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INTERVIEW<br />

15 faits méconnus<br />

sur sa vie<br />

◗ Léopold Sédar Senghor est né en 1906, mais le jour<br />

précis reste ignoré : était-ce le 15 août ou le 9 octobre ?<br />

◗ « Sédar » signifie « celui que l’on ne peut humilier »:<br />

toute sa vie, Senghor s’efforcera de mériter<br />

son prénom sérère en restant un homme fier.<br />

◗ « Senghor» viendrait du portugais « Senhor»<br />

(« monsieur »).<br />

◗ Son « nom de totem », confié à l’adolescence lors<br />

de son initiation et gardé secret, signifiait « l’Ancêtre<br />

à la peau d’orage sillonnée d’éclairs et de foudre ».<br />

◗ Le suicide d’un palefrenier, après que son père<br />

l'a traité de « menteur », l’a hanté toute sa vie.<br />

◗ À Paris, dans le Quartier latin, les passants se<br />

retournaient sur un trio de joyeux étudiants : un Blanc,<br />

un Noir et un Asiatique. Il s'agissait de Georges<br />

Pompidou, Senghor et Pham Duy Khiêm. Tous trois<br />

auront des destins exceptionnels.<br />

◗ La cadence de l’alexandrin lui évoquant un austère<br />

« défilé militaire », il préfèrait Paul Claudel, dont le<br />

rythme lui rappellait la poésie orale de l’Afrique.<br />

◗ « Je considère un peu Senghor comme une partie<br />

de moi-même », disait Aimé Césaire.<br />

◗ Fait prisonnier en juin 1940, le tirailleur Senghor a<br />

sympathisé avec l'un de ses gardiens – un officier<br />

autrichien secrètement antinazi –, lequel transmettra<br />

discrètement son courrier à ses amis à Paris !<br />

◗ Une femme de ménage avait jeté à la poubelle<br />

par mégarde le brouillon de sa thèse.<br />

◗ Ancien professeur tatillon, le président Senghor a fait<br />

supprimer les apostrophes de certains patronymes<br />

sénégalais (N’Diaye, M’Baye).<br />

◗ Son entêtement à maintenir en détention Mamadou<br />

Dia l’a sans doute privé du prix Nobel de littérature…<br />

◗ Lors de la démocratisation du Sénégal, le président<br />

Senghor a refusé de légaliser le parti de l’historien<br />

Cheikh Anta Diop… Peut-être par rivalité intellectuelle !<br />

◗ Afin de ne pas froisser les confréries, il n’a jamais<br />

invité le pape au Sénégal (la venue de Jean-Paul II<br />

attendra 1992).<br />

◗ Senghor est mort le 20 décembre 2001. Ni le président<br />

français Jacques Chirac, ni son Premier ministre Lionel<br />

Jospin n’ont jugé bon d’interrompre leurs fêtes de fin<br />

d’année pour venir assister à ses funérailles… ■<br />

À l’indépendance, Senghor défendra jusqu’au bout<br />

l’idée d’une fédération ouest-africaine. Ce fédéralisme<br />

fut un échec, mais aurait-il pu fonctionner ?<br />

Cette fédération avait peu de chance de fonctionner, car<br />

trop de protagonistes étaient contre, notamment Guy Mollet<br />

[secrétaire général de la SFIO, plusieurs fois ministre et chef de<br />

gouvernement sous la IV e République, ndlr], De Gaulle, la Mauritanie,<br />

ainsi que le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny.<br />

Vous rappelez d'ailleurs sa rivalité avec ce dernier<br />

dans des anecdotes tragicomiques ! Pourquoi<br />

tant d’animosité entre les deux principaux<br />

leaders de l’Afrique de l’Ouest francophone ?<br />

Les deux hommes étaient si différents : Senghor était un<br />

intellectuel, un poète un peu rêveur, et Houphouët-Boigny,<br />

un planteur enraciné, terre à terre, qui avait pour priorité les<br />

intérêts nationaux. La Côte d’Ivoire s’enrichissant, celui-ci ne<br />

voulait pas d’une redistribution des richesses en faveur du<br />

Sénégal. Il a su prendre les commandes d’un parti régional<br />

multiétatique, le Rassemblement démocratique africain (RDA),<br />

et s’est fait respecter à Paris pour son intelligence politique. Il a<br />

fait en sorte que le RDA soit présent à l’Assemblée constituante<br />

et à l’Assemblée nationale françaises. C’était une très bonne<br />

idée qu’aurait dû rallier Senghor, comme il l’a admis lui-même<br />

par la suite. Félix Houphouët-Boigny considérait ce dernier<br />

comme « un Français noir ». Mais malgré tout, tous les deux<br />

s’estimaient, à défaut de s’apprécier ! Leur rivalité s’est apaisée<br />

quand leurs intérêts communs ont grandi. Dans les archives de<br />

Jacques Foccart [le sulfureux « Monsieur Afrique » des présidents<br />

français, de De Gaulle à Jacques Chirac, ndlr], on lit qu’il a tenté<br />

de les rabibocher… Leur rivalité agaçait à l’Élysée, qui avait<br />

besoin de l’un comme de l’autre !<br />

L’épisode de Mamadou Dia est dramatique.<br />

Après son coup de force raté de décembre 1962,<br />

le président du Conseil est incarcéré plus de onze<br />

ans dans des conditions déplorables… On est étonné<br />

de la dureté de Senghor face à son ancien ami, avec<br />

lequel il avait fondé en 1948 le Bloc démocratique<br />

sénégalais, qui est ensuite devenu son rival, puis<br />

finalement son ennemi. Une dureté collant mal<br />

au reste du personnage. Comment l’expliquer ?<br />

J’ai beaucoup parlé avec l’anthropologue Roland Colin, qui<br />

les a connus tous les deux. Ils étaient très proches, et puis les<br />

circonstances les ont éloignés. Une fois président, Senghor est<br />

devenu moins accessible. Après la condamnation de Dia, il s’est<br />

enfermé dans une attitude de déni, sans comprendre qu’on lui<br />

reproche sa dureté. Il n’a pas apprécié les critiques à ce sujet de<br />

la revue Esprit, dont il se sentait proche. Senghor jugeait indispensable<br />

d’affirmer l’autorité de l’État sénégalais. À la fin des<br />

années 1960, il ne supportait plus qu’on lui parle de la détention<br />

de Dia. Il a fallu attendre qu'il prenne la décision seul, sans qu’il<br />

114 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022

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