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AM-HS-SENEGAL

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DR<br />

animalité et humanité. Cette idée que l’on<br />

forme une communauté entière, les humains<br />

et les non-humains, dans un rapport de négociations,<br />

d’affinités, de discussions et non pas<br />

d’exploitation existe dans les cultures africaines,<br />

amérindiennes. Nous réfléchirons de<br />

quelle manière ces ressources imaginaires,<br />

intellectuelles, peuvent produire des formes<br />

de vie politique, sociale, culturelle, économique<br />

différentes, afin de répondre aux<br />

défis écologiques, aux besoins du vivant, des<br />

liens sociaux.<br />

Le Sénégal est-il une exception<br />

culturelle en matière de politiques<br />

BIBLIOGRAPHIE<br />

SÉLECTIVE<br />

◗ Les Lieux qu’habitent<br />

mes rêves, Gallimard,<br />

2022.<br />

◗ La Saveur des<br />

derniers mètres,<br />

Philippe Rey, 2021.<br />

◗ Restituer le<br />

patrimoine africain,<br />

Philippe Rey/Seuil,<br />

2018.<br />

◗ Afrotopia, Philippe<br />

Rey, 2016.<br />

menées dans ce domaine ?<br />

La créativité de la scène artistique<br />

sénégalaise pallie le déficit de vraies<br />

grandes politiques culturelles. Même si<br />

certaines sont conduites ces dernières<br />

années, avec notamment le Musée des<br />

civilisations noires, la biennale de Dakar,<br />

ou encore certaines infrastructures…<br />

Mais la vitalité vient d’abord de la<br />

scène culturelle. Elle est héritière de<br />

politiques importantes installées dans<br />

les années 1960-1970. Il y a eu un<br />

foisonnement depuis les indépendances,<br />

Léopold Sédar Senghor a inscrit le pays<br />

dans une trajectoire de valorisation de la culture<br />

au sens large. En 1966, le Festival mondial<br />

des arts nègres, organisé à Dakar, a également été<br />

un moment essentiel.<br />

Qu’entendez-vous à travers les productions<br />

des jeunes talents sénégalais ?<br />

Sur le continent, de manière plus globale, on<br />

observe depuis quelques années une richesse dans<br />

la créativité : musique, littérature, arts visuels,<br />

cinéma… Le continent est le lieu d’un bouillonnement artistique<br />

et culturel. Le geste artistique dit notamment le désir<br />

de se réinventer, tout comme le métissage. Ce n’est plus le<br />

temps où les artistes évaluent la profondeur du manque et<br />

de la perte, se guérissent d’un traumatisme. On peut lire le<br />

continent se racontant à lui-même et au monde, à travers ce<br />

geste. Maintenant, les jeunes sont préoccupés par leur avenir<br />

– études, emploi, travail –, par leur place, qui ils sont et<br />

quels rapports articuler avec le monde. Ce sont des inquiétudes<br />

normales de la jeunesse, avec un fort désir de se réaliser,<br />

trouver les opportunités possibles pour se déployer, dans<br />

les lieux où ils vivent. C’est ce que j’entends dans plusieurs<br />

formes d’expression.<br />

Avec Bénédicte Savoy,<br />

vous êtes coauteur de<br />

Restituer le patrimoine<br />

africain. Pourquoi<br />

est-ce essentiel que<br />

ces objets détenus par<br />

la France reviennent<br />

au continent ?<br />

Dans le geste de réinvention<br />

de soi, du présent<br />

et du futur, on a besoin de<br />

reconstruire sa mémoire<br />

et son histoire. Et il nous<br />

a manqué des objets, des œuvres spirituelles,<br />

matérielles, qui disent notre<br />

histoire, notre génie, nos spiritualités,<br />

nos sens artistiques, nos visions<br />

du monde, nos philosophies. Les<br />

groupes humains ont besoin de renégocier<br />

constamment avec leur capital<br />

culturel, de transmettre leur vécu,<br />

leur patrimoine. Pour qu’ainsi, les<br />

nouvelles générations s’en inspirent<br />

et construisent à partir de ça. Si l’on<br />

récupère ces traces, si l’on remet ces<br />

objets dans la forge de la transmission, cela nous<br />

aidera à reconstruire dans le présent et, dans le<br />

futur, à répondre aux défis actuels.<br />

« L’Afrique n’a personne à rattraper »,<br />

écriviez-vous dans votre essai Afrotopia.<br />

Il faut sortir de cette idée que l’on serait en<br />

retard, que l’on devrait rattraper. On n’est en compétition<br />

avec personne. La première bataille à<br />

gagner est de déterminer quelle société nous voulons,<br />

qu’est-ce qu’une bonne vie. Toutes les sociétés<br />

aspirent au bien-être, fait de paix sociale, de rapport<br />

à la culture, à l’écologie, de spiritualité chez<br />

certains… Les sociétés africaines sont les plus anciennes de l’humanité,<br />

elles sont en mesure de définir elles-mêmes leur futur.<br />

Il faut assigner une place juste à l’économie, laquelle est un<br />

moyen et pas une fin, qui doit être en symbiose avec les autres<br />

ordres, sans les diminuer ni les détruire. On peut éventuellement<br />

s’inspirer des autres aventures sociétales, mais également<br />

éviter leurs erreurs, ne pas reproduire ces modèles d’industrialisation<br />

destructeurs pour la planète. Notre problématique n’est<br />

pas fondamentalement économique, mais d’abord culturelle,<br />

civilisationnelle, psychologique. Il faut évidemment répondre<br />

aux besoins économiques, mais nous vivons pour nous remplir<br />

dans des espaces de sens, de significations, qui sont à remettre<br />

au centre. La culture est le début et la fin de ces processus. ■<br />

HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 123

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