussi morale, intellectuelle et artistique. Il a organisé le<br />
premier Festival mondial des arts nègres en 1966, et a notamment<br />
fait exposer à Dakar les peintres Pierre Soulages et Pablo<br />
Picasso. Il a fait de la ville un pôle artistique et du pays un carrefour<br />
culturel. Quarante ans après son départ du pouvoir, vingt<br />
ans après sa mort, sa présence aujourd’hui n’est pas forcément<br />
très forte : après tout, le pays a une population très jeune, les<br />
générations s’y succèdent vite. De ses poèmes, un ou deux sont<br />
bien connus, comme le conte La Belle Histoire de Leuk-le-Lièvre,<br />
que des générations d’enfants ont appris. Je dirais que les Sénégalais<br />
trouvent naturelles, normales, des choses qu’ils doivent<br />
à Senghor, mais sans les lui attribuer forcément. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 115
Awa Ly,<br />
en juin 2021,<br />
dans le cadre<br />
des Arabofolies,<br />
au Trianon,<br />
à Paris.<br />
rythmes<br />
LE FLOW<br />
DES D<strong>AM</strong>ES<br />
Elles ont interprété<br />
le rap et le mbalakh,<br />
investi le rapakh, mixé<br />
la soul et le hip-hop<br />
aussi. Elles s’imposent<br />
sans complexe sur<br />
une scène musicale<br />
particulièrement<br />
novatrice.<br />
par Sophie Rosemont<br />
Lorsqu’on parle de musique sénégalaise, on<br />
évoque souvent uniquement le rap, qui,<br />
depuis son arrivée dans les années 1980,<br />
n’a cessé de se réinventer. D’autant qu’il<br />
peut aussi bien convoquer l’esprit des<br />
griots que le mbalakh (melting-pot des<br />
sonorités traditionnelles nationales, de<br />
mélopées afro-cubaines, du funk et du<br />
rock, roi des dancefloors). Du français au wolof en passant par<br />
l’anglais, tout est possible dans un rap encore organique, où<br />
peuvent résonner des instruments traditionnels comme la kora.<br />
Productrice et fondatrice de l’association Kaani, à Dakar, Camille<br />
Seck partage son activité entre événementiel, management et<br />
mise en place de projets artistiques. « Après les États-Unis et<br />
la France, le Sénégal est la troisième patrie mondiale du rap,<br />
observe-t-elle. Aujourd’hui, deux mouvements se partagent la<br />
scène : le rap et le mbalakh. Le premier se tourne désormais<br />
ALAIN LEROY/SAIF IMAGES<br />
116 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Poundo,<br />
symbole de la<br />
« west african<br />
trap ».<br />
DR<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 117
RYTHMES<br />
Les pionnières<br />
Elles sont nombreuses à avoir<br />
ouvert la voie aux artistes<br />
féminines d’aujourd’hui.<br />
Mais certaines sont rentrées<br />
dans la légende. À commencer par<br />
la cantatrice Yandé Codou Sène<br />
(1932-2010). Bercée par les sons<br />
traditionnels sérères, elle devient<br />
la chanteuse officielle de Léopold<br />
Sédar Senghor, qu’elle a rencontré<br />
adolescente. Durant trois décennies,<br />
son timbre grave a incarné la mémoire<br />
du passé et des traditions. Son<br />
premier album paraît alors qu’elle<br />
a 66 ans, en 1998. Avec Night Sky<br />
in Sine Saloum, qui bénéficie de<br />
l’apport du jeune Youssou N’Dour,<br />
elle cultive un terrain polyphonique<br />
et envoûtant. C’est du côté du jazz<br />
et du gospel qu’Aminata Fall (1930-<br />
2002), surnommée « la Perle noire »,<br />
également d’origine sérère, puise<br />
son inspiration. D’abord vendeuse<br />
de cacahuètes à Saint-Louis, elle est<br />
également repérée par Léopold Sédar<br />
Senghor. Elle fait les belles heures<br />
de l’Ensemble lyrique traditionnel et<br />
apparaît même dans plusieurs films,<br />
de Touki Bouki à Bandit cinéma.<br />
Comme Yandé Codou Sène, elle<br />
Coumba Gawlo lors<br />
de la cérémonie de clôture<br />
de la Coupe d’Afrique des nations<br />
de football, en février 2017,<br />
à Libreville, au Gabon.<br />
enregistre sur le tard un premier<br />
album, en 1995, avec Mamadou Konté,<br />
d’Africa Fête, et le groupe Keur-Gui, où<br />
résonne son amour pour le mbalakh<br />
et le blues. Fille de la griotte Fatou<br />
Kiné Mbaye, Coumba Gawlo chante<br />
dès sa plus tendre enfance, remporte<br />
le concours « Voix d’or du Sénégal »<br />
à l’âge de 14 ans et, très rapidement,<br />
rentre en studio. D’abord avec Thione<br />
Seck puis, en 1998, avec Patrick Bruel.<br />
Elle cartonne avec le single « Pata<br />
Pata », emprunté à Miriam Makeba.<br />
Soutenant la cause des femmes et<br />
s’insurgeant contre la précarité, elle<br />
a fait partie de la troupe des Enfoirés<br />
pour les Restos du cœur, a chanté<br />
lors de la finale de la Coupe d’Afrique<br />
des nations de football en 2017. Avec<br />
Coumba Gawlo, Kiné Lam a été<br />
membre de l’association Been loxo, où<br />
elles étaient les deux seules femmes.<br />
C’est en 1975 que l’on a entendu pour<br />
la première fois sa voix, dans le cadre<br />
d’un concours de chant au stade Iba<br />
Mar Diop. Elle n’a cessé de gagner<br />
en notoriété, d’abord managée par<br />
son père, puis par son mari, Dogo.<br />
Elle a travaillé avec des pointures :<br />
Cheikh Tidiane Tall, Thio Mbaye, Dial<br />
Mbaye, Etu Dieng, Habib Faye… C’est<br />
du côté du R’n’B que s’illustre d’abord<br />
la diva Viviane Chidid, née en 1973.<br />
Épouse du frère de Youssou N’Dour,<br />
dont elle fut la choriste, elle sort coup<br />
sur coup Entre nous (1999), merveille<br />
de modernité, et Nature (2000), qui<br />
rappelle son attachement aux traditions<br />
sonores sénégalaises. Dans la foulée,<br />
elle crée le Djolof Band. Et, lorsque<br />
le rap s’installe dans son pays, elle se<br />
frotte avec talent à ce style musical : en<br />
témoigne le succès de son album Esprit<br />
(2004), la meilleure vente de hip-hop<br />
local. Depuis, elle s’est attaquée à<br />
l’afro trap. On ne l’arrête plus ! ■<br />
davantage vers la pop, quitte à explorer les codes mbalakh,<br />
comme l’a fait Amira Abed avec son tube “Chéri coco”. » « Le<br />
mbalakh devient une musique urbaine et se mélange à la pop, au<br />
rap et à l’afro, qui prend le dessus. Parce que les femmes dansent<br />
l’afro et maîtrisent davantage ses rythmes et ses caractéristiques,<br />
elles ont un rôle à jouer », commente le chanteur Faada Freddy.<br />
Mina la voilée a gardé le surnom dont on l’affublait, non sans<br />
condescendance, à ses débuts, pour en faire une force. Membre<br />
du mouvement citoyen Y’en a marre, elle a refusé de se brider…<br />
Son flow est percutant, ses instrus accrocheurs, le jogging porté<br />
large et le voile ne quitte pas sa tête. À raison : elle est l’une des<br />
rappeuses les plus populaires, et pas qu’au Sénégal. Son dernier<br />
clip, « Ennemis », se propage jusqu’aux terres anglo-saxonnes.<br />
Le mélange des genres ne fait pas peur à Poundo. Son<br />
très remarqué premier album We Are More, principalement en<br />
langue manjak, mixe (entre autres) hip-hop et électro. Lors de<br />
son dernier séjour à Dakar, cette musicienne issue de la diaspora<br />
a été épatée par la détermination des rappeuses : « Dans ce qu’on<br />
appelle le rapakh, ce mélange de mbalakh et de rap, elles écrivent<br />
à merveille. Elles font preuve d’une vraie dextérité face à une<br />
prédominance masculine. En manjak, en anglais, en français ou<br />
en wolof, le rap est leur moyen de communication. » Depuis les<br />
années 1990, elles y abordent des sujets sensibles : l’excision, les<br />
violences sexuelles, le blanchiment de la peau… Se distingue l’activiste<br />
Moonaya, signée chez Sony Music Afrique, qui dénonce les<br />
dérives gouvernementales et la misogynie ambiante. Il y a aussi<br />
Black Queen, Sister LB, Eve Crazy, Fatim Sy, Ami Yerewolo,<br />
Toussa… Le hip-hop étant un art basé sur la collaboration, des<br />
alliances se forment, comme le duo Def Maama Def ou le trio<br />
Safary, dont les singles (tel « Faut pas forcer ») portent un discours<br />
féministe. Ces artistes décuplent ainsi leurs forces. Car la visibilité<br />
n’est toujours pas gagnée, explique Camille Seck : « En ce moment,<br />
ISSOUF SANOGO/AFP<br />
118 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
DR (4)<br />
on voit émerger l’orchestre 100 %<br />
féminin Jigeen Ñi. Il confirme que<br />
les femmes ne peuvent se réduire au<br />
statut de simples choristes. Cependant,<br />
il existe peu d’instrumentistes<br />
féminines au Sénégal, hormis<br />
quelques exceptions, comme la<br />
bassiste albinos Maah Keïta. On n’enseigne<br />
plus la musique à l’école. Dans<br />
certaines régions, la place des femmes<br />
est à la maison, et il manque encore<br />
des tremplins d’expression. Si les institutions<br />
européennes les incitent à se<br />
faire entendre, beaucoup n’osent pas<br />
se révéler ou n’ont pas les outils. »<br />
Selon Poundo, « il y a énormément<br />
de talents, mais une restriction<br />
de moyens qui touche surtout les<br />
femmes. Leurs noms n’apparaissent<br />
pas sur les affiches de festivals…<br />
Alors que ce serait formidable d’exporter<br />
cette immense culture ».<br />
CULTURE DES GRIOTS<br />
Et à part le rap ? D’après<br />
Camille Seck, « quand on fait autre chose, c’est plus difficile<br />
d’exister à la télévision, dans les streamings, la consommation<br />
de masse ». Certes, on constate la vitalité du jazz au festival de<br />
Saint-Louis. Mais une seule femme y était mise en avant en 2021 :<br />
la Franco-Sénégalaise Awa Ly. Côté acoustique, la chanteuse<br />
Marema a influencé beaucoup d’artistes en abordant des sujets<br />
tabous sur un son organique. Dans son sillage, Kya Loum, qui<br />
a imposé son timbre rauque jusqu’aux plateaux de l’émission<br />
Music Explorer, ou la charismatique guitariste-bassiste Daba. Si<br />
Mariaa Siga incarne un reggae bien à elle, Maïna cultive un<br />
style néo-soul. Sa vocation n’était pas envisageable, étant issue<br />
d’une famille très religieuse, jusqu’à ce qu’elle s’empare du micro<br />
et ne veuille plus le lâcher. Attachée à la tradition mandingue,<br />
Mamy Kanouté est devenue davantage que la choriste de Baaba<br />
Maal… Dans tous les cas, les ambitions sont pop. Certaines,<br />
comme Aïda Samb, manient tous les styles, de l’afrobeat au traditionnel,<br />
du mbalakh au R’n’B. De même pour Dieyla Guèye,<br />
également actrice, découverte grâce au tremplin Sén Petit Galé,<br />
et dont les registres s’étendent du gospel au mbalakh. Importé du<br />
Nigeria, l’afropop commence à s’immiscer dans les studios. Or,<br />
quoiqu’il arrive, les artistes sénégalais restent attachés à leurs<br />
racines griottes. Lorsqu’ils s’emparent d’un mouvement musical,<br />
ils le cultivent avec fidélité, ignorant les lumières factices des<br />
tendances. Y compris au-delà des frontières. « Notre musique doit<br />
nous ressembler, confie Poundo. Il faut savoir d’où l’on vient pour<br />
sampler dans la richesse de nos origines. Ma musique serait plus<br />
lisse sans la musique sénégalaise avec laquelle j’ai grandi. Nous,<br />
De gauche à droite,<br />
des pochettes de CD<br />
de Safary, OMG,<br />
Moonaya et Black Queen.<br />
« Il y a énormément<br />
de talents, mais les<br />
moyens sont réduits<br />
pour les femmes »,<br />
déplore Pundo.<br />
artistes de la diaspora, sommes aussi<br />
ambassadeurs de cette culture. »<br />
Plus que jamais, les femmes ont leur<br />
carte à jouer. D’autant qu’elles comptent<br />
depuis toujours au sein de la culture<br />
des griots. « Ce sont des femmes qui<br />
racontent l’histoire, analyse Poundo.<br />
Des temples de la mémoire sénégalaise.<br />
Les premières stars de la chanson<br />
étaient griots car elles avaient l’habitude<br />
de prendre la parole, elles détenaient<br />
l’information. Elles sont riches<br />
d’un savoir transmis de génération en<br />
génération et gagnent en affirmation. »<br />
Faada Freddy, lui, leur voit un « avenir<br />
réjouissant » sur scène : « C’est un<br />
atout d’être une femme, pas une faiblesse.<br />
Elles ont moins de complexes<br />
à s’approprier des métiers masculins,<br />
tels que la mécanique ou l’agriculture.<br />
On les voit même mieux entreprendre<br />
que les hommes. Nous avons<br />
de grandes artistes comme Viviane<br />
Chidid ou la rappeuse OMG, qui<br />
accomplit un travail colossal dans le<br />
monde entier. La plus belle voix du duo Maabo, c’est celle d’une<br />
femme. La jeune Abiba est en train de monter en puissance, etc.<br />
Attention cependant : ce qui compte dans ce business, c’est le<br />
talent, puis l’entourage. Un homme qui, sous prétexte de lancer<br />
la carrière d’une chanteuse, exige de partager son lit, peut faire<br />
des ravages. »<br />
NOUVELLES SONORITÉS<br />
Pour s’émanciper entièrement, devraient-elles s’impliquer<br />
davantage dans ce qui reste une niche au Sénégal, la musique<br />
électronique ? C’est ce que pense DJ Cortega, cofondateur<br />
d’Electrafrique. Il a participé à l’avènement d’une électro au<br />
Kenya, qui fait des émules sur tout le continent. En l’espace d’une<br />
décennie, il a vu les femmes investir les studios de Nairobi, devenant<br />
même majoritaires, motivées par des modèles comme DJ<br />
Coco Em. Depuis l’été 2021, il organise à Dakar une formation<br />
Ableton Live, avec le soutien du Goethe Institut : « Les lignes commencent<br />
à bouger. Des figures importantes du hip-hop féminin,<br />
comme DJ Zeyna, s’intéressent à ces nouvelles sonorités. Car,<br />
avec un ordinateur et un micro, on devient son propre studio<br />
d’enregistrement. Si on a les aptitudes techniques, on peut se<br />
faire connaître dans l’industrie de la musique, et pas uniquement<br />
en étant prise en charge par des équipes souvent masculines. »<br />
Porteuses de l’histoire des griots, folkeuses dans l’âme, rappeuses<br />
ou reines du mbalakh, les femmes ne sont qu’au début de leur<br />
engagement musical. Et l’électro pourrait définitivement les<br />
consacrer. ■ Remerciements à Frédérique Miguel.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 119
Chez lui,<br />
à Dakar.
interview<br />
Felwine Sarr<br />
« Il faut sortir<br />
la francophonie<br />
de son carcan<br />
institutionnel »<br />
Coéditeur du prix Goncourt 2021, l’écrivain et essayiste<br />
publie un roman philosophique autour de l’exil,<br />
de l’amour, de la mort. propos recueillis par Astrid Krivian<br />
SOPHIE GARCIA/HANS LUCAS.COM<br />
Ce natif de l’île Niodior a reçu<br />
de ses ancêtres sérères une<br />
spiritualité ancestrale et une<br />
ardeur au travail. Et de son<br />
père colonel, l’engagement<br />
pour son pays, choisissant,<br />
pour citer son maître Aimé<br />
Césaire, les « armes miraculeuses<br />
de l’esprit », afin d’apporter sa contribution à<br />
la marche du Sénégal et du continent. Né en 1972,<br />
Felwine Sarr est un touche-à-tout à la quête<br />
transdisciplinaire. Écrivain, musicien, professeur<br />
agrégé d’économie à Saint-Louis pendant treize<br />
ans, enseignant désormais la philosophie africaine<br />
contemporaine et diasporique à l’université Duke<br />
aux États-Unis, il a cofondé la maison d’édition<br />
Jimsaan (nom sérère d’une rizière dans les îles du<br />
Saloum), ainsi que l’événement culturel les Ateliers<br />
de la pensée, à Dakar. Coauteur du rapport sur la<br />
restitution d’œuvres africaines vers le continent par<br />
la France, il a notamment signé l’essai Afrotopia,<br />
réflexion sur une Afrique définissant elle-même<br />
ses modèles de société, libérée de concepts néocoloniaux<br />
et capitalistes. Cet adepte de méditation,<br />
ceinture noire de karaté, dont la généalogie littéraire<br />
et spirituelle va des mystiques bouddhistes et<br />
chrétiens à Nietzsche, Rûmî ou René Char, publie<br />
un nouveau roman sur l’exil, l’amour, la mort,<br />
pétri de philosophie et de métaphysique, Les Lieux<br />
qu’habitent mes rêves.
INTERVIEW<br />
<strong>AM</strong> : Pourquoi cela vous intéressait-il de raconter<br />
l’histoire de frères jumeaux sénégalais, Bouhel<br />
et Fodé, l’un ancré dans la culture et la spiritualité<br />
ancestrale du pays sérère, l’autre poursuivant<br />
des études supérieures en France ?<br />
Felwine Sarr : C’est une question qui se pose aux générations<br />
actuelles : le rapport entre les archives d’origine, de la culture<br />
première et la rencontre avec le monde. Il y a quelques siècles,<br />
cette rencontre, forcée, s’est faite dans la violence. De nos<br />
jours, c’est différent, nous pouvons choisir de dialoguer, de<br />
rencontrer, de se confronter aux autres. C’est intéressant d’explorer<br />
la fraternité, la gémellité, le mouvement, la rencontre<br />
profonde de soi et du monde à travers deux figures issues d’une<br />
même matrice. Ils prennent des chemins initiatiques différents,<br />
incarnent deux manières de faire monde.<br />
Qu’est-ce que vivre poétiquement d’après vous,<br />
comme se demande l’un de vos héros ?<br />
La poésie ne se limite pas à un rapport au langage, à de<br />
belles métaphores filées. Elle est aussi un rapport à la vie, une<br />
présence au monde. Elle entre en résonance avec la « sinistre<br />
épaisseur des choses », pour citer Césaire. On souhaite tous la<br />
beauté, l’extase, le tremblement, mais il y a aussi le crépuscule,<br />
la peine, la douleur, l’âpreté de l’expérience humaine. Vivre<br />
poétiquement, c’est apprendre à être présent à toutes les dimensions<br />
du réel, être en mesure d’habiter ses différentes strates.<br />
Avec les écrivains Boubacar Boris Diop et Nafissatou<br />
Dia Diouf, vous avez fondé les éditions Jimsaan en 2012.<br />
Coédité avec Philippe Rey, La Plus Secrète Mémoire<br />
des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr,<br />
a été couronné du prix Goncourt<br />
en 2021. Quelle répercussion cette<br />
récompense a-t-elle sur Jimsaan ?<br />
Notre maison suscite l’intérêt, elle<br />
gagne en visibilité, en crédibilité. Et ce<br />
prix apporte des moyens supplémentaires,<br />
qui nous permettent de publier<br />
des livres d’autres auteurs. C’est une<br />
excellente chose. Nous avons créé<br />
Jimsaan car, à nos yeux, il manquait<br />
une maison d’édition africaine avec une vraie ligne éditoriale,<br />
exigeante. Nous voulons faire entendre ces voix, ces histoires,<br />
faire circuler les imaginaires des écrivains sans les travestir, les<br />
trahir, les rendre « consommables ». On est très attentifs à ce qui<br />
s’écrit à partir du continent, mais nous souhaitons désormais<br />
publier également des auteurs singuliers du monde entier.<br />
À l’ère du numérique, de la prédominance<br />
des écrans, comment inculquer le goût<br />
de la lecture et du livre à la jeunesse ?<br />
Une réflexion sur la politique du livre, son coût, les librairies,<br />
etc., est à mener. Mais avant tout, le libre accès aux livres,<br />
à la littérature est fondamental. Chaque quartier, chaque ville<br />
doit être doté d’une bibliothèque. Un jeune piqué par le virus<br />
de la lecture doit pouvoir nourrir cet appétit dans un espace<br />
dédié. Quand j’étais enfant, à Dakar, il y avait dans ma rue<br />
deux centres culturels, l’un français et l’autre américain. J’y<br />
passais mes mercredis après-midi à lire, à fouiller les rayons,<br />
à voyager à travers les livres.<br />
Quelle place donner à la francophonie ?<br />
Il faut la sortir de son carcan institutionnel. Et jeter aux<br />
oubliettes ce désir d’influence d’une France qui veut rayonner<br />
dans le monde à travers le français, en tant que langue<br />
véhiculaire. Sortir des imaginaires d’un Hexagone qui serait<br />
le centre, et les pays africains, le Québec, la Suisse, une périphérie.<br />
Nous devons considérer le français, parlé en Afrique<br />
depuis plus d’un siècle, comme un espace de partage linguistique<br />
et démocratique équitable, et non comme un outil<br />
d’influence de la France. Dans l’espace francophone, ce pays<br />
compte 67 millions d’habitants, et les locuteurs du français<br />
sont 200 millions. Les projections tablent sur quelque 700 millions<br />
de locuteurs dans cinquante ans, dont la majorité sur le<br />
continent africain. Beaucoup de productions culturelles intéressantes<br />
en français viennent du continent. Avec son prix<br />
Goncourt, Mohamed Mbougar Sarr a renversé cette idée que<br />
la littérature française serait la chasse gardée de l’Hexagone.<br />
Par faits d’histoire, les peuples africains se sont approprié cette<br />
langue, devenue un bien commun. Elle n’est plus le bien de<br />
la France. Nous devons l’utiliser, l’enrichir sans complexe, en<br />
dehors de toute relation néocoloniale, d’assujettissement. On<br />
gagne tous à dialoguer à travers un instrument linguistique,<br />
Nous devons utiliser<br />
la langue française, l’enrichir<br />
sans complexe, en dehors<br />
de toute relation néocoloniale.<br />
un espace vaste où échanger des productions culturelles, à<br />
égalité, sans préséance d’un centre posé à Paris.<br />
En 2016, vous avez fondé à Dakar, avec Achille<br />
Mbembe, les Ateliers de la pensée, laboratoire<br />
d’intelligence collective réunissant chercheurs,<br />
artistes du continent et de la diaspora autour des<br />
défis actuels. Quel sera le thème de la prochaine<br />
édition, qui se déroulera du 23 au 26 mars ?<br />
Ce sera « Cosmologie du lien et formes de vie ». Nous aborderons<br />
la question des liens, à partir d’une cosmologie fondée<br />
sur l’unité du vivant, qui ne sépare pas nature et culture,<br />
122 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
DR<br />
animalité et humanité. Cette idée que l’on<br />
forme une communauté entière, les humains<br />
et les non-humains, dans un rapport de négociations,<br />
d’affinités, de discussions et non pas<br />
d’exploitation existe dans les cultures africaines,<br />
amérindiennes. Nous réfléchirons de<br />
quelle manière ces ressources imaginaires,<br />
intellectuelles, peuvent produire des formes<br />
de vie politique, sociale, culturelle, économique<br />
différentes, afin de répondre aux<br />
défis écologiques, aux besoins du vivant, des<br />
liens sociaux.<br />
Le Sénégal est-il une exception<br />
culturelle en matière de politiques<br />
BIBLIOGRAPHIE<br />
SÉLECTIVE<br />
◗ Les Lieux qu’habitent<br />
mes rêves, Gallimard,<br />
2022.<br />
◗ La Saveur des<br />
derniers mètres,<br />
Philippe Rey, 2021.<br />
◗ Restituer le<br />
patrimoine africain,<br />
Philippe Rey/Seuil,<br />
2018.<br />
◗ Afrotopia, Philippe<br />
Rey, 2016.<br />
menées dans ce domaine ?<br />
La créativité de la scène artistique<br />
sénégalaise pallie le déficit de vraies<br />
grandes politiques culturelles. Même si<br />
certaines sont conduites ces dernières<br />
années, avec notamment le Musée des<br />
civilisations noires, la biennale de Dakar,<br />
ou encore certaines infrastructures…<br />
Mais la vitalité vient d’abord de la<br />
scène culturelle. Elle est héritière de<br />
politiques importantes installées dans<br />
les années 1960-1970. Il y a eu un<br />
foisonnement depuis les indépendances,<br />
Léopold Sédar Senghor a inscrit le pays<br />
dans une trajectoire de valorisation de la culture<br />
au sens large. En 1966, le Festival mondial<br />
des arts nègres, organisé à Dakar, a également été<br />
un moment essentiel.<br />
Qu’entendez-vous à travers les productions<br />
des jeunes talents sénégalais ?<br />
Sur le continent, de manière plus globale, on<br />
observe depuis quelques années une richesse dans<br />
la créativité : musique, littérature, arts visuels,<br />
cinéma… Le continent est le lieu d’un bouillonnement artistique<br />
et culturel. Le geste artistique dit notamment le désir<br />
de se réinventer, tout comme le métissage. Ce n’est plus le<br />
temps où les artistes évaluent la profondeur du manque et<br />
de la perte, se guérissent d’un traumatisme. On peut lire le<br />
continent se racontant à lui-même et au monde, à travers ce<br />
geste. Maintenant, les jeunes sont préoccupés par leur avenir<br />
– études, emploi, travail –, par leur place, qui ils sont et<br />
quels rapports articuler avec le monde. Ce sont des inquiétudes<br />
normales de la jeunesse, avec un fort désir de se réaliser,<br />
trouver les opportunités possibles pour se déployer, dans<br />
les lieux où ils vivent. C’est ce que j’entends dans plusieurs<br />
formes d’expression.<br />
Avec Bénédicte Savoy,<br />
vous êtes coauteur de<br />
Restituer le patrimoine<br />
africain. Pourquoi<br />
est-ce essentiel que<br />
ces objets détenus par<br />
la France reviennent<br />
au continent ?<br />
Dans le geste de réinvention<br />
de soi, du présent<br />
et du futur, on a besoin de<br />
reconstruire sa mémoire<br />
et son histoire. Et il nous<br />
a manqué des objets, des œuvres spirituelles,<br />
matérielles, qui disent notre<br />
histoire, notre génie, nos spiritualités,<br />
nos sens artistiques, nos visions<br />
du monde, nos philosophies. Les<br />
groupes humains ont besoin de renégocier<br />
constamment avec leur capital<br />
culturel, de transmettre leur vécu,<br />
leur patrimoine. Pour qu’ainsi, les<br />
nouvelles générations s’en inspirent<br />
et construisent à partir de ça. Si l’on<br />
récupère ces traces, si l’on remet ces<br />
objets dans la forge de la transmission, cela nous<br />
aidera à reconstruire dans le présent et, dans le<br />
futur, à répondre aux défis actuels.<br />
« L’Afrique n’a personne à rattraper »,<br />
écriviez-vous dans votre essai Afrotopia.<br />
Il faut sortir de cette idée que l’on serait en<br />
retard, que l’on devrait rattraper. On n’est en compétition<br />
avec personne. La première bataille à<br />
gagner est de déterminer quelle société nous voulons,<br />
qu’est-ce qu’une bonne vie. Toutes les sociétés<br />
aspirent au bien-être, fait de paix sociale, de rapport<br />
à la culture, à l’écologie, de spiritualité chez<br />
certains… Les sociétés africaines sont les plus anciennes de l’humanité,<br />
elles sont en mesure de définir elles-mêmes leur futur.<br />
Il faut assigner une place juste à l’économie, laquelle est un<br />
moyen et pas une fin, qui doit être en symbiose avec les autres<br />
ordres, sans les diminuer ni les détruire. On peut éventuellement<br />
s’inspirer des autres aventures sociétales, mais également<br />
éviter leurs erreurs, ne pas reproduire ces modèles d’industrialisation<br />
destructeurs pour la planète. Notre problématique n’est<br />
pas fondamentalement économique, mais d’abord culturelle,<br />
civilisationnelle, psychologique. Il faut évidemment répondre<br />
aux besoins économiques, mais nous vivons pour nous remplir<br />
dans des espaces de sens, de significations, qui sont à remettre<br />
au centre. La culture est le début et la fin de ces processus. ■<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 123
enouveau<br />
SÉNÉGAL<br />
DESIGN<br />
Stylisme, conception<br />
de meubles, céramique,<br />
maroquinerie…<br />
Des créateurs, soucieux<br />
de l’environnement,<br />
bousculent les codes.<br />
par Luisa Nannipieri<br />
Selly Raby Kane<br />
Cheffe de file de la scène alternative, cette<br />
touche-à-tout vient de réaliser un court-métrage.<br />
Styliste, designeuse et vidéaste, Selly Raby Kane<br />
(ci-contre, au centre) est, à 35 ans, une artiste bouillonnante<br />
d’énergie et de créativité. Dans son atelier,<br />
installé à l’étage de son showroom et espace cocréatif<br />
de la capitale, elle prépare une nouvelle collection<br />
qui devrait sortir avant le printemps. Depuis son premier défilé,<br />
en 2008, et après avoir lancé son label en 2012, elle a séduit le<br />
gotha de la mode internationale avec une douzaine de garderobes<br />
avant-gardistes et iconiques. Certaines de ses pièces, qui<br />
mélangent hommages à la mythologie sénégalaise, clins d’œil au<br />
quotidien dakarois et inspirations afrofuturistes, sont déjà des<br />
classiques. Comme les bombers, les kimonos ou les robes Carapide,<br />
régulièrement réédités dans des versions intemporelles<br />
ou inédites. Considérée par la presse internationale comme la<br />
124 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
STEPHAN GLADIEU/FIGAROPHOTO.COM<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 125
RENOUVEAU<br />
cheffe de file de la scène alternative dakaroise, Selly Raby Kane<br />
n’hésite pas pour autant à collaborer avec de grandes marques.<br />
Elle a, par exemple, conçu un panier inspiré par le rituel social<br />
du tressage des cheveux pour la collection « Överallt » d’Ikea.<br />
Une édition limitée, dessinée par un collectif de designers africains<br />
en 2019. La mode nourrit toujours son quotidien, mais<br />
elle trouve également dans le cinéma une forme d’expression<br />
adaptée à sa quête artistique et spirituelle. Après un premier<br />
film tourné en réalité virtuelle en 2017, elle vient de réaliser<br />
avec une partie de sa famille créative le court-métrage Tang<br />
Jër, dont elle a assuré la direction et les costumes. Une comédie<br />
fantastique et embuée de réalisme magique, tournée pendant la<br />
pandémie, qui confirme son talent de réalisatrice.<br />
Ousmane Mbaye<br />
Cet autodidacte et expérimentateur<br />
du métal veut démocratiser ses œuvres.<br />
Du fer, de la couleur, un profil raffiné et matique. Les mobiliers signés Ousmane Mbaye<br />
emblése<br />
reconnaissent de loin et se vendent dans le<br />
monde entier. Ancien frigoriste, il assemble ses<br />
premières créations en 2005 à partir de pièces<br />
de récupération, convaincu que « toute matière peut être noble,<br />
ça dépend de ce que l’on en fait ». L’une de ses premières tables<br />
– dont le nom, « Réunir les hommes autour d’objets du quotidien<br />
», est tout un programme – lui vaut un prix en Italie, alors<br />
que Dak’Art, la biennale de Dakar, dévoile en 2008 ses<br />
œuvres au grand public. Son tabouret Patrimoine, un<br />
hommage aux fessiers sénégalais, est la vedette de<br />
l’exposition « Design en Afrique » du musée Dapper, per, à<br />
Paris, en 2012. Deux ans plus tard, toujours à Paris,<br />
une rétrospective au Centquatre célèbre son travail.<br />
À force de soudures, il devient un maître du<br />
métal incontesté. Il arrive même à sortir de la case<br />
« ethno-chic » dans laquelle on essaye de l’ enfermer, ermer,<br />
Son tabouret<br />
Patrimoine<br />
est l’une de ses<br />
créations phares.<br />
Ousmane Mbaye a ouvert un concept store<br />
à Dakar, le Shop Bi, dans lequel il propose<br />
une sélection d’objets d’autres designers.<br />
grâce à sa passion pour l’expérimen-<br />
tation. Il travaille sur les pigments<br />
et les couleurs Pantone, joue avec<br />
la lumière et réfléchit à comment<br />
démocratiser ses œuvres. Dans son<br />
tout nouveau showroom pari-<br />
sien, à deux pas de la place<br />
des Vosges, il montre le<br />
prototype d’une nouvelle<br />
petite table qu’il pense<br />
produire de façon industrielle.<br />
Par rapport à ses<br />
œuvres uniques, plus<br />
graphiques, plus soignées<br />
dans les détails<br />
car<br />
créées à la main<br />
par<br />
une quinzaine d’artisans<br />
dans son atelier<br />
de Soumbédioune, cette<br />
table coûterait moins<br />
cher. À la portée d’une<br />
classe moyenne sénégalaise<br />
de plus en plus<br />
avide d’un design made<br />
in Africa accessible.<br />
#HAI20# - DR - HAIDAR CH<strong>AM</strong>S<br />
126<br />
HORS-SÉRIE SÉR<br />
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
STEPHANETOURNE.COM - JEAN-CLAUDE THORET - DR (2)<br />
Faty Ly<br />
La céramiste met son savoir-faire<br />
au service de l’apprentissage des jeunes.<br />
Fatimata Ly, ou Faty, est née à Dakar dans les<br />
années 1970 et a passé sa vie entre la France, l’Angleterre,<br />
les États-Unis et le Sénégal, où elle ouvre<br />
une galerie d’art en 2001. En côtoyant artistes et<br />
artisans, elle découvre la poterie burkinabée et<br />
devient l’assistante d’une céramiste qui lui apprend le métier.<br />
Sa première collection, « Nguka », arrive sur le marché en 2015<br />
après avoir fait sensation lors du « off » de la biennale de Dakar.<br />
Sur un service à thé en porcelaine fine, elle peint des silhouettes<br />
de coiffures traditionnelles et des visages de Sénégalaises, inspirées<br />
de portraits des années 1950. Aujourd’hui, sa réflexion<br />
sur la transmission du patrimoine culturel et du savoir-faire<br />
artisanal prend une nouvelle dimension, avec la création d’une<br />
école de céramique qui devrait ouvrir cette année. Dans son atelier<br />
dakarois, elle accueille déjà des stagiaires, mais son projet<br />
vise à créer un pôle d’attraction pour toute l’Afrique de l’Ouest.<br />
« L’art de la céramique tend à disparaître, et la poterie n’a pas su<br />
se réinventer », constate-t-elle. La solution ne peut que passer par<br />
le développement de l’artisanat<br />
local et l’apprentissage des jeunes.<br />
Une tâche à laquelle elle souhaite<br />
se consacrer, avec la résilience, la<br />
motivation et la patience qui lui<br />
ont toujours servi dans son travail.<br />
Son célèbre service à thé<br />
en porcelaine, sur lequel sont<br />
peints des visages de femmes.<br />
Cécile<br />
et<br />
Mbor<br />
Ndiaye<br />
Avec Studio Wudé,<br />
le duo propose<br />
une maroquinerie<br />
adepte du zéro<br />
déchet.<br />
Ce couple de designers franco-sénégalais – Cécile,<br />
ex-professeure d’arts plastiques, et Mbor, artisan<br />
autodidacte du cuir – s’est fait connaître en 2004<br />
avec l’ouverture du Studio Wudé. Le nom wolof de<br />
cette maison de maroquinerie renvoie à la rigide<br />
caste des artisans sénégalais, mais dans l’atelier, on se fait un<br />
devoir de partager et de protéger les techniques de travail du<br />
cuir portées par les différentes populations d’Afrique de l’Ouest.<br />
Convaincu que le design ne s’arrête pas à l’objet et qu’il est un<br />
écosystème où tout est lié, le duo donne autant de valeur à la<br />
création artistique qu’au rapport avec les ressources, les pratiques<br />
et le territoire. Leurs pièces sont produites en petites<br />
séries et réparties en gammes qui mettent en avant un savoirfaire<br />
particulier, au service d’un design contemporain et du zéro<br />
déchet. Minutieusement coupées et assemblées, elles sont aussi<br />
chargées d’une symbolique forte. Les sacs Vibration et Prisme,<br />
par exemple, sont créés à partir d’un mélange de wax lacéré<br />
et d’excédents dexcédents de cuir de qualité, rachetés par les communau-<br />
tés sénégalaises en Italie. Une nouvelle matière qui déconstruit<br />
le wax, ce tissu fabriqué aux Pays-Bas devenu<br />
panafricain et<br />
emblématique du rapport complexe<br />
à la souveraineté<br />
dans le conti-<br />
nent. Et que l’on retrouve<br />
aussi dans<br />
certaines créa-<br />
tions, entre mode et art,<br />
de Cécile Ndiaye :<br />
les bijoux de corps<br />
de la série « Waxolo-<br />
gie » libèrent le wax de son<br />
contexte colonial et symbo-<br />
lisent la réinvention d’une<br />
identité africaine.<br />
Une veste en cuir<br />
sculpté, de la<br />
collection<br />
« En attendant<br />
les bêtes sauvages ».<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 20222<br />
127
RENOUVEAU<br />
Bibi Seck<br />
Le travail d’équipe et le recyclage sont<br />
deux des moteurs principaux du designer.<br />
Dans le milieu, on l’appelle « le grand frère ». Sans<br />
doute car Bibi Seck fait partie des aînés (il est né<br />
à Paris le 14 août 1965), mais aussi parce que ce<br />
désigner polyvalent, charismatique et visionnaire<br />
est généreux avec ses collègues, qu’il met volontiers<br />
en avant. Dans le concept store de son Studio Quatorzerohuit<br />
(également galerie d’art contemporain), ouvert à Dakar<br />
fin 2020, il invite à exposer des artistes, designers et artisans,<br />
notamment sénégalais. Un choix qui s’inscrit dans sa volonté<br />
de participer au développement du pays par le design, en donnant<br />
à ceux qui ont du talent les moyens de produire. Le travail<br />
d’équipe et la collaboration sont fondamentaux pour Bibi Seck,<br />
qui partage sa vie et son cabinet avec sa femme, Ayse Birsel,<br />
depuis 2002. Designer industriel, il a toujours dessiné des plans<br />
pour ses clients, comme Renault ou Herman Miller, ou travaillé<br />
avec des artisans pour donner vie à ses créations. C’était le cas<br />
aussi pour la chaise à bascule pensée pour « Överallt », la collection<br />
d’inspiration africaine d’Ikea. Un projet collectif « excitant »,<br />
comme l’a été la création de la chaise Ibiscus de la collection<br />
« M’Afrique », pour Moroso, en 2009. Si cette série de la maison<br />
italienne a été fabriquée au Sénégal, avec la technique traditionnelle<br />
du tissage de fils en plastique, c’est d’ailleurs en partie<br />
grâce à lui. Le plastique, cette fois-ci recyclé, compose un autre<br />
projet particulièrement cher au designer : les mobiliers Taboo<br />
sont faits « à partir de nos poubelles ». Encore une façon d’utiliser<br />
le design pour rendre un service au Sénégal. ■<br />
Ci-dessus, plusieurs de ses créations pour la maison italienne Moroso.<br />
Ci-dessous, dans son Studio Quatorzerohuit, à la fois galerie<br />
d’art contemporain et concept store, à Dakar.<br />
DR - ANTOINE TEMPÉ
PORTFOLIO<br />
L’art du portrait<br />
présenté par Alexandra Fisch<br />
La photographie et le Sénégal ont<br />
une histoire intime qui remonte loin,<br />
au début des échanges avec l’Occident.<br />
Le premier appareil photo fut envoyé<br />
en 1863 à Saint-Louis, berceau africain<br />
du 8 e art. Très vite, des Sénégalais<br />
vont s’approprier cet instrument optique, comme<br />
Meïssa Gaye dans les années 1940, Mama Casset<br />
un peu plus tard, jusqu’à Oumar Ly, décédé en 2016.<br />
Ils ouvrent des studios professionnels, ajustent les<br />
postures comme la gestuelle des modèles. Les décors<br />
– parfois insolites – sont soigneusement composés.<br />
Leur sens du cadrage tient lieu de signature, chacun<br />
la sienne. Ces précurseurs sont les grands-pères<br />
d’une nouvelle génération d’artistes sans complexes,<br />
vivant souvent entre les continents, à cheval entre<br />
leur pays et le monde. Des artistes qui puisent<br />
leur créativité dans leurs racines, tout en s’emparant<br />
de sujets très contemporains : le féminisme, le<br />
changement climatique, la technologie ou encore<br />
la foi. Elles et ils offrent d’autres « points de vue »<br />
percutants, avec une grande maîtrise technique.<br />
Sélection non exhaustive de ces talents. ■<br />
130 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
DELPHINE DIALLO - DR<br />
DELPHINE DIALLO<br />
Le divin féminin<br />
Après une école d’arts<br />
et une expérience<br />
dans l’industrie<br />
musicale, où elle a<br />
multiplié les casquettes,<br />
Delphine Diallo est<br />
partie à New York.<br />
Sa collaboration avec<br />
le célèbre Peter Beard<br />
pour le calendrier<br />
Pirelli au Botswana lui<br />
donne envie de revenir<br />
sur les pas de son<br />
père, originaire de<br />
Saint-Louis. Puissants,<br />
ses portraits revisitent<br />
« les archétypes féminins<br />
noirs » et rendent aux<br />
femmes leur part de<br />
divin. Ci-contre, God<br />
Is A Woman - Yohana,<br />
Yoruba Crown, 2020.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 131
PORTFOLIO<br />
OMAR VICTOR DIOP<br />
Identité et temporalité<br />
En dix ans, Omar Victor<br />
Diop est devenu l’enfant<br />
chéri du portrait en<br />
studio, s’inscrivant dans<br />
les pas de Mama Casset<br />
ou de Seydou Keïta.<br />
À chaque série, le succès<br />
augmente, de « Futur<br />
du beau », sélectionnée<br />
aux Rencontres africaines<br />
de la photographie<br />
de Bamako en 2011,<br />
à « Studio des vanités »,<br />
en passant par<br />
« Diaspora » et « Liberty »,<br />
qui lui apportent<br />
une reconnaissance<br />
internationale. La dernière<br />
en date, « Allegoria »,<br />
a été l’événement de<br />
l’édition 2021 de Paris<br />
Photo. Avec ses œuvres<br />
léchées, il interpelle sur des<br />
sujets bien contemporains,<br />
comme cette fois-ci<br />
sur « la responsabilité<br />
de l’homme devant<br />
la nature ». Ci-contre,<br />
Allegoria 2, 2021.<br />
OMAR VICTOR DIOP/COURTESY GALERIE MAGNIN-A, PARIS - OMAR VICTOR DIOP<br />
132 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
ALUN BE<br />
Photographier le présent<br />
Architecte de formation, Alun Be<br />
est un autodidacte. Sa première<br />
série, « L’Empowerment des<br />
femmes en action », en 2015,<br />
est montrée à l’Exposition<br />
universelle de Milan. Ses<br />
portraits, cadrés serrés, donnent<br />
à voir avec hyperréalisme<br />
un autre visage, féminin<br />
comme africain. Ses sujets de<br />
prédilection : l’autonomisation<br />
des femmes, l’intergénérationnel<br />
et la technologie. Homme du<br />
monde, il le révèle sous un angle<br />
inattendu. Ci-dessous, Evol, 2019.<br />
DR - ALUN BE<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 133
PORTFOLIO<br />
DJIBRIL DR<strong>AM</strong>E<br />
L’œil spirituel<br />
Artiste visuel, cinéaste et<br />
universitaire, Djibril Drame<br />
interroge sur la spiritualité,<br />
en donnant à voir l’Afrique<br />
dans sa réalité ordinaire.<br />
Avec sa série « Ndewendeul »<br />
– du nom de cette petite<br />
somme d’argent donnée<br />
aux enfants à l’occasion<br />
de l’Aïd –, il questionne les<br />
fêtes religieuses islamiques<br />
vécues au Sénégal. De quoi<br />
sont-elles l’expression ?<br />
Un « esprit » que l’on retrouve<br />
dans sa plus récente série,<br />
« Jésus était noir ». Ci-contre,<br />
Fallou le mystérieux, 2020.<br />
DJIBRIL DR<strong>AM</strong>E - MALICK WELLI<br />
134 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
MABEYE DEME - ALBERTO C<strong>AM</strong>PI/WE REPORT<br />
MABEYE DEME<br />
Intime quotidien<br />
Ses études de cinéma<br />
à la Sorbonne Nouvelle,<br />
à Paris, l’ont amené<br />
à être photographe de<br />
plateau. Mabeye Deme<br />
intègre le collectif Black<br />
Containers et trouve<br />
sa voie à Dakar. Il y<br />
photographie des scènes<br />
de la vie quotidienne<br />
en les magnifiant<br />
derrière des voiles<br />
(« Wallbeuti - L’envers<br />
du décor »). Avec « Gudi<br />
Dakar / Dakar la nuit »,<br />
il saisit, en clair-obscur,<br />
l’intimité d’échoppes<br />
éclairées. Ci-contre,<br />
Sans titre, 2014.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 135
Le projet “BRT”,<br />
Bus Rapid Transit,<br />
à Dakar Une réalisation structurante<br />
pour une mobilité urbaine<br />
Le BRT est une infrastructure<br />
de 18,3 km qui permettra<br />
de relier le centre-ville de<br />
Dakar à Guédiawaye, en réduisant<br />
de moitié les temps de parcours (1 h 30 à<br />
45 min). Son tracé concerne deux départements,<br />
14 communes et deux mairies de ville situées<br />
dans l’agglomération dakaroise. Grâce à la politique<br />
globale de développement du réseau de<br />
transport collectif et sa restructuration, les lignes<br />
de rabattement favoriseront une connexion optimale<br />
au Train Express Régional, inauguré le<br />
27 décembre dernier par le Président Macky<br />
Sall. Le BRT assurera le déplacement quotidien<br />
de 300 000 voyageurs, en desservant les zones<br />
les plus densément peuplées de la capitale qui<br />
compte aujourd’hui 4 millions d’habitants,<br />
grâce à l’exploitation moderne d’une technologie<br />
de bus propre. Évoluant sur 23 stations<br />
et 3 pôles d’échange, il offrira 4 services, grâce<br />
à 141 bus articulés : express, semi-express<br />
inclusive et vertueuse.<br />
Avec le BRT,<br />
un partage<br />
équilibré<br />
de la voirie.<br />
et omnibus. Le BRT devrait contribuer utilement<br />
à réduire les effets négatifs de la densité du<br />
trafic routier dans Dakar, comme la congestion<br />
automobile, la pollution de l’air ou encore l’insécurité<br />
routière. Par ailleurs, l’accès aux aménités<br />
urbaines ainsi que le cadre de vie des habitants<br />
résidant le long du corridor seront globalement<br />
améliorés pour favoriser le développement économique<br />
d’une région capitale verte, inclusive<br />
et résiliente au changement climatique. Enfin,<br />
parmi les bénéfices socio-économiques générés<br />
par le projet, on peut citer la création d’emplois<br />
allant de postes d’ouvriers non qualifiés aux<br />
cadres. Le budget global du projet Bus Rapid<br />
Transit s’élève à 300 milliards de francs CFA. La<br />
livraison des travaux est attendue dans le premier<br />
trimestre 2023. ■<br />
Les points clés<br />
des infrastructures<br />
Aménagement d’une voie<br />
en béton dédiée aux bus<br />
de la ligne BRT<br />
Aménagement de voies<br />
latérales en chaussées souples<br />
pour le trafic normal<br />
Ouvrages d’art<br />
et d’assainissement<br />
Trottoirs pavés et en béton<br />
Pistes cyclables<br />
23 stations<br />
dont 3 pôles d’échanges<br />
Aménagement d’un<br />
dépôt d’autobus de 6 hectares<br />
Aménagement de carrefours<br />
giratoires et à feux<br />
Mise en place de l’éclairage,<br />
des équipements<br />
de signalisation routière<br />
et de sécurité<br />
Aménagement paysager<br />
PUBLI-REPORTAGE
LE TRAVELER<br />
GUIDE<br />
Le Monument de la<br />
Renaissance africaine, haut<br />
de 52 mètres, à Dakar.<br />
LE VOYAGE,<br />
LES SPOTS,<br />
LES GENS !<br />
SHUTTERSTOCK<br />
RÉALISÉ PAR LES VOYAGEURS DE LA RÉDACTION
LE TRAVELER GUIDE<br />
Visa et test PCR D’une manière générale, renseignez-vous auprès<br />
de l’ambassade sénégalaise de votre pays pour les formalités d’entrée.<br />
Les ressortissants de l’Union européenne (UE) ne sont pas soumis au<br />
visa, tout comme ceux des zones CEDEAO et UEMOA. Pour connaître<br />
les modalités liées à la pandémie de Covid-19 (test PCR, déclarations),<br />
il vaut mieux consulter les sites aeroport-dakar.com, flyairsenegal.com<br />
ou traveldoc.aero, qui tiennent compte des derniers arrêtés.<br />
CAUSERIE<br />
Si le français est la langue<br />
officielle, il faut aussi<br />
compter sur les six autres<br />
langues nationales :<br />
le wolof (la plus parlée),<br />
le sérère, le poular, le<br />
mandingue, le soninké<br />
et le diola. Le pays est<br />
un carrefour de migration<br />
et de culture. Tous se<br />
retrouvant autour de la<br />
« teranga » (hospitalité),<br />
principe de base, qui<br />
réunit familles, amis ou<br />
voyageurs de passage.<br />
Mais à Dakar, comme dans<br />
n’importe quelle grande<br />
ville, la vigilance est de<br />
mise à certaines heures<br />
et dans certains quartiers.<br />
COMME<br />
UN « ROAD TRIP »<br />
Tout est possible,<br />
mais soyez prudent.<br />
Vous aurez le choix<br />
entre les pittoresques<br />
bus colorés, souvent<br />
très remplis, et les bus<br />
jaune pâle Dakar Dem<br />
Dikk, plus classiques, et<br />
leur réseau de 31 lignes.<br />
Pour un transport en solo,<br />
vous pouvez prendre<br />
l’un des nombreux taxis jaune<br />
et noir, ils ont un compteur<br />
et les tarifs sont réglementés.<br />
L’idéal restant la location<br />
d’un véhicule avec chauffeur<br />
en passant par les hôtels. Vous<br />
pourrez ainsi facilement et très<br />
confortablement vous balader<br />
en dehors de la capitale.<br />
PRÉCAUTIONS<br />
SANTÉ<br />
Soyez vigilants sur l’essentiel,<br />
en particulier sur les vaccins<br />
conseillés à l’entrée (fi èvre<br />
jaune, hépatite A et B) et les<br />
traitements antipaludéens<br />
pour les personnes à risque.<br />
Pour le reste… du bon<br />
sens et de la prudence.<br />
Pour information,<br />
le numéro de SOS Médecins :<br />
+221 33 889 15 15, ainsi<br />
que celui du Samu : 15 15.<br />
À quelle saison partir ?<br />
C’est la douceur de vivre : un microclimat de type<br />
côtier règne à Dakar, où les températures sont<br />
agréables toute l’année. La meilleure saison reste<br />
d’octobre à juin, la saison sèche. Pas ou peu de<br />
pluie, mais dans le nord, l’harmattan peut souffler<br />
entre décembre et février. L’hivernage, de juillet<br />
à septembre, voit arriver de puissants orages<br />
ou pluies bien fournies. Si elles sont désagréables,<br />
elles ont l’avantage de couvrir de vert le paysage.<br />
SHUTTERSTOCK (3)<br />
138 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
❛LES BASIQUES<br />
« Niata la ?»<br />
(« Combien ça coûte ?»)<br />
La monnaie offi cielle<br />
est le franc CFA<br />
(1 euro = 656 francs CFA).<br />
Les euros et les dollars<br />
sont couramment<br />
acceptés. Le réseau<br />
des distributeurs de<br />
rue et les terminaux<br />
de paiement sont<br />
en constante amélioration<br />
(surtout dans les hôtels<br />
et les restaurants). Mais ayez<br />
toujours un peu de cash sur<br />
vous pour les petites dépenses.<br />
SHUTTERSTOCK (3)<br />
Un agréable voyage<br />
SÉCURITÉ, FIABILITÉ et teranga…<br />
La compagnie Air Sénégal s’est<br />
relancée avec succès en 2018, avec<br />
l’ambition de devenir le leader du<br />
transport aérien dans la sous-région<br />
et l’Amérique du Nord. Elle assure<br />
des liaisons avec plusieurs pays<br />
du continent : Bénin, Côte d’Ivoire,<br />
Mali, Gambie, Guinée, Mauritanie,<br />
Cap-Vert, Sierra Leone, Cameroun,<br />
Gabon et Maroc. Et présente<br />
l’avantage de bien desservir les<br />
stations balnéaires populaires<br />
grâce à ses lignes intérieures<br />
pour Cap Skirring et Zinguichor.<br />
Elle n’est pas la seule compagnie :<br />
parmi les principales, on peut citer<br />
Air France (et ses prix élevés),<br />
Iberia, Royal Air Maroc ou TAP Air<br />
Portugal. Comme toujours, mieux<br />
vaut réserver assez tôt pour avoir des<br />
tarifs intéressants. À l’arrivée, vous<br />
pourrez apprécier le récent aéroport<br />
international Blaise Diagne (inauguré<br />
en 2017), situé à 47 kilomètres<br />
de la capitale.<br />
Les sites Internet des deux<br />
compagnies recommandées pour<br />
les businessmen : flyairsenegal.com<br />
et airfrance.com.<br />
APPART PARTICULIER<br />
Dakar n’échappe pas aux<br />
nouveaux modes de voyage.<br />
Allez jeter un coup d’œil sur<br />
les sites d’Airbnb et de ses<br />
concurrents, à la recherche<br />
d’une location chez l’habitant,<br />
au standing variable et<br />
à des prix souvent avantageux.<br />
Coup de cœur pour le Rooftop<br />
Retreat, loft en plein<br />
centre-ville de la capitale.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 139
LE TRAVELER GUIDE<br />
UNE (OU PLUSIEURS) NUIT(S) À DAKAR<br />
❛OVERNIGHT<br />
❶ Terrou-Bi<br />
C’est une institution et<br />
probablement l’adresse la<br />
plus agréable de Dakar.<br />
Chambres confortables avec<br />
de jolis balcons, service<br />
impeccable, restaurants<br />
variés, plage privée, piscine,<br />
casino, spa, salle de sport…<br />
Le Terrou-Bi, construit autour<br />
du restaurant gastronomique<br />
du même nom, qui fut<br />
élu meilleure table de<br />
Dakar dès 1986, attire une<br />
clientèle chic, locale autant<br />
qu’étrangère, depuis 2009,<br />
pour le loisir comme pour<br />
le business. La jet-set y<br />
donne volontiers rendez-vous<br />
pour des apéros business<br />
face à l’océan. Idéalement<br />
placé sur la petite corniche,<br />
l’hôtel est à 5 minutes du<br />
centre-ville (et à 10 minutes<br />
aux heures de pointe).<br />
Corniche Ouest, boulevard<br />
Martin Luther King,<br />
tél. : +221 33 839 90 39.<br />
terroubi.com<br />
❷ Radisson Blu Hôtel<br />
Toujours sur la Petite-Côte,<br />
le Radisson, avec sa piscine<br />
à débordements qui fait<br />
face à l’océan, jouxte<br />
le centre commercial du<br />
Sea Plazza. L’enseigne<br />
internationale et ses murs<br />
chics de pierre sombre<br />
ainsi que ses restaurants<br />
branchés attirent surtout<br />
une clientèle étrangère<br />
venue faire des affaires. Les<br />
chambres sont confortables<br />
et épurées. Mention spéciale<br />
au buffet du petit-déjeuner,<br />
particulièrement raffiné.<br />
Route de la Corniche ouest,<br />
tél. : +221 33 869 33 33.<br />
radissonhotels.com<br />
❸ Pullman Teranga<br />
C’est le seul 5 étoiles<br />
qui se trouve au cœur de<br />
Dakar, au Plateau. Prisé<br />
par une clientèle d’affaires,<br />
il offre à la fois l’avantage<br />
d’être près des rendez-vous<br />
business, des commerces<br />
et restaurants, et le petit<br />
inconvénient d’être plongé au<br />
cœur de l’agitation non-stop<br />
du centre-ville et de la place<br />
de l’Indépendance. Il possède<br />
aussi une piscine, une plage<br />
privée et un hammam<br />
marocain. Plusieurs fois<br />
restauré, il respecte le niveau<br />
de l’enseigne haut de gamme<br />
du groupe Accor.<br />
Rue Colbert,<br />
tél. : +221 33 889 22 00.<br />
accorhotels.com<br />
❹ Seku Bi<br />
Si vous n’êtes pas trop chaîne<br />
hôtelière, rendez-vous sur<br />
la petite Corniche, dans ce<br />
boutique-hôtel intimiste.<br />
Deux villas coloniales<br />
abritent sept chambres à la<br />
déco soignée et au confort<br />
❷<br />
❸<br />
❹<br />
DR (3)<br />
140 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
❶<br />
ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 141
LE TRAVELER GUIDE<br />
❺<br />
❻<br />
total. Les avantages ? Leur<br />
restaurant est considéré<br />
comme le meilleur italien<br />
de la ville, leur jardin est un<br />
havre de paix, leur (petite)<br />
piscine rafraîchissante. Et,<br />
bien sûr, la vue sur l’océan.<br />
33 rue Bérenger Féraud,<br />
tél. : +221 33 842 22 02.<br />
sekubi.com<br />
❺ Djoloff<br />
Autre boutique-hôtel,<br />
joliment conçu, en terre,<br />
avec des balcons en bois.<br />
L’accueil est top, rien à<br />
redire sur le confort des<br />
chambres. Le restaurant sur<br />
le rooftop est délicieux et<br />
sa cave de jazz ambiance.<br />
Le tout en plein centre,<br />
entre le Plateau et Mermoz,<br />
que demander de plus ?<br />
7 rue Nani, Fann Hock,<br />
tél. : +221 33 889 36 30.<br />
❻ Boma<br />
Ce petit nouveau<br />
(restauration et nouveau<br />
propriétaire) des hôtels<br />
dakarois est une oasis<br />
au cœur de la ville<br />
tumultueuse. Il propose des<br />
bungalows dans un grand<br />
jardin, avec une grande<br />
piscine (ou une piscine<br />
privée si vous prenez la<br />
suite). La table est festive,<br />
surtout le week-end grâce<br />
au club et à ses concerts.<br />
Route de Ngor, Almadies,<br />
tél. : +221 33 859 02 50.<br />
hotelbomadakar.com<br />
Et aussi…<br />
❼ Novotel<br />
C’est une valeur sûre pour<br />
les hommes d’affaires,<br />
classique et efficace.<br />
2073 avenue<br />
Abdoulaye Fadiga,<br />
tél. : +221 33 849 49 94.<br />
accorhotels.com<br />
❽ Yaas<br />
Bien situé, l’hôtel est parfait<br />
pour les businessmen ou<br />
les voyageurs solos. Les<br />
chambres, bien agencées, ont<br />
une déco design très tonique.<br />
Route des Almadies,<br />
tél. : +221 33 859 07 00.<br />
yaashotels.com<br />
❾ Onomo<br />
Proche de l’aéroport<br />
et au confort moderne,<br />
pour les voyageurs<br />
d’Afrique et du monde.<br />
Route de l’aéroport,<br />
tél. : +221 33 869 06 10.<br />
onomohotels.com<br />
❿ Radisson Diamniadio<br />
Seconde enseigne du groupe<br />
qui vient d’ouvrir dans la<br />
nouvelle ville de Diamniadio,<br />
à deux pas du nouvel aéroport<br />
AIBD. 152 chambres et<br />
suites, décor contemporain<br />
et clientèle business.<br />
Prolongement de<br />
l’autoroute à péage,<br />
à côté du Centre de<br />
conférence international<br />
Abou Diouf, Diamniadio,<br />
tél. : +221 32 824 48 48.<br />
radissonhotels.com<br />
❼<br />
❽<br />
❾<br />
❿<br />
AL<strong>AM</strong>Y - DR (3) - CLEMENT TARDIF - DR<br />
142 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
ET EN SORTANT DE DAKAR…<br />
❛OVERNIGHT<br />
Ci-dessus,<br />
Patrick’s<br />
Lodge.<br />
Ci-contre,<br />
les Manguiers<br />
de Guéréo.<br />
SHUTTERSTOCK - DR (2)<br />
Pour un mini-safari<br />
Cette étonnante petite réserve<br />
naturelle privée de 3 500 hectares est<br />
située à 65 kilomètres de Dakar, ou<br />
à 15 kilomètres de la célèbre station<br />
balnéaire de Saly Portudal. On peut<br />
s’y rendre pour un safari-photo en<br />
voiture privée ou louée sur place.<br />
Entre les baobabs géants millénaires<br />
et les épineux, vous croiserez en toute<br />
liberté rhinocéros blancs, zèbres,<br />
gazelles, cobs, singes, crocodiles ou<br />
autruches. La réserve propose des<br />
forfaits différents, y compris une visite<br />
combinée avec celle du lac Rose.<br />
Réserve et parc animalier Sindia, tél. : +221 33 959 15 40.<br />
Réserve et parc animalier Sindia, tél. : +221 33 959 15 40.<br />
reservedebandia.com<br />
Patrick’s Lodge<br />
C’est un refuge pour<br />
les tribus, espace et<br />
convivialité garantis.<br />
Autour de la maison<br />
d’accueil rayonnent<br />
une salle à manger<br />
extérieure, une<br />
immense piscine,<br />
un spa, des maisons<br />
privatisables, une<br />
maison des enfants<br />
(dortoirs), un potager<br />
et un verger labyrinthe.<br />
Le tout donnant<br />
sur une plage de<br />
sable blanc…<br />
Palmarin Facao, route<br />
de Joal-Djiffer, Fatick,<br />
tél. : +221 78 196 70 01.<br />
patrickslodge.com<br />
Au fil du fleuve<br />
Escale obligée dans<br />
cette maison d’hôte<br />
qui invite au voyage<br />
et nous fait ressentir<br />
le cœur historique<br />
de Saint-Louis.<br />
Déco soignée au<br />
mobilier design.<br />
15 rue Ribet, Saint-Louis,<br />
tél. : +221 77 379 95 34.<br />
fildufleuve.com<br />
Les Manguiers<br />
de Guéréo<br />
En bord de lagune,<br />
cet écolodge compte<br />
12 chambres et 8 suites,<br />
sur un domaine de<br />
9 hectares. Ici, tout est<br />
simple et tranquille.<br />
Les propriétaires ont<br />
aménagé un parcours<br />
pour observer les oiseaux,<br />
nombreux. Rien de plus<br />
naturel, car juste à côté<br />
se trouve la réserve<br />
nationale de la Somone.<br />
À noter que, pour les<br />
gourmands, la pension<br />
complète est généreuse.<br />
Piste de Guéréo, Guéréo,<br />
tél. : +221 33 959 04 01.<br />
lesmanguiersdeguereo.sn<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 143
LE TRAVELER GUIDE<br />
❛TABLES<br />
ET GOURMANDISES<br />
Le Beluga<br />
L’une des tables élégantes et incontournables<br />
de la capitale initie à la cuisine péruvienne.<br />
Au menu, une déclinaison de ceviche<br />
(poisson cru mariné), du tiradito (sorte de<br />
sashimi) ou des cassolettes de riz aux fruits<br />
de mer, très copieuses. Côté viandes,<br />
on y trouve les plus belles pièces de bœuf<br />
made in Argentine.<br />
162 rue Mousse Diop, tél. : +221 33 823 40 40. Du lundi au<br />
samedi, de 12 h 30 à 15 h 30, puis de 19 h à 23 h, et jusqu’à<br />
minuit les vendredi et samedi. groupelaparrilla.com/beluga<br />
LE BIDEEW<br />
DANS LE JARDIN de l’Institut français de Dakar,<br />
vous pourrez déguster une cuisine franco-sénégalaise<br />
à l’ombre de l’immense fromager. Le chef Ndir Tamsir<br />
travaille surtout des produits locaux frais, un plat du jour<br />
est à découvrir du lundi au samedi. Pour les amateurs,<br />
le vendredi, c’est buffet africain, et le dimanche, il y a<br />
un brunch, avec chaque semaine un nouveau thème.<br />
89 rue Joseph Gomis, jardin de l’Institut français,<br />
tél. : +221 33 823 19 09. Du lundi au samedi, de 9 h à minuit.<br />
CHEZ FARID<br />
➀ Le meilleur restaurant<br />
libanais de Dakar, qui existe<br />
depuis trois générations.<br />
La salle à manger climatisée<br />
est confortable pour<br />
apprécier les généreux<br />
mezze composés de taboulé,<br />
de houmous, de feuilles<br />
de vigne farcies ou de<br />
makanek, que vous aurez<br />
commandé. Parfait pour<br />
s’y retrouver entre amis.<br />
Rue Vincens,<br />
tél. : +221 33 823 89 89.<br />
Tous les jours, de 12 h à 23 h.<br />
restaurantfarid.com<br />
IL PAPPAGALLO<br />
➁ Dans le centre-ville,<br />
à l’hôtel Seku Bi, se trouve<br />
une excellente adresse de<br />
cuisine italienne. Le cadre<br />
est apaisant grâce au<br />
jardin luxuriant, à la<br />
déco un peu bistrot<br />
chic, avec des tables<br />
en marbre et vue sur<br />
l’océan. Pour l’apéro,<br />
c’est assiette d’arancinis<br />
moelleux ou carpaccio<br />
de poulpe léger et bien<br />
assaisonné. Pour le dîner,<br />
les assiettes sont plus<br />
travaillées : gnocchis<br />
maison au beurre de<br />
sauge ou tomates cerises<br />
marinées et mousse de<br />
burrata. Le week-end, le<br />
club, avec ses DJ ou ses<br />
concerts, anime le repas.<br />
33 rue Bérenger Féraud,<br />
tél. : +221 77 146 79 79.<br />
Tous les jours, de 12 h<br />
à 15 h, puis de 19 h à 23 h.<br />
il-pappagallo.com<br />
❶<br />
❷<br />
DR (4)<br />
144 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
ET EN SORTANT<br />
DE DAKAR…<br />
SUNU MAKANE CHEZ SECK<br />
Envie d’une escapade<br />
(pas si) loin du tumulte<br />
de la ville ? Prenez la pirogue<br />
du restaurant Chez Seck,<br />
et partez pour l’île de<br />
N’Gor. Ambiance simple<br />
et conviviale. L’adresse est<br />
parfaite pour manger des<br />
langoustes ou un thiof grillé.<br />
Les transats sur la plage,<br />
à quelques pas, prolongent<br />
le plaisir d’être ici.<br />
Île de N’Gor (1 re plage),<br />
tél. : +221 77 647 81 66.<br />
Tous les jours, de 9 h à minuit.<br />
sunumakane-chezseck.com<br />
AL<strong>AM</strong>Y - DR<br />
L’appel du large<br />
VÉRITABLE INSTITUTION dakaroise,<br />
le Lagon 1 (le Lagon 2 est l’hôtel), c’est<br />
d’abord un lieu original. Franchissez<br />
la passerelle qui y mène et vous aurez<br />
l’impression de vous embarquer sur<br />
un paquebot. Le restaurant est en effet<br />
sur pilotis, sur un wharf, construit<br />
en 1956 par Michel Calendini,<br />
qui s’avance au-dessus de l’océan.<br />
La décoration reprend les codes<br />
maritimes : sol façon teck de bateau,<br />
fenêtres façon hublot, cannes à pêche<br />
ici ou là, longs requins suspendus<br />
en salle. Du côté de l’assiette, le chef<br />
français Alexandre Marinier (un nom<br />
prédestiné) allie les produits de la<br />
mer ultrafrais aux épices : poisson<br />
du Lagon au poivre vert, salade de<br />
rougets et kassanes panés au cumin,<br />
curry de poissons, ou les classiques<br />
crustacés grillés, servis au poids.<br />
Pour les amateurs de viande,<br />
pas d’inquiétudes, il n’y a aucun<br />
sectarisme dans cette ambiance chic<br />
et décontractée. Entrecôtes et filet de<br />
bœuf du Brésil sont au rendez-vous.<br />
Alors installez-vous sur la vaste<br />
terrasse face à l’île de Gorée,<br />
laissez-vous bercer par le roulis<br />
des vagues, et savourez.<br />
Route de la Petite Corniche est,<br />
tél. : +221 33 821 53 22.<br />
Tous les jours, de 10 h à 22 h 30.<br />
lelagondakar.com<br />
NDAR NDAR MUSIC & CAFÉ<br />
L’un des endroits les<br />
plus cool de Saint-Louis.<br />
Ce magasin de musique<br />
(disques à écouter ou à<br />
acheter) est un lieu idéal<br />
pour prendre un café<br />
d’Éthiopie moulu sur place,<br />
en grignotant des douceurs.<br />
À l’occasion se tiennent<br />
des expositions. Ambiance<br />
chaleureuse garantie grâce<br />
à Oumar, le propriétaire.<br />
Rue Potin x Rue Abdoulaye<br />
Seck, Marie Parsine, Saint-<br />
Louis, tél. : +221 77 352 15 54.<br />
Tous les jours sauf dimanche,<br />
de 10 h à 20 h.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 145
LE TRAVELER GUIDE<br />
❶<br />
❷<br />
❸<br />
➍<br />
RESTOS DE PLAGE ET SPOTS IN<br />
Sélection forcément subjective. Dakar bouge<br />
en permanence. Restez branché !<br />
➀ Le Ngor pieds dans l’eau<br />
Face à l’océan, sur la terrasse, on y savoure entre amis<br />
un thiof grillé, l’incontournable poisson national.<br />
Corniche des Almadies, tél. : +221 77 504 30 06.<br />
Du mercredi au lundi, de 10 h à 1 h.<br />
➁ La Marée<br />
De l’assiette jusqu’au sol en coquillages, tout tourne autour<br />
des produits de la mer : oursins, huîtres de la Somone, crevettes<br />
ou langoustes. À vous de choisir. L’ambiance y est tranquille,<br />
le service parfois un peu long.<br />
Pointe des Almadies, tél. : +221 33 820 06 80. Tous les jours, de 9 h 30 à 2 h.<br />
➂ Cop 21<br />
Le nom est original pour un bar à viande-rôtisserie, mais les grillades<br />
y sont parfaites ! Dans ce lieu simple et convivial, on retrouve aussi<br />
les plats nationaux que sont le thiéboudiène, le yassa et le mafé.<br />
Corniche des Almadies, tél. : +221 33 865 97 78. Tous les jours,<br />
de 9 h à 23 h, et jusqu’à 1 h 30-2 h du vendredi au dimanche.<br />
➃ La Cabane du pêcheur<br />
C’est le resto où l’on peut manger les pieds dans le sable des<br />
poissons à la plancha ou des crustacés frais, en sirotant un cocktail.<br />
Ndeureuhnou, plage de Ngor, tél. : +221 33 820 76 75.<br />
Du mardi au dimanche, de 8 h à 23 h.<br />
➄ Le Phare des mamelles<br />
Un bel endroit, avec une vaste terrasse offrant une vue sur l’océan ou<br />
la ville. La carte est internationale, avec des tonalités locales : burrata<br />
à la crème de balsamique, zébu à la braise ou filet de capitaine<br />
en croûte d’épices. À essayer : le brunch généreux du dimanche.<br />
Route de l’aéroport, tél. : +221 77 343 72 72. Les mardi<br />
et mercredi, de 11 h 30 à minuit, le jeudi, de 11 h 30 à 2 h 30,<br />
le vendredi, de 11 h 30 à 3 h 30, le samedi, de 9 h 30 à 3 h 30<br />
et le dimanche, de 9 h 30 à minuit. pharedesmamelles.sn<br />
➎<br />
DR (5)<br />
146 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
❛<br />
TABLES<br />
ET GOURMANDISES<br />
L’Oceanium :<br />
nouvelle génération<br />
Pour un thiéb 100 % Sénégal !<br />
C’EST UN LIEU un peu mythique,<br />
à l’avant-garde de la préservation<br />
de l’environnement, créé il y<br />
a une dizaine d’années par<br />
l’activiste écologique Haïdar<br />
El Ali. On y venait pour<br />
prendre des cours de plongée<br />
sous-marine « responsable ».<br />
Le club continue à dispenser<br />
baptêmes ou remise à niveau,<br />
mais depuis que ses enfants<br />
ont repris l’affaire, l’activité<br />
s’est diversifiée et le cadre a<br />
été rénové. On peut y dormir<br />
dans des chambres sobres sans<br />
chichis ou profiter de la terrasse<br />
avec piscine à débordement,<br />
parfaite pour prendre l’apéro au<br />
coucher du soleil. Pour prolonger<br />
la soirée, le restaurant propose<br />
une carte internationale.<br />
Route de la Corniche Estate,<br />
tél. : +221 78 379 67 37.<br />
Ouvert tous les jours, de 8 h à 18 h,<br />
et le samedi jusqu’à minuit.<br />
oceaniumdc.com<br />
SHUTTERSTOCK - DR<br />
C’EST L’ALIMENT DE BASE, notamment<br />
pour le plat national sénégalais, légendaire<br />
en Afrique de l’Ouest et bien au-delà :<br />
le thiéboudiène. Inscrit au patrimoine<br />
immatériel de l’Unesco le 15 décembre<br />
dernier, ce ragoût de poisson, originaire<br />
de Saint-Louis, composé de riz cassé<br />
en une ou deux brisures, de thiof, d’une<br />
variété de légumes (de yet et de guedj<br />
aussi) se retrouve à la table des familles<br />
et des restaurants. Les connaisseurs<br />
chauvins apprécient particulièrement le<br />
« petit riz du fleuve ». Mais les Sénégalais<br />
en consomment autour de 100 kg par<br />
an et par personne. Et la production<br />
venue de Sédhiou, de Thiès, de Fatick,<br />
de Kaolack, de Kolda ou de la vallée du<br />
fleuve ne suffit pas à satisfaire la demande.<br />
Sur les quatre dernières années, le pays<br />
a importé environ 1 million de tonnes<br />
de la précieuse céréale, dont 98 % sous<br />
forme de riz brisé. Le gouvernement<br />
a donc lancé, le 16 décembre, le Projet<br />
de développement de la chaîne de valeur<br />
du riz (PDCVR), de 45 millions de dollars,<br />
financé par l’État et la Banque islamique<br />
de développement, visant à réduire les<br />
importations et à renforcer la sécurité<br />
alimentaire. Objectif : doper la production<br />
locale, soutenir la transformation et la<br />
commercialisation et créer, à terme,<br />
20 000 emplois dans la filière.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 147
LE TRAVELER GUIDE<br />
❶ Musée<br />
des civilisations<br />
noires (MCN)<br />
Inauguré en 2018,<br />
le MCN aura mis du temps<br />
à naître. Imaginé par<br />
Léopold Sédar Senghor<br />
après le succès du Festival<br />
mondial des arts nègres<br />
en 1966, il est finalement<br />
construit grâce à une<br />
coopération avec la Chine.<br />
Le bâtiment évoque<br />
les cases à impluvium de<br />
Casamance, mais d’une<br />
autre dimension : il fait<br />
quatre étages et près<br />
de 14 000 m 2 . En son<br />
cœur, une monumentale<br />
sculpture d’un baobab<br />
signée par l’artiste haïtien<br />
Édouard Duval-Carrié.<br />
Dans les différents espaces,<br />
destinés essentiellement à<br />
accueillir des expositions<br />
temporaires, prend<br />
aussi place la collection<br />
permanente comptant des<br />
vestiges archéologiques,<br />
des costumes traditionnels<br />
ou des photographies<br />
contemporaines. L’objet<br />
phare restant le sabre<br />
d’El Hadj Oumar Tall,<br />
fondateur de l’Empire<br />
toucouleur et figure<br />
de la résistance contre<br />
la colonisation, restitué<br />
en 2019 par la France.<br />
Place de la Gare, Plateau,<br />
tél. : +221 33 959 19 21.<br />
Du mardi au dimanche,<br />
de 10 h à 19 h. mcn.sn<br />
❷ Maison Ousmane Sow<br />
Visiter le Sphinx (surnom<br />
donné à la maison) et<br />
s’imprégner du talent créatif<br />
du plus illustre sculpteur<br />
sénégalais… Dans cette<br />
maison-atelier, le visiteur<br />
peut admirer la trentaine<br />
d’œuvres originales tout en<br />
foulant le sol recouvert de<br />
carreaux créés par Sow luimême<br />
et en appréciant les<br />
murs aux couleurs chaudes<br />
faits avec « sa matière ».<br />
Lot 10, rue 65, tél. :<br />
+221 77 557 14 96. Du mardi<br />
au dimanche, de 9 h à 12 h 30,<br />
puis de 15 h à 18 h, et le<br />
dimanche, à partir de 10 h.<br />
maisonousmanesow.com<br />
❸ Musée Théodore<br />
Monod d’art africain<br />
Édifié en 1931 dans le style<br />
néo-soudanais, le musée<br />
fait partie de l’Institut<br />
fondamental d’Afrique<br />
noire (IFAN). Il possède<br />
une collection diversifiée<br />
d’environ 9000 objets<br />
d’Afrique de l’Ouest. La<br />
collection permanente<br />
occupe le rez-de-chaussée<br />
avec des tabourets<br />
burkinabés, des masques<br />
diolas de Casamance, des<br />
statuettes bambaras… L’étage<br />
est dédié aux expositions<br />
temporaires. C’est l’un des<br />
lieux officiels de Dak’Art.<br />
1 place de Soweto,<br />
tél. : +221 33 823 92 68.<br />
Du mardi au dimanche,<br />
de 9 h à 17 h. ifan.ucad.sn<br />
❛ART<br />
ET GALERIES<br />
❶<br />
❷<br />
❸<br />
DR (3)<br />
148 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
❹<br />
❺<br />
ISS<strong>AM</strong> ZEJLY - KHALIFA HUSSEIN - ANTOINE TEMPÉ - KHALIFA HUSSEIN - DR<br />
❹ Galerie Cécile<br />
Fakhoury<br />
On retrouve ici, au gré<br />
des accrochages, des artistes<br />
du continent, tels Serigne<br />
Ibrahima Dieye, Carl-Édouard<br />
Keïta ou Roméo Mivekannin,<br />
dont le talent n’a pas<br />
échappé à Cécile Fakhoury,<br />
« multigaleriste », basée<br />
à Abidjan et aussi à Paris.<br />
Rue Carnot x Rue<br />
Bérenger Féraud,<br />
tél. : +221 33 842 90 91.<br />
Du mardi au samedi,<br />
de 10 h à 19 h.<br />
cecilefakhoury.com<br />
❺ Raw Material<br />
Company<br />
Très vivant, le lieu se<br />
définit comme « un centre<br />
pour l’art, le savoir et<br />
la société », grâce à un<br />
programme à la croisée<br />
des arts. S’y déroulent<br />
expositions d’œuvres,<br />
projections de films,<br />
conférences publiques…<br />
Sans oublier Ker Issa, le<br />
programme de résidence<br />
qui a déjà accueilli une<br />
quarantaine de participants.<br />
La dernière exposition,<br />
« L’École des mutants »,<br />
est une installation de<br />
Hamedine Kane et Stéphane<br />
Verlet-Bottéro.<br />
Villa 2a Zone B,<br />
tél. : +221 33 864 02 48.<br />
Du lundi au vendredi,<br />
de 11 h à 18 h.<br />
rawmaterialcompany.org<br />
❻ Le Manège<br />
Cet espace d’exposition<br />
du centre culturel français<br />
est l’une des galeries<br />
incontournables de la<br />
capitale. Grâce à sa<br />
programmation très pointue,<br />
il permet de découvrir<br />
des plasticiens sénégalais,<br />
africains ou français.<br />
3-5 rue Parchappe,<br />
tél. : +221 33 865 34 54.<br />
Tous les jours, de 10 h à 18 h.<br />
ifs.sn/lemanege<br />
❼ Selebe Yoon<br />
L’une des dernières galeries<br />
nées, Selebe Yoon, fait<br />
figure de friche avec<br />
sa sélection de jeunes<br />
plasticiens, dans un écrin<br />
❻<br />
❼<br />
architectural incroyable :<br />
1000 m 2 d’exposition dans<br />
l’ancien Printania, premier<br />
grand magasin de Dakar des<br />
années 1950. Entre deux<br />
salles, prière d’admirer le<br />
magnifique escalier art déco.<br />
Rue Parchappe x Rue Salva,<br />
tél. : + 221 78 151 68 64.<br />
Du mardi au samedi,<br />
de 11 h à 19 h, en période<br />
d’exposition.<br />
selebe-yoon.com<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 149
LE TRAVELER GUIDE<br />
CONCEPT STORES<br />
Bijoux,<br />
doudous & co<br />
LE PETIT DERNIER des concept<br />
stores du Plateau, Le Sandaga, est<br />
un modèle de chic décontracté.<br />
On y trouve les superbes créations<br />
de L’Artisane (Khadija Aisha<br />
Ba), des bijoux XXL, des sacs<br />
originaux, des objets déco chinés<br />
à Dakar. La décoration intérieure Le Sandaga.<br />
a été confiée à l’architecte et influenceuse Mamy Tall, qui<br />
a choisi de lui donner un air vintage. Nous voici redevenues<br />
petites filles fouinant dans les malles de nos grands-mères…<br />
Dans le même quartier, à côté de la petite boutique Minibap<br />
(la maison mère se trouve aux Almadies), où l’on déniche<br />
toujours quelque chose à offrir (créations en wax pour les<br />
enfants, plateaux en souwère contemporains, verres soufflés<br />
marocains…), une pause café-essayages s’impose chez<br />
F Koncept, ouvert par le charismatique Faïez Ftouni, libanais<br />
de Dakar et ancien de chez Colette à Paris, qui choisit les<br />
meilleures pièces des marques sénégalaises et internationales.<br />
Dans ce bel espace aux allures de loft, on trouve aussi des<br />
céramiques contemporaines et les bougies parfumées made<br />
in Sénégal, Touareg Candle.<br />
Un nouveau lieu,<br />
chic et décontracté :<br />
Le Sandaga.<br />
Juste à côté, Les Petits Parisiens<br />
est le premier concept store<br />
exclusivement dédié aux enfants,<br />
proposant les marques les plus<br />
pointues en vêtements<br />
mais aussi des jeux design<br />
et créatifs. Enfin, lorsque<br />
deux créatrices de mode<br />
talentueuses, So’ Fatoo et<br />
Sisters of Afrika, mettent<br />
leurs pièces en commun, cela<br />
donne Arka Concept Store.<br />
Une boutique aux couleurs<br />
pastel qui invite régulièrement<br />
d’autres créateurs et qui<br />
permet de siroter un bissap<br />
sur sa micro terrasse.<br />
❛SHOPPING<br />
ET BOUTIQUES<br />
En dehors du Plateau<br />
APRÈS UN ARRÊT au Shop Bi du designer Ousmane<br />
Mbaye, qui présente ses coups de cœur déco, à quelques<br />
pas de son beau showroom de la corniche Médina,<br />
Lulu Home Interior & Café, en face de la piscine<br />
olympique, est un lieu de rendez-vous couru. En plus<br />
du très bon restaurant à la cuisine fusion tenu par le<br />
chef Clément Colpé, qui a ramené de Belgique quelques<br />
bières pour accompagner son afro-burger, l’espace<br />
accueille une marque de meubles venue de Belgique<br />
et tout ce qui compte de créations locales pour la déco<br />
et les cosmétiques. Incontournable.<br />
Sinon, pour dénicher les meilleures marques du<br />
continent, rendez-vous dans le très chic In Africa. Pour se<br />
passer la bague au doigt, c’est chez Imaara Concept Store,<br />
et sa superbe marque de bijoux, que ça se passe. Et pour<br />
se la jouer Grande Royale, pour shopper les plus beaux<br />
boubous, direction La Co’op.<br />
Ci-contre<br />
et ci-dessous,<br />
Les Petits<br />
Parisiens est<br />
le premier<br />
concept store<br />
exclusivement<br />
dédié aux<br />
enfants.<br />
Il propose<br />
des vêtements,<br />
des jouets,<br />
mais également<br />
des jeux design<br />
et créatifs.<br />
DR (5)<br />
150 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
LE SANDAGA<br />
5 bis rue Victor Hugo.<br />
Du lundi au samedi, de 9 h 30<br />
à 13 h, puis de 14 h 30 à 18 h.<br />
lesandaga.com<br />
F KONCEPT<br />
27 rue Jules Ferry, Plateau.<br />
Le lundi, de 15 h à 19 h, et du<br />
mardi au samedi, de 9 h à 19 h.<br />
f-koncept.business.site<br />
MINIBAP<br />
Ikory Gallery, RDC, 26 bis<br />
rue Jules Ferry. Du lundi<br />
au samedi, de 10 h à 18 h.<br />
LES PETITS PARISIENS<br />
Ikory Gallery, 1 er étage, 26 bis<br />
rue Jules Ferry. Du lundi au<br />
samedi, de 9 h 30 à 18 h 30.<br />
lespetitsparisiens.com<br />
ARKA CONCEPT STORE<br />
43 rue Félix Faure, Plateau.<br />
Du lundi au samedi,<br />
de 10 h à 19 h.<br />
SHOP BI<br />
881 Corniche x Rue Lamine<br />
Barry. Du lundi au samedi, de<br />
10 h à 14 h, puis de 15 h à 19 h.<br />
LULU HOME INTERIOR & CAFÉ<br />
Corniche Ouest, Fann<br />
Residence, rue 8 (face à<br />
l’Olympique Club). Du lundi<br />
au samedi, de 8 h à 19 h (café)<br />
et de 10 h à 19 h (magasin).<br />
lulu.sn<br />
IN AFRICA<br />
Boulevard Canal 4,<br />
immeuble 4E. Du lundi<br />
au samedi, de 10 h à 19 h.<br />
FROMHAII<br />
DR<br />
Le Shop Bi<br />
présente<br />
ses coups de<br />
cœur déco et<br />
accessoires.<br />
IMAARA CONCEPT STORE<br />
Rue P × Boulevard du Sud,<br />
Point E. Le lundi, de 12 h<br />
à 19 h, et du mardi au samedi<br />
de 10 h à 19 h.<br />
imaarajewelry.com<br />
LA CO’OP<br />
Rue 6, Point E. Du mardi au jeudi<br />
de 10 h 30 à 19 h, le vendredi, de<br />
10 h 30 à 13 h, puis de 15 h à 19 h,<br />
et le samedi de 10 h 30 à 19 h 30.<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 151
LE TRAVELER GUIDE<br />
Une cave de jazz, comme<br />
on en rencontre à Paris<br />
ou à New York… C’est à l’hôtel<br />
Djoloff, ambiance garantie.<br />
❛NIGHTLIFE<br />
EN 2017 S’EST OUVERT ce club de jazz. Les voûtes en<br />
terre ont-elles influencé la destination du lieu ? Ou est-ce<br />
simplement la volonté de renouer avec le passé musical<br />
d’hôtel-bar-dancing du Djoloff des années 1990 ? En tout<br />
cas, chaque week-end, les meilleurs sons envahissent<br />
les lieux. La programmation fait la part belle à de<br />
talentueux musiciens. Parmi eux se sont récemment<br />
produits Doudou Konaré, Yéyé Faye, Symsam & Family<br />
ou encore Jamm Jazz. La clientèle, assez cosmopolite,<br />
se compose d’aficionados locaux, de touristes de passage<br />
ou d’expatriés curieux. Comme la cave est petite, pensez<br />
à réserver assez tôt si vous voulez une table.<br />
JAZZ CLUB-LA CAVE DU DJOLOFF<br />
7 rue Nani, Fann Hock. Les vendredi et samedi,<br />
de 21 h à 23 h 45.<br />
ET APRÈS…<br />
The Boma Club<br />
Au programme : cocktails<br />
en happy hour de 17 h<br />
à 19 h, concerts en live<br />
tous les mardis ou DJ sets<br />
tous les jeudis. De quoi<br />
ambiancer vos soirées<br />
et vos nuits. Ce club à la<br />
déco design est l’endroit<br />
où aller danser tout<br />
en sirotant un mojito<br />
ou un red basil.<br />
Route de Ngor, Almadies,<br />
tél. : +221 33 859 02 50.<br />
hotelbomadakar.com<br />
Danser et profiter de la carte<br />
des cocktails du Boma Club.<br />
Kraken Pub<br />
Oubliez le côté lounge,<br />
vous êtes arrivé dans<br />
le pub « le plus à l’ouest<br />
du continent ». La boisson<br />
de rigueur est donc<br />
la bière, à la pression<br />
de préférence. L’endroit<br />
est en plein air, avec<br />
vue sur l’océan. Le jeudi,<br />
c’est soirée karaoké,<br />
et le week-end,<br />
des concerts sont<br />
programmés.<br />
Pointe des Almadies,<br />
tél. : +221 77 778 06 57.<br />
De mercredi à dimanche,<br />
de 17 h à minuit.<br />
La Cave<br />
L’endroit est original :<br />
à la fois épicerie fi ne<br />
(sardines millésimées,<br />
julienne de betteraves<br />
ou truffes noires) et cave,<br />
où déguster les meilleurs<br />
vins. On y vient à l’apéro<br />
pour y prendre un verre,<br />
perché sur un tabouret<br />
ou accoudé à la grande<br />
table commune. La<br />
sélection des vignobles<br />
est large, du traditionnel<br />
bordeaux français<br />
à certains cépages<br />
espagnols. À essayer<br />
impérativement : le Clos<br />
des baobabs, premier vin<br />
100 % sénégalais, ou la<br />
Kalao, bière artisanale<br />
brassée près de Dakar.<br />
Rue Béranger Ferraud x Rue<br />
Aristide Le Dantec,<br />
tél. : +221 33 842 62 22.<br />
Du lundi au samedi,<br />
de 10 h à minuit.<br />
Chez Fatou<br />
Avec sa grande terrasse,<br />
Chez Fatou est un bon spot<br />
de plage pour prendre<br />
l’apéro, avant que le soleil<br />
ne se couche, face à<br />
l’océan et aux surfeurs qui<br />
glissent inlassablement<br />
sur les vagues…<br />
Les Almadies,<br />
tél. : +221 33 820 92 38.<br />
Tous les jours,<br />
de 8 h 30 à minuit.<br />
DR (4)<br />
152 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
COUP DE CŒUR<br />
Luxe et nature<br />
Diffi cile de choisir à quel coin de paradis se<br />
vouer… En effet, depuis quelques années,<br />
plusieurs lodges très chics ont ouvert dans<br />
le pays, rendant ses lettres de noblesse à la<br />
destination Sénégal et jetant aux oubliettes<br />
l’époque all inclusive. Le Yokan Lodge, situé<br />
à Palmarin, un village au sud de Dakar,<br />
rassemble tous les indispensables d’un<br />
séjour inoubliable : une douce ambiance,<br />
des suites à la décoration raffi née qui<br />
donne envie de tout emporter chez soi,<br />
un accueil chaleureux, une longue plage<br />
de sable blanc… Sans oublier le restaurant<br />
qui sublime les produits locaux. On y vient<br />
en amoureux (destination parfaite pour un<br />
voyage de noces) ou en famille (matériel<br />
de puériculture disponible, kids club avec<br />
ateliers pour les petits et activités sportives<br />
pour défouler les ados). Pour les adultes,<br />
c’est au choix : la magnifi que piscine,<br />
la plage interminable, un massage au spa<br />
ou une séance de yoga face à l’océan.<br />
Côté excursions, il est possible d’aller<br />
en kayak apprécier les forêts de mangrove<br />
(le Sine Saloum est juste à côté), de faire<br />
une balade à cheval dans la réserve<br />
naturelle de Palmarin pour y croiser<br />
des pélicans gris et des flamants roses, ou de<br />
s’offrir un tour en ULM au-dessus du Saloum<br />
et des puits de sel pour les plus aventuriers.<br />
Le luxe s’allie ici à la nature, l’hôtel adoptant<br />
une démarche écoresponsable.<br />
YOKAN LODGE<br />
Route de Djifer, Palmarin, tél. : +221 78 196 70 01.<br />
yokanlodge.com<br />
MIREILLE ROOBAERT<br />
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 153
pour conclure<br />
PAR EMMANUELLE PONTIÉ<br />
NANGADEF !<br />
*<br />
Bon, il n’y a pas photo : Dakar a fait un bond<br />
en avant majeur ces dernières années. Un aéroport<br />
international flambant neuf, une autoroute à péage,<br />
une nouvelle ville, des infrastructures routières et sportives,<br />
des hôpitaux, un TER, une compagnie aérienne<br />
nationale qui s’envole outre-Atlantique. L’électricité<br />
abonde en continu en ville et les délestages d’hier sont<br />
oubliés. Les programmes et projets en matière d’emploi,<br />
de tourisme, d’agriculture, d’électrification rurale,<br />
de manufacturing noircissent les pages du Plan Sénégal<br />
Emergent et se lancent les uns après les autres.<br />
Le Sénégal prend ce mois-ci la présidence<br />
tournante de l’Union africaine et retrouve sa place<br />
dans le concert des nations. Pour le pays de la<br />
Teranga, c’est une longue page qui se tourne, l’ambition<br />
qui revient concernant le tourisme, le business, la<br />
modernisation et l’ouverture sur le monde. Les jeunes<br />
(rappelons que plus de la moitié de la population<br />
a moins de 19 ans) lancent des entreprises dans<br />
le digital, les services, le commerce, la culture. Ils<br />
innovent, créent des emplois, concrétisent peu à peu<br />
leurs rêves. La créativité explose. En art contemporain,<br />
en design, en stylisme. D’innombrables talents s’exposent<br />
dans les nouveaux concept stores, les galeries,<br />
les centres d’art. Le made in Sénégal s’exporte,<br />
séduit les goûts d’ailleurs, s’attaque à des marchés<br />
lointains, lucratifs.<br />
Pourtant, et c’est peut-être ici que se trouve<br />
la clé de l’équilibre local si précieux, le Sénégal<br />
n’a pas vraiment changé. Les étudiantes que l’on<br />
croise devant l’Université Cheikh Anta Diop portent<br />
des jeans stretch supermoulants, à la taille très basse<br />
laissant souvent dépasser un bout de « dentelle », tout<br />
en arborant un foulard coloré sur la tête qui entoure le<br />
visage. Les mêmes jeunes filles, à la pointe de la mode<br />
et de la branchitude internationale dans le choix de<br />
leurs vêtements, de leurs boissons, de leur musique ou<br />
de leur langage mâtiné d’anglicismes, se retrouvent<br />
en famille les week-ends dans la cour de leurs parents,<br />
assises autour d’un plat commun de thiéb traditionnel<br />
où elles plantent leur cuillère, avant d’aller danser un<br />
mbalax endiablé avec leurs tantes les jours de fête.<br />
Autre exemple d’attachement viscéral à la<br />
fois à la modernité et à la tradition, l’élite native de<br />
Saint-Louis, qui évolue dans le business international<br />
ou dans les hautes sphères du pays, n’a de cesse<br />
d’investir dans l’habitat local, restaurant les somptueuses<br />
maisons aux murs ocre et aux boiseries fines<br />
de leurs ancêtres.<br />
Et si l’on peut parler de tradition lorsqu’on<br />
évoque les légendaires taxis hors d’âge de Dakar,<br />
aux compteurs qui ne marchent jamais, conduits<br />
par des chauffeurs faisant semblant de ne pas parler<br />
français pour mieux balader les visiteurs qui ne<br />
connaissent pas la ville… Eh bien, eux aussi se lancent<br />
sans complexe sur l’autoroute qui mène, entre autres,<br />
à la nouvelle ville de Diamniadio. Et se réjouissent du<br />
progrès, de cet avenir meilleur qui se dessine pour<br />
tous, sans pour autant imaginer changer de voiture.<br />
Ils tiennent bon. Et cohabitent avec les berlines chics<br />
que les hommes d’affaires de passage louent dans<br />
les hôtels pour leurs déplacements.<br />
Quelque part, Dakar s’est radicalement<br />
transformé, tout en restant résolument Dakar. Et<br />
le Sénégal avance vers l’émergence, entre dans la<br />
mondialisation. Mais à sa manière. Ce qui est certainement<br />
une réussite. La vraie. ■<br />
* Salutation traditionnelle wolof.<br />
154 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
DES MILLIERS<br />
DE POINTS DE<br />
TRANSACTIONS<br />
PROCHES DE VOUS<br />
ACHETER DU<br />
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