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URBANITÉ<br />
Dakar est gargantuesque. La presqu’île du<br />
Cap-Vert, qui a vu naître le destin hors<br />
norme de la capitale du Sénégal, a fait<br />
les frais de sa faim dévorante. Si l’Atlantique<br />
qui borde la Corniche contient<br />
son appétit, à l’est il n’y a pas d’entrave.<br />
Aujourd’hui, Dakar, métropole<br />
qui cache encore administrativement<br />
son nom, semble n’avoir ni fin ni cesse. Ses limites régionales<br />
reculent devant les assauts répétés d’une urbanisation qui<br />
englobe aujourd’hui près de 820 km 2 , une partie de l’espace<br />
naturel humide des Niayes et de la région voisine de Thiès. Les<br />
alizés battant les flancs de la capitale auraient-ils aiguisé son<br />
appétit ? À moins que la faute n’incombe à la formidable capacité<br />
polarisatrice d’une ville-monde qui ne cache plus ses ambitions.<br />
Se mettre à la même table qu’Abidjan et Lomé. Se positionner<br />
comme le principal carrefour de la sous-région ouest-africaine et<br />
rayonner au-delà même de ses frontières continentales. En 2017,<br />
l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD) ouvre ses portes.<br />
Portée par la dernière-née des compagnies nationales, Air Sénégal,<br />
Dakar se rapproche des grandes métropoles d’Europe et des<br />
États-Unis : Paris, Milan, Londres, Washington et New York. En<br />
2027, la mise en service du port multifonctionnel en eau profonde<br />
de Ndayane – le troisième du continent –, situé à 60 kilomètres<br />
au sud de la capitale, devrait désengorger le port actuel<br />
situé au centre-ville. Et assouvir peut-être la boulimie d’une ville<br />
tournée vers l’ailleurs et l’avenir.<br />
Le paisible quotidien de pêcheurs lébous, dont les villages<br />
rythmaient les côtes du Cap-Vert au XVIII e siècle, appartient<br />
aux livres d’histoire – ceux sommeillant dans la bibliothèque<br />
de la prestigieuse, quoique régulièrement taxée de décadente,<br />
Université Cheikh Anta Diop (UCAD). La région concentre<br />
aujourd’hui 90 % des emplois permanents, contribue à 80 %<br />
du produit intérieur brut (PIB) et s’est imposée comme la tête<br />
de pont du Sénégal émergent. Il suffit de jeter un œil au sommet<br />
des immeubles qui bordent la place de l’Indépendance, dans<br />
Peinture murale pour sensibiliser<br />
la population aux gestes barrières<br />
contre le Covid-19.<br />
le quartier d'affaires du Plateau : Banque centrale des États de<br />
l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), bureau régional de la Banque africaine<br />
de développement (BAD), celui de l’UNESCO… Autant<br />
d’organisations qui participent au prestige d’une capitale cosmopolite<br />
dont le rayonnement est aussi culturel. En témoigne<br />
la tenue d’événements de prestige, comme la biennale d’art<br />
contemporain africain ou la Dakar Fashion Week.<br />
Là où son dynamisme s’observe le mieux, c’est pourtant au<br />
quotidien, dans les rues que se partagent 4 millions d’habitants<br />
– soit près du quart de la population sénégalaise qui s’entasse<br />
sur 0,3 % du territoire national. Une tête d’épingle, en somme,<br />
mais chauffée à blanc par un dynamisme démographique galopant.<br />
Aujourd’hui, un Dakarois sur deux a moins de 20 ans.<br />
Il faut, pour en saisir l’ampleur, s’immerger dans les artères<br />
bouillonnantes du marché Soumbédioune où tout se trouve,<br />
du poisson à la chaîne hi-fi, longer les locaux industriels de la<br />
baie de Hann qui, concentrant 80 % des industries de Dakar,<br />
semblent ne jamais dormir. Il faut prendre la pleine mesure du<br />
secteur informel qui occupait en 2013 un Dakarois actif sur<br />
deux, entre motos-taxis, vendeurs à la sauvette et restaurants<br />
clandestins. Le crépuscule venu, il faut s’attarder aux abords de<br />
la plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest, nommée Les Chemins<br />
du paradis, vers laquelle convergent des milliers de fidèles.<br />
Il faut enfin, sans craindre les contrastes, s’enfoncer dans la nuit<br />
et écumer la Corniche, où la jeunesse dorée vogue de club en<br />
club jusqu’à l’aube.<br />
Dakar abrite des mondes qui se frôlent parfois, mais se<br />
croisent rarement. L’apparent dynamisme de la capitale cache<br />
mal une ségrégation sociospatiale marquée, dont l’origine<br />
remonte aux politiques hygiénistes du temps des colonies. Une<br />
épidémie de peste servira de prétexte pour mettre à l’écart les<br />
populations indigènes. Le quartier de la Medina est ainsi créé<br />
en 1914, séparé du Plateau par un cordon sanitaire. L’inopérabilité<br />
des visions planificatrices du développement urbain<br />
au cours de la deuxième moitié du XX e siècle fera perdurer la<br />
dichotomie sociospatiale à Dakar. L’enjeu, actuel, est celui du<br />
vivre-ensemble.<br />
ÉTALEMENT URBAIN DIFFÉRENCIÉ<br />
Dans les années 1970, la cité implose. Les<br />
intenses sécheresses qui sévissent au Sénégal<br />
ainsi que les mirages de la capitale provoquent un<br />
exode rural massif. Entre 1955 et 1976, la population<br />
de la région de Dakar triple pour atteindre<br />
799 000 habitants. Précaires, les néo-arrivants<br />
s’installent de façon illégale dans une zone non<br />
ædificandi inondable : la Grande Niaye, une zone<br />
humide de dépression interdunaire où affleure la<br />
nappe phréatique mise en valeur par l’agriculture,<br />
mais alors majoritairement réserve de biodiversité.<br />
Y naissent les villes de Pikine et Guédiawaye,<br />
situées à une quinzaine de kilomètres du nord-est<br />
SADAK SOUICI/LE PICTORIUM<br />
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022