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MELTING-POT<br />
Il a été récompensé<br />
le 3 novembre dernier pour<br />
son roman La Plus Secrète<br />
Mémoire des hommes.<br />
du jour. Quand nous nous quittons, je gagne un camarade,<br />
mieux, un complice.<br />
Quelques centaines de textes lancés sur un blog – au titre<br />
repris de Victor Hugo, Choses revues –, et c’est la première<br />
grande folie du jeune homme : un manuscrit sur le djihadisme<br />
au Mali en 2013. Un coup d’essai et un coup de maître :<br />
Terre ceinte paraît à la fin de 2014 et conquiert le jury du<br />
prix Kourouma, bluffé par l’âge de l’auteur et l’épaisseur<br />
philosophique du texte. Il y fait dialoguer le Bien et le Mal, dans<br />
une ode à la résistance. Le propos est nuancé, mesuré, mature,<br />
et entre en écho avec l’actualité, en cette année du triomphe du<br />
film Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako. S’ensuivront d’autres<br />
récompenses (le prix du roman métis, celui de la<br />
Porte dorée, le prix Littérature-monde du festival<br />
Étonnants voyageurs…), pour quasiment tous<br />
ses livres. La toile de sa belle réputation se tisse<br />
sous des honneurs qui en appellent d’autres.<br />
Il est décoré par le président Macky Sall. Il suscite<br />
l’admiration et, fait plus rare, l’unanimité, sans<br />
jamais tomber dans la connivence ou la complaisance. Malgré<br />
cette besace pleine, le Paris littéraire le méconnaît. Il est encore<br />
dans le « ghetto ». Trois livres ne l’ont pas encore affranchi<br />
de son statut de promesse africaine ou francophone.<br />
Pour ce forgeron de l’écriture, ce n’est qu’une question de<br />
temps. Le talent est une donnée comme une autre chez lui, pas<br />
un privilège qui dispense de travailler. Seul, il est vain. Il faut<br />
donc lire, beaucoup, jusqu’à l’obsession, faire allégeance aux<br />
maîtres. Seulement après, peut-être, essayer de marcher sur<br />
leurs pas. L’écriture sera vie, malgré la précarité de la vocation<br />
et les angoisses alimentaires. Il s’y adonne corps et âme, en<br />
théoricien et en praticien. La thèse de doctorat qu’il commence<br />
sur trois livres de l’année symbolique de 1968 – Le Devoir de<br />
violence, du Malien Yambo Ouologuem, La Plaie, du Sénégalais<br />
Malick Fall, Les Soleils des indépendances, de l’Ivoirien Amadou<br />
Kourouma – attendra. Il finira par la suspendre, mais un<br />
tel corpus, celui de la désillusion, de la disparition, n’est pas<br />
anodin dans sa trajectoire. Étape décisive pour comprendre<br />
sa charpente littéraire et son rapport à la littérature africaine,<br />
Il suscite<br />
l’unanimité<br />
sans jamais<br />
tomber dans la<br />
complaisance.<br />
tant ces figures ont incarné à la fois la solitude, le retrait,<br />
la gloire la plus établie, mais aussi l’opprobre. C’est donc<br />
en lecteur qu’il se pose d’abord, en vrai lecteur qui tient les<br />
livres pour sacrés. Ce regard de chercheur sur son objet de<br />
cœur, cette immersion étofferont son regard et son approche.<br />
La lumière du vocatus ainsi allumée se fera de plus en plus<br />
vive au long de l’apprentissage. Silence du chœur (2017), son<br />
deuxième livre, séduit aussi en plein drame migratoire, ses<br />
héros siciliens confortent sa fibre humaniste. Il peaufine son<br />
style. Les rares critiques pointent une écriture « khâgneuse »,<br />
sage et gentiment classique, il leur tord le cou dans De purs<br />
hommes (2018), audacieuse confrontation avec le tabou<br />
ultime de la société sénégalaise : l’homosexualité. Il devance<br />
les critiques. S’arme contre les flèches à venir, immanquables,<br />
quand la gloire arrive et qu’elle suscite la malveillance. Ce<br />
n’est donc rien de moins qu’une rentrée littéraire dans laquelle<br />
il se lance en août 2021, donnant une saveur épique au défi.<br />
Se dépatouiller dans la forêt des 600 livres promis à l’oubli.<br />
Et ce, sans grand réseau derrière. Un pari fou, gagné haut<br />
la main. Avec une presse dithyrambique et des éloges, qui<br />
l’ont vu en bonne place sur les prix littéraires d’automne.<br />
Demeure, en trame de fond, cette candeur du refuge au pays<br />
de la littérature, malgré les urgences. Pour ce footballeur<br />
intermittent et doué, fan de Zidane, amateur de passements<br />
de jambes et de tacles fulgurants, bon vivant et rigolard,<br />
amoureux fou du mafé – moins du chou –, les rues de Paris sont<br />
autant de tableaux sociologiques, de livres, des<br />
sources ouvertes. Dandy sans le sou, il en a goûté<br />
les errances, souvent nocturnes et solitaires.<br />
Il les a pourtant embrassées, sans la folie propre<br />
des héros balzaciens, avec mesure, patience,<br />
en stratège, comme sûr que son heure était<br />
à l’horizon. Ses romans, son application d’ascète,<br />
lui ont pavé la voie à des rencontres fondatrices, mentors, amis,<br />
toujours séduits par son génie et sa personnalité. L’ancrage<br />
en pays sérère est un élément fondateur de son identité. Né<br />
en 1990, Mohamed Mbougar Sarr est l’aîné d’une fratrie de<br />
sept garçons. Père médecin et maman au foyer. Il grandit<br />
entre Diourbel, Mbour et Saint-Louis. Il s’est nourri d’une<br />
langue, de mythes, de valeurs, qui sont devenus chez lui<br />
des marqueurs. Point un hasard si La Plus Secrète Mémoire<br />
des hommes, le livre de la grande consécration, puise une<br />
partie de son histoire au cœur de ce pays sérère, ce berceau<br />
où il va souvent en pèlerinage. Si sa tête a toujours côtoyé les<br />
nuages du haut de son cérémonial mètre 91, les pieds, eux,<br />
sont restés bien sur terre, enracinés. Il doit cette humilité,<br />
entre autres, à son tempérament d’une naturelle pondération.<br />
Laquelle, sur les Grands Boulevards, est restée presque<br />
imperturbable malgré le fracas. Tout gagner à l’aube de la vie<br />
est bien désarmant, il faut survivre au Goncourt pour tutoyer<br />
d’autres sommets. Et s’il est un écrivain capable de s’ouvrir<br />
à de nouveaux horizons, c’est précisément celui-là. ■ Elgas<br />
AURORE THIBAULT/HANS LUCAS/HANS LUCAS VIA AFP<br />
24 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022